VIRFOLLET Agathe - Sciences Po Toulouse

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Institut d’Etudes Politiques de Toulouse
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL
TOUJOURS RECETTE ?
Mémoire de Recherche présenté par Melle Agathe VIRFOLLET
Directeur de Mémoire : M. Gabriel COLLETIS
Année universitaire 2007-2008
Institut d’Etudes Politiques de Toulouse
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL
TOUJOURS RECETTE ?
Mémoire de Recherche présenté par Melle Agathe VIRFOLLET
Directeur de Mémoire : M. Gabriel COLLETIS
Année universitaire 2007-2008
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier le Professeur Gabriel COLLETIS, pour
l’attention continue qu’il a porté à mon travail. Souhaitant tout
d’abord œuvrer sur le salaire minimum, il m’a permis d’ouvrir
mon sujet à des raisonnements économiques, qui m’étaient
jusqu’à alors inconnus. Ses abondants conseils éclairés et
éclairants, m’ont ensuite guidée tout au long des réflexions que
j’ai pu menées. Le choix de poursuite de mes études résulte en
grande partie de l’intérêt que j’ai pu développer pour ces sujets
au cours de mes lectures.
i
AVERTISSEMENT
L’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse n’entend donner
aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de
recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres
à leur auteur(e).
ii
ABRÉVIATIONS
AG, Aktiengesellschaft, Société anonyme
CDU, Christlich Demokratische Union Deutschlands, l’Union chrétienne-démocrate
d’Allemagne
DGB, Deutscher Gewerkschaftsbund, Fédération des syndicats allemands
GRH, Gestion des Ressources Humaines
ID, Investissements Directs
IG Metall, Industriegewerkschaft Metall, Syndicat professionnel allemand de la métallurgie
OPA, Offre Publique d’Achat
PME, Petites et Moyennes Entreprises
RDA ou DDR, Deutsche Demokratische Republik, République Démocratique allemande
SPD, Sozialdemokratische Partei Deutschlands, le Parti social-démocrate d’Allemagne
iii
SOMMAIRE
Remerciements ....................................................................................................... i
Avertissement........................................................................................................ii
Abréviations .........................................................................................................iii
Sommaire..............................................................................................................iv
Introduction ........................................................................................................... 1
PARTIE I - Le Modèle d’outre-Rhin face à celui d’outre-Atlantique................ 11
CHAPITRE 1 - De la définition du modèle Rhénan ............................................................ 12
CHAPITRE 2 - Un modèle allemand sous influences ......................................................... 33
PARTIE II - Quelle est la pertinence du modèle rhénan à l’aune du contexte
économique actuel ? ............................................................................................ 50
CHAPITRE 1 - Une évolution qui tendrait à privilégier le « marché » sur le « social » ? .. 51
CHAPITRE 2 - La « Deutschland AG » sera-t-elle toujours aussi performante au sein du
capitalisme cognitif ?............................................................................................................ 69
Conclusion........................................................................................................... 90
Références ........................................................................................................... 95
Table des Matières............................................................................................... 99
iv
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
INTRODUCTION
L’observateur attentif pourrait s’étonner qu’au sein des pays européens, l’Allemagne
soit l’un des seuls territoires à ne posséder ni salaire minimum interprofessionnel, ni salaire
minimum de branche généralisé (hormis la Poste et le BTP). Pourtant les salaires allemands
sont situés au dessus de la moyenne européenne, même si, durant les vingt dernières années,
le taux d’inflation salarial a été très faible. La Grande-Bretagne, dont les inégalités sont
réputées plus prégnantes, a quant à elle récemment introduit un salaire minimum.
L’étonnement est donc légitime car le débat sur le salaire minimum, lancé par le SPD,
déclenche en Allemagne des réactions mitigées voire opposées au sein de la CDU et de la
communauté d’experts économiques. En outre, parmi les arguments avancés, l’idée selon
laquelle l’introduction d’un salaire minimum contribuerait à l’augmentation du chômage n’est
pas principalement mise en avant. Pourtant elle constitue souvent, en France, le cœur des
argumentaires de ceux qui appellent de leurs vœux la suppression du salaire minimum. En
Allemagne, l’attention est davantage portée sur la préservation du modèle de codétermination
participant à l’harmonisation des relations sociales. Ainsi la mise en place du salaire
minimum ne semble pas se poser dans les mêmes termes des deux côtés du Rhin.
A travers cet exemple, est révélée la spécificité d’un modèle économique tant
institutionnalisé, qu’il constitue aujourd’hui le cœur du fonctionnement économique de
l’Allemagne.
*
De ce fait, la sphère économique ne peut être étudiée indépendamment de la
dynamique économique et des formes institutionnelles nationalement et historiquement
constituées. Tout en gardant une approche économique, il nous semble ainsi indispensable
d’ajouter une dimension historique à notre étude. En effet, comment peut-on cerner les
phénomènes de salaire minimum ou de « pactes de compétitivité » en Allemagne sans prendre
la mesure de l’importance du processus de codécision dans toutes les sphères de la vie
institutionnelle allemande ? Cette approche d’économie historicisée viserait ainsi à compléter
les nouvelles perspectives de la socio-économie et de l’économie politique. Toutefois, il faut
dès à présent préciser que cette dimension historique s’attachera à contextualiser la
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
construction de formes institutionnelles spécifiques, à l’œuvre au sein de chaque territoire, qui
résulte d’une histoire longue et d’une accumulation de traditions.
Au delà de cette dimension historique que nous voudrions inclure dans notre
raisonnement économique, il nous apparaîtra parfois pertinent d’adjoindre également une
perspective géographique. En effet l’économie géographique apporte un horizon neuf et
approprié à l’étude de l’organisation économique décentralisée de l’Allemagne.
Notre approche empruntera donc des perspectives géographiques et historiques pour
mieux appréhender les cadres d’actions des agents économiques. C’est en effet à partir d’une
projection institutionnaliste que l’on souhaite étudier les spécificités du modèle allemand.
Nous tenterons ainsi de formuler des cadres conceptuels qui, définissant le capitalisme
allemand, permettront de le distinguer de d’autres capitalismes. Il s’agit en effet d’utiliser la
démarche historique et comparative pour tenter d’appréhender les différents capitalismes qui
coexistent.
Pour chacun d’entre eux, il apparaît que la dimension économique ne peut être
appréhendée indépendamment du système social et politique, puisqu’elle est structurée par les
institutions socio-économiques. Définir les institutions se révèle particulièrement difficile
puisque, comme nous l’apprend la sociologie, est institution tout ce qui fait l’objet d’une
reconnaissance plus ou moins importante par un ensemble de personnes et, qui perdure dans
le temps. Une institution n’est pas forcément un établissement aux fondations solides mais
peut également être une règle qui a jusqu’à présent fait l’objet d’un consensus. Ainsi les
relations entre acteurs économiques ne sont pas uniquement des transactions marchandes car
elles obéissent souvent à des règles (droit commercial, droit du travail), des normes (principe
du consensus, primauté aux réseaux), des conventions et des représentations. Dans le modèle
allemand, l’impératif du travail en réseau ou du consensus peut être considéré comme une
institution. En effet s’ils ne sont pas, à proprement parler, inscrit dans des textes de lois, ces
nécessités sont reconnues par l’ensemble des acteurs du champ économique allemand. Or,
cette idée n’est pas partagée de ce côté-ci du Rhin où les difficultés, que rencontrent les pôles
de compétitivité, témoignent des différences d’appréhension de l’efficacité d’un réseau. En
somme, nous considérerons que des modes de régulations et de gouvernements proprement
nationaux peuvent être considérés comme des institutions, participant à la définition d’un
modèle et le distinguant d’un autre. S’inscrire dans une approche institutionnaliste, c’est être
conscient que les mécanismes d’interaction entre les agents économiques ne sont pas
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
uniquement le fruit de relations de marché sanctionnées par des prix. La réalité même d’une
économie mondialisée, où subsistent des différences substantielles entre différents régimes
économiques, en est la preuve. Dans cette optique, les institutions sont des règles et des
mécanismes mis en place par les individus afin de régler des comportements et des relations,
et ainsi de pallier aux défaillances du marché.
Dès à présent, une précision doit cependant être apportée, car nous ne considérons pas
que les différentes populations soient « naturellement » enclines à favoriser les réseaux, ou le
consensus. Ces modes de régulations sont affirmés et entretenus par d’autres institutions, de
sorte que l’ensemble réalise un système intégré. Ainsi, il nous apparaît que traiter de
l’influence des institutions nous met également en garde contre un culturalisme peu fructueux.
Affirmer que les institutions influencent les comportements des acteurs de la sphère
économiques, c’est éviter de croire que les acteurs agissent de la sorte par « nature ». Cette
conception qui paraît évidemment peu pertinente est pourtant encore largement véhiculée par
le sens commun auquel participent parfois certaines vulgarisations médiatiques. Ainsi par
exemple, « le français aurait, par sa culture, un penchant pour la grève » alors que
« l’allemand serait naturellement porté au consensus ». L’étude des institutions, que sont les
syndicats des deux côtés du Rhin, permet d’expliquer avec beaucoup plus de pertinence les
raisons des comportements de chacun de ces acteurs. Ainsi, si les allemands font moins la
grève, c’est uniquement parce que « de longue date, les syndicats ont misé sur l’instrument
des négociations collectives, ne considérant la grève que comme le moyen de faire prévaloir
leurs intérêts en dernier recours »1. Au contraire « en France, les partenaires sociaux tendent à
ne négocier que lorsque le rapport de forces s’est auparavant manifesté dans un conflit ouvert.
La grève est donc souvent un préliminaire nécessaire de la négociation et du compromis »2. Il
est également important de noter que le terme d’institution s’applique aux représentations. Du
reste, dans la comparaison des relations syndicales en France et en Allemagne, les
représentations antagonistes qu’ont les acteurs allemands et français, d’eux mêmes et du
partenaire adverse, sont au coeur de leurs différenciations.
Afin d’indiquer toute la valeur heuristique d’un angle de vue institutionnaliste, nous
préférons reprendre les propos de Peter A. Hall et David Soskice qui mettent en avant
l’étendue des possibles à laquelle une telle approche pourrait répondre.
1
Henrik Uterwedde, Gabriel Colletis, Jean-Louis Levet, Compétitivité globale, une perspective francoallemande, Rapport du groupe franco-allemand sur la compétitivité, Commissariat général au Plan, La
documentation française, Paris, 2001, p 107-108
2
ibid
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
« Ces cadres [conceptuels utilisés pour comprendre les variations institutionnelles
d’une nation à l’autre] conditionnent les réponses à une série de questions importantes.
Certaines de ces questions concernent les politiques publiques. Quelles politiques
économiques auront pour effet d’améliorer les performances de l’économie ? Comment
réagiront les gouvernements confrontés à divers challenges économiques ? Comment se
définissent les capacités d’un Etat à faire face à de tels challenges ? D’autres interrogations
concernent les firmes. Peut-on observer des différences systématiques dans la structure et la
stratégie des entreprises situées dans des nations différentes ? Si oui, quelle est l’origine de
telles différences ? Comment peut-on expliquer les différences nationales concernant le
rythme ou la nature de l’innovation ? Certaines questions concernent la performance
économique. Peut-on observer des taux d’inflation et de chômage moins élevés, ou de plus
forts taux de croissance, dans certains ensembles institutionnels que dans d’autres ? Quels
sont les coûts comparés, en termes de performance économique, du choix d’une politique
économique plutôt que d’une autre ? Enfin, certaines questions de second rang touchant au
changement institutionnel et à la stabilité acquièrent aujourd’hui une importance
particulière. Peut-on s’attendre à ce que les progrès technologiques et les pressions
compétitives de la globalisation impliquent une convergence institutionnelle ? Quels sont les
facteurs qui conditionnent les voies d’ajustement qu’une économie empreinte pour faire face
à ces challenges ?»
La richesse d’une telle approche est ainsi mise en avant par la fécondité des
raisonnements qu’elle entraîne. Cependant, comme nous le verrons par la suite, nous
adopterons un parti pris macroéconomique qui nous amènera davantage à définir des modes
de régulations et des logiques d’actions traversant de multiples champs économiques. Nous
essayerons donc de définir le modèle économique rhénan par d’autre biais, que celui qui
consiste à accumuler des spécificités sur le système de l’entreprise, le système financier, le
système de formation, etc.
Toutefois, nous ne pouvons pas conclure cette partie, qui pourrait correspondre à
l’épistémologie de notre approche théorique, sans présenter les contraintes propres à notre
propos. En effet, nous sommes dans l’obligation de reconnaître que le simple fait que nous
options pour une approche institutionnaliste aura une influence non négligeable sur les
résultats qui seront les nôtres. Cependant, nous essayerons de limiter cette double
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
herméneutique, c’est à dire cette capacité des sciences sociales à réaliser les objets qu’elle
étudie, en ne tendant pas à l’homogénéisation facile du système productif. Nous relevons
toutefois dès à présent une difficulté de taille ; le modèle allemand étant souvent considéré
comme un système intégré à part entière que l’on opposerait à une autre réalité tout autant
réifiée : le modèle économique anglo-saxon. C’est bien là tout l’enjeu de notre problématique,
qui vise à se demander si les oppositions conceptuelles que l’on fait en opposant ces deux
capitalismes ne sont pas vaines ? Ces interrogations ne constitueraient-elles pas, au final, de
querelles conceptuelles peu fructueuses, qui ne permettraient pas de prendre en compte les
défis que l’on considère comme contemporains ? Mais là encore la délimitation même de ce
que l’on va considérer comme contemporain relève en partie de l’arbitraire puisque le choix,
même argumenté, d’user des enjeux du capitalisme cognitif demeure indéniablement un
postulat théorique. Pourtant, il nous apparaît que travailler sur ce que pourrait être le contexte
économique de demain, est heuristiquement plus intéressant. De la même manière, le
cheminement personnel de la construction du devoir nous a également conduit à privilégier ce
questionnement plutôt que de tenter de prophétiser un éventuel vainqueur à la lutte des
capitalismes.
En effet toute la difficulté de proposer des développements économiques personnels
est de s’imprégner des multiples théories économiques pour réussir à confronter les auteurs et
à proposer quelque chose de nouveau. C’est cet environnement qui nous a, dans un premier
temps, conduit à étudier les différents capitalismes, leurs théorisations et leurs confrontations.
Mais la deuxième difficulté de réaliser des développements économiques, qui ne devrait pas
être oubliée, réside dans la capacité à utiliser ces conceptualisations pour expliquer un
phénomène. C’est pour cette raison que j’ai abandonné le projet de fonder mon mémoire
uniquement sur la confrontation entre le capitalisme anglo-saxon et le capitalisme rhénan, car
la réalité empirique contredit la soi-disant homogénéisation vers laquelle nous amènerait la
globalisation. Il m’apparaissait vain de vouloir uniquement montrer théoriquement ce qui était
évident empiriquement, et n’apporter qu’une contribution dans une polémique inféconde. A
partir de là, confronter le capitalisme allemand à ce qui pourrait être le contexte économique
de demain, s’avérait primordial. Mais, encore une fois, caractériser ce contexte nous conduit
obligatoirement à prendre un parti pris théorique, dans lequel il y a une part de choix
totalement subjectif. C’est d’ailleurs une des premières difficultés de l’appréhension d’un
sujet de ce type pour lequel l’argumentation doit être complète, afin de produire un système
d’explication alternatif à celui d’autres théories économiques. Nous n’ignorons pas que dans
la situation contemporaine qui est la notre, la mutation du rapport salarial est appréhendée de
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
différentes manières et que chacun tente d’y voir la transition vers un nouveau modèle
capitaliste. Nous avons choisi de nous concentrer sur le modèle du capitalisme cognitif, que
nous définirons et que nous confronterons avec l’organisation économique allemande. Ce
modèle est concurrent à celui de l’économie de la connaissance définie par certains
économistes et reprise au niveau européen dans la « Stratégie de Lisbonne ». S’il existe des
passerelles entre ces deux modèles, il nous a semblé que la définition donnée au rôle de
l’éducation, la formation et l’innovation était plus précise dans un cas que dans l’autre. Le
capitalisme cognitif tend en effet à mettre au cœur du système et du rapport salarial l’idée de
compétences qu’il s’agira de définir. L’innovation est également un outil nécessaire à
l’adéquation entre ce capitalisme et des réalités économiques, même s’il nous faudra encore
apporter une définition précise à ce concept d’innovation. A l’opposé, il nous est apparu que
le concept de société de la connaissance relevait d’une argumentation politique censée alerter
les Etats membres sur la nécessité de développer des budgets de recherche conséquents et
d’investir dans l’éducation. Ce concept nous paraissait tout d’abord plus pauvre
théoriquement et, d’autre part, nous préférions nous garder d’utiliser le vocable des acteurs
que nous étudions. Mais nous ne pouvons pas affirmer que l’idée de capitalisme cognitif est le
bon concept pour appréhender la réalité actuelle mouvante et celle de demain. Encore une
fois, ces développements n’ont pas la prétention de présenter un argumentaire universalisable
et valable de tout temps, il consiste davantage, sous certains aspects, à un pari vers l’avenir.
*
L’étude du modèle économique allemand nous amène, d’ores et déjà, à prendre la
mesure du changement survenu dans les économies européennes. Les systèmes institutionnels
bouleversés, c’est la pertinence de l’utilisation du « modèle fordien » pour qualifier nos
économies qui est remise en cause. Le modèle rhénan, qui en était une des transcriptions
concrètes, va-t-il se voir totalement annihilé par la légitimité de plus en plus attribuée au
modèle anglo-saxon ? Faut-il conclure à une fin de l’histoire économique à la manière de la
fin de l’histoire annoncée par Fukuyama ? Certainement pas ! Mais il est cependant pertinent
de s’interroger sur les dynamiques et interrelations entre les différents modèles. Quelle
appréciation doit-on porter sur ce modèle qui fut à la fois vanté et décrié ? Au cours des trois
dernières décennies, les interrogations sur le devenir du modèle allemand furent nombreuses
comme l’indique la variété des articles du Monde tour à tour intitulés « Allemagne, le bon
modèle ? » en 1997, puis «Plaidoyer pour la réforme du capitalisme allemand » en 2002 et
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
« Fin du modèle rhénan » en 2004. Aujourd’hui, c’est bien sous la pression du modèle anglosaxon que l’Allemagne semble évoluer, mais décentrer le regard permet de tempérer toute
idée d’assimilation de l’un par l’autre. En effet en 1997, Erik Izraelewicz écrivait dans les
tribunes du Monde, que « Le fameux modèle rhénan » était, disait-on, en voie
« d'italianisation ». Ainsi il nous apparaît que le processus de mondialisation, sous influence
anglo-saxonne, ne procède pas uniquement de dynamiques d’homogénéisation, aussi bien au
niveau national que territorial. En conséquence, il faut se garder de prendre pour théorie ce
qui relève parfois davantage des souhaits de certains économistes réussissant difficilement à
cacher leurs préférences. Le modèle allemand a pu faire l’objet de critiques acerbes de la part
d’économistes qui investissaient le champ économique avec des postulats clairement
Hayekiens.
La définition du capitalisme organisé à l’allemande ne pouvait que déranger les
économistes de cette veine qui croient aux seules vertus de la régulation par le marché. Il est
d’ailleurs intéressant de se pencher sur la définition et surtout sur les conditions d’émergence
de celle-ci. La formule prononcée en 1959 au Sommet de Bad-Godesberg par le parti SPD en
formation : « La concurrence autant que possible, la planification autant que nécessaire3» peut
légitimement être considérée comme la définition du capitalisme rhénan. Ce congrès de BadGodesberg consacrait le passage du SPD, d’un parti contestataire à un parti de gouvernement.
Il visait également l’abandon de l’idée que l’Etat était tout puissant, en rejetant le modèle
développé en RDA. En définitive, on assiste lors de ce congrès à l’adhésion du SPD au
concept d’économie de marché. C’est cette définition de l’économie de marché, proposée par
d’anciens réfractaires, qui fera par la suite objet de consensus. On peut s’interroger sur
l’hypothèse que c’est peut–être ces réticences du SPD vis-à-vis d’une concurrence toute
puissante, qui conduiront à ce que ce capitalisme allemand soit coordonné de la sorte.
L’idée de régulation et de coordination que sous-tend ce modèle n’a donc pas toujours été
appréciée par une frange d’économistes. Ces derniers ont alors constamment tenté de chercher
les prémices de son échec ou de ses déconvenues. A l’opposé, un auteur tel que Michel
Albert, se désole de l’apparente victoire du capitalisme anglo-saxon sur le capitalisme rhénan.
Nous préférons postuler que l’économie mondialisée ne conduit pas forcément à une
homogénéisation systématique des différents capitalismes. De sorte qu’il nous apparaît
davantage que le jeu d’influences, qui se déroule entre les différents capitalismes, est à
somme nulle. Cette idée, que nous fonderons empiriquement par nos observations sur les
3
“Wettbewerb so weit wie möglich, Planung so weit wie nötig“
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
procédés d’influence entre capitalismes, a été justifiée théoriquement par Bruno Amable,
Ekkehard Ernst et Stefano Palombarini4. Ces derniers ont réussi à montrer, par la
modélisation de variables, que des situations de départ différentes, soumises aux mêmes
influences, ne tendaient pas à une homogénéisation finale : « Nous voulons montrer que
l’ouverture de la modélisation des relations industrielles, ne serait-ce qu’à une seule variable
institutionnelle ‘étrangère’ au strict domaine du marché du travail, permet d’avancer dans
l’explication de la variété persistante entre les différents systèmes, une variété empiriquement
frappante mais largement sous interprétée ». Il est cependant intéressant d’étudier les
résistances et les influences qui ont trait à ces différents modèles économiques.
Nous étudierons donc les vicissitudes de l’évolution du modèle rhénan en gardant à
l’esprit qu’il est peu probable d’en voir un jour l’extinction complète. Notre étude ne
cherchera pas à prédire ou à déceler des éléments mettant en péril l’avenir du modèle
allemand. Elle tentera davantage de présenter les évolutions de ce modèle sous influences.
Mais, à la suite de notre conclusion sur une évolution du modèle allemand qui,
quoiqu’à noter, ne nous permet pas de prédire en sa fin, nous tenterons de trouver vers quelle
évolution la puissance d’Outre-rhin doit tendre. Cette étude tourne donc autour de
l’orientation que devrait prendre l’évolution de ce dernier, dans la mesure où une telle
évolution est nécessaire. Il s’agit donc de se demander, si la question pertinente ne consiste
pas davantage à s’interroger sur la capacité de l’Allemagne à se structurer par rapport au
nouveau contexte économique mondial, plutôt que de questionner son éventuelle faculté à
converger vers le modèle anglo-saxon influant. La controverse centrale consiste bien sûr en la
définition de ce que sera le contexte européen de demain, car c’est à partir de cette
conceptualisation que nous réussirons à interroger le modèle allemand. Ce capitalisme n’est
cependant pas totalement nouveau, puisque à partir de ses prémices on peut avaliser son
existence. Cette théorisation d’une phase nouvelle de capitalisme caractérisée par
l’accumulation des connaissances, apparaît particulièrement pertinente sous la plume de ses
auteurs :
4
Bruno Amable, Ekkehard Ernst et Stefano Palombarini, Comment les marchés financiers peuvent-ils affecter
les relations industrielles ? Une approche par la complémentarité institutionnelle, l’année de la régulation n°6
2002-2003, p 271 à 287
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
« Le propos de cet article est de suggérer que le nouveau mode de régulation doit être
caractérisé en terme de capitalisme cognitif. Nous allons plaider en faveur de l’idée que la
dynamique de transformation à laquelle sont soumises les sociétés salariales se caractérise par
le fait que l’accumulation porte désormais principalement sur la connaissance. Et que, dès
lors, l’une des tensions essentielles procède de la volonté de contrôle des lieux et des
capacités créatrices par le capital. Nous allons plus loin que les propositions habituellement
formulées sur le post-fordisme car nous développons l’hypothèse d’une nouvelle phase du
capitalisme correspondant à l’épuisement du capitalisme industriel et à la transition vers un
capitalisme cognitif. La bifurcation historique à l’origine de cette mutation majeure dans la
dynamique longue du capitalisme nous invite par conséquent à réinterroger le sens et les
enjeux de ce qui a probablement constitué la dernière « grande crise » du capitalisme
industriel. »
Empiriquement, le principe d’accumulation des compétences se réalise par
l’importance actuellement accordée à l’innovation, la recherche, l’éducation, les systèmes de
communications et le management stratégique des organisations. Du côté de la demande, le
consommateur est également un individu innovant. Le marketing l’a d’ailleurs bien compris
car, parmi les produits qu’il tend à développer, de plus en plus jouent sur la motivation
« d’expression de soi ». La consommation est d’autre part tendanciellement orientée vers les
produits techniques et technologiques. A un niveau macroéconomique, une société acquise au
capitalisme cognitif est celle qui « gère les connaissances techniques, assure le
développement du processus d’apprentissage, crée des connaissances techniques, et se
ménage l’accès à des connaissances disponibles à l’extérieur ».
A partir de la définition du capitalisme rhénan proposée dans un premier temps, il
s’agira donc ici de mettre en présence les caractéristiques du capitalisme d’Outre-rhin et celles
du capitalisme cognitif. Plus précisément il s’agira de comprendre si les conditions
d’émergence du capitalisme cognitif sont présentes en Allemagne et s’il sera possible pour
cette puissance germanique de maintenir son rang dans un tel contexte. Les récents résultats
économiques de l’Allemagne montrent que sa compétitivité n’a pas été ébréchée, mais faut-il
penser tel René Lassere « qu’avec l’instauration rampante des salaires minima légaux dans les
services intérieurs de proximité s’esquisse une autre logique qui porte en germe une
dichotomie du système de régulation sociale avec le danger d’une économie à deux vitesses.
[...] Les réformes ont certes restauré la confiance mais le consensus allemand n’est pas tout à
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
fait ce qu’il était »5 ? Si l’Allemagne réussissait à s’encrer dans le capitalisme cognitif, ne
réussirait-elle pas à éviter que se crée cette frange démunie de la population ? Faut-il penser
que les crises sociales actuelles et que les exigences des syndicats ne sont que les marques de
la mutation entre deux phases de capitalisme ? Peut-on véritablement espérer que les formes
actuelles de travail néo-tayloriste n’auront bientôt plus cours ? C’est un véritable enjeu pour la
compétitivité allemande, et au delà pour la population de ce pays voisin.
5
René Lasserre, La confiance sans le consensus ? , 29 février 2008, Editorial de la Revue sur l’Economie
Allemande, Bulletin économique du CIRAC, n° 85, mars 2008
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
PARTIE I - LE MODELE D’OUTRE-RHIN FACE A CELUI
D’OUTRE-ATLANTIQUE
« Ce sont les impératifs de la technologie et de l’organisation qui déterminent la forme de la
société économique, non les images de l’idéologie »
John Kenneth Galbraith
« Le capitalisme allemand adopte dans la douleur le modèle anglo-saxon »6, « Un
coup de pouce fiscal accélère la mutation du capitalisme allemand »7, « Les marchés boudent
ce modèle du capitalisme rhénan »8 ; les titres des colonnes du Monde sont sans appel :
l’Allemagne devrait bientôt posséder un modèle économique semblable aux anglo-saxons et
abandonnerait alors son capitalisme rhénan. L’idée selon laquelle « le miracle économique
allemand », issu de son système économique, pourrait aujourd’hui se poursuivre, relève-elle
du mirage ?
Sur les traces d’économistes prestigieux, nous proposerons modestement une
définition du modèle rhénan (Chapitre 1), puis nous étudierons sa persistance bien réelle,
même sous le règne du modèle anglo-saxon (Chapitre 2).
6
Philippe Ricard, le capitalisme allemand adopte dans la douleur le modèle anglo-saxon, le Monde du 21
Janvier 2001, édition numérique
7
Philippe Ricard, Un coup de pouce fiscal accélère la révolution du capitalisme allemand, le Monde du 3
Janvier 2002, édition numérique
8
Philippe Ricard, Les marchés boudent ce modèle du capitalisme rhénan, le Monde de 9 Septembre 2001,
édition numérique
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
CHAPITRE 1 - DE LA DEFINITION DU MODELE RHENAN
S’interroger sur la pertinence du modèle rhénan, c’est tout d’abord tenter d’en apporter
une définition. Ce travail de définition a déjà été entrepris par certains auteurs qui se sont
penchés sur le modèle. Ainsi, le modèle rhénan est souvent appréhendé comme un ensemble
de caractéristiques singulières du système économique qui se manifeste dans le secteur
bancaire, de l’entreprise, des relations sociales, etc. En bref il s’agit d’un système intégré
totalement atypique dont la conceptualisation demeure épineuse. Il est vrai que le capitalisme
allemand propose une vision et un système totalement divergent face au capitalisme anglosaxon. Offrant une organisation économique complètement rénovée, chacun des auteurs,
tentant d’en proposer un système d’explication, a insisté sur des aspects qu’il considérait
comme fondamentaux. Sans prétendre à l’exhaustivité, cet aperçu des conceptualisations
théoriques du système allemand nous permettra d’acquérir une vision étendue de ce qui fait
les caractéristiques principales de ce système.
Nous ne manquerons pas, par la suite, de proposer nos propres hypothèses sur le
système allemand, en nous détachant des domaines circonstanciés de l’économie (secteur
bancaire, de l’entreprise, des relations interentreprises, des relations de formations etc.) pour
mieux s’attacher aux modes de fonctionnement propres au système, qui embrasseraient ces
différents domaines. Rechercher les modes de coordination permet, de ce fait, d’évaluer avec
plus d’acuité les transformations du système, en distinguant les modifications marginales des
modifications majeures. En effet, il nous apparaît que présenter l’économie allemande par ses
modèles de gouvernement revêt tout d’abord l’avantage de ne pas multiplier les analyses
partielles des différents domaines économiques. Notre analyse sera ainsi en grande partie
centrée sur la question des indépendances et sur la forme singulière qu’elles prennent dans
l’organisation productive allemande. C’est ce système d’interaction qui, à nos yeux,
caractérise le mode de gouvernement allemand. Car, d’une manière très schématique, ce qui
nous paraît essentiel est, que l’organisation allemande est fondée sur la promotion des réseaux
favorisant la coopération, elle-même à l’origine d’actifs spécifiques, alors que le système
anglo-saxon favorise les déplacements de ressources encourageant les actifs interchangeables.
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
Section 1 - Le modèle allemand en quête de conceptualisation
L’appellation de modèle rhénan a été proposée par Albert Michel dans l’ouvrage
intitulé « Capitalisme contre Capitalisme » publié en 1988 aux Editions du Seuil. Dans cet
ouvrage, l’auteur constate qu’une « guerre » entre capitalisme rhénan et capitalisme anglosaxon est en train de se jouer, au profit du capitalisme anglo-saxon. Si l’auteur marque une
préférence marquée pour le capitalisme rhénan, son ouvrage comporte, à nos yeux, la faille de
croire au triomphe d’un capitalisme sur un autre. Ce parti pris de l’auteur nous a conduit à
privilégier d’autres approches du capitalisme rhénan, sans essayer d’être exhaustif, devant
l’éventail des ouvrages.
Dans « Les modèles productifs »9, Robert Boyer et Michel Freyssenet se sont
intéressés aux modes de croissance déclinés au niveau des stratégies de profit et des modèles
productifs. Les modes de croissance sont caractérisés par les auteurs, « comme une source
principale du revenu national et par une forme de redistribution de ce même revenu. » Ce
modèle de croissance détermine en grande partie la stratégie de produit adoptée par telle ou
telle entreprise. Les modèles productifs correspondent à la mise en œuvre, sous influences,
des stratégies de profit, par le biais de moyens spécifiques. En bref, il s’agit pour les auteurs
de montrer que le niveau macroéconomique d’organisation du système économique (le mode
de croissance) conditionne directement, en grande partie, les niveaux microéconomiques
d’organisations des entreprises (les stratégies de produits et les modèles productifs). En effet
Robert Boyer et Michel Freyssenet, proposent ici de confronter les équipements, la main
d’œuvre, les priorités des sociétés avec les stratégies mises en place par chaque entreprise.
Ainsi, selon les auteurs, « la diversité des moyens pour répondre aux exigences d’une même
stratégie peut avoir de multiples origines, notamment les modes de croissance. Ils agissent en
effet non seulement comme instances permissives des stratégies de profit, mais aussi comme
centre de ressources pour leur mise en œuvre. Ils suggèrent en effet des moyens, voire
poussent à leur adoption, à travers lois, règles, institutions et pratiques qu’ils ont générées.
Mais il est des situations où les acteurs de l’entreprise peuvent s’en abstraire ». C’est à travers
cette étude de l’articulation entre les niveaux macroéconomiques et microéconomiques dans
l’industrie automobile, que les auteurs vont pouvoir proposer une stratégie de profit proche du
système rhénan.
9
Robert Boyer et Michel Freyssenet, Les Modèles productifs, Paris, Repères, la Découverte, 2000, p 26-35
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Il nous est apparu que le modèle allemand pouvait s’apparenter à la stratégie dite
« qualité », avec quelques bémols que nous apporterons par la suite. Les auteurs définissent
cette stratégie comme celle « de tous les constructeurs de haut de gamme et de luxe,
également appelés constructeurs « spécialistes » [...] La qualité concerne la fiabilité, la
finition, les matériaux employés, le nombre et le type d’équipement, le style, la perfection ou
la nouveauté mécanique, le service après-vente et les signes symboliques de distinction
sociale ». Plusieurs caractéristiques de cette stratégie, se retrouvant en Allemagne, tendent à
assimiler la stratégie de produit de cette dernière à celle dite « de qualité ». Tout d’abord
l’innovation de ce type de stratégie, définie comme « une innovation de perfectionnement
mécanique, d’équipement de confort et de sécurité, et non une innovation conceptuelle
répondant à de nouveaux usages du produit », reprend les caractéristiques d’une innovation
incrémentale qui, nous le verrons par la suite, est essentielle en Allemagne. Ensuite le
descriptif de la main-d’œuvre d’une telle stratégie s’apparente au personnel formé allemand :
« la relation salariale doit permettre de recruter la main-d’œuvre qualifiée nécessaire et
favoriser chez elle un sentiment d’appartenance à la firme tel qu’elle se sente garante de sa
renommée, à travers notamment la promotion et la reconnaissance du travail fait.[...] La
réputation d’une marque de haut de gamme est souvent liée à celle de son pays ou région
d’implantation, connu pour le sérieux et le professionnalisme de son personnel. La stratégie
qualité requiert également de disposer d’une main d’œuvre pour une bonne part qualifiée et
réputée pour l’être ». Il en va de même pour les relations interentreprises qui sont réputées
très fructueuses en Allemagne et qui, dans cette stratégie, supposent que « les fournisseurs
doivent être connus pour l’excellence de leur production et la relation avec eux fondée sur la
confiance ». Enfin, la croissance allemande tirée par l’exportation coïncide également avec les
fondamentaux de la stratégie qualité qui rendent cette dernière « d’emblée internationale ».
Si ce type de stratégie qualité reprend de nombreuses spécificités du modèle allemand,
il n’en propose pas de système d’explication global pour la simple raison qu’il vise
essentiellement à étudier la production automobile. Les auteurs n’ont pas eu l’intention de
caractériser le modèle allemand, mais les stratégies employées par certaines firmes en
spécifiant uniquement des modes d’organisation de la production. Cependant il nous paraît
central de mettre en relief ce lien fondamental entre les institutions et les modes de croissance
historiques avec la réalité des stratégies mises en œuvre par les entreprises d’un pays. Comme
nous l’annoncions dans l’introduction, cette importance des institutions dans l’organisation
des processus productifs nous permettra, dans une seconde partie, de montrer que des modes
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de gouvernement historiquement construits et enchâssés dans des institutions sont au
fondement de l’organisation économique allemande.
Les contributions théoriques que nous allons présenter par la suite ont été pensées pour
le modèle allemand, elles permettent ainsi une bonne appréhension de l’ensemble du
« système productif »10 allemand.
Dans leur article « Les Variétés du capitalisme »11, Peter A. Hall et David Soskice
s’inscrivent également dans une démarche institutionnelle et comparatiste puisque « l’objectif
de ce texte est d’élaborer un nouveau cadre d’analyse permettant de comprendre les
similarités et les différences entre les économies développées ». Cependant si cet ouvrage
donne un aperçu plus complet du système allemand, c’est encore à travers l’analyse de
domaines précis des processus productifs que sont : le financement des entreprises, les
structures internes des entreprises et de relation industrielle, la formation et l’éducation et les
relations interentreprises. Les auteurs tentent en effet de centrer leur analyse sur « quelquesunes des institutions que d’autres ont identifiées comme importantes, mais leur étude
interprète différemment leur impact, et s’efforce également d’attirer l’attention sur d’autres
institutions dont l’importance n’a pas encore été suffisamment soulignée dans les études
existantes du capitalisme comparé ». En premier lieu le système financier allemand offre aux
entreprises des financements conséquents sur d’autres fondements que les seuls résultats
financiers. Ce système se caractérise par une grande importance attribuée aux contrôles des
réputations et des réseaux qui, fournissant des informations de type privé, participent
également à la décision. C’est notamment grâce aux relations en réseaux que les entreprises
entretiennent avec leurs fournisseurs, l’actionnariat à participation croisée ou encore avec les
associations industrielles actives, que ces mêmes entreprises vérifient la viabilité de ces
informations. De la même manière, l’étude de la structure interne de l’entreprise fait
apparaître l’importance des réseaux. En effet le parti pris d’orienter toutes les décisions vers
un processus de coordination tend à promouvoir le partage de l’information. Concrètement le
chef d’entreprise ne prend pas de décisions seul puisque la nature même de son statut –
absence de stock options et stabilité de l’emploi des salariés – l’incite à rechercher
systématiquement le consensus. En ce qui concerne la stratégie de production, A. Peter A.
10
Mutation du ‘modèle allemand’ et avenir du modèle européen, Regards sur l’économie allemande, n°67, juillet
2004
11
Peter A. Hall et David Soskice, Les Variétés du Capitalisme, l’Année de la Régulation, n°6 2002-2003,
Presses de Sciences-Po, 2003, p 47-115
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Hall et David Soskice affirment, à l’instar de Robert Boyet et Michel Freyssenet, qu’elle « fait
appel à une main-d’œuvre hautement qualifiée bénéficiant d’une large autonomie dans son
travail, encouragée à partager l’information acquise afin de générer des améliorations
continues dans les lignes de produits et les procédés de production. ». Mais encore une fois ce
système ne fonctionne que grâce à la médiation d’institutions, telles que les syndicats
patronaux, les syndicats salariés et les comités d’entreprises, qui évitent le braconnage et
l’exploitation des employés. A ceci il faut ajouter que le système productif allemand est
grandement dépendant du système d’éducation et de formation professionnelle, puisque les
entreprises ont recours à une main-d’œuvre possédant des qualifications spécifiques. Le
système de formation, géré par les syndicats salariés et patronaux et financé par l’Etat, assure
aux salariés, qu’ils n’investiront pas dans une formation inutile, et aux entreprises, que les
salariés ne seront pas l’objet de braconnages. La puissance des organisations patronales
garantit que toute entreprise s’investira dans le système de formation, excluant les passagers
clandestins profitant des efforts de formations des autres. Enfin les relations interentreprises
sont primordiales puisque le système allemand est caractérisé par une faible mobilité des
salariés empêchant l’échange des savoirs. Ces relations interentreprises et, entre les
entreprises et les organisations de recherches parapubliques, sont encouragées par les
organisations patronales, sous le contrôle de l’Etat, qui déterminent les domaines où les
compétences devraient être améliorées.
Les auteurs proposent ici un système d’explication complet du système productif
allemand qui, par sa précision et sa justesse, consistera en un des piliers de notre propre
analyse. Cependant il apparaît que centrer l’analyse uniquement sur l’entreprise fait perdre de
vue aux auteurs, que des processus d’organisation communs transcendent les entreprises et
même les différentes institutions environnant l’entreprise pour régir l’ensemble des relations
sociales et économiques : entre salariés et organisations syndicales, entre entreprises et
gouvernement, entre échelon fédéré et échelon fédéral, etc. En effet, une présentation centrée
sur l’entreprise et qui voudrait mettre en relief le fonctionnement en réseau ne nous paraît pas
adaptée, puisque le réseau lui même se conçoit dans une absence de polarisation. Même si la
sociologie politique des réseaux a pu montrer qu’il existait au sein de chaque réseau des
acteurs majeurs, nous voudrions tout de même insister sur la plurifonctionnalité et la
circulation propres aux réseaux. C’est pourquoi il nous apparaît complémentaire, dans une
logique générale d’économie politique, de s’attacher à repérer des modes de gouvernement
communs aux différentes sphères du modèle rhénan. Nous perdons peut-être en précision en
se concentrant sur les modes de gouvernement, mais cette position nous paraît plus propice à
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la comparaison que nous souhaitons réaliser avec le capitalisme anglo-saxon. En effet lorsque
ces mêmes auteurs proposent une définition introductive du modèle allemand par opposition
au modèle anglo-saxon – qu’ils nomment respectivement «économie de marché
coordonnées » et « économie de marché libérales » – ils mettent en avant des caractéristiques
proches de celles que nous proposerons pour définir le mode de gouvernement allemand :
« Dans les économies de marché coordonnées, les entreprises comptent, dans une plus grande
mesure, sur des relations hors marché pour coordonner leurs efforts avec d’autres acteurs, et
pour construire leurs compétences principales. Ces modes de coordination hors marché
impliquent généralement un appel plus large aux réputations et à la contractualisation
partielle, une attention plus grande aux réseaux basée sur l’échange d’informations privées à
l’intérieur de ces réseaux, et une dépendance accrue envers des relations de coopération, par
opposition aux relations de concurrence, en vue de construire les compétences de
l’entreprise ».
Cette idée de corrélation entre la présence de réseaux et l’approfondissement de la
coopération figure également dans le concept de « complémentarité institutionnelle »
développé par Bruno Amable, Ekkehard Ernst et Stefano Palombarini12. Selon ces derniers
« on peut dire que la complémentarité institutionnelle est présente lorsque l’existence d’une
institution ou la forme particulière qu’elle prend dans un domaine donné renforce la présence,
le fonctionnement où l’efficacité d’une autre institution, même dans une autre domaine[...] Si
l’on adopte cette dernière définition, on dira que A est complémentaire à B si l’institution A
conditionne les stratégies des acteurs sociaux dans une direction qui renforce l’existence de
l’institution B et vice et versa ». Après avoir modélisé les comportements des salariés et des
organisations patronales à l’aide de la théorie des jeux, les auteurs en viennent à qualifier le
modèle rhénan de néo-corporatisme simple défini de la manière suivante : « le néocorporatisme de type 1, émerge lorsque la force du syndicat est modérée, c’est-à-dire pour des
valeurs relativement faibles de la part salariale de référence. L’adoption d’une stratégie de
long terme implique que la performance économique est bonne, c’est à dire que la probabilité
de survie de la firme est forte ». Dans ce modèle les deux acteurs adoptent des stratégies de
long terme en raison de la faible influence des marchés financiers et surtout de leur stratégie
12
Bruno Amable, Ekkehard Ernst et Stefano Palombarini ? , Comment les marchés financiers peuvent-ils
affecter les relations industrielles ? Une approche par la complémentarité institutionnelle, l’année de la
régulation n°6 2002-2003, p 271 à 287
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de coopération. Ainsi dans ce modèle la mise en réseau de ces acteurs – possible par la nature
et la configuration même de ceux-ci - les oriente à agir en faveur de la coopération.
Ce modèle, qui se limite à un aspect du modèle rhénan, s’explique par l’objectif
qu’attribuent les auteurs à leur contribution théorique : « Le but de cet article n’est pas de
fournir une grille d’analyse des systèmes de relations industrielles, ce qui demanderait de
prendre en compte les différences qui existent au niveau de l’organisation sociale d’ensemble.
Nous voulons montrer que l’ouverture de la modélisation des relations industrielles, ne seraitce qu’à une seule variable institutionnelle « étrangère » au strict domaine du marché du
travail, permet d’avancer dans l’explication de la variété persistante entre les différents
systèmes, une variété empiriquement frappante mais largement sous interprétée ». Cette
contribution consiste donc en la traduction théorique modélisée, des réflexions
essentiellement empiriques que nous mènerons lors de la comparaison des capitalismes anglosaxons et allemands. Dès à présent, il permet de concevoir le modèle rhénan comme un
ensemble d’institutions dont les actions font système. De plus cet article permet de rendre
compte des dynamiques à l’œuvre dans chaque modèle, et de limiter la réification des
modèles. Nous tenterons également de montrer par la suite, dans une approche plus globale et
plus empirique, que les relations des partenaires organisés en réseau tendent à favoriser leur
comportement coopératif.
D’autres approches13, insistant sur le mode de financement de l’entreprise,
caractérisent l’Allemagne par son modèle dit d’économie de cœur financier, dans lequel les
circuits financiers sont organisés par les acteurs bancaires et financiers et non directement par
les marchés financiers. C. Mayer14 estime plus pertinent de s’intéresser à la concentration plus
ou moins importante du capital, selon ses blocs de détenteurs. Dans cette configuration,
l’Allemagne possède souvent un seul bloc de détenteurs qui contrôle fréquemment 50% du
capital et des droits de vote. Toutes ces analyses permettent encore davantage de maîtriser les
détails de l’organisation de l’économie allemande. Mais comme nous l’avons expliqué, nous
n’essayerons pas de proposer une nouvelle dénomination au système allemand en se
concentrant sur un de ses aspects, puisque nous chercherons à adopter systématiquement une
logique d’observation transversale.
13
François Morin, Le modèle français de détention et de gestion du capital, les éd. de Bercy, 1998
C. Mayer et J. Franks, Ownership and Control of Germans Corporations, Review of financial Studies, vol. 14,
2001
14
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Section 2 - Les facteurs de la compétitivité allemande
Nous avons identifié trois modes de gouvernement propre au modèle rhénan. Ces trois
aspects seront traités successivement, l’ensemble tentant de proposer une vision différente du
capitalisme d’Outre-rhin. La distinction entre trois caractéristiques du fonctionnement social
et économique allemand - à savoir les réseaux, le principe de subsidiarité et la coopération peut procéder d’un découpage un peu artificiel d’une réalité qui entremêle ces trois concepts.
Ainsi, par exemple le concept de fédéralisme coopératif associe au principe de subsidiarité
l’idée de coopération. Mais il nous ait apparu que ces trois concepts opéraient de logiques
différentes, tout en participant de concert à la compétitivité allemande.
A. Les réseaux en Allemagne
A propos de l’étendue des réseaux en Allemagne, Isabelle Bourgeois n’hésite pas à
écrire15 : « Cette logique est profondément ancrée dans la culture économique allemande ».
Ces réseaux se situent en effet à plusieurs niveaux de la vie économique allemande et
produisent des externalités positives à de nombreuses étapes du processus productif. Ainsi les
réseaux sont à la fois présents dans les relations qui lient les différentes industries entre elles
mais également au niveau des liens qui unissent les entreprises avec leurs banques et même
dans la structure administrative des territoires. »
A.1. Les partenariats interentreprises
Les entreprises allemandes entretiennent avec l’environnement économique une
relation particulière fondée sur la recherche permanente de l’innovation. L’atout du réseau
dans l’économie contemporaine est intrinsèquement lié aux caractéristiques propres du réseau
qui ne conçoit pas d’existence indépendamment de son efficacité. Il consiste ainsi en une
structure organisationnelle très souple, capable de s’adapter aux évolutions rapides des
processus économiques innovants. Le réseau peut ainsi être défini comme la forme
organisationnelle moderne de l’innovation.
15
Sous la direction d’Isabelle Bourgeois, Allemagne, compétitivité et dynamiques territoriales, Travaux et
documents du CIRAC, 2007, p 1-28
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Pourtant les effets d’agglomérations furent longtemps appréhendés comme une
contrainte. Marshall fut le premier auteur à se pencher réellement sur les conséquences de la
proximité d’acteurs. Précurseur de la nouvelle géographie économique, il apporte un premier
outil intellectuel en développant la notion de districts industriels : « un regroupement
d’entreprises et un marché du travail spécialisé et localisé dans une aire géographique »16.
C’est à partir de son analyse de l’intégration fructueuse d’entreprises indépendantes et d’un
marché du travail adapté, que Marshall va conclure en l’efficacité économique de tels
regroupements. Il convient de relever, dès cette première définition, que le réseau ne se
matérialise pas par la seule concentration d’entreprises. Pour qu’un pôle de compétence se
créé, il faut que cette agrégation de talents se métamorphose, en véritable combinaison de
talents par la mise en réseau des différents acteurs. C’est cette idée qui se cache derrière la
notion « d’intégration des acteurs ».
Ces premières observations ont été traduites, dans la formalisation théorique, par les
gains d’externalités positives. Ces dernières peuvent être définies sommairement comme
existant, lorsque l’action d’un agent a des répercutions positives sur la satisfaction d’un autre
agent sans qu’il y ait transaction sur un marché. Marshall développe l’idée que, la proximité
interentreprises, conduit à la formation d’externalités de communication et de connaissance
liées à l’augmentation d’entreprises intermédiaires, la création de ressources mutualisées, la
mise en place d’un bassin d’emploi adapté, et surtout la mutualisation et l’échange des savoirs
et savoir-faire. Enfin, l’auteur des Principes d’Economie Politique ajoute un dernier élément à
ces externalités positives dans l’idée « d’atmosphère industrielle » définie comme le partage
de valeurs symboliques fortes. Encore une fois, nous retrouvons ce qui fait un de nos postulats
méthodologiques, à savoir, que les dynamiques sociales et économiques historiquement
construites influencent le développement même de l’économie. Cette idée fait le lien avec la
théorie institutionnaliste, puisqu’à travers la notion d’atmosphère industrielle, c’est le poids
des relations inter-sociétales qui est mis en avant.
Cette proximité cognitive sera très étudiée par un des successeurs de Marshall,
Giacomi Becattini, qui va se pencher sur les districts du nord de l’Italie. En observant le rôle
des affinités politiques, cet auteur italien va développer le concept de système de valeur, pour
16
« Généralement l'agrégation d'un grand nombre de petits ateliers, comme la création de quelques grandes
usines, permet d'atteindre les avantages de production à grande échelle [...]. Il est possible de couper le processus
de production en plusieurs segments, chacun pouvant être réalisé avec le maximum d'économies dans un petit
établissement formant ainsi un district composé d'un nombre important de petits établissements semblables
spécialisés pour réaliser une étape particulière du processus de production » (Source : DATAR ).
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lequel la diffusion lui semblera, encore une fois, assurée par des institutions. Finalement, le
district Marshallien et Becattinien associe une proximité géographique à une proximité
organisationnelle.
Cet aperçu théorique nous a permis de fonder théoriquement la dynamique de
l’efficacité des réseaux. En bref ces derniers parviennent, par la mise en relation et le
développement de relations de confiance entre acteurs divers et complémentaires, à
promouvoir l’échange et le transfert de connaissance, à l’origine de la compétitivité du
territoire. Il paraît donc évident que l’existence de réseau constituera un atout indéniable dans
la course à l’innovation, caractéristique du capitalisme cognitif. En effet l’approfondissement
de la logique de réseau est une condition nécessaire à l’innovation et à l’amélioration de la
compétitivité. Cependant cet aspect sera étudié dans la deuxième partie, nous nous en
tiendrons, dans cette partie, à caractériser l’organisation de l’Allemagne en réseau.
Les entreprises allemandes ont bien compris l’efficacité économique du réseau et
œuvrent depuis longtemps de cette manière. Il faut comprendre que le fonctionnement de
réseau est intrinsèquement lié à l’idée de subsidiarité, elle-même caractéristique du système
allemand. Historiquement la culture allemande voit d’un mauvais œil l’intrusion systématique
de l’Etat dans les affaires locales, expliquant le succès du principe de subsidiarité qui suppose
que « le pouvoir décisionnel doit toujours être placé au plus près des acteurs concernés »17. Ce
principe véhicule donc la nécessité de partenariats à toutes échelles de la vie institutionnelle
allemande, y compris dans la sphère économique.
Cette culture des réseaux est propre à encourager d’importants transferts de
connaissances entre les entreprises, la recherche fondamentale et appliquée, et les acteurs
institutionnels. La région de Bade-Wurtemberg est ainsi symptomatique puisqu’elle possède
des métropoles d’innovation nombreuses. Un autre facteur concourant à la formation des
réseaux en Allemagne fut indéniablement l’existence d’un polycentrisme allemand. C’est
encore l’histoire de la nation allemande qui a été à l’origine de l’aménagement territorial
autour de plusieurs centres. Ce polycentrisme territorial a en effet incité les différents
territoires à entrer en concurrence les uns avec les autres et a ainsi valorisé des actifs
spécifiques. La Ruhr qui fut autrefois un pôle dans l’énergie du charbon et de l’acier, a utilisé
17
Travaux et documents du CIRAC sous la direction d’Isabelle Bourgeois, Allemagne, compétitivité et
dynamiques territoriales, 2007, p 1-28
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
les infrastructures existantes pour développer la logistique. La valorisation de ressources ou la
spécification d’actifs se réalise à partir d’un patrimoine lié à l’histoire et aux formes
institutionnelles de cette région. Pourtant il faut différencier les actifs génériques des actifs
spécifiques qui seuls permettent d’obtenir une véritable différenciation de long terme. Le
passage entre ces deux types d’actifs se réalise par le volontarisme des acteurs, or cette idée
est très présente en Allemagne : « Tout l’art consiste pour chaque Land à concevoir son
propre projet de développement territorial et à mêler intelligemment, lors de sa mise en
œuvre, fonds extérieurs et ressources propres. Il en va de son identité comme de son
positionnement dans la concurrence entre les Länder qui se trouve avivée aujourd’hui,
notamment du fait de la globalisation, par une mobilité croissante des facteurs, dont ces
ressources humaines à l’importance stratégique dans l’économie du savoir. »18
La constitution de réseau possède également l’atout d’assimiler, dans une certaine
mesure, des relations purement professionnelles à des relations de confiance. Cet avantage
sera fondamental dans les réseaux qui se constituent entre les industries mais il l’est
également au niveau des relations qu’entretiennent les entreprises avec les fournisseurs. Pour
développer une stratégie de produit fondée sur la qualité, à même de procurer une
différenciation positive, Robert Boyer indique que « les fournisseurs doivent être connus pour
l’excellence de leur production et la relation avec eux doit être fondée sur la confiance entre
professionnels »19.
Ce système de partenariats en réseau constitue une des explications majeures de la
compétitivité allemande. En effet les entreprises, encouragées par le droit allemand à des
formes de relations contractuelles, ont privilégié des stratégies de différenciation des produits
à des stratégies de concurrence frontale avec les entreprises de la même industrie. La logique
fédérale elle-même a aidé au développement de ce type de collaboration. En effet les
structures patronales, ayant une forte autorité sur les entreprises de leur secteur, ont entrepris,
avec le concours de l’Etat, d’encourager la diffusion des technologies nouvelles et de
déterminer les secteurs où les compétences pouvaient être approfondies.
Une remarque terminale consisterait à s’arrêter sur les évolutions les plus récentes.
Comme le fait remarquer Yvan Renou, l’impératif d’innovation à tous stades de la production
18
19
ibid
Robert Boyer et Michel Freyssenet, Les Modèles Productifs, Paris, Repères, la Découverte, 2000, p 26-35
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et dans toutes entreprises a conduit à remettre en question la rigidité de l’organisation
traditionnelle de l’entreprise. Ainsi on a vu apparaître dans des secteurs tels que l’automobile,
l’aéronautique et la chimie, des formes organisationnelles plus souples. Au sein de la firme
elle-même, l’organisation en réseau commence à faire recette comme l’indique le
développement de plateaux de conceptions caractéristiques d’une organisation transversale de
l’activité.
Il semble ainsi que les principes fondateurs de la République allemande, marqués par
une histoire longue, convergent pour favoriser la constitution de réseau. Les principes de
subsidiarité, de polymorphisme régional, de fédéralisme et de contractualisation sont ainsi les
vecteurs de la compétitivité allemande.
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
Histoire longue et
accumulation de
traditions
Fédéralisme et
Principe de
subsidiarité
Polycentrisme
Proximité
entre
acteurs
Constitution d’un
réseau
Développement de
relations de
confiance
Echanges de savoirs
divers et transferts de
technologies
Innovation et
Compétitivité
Figure 1 - L'organisation allemande en réseau à l'origine de sa compétitivité
A.2. Le réseau dans la structure financière
Les banques allemandes entretiennent des relations privilégiées et durables avec les
entreprises puisqu’elles sont marquées par une coopération réciproque. Cette idée se retrouve
dans le qualificatif que l’on attribue souvent à l’Allemagne, « Deutschland AG ». Ces
relations conduisent souvent les banques, à détenir une part importante des entreprises
qu’elles financent, comme c’est le cas de la Deutsche Bank, premier actionnaire de la Daimler
Benz, qui détient le quart de Philipp Holzmann, premier groupe de bâtiments et travaux
publics, et de Karstadt, le leader de la grande distribution.
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De ce fait, une modélisation du comportement des banques allemandes tendrait
davantage à les inclure dans les stakeholder que les shareholder. On peut assimiler leur
conduite à celle des investisseurs qui placent leurs actions en fonds propres, puisque ces
derniers se doivent alors d’arbitrer en permanence entre des objectifs à court-terme de
valorisation boursière et ceux de long terme du contrôle voire de verrouillage du capital ou
d’alliance. Les banques sont ainsi très présentes dans la gestion de l’entreprise (elles assistent
au CA et votent les décisions), elles sont donc conscientes qu’exiger des taux de prêts ou des
dividendes trop élevés gênerait le développement de l’entreprise. Il faut également préciser
que les banques assurent majoritairement le financement des entreprises, ce qui explique que
la part des capitaux résidents en Allemagne est très dominante, au contraire de la France.
Les entreprises profitent pleinement de ce système puisqu’elles ne sont pas étouffées
par des dettes financières et peuvent se concentrer sur des investissements de long terme.
L’impératif de rentabilité à court terme, qui s’est développé dans le modèle anglo-saxon,
conduit les firmes à réduire dans le budget des dépenses moins urgentes telles que la
recherche, la formation ou la prospection à long terme. Même s’il faut nuancer ce constat, car
les entreprises ne sont pas soumises de la même manière aux investisseurs institutionnels, il
n’en demeure pas moins que, dans un capitalisme cognitif, investir dans le long terme est
fondamental pour assurer l’avenir de l’entreprise. Un atout de taille supplémentaire du
financement allemand est bien la stabilité des actionnaires qui assure une sécurité pour
l’entreprise et lui permet d’envisager avec sérénité l’avenir. Quand on connaît les
conséquences de la vision à long terme des manageurs sur la stratégie mise en place, on ne
peut consciemment pas négliger cet aspect du système. En France, où la majorité des capitaux
sont non résidents, un renversement de conjoncture provoque le départ des actionnaires. Ces
derniers conservent en effet, dans les marchés étrangers, des comportements marqués par la
demande d’une « prime de risque » et par la volatilité exacerbée de leur comportement.
Dans le système allemand, le financement est ainsi moins alloué sur les simples
chiffres du bilan mais davantage sur des sources d’informations informelles. Les relations
personnelles fondées sur la confiance sont au cœur du financement allemand. Ainsi, si
l’Allemagne possède toutes les caractéristiques d’une économie ouverte aux échanges
commerciaux, elle n’en demeure pas moins protégée des investissements directs extérieurs.
Ce système a cependant pu soulever certaines difficultés mises en avant lors des scandales de
la Bankgeselleschaft Berlin ou de Holzmann, sauvés in extremis par le chancelier Schröder en
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décembre 1999. Mais il n’en reste pas moins que ce type d’allocation du financement des
entreprises leur permet de se concentrer davantage sur leurs projets d’avenir que sur leurs
résultats boursiers.
Ce système peut conduire à un patriotisme économique, qui amène les entreprises
allemandes à privilégier les investisseurs allemands aux investisseurs étrangers, lors d’OPA.
C’est par exemple le cas de l’entreprise hambourgeoise Nivea qui, après de nombreuses
tergiversations, fut arrachée aux mains de l’investisseur américain Procter et Gamble par un
consortium hambourgeois Tchibo. La ville de Hambourg s’était ainsi entièrement mobilisée
pour convaincre un chevalier blanc d’empêcher le rachat de la célèbre marque. Quand il s’agit
de défendre un fleuron national, les entreprises allemandes n’hésitent pas à consentir à de
grands sacrifices. Ainsi Porsche s’est emparée de 20% du capital de Volkswagen afin de le
préserver des appétits d’investisseurs étrangers. Dans Le Monde du 9 octobre 200520, on
pouvait alors lire « S'abritant derrière le patriotisme économique, le patron de Porsche,
Wendelin Wiedeking, n'a pas hésité à parler de ‘solution à l'allemande’, ‘essentielle au
développement de Volkswagen’ ». L’Allemagne met ainsi en place de puissants mécanismes
anti-OPA, ce qui explique l’agacement répété du Royaume-Uni qui, dépourvu de tels
mécanismes, a vu de ses nombreuses entreprises passer sous mains étrangères comme par
exemple Allied-Domecq par le français Pernod-Ricard ou encore Abbey National par
l'espagnol Santander.
Il serait faux de croire que les grands groupes allemands se font passivement
administrés par les banques allemandes, en effet ils siègent souvent au conseil de Surveillance
des banques dont ils sont souvent les principaux actionnaires. C’est le cas par exemple de
Daimler-Benz qui détient du capital de la Deutsche Bank. Ce tissu de participations croisées
crée une véritable communauté industrialo-financière, solide et relativement fermée.
En définitive, l’économie allemande est régulée par ces relations consensuelles entre
partenaires industriels et financiers, qui sont au fondement de sa compétitivité.
20
Stéphane Lauer, La bataille de Volkswagen aura-t-elle lieu ? , Le Monde du 9 octobre 2005, édition
numérique
Page 26
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
B. Le principe de subsidiarité ou les processus décentralisés d’action
Selon le constitutionnaliste Roman Herzog, le principe de subsidiarité pourrait être
défini de la manière suivante : « il signifie que le pouvoir décisionnel doit toujours être placé
au plus près des acteurs concernés (on pourrait dire aussi : au plus près des problèmes
constatés)». Ce principe, qui a souvent bien du mal à départager les compétences des états
membres et ceux des instances européennes dans le cadre de l’Europe, a souvent été critiqué
pour son inefficacité. Pourtant dans le système allemand, il a trouvé une traduction simple,
soutenue par des conceptions héritées du passé, selon lesquelles l’Etat ne devait pas étendre
son intervention à tous les champs. Ainsi, l’ordo-libéralisme constitué après la deuxième
guerre mondiale, dont la formule fondatrice fut prononcé au Sommet de Bad-Godesberg par
le SPD allemand : « Wettbewerb so weit wie möglich, Planung so weit wie nötig », consacra
ce principe de limitation de l’action de l’Etat. Cette méfiance vis à vis d’une extension de
l’action de l’Etat est également certainement liée à l’expérience totalitaire, mais elle demeure
encore largement présente dans les mentalités allemandes. En effet, Angela Merkel, lors de
ses vœux de 2008, a dû justifier l’intervention de l’Etat dans la politique familiale, au vu des
récents scandales de maltraitance, « Cela veut dire concrètement : là où les parents sont
clairement dépassés par l’éducation de leur enfants, l’Etat doit s’en mêler, car au final il s’agit
uniquement du bien de l’enfant»21.
Concrètement ce processus organise les relations entre l’Etat et les partenaires sociaux, l’Etat
et les Länder.
B.1. Le principe de subsidiarité dans les relations entre l’Etat et les
partenaires sociaux : la Tarifautonomie
Le principe constitutionnalisé de la Tarifautonomie, c’est à dire la non-intervention de
l’Etat dans un processus autorégulé par les partenaires sociaux, organise les relations entre
Berlin et les syndicats allemands. Le renouvellement des conventions collectives se réalise
par les négociations entre les syndicats patronaux et de salariés, de telle manière que, le plus
souvent, l’Etat refuse de faire des commentaires (une règle informelle veut même que l’Etat
n’est pas à en faire). Comme nous le verrons par la suite, ce principe allié à une forte
21
« Das heißt konkret: Da, wo Eltern ganz eindeutig mit der Erziehung ihrer Kinder überfordert sind, muss der
Staat sich einmischen, denn am Ende geht es einzig und allein um das Wohl des Kindes »
Page 27
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
sectorialisation de la négociation se trouve à l’origine des réticences vis à vis de l’instauration
d’un salaire minimum interprofessionnel. Le rapport franco-allemand sur la compétitivité22
ajoute une nouvelle dimension pour expliquer l’harmonie des relations entre les partenaires
sociaux : « D’emblée, les syndicats choisirent la méthode de la coopération pour atteindre ces
buts. [...] Dès ses débuts le mouvement syndical n’a pas cherché à rompre avec l’ordre social
établi, mais à l’influencer grâce aux conventions collectives et aux formes de participations
reconnues par la loi ».
Le système de la Tarifautonomie procède bien de la subsidiarité puisqu’il ne consacre
pas l’inaction de l’Etat mais plutôt le confine à la garantie des procédures qui régissent le
marché du travail. Certaines prérogatives, telles que l’extension d’un accord de branche à un
secteur économique ou l’exhortation des partenaires sociaux à négocier, lui sont reconnues
même si elles seront peu utilisées. Les syndicats allemands ont acquis une légitimité et une
audience importante malgré des taux de syndicalisation qui, bien que stables, n’atteignent pas
les niveaux des pays scandinaves. Leurs moyens financiers importants, leur capacité
d’expertise, leur organisation fédéralisée leur prodiguent cependant une capacité de
négociation conséquente. Cependant il faut se garder de considérer que le régime allemand de
la Tarifautonomie a conduit à une courbe des salaires différente des autres pays.23 Le marché
du travail allemand est caractérisé par une faible conflictualité qui se reflète dans la rareté des
grèves en Allemagne. Jusqu’à récemment la grève était considérée comme le dernier moyen
de la négociation, révélant même son quasi échec.
Le principe de subsidiarité de ces relations peut ainsi être décelé dans la formule de Peter
Katzenstein, qui qualifie le rôle de l’état comme relevant « d’une souveraineté limitée ».
B.2. Le principe de subsidiarité entre l’Etat et les Länder : le
fédéralisme
Le principe de subsidiarité entre l’Etat et les Länder procède concrètement de
l’organisation fédérale de l’Allemagne. Consacré par la Loi Fondamentale de 1949, le
fédéralisme organise le principe des relations entre l’Etat et les Länder. Cette organisation
22
Henrik Uterwedde, Gabriel Colletis, Jean-Louis Levet, Compétitivité globale, une perspective francoallemande, Rapport du groupe franco-allemand sur la compétitivité, Commissariat général au Plan, La
documentation française, Paris, 2001, p 105
23
Wolfgang Streeck parle de « version allemande du monétarisme » dans Modérations salariales sans politique
des revenus : institutionnalisation du monétarisme et Syndicalisme, Les Politiques de revenus en Europe, sous la
direction de Robert Boyer et Ronald Dore, Editions la Découverte, Collection « Recherches », Série
« Changement social en Europe occidentale », 1994, p 147-165
Page 28
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
décentralisée de l’action a favorisé la compétition entre les Länder assurant ainsi la
compétitivité
des
territoires.
Isabelle
Bourgeois24
soutient
cette
idée
en
écrivant : « l’organisation fédérale des pouvoirs, construite sur une double logique
d’autonomie et de solidarité, favorise la concurrence des choix de gouvernance. »
Un des concepts importants développé afin de théoriser l’organisation territoriale
allemande est celui de fédéralisme coopératif. Cette idée permet de caractériser le modèle
allemand, dans la perspective comparatiste qui est la notre. En effet le fédéralisme en vigueur
de l’autre côté de l’Atlantique se distingue par les dimensions de hiérarchie et d’autonomie,
qui s’opposent à l’attention portée en Allemagne sur la coopération et l’interdépendance.
L’actualité récente nous amène à insister encore davantage sur cette idée de fédéralisme
coopératif, puisqu’elle contraste nettement face au fédéralisme de défiance qui a cours en
Belgique.
A la description de ce fédéralisme, une distinction est à effectuer entre les
compétences exclusives du Bund et les compétences concurrentes du Bund et des Länder. Ces
dernières mettent en pratique le concept de coopération, puisque les Länder peuvent légiférer
dans ces domaines aux conditions de l’absence de législation antérieure fédérale ou en
adhésion avec celle-ci, s’opposant ainsi à une stricte répartition des tâches, de leur exécution
ou de leur financement. En plus de cet aspect, les volontés des Länder sont exprimées au
Bundesrat qui doit donner son aval aux projets de lois. Insistant sur ces deux aspects, Henrik
Uterwedde25 conclut : « Le fédéralisme coopératif allemand renforce les traits du néocorporatisme dans le sens d’un partage du pouvoir, de la diversification de l’action publique
et d’un processus de décision complexe. L’imbrication des finances et des pouvoirs qui le
caractérise pousse tous les acteurs, notamment le gouvernement fédéral et les gouvernements
des seize Länder, à la concertation et à la coopération. »
Les Länder allemands prospères, tels que la Bavière, la Bade-Wurtemberg et la Hesse,
plaident cependant pour la substitution de ce fédéralisme coopératif en faveur d’un
fédéralisme concurrentiel. Jusqu’à maintenant ces velléités n’ont pas eu de conséquences
majeures sur l’organisation allemande, mais nous tenterons, dans une prochaine partie,
d’évaluer la réforme du fédéralisme ayant eu lieu en 2006.
24
Sous la direction d’Isabelle Bourgeois, Travaux et documents du CIRAC, Allemagne : Compétitivité et
Dynamiques territoriales, juillet 2007, p 1-28
25
Henrik Uterwedde, Le « capitalisme rhénan » : défis d’adaptation et compétitivité virtuelle, La lente
transformation du « modèle rhénan », Le modèle social en mutation, Allemagne 2001, sous la direction
d’Isabelle Bourgeois, préface de René Lasserre, CIRAC, p 195-203
Page 29
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
L’articulation entre le principe de subsidiarité et le principe de collaboration est mis en
avant pas Peter Katzenstein qui considère que l’Allemagne de l’après guerre, caractérisée par
un Etat faible et fragmenté (« Etat semi-souverain ») et une société civile forte et organisée, a
promu un style de gouvernement modeste fondé sur la concertation. Concrètement, on peut en
voir un exemple dans la politique d’action concertée qui prévoit des rencontres régulières
entre les représentants des syndicats, les ministres fédéraux chargés de l’économie et le
Conseil des sages, afin de discuter des problèmes économiques dont la progression des
salaires.
C. La logique de coopération et de coordination
L’idée de coopération est au cœur du modèle allemand qui a développé des processus
de consensus, de coordination, de corporatisme, de codétermination et de cogestion. Présent à
presque tous les niveaux de l’analyse économique, il s’agira essentiellement dans cette partie
de présenter ce concept. Certaines de ses conséquences seront cependant examinées dans les
parties suivantes.
C.1. La codécision dans les processus d’éducation et de formation
Le domaine de l’éducation — qui comprend les Universités — procède des
compétences concurrentes de l’échelon fédéral et fédéré. De plus en plus, les Länder ont
initiés des formations innovantes sous l’impulsion de la concurrence interterritoriale
orchestrée par l’Etat fédéral. « L ‘initiative d’excellence (Exzellenzinitiative) » en est un
exemple puisque le Bund a choisi de mettre en concurrence les différentes Universités pour
doter financièrement les filières les plus innovantes dans d’importants domaines. La mise en
adéquation de cette organisation de l’éducation et des pré-requis du capitalisme cognitif sera
davantage analysée dans une partie suivante. D’ores et déjà, il nous est possible d’observer
que la réforme du fédéralisme allemand n’a ni réussi à favoriser une concurrence acceptable
entre les Länder, ni à développer une péréquation financière appropriée.
La coopération se réalise également dans le système de formation où il s’agit cette fois
d’associer l’Etat avec les syndicats patronaux et les entreprises. En effet le système de
Page 30
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
formations professionnelles est géré par les syndicats patronaux et financé par l’Etat fédéral.
Tous deux tentent de repérer les secteurs économiques novateurs où les compétences de l’Etat
fédéral devraient encore être améliorées et assurent la diffusion des technologies porteuses.
Ensuite ce sont les entreprises qui offrent des places de formations professionnelles. Afin
d’éviter que certaines entreprises court-circuitent le système, le syndicat patronal use de son
autorité pour convaincre l’ensemble des entreprises
d’investir dans ce système. Les
évolutions récentes ternissent cependant cette esquisse du système de formation, car de plus
en plus d’entreprises sont démissionnaires vis à vis de cette politique, et l’Etat se voit
contraint de prendre le relais.
C.2. La coopération dans l’entreprise
La coopération dans l’entreprise se réalise essentiellement par la cogestion organisée
entre les salariés et les responsables de l’entreprise. Ce système implique que les salariés
soient fortement associés au processus de décision dans l’entreprise dès lors que ces derniers
ont pour objectif le contrôle du pouvoir économique et non l’accès à sa propriété.
Concrètement la cogestion (Mitbestimmung) agit entre autre grâce à la présence des
représentants des salariés dans les conseils de surveillance et grâce aux conseils d’entreprise
(Betriebsräte). Ces aspects seront étudiés dans une partie suivante puisqu’ils subissent des
remises en question importantes. L’idée de consensus n’en demeure pas moins aujourd’hui un
principe majeur régissant la sphère économique actuelle.
Nous percevons désormais avec plus d’acuité ce que sous-tend le terme de capitalisme
rhénan. Ce système proposant un fonctionnement totalement intégré, baigne dans un climat
pro anglo-saxon, qui fait dire à certains qu’il ne pourra pas perdurer. Il est intéressant de
mesurer avec précision l’influence de cet environnement sur chacun des aspects
précédemment définis du modèle.
Page 31
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
Autre
entreprise
Banque
Organismes de
Recherche
Parapublics
Soutien financier et
encouragement à la
coopération avec les
entreprises, relais de la
politique d’innovation
et de soutien aux
entreprises mais
autonomie de
fonctionnement et de
gestion
Länder
Principe de
subsidiarité
encourageant la
coopération dans la
majorité des
politiques
économiques
Clients
Coopération
importante dans le
domaine des
politiques de
recherche et
d’innovation
Politique de
soutien à
l’entreprise à
travers les
politiques
d’éducation, les
politiques de
développement de
l’innovation, et
d’aides aux PME
Proposent des
biens à haute
valeur ajoutée
plus qu’à faible
coût
Coopération sur le
marché des produits
favorise les
stratégies de
différenciation et
réduit la
concurrence sur le
marché de la main
d’œuvre
Système Hausbank
assurant le financement à
long terme sur la base de
relations de confiance et
de contrôles de
réputations
Relations
interentreprises
favorisant la
coopération et les
échanges
technologiques ainsi
que le contrôle des
réputations
L’Entreprise
Institutionnalisation de
la cogestion à travers la
Mitbestimmung et les
Betriebsräte. Salariés
hautement investis et
coopérant entre eux
Politique de
formation
adaptée à
l’entreprises afin
d’acquérir une
main d’œuvre
hautement
qualifiée
Etat
Fédéral
Fournisseur
Coopération accrue dans le
règlement des conventions
collectives, la politique de
formation professionnelle et la
diffusion technologique
Syndicats
Patronaux
Salariés
Coopération
dans le
développement
des formations
professionnelles
et dans la
diffusion
technologique et
d’innovation
Figure 2 – L’organisation allemande en réseau à l'origine de sa compétitivité
Page 32
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
CHAPITRE 2 - UN MODELE ALLEMAND SOUS INFLUENCES
Les performances de l’économie allemande en 2007 témoignent de sa compétitivité.
Comme le précise Isabelle Bourgeois26 : « l’économie allemande est foncièrement
compétitive. Sa faiblesse des quinze dernières années n’était que le signe d’un crise
d’adaptation à un contexte en mutation : unité allemande, élargissement de l’Europe de l’est,
globalisation ». Sa spécialisation est la meilleure qui soit car, comme le rappelle Gabriel
Colletis27 : « la spécialisation allemande est interbranche, ainsi 5 branches allemandes sur les
40 existantes concentrent 80% des exportations allemandes. Cette spécialisation d’importation
intra-branche, donne à l’Allemagne le meilleur schéma de spécialisation car le pays n’est pas
dépendant à l’importation et très puissant à l’exportation ». L ‘Allemagne s’est en effet
spécialisée sur des biens à haute valeur ajoutée tels que l’automobile, la mécanique, les
machines-outils et la chimie. Elle dispose pour ces biens d’une compétitivité hors-coût
indéniable du fait de la réputation de ses produits, de leur fiabilité et de leur qualité, des temps
de livraison réduits et de la qualification de ses employés. En somme, l’Allemagne a une
solide compétitivité hors-coûts généralisable à l’ensemble de son site de production, ce qui
explique qu’elle soit, encore aujourd’hui, la puissance économique la plus exportatrice du
monde.
Le passage du paradigme de la firme multinationale à la firme globale va
progressivement bouleverser l’équilibre économique allemand. En effet au temps de la firme
multinationale (les années 1980), l’impératif de compétitivité était largement mis en avant, ce
qui donnait à l’Allemagne des avantages non négligeables. En effet, dans les années 1970 au
contraire de la France, les tensions entre les salaires et les profits n’avaient pas conduit à une
hausse des salaires, car comme l’explique Wolfgang Streeck28, la Bundesbank avait mis en
place une « version allemande du monétarisme ». Il faut dire que la croissance allemande
étant tirée par l’exportation, la puissance d’Outre-rhin ne pouvait voir sa compétitivité à
l’export mise en brèche. Mais avec l’avènement de la firme globale, l’impératif de
26 Sous la direction d’Isabelle Bourgeois, Allemagne : Compétitivité et Dynamiques territoriales, Travaux et
documents du CIRAC, juillet 2007, p1-28
27 Gabriel Colletis, Politiques économiques, une perspective européenne, cours dispensé en 2e année à l’IEP de
Toulouse.
28 Wolfgang Streeck, Modérations salariales sans politique des revenus : institutionnalisation du monétarisme
et Syndicalisme, Les Politiques de revenus en Europe, sous la direction de Robert Boyer et Ronald Dore,
Editions la Découverte, Collection « Recherches », Série « Changement social en Europe occidentale », 1994, p
147-165
Page 33
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
compétitivité laissa la place à celui de rentabilité. Gabriel Colletis29 identifie deux facteurs qui
vont amener les firmes allemandes et même françaises à se préoccuper de la rentabilité propre
au modèle anglo-saxon. Les opérations de croissance externe et le mode de recrutement des
dirigeants (facteur à nuancer dans le cas de l’Allemagne, de même que le phénomène de
privatisation) conduiront à une ouverture du capital, elle même à l’origine de la nécessité de
création de valeur pour l’actionnaire. Robert Boyer30 ne dit pas autre chose lorsqu’il décrit le
processus historique qui a fait disparaître l’impératif de compétitivité au profit de celui de
rentabilité : « Il faut faire intervenir l’ouverture internationale qui limite la liberté des
entreprises de fixer les prix en fonction du taux de marge qu’elles désirent, puis dans un
second temps leur permet d’investir à l’étranger et les soumet finalement aux normes de
bonne gestion qui sont en vigueur sur les grands marchés financiers internationaux ». Or, si
l’Allemagne possède d’importants atouts compétitifs, ses avantages hors-coûts ne sont plus
efficients dans un système où, c’est la rentabilité qui est avant tout recherchée. Gabriel
Colletis31 résume ainsi cette idée : « La firme multinationale conçoit sa production dans une
optique de compétitivité recherchant le meilleur prix et la meilleure disponibilité des facteurs.
Pour la firme globale le critère pertinent n’est pas la compétitivité mais la rentabilité. Ceci
explique que, même les économies qui avaient développé de nombreux avantages hors-coûts,
se voient dans l’obligation, pour attirer ces firmes, de dégager des avantages coûts. »
Ainsi le passage de la compétitivité à la rentabilité va donner l’impression à
l’Allemagne que son système n’est plus efficient et qu’il est temps de le faire évoluer.
Section 1 - L’Allemagne, face à de nouveaux défis
La conjugaison des mauvaises performances économiques allemandes et de la
séduction qu’exerce le modèle anglo-saxon sur des groupes politiques et économiques
allemands, a conduit, dans les années 1990, à une remise en question de la pertinence du
modèle rhénan. A l’avènement de ce principe de rentabilité, il faut ajouter des difficultés
conjoncturelles de l’Allemagne. En effet le tournant de la réunification avait été difficilement
29
Gabriel Colletis, Evolution du Rapport Salarial, Financiarisation et Mondialisation, Recherches et Regulation
Working Papers, RR Working 2005-n°6 Série C, Association Recherche et Régulation c/o LEPII-CNRS,
Septembre 2005
30
Rapport P. Artus et D. Cohen. Commentaire de R. Boyer et J-P. Cotis, Partage de la Valeur Ajoutée, Conseil
d’Analyse Economique, La documentation française, Paris, 1998, p 35-45
31
op. cit.
Page 34
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
négocié, de ce fait ses charges financières commençaient à grever le budget et les nouveaux
Länder étaient gagnés par un effondrement économique structurel.
Quel jugement pouvait-on porter sur un système qui, fut tour à tour décrié pour son
absence de réactivité liée à son orientation systématique sur le consensus, puis vanté pour sa
force intégrative. L’ensemble de ces interrogations a été à l’origine, en 1990, d’un débat
retentissant sur le site Allemagne, Standort Deutschland. Ce débat a conduit de nombreuses
personnalités de premier plan à prendre parti pour une libéralisation aboutie du système
rhénan. Ainsi Gerhard Schröder écrivait dans Le Monde du 14 mai 2004 « Au-delà de la
faiblesse prononcée de la croissance - problème qu'il nous faut surmonter en Allemagne et
dans certaines parties de l'Europe -, ce qui importe davantage encore aujourd'hui, ce sont les
changements structurels que nous devons opérer dans notre économie et notre système social
afin de nous construire un avenir de qualité et conforme à nos principes de liberté et de
justice, de participation et de sécurité. ». Le consensus globalement recherché dans toutes les
négociations était, selon les fervents partisans de la rupture avec le modèle allemand, à
l’origine du blocage de nombreuses réformes (Reformstau).
Selon certains auteurs, il est indéniable que l’idée même de marché coordonné à
l’allemande ait pu leurrer une partie importante de la population, qui considérait que les
protections sociales étaient garanties et ne pouvaient qu’aller en grandissant. En effet, ce
risque est clairement identifié sous la plume de certains auteurs, pourtant conscients des
qualités du modèle allemand, « Il devient de plus en plus difficile de faire dépasser aux
acteurs la logique de défense de l’acquis »,32 « La lente évolution avait contribué à figer les
fondements du ‘modèle rhénan’, transformant la quête du consensus et de l’équilibre des
forces – des processus par nature dynamiques – en une exigence de stabilité perpétuelle
générant un certain immobilisme ».33 Mais Wolfgang Streeck34 apporte un bémol à cette
explication qui ne tient pas compte des concessions que les syndicats, puis les salariés euxmêmes, feront tout au long des dernières décennies. En effet, cet auteur montre que les années
1980 et 1990 ont été marquées par des modérations salariales importantes, imposées par la
Bundesbank. Non seulement l’idée largement répandue que les salaires allemands sont plus
32
Henrik Uterwedde, Le « capitalisme rhénan » : défis d’adaptation et compétitivité virtuelle, La lente
transformation du « modèle rhénan », Allemagne 2001 : Regards sur une économie en mutation, sous la
direction d’Isabelle Bourgeois, Préface de René Lasserre, CIRAC, 2001, p 195-203
33
Sous la direction d’Isabelle Bourgeois, Allemagne : Compétitivité et Dynamiques territoriales , Travaux et
documents du CIRAC, juillet 2007, p 1-28
34
Wolfgang Streeck, Modérations salariales sans politique des revenus : institutionnalisation du monétarisme et
Syndicalisme , Les Politiques de revenus en Europe, sous la direction de Robert Boyer et Ronald Dore, Editions
la Découverte, Collection « Recherches », Série « Changement social en Europe occidentale », 1994 , p 147-165
Page 35
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
élevés qu’ailleurs est fausse, (il faut tenir compte de l’importance des coûts salariaux dans la
production, de la qualification généralement plus élevée chez les ouvriers allemands, etc.)
mais, en plus, il ne tient pas compte des sacrifices auxquels les salariés allemands ont
consentis. Encore récemment, les calculs établis par le Ministère allemand du Travail35
montraient, que le salaire net moyen des Allemands se situe aujourd'hui, en dessous du niveau
de 1991. Ainsi plus que la simple remise en cause d’une société de consensus figée sur ses
acquis, c’est la compétitivité allemande dans un sens plus large qu’il faut considérer. Ce fut
d’ailleurs le parti pris de l’ensemble des rapports, succédant aux débats, (le rapport du
Ministère fédéral de l’économie en 1993, celui du Conseil des experts économiques de 19971998) qui ont retenu une perspective large de la compétitivité comme la capacité de la société
à s’ouvrir et à s’adapter face à des évolution récentes et aux défis nouveaux.36 Dans cette
définition il était clair que la remise sur pieds de la compétitivité passerait par une
concertation avec tous les acteurs sur des réformes d’ordre structurel et conjoncturel.
Le débat sur le Standort Deutschland a ainsi abouti à la mise en chantier de nombreux
principes du modèle rhénan. Ce ne fut pas les compétences prises isolément des différentes
entreprises allemandes qui furent étudiées mais bien plus l’ensemble de l’attractivité du site
de production allemand. La nécessité de réforme étant posée, Gerhard Schröder « prudent et
pragmatique, a contribué à la mutation du capitalisme rhénan »37.
Sur le plan fiscal tout d’abord, le chancelier met en œuvre une réforme importante
entrée en vigueur le 1 janvier 2002. Dès le 3 janvier 2002, Le Monde titre, « Un coup de
pouce fiscal accélère la révolution du capitalisme allemand ». Cet article fait référence
essentiellement à la suppression de la taxation sur les plus-values des entreprises en cas de
cession (alors à hauteur de 50%), qui devait encourager les grands groupes allemands à se
débarrasser de nombreuses participations. Cette mesure fut accompagnée de la réduction de
l’impôt sur les sociétés, qui est alors passé de 51,8% à 38,6%. A la suite de ces réformes, les
économistes de la Deutsche Bank annoncèrent « une année de changement pour
l’Allemagne ». Ces modifications lourdes de sens avaient en effet pour but de délier les
relations étroites entre les grands groupes et les Banques en incitant ces dernières à se
dessaisir de certains actifs. De même, les entreprises devaient être encouragées à se recentrer
35
Allemagne, la stagnation des salaires depuis vingt ans fait polémique, Le Monde du 26 septembre 2009, une
enquête du quotidien « Bild ». edition numérique
36
Henrik Uterwedde, Gabriel Colletis, Jean-Louis Levet, Compétitivité globale, une perspective francoallemande, Rapport du groupe franco-allemand sur la compétitivité, Commissariat général au Plan, La
documentation française, Paris, 2001, p 28-29
37
Le Monde du 18 septembre 2002, édition numérique
Page 36
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
sur le cœur stratégique de métier. Or, ces stratégies de recentrage ne sont pas toujours
pertinentes car, pour augmenter leur rentabilité à court terme, ces entreprises mettent en péril
leur compétitivité de long terme. Ces processus sont clairement inspirés du modèle anglosaxon qui voit son influence croître en Allemagne et globalement dans le reste de l’Europe.
En effet, sous l’influence de l’Europe, l’Allemagne vote dès 1998 la loi KonTraG
(Kontrolle und Transparenz Gesetz). Cette loi, qui a pour but de renforcer la transparence et le
contrôle dans les sociétés cotées, s’apparente aux lois françaises Nouvelle Régulation
Economique du 15 mai 2001 instaurant les principes de gouvernement d’entreprises, Sécurité
Financière du 1 août 2003 et, surtout, à la loi relative au marchés financiers, transposée du
droit communautaire du 20 juillet 2005. En 2002, l’Union Européenne a ainsi publié un
rapport intitulé « Les cadres réglementaires pour le droit européen des sociétés » dans lequel
les principes du gouvernement d’entreprise sont largement mis en avant. La loi KonTraG
porte, entre autre, sur l’autorisation des rachats d’actions et la mise en place du nouveau
marché. Les dirigeants des sociétés allemandes sont ainsi contraints de publier des rapports
réguliers afin d’informer les actionnaires de l’état des finances de l’entreprise. Des
mécanismes sont également mis en place pour prévenir au plus tôt les actionnaires des risques
et des mauvaises performances de l’entreprise. Cette loi vise ainsi à mettre en place des
procédures concurrentes aux procédés plus informels qui existaient auparavant. La confiance
et la confidentialité au cœur du système financier, analysées par Peter A. Hall et David
Soskice38, qui étaient autrefois la règle dans l’entreprise, laissent place à un contrôle
systématique de l’actionnaire renforcé.
Ainsi la Commission Européenne incite clairement les pays membres à abolir leurs
barrières anti-OPA pour créer les conditions d’une démocratie actionnariale. A plusieurs
reprises, Bruxelles a ainsi vivement critiqué la position allemande. En 2005, la Commission
Européenne n’a pas hésité à porter plainte contre l’Allemagne auprès de la Cour Européenne
de Justice pour entorse à la libre circulation des capitaux dans l’affaire de l’entreprise
Volkswagen, dont les clauses empêchent tout actionnaire de détenir plus des 18% du Land de
Basse Saxe. En octobre 2007, Cette loi a été condamnée par la justice européenne et le
gouvernement d’Angela Merkel a du prendre des mesures pour la supprimer. De même, au
moment du sauvetage de Philipp Holzmann, numéro deux du bâtiment allemand, par l’Etat
38
Peter A. Hall et David Soskice, Les Variétés du capitalisme, L’année de la Régulation Economie, Institutions,
Pouvoirs, n°6 2002-2003,Association Recherche et Régulation, Presse de Sciences-Po, 2003, p 47-115
Page 37
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
fédéral ; le commissaire à la concurrence Mario Monti avait virulemment attaqué les garanties
financières accordées par les gouvernements régionaux à leurs Landesbanken. Quelques
temps plus tard, Bruxelles signe un compromis prévoyant que ces banques régionales fassent
plus attention à leurs engagements ; à terme c’est la suppression totale de leurs garanties qui
est recherchée.
Ainsi, non seulement les dirigeants allemands ont été séduits par le modèle anglo-saxon, mais
ils ont également été largement incités par la Commission Européenne à agir en ce sens.
Parallèlement, le Chancelier Gerhard Schröder charge en 2002 un groupe d’experts de
réaliser un audit sur le système dual de direction des sociétés allemandes, qui associe un
directoire et un conseil de surveillance. Ce système, qui se retrouve presque exclusivement en
Allemagne, est symptomatique d’une vision de l’entreprise diamétralement opposée à celle
défendue par le capitalisme anglo-saxon. Dans un tel univers, le Président d’une société ne
peut pas prendre une importance excessive. Comme le rappelle Didier Vuchot, Bertrand
Richard et Patrick Bourdon39 « En Allemagne, il n’est que le Primus Inter Pares faisant partie
d’un groupe, le Vorstand (directoire), dont il est le porte-parole, et ne pouvant pas, à l’image
de ses pairs, siéger au conseil de surveillance. » Il n’est pas étonnant alors de s’apercevoir que
les rémunérations annuelles médianes des patrons allemands, publiées mardi 12 février 2008 à
partir de l'étude annuelle de Hay Group par La Tribune, qui se situent autour de 3, 94 millions
d’euros, sont loin derrière celles des patrons du CAC 40 s’élevant à 6,175 millions d'euros,
des patrons britanniques percevant 5,85 millions en moyenne, et encore très loin des 12,97
millions d'euros que gagne un grand patron américain. Le chef d’entreprise allemand est le
plus souvent issu de l’entreprise où il a fait toute sa carrière, on répertorie ainsi peu de cas de
parachutage comme en France ou aux Etats-Unis. Quant au directoire, tous les travaux de
communication sont collectifs puisque chaque membre est habilité à agir et à donner son veto.
Cette collégialité donne une légitimité indiscutable au Directoire. Didier Vuchot, Bertrand
Richard et Patrick Bourdon, auteurs pourtant peu enclins à reconnaître les mérites du système
allemand reconnaissent tout de même que « Cette capacité de l’entreprise allemande à
capitaliser ses savoir-faire grâce à une gestion du capital humain s’inscrivant dans la durée,
génère ce sens de l’intérêt général, les équipes dirigeantes privilégiant ainsi le long terme et
préparant leur succession, pérennisant alors leurs stratégies. » Ce système de direction
39
Didier Vuchot, Bertrand Richard et Patrick Bourdon, Gouvernance d’entreprise : l’Allemagne ou la dernière
révolution du XXe siècle, Revue d’Economie Financière, n°63, octobre 2001 : La gouvernance d’entreprise,
Association d’Economie Financière, p 13-25
Page 38
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
d’entreprise est au cœur des spécificités du modèle rhénan, la simple interrogation sur leur
pertinence en dit long sur la volonté de chambouler l’ensemble du modèle.
Certaines entreprises n’ont pas attendu le compte rendu de l’audit pour suivre à la
lettre ces nouvelles méthodes de gestion anglo-saxonne. Ainsi, DaimlerChrysler crée en 2001
un conseil de direction novateur au sein de l’entreprise. Ce dernier s’inspire largement des
créations de comités spéciaux à l’anglo-saxonne, censés apporter une expertise
supplémentaire. En France les trois-quarts des sociétés cotées ont acquis ce type de comités
et elles sont 65% à disposer d’un comité d’audit censé s’assurer de la pertinence des méthodes
comptables utilisées et de la fiabilité des procédures internes de collecte de contrôle de
l’information. Daimler-Chrysler ne cache pas cette inspiration d’outre-Atlantique puisque la
direction affirme qu’il s’agit de « combiner les systèmes de gouvernance américain et
européen ».40 Suivant également les recommandations de la commission Corporate
Gouvernance mise en place en juillet 2001, le groupe Thyssen-Krupp s’est engagé dans la
mise en place d’un code destiné à préciser les règles en matière de gestion et de contrôle des
entreprises. Ces grands groupes allemands, à l’origine du succès économique national, ont été
imités par des non moins grandes sociétés telle que Deutsche Telekom ou Deutsche Bank.
De leur côté, les syndicats craignent une remise en question de la cogestion en vigueur
dans les grandes entreprises. Car le comité exécutif ne sera pas placé sous la tutelle directe du
conseil de surveillance, où siègent à parité des représentants du personnel et du capital. «Nous
jugeons contraire au principe de cogestion et nuisible au consensus la création de nouveaux
organes de décision affranchis de tout contrôle », s’était ainsi offusquée la vice-présidente de
la Fédération des syndicats allemands DGB, Ursula Engelen-Kefer, en janvier 2002. L’idée
d’adjoindre des comités spécialisés ne fait pas simplement remettre en cause le système dual
de la gestion entrepreneuriale, il sape également les bases de la concertation dans l’entreprise.
Les chefs d’entreprises allemands cherchent ainsi clairement à contourner les procédures
pourtant ancrées dans la culture allemande, de coresponsabilité. Certaines entreprises vont
plus loin et ne cachent pas leur intention de changer le système. En effet il n’est pas rare que
pour obtenir la docilité de leurs employés, certaines entreprises allemandes utilisent la menace
de délocalisation. Ce phénomène a ainsi conduit à la multiplication « des pactes de
compétitivité », que nous étudierons plus en détail dans une partie suivante.
40
Philippe Ricard, L'Allemagne lance sa réforme du gouvernement d'entreprise , Le Monde du 7 novembre
2001, édition numérique
Page 39
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
D’autres facteurs annexent jouent également dans le sens du modèle anglo-saxon, ainsi
les dirigeant des grandes banques allemandes sont désormais rompus à la logique anglosaxonne, grâce à leur expérience étrangère. En effet, Paul Achleitner, Directeur financier
D’Allianz, autrefois à la tête de la Banque d’investissement Goldman Sachs, déclarait en 2002
que « les participations croisées n’étaient plus adaptées au monde contemporain »41. En
février 2000, la prise de contrôle de Mannesmann par le groupe anglais des télécoms
Vodafone a consacré, dans l’esprit allemand, l’évolution de paradigme. Les dirigeants
allemands ont pris conscience qu’il fallait désormais intégrer le risque d’OPA hostile. Ceci les
a conduit à valoriser la création de valeur actionnariale et à se tourner vers les secteurs aux
potentiels de croissance importants, tel que Siemens s’orientant vers les activités de pointe ou
Preussag vers le tourisme et les voyages.
Plus que les quelques faiblesses du modèle allemand révélées par les scandales de
l’affaire Holzmann ou de la Bankgesellschaft Berlin, l’ouverture au modèle allemand procède
avant tout de la volonté des pouvoirs publics, des convictions de certains dirigeants de
sociétés allemandes et de la forte incitation de l’Union Européenne.
Sur le plan social, les bouleversements du système allemand sont tels, qu’ils
conduisent Michael Geuenich, dès 1987, a affirmé que le gouvernement fédéral a abandonné
le « social » au profit du « marché ». Avant même la mise en place de l’Agenda 2010,
Gerhard Schröder avait déjà engagé la réforme des retraites qui renforçait, le traditionnel
système par répartition, par un dispositif de retraites par capitalisation individuelle et de fonds
de pensions aux avantages fiscaux indéniables. En 2001, le gouvernement SPD avait
également souhaité réformer le système de cogestion, garantie de l’équilibre entre les salariés
et la direction. Depuis la réunification, le système de la Tarifautonomie fait l’objet de
critiques acerbes de la part de nombreux chefs d’entreprises est-allemands. En effet alors que
leur niveau de compétitivité est bien moins élevé que celui des entreprises de l’ex-RFA, les
conventions collectives sont accusées d’être un carcan leur faisant perdre en réactivité et en
compétitivité. La réunification de l’Allemagne va ainsi entraîner une multiplication des
clauses de dérogations et des clauses d’ouverture, aboutissant à un système de différentiation
des salaires et d’individualisation du rapport salarial à cent lieues du modèle originel.
L’ensemble des mesures sociales de l’Agenda 2010 est également symptomatique du
changement d’esprit allemand. Les réformes Hartz IV – soutien aux activités occasionnelles,
41
Philippe Ricard, Un coup de pouce fiscal accélère la mutation du capitalisme allemand, Le Monde du 3
janvier 2002, édition numérique
Page 40
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
obligation pour les chômeurs célibataire d’accepter des offres moins bien payées,
encouragement au travail temporaire, etc. – procédaient aussi de cette volonté de déréguler le
marché du travail.
*
A la manière des régimes communistes qui, en ouvrant la voie au libéralisme
économique, condamnent à terme leur organisation politique ; faut-il conclure que le système
rhénan se livrant à des réformes du type du capitalisme anglo-saxon, se condamne lui-même ?
Dans les tribunes du Financial Times du 21 janvier 2002, cette option était ardemment
souhaitée : « L’Allemagne a maintenant besoin d’une phase de vrai capitalisme... Il faut briser
le pouvoir de syndicats...Nous avons besoin d’une dose de thatchérisme ». Outre une
méconnaissance certaine sur le terme même de capitalisme, il apparaît que ce journalisme
n’identifie pas véritablement les mécanismes en jeu à cette époque. En effet quelques mois
plus tard alors que presque l’ensemble de l’Europe s’apprête à être gouvernée par des partis
de droite, Eric Le Boucher42 se pose la même question : « La droite européenne sera-t-elle
l'instrument de cette révolution [libérale qui condamnerait l’Etat Providence ? » et y répond
avec davantage de pragmatisme : « Très probablement non. [...] Le progrès ne peut plus venir
de la seule « libéralisation » : au sein de l'Union, l'essentiel a été fait, hormis dans l'énergie et
les transports. L'Europe semble plutôt, depuis le sommet de Lisbonne, chercher son futur dans
plus de régulation de l'Etat que moins. Les concepts manquent ».
Pas plus en 2002, qu’en 1997 et à fortiori en 2008, alors que la conjoncture
économique mondiale sourit à l’Allemagne, les dirigeants allemands n’ont souhaité
abandonner leur modèle et faire du modèle anglo-saxon leur nouvel eldorado.
Section 2 - L’Allemagne, nouveau héraut du capitalisme anglosaxon ?
Incontestablement, le gouvernement de Gerhard Schröder a été l’artisan de l’évolution
sensible du système rhénan. Inspiré par le modèle anglo-saxon ou parfois contraint de l’être,
le Chancelier a ainsi mis en œuvre d’importantes réformes. Pourtant écrivant, dans l’édition
42
Eric le Boucher, L’Europe à droite toute ? Pas si simple, Le Monde du 9 juin 2002, Chronique Economie,
édition numérique
Page 41
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
du Monde du 14 mai 2001, un plaidoyer en faveur de ses réformes de l’Agenda 2010, Gerhard
Schröder définit clairement les limites de son action :
« La question centrale à laquelle nous sommes confrontés est : voulons-nous réformer
l'Etat social, tel que nous l'avons construit, pour le préserver dans son essence ? Ou bien
allons-nous l'abolir au profit d'un modèle néolibéral axé sur le marché parce que nous ne le
considérons plus comme adapté à notre époque ?
S'il est exclu pour moi d'abolir l'Etat social - et de renoncer ainsi au modèle de « l'économie
sociale de marché » ou du « capitalisme rhénan » -, ce n'est pas seulement pour des raisons
morales. Une société qui n'apporterait pas un soutien convenable à ceux qui ne peuvent
s'aider eux-mêmes pourrait produire toute la richesse du monde, elle n'en serait pas digne. Je
reste convaincu de ceci : un modèle de société qui organise des formes de protection
solidaires au sein d'une économie de coopération, qui garantit à tous une participation à la
prospérité et à la parole, est au bout du compte, combiné à un Etat garant des services
publics, plus compétitif et mieux armé pour survivre, y compris sur le plan économique. »43
En effet de nombreux aspects de l’économie allemande nous laissent penser que le
système rhénan a davantage subi quelques aménagements qu’une désintégration.
Dans un premier temps, l’une des caractéristiques majeures du modèle rhénan, à savoir
la cogestion demeure, encore aujourd’hui, un rempart efficace face aux intransigeances
étrangères. Ce concept d’autorégulation par le contrat social pourrait faire l’objet d’une
première définition s’attachant avant tout à combattre des préjugés importants sur cette
notion : « Contrairement à une image d’Epinal souvent véhiculée en France, ce n’est pas la
paix sociale idéale, mais une dialectique entre le conflit social – bien vivant et qui, au besoin,
peut s’exprimer par des mouvements vigoureux – et la négociation, avec une multitude de
règles du jeu acceptées de tous pour permettre une gestion des conflits sans trop de dégâts à
l’économie. »44 C’est ainsi que l’OPA hostile de Vodafone sur Mannesman en 1999,
considérée par des économistes convertis au modèle anglo-saxon45, comme un signe
d’essoufflement du modèle rhénan, ne révèle en réalité que la vivacité et l’adaptabilité de
43
Gerhard Schröder, Le courage de réformer, l'envie d'innover, Le Monde du 14 mai 2004, édition numérique
Henrik Uterwedde, Le « capitalisme rhénan » : défis d’adaptation et compétitivité virtuelle , La lente
transformation du « modèle rhénan », Le modèle social en mutation, Allemagne 2001, sous la direction
d’Isabelle Bourgeois, préface de René Lasserre, CIRAC, p 195-203
45
Didier VUCHOT, Bertrand RICHARD, Patrick BOURDON, Gouvernance d’entreprise : l’Allemagne ou la
dernière révolution du XXe siècle, Revue d’économie financière, n°63, octobre 2001, p 13-25
44
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
celui-ci. En effet, cette OPA montre que le système de cogestion peut être très constructif
puisque, sans menacer le rachat, les salariés ont réussi à imposer la plupart de leurs exigences.
Ce système de coresponsabilité, présent à tous les niveaux de la prise de décision dans
l’entreprise, favorise une négociation permanente, œuvrant à l’harmonisation des relations
dans l’entreprise. Lors de tout processus de rachat, les salariés présents au Conseil de
surveillance, à hauteur de la moitié des sièges, doivent être entendus et participent
véritablement à la décision par leur vote. La différence est notable avec le système français
qui autorise, les délégués du personnel ou du comité d’entreprise, à participer aux
délibérations du Conseil d’administration, mais ne leur permet pas de voter. Malgré les
évolutions, se trouve encore, au cœur du système allemand, la préservation de la qualité des
relations sociales, à l’origine de la compétitivité du pays. En 1997, Lucas Delattre46,
journaliste du Monde avalise cette idée en affirmant, à la suite de l’arrêt des grèves
d’employés de la métallurgie pour laisser la place à la négociation, « Malgré des signes
d’épuisement de la « société du consensus », les ressorts traditionnels de la concertation n’ont
pas encore cédé la place à un « capitalisme sauvage » d’inspiration anglo-saxonne.47 ». Et
l’auteur de poursuivre : « Sans aller jusqu’à s’inspirer de l’Angleterre des années 80,
l’Allemagne cherche son modèle du côté de la Suède ou des Pays-Bas, qui ont mis l’accent,
au cours des dernières années, sur la réforme de l’Etat-providence. Plus récemment encore les
pactes d’entreprises, s’ils consacrent la baisse des revenus des salariés, rendent compte de la
vivacité du système de coresponsabilité. Ainsi par exemple au sein même des grandes
entreprises telles que Siemens ou Daimler-Chrysler, « les pactes de compétitivité »
aboutissaient à une réduction de la masse salariale en échange d’une garantie d’emploi à
moyen terme. De plus si on a pu voir que les clauses d’ouverture et d’exception au sein de
négociations collectives se multipliaient, sous la pression des chefs d’entreprises de l’Est,
elles n’aboutissent pas en règle générale à une diminution conséquente des salaires. Ainsi
comme l’explique Reinhard Bahnmüller48 : « L’enquête ne vient guère conformer l’hypothèse
qui tend à créditer les entreprises sans couverture contractuelle, plus que leurs homologues
non affiliées, d’une politique salariale novatrice, moderne et ouverte au changement »
46
Lucas Delattre, Allemagne : le bon modèle ? , le Monde du 11 février 1997, édition numérique
Lucas Delattre, Le débat social illustre les mutations du « modèle » allemand, le Monde du 11 janvier 1996,
édition numérique
48
Reinhard Bahnmüller, Allemagne : Des deux côtés de la convention collective : formation des salaires et
politiques salariales dans les firmes couvertes ou non par les conventions collectives, Chronique Internationale
de l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES), n°81, mars 2003, p 29-43
47
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
Enfin il est important de noter que l’ensemble des avantages fiscaux sur la cession
d’actifs s’adressant avant tout aux grandes entreprises, n’a pas touché les PME allemandes,
formant un tissu économique très étendu et compétitif. Dans un article du Monde daté du 3
janvier 2002, annonçant ces nouvelles mesures, on pouvait ainsi lire « Pour le président de
l’institut de conjoncture IFO, Hans-Werner Sinn, le choc sur l’économie sera limité, car il
n’aura pas d’effet sur le secteur – décisif en Allemagne – des PME ». Michael Prill associé du
cabinet de conseil de Roland Berger, chantre du capitalisme anglo-saxon, ne disait pas autre
chose : « Les changements ne vont pas survenir dès le 3 janvier, car il s’agit d’un processus
progressif. Ce sont surtout les grosses sociétés anonymes qui sont concernées : davantage que
de nouvelles fusions, il s’agit d’aménager les portefeuilles de participations pour se
concentrer sur les activités stratégiques »49 . Si il est nécessaire de remarquer que le
Mittelstand allemand a jusqu’à maintenant été préservé des influences anglo-saxonnes, on
peut tout de même noter que les défis qui se présentent à lui, risquent de l’y conduire. En effet
les bouleversements survenus dans la gestion des banques ont conduit ces dernières à
abandonner le modèle des banques universelles au détriment de la banque de détail, axée sur
les particuliers et les PME. Ces dernières pourraient donc être contraintes de diversifier leur
financement en faisant de plus en plus appel à l’offre publique de financement. C’est en partie
le constat que dresse le Commissariat Général au Plan : « De plus en plus d’entreprises
familiales du Mittelstand allemand envisageant leur introduction en bourse, notamment afin
d’élargir leur accès aux ressources financières. Nombre de ces entreprises sont sous-évaluées
au regard des pratiques financières actuelles ».50 Si les PME allemandes en venaient à
abandonner leur système financier pour avoir accès aux apparentes facilités du financement
boursier, c’est l’ensemble du système socio-économique allemand qui en subirait les
conséquences.
D’une manière générale, les esprits allemands ne sont pas prêts à abandonner le
modèle rhénan, c’est en tout cas ce que démontre l’hostilité vis à vis des patrons allemands
apôtres du modèle anglo-saxon. Dans un article du Monde daté du 21 janvier 2001, on
pouvait lire « Tout pourrait aller pour le mieux si trois des chefs d’entreprises les plus en vue,
avocats inépuisables d’une ouverture du capitalisme rhénan aux méthodes anglo-saxonnes, ne
49
Philippe Ricard, Un coup de pouce fiscal accélère la révolution du capitalisme allemand, le Monde du 3
janvier 2002, édition numérique
50
Henrik Uterwedde, Gabriel Colletis, Jean-Louis Levet, Compétitivité globale, une perspective francoallemande, Rapport du groupe franco-allemand sur la compétitivité, Commissariat général au Plan, La
documentation française, Paris, 2001, p 53
Page 44
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
connaissaient ces derniers mois des déboires retentissants : Jürgen Schrempp, président du
directoire de DaimlerChrysler, Rolf Breuer, à la Deutsche Bank, et, dans une moindre mesure,
Gerhard Cromme, de Thyssen-Krupp, ont perdu de leur superbe. »51. Aujourd’hui une fusion
du type de Daimler-Benz avec Chrysler est la référence à ne pas suivre. De même l’ambitieux
Gerhard Cromme a du renoncer à une opération qui consistait à s’éloigner du cœur de métier
l’acier, mais qui fut mise à mal par la tempête boursière alors que Rolf Breuer a essuyé un
échec cuisant lorsque le mariage entre la Deutsche Bank et la Dresdner Bank a tourné court.
Et même si le successeur de Rolf Breuer, Josef Ackermann a réussi à mettre en place un
mettre en place une gestion d’entreprise inspirée des méthodes anglo-saxonne, ce ne fut pas
sans s’attirer d’importantes critiques. Un article du Monde datant du 29 janvier 200852 rend
compte de la schizophrénie des patrons allemands qui rêvent du modèle anglo-saxon. En effet
Mr. Wiedeking, qui convoite l’entreprise Volkswagen, depuis la suppression de la loi donnant
un pouvoir majoritaire de fait au Land de Basse-Saxe, ne cesse de critiquer les idées de
réformes de l’entreprise par la Grande Coalition. La nouvelle mouture présentée par Brigitte
Zypries supprime la surpuissance du Land, condamnée par le Cour Européenne de Justice,
mais préconise un droit de veto pour les salariés en cas de construction ou de délocalisation
d’usine. Le dirigeant de Porsche s’est alors offusqué de ce principe arguant que « Le
gouvernement devrait se demander ce que Volkswagen a de si différent des autres sociétés en
Allemagne, qui fait que l'Etat ne peut pas enlever sa main protectrice de cette entreprise ». La
question qui se pose est de savoir si, la société Porsche elle-même est une
entreprise « normale », or le journaliste met en lumière des particularités qui tendent à ne pas
faire de cette firme familiale, une entreprise si « normale ». En effet le partage du pouvoir au
sein de l’entreprise rend compte de cette même protection à l’égard du capitalisme familial,
cher au modèle allemand, puisque les familles Porsche et Piëch détiennent un peu plus de la
moitié du capital mais disposent de 100 % des droits de vote. Les critiques formulées par M.
Wiedeking perdent ainsi beaucoup de consistance et démontrent que les chefs d’entreprises
allemandes ne sont pas prêts à rayer d’un trait l’ensemble du modèle. Il faut ajouter qu’une
majorité des patrons allemands s’accordent à voir encore aujourd’hui de nombreux avantages
au système : prévisibilité, paix sociale, motivation et implication des salariés, système de
protection contre le braconnage entre les différentes entreprises etc.
51
Philippe Ricard, Le capitalisme allemand adopte dans la douleur le modèle anglo-saxon, Le Monde du 21
janvier 2001, édition numérique
52
Porsche, un groupe comme les autres ? , Ecofrictions, Le Monde du 29 janvier 2008, édition numérique
Page 45
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
D’aucuns, au vu des nombreux investissements directs à l’étranger que réalisent
l’Allemagne, considèrent que la frénésie des entrepreneurs allemands pour l’étranger doit être
reliée à une désaffection pour le site Allemagne. C’est pourtant tout le contraire que révèle
cette attitude puisque les entreprises de toutes tailles continuent à conserver leur cœur de
métier et leurs activités stratégiques outre-Rhin, tout en profitant des avantages compétitifs
que peut leur apporter l’ouverture à l’international. En effet, ce sont les activités marchandes
ou de service, ainsi que les activités intensives en main d’œuvre qui sont délocalisées. Ces
mouvements de délocalisation ne font en somme que renforcer la spécialisation de
l’Allemagne. Rémi Lallement53, qui a étudié les liens entre investissements, spécialisation et
commerce extérieure appuie ce propos : « l’insertion réussie des entreprises allemandes dans
la division internationale du travail contribue ainsi fortement à stabiliser le modèle rhénan
dont les grands principes demeurent inchangés : une large place accordée au principe de
subsidiarité,
une
longue
pratique
des
partenariats
public-privé
et
une
tradition
d’autorégulation d’une multitude d’acteurs organisés en réseaux »
De surcroît, l’Allemagne comprend encore des dispositifs législatifs de protection
efficace des intérêts nationaux. Ces derniers sont assis sur un triptyque fondateur : la nécessité
que les fleurons nationaux soient détenus par des capitaux familiaux, l’existence d’un
important réseau de participations croisées entre entreprises allemandes et l’importance des
Länder dans la direction de certaines entreprises. Ainsi la loi sur le commerce et les paiements
extérieurs (Aussenwirtschaftsgesetz, 1961, modifiée le 26 juin 2006) autorise le
gouvernement à subordonner à autorisation des opérations d’achats. Les motifs de cette
restriction, énoncés à l’article 7, visent à assurer la sécurité de la République Fédérale
Allemande, à prévenir une perturbation de la coexistence pacifique des peuples ou à éviter
que les relations extérieures de la République fédérale d’Allemagne ne soient gravement
perturbées. Un bref aperçu de la situation dans le reste de l’Europe permet de comprendre
toute la pertinence d’inscrire dans les lois des motifs d’actions aussi étendus. En effet le
décret français du 31 décembre 2005, réglementant les relations financières avec l’étranger
énonce onze secteurs stratégiques dans lesquels l’Etat s’autorise un droit de regard. La France
bénéficie alors d’une protection moindre par rapport à l’Allemagne puisqu’elle exclut
arbitrairement certains secteurs de l’autorité étatique. Il faut dire que M. Villepin, qui avait
initié cette loi au moment de la fusion Arcelor-Mittal et des rumeurs d’OPA hostile sur
53
Rémi Lallement, Compétitivité : Investissement direct, compétitivité et attractivité, Regards sur l’Economie
Allemande, n° 76, CIRAC, mai 2006
Page 46
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
Danone, avait originellement inscrit une vingtaine de secteurs à protéger. Mais la Commission
Européenne avait émis un avis motivé pour mise en demeure de la France. En effet il ne faut
pas oublier que ces restrictions nationales sont largement limitées et contrôlées par la
Commission Européenne, qui considère la libéralisation complète des capitaux comme une
des quatre conditions indispensables à la réalisation du marché intérieur. Ce système de
protection allemand des fleurons nationaux s’accompagne d’un patriotisme économie encore
vivace en Allemagne. Les fusions entre grandes entreprises sont regardées de très près et un
partenaire allemand sera par définition toujours préféré à tout autre partenaire étranger. Il
n’est alors pas étonnant qu’avec l’importance croissante que prennent les fonds souverains,
Angela Merkel ait annoncé à l’automne 2007 qu’elle préparait une loi destinée à empêcher
que des entreprises allemandes clés puissent être détenues par des pays étrangers dans des
buts stratégiques. Il est même symptomatique que l’Allemagne prenne, sous couvert du
Président de l’Eurogroupe Jean-Claude Junker, la tête d’un mouvement européen visant à se
protéger contre les attaques des fonds souverains.
Au final un des arguments majeurs, qui permet de considérer que, ce qui est en jeu est
avant tout une mutation plus qu’une renonciation au capitalisme rhénan, consiste à observer le
déroulement des processus qui ont abouti à une réforme : à chaque fois il impliquait
l’ensemble de la société. La « société du compromis » s’est réformée par le compromis,
maîtrisant ses fondations solides et intactes. De même, ce que nous avons considéré comme
les fondements du capitalisme rhénan ont été gardés intact. Ainsi la forte organisation en
réseau a non seulement été conservée, mais elle a également été approfondie, et d’une
manière générale, les pays voisins ont tenté de s’en inspirer. En France par exemple le
développement de partenariats public-privé ou la mise en place de pôles de compétitivité
relève de la dynamique de réseau apparue comme pertinente pour le système économique de
demain. Pareillement, l’idée décentralisatrice du système fédéral a été reprise. En France, aux
Pays-Bas, en Suède et au Danemark, l’efficacité de la décentralisation a été reconnue et de
nombreuses lois ont été promulguées à cet effet. En Allemagne, l’idée décentralisatrice a
depuis longtemps fait ses effets et les Länder sont aujourd’hui de véritables acteurs de la
politique économique, éducative et de développement local. La réforme du fédéralisme
intervenue en 2006 avait d’ailleurs pour but d’accentuer la logique fédérale afin de donner de
nouvelles compétences aux Länder. Ici le fédéralisme a fait l’objet d’un approfondissement et
n’a pas été remis en cause. En somme, ce que nous avions identifié comme les
caractéristiques majeures du système rhénan, à savoir la cogestion, les réseaux et la
Page 47
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
subsidiarité, ont été encore plus affermis par les récentes lois. Cette idée témoigne
indéniablement de la préservation du système allemand.
Enfin, les bouleversements récents du secteur boursier plaide en faveur d’un
capitalisme ordonné à la manière du système allemand. En effet la presse, d’ordinaire chantre
du libéralisme anglo-saxon, tend elle-même à remettre en question les principes de
gouvernement d’outre-Atlantique. En effet, dans Le Monde du 21 février 2008, Pierre
Briançon titrait sur les performances de la première banque française de la sorte : « BNP
Paribas ou le charme de la prudence ». Il poursuivait en écrivant « La plus grande banque
française fait à ce point figure d’exception que les marchés ont même commencé par saluer
avec enthousiasme [...] Ce conservatisme prudent semble redonner du lustre à la banque de
papa ». L’idée de « banque à papa » peut faire penser aux banques universelles et partenaires
du modèle allemand dont on pourrait vanter la prudence. On nous rétorquera cependant que ce
n’est pas la première fois que le système anglo-saxon montre des failles. A la manière
d’Albert Michel, on remarquera que le modèle anglo-saxon a vu, ces dernières années, sa
sphère d’influence s’étendre à mesure que sa pertinence et sa crédibilité s’amenuisaient. Mais
peut-être pouvons-nous penser que les performances économiques récentes de l’Allemagne
obligent encore un peu plus à ouvrir le champ des possibles, de sorte que l’existence de
différents capitalismes aux performances inégales est en mesure d’être reconnue. Martin
Jacques, chercheur associé au centre de recherches asiatiques de la London School of
Economics écrivait même le 18 février 2008 dans The Guardian : « Il y a deux conclusions
que l’on peut tirer de la crise économique qui débuta en Août dernier et qui pourrait, dans une
forme ou une autre, durer pour une période prolongée. La première, est que cette dernière
annonce une réduction majeure de l’influence économique et politique des Etats-Unis, dans la
manière de la crise de 1931 qui annoncé la fin tardive de la suprématie de l’économie
anglaise. » Même s’il semble que la vision de l’auteur semble critiquable, notamment parce
qu’elle n’intègre que l’idée de crise sans analyser des processus longs tout aussi décisifs mais
moins apparents, il met en lumière l’idée que les critiques vis à vis des failles de ce
capitalisme – qui ont toujours existé - sont de plus en plus audibles et nombreuses.
*
Cette tendance récente permet de conclure sur l’idée que le modèle rhénan ne
s’apparentera jamais au capitalisme anglo-saxon puisque au delà de certaines convergences, le
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
modèle allemand a intérêt à garder son système qui, comme nous allons le voir, donne à
l’Allemagne des fondations solides pour affronter les nouveaux défis du capitalisme cognitif.
En effet nous venons de voir que la lecture anglo-saxonne du modèle rhénan ne permet
pas d’expliquer l’évolution que celui-ci peut subir. Il faut donc chercher à trouver une autre
configuration qui pourrait offrir une vision plus appréciable de son dynamisme.
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PARTIE II - QUELLE EST LA PERTINENCE DU MODELE
RHENAN A L’AUNE DU CONTEXTE ECONOMIQUE
ACTUEL
?
« En période de mobilité économique,
la souplesse est une condition vitale du plein emploi. »
Alfred Sauvy
Ses performances récentes font de l’Allemagne, un voisin très observé de ce côté-ci du
Rhin. La conjoncture actuelle sourit en effet à ce « champion de l’exportation », et le ZEW
(indicateur du Zentrum für Europaïsche Wirtschaftsforschung), l’étude du groupe allemand
GfK en mars 2008 et même le baromètre des affaires affichent des perspectives prometteuses.
Toutefois, caractériser la bonne santé de l’Allemagne sans définir le contexte économique
actuel et futur, demeure une entreprise théoriquement pauvre. Comment et pourquoi la
puissance germanique réussit-elle si bien ? Pourra-t-elle encore faire office d’archétype dans
quelques années ?
Nous tenterons de définir dans un premier temps quel pourrait être le contexte
économique actuel (Chapitre 1) puis l’adéquation de l’Allemagne avec celui-ci (Chapitre 2).
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CHAPITRE 1 - UNE EVOLUTION QUI TENDRAIT A PRIVILEGIER
LE « MARCHE
» SUR LE « SOCIAL » ?54
La lecture de Wolfgang Streeck
55
[1994] permet de mieux comprendre pourquoi la
problématique du salaire minimum a émergé Outre-rhin. Revenir au système qui prévalait
jusqu’à la réunification nous aide en effet à mieux saisir les évolutions des dernières années.
En effet, auparavant l’harmonie du système était assurée par trois équilibres forgés en 1974 :
l’indépendance de la Bundesbank, celle des syndicats et le rôle des comités d’entreprise et de
la codécision.
L’indépendance de la Bundesbank permettait à cette dernière de se situer en dehors
des cycles électoraux. Or, à la suite des négociations salariales de 1947, qui avaient conduit à
un partage de la valeur ajoutée à la grande faveur des salariés, la Bundesbank prit la décision
d’entreprendre une stratégie de restrictions des salaires. Wolfgang Streeck introduit alors le
concept de « version allemande du monétarisme ».
La Bundesbank annonçant les taux de croissance annuels de la masse salariale, les
syndicats n’avaient d’autres choix que de respecter ces taux pour ne pas grossir les rangs de
chômeurs. La politique globale des syndicats se trouvait ainsi autocontrôlée par les pressions
qu’exerçaient les centrales syndicales puissantes, telles IG Metall et la Deutscher
Gewerkschaftsbund (DGB), sur le reste des syndicats. Avec la montée du chômage dans les
années 1980, les syndicats ont progressivement orienté leurs revendications sur des aspects
qualitatifs tels que le temps de travail. L’auteur résume ainsi ce compromis informel entre la
Bundesbank et les syndicats : « l’uniformité remarquable des accords salariaux en Allemagne
n’est pas le résultat de l’engagement conjoint des syndicats et employeurs pour obtenir des
normes sociales de « juste salaire ». La négociation respecte un principe implicite : « les
différentiels de salaires intra et intersectoriels ne doivent pas subir de profondes
modifications, mais ce principe n’est pas établi de manière technocratique par les experts des
commissions gouvernementales et n’est pas lié non plus à un discours moral sur une justice de
répartition.».
54
Propos de Michael Geuenich, membre du directoire du DGB, retranscrit dans : Lucas Delatre, Allemagne, le
bon modèle ?, le Monde du 11 février 1997, édition numérique.
55
Wolfgang Streeck, Modérations salariales sans politique des revenus : institutionnalisation du monétarisme et
Syndicalisme, Les Politiques de revenus en Europe, sous la direction de Robert Boyer et Ronald Dore, Editions
la Découverte, Collection « Recherches », Série « Changement social en Europe occidentale », 1994 , p 147-165
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
Une précision doit être apportée afin de mieux cerner la manière dont le consensus se
réalisait autour de l’objectif de la Bundesbank. Outre les centrales syndicales puissantes, il ne
faut pas négliger l’importance du processus de codécision au niveau de l’entreprise, comme
frein à l’approfondissement de forces centrifuges. En effet, l’objectif qui était fixé pour le
secteur entre les centrales syndicales patronales et salariées, pouvait faire l’objet de
réaménagements au sein du comité de l’entreprise. Cette organisation garantissait à la fois le
monopole des syndicats industriels sur les négociations salariales mais les soulageait des
questions d’ordre qualitatif, plus délicates à résoudre. En définitive, cette association entre la
cogestion exercée au niveau des comités d’entreprise et les négociations salariales de branche
assurées par les centrales syndicales, permettait l’équilibre d’un système homogène et surtout
relativement égalitariste. Comme l’explique Wolfgang Streeck, « la codécision contribua ainsi
à empêcher une fragmentation des relations sociales et à maintenir l’extraordinaire stabilité du
syndicalisme industriel à une époque où les structures sociales et les systèmes de production
deviennent de plus en plus hétérogènes ».
Cependant, ce système harmonieux a subi au cours de la dernière décennie des
arrangements notables qui ont provoqué son dysfonctionnement interne. Les acteurs du
nouveau contexte d’internationalisation de la production et de renforcement de la
concurrence, ont profité de la brèche ouverte par le dysfonctionnement du système pour
accroître encore davantage la différenciation des salaires.
Comme précédant à sa formation et à son évolution, de nouveaux équilibres
institutionnels se sont peu à peu formés. Dans les années 1980, la montée du chômage a subi
les foudres de ceux qui étaient partisans de la différenciation des salaires. La main d’œuvre
non qualifiée ne pouvait alors prétendre au niveau de salaire élevé du reste de la population.
Les syndicats, comprenant qu’une différentiation remettrait en cause les fondements du
système allemand, exhortèrent les pouvoirs publics à promouvoir la formation continue pour
que la main d’œuvre non qualifiée puisse prétendre aux salaires élevés de l’Allemagne.
Wolfgang Streeck considère que cette politique a échoué. Il nous apparaît également qu’une
politique de ce type nécessite surtout de nombreuses années avant de faire ses effets, or le
traitement de la réunification a donné un nouveau coup de couteau à l’équilibre des années
1970. En effet, la gestion de la réunification par les gouvernements et les syndicaux fut un
élément majeur de transformation. Le système prédéfini fut ainsi transposé à l’Est, sans subir
d’aménagements substantiels. Mais le potentiel économique de l’Est fut largement surestimé
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
et après quelques années, les entreprises firent pression pour ramener à la baisse les exigences
salariales des syndicats. La révision des mesures accordées se réalisa par l’extension de
clauses d’ouvertures et des clauses de différenciation. Les entreprises pouvaient ainsi, avec
l’accord de leurs salariés, payer leur main d’œuvre à des coûts moindres que le salaire général
Une fois ces mesures lancées, l’engrenage de la différenciation des salaires fut consacré.
Ainsi, le processus de codécision n’est pas en perte de vitesse, il est conservé dans un
nouveau système individualisé du marché du travail. Ce processus entre donc en
confrontation avec le principe égalitariste de la société allemande. Bruno Amable, Ekkehard
Ernst et Stefano Palombarini56 montrent d’ailleurs que, dès lors qu’un équilibre institutionnel
est modifié, de nouveaux compromis et configurations se redessinent. C’est précisément ce
type d’enchaînement qui a présidé à la situation actuelle. Or, l’individualisation des droits
sociaux entraîne inéluctablement une augmentation des disparités dans la population.
Wolfgang Streeck conclue son article sur des propos, qui aujourd’hui peuvent paraître
annonciateurs : « Si la réunification devait entraîner une décentralisation de cette nature,
d’abord à l’Est, puis à l’Ouest, alors, ce que l’on croyait initialement n’avoir été qu’un simple
transfert des institutions ouest-allemandes aux nouveaux Länder, serait en réalité un
changement de système. Comme dans beaucoup d’autres pays, les clauses d’ouverture
réduiraient le contrôle institutionnel sur le marché du travail allemand et exposeraient les
salaires, l’emploi et les syndicats aux pressions du marché. Non seulement l’éventail des
salaires augmenterait, mais pour la première fois pourrait se développer dans l’économie
allemande un îlot important des bas salaires et faibles qualifications. »
Le système de différenciation des salaires étant en marche, il ne faut pas négliger ce
que nous avons présenté dans les parties précédentes, à savoir le poids du contexte
international faisant de la rentabilité l’objectif principal. En effet, c’est bien parce que
progressivement le salaire ne fut considéré que sous l’angle d’un coût pour l’entreprise, que
des pressions considérables furent exercées pour la baisse des salaires.
Nous venons de voir que la remise en question des principes du système allemand
avait pu conduire à une différenciation des salaires inaugurant la précarisation d’une frange de
56
Bruno Amable, Ekkehard Ernst et Stefano Palombarini, Comment les marchés financiers peuvent-ils affecter
les relations industrielles ? Une approche par la complémentarité institutionnelle, l’année de la régulation n°6
2002-2003, p 271 à 287
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
la population. Mais pour mieux analyser les effets de la différenciation des salaires sur
l’insécurité du statut de certaines populations allemandes, il est nécessaire de différencier les
salariés. Nous reprenons ici les distinctions entre salariés des sociétés occidentales de Robert
Reich présentées dans l’ouvrage de Claude Pottier57, en tentant de préciser les conséquences
pratiques et spécifiques au contexte allemand.
Section 1 - Travailleurs Routiniers contre Travailleurs innovants
La première population de salariés mise en avant par Robert Reich est la population
des travailleurs routiniers, assurant une activité standardisée. Une précision de Claude Pottier
permet de mieux cerner la vulnérabilité de cette population. En effet, la distinction entre les
salariés soumis ou non à la concurrence des pays à bas coûts de production se réalise souvent
sur la possession ou l’absence de qualifications. Claude Pottier montre qu’en réalité la
distinction se fait à un autre niveau, celui de la standardisation de la production. En effet, la
principale cause des transferts de technologie dans les pays à bas salaires (plus
spécifiquement les pays dans lesquels les rapports entre le coût du travail et sa productivité est
plus favorable que dans les pays les plus développés) est l’intensification de la concurrence à
l’échelle mondiale qui conduit les entreprises à standardiser rapidement leurs processus
productifs afin de les transférer. La distinction pertinente s’effectue donc entre salariés
exerçant une activité standardisée ou non.
Les travailleurs routiniers sont donc très sensibles à la conjoncture internationale qui
conduit les firmes à être de plus en plus compétitives. La différenciation des salaires étant
possible, deux facteurs liés au contexte international ont accéléré sa dispersion. Il s’agit de
l’internationalisation de l’activité des firmes qui a provoqué une dissociation croissante entre
leurs intérêts et ceux de leur pays d’origine, ainsi que la globalisation financière qui a induit
des politiques macro-économiques dans lesquelles la faiblesse des salaires et des niveaux de
protection sociale deviennent des éléments de compétitivité et d’attractivité des nations.
57
Claude Pottier, Les Multinationales et la mise en concurrence des salariés, Préface de François Chesnais,
Collection Travail et Mondialisation, 2003, p 195 à 198
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
A. Rémunération, fonction de la mobilité
Au cœur de ce processus, il y a l’idée du différentiel de mobilité comme facteur
explicatif des rémunérations. Dans la théorie des chaînes de valeur globale développée par
Gary Gereffi, les filières pilotées par l’aval telles que le textile sont souvent menées à une
échelle globale. Pour ce type d’entreprise, aujourd’hui largement représenté, la rémunération
de chaque facteur de production est fonction de sa mobilité. Gabriel Colletis58 réalise ainsi
une subdivision entre les facteurs de production « capital » et « travail », puisqu’il distingue
« le capital financier », « le capital industriel », « le travailleur qualifié » et « le travailleur peu
qualifié ». Si nous préférerons parler par la suite de travailleur routinier et travailleur
innovant, la distinction entre travailleur qualifié et travailleur peu qualifié permet d’expliquer
plus nettement les différentiels de mobilité.
Le capital est par nature très mobile puisque lui est associé le qualificatif « volatile »,
ce qui lui permet d’avoir la rémunération la plus importante. Le capital industriel et les
salariés qualifiés peuvent être considérés comme mobiles malgré des imperfections
d’informations dans le marché du travail. En effet, même si l’entreprise ne peut véritablement
évaluer la qualité d’un salarié, la reconnaissance de sa qualification par l’employeur
diminuera l’asymétrie d’information. Ce type de débauchage est relativement plus fréquent
dans les capitalismes anglo-saxons qui organisent le transfert de technologies autour de la
mobilité des salariés ; néanmoins il ne faut pas sous-estimer la pression à la hausse des
salaires qu’exercent ces possibles débauchages dans le capitalisme rhénan. Les salariés peu
qualifiés sont quant à eux très peu mobiles car leur probabilité de retrouver un emploi est
faible et le coût de la perte d’emploi est dissuasif. Cette situation conduit Gabriel Colletis59 à
considérer la rémunération du salarié comme un « résidu ». En définitive, le pouvoir de
négociation des acteurs dans la détermination des salaires est fonction de la mobilité de ces
derniers. La transcription concrète de cette idée se retrouve dans les pactes sociaux — que
nous présentons ci-après — de plus en plus fréquent en Allemagne, et dans lesquels les
salariés peu qualifiés, ayant une mobilité sectorielle et géographique réduite, sont obligés
d’accepter des conditions de travail passéistes.
58
Gabriel Colletis, Evolution du Rapport salarial, Financiarisation et Mondialisation, Recherches et Regulation
Working Paper, n°2005-6 Série C, Septembre 2005
59
Gabriel Colletis, Evolution du Rapport salarial, Financiarisation et Mondialisation, Recherches et Regulation
Working Paper, n°2005-6 Série C, Septembre 2005
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
B. La mise en concurrence globale des travailleurs routiniers
Le principe de rentabilité étant l’élément majeur dans la gestion des entreprises
globales, ce sont les avantages coûts qui sont prioritairement recherchés par ces entreprises.
Or, si nous venons de voir que les rémunérations des salariés peu qualifiés étaient les plus
faibles, elles pourront toujours être encore plus faibles dans les pays tiers. Ainsi le rapport
entre le coût du travail et sa productivité sera toujours plus favorable dans les pays moins
développés que l’Allemagne. Ces travailleurs allemands sont donc en concurrence avec des
salariés tout aussi compétents mais bénéficiant d’un salaire largement inférieur. Pour cette
raison le maintien de ce type d’emploi en Allemagne s’est fait dans la douleur, notamment par
un recours à des pactes sociaux. Pour certains auteurs, ces derniers sont une adaptation
nécessaire de l’économie allemande alliée à la préservation du cœur du modèle : la cogestion.
Mais notre approche institutionnaliste nous conduit à conclure que le maintien d’un équilibre
institutionnaliste dans des conditions surfaites ne peut donner le même résultat. En effet il faut
tenter d’expliquer la réalité du principe de cogestion, or, si dans le contexte des années 1970,
celui-ci pouvait assurer l’égalité entre les citoyens, aujourd’hui ce n’est plus véritablement le
cas. Fondamentalement, le principe de cogestion qui a assuré l’harmonie du système dans les
années 1970 se distingue nettement du principe de cogestion actuel tel qu’il est mis en place
au sein des pactes sociaux. En effet, ce dernier est soumis aux pressions des différentiels de
mobilité et de la délocalisation de la production, ce qui aboutit à ce que les salariés, s’ils ont
leur mot à dire, n’ont plus guère de choix. L’extension des pactes sociaux ne fait ainsi que
consacrer le déséquilibre du rapport salarial — tel qu’il a été défini en introduction —
entendu comme la relation entre le salarié et l’employeur. Quand on observe attentivement
ces pactes sociaux, on se rend compte qu’il s’agit d’un retour en arrière. En effet, dans le
pacte salarial de Volkswagen négocié avec les salariés après des menaces de délocalisation
exercées par la direction, les salaires ne sont pas fonction du temps de présence mais de la
production d’un quota de véhicules par jour. Si le quota initialement prévu n’est pas réalisé, le
travail se poursuit sans qu’il y ait de compensations financières ; inversement quand la
production est plus importante que prévue, les salariés se voient verser des primes. En
conclusion, Volkswagen réintroduit ici le paiement à la pièce du XIXe siècle.
Il apparaît que cette politique des pactes sociaux ne peut être que temporaire, car les
travailleurs routiniers allemands ne pourront jamais être compétitifs avec les travailleurs
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
routiniers des pays à bas salaires et à productivité identique. Les formes d’intéressement
développées par des auteurs tels que Michel Aglietta procèdent également de cette
individualisation des droits salariés. Cet actionnariat salarié ne semble pas être une réponse à
la baisse tendancielle des rémunérations de ces salariés routiniers car elle n’agit pas au cœur
du problème : leur faible mobilité et leur faible qualification. En effet, les formes
d’intéressement reproduisent la hiérarchie qu’il existe au niveau des différentiels de mobilité
puisque ce sont de nouveau les salariés qui auront le plus contribué à l’innovation de
l’entreprise qui recevront la plus importante rémunération. La faible capacité d’épargne des
salariés peu qualifiés ajoutée à leur vulnérabilité face à l’instabilité des marchés financiers
contribue à diminuer la pertinence de ces mesures.
C. Les perspectives à court et long terme
Les experts économiques allemands, chantres du monétarisme depuis la politique
fructueuse menée par la Bundesbank dans les années 1970, ont partiellement raison de
s’opposer à la mise en place du salaire minimum dans ces domaines. Car les rémunérations de
ces salariés étant désormais appréhendées sous l’angle unique des avantages coûts qu’elles
pourraient apporter, l’introduction d’un salaire minimum réduirait d’autant leurs avantages
compétitifs.
Nous postulons que ces experts économiques ne se posent pas les bonnes questions.
Nous émettrons ainsi par la suite des hypothèses de lecture des problèmes économiques
actuels et des propositions quant à leur résolution. Il faut d’ores et déjà garder à l’esprit que
les développements suivants demeurent fondés sur des conjectures.
Selon nous, la situation actuelle de ces salariés ne peut être que temporaire, car de
nombreuses entreprises continueront à être réticente à l’idée de maintenir en Allemagne des
productions, dont le rapport coût salariaux / productivité n’est plus avantageux. Il serait
d’ailleurs utopique de croire que les pays à bas salaires auraient d’ici là rattrapé les pays
développés et leur niveau de salaire, les pays à bas salaires disposant encore de réservoirs
considérables de travailleurs. Le processus d’unification européenne ne permet pas
d’améliorer cette situation puisque les conditions de la concurrence tendent à s’harmoniser,
sauf dans le domaine délicat des rémunérations salariales. Or, ceci a tendance à geler le
progrès social dans les pays où les salaires ainsi que la protection sociale, sont les plus élevés.
Le débat sur le principe du pays d’origine et le principe du pays d’accueil, lors de la directive
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
Bolkestein, relève de cette crispation des pays ouest-européens de voir leur protection sociale
mise en concurrence avec les faibles salaires des nouveaux entrants. Comme tout
bouleversement, la mutation vers un nouveau rapport social fait l’objet de tensions
importantes. En effet, même si, selon Michel Husson60, les nouveaux pays auraient davantage
misés sur une harmonisation des salaires européens que sur une mise en concurrence afin de
gagner des parts de marché, il n’en reste pas moins que leurs salaires demeurent plus faibles
et qu’ils le demeureront encore quelques décennies. Le débat en Allemagne sur le dumping
social à travers « le scandale des abattoirs »61 du printemps 2005 est symptomatique des
frictions traversant la société allemande.
Il faut donc engager une politique à long terme pour élever la qualification de ces
ouvriers afin que leur activité ne soit plus seulement standardisée. Au cœur de cette politique,
il y a donc la nécessité première de la formation. Les modalités de cette formation seront
étudiées par la suite mais il faut d’ores et déjà garder à l’esprit qu’il s’agit de la politique
pertinente pour ces travailleurs. Cependant on remarque immédiatement que cette politique
nécessite énormément de temps pour donner ses effets. Une politique complémentaire
d’accompagnement doit donc être couplée à cette politique à long-terme afin de ne pas
abandonner ces travailleurs au court terme. C’est là que les politiques régulationnistes de
l’Etat trouvent leur justification. Elles permettraient de soutenir ces populations en attendant
qu’elles puissent prétendre à un travail innovant. Ainsi, les mesures de l’état répondraient
d’avantage au principe assurantiel de soutien à ces populations précarisées. Le salaire
minimum tel qu’il est posé en Allemagne paraît d’ailleurs plus en adéquation avec ce type de
politique, que celui mis en place en France. En effet, il s’agirait de mettre en place des salaires
minima de branche tenant davantage compte des différences de niveau de productivité de
chaque secteur.
D’autre part cette politique ne devrait pas être réservée aux salariés peu qualifiés car
nous considérons également qu’un niveau de salaire élevé est un élément majeur de la
motivation de ces derniers. Il permet à l’entreprise de limiter l’absentéisme et de maintenir la
paix sociale. Cette dernière fut longtemps assurée par l’harmonie du système rhénan, mais les
récentes mobilisations massives d’employés allemands montrent qu’il n’est pas vain de
60
Michel Husson, Les Salaires minima en Europe, les salaires minima, enjeu international, Chronique
Internationale de l’IRES, numéro spécial N° 103, novembre 2006, Institut de Recherches Economiques et
Sociales, p 17-28
61
Adelheid Hege, Allemagne, un salaire minimum dans le pays des hauts salaires ? , les salaires minima, enjeu
international, Chronique Internationale de l’IRES, numéro spécial N° 103, novembre 2006, Institut de
Recherches Economiques et Sociales, p 105-120
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
vouloir la préserver à l’aide d’une politique sur les salaires. Enfin, assurer un salaire décent à
toute la population allemande permet de soutenir la consommation. Cet aspect ne doit pas être
négligé même s’il faut garder à l’esprit que la croissance allemande, au contraire de la
croissance française, est soutenue par l’exportation davantage que par la consommation.
Les puissances publiques allemandes ont surtout un rôle à jouer si elles admettent que
la perspective doit être longue afin de mettre en place les conditions pour faire de chaque
travailleur un salarié innovant et valorisé au sein de son entreprise pour autre chose que son
coût. Le niveau fédéral et fédéré a donc encore toute sa place dans les régulations
économiques et il nous semble peu pertinent de penser que désormais la régulation doive se
faire au sein des firmes par les formes de concurrence, ou au sein des marchés boursiers. En
effet, les mesures de Responsabilité Sociale des Entreprise (RSE) s’imposent au salarié et lui
ajoutent de nouvelles contraintes ; elles ne font donc que consacrer encore davantage la
déstabilisation du rapport salarial. De la même manière, faire de l’actionnariat salarié une
panacée, ne permettrait pas véritablement de remédier à la déstabilisation du travail par le
capital puisqu’il ne ferait qu’assurer la subordination du premier par le second. Pourtant il
nous apparaît que l’investissement des pouvoirs publics dans la formations et l’éducation des
salariés pourrait inaugurer un nouveau type de rapport salarial plus à l’avantage du salarié car
tourné sur les compétences de celui-ci. L’importance des horizons temporels est ici majeure,
puisque nous postulons que si les qualifications réduites des salariés routiniers les ont
conduits à être déstabilisés dans le rapport salarial, le développement futur de leurs
compétences pourrait leur redonner un fort pouvoir de négociation. Ce nouveau rapport
salarial, encore hypothétique, est soutenu par Gabriel Colletis et Patrick Dieuaide62 qui
développe la notion de capitalisme cognitif.
62
G. Colletis et P. Dieuaide, Vers une ré- institutionnalisation du rapport salarial centrée sur la question des
compétences. Un nouveau chantier pour l’ATR, Cahier du GRES, Université Montesquieu Bordeaux 4 (IFReDE)
et Université des Sciences-Sociales Toulouse 1 (LEREPS)
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
Section 2 - La centralité des compétences cognitives dans le nouveau
statut des travailleurs
A. Le capitalisme cognitif
On peut s’étonner que la remise en cause du rapport salarial fordiste fondé sur
« l’assurance de la rémunération contre l’organisation taylorienne du travail » ait été effectuée
seulement dans les années 1990 en Allemagne. En effet dès les années 1970 pour l’Angleterre
et 1980 pour la France il était clair que le ralentissement de la productivité devait être
supporté par le travail et non par le capital. Pour l’Allemagne, ce principe n’a été que plus
récemment admis à mesure que l’internationalisation de la production ait entraîné la
suprématie du principe de rentabilité sur celui de compétitivité. Pourtant si la remise en cause
de ce rapport salarial a été retardée dans le cas de l’Allemagne, il ne faut pas croire en un
retard dans l’adéquation de l’Allemagne aux modalités du futur rapport salarial en
construction. Nous concédons cependant largement que la formulation de ce rapport salarial à
venir influence directement notre analyse de la pertinence du modèle rhénan. Toutefois, nous
considérons que la situation actuelle relevant d’une mutation d’un rapport salarial bien défini
vers un autre encore hypothétique, nous ne pouvons que réaliser un pari sur l’avenir. Pour
mieux cerner cette idée, nous reprendrons les propos de Gabriel Colletis et Patrick
Dieuaide : « Nous nous trouvons dans une période de transition politique, économique
pendant laquelle il convient de déduire et/ou de construire analytiquement le rapport salarial
en gestation en scrutant les mutations socio-historiques du moment ».
L’hypothèse du rapport salarial en gestation au regard duquel nous allons juger le
modèle rhénan, est celui développé par les auteurs précédents autour de la notion de
compétences. Nous allons fonder le raisonnement suivant sur la définition de ce qui pourrait
être ce nouveau rapport salarial et nous tenterons de voir si l’Allemagne dispose des prérequis à ce modèle. L’idée principale de ce modèle est que « la dynamique de transformation
à laquelle sont soumises les sociétés salariales se caractérise par le fait que l’accumulation
porte désormais principalement sur la connaissance. »63 Il s’agit donc de voir dans cette partie
63
Programme de recherche d’A. Corsani, P. Dieuaide, M. Lazzarato, J - M. Monnier, Y. Moulier-Boutang, B.
Paulré et C. Vercelonne, Le capitalisme cognitif, comme sortie de la crise du capitalisme industriel,
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
en quoi l’Allemagne peut développer les connaissances et compétences situées au cœur du
capitalisme cognitif. Ensuite nous tenterons de voir dans une deuxième partie dans quelle
mesure le processus d’innovation systématique peut œuvrer en Allemagne puisque comme
l’explique une unité mixte de recherche CNRS64 « Si nous avons défini le capitalisme cognitif
comme une forme historique émergente dans laquelle l’accumulation est fondée sur
l’exploitation systématique de la connaissance et des informations nouvelles, c’est aussi un
régime dans lequel l’innovation, en un sens large, occupe une place centrale. »
Demeurant tout au long de cette démonstration dans une perspective institutionnaliste,
nous ne postulons pas l’avènement du capitalisme cognitif d’après une conception
évolutionniste. Il nous apparaît fondamental d’appréhender cette nouvelle régulation comme
le produit des interactions entre agents et institutions. Une précision peut d’ores et déjà être
ajoutée
concernant
le
concept
d’innovation
puisque
nous
refusons
l’approche
Schumpetérienne du caractère exogène de l’innovation.
L’importance croissante qu’ont prise les distinctions entre salariés qualifiés /non
qualifiés et la compétence individuelle de chaque travailleur conduit à postuler une mutation
du travail, qui ne serait plus considéré comme une « abstraction déshumanisée ». Désormais il
s’agit de valoriser la compétence cognitive de tout type de salarié. Gabriel Colletis et Patrick
Dieuaide65 précisent ainsi que « cet ordre politique ne peut se constituer sur une base réduite
aux seules fractions du salariat composé des cadres et ingénieurs. Une division cognitive du
travail peut s’étendre à des fractions beaucoup plus importantes dès lors que le modèle de la
compétence demeure largement transversal au découpage traditionnel entre travail de
conception et travail d’exécution. » Cette idée est importante et montre que la compétence ne
doit pas se confondre avec la qualification ou le savoir. En effet, il ne s’agit pas de multiplier
les enseignements théoriques qui ne seraient pas assimilables pour tous les salariés mais
davantage de développer des compétences clés, des réactions opérantes à la résolution d’un
problème, des capacités de coordination de son travail aux autres, etc. En définitive, il
apparaît que la compétence se définirait comme un savoir en action, directement opérationnel
et propre à la situation rencontrée par l’individu. Il ne pourra jamais avoir rencontré l’éventail
Modélisations appliquées, Trajectoires institutionnelles, Stratégies socio-économiques, Unité Mixte du CNRSUniversité Paris 1, n° 8595. Matisse
64
ibid
65
G. Colletis et P. Dieuaide, Vers une ré- institutionnalisation du rapport salarial centrée sur la question des
compétences. Un nouveau chantier pour l’ATR, Cahier du GRES, Université Montesquieu Bordeaux 4 (IFReDE)
et Université des Sciences-Sociales Toulouse 1 (LEREPS)
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
exhaustif des problèmes qui peuvent se poser à lui mais saura les appréhender selon une
méthodologie pratique directement à l’origine de la résolution du problème. Gabriel Colletis
et Patrick Dieuaide montrent clairement que les travailleurs routiniers sont déstabilisés car
leur emploi correspond aux consensus du rapport salarial fordiste tel qu’il augurait dans les
années 1970-1980 : « Ainsi, de plus en plus, le travail s’apparente à une activité subjective
(jugement, conversation, évaluation), mobilisant de l’information, consommant des moyens
discursifs et langagiers pour sortir des routines établies et permettre la résolution de
prescription. » Concrètement il ne s’agirait pas de faire de tout salarié un ingénieur en
puissance mais de faire de chacun des salariés innovants dans leur domaine. Nous concédons
cependant que cette mutation du salarié doit s’accompagner d’une mutation de l’économie
nationale en général. Par exemple, les salariés allemands du textile ne voyant plus leur
pertinence dans la fabrication de vêtements pourraient utiliser cette compétence dans le textile
du bâtiment.
Non seulement le salarié dispose d’une formation différente mais au delà de cet aspect,
son rôle et son statut au sein de l’entreprise diffère également. En effet, l’idée de centralité des
compétences et du savoir fait de l’entreprise non plus uniquement un lieu de production
matérielle mais également un berceau de la création de nouvelles compétences et de l’échange
entre les différentes connaissances. C’est dans cette optique qu’il nous paraît fondamental de
privilégier la formation professionnelle continue, laquelle permet à l’entreprise d’entretenir
les compétences de ces salariés. Les technologies des innovations contemporaines ne sont pas
rapidement codifiables mais doivent véritablement être assimilées au cours d’un processus de
mise en contact. Cette nécessité explique d’ailleurs, que les entreprises tendent à se concentrer
dans des clusters où elles pourront véritablement assimiler rapidement de nouveaux procédés.
D’autant plus que ces entreprises ont intérêt à développer des standards de compatibilité pour
produire de nouvelles technologies. Cependant nous apportons tout de suite une précision de
taille quant au développement de cette idée de compétence. Elle doit en effet être distinguée
des nouveaux mots d’ordre des entreprises que sont « l’efficacité » et « la gouvernance ».
Dans notre perspective la notion de compétence doit être comprise et conquise par la sphère
politique afin de faire l’objet d’une véritable régulation nationale en dehors de la firme même.
C’est d’ailleurs à cette condition unique que l’on va pouvoir analyser l’adéquation du modèle
allemand, puisque les états et les acteurs publics territorialisés ont un poids majeur dans le
développement de compétences. En effet, il apparaît que le lieu fondamental pour développer
ces compétences cognitives est la formation professionnelle. Celle-ci pourrait permettre à tout
salarié de mobiliser des connaissances pratiques et opérationnelles. Or le système de
Page 62
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
formation professionnelle qui associe des partenaires privés (les entreprises dans le système
dual) et les partenaires publics (syndicats patronaux, Länder) répond de manière satisfaisante
à ces exigences. L’articulation entre des savoirs théoriques et leur mise en pratique dans la
sphère de l’entreprise conduit les personnes à s’interroger sur leur travail et à l’adapter au
secteur voire à l’entreprise même.
Mais ce nouveau modèle centré autour des connaissances sous-tend également que les
connaissances de chacun fassent l’objet de négociations et de réappropriation du groupe.
Gabriel Colletis et Patrick Dieuaide précisent en effet : « Cette dimension collective du
travail, largement sous-estimée sous le taylorisme en raison de la parcellisation des tâches,
fait ressortir l’importance des rapports sociaux de coopération dans l’organisation et la gestion
des formes de l’action collective. » Là encore le modèle rhénan contient un facteur de
distinction notable puisque la collaboration est déjà largement inscrite dans l’ensemble des
institutions de la société allemande comme nous avons pu le voir. On en veut pour preuve que
l’ensemble des problématiques est toujours posé en Allemagne sous l’angle de la subsidiarité,
de la cogestion et des réseaux.
Ce développement des compétences permettrait de déployer une nouvelle mobilité qui
ne serait pas synonyme de précarisation. Cette question permet, une fois de plus, de valoriser
le système allemand qui possède d’importantes instances de régulation intersectorielles. En
effet cette mobilité, qui peut être essentiellement intersectorielle lorsque les compétences sont
spécifiques, est rendue possible par l’importante autorité qu’exercent les centrales syndicales
sur les entreprises, car en Allemagne, leur présence aide à fluidifier la relation entre les
compétences acquises, les compétences forgées dans un précédent emploi et les compétences
requises dans un futur emploi66. Gabriel Colletis et Patrick Dieuaide notent d’ailleurs que la
France perd à ne pas avoir de semblables structures de régulation intersectorielle : « Aussi, la
difficulté d’engager une pleine ré-institutionnalisation des rapports de travail sur le modèle de
la compétence paraît d’autant plus grande qu’il n’existe pas dans ce pays de présence forte de
régulations professionnelle construites sur les marchés de métier qui serait contrepoids à la
logique des marchés internes et à la prédominance de la logique de poste dans les systèmes de
classification. Cette configuration constitue une source de blocage majeur pour la définition et
66
G. Colletis et P. Dieuaide, Vers une ré- institutionnalisation du rapport salarial centrée sur la question des
compétences. Un nouveau chantier pour l’ATR, Cahier du GRES, Université Montesquieu Bordeaux 4 (IFReDE)
et Université des Sciences-Sociales Toulouse 1 (LEREPS)
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
la mise en place par les partenaires sociaux de régulations plus transversales, à partir
notamment de la reconnaissance d’appellations d’emploi plus "génériques" au niveau de la
branche. » Peter A. Hall et David Soskice67 réaffirment cette idée lorsqu’ils caractérisent la
puissance des organisations patronales, qui garantirait que toute entreprise s’investira dans le
système de formation, excluant ainsi les comportements de passagers clandestins dans
lesquels d’aucuns profitent des efforts de formations des autres.
Nous venons de présenter l’idée d’une mutation du capitalisme industriel vers un
capitalisme cognitif. Cependant, nous ne pouvons ignorer qu’il existe encore aujourd’hui des
formes de néo-taylorisme dans lesquelles le stress et la pression au travail ont remplacé la
pénibilité. En effet la course à la rentabilité peut parfois se traduire par une pression
importante sur les salariés. En France les suicides au Technocentre de Guyancourt (PSA),
chez France Telecom, chez HSBC, chez BNP Paribas et chez IBM68 qu’on peut parfois lier
aux conditions de travail, révèlent que la mutation vers le capitalisme cognitif ne s’est pas
encore totalement réalisée. Il est intéressant de confronter la responsabilité des entreprises
dans cette nouvelle forme de taylorisme avec la prétendue « responsabilité citoyenne »
qu’elles endosseraient à travers le concept de « RSE ». Cette comparaison ne fait qu’avaliser
l’idée que les régulations devraient être prises par les instances fédérales et fédérées.
B. A la recherche de la centralité des compétences cognitives dans
l’éducation allemande
Les pôles économiques intégrés dans le système actuel de concurrence internationale,
créent leur valeur ajoutée immatérielle à partir de la maîtrise de connaissances. Leur situation
se voit ainsi influencer essentiellement par l’éducation, l’information, le savoir faire et la
créativité. Améliorer l’éducation et la formation peut permettre à la fois de ne pas agir dans
une approche de top down tout en s’inscrivant dans la logique actuelle de compétitivité sur
l’immatériel. En effet comme le rappelle le groupe franco-allemand sur la compétitivité,
« Pour des pays comme la France et l’Allemagne, la dynamique de l’avantage compétitif
repose très largement sur une articulation adéquate entre les efforts d’innovation et les efforts
de formation ». Dans cette partie, il s’agira de s’interroger sur la capacité de l’Allemagne à
67
Peter A. Hall et David Soskice, Les Variétés du Capitalisme, l’Année de la Régulation, n°6 2002-2003,
Presses de Sciences-Po, 2003, p 47-115
68
Stéphane Lauer, Souffrances et suicides au travail, Le Monde du 21 Mars 2008, édition numérique
Page 64
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
développer les compétences nécessaires à ce qui pourrait être le modèle de demain, le
capitalisme cognitif.
L’Allemagne enregistre de bonnes performances dans le système de formation
continue et plus encore dans celui de formation initiale. L’ensemble du système de formation
professionnelle est en effet assis sur trois principes : celui de subsidiarité, de métier et de
consensus. De sorte que ce « Dual System », qui associe un enseignement en entreprise et
dans une école professionnelle (Berufsschule), se caractérise par une renégociation
permanente entre l’ensemble des acteurs économiques, des partenaires sociaux et des
structures politico-administratives. Il ressort de cet engagement constant des employeurs et
des syndicats autour de la politique de formation professionnelle, une forte adéquation entre
les qualifications dispensées et les besoins économiques de la société. En effet les syndicats
sont fortement investis puisque ce sont eux, aidés de l’Etat, qui définissent les compétences
d’avenir et incitent les entreprises à offrir des places d’apprentissage. L’ensemble de ces
caractéristiques est relevé en 1990 par Robert Rivière, ancien inspecteur principal de
l'enseignement technique de l'académie de Grenoble et consultant auprès de la CEE, qui a
réalisé une étude sur la formation professionnelle initiale et sur l'apprentissage en Europe.
Sur le cas de l’Allemagne, il conclue ainsi : « C'est le pays qui semble réussir le mieux dans
le domaine de l'apprentissage. En 1988, 56,6 % des jeunes d'une classe d'âge poursuivent une
scolarité dans le cadre du Dual System. Les centres où les jeunes reçoivent une formation, un
jour et demi par semaine, sont placés sous la tutelle des Länder, alors que la formation, en
entreprise dépend des chambres consulaires. Sur le plan pédagogique, il n'existe pas de
coordination entre les deux formations d'une durée totale de trois à quatre ans. Dans
l'entreprise, le jeune est d'abord placé dans une sorte d'atelier-école. Lors d'une deuxième
étape, il travaille dans un atelier de production " en douceur ", et il est enfin suivi par les
contremaîtres dans l'atelier. »69 Encore récemment Pierre Doray et Diane-Gabrielle
Tremblay70 affirmaient que « L’accroissement de la participation à l’éducation et la formation
professionnelle ont amené une amélioration importante des qualifications et des compétences
dans la population active en général. Au cours des 15 dernières années, le niveau général de
qualification professionnelle de la population active est passé de 65% à 80%. On s’attend à ce
que ce pourcentage atteigne les 90% en 2010. Les Länder qui ont la compétence exclusive des
69
Valérie Collet, Elèves ou Salariés, Le Monde du 24 octobre 1990, édition numérique
Pierre Doray, Diane-Gabrielle Tremblay et Irène le Bot, Vers de nouveaux modes de formation
professionnelle ?, rôle des acteurs et des collaborations, 2000, PUQ, p123
70
Page 65
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
politiques de formation, sont aujourd’hui des acteurs majeurs de la définition des enjeux
éducatifs ». Ce dual System comporte des atouts de premier plan dans le régime cognitif que
nous présentons. En effet les technologies au cœur de l’innovation sont de moins en moins
codifiables, elles nécessitent de plus en plus d’être assimilées par un apprentissage à leur
contact. Cette idée explique d’ailleurs la multiplication des clusters et autres phénomènes de
métropolisation qui se justifient par la nécessité d’échanger concrètement et informellement
des connaissances. Les entreprises concèdent d’ailleurs à le faire car elles misent aujourd’hui
sur le développement de technologies à partir de standards de compatibilité.
Cependant quelques tensions se sont fait sentir depuis l’unification car les entreprises
des nouveaux Länder ne parviennent pas à donner réponse à toute demande d’apprentissage,
ce qui a conduit l’état fédéral à prendre le relais. De même la structure négociée peine à
accréditer les nouvelles formations pourtant indispensables dans le nouveau cadre de la
compétition mondiale. Or, ce qui nous paraît fondamental pour l’avenir, est de développer le
rôle des intermédiaires qui puissent faire interagir des individus provenant de milieux divers.
En effet une entreprise ne peut plus aujourd’hui concentrer l’ensemble de ces innovations
dans des secteurs de recherche et développement, puisque le processus innovateur naît de
l’échange entre les différentes structures internes et externes à l’entreprise. De ce fait, le
manque de manageurs, de marqueteurs et de gestionnaires de projet semble être une des
failles principales de l’Allemagne à l’aune du capitalisme cognitif qui suppose que « Au
travers de la mutation technologique ne se jouait pas seulement la capacité pour une industrie
ou un pays à se repositionner dans la compétition internationale en choisissant les bons
« créneaux » ou les bonne spécialisations. Se jouait surtout la capacité à faire évoluer son
modèle de management et à mettre en place des potentiels d’innovation fondés sur
l’acquisition et la gestion de trois types de connaissances : des connaissances techniques du
type de celles qui peuvent faire l’objet d’un brevet : des qualifications et des compétences
nécessaires à l’accomplissement des tâches et le type de connaissance nécessaires au
management et aux décisions de caractère stratégique. »
Malgré ces récentes contre-performances, l’Allemagne possède d’ores et déjà la
structure idéale pour s’adapter à l’économie des savoirs, de part la densité des liens entre
entreprises, système scolaire et syndicats.
C’est en étudiant les compétences dispensées que l’on pourra également confronter le
système de formation allemand avec le capitalisme cognitif. En effet, comme nous avons pu
le voir dans la partie précédente, celui-ci est fondé sur l’idée de compétences c’est à dire de
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
savoirs en actions, que l’on est capable de mobiliser pour résoudre des problèmes inconnus.
Les compétences qui devraient ainsi être encouragées sont avant tout celles, qui tendent à
développer la créativité, les compétences clefs et plus généralement la faculté d’apprendre
dans de brefs délais. Même s’il demeure encore trop insuffisant, le développement en
Allemagne du Wissensmanagement témoigne de l’adaptation du système allemand aux
nouveaux enjeux de la formation. Des Länder comme le Bade-Wurtemberg qui considère que
« l’innovation naît dans un processus où l’économie, la science, la formation et la société
agissent en réseau, et dont le centre est l’individu en tant que porteur des savoirs », en passant
par des entreprises telles que Siemens qui a mis en place des groupes de pilotage sur le
Wissensmanagement, c’est une grande partie du système allemand qui s’est mis au pas des
modernisations nécessaires. Les Ministères de l’Economie et des Technologies, de
l’Economie et du Travail ainsi que celui de la Recherche et de la Formation ont tous les trois
mis en œuvre des programmes sur le Wissensmanagement tel que le réseau « SENEKA »
(1999-2004), l’initiative « WissensMedia » et « Fit für den Wissenswettbewerb » (2005). Les
partenaires traditionnels des politiques de l’innovation et de la formation que sont, entre
autres, la fondation Steinbeis ou la société Fraunhofer considèrent également que « la culture
d’entreprise et une GRH [sont nécessaires pour permettre] à l’entreprise de développer sa
capacité à absorber le savoir ». Les résultats de ces programmes ainsi que ceux développés sur
les savoirs opérants, ne pourront être évalués que dans le long terme.
Un des derniers aspects d’une politique de formation performante et adaptée aux
nouveaux enjeux est sa bonne intégration dans le jeu international. Or si le système allemand
avait perdu de son attractivité, le processus de reconnaissance des diplômes nationaux dans le
cadre européen participe d’une volonté nouvelle de s’inscrire encore davantage dans la
compétition mondiale. Cependant l’enjeu n’est pas d’accaparer les cerveaux des autres pays
mais bien plus d’assurer une coopération transfrontalière fructueuse à long terme.
Pour l’heure, un constat positif peut se faire : l’Allemagne tend à améliorer ses
performances dans l’internationalisation des formations. En effet les chercheurs allemands
demeurent plus mobiles que les chercheurs français mais encore bien moins que les
chercheurs américains. Depuis 2005 se trouvent à Bonn les sièges d’organisations des
Nations-Unies qui œuvrent pour la coopération internationale et la mise en réseau des
formations. Parmi ces organisations, on trouve entre autre l’UNESCO-UNEVOC
International Centre for Technical and Vocational Education and Training (centre
international pour l’éducation professionnelle et technique et pour la formation) qui met en
Page 67
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
place un réseau mondial de 157 pays dans le domaine de la formation professionnelle. Lors de
sa présidence de l’Union Européenne, Angela Merkel, dont la devise fut « relier les
formations », a, dans le domaine de la formation, mis en place un portail de coopération entre
recherches internationales.
Si le capitalisme cognitif se caractérise par une accumulation de connaissances, il se
manifeste empiriquement par la place centrale attribuée à l’innovation. Ainsi L’Allemagne,
mettant en jeu un déploiement continu de connaissances, ne satisfait pas à toutes les
conditions de ce nouveau type de capitalisme. Pour porter une appréciation d’ensemble de la
puissance germanique à l’aune du capitalisme cognitif, il faut désormais se pencher sur sa
capacité innovatrice.
Capitalisme fordiste :
Rémunération fonction de la
productivité versus gestion
taylorienne du travail
Développement
des fonctions
d’exécution et
d’encadrement
Capitalisme cognitif :
Développement de
compétences cognitives mises
en réseau versus valorisation
de l’employé
Compétences à
développer grâce à des
formations
professionnelles
opérationnelles et une
coordination entre tous
acteurs
System dual allemand
offrant la possibilité d’une
confrontation et d’une
renégociation permanente
entre la théorie et la
pratique située dans le
cadre même de l’entreprise
Système de coordination
permanente ancré dans
une « culture allemande »
Figure 3 – Du Capitalisme Fordiste au Capitalisme Cognitif
Page 68
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
CHAPITRE 2 - LA
TOUJOURS
« DEUTSCHLAND
AUSSI
AG »
PERFORMANTE
CAPITALISME COGNITIF
SERA-T-ELLE
AU
SEIN
DU
?
A la vue des récentes performances économiques enregistrées par l’Allemagne, la
réponse à cette question paraît évidente. En effet, comme nous avons pu le voir dans les
parties précédentes, l’Allemagne a su se spécialiser sur des activités à forte valeur ajoutée,
peu élastiques au prix, lui conférant un atout dans le commerce international. De même, les
nouvelles analyses du commerce international en termes de flux de valeur ajoutée confirment
la bonne santé du système économique allemand. Mais au delà de ces aspects très positifs,
nous allons tenter ici, de confronter l’organisation économique allemande aux postulats du
capitalisme cognitif. Ce modèle étant défini empiriquement par « la place importante de la
recherche, du progrès technique, de l’éducation, de la circulation de l’information, des
systèmes de communication, de l’innovation, de l’apprentissage organisationnel et du
management stratégique des organisations. »71 C’est à l’aune de cette analyse qu’il nous
semblera plus pertinent de juger le système et d’en estimer la pertinence.
Section 1 - Etat des lieux du système allemand à l’heure du
capitalisme cognitif
Promouvoir le capitalisme cognitif, c’est investir dans l’innovation à tous les niveaux
et dans toutes les firmes en développant des politiques publiques rénovées aussi bien dans le
domaine de l’innovation lui-même, que dans celui de la formation et, d’une manière plus
générale, de l’ensemble du système socio-productif.
Toutefois s’interroger sur les capacités innovatrices de l’Allemagne, exige d’abord de
maîtriser ce qui est en œuvre dans l’innovation. Celle-ci est avant tout un processus, ce qui
nous conduit à préférer le terme de Système National d’Innovation (SNI) à celui d’innovation.
71
Programme de recherche d’A. Corsani, P.Dieuaide, M. Lazzarato, J - M. Monnier, Y. Moulier-Boutang, B.
Paulré et C. Vercelonne, Le capitalisme cognitif, comme sortie de la crise du capitalisme industriel,
Modélisations appliquées, Trajectoires institutionnelles, Stratégies socio-économiques, Unité Mixte du CNRSUniversité Paris 1, n° 8595. Matisse
Page 69
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
L’idée de SNI sous-tend une conception particulière de l’innovation selon laquelle cette
dernière n’est pas un facteur exogène mais bien un processus endogène collectif et lié aux
formes institutionnelles, économiques, technologiques et sociales du système socio-productif
d’un pays.72 Son concept repose sur trois postulats : la prise de décision économique s’appuie
sur des fondements institutionnels, l’avantage économique d’un pays est lié à la variété et à la
spécialisation et enfin la connaissance technologique est engendrée par l'apprentissage
interactif ce qui donne naissance à des "bases de connaissance" différentes selon les agents.73
Il nous semble également fondamental d’avoir une perspective large sur ce qu’est
l’innovation. En effet, elle ne consiste pas uniquement en l’amélioration de productions
technologiques, elle passe aussi par des processus nouveaux sur les plans organisationnels et
institutionnels. Au delà même de ces aspects, une unité mixte de recherche CNRS74 postule
que les consommateurs innovent également : « Le capitalisme cognitif peut donc être compris
comme un régime dans lequel les stratégies concurrentielles des firmes reposent sur
l’innovation et dans lequel les consommateurs aussi innovent. » Si nous n’étudierons pas la
part d’innovation provenant du consommateur, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que la
priorité des entreprises allemandes donnée à la différenciation, procède de la reconnaissance
de la diversité des utilisateurs.
72
Bruno Amable (CEPREMAT), Les systèmes d’innovation, juin 2001
Smith K, Innovation as a systemic phenomenon: Rethinking the role of policy, Draft, [1998]
74
Programme de recherche d’A. Corsani, P.Dieuaide, M. Lazzarato, J - M. Monnier, Y. Moulier-Boutang, B.
Paulré et C. Vercelonne, Le capitalisme cognitif, comme sortie de la crise du capitalisme industriel.
Modélisations appliquées, Trajectoires institutionnelles, Stratégies socio-économiques, Unité Mixte du CNRSUniversité Paris 1, n° 8595. Matisse
73
Page 70
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
A. Une compétitivité allemande qui pourrait se maintenir dans le
capitalisme cognitif
A.1. Innovation incrémentale contre innovation radicale ?
Florence Autret75 distingue deux types d’innovation pour lesquels l’Allemagne aurait
des performances inégales, l’innovation incrémentale et l’innovation radicale. L’innovation
incrémentale, qui consisterait en une amélioration d’un produit déjà existant, se distingue de
l’innovation radicale, qui viserait à créer un tout nouveau produit. Selon l’auteur, c’est la
capacité, l’efficacité et l’étendue des réseaux allemands (que nous avons étudié dans une
première partie) qui seraient à l’origine des nombreuses innovations incrémentales d’OutreRhin. On peut expliquer ceci en caractérisant le processus même de l’innovation
incrémentale. En effet, l’innovation ne se décrète pas uniquement dans les unités de recherche
et développement mais dans l’interaction entre les différents secteurs de l’entreprise. Pour que
l’invention, c’est à dire l’idée de départ, se constitue en innovation, il faut que des acteurs
parviennent à lui donner du sens. Cette création de sens ne se réalise que par l’intermédiaire
de « passeurs », qui réalisent des découvertes intermédiaires et des mises en œuvre concrètes.
Le processus générateur d’innovation incrémentale, nous permet de justifier les bonnes
performances allemandes dans des domaines de moyenne technologie tels que l’automobile,
l’électronique, la chimie et les machines-outils. En effet, la dynamique des réseaux d’acteurs
divers contribue à diversifier les milieux d’origines et les approches de ces différents
« passeurs ». Or ces mêmes réseaux sont effectivement présents en Allemagne, entre les
entreprises, les banques, les nombreux organismes publics et privés, les organisations
syndicales, les domaines de la formation et de la recherche et les administrations des Länder.
De même dans la perspective des chaînes de valeurs globales développée par Gary Gereffi, le
fonctionnement en réseau peut constituer un atout considérable pour le développement de
filières pilotées par l’amont. Or, dans ce type de filière la barrière à l’entrée est constituée par
la technologie. Les firmes, qui sont logiquement dominantes dans ce système, sont en effet
celles qui maîtrisent les processus d’innovation soit parce qu’elles innovent elles-mêmes, soit
parce qu’elles articulent des compétences pour l’innovation. Gary Gereffi précise en effet
qu’aujourd’hui aucune firme ne peut prétendre maîtriser l’ensemble du processus de
75
Sous la direction d’Isabelle Bourgeois, L’innovation technologique en Allemagne, performances et limites
d’un système, Regard sur l’économie en mutation, Allemagne 2001, p 39-59
Page 71
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
l’innovation, et qu’elles ne peuvent que la provoquer par une organisation en réseau. Ainsi,
dans cette perspective, les atouts de la maîtrise du cœur stratégique de recherche et
développement alliée à une organisation en réseau sont essentiels pour développer des filières
innovatrices.
De ce fait, les statistiques économiques de 2007 confirment la très bonne santé de la
compétitivité allemande dans ses domaines de spécialisation. Alors que la France annonce un
déficit de sa balance extérieure de près de 39 milliards d’euro, l’Allemagne enregistre un
excédent de près de 200 milliards d’euros, preuve s’il en est de la pertinence du modèle
allemand. Un exemple de la performance de l’Allemagne sur les produits à forte valeur
ajoutée pourrait être l’automobile qui, face à un marché en berne, a cependant réussi à
augmenter ses ventes de 11%. Signe de la vigueur du modèle allemand, ses grands groupes
ont vu leurs bénéfices augmenter plus rapidement que leurs concurrents américains.
A l’inverse, les réseaux de financement d’entreprises, la mobilité limitée du personnel
et les conditions de concurrence seraient, selon Florence Autret, peu favorables à la création
de produits radicalement nouveaux. Bob Hancké76 ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit : « De
plus les difficultés dans les tests, le processus long d’agrémentation du médicament et les
coûts élevés dans la Recherche et Développement font peser sur ce secteur des risques
financiers très importants. En conséquence, les systèmes institutionnels déréglementés dans le
marché du travail et du capital, qui caractérisent les économies de marché libéral, sont les plus
appropriés pour les secteurs de biotechnologies ».
Si cet aspect pourrait nous conduire à relativiser la pertinence du modèle rhénan, les
performances économiques allemandes dans le domaine des biotechnologies nous invitent à
revoir notre jugement. Dès les années 1960, le gouvernement allemand a initié des politiques
de développement pour la recherche en biotechnologies et, en 1996, il a lancé le concours
BioRegio pour combler le déficit d’industrie de ce secteur. Aujourd’hui l’Allemagne se classe
à la même place que l’Angleterre dans l’innovation biotechnologique. Or la biotechnologie
est fondamentalement un domaine d’innovation radicale, qui se détache des domaines de
spécialisation traditionnels de l’Allemagne axés sur des produits de moyenne technologie à
forte valeur ajoutée. Ainsi, si la critique d’absence d’innovation radicale en Allemagne n’est
76
Bob Hancké, Varieties of capitalism revisited: Globalisation and comparative institutional advantage, la lettre
de la régulation n°30: “Moreover, the difficulties in testing, the long-term nature of drug approval and the high
R&D costs, make financial risk extremely high in this segment. As a result, the deregulated institutional
arrangements in the labour and capital markets that characterise the liberal market economies are the most
appropriate for this business line in bio-tech.”, p1-4
Page 72
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
pas dénuée de fondement, sa généralisation pourrait empêcher de percevoir certaines nuances
du système productif allemand et surtout les progrès qu’il a pu obtenir sous le soutien
gouvernemental.
A.2. Un déficit dans les services ?
Henrik Uterwedde identifie la relative absence du secteur tertiaire comme un défi de
l’Allemagne actuelle : « née sous le signe de la société industrielle, celle-ci doit s’adapter à la
logique d’une économie tertiarisée dont le savoir et la capacité d’innovation constituent les
nouvelles ressources de compétitivité »77. De même, la spécialisation allemande, si elle
permet de bonnes performances dans des innovations technologiques néglige de manière
importante les compétences complémentaires telles que le management, le marketing,
l’informatique etc. De ce fait, le comité de pilotage du rapport du groupe franco-allemand sur
la compétitivité
conclut « Les firmes allemandes ont tendance à trop miser sur la
sophistication technologique et insuffisamment sur les attentes du marché et sur la réactivité à
son égard. Tout l’enjeu consiste à renforcer ce dernier aspect, sans relâcher les efforts en
faveur du domaine technologique.» En outre, malgré des réseaux étendus entre entreprises et
centres de recherche, l’Allemagne peine à valoriser l’ensemble des innovations
technologiques. Si les statistiques sur les brevets déposés, les publications scientifiques ou la
part du commerce des biens riches en Recherche et Développement placent l’Allemagne
largement en tête des pays européens, elle ne paraît pas maîtriser suffisamment le temps qui
s’écoule entre l’innovation et son application marchande. Dans ce dernier domaine,
l’Allemagne est bien moins compétitive que des pays tels que les Etats-Unis, le Japon ou
Singapour.
Pourtant, comme le reconnaît Florence Autret, les activités de service sont
inégalement porteuses d’innovation. Ce sont des domaines tels que l’audit, le conseil ou les
services informatiques qui sont riches en innovation, or ces derniers sont nettement plus
présents en Allemagne que le laisseraient penser les statistiques globales sur le tertiaire. De
plus, il faut considérer le fonctionnement du système allemand pour lequel l’importance des
réseaux complets d’entreprises est une source d’information primordiale se substituant au
recours important en France et en Grande-Bretagne aux sociétés de conseil. Comme nous
77
Henrik Uterwedde, Le « capitalisme rhénan » : défis d’adaptation et compétitivité virtuelle, La lente
transformation du « modèle rhénan », Le modèle social en mutation, Allemagne 2001, sous la direction
d’Isabelle Bourgeois, préface de René Lasserre, CIRAC, p 195-203,
Page 73
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
l’avons vu dans la partie précédente, l’Allemagne manque de formations pour la stratégie, la
gestion de projet, et les ressources humaines, or c’est véritablement à ce niveau que, dans
l’otique du capitalisme cognitif, l’on peut reprocher son inadaptation au « tertiaire ».
Si ce débat sur l’insuffisance du secteur tertiaire (Dienstleistungkultur) fait rage en
Allemagne, il ne consiste pas pour autant en un risque majeur pour l’économie allemande. En
effet les performances en berne de la France témoignent du fait qu’il faut mieux posséder une
industrie solide sur laquelle se greffe des services, que l’inverse. La France, qui a cru par abus
de langage que l’ère du « tertiaire » devait aboutir sur le recul des industries, affiche
aujourd’hui des performances bien moins enviables que celles de l’Allemagne. Florence JanyCatrice, membre du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques
(CLERSE) révélait, dans le Monde du 25 février 2008, la précarité de certains emplois de
service : « Les emplois créés dans ces services l’ont été sur la base d’une durée du travail
incroyablement faible. [...] Mais peut-on encore parler d’ « emploi » ?... Et faut-il
s’enorgueillir d’une telle expansion ? ». Seule une ville comme Londres, qui s’est
historiquement spécialisée dans les services de très haute valeur ajoutée, peut vanter les
mérites du tout-service. Nous verrons par la suite que le débat allemand sur les services perd
surtout de sa crédibilité lorsque l’on étudie le système puissant d’investissements directs
allemands à l’étranger, qui conduit à l’externalisation des services et des activités
commerciales, tout en préservant le cœur stratégique des activités en Allemagne.
A.3. Une économie qui fait la course en tête dans le jeu international
En Allemagne, il est symptomatique que les Investissements Directs à l’étranger (ID
sortants) soient largement supérieurs aux Investissements Directs en Allemagne (ID entrants).
Les ID allemands sont largement le fait du Mittelstand qui tente d’obtenir à l’étranger des
avantages comparatifs en terme de coûts de main d’œuvre par exemple, ou d’accès aux
marchés, tout en gardant sur le sol national le cœur de leur métier. Au contraire les ID
entrants sont relativement faibles du fait de la cohérence du système socio-productif allemand
qui ne facilite par la prise du capital d’une entreprise allemande par une firme étrangère. De
plus les motifs d’ID entrants témoignent de l’attractivité du Standort Deutschland
puisqu’outre la volonté d’avoir accès à la demande intérieure, il s’agit également de profiter
des compétences du système socio-productif allemand. L’économie allemande et le modèle
Page 74
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
rhénan comportent donc aux yeux des investisseurs étrangers des avantages comparatifs très
importants.
Pour revenir aux ID sortants, il s’agit de montrer en quoi ils témoignent de la très
bonne intégration de l’Allemagne dans le capitalisme cognitif. En effet, tout en maîtrisant et
perfectionnant son système, l’Allemagne parvient à trouver à l’étranger ce qui constituent ses
faiblesses : le manque des services et les technologies high-tech. En effet comme l’explique
Rémi Lallement78 « Concernant les ID allemands à l’étranger, ceci se traduit notamment par
le fait qu’il s’agit très souvent d’activités commerciales ou de service implantées par des
entreprises industrielles. [...] Les entreprises allemandes de la construction mécanique sont
parvenues à renforcer leurs positions concurrentielles en intégrant des innovations
microélectroniques de provenance étrangère. Depuis quelques années, un phénomène
similaire se produit avec le cas déjà mentionné des biotechnologies : les savoirs accumulés
dans ce domaine par les grandes firmes allemandes de la chimie-pharmacie, en grande partie
via des petites unités de R&D contrôlées à l’étranger ou sous contrôle étranger en Allemagne,
ont permis dernièrement à ce pays de se situer au deuxième rang mondial, derrière les EtatsUnis en tant que site de production et de développement ». Ainsi les débats sur le manque de
services ou sur la faiblesse des activités de haute technologie en Allemagne paraissent moins
pertinents, lorsqu’on s’aperçoit que ces activités sont externalisées pour mieux parfaire la
spécialité industrielle de l’Allemagne. C’est d’ailleurs sur ce point que conclut Rémi
Lallement en affirmant : « Dans cette optique, le développement des ID allemands à l’étranger
témoigne indéniablement d’une tendance à la délocalisation, surtout en direction de pays à bas
salaires d’outre-mer et, désormais, vers les PECO, en particulier pour des segments d’activité
intensifs en travail peu qualifié, à faible valeur ajoutée et très sensibles à la concurrence par
les coûts. Par ce biais, les entreprises allemandes sont parvenues à améliorer leur
compétitivité prix. Au delà – et ce, tant pour les entreprises allemandes que pour les firmes
étrangères installées outre-Rhin – les ID ont permis au « site Allemagne » de se repositionner
en adaptant son appareil productif à la demande domestique et mondiale, en accentuant sa
spécialisation sur des critères de compétitivité hors-prix : qualité et image de marque des
produits, service à la clientèle, respect des délais de livraison, flexibilité et, in fine, capacité
d’innovation. »
78
Rémi Lallement, Compétitivité : Investissement direct, compétitivité et attractivité, Regards sur l’Economie
Allemande, n° 76, CIRAC, Mai 2006
Page 75
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
Quand l’on adjoint à ces raisonnements l’idée que les ID sortants allemands vont de
pair avec un gonflement du commerce extérieur puisque les composants importés sont ensuite
réintégrés à des produits exportés, la plasticité du système allemand est alors totalement
révélée. En effet l’Allemagne demeure le premier exportateur mondial en 2007 devant la
Chine et les Etats-Unis. L’édition du Monde du 16 janvier 2008 accrédite ces bons résultats :
« Une fois encore, la première économie de la zone euro a été soutenue par la puissance de ses
exportations. En novembre, l'excédent commercial a atteint 19,3 milliards d'euros outre-Rhin,
un niveau inégalé depuis dix-sept ans. ‘Le commerce extérieur a profité de la bonne
croissance mondiale et contribué à plus de la moitié de la hausse du PIB’, détaille Matthias
Rubisch, économiste à la Commerzbank. »79 Les exportations allemandes demeurent, avant
les investissements étrangers, le moyen principal d’accéder aux débouchés étrangers. De cette
idée Isabelle Bourgeois en tire des conclusions sur l’impératif d’innovation de ce système :
« Cela est dû à une série de facteurs structurels. Le premier est la forte internationalisation
d’une industrie qui, pour préserver sa compétitivité à l’export, innove essentiellement en
rationalisant ses process »80. C’est la nécessité pour l’Allemagne d’innover pour rester
compétitive à l’export qui fait de son modèle rhénan un système répondant en grande partie
aux enjeux du capitalisme cognitif.
L’ensemble des ces remarques ne conduit absolument pas à une conjecture négative
prophétisant la disparition du modèle allemand mais bien plus vers un approfondissement de
son attractivité et de sa performance à l’ère du capitalisme cognitif.
B. Les acteurs politiques de cette compétitivité
Une remarque liminaire consisterait à insister sur le fait que la présentation des acteurs
se concentrera, dans cette partie, uniquement sur les acteurs politiques que sont, en
Allemagne, l’Etat Fédéral et les Länder. Cependant l’Allemagne est caractérisée par une
situation de multilatéralisme important dans l’ensemble des décisions relatives à la
compétitivité, puisqu’elle intègre à la fois ces acteurs politiques mais aussi des organismes
privés, des syndicats et des entreprises. Ce phénomène, à l’origine même des bonnes
performances allemandes, sera exposé en détail dans la deuxième section de ce chapitre. Il
79
Marie de Vergès, Dynamique en 2007, l’économie allemande devrait ralentir en 2008, le Monde du 16 janvier
2001, édition numérique
80
Isabelle Bourgeois, Comment l’intelligence vient aux PME, (CIRAC), Regard sur l’économie allemande, n°
74/2005, pp. 29-36
Page 76
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
s’agit dès à présent d’évaluer les politiques et les orientations des décideurs publics et de les
confronter aux impératifs du capitalisme cognitif.
Les budgets de la recherche et développement ont été redéployés entre les différents
acteurs, L’état est ainsi passé de 22,1% à 19,4% de 1991 à 1997 alors que les Länder ont vu
leur budget s’accroître sur la même période de 16% à 18,2%. Présentant ces statistiques,
Florence Autret81 n’en prend pas toute la mesure puisqu’elle se tient à caractériser uniquement
la politique de l’Allemagne fédérale. Les Länder allemands qui, au cours de ces dernières
années ont vu leurs compétences s’accroître de manière conséquente, sont en effet des acteurs
majeurs de la politique de compétitivité. Le site du Ministère Fédéral de l’Economie
allemand82 tient lui même compte de ces évolutions en inscrivant dans les buts à atteindre : «
Nous voulons qu’à travers la mise en réseau de Standort régionaux économiques et de
recherches ainsi que des Cluster thématiques, la compétitivité des entreprises soit
consolidée». Les Länder occupent déjà depuis longtemps une place capitale quant à la
définition de l’attractivité des régions. Cela s’explique en partie par le polycentrisme
allemand et le principe de subsidiarité qui ont conduit les Länder à différencier leur territoire
pour obtenir des avantages concurrentiels. Le passé de l’Allemagne l’a toujours conduite à
privilégier la multiplicité des centres de pouvoirs d’où l’importance actuelle qu’ont pris les
Länder allemands. Ainsi, il est essentiel de noter que les Länder ont obtenu une avance non
négligeable sur le développement des territoires, car l’Allemagne possédait déjà de nombreux
pôle de compétences quand la France commençait à développer la politique des pôles de
compétitivité.
L’avènement d’une politique européenne ambitieuse a plus ou moins desservi les
volontés des seize Bundesländer. En effet, ils ont du évoluer avec un nouvel échelon
susceptible de leur reprendre certaines compétences, mais ils sont parvenus à renégocier leur
compétences et à ancrer la politique d’innovation dans un « régionalisme » certain. A
l’occasion du transfert de certaines compétences au niveau européen (Traité de Maastricht,
1992), la Loi Fondamentale, définissant les compétences de chaque échelon, a été modifiée de
sorte que « La logique intra-allemande de la répartition des compétences a été transposée aux
compétences en matière d’affaires européennes [...] Et les structures entrelacées préexistantes
81
Florence Autret, L’innovation technologique en Allemagne, performances et limites d’un système, sous la
direction d’Isabelle Bourgeois, Regard sur l’économie en mutation, Allemagne 2001, p 39-59
82
www.bmwi.de
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
du système fédéral ont simplement été doublées. »83. Plus que le transfert de compétences à
l’échelon européen, c’est le manque d’ambition de la réforme du fédéralisme de 2006 qui
soulève des critiques, puisqu’elle n’a réussi ni à donner les marges de manœuvres suffisantes
à chaque état, ni à parfaire une politique de redistribution égalitaire entre les Länder. Tout le
défi rencontré est de permettre à chaque région de réaliser une véritable politique active de
développement économique, sans en abandonner certaines qui moins à même de le faire.
Henrik Uterwedde le résume ainsi « Il est possible de transformer le fédéralisme coopératif en
un fédéralisme compétitif clarifiant et séparant les compétences, et redonnant ainsi plus
d’autonomie aux Länder, au prix, il est vrai, d’une inégalité territoriale probablement plus
accentuée ».
En ce qui concerne les mesures prises par les Länder, il faut dès à présent mettre en
garde contre l’option qui consisterait à attirer les entreprises grâce à une politique fiscale
avantageuse. Jean François Thisse observe en effet « La concurrence sur les subventions entre
régions rappelle la concurrence en prix entre firmes. Dans les deux cas, les grands
bénéficiaires sont les clients, ici les entreprises. L’économie industrielle nous enseigne, et les
marchés nous montrent, que les entreprises ont intérêt à différencier leurs produits afin
d’éviter les effets dévastateurs pour elles d’une guerre des prix. Lorsque deux régions offrent
des équipements similaires, les entreprises ont la possibilité d’extraire des régions des
avantages fiscaux qui minent la capacité financière et augmentent le coût d’opportunité des
fonds publics »84. Sous l’effet de l’intégration européenne, les Länder ont progressivement
abandonné des politiques financières trop globales, comme l’explique Isabelle Bourgeois :
« Ainsi, la réglementation communautaire relative aux subventions publiques limite la liberté
des Länder pour inviter les entreprises (PME essentiellement) à s’implanter sur leur territoire :
toute aide supérieure à 100 000 € sur trois ans versée à une entreprise est soumise à l’accord
de la Commission. Cette disposition a incité les Länder à infléchir leur politique et à donner
une plus large ampleur à une autre forme de soutien aux PME et à l’investissement : les
programmes de prêts bonifiés proposés par leur banque régionale dédiée au soutien aux
entreprises ». Mais les Länder allemands n’ont globalement pas uniquement mené des
politiques fiscales avantageuses, ils ont également opté pour une politique d’ensemble passant
par de bonnes infrastructures, un soutien aux réseaux développés et à l’intégration des
différentes entreprises et centres de formation et de recherche présents sur leur territoire, ainsi
83
A. Eppler, Föderalismusreform und Europapolitik, Aus Politik und Zeitgeschichte, n°50/2006, décembre 2006
Jacques-François Thisse et Tanguy van Ypersele, Métropoles et concurrence territoriale, Economie et
Statistique n°326-327, 1999- 6/7, p 19-29
84
Page 78
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
que des politiques de formations ambitieuses. Grâce à leur politique volontariste, les Länder
parviennent à transformer des ressources en actifs spécifiques, vecteurs de l’augmentation de
leur pouvoir de négociation vis à vis des entreprises. Des Länder comme la Rhénanie du Nord
Westphalie et encore davantage le Land de Bavière ont compris, avant l’heure, qu’il fallait
mettre en place une politique de développement économique local ambitieuse, fondée sur une
spécialisation qui leur donnerait un pouvoir de négociation face aux entreprises. Ainsi Le
Land de Bavière a décidé en 1995 d’intégrer, au sein de sa politique structurelle « Offensive
Zukunft Bayern », la remise d’un prix à une entreprise très innovante de son territoire. Elle
mène ainsi, à son échelle, des politiques conçues dans le même esprit qu’Excellenzinitiative
ou BioRegio que nous présenterons par la suite. Isabelle Bourgeois résume ainsi ce
processus : « Tout l’art consiste pour chaque Land à concevoir son propre projet de
développement territorial et à mêler intelligemment, lors de sa mise en œuvre, fonds
extérieurs et ressources propres. Il en va de son identité comme de son positionnement dans la
concurrence entre les Länder qui se trouve avivée aujourd’hui, notamment du fait de la
globalisation, par une mobilité des facteurs, dont ces ressources humaines à l’importance
stratégique dans l’économie du savoir ». La région de Bade-Wurtemberg est ainsi
symptomatique puisqu’elle possède des métropoles d’innovation nombreuses. De même la
Ruhr qui fut autrefois un pôle dans l’énergie du charbon et de l’acier, a utilisé les
infrastructures existantes pour développer la logistique. De plus les Länder ont développé une
politique proactive en matière de technologie high-tech pour remédier à une faiblesse de la
compétitivité allemande. Isabelle Bourgeois donne l’exemple du Bade-Wurtemberg qui
« fourmille d’exemples à cet égard, concernant la réorientation high-tech de ses pôles
industriels » ou bien de la Saxe qui « pour sa part illustre une stratégie de planification
vertueuse : la graine a pris sur la base d’une culture industrieuse et d’une tradition industrielle
qu’il a suffi de ranimer et d’ancrer d’entrée de jeu dans le high-tech »85. L’Union européenne
n’est pas en reste puisqu’elle est parvenue à coupler en Allemagne le développement
territorial aux mesures de soutien au développement économique tournées vers les pôles de
compétitivité high-tech. Le schéma suivant témoigne que la politique de spécification des
actifs menée par les Länder tend à encourager les réseaux qui sont eux-mêmes porteurs de la
compétitivité et de l’innovation du territoire.
85
Sous la direction d’Isabelle Bourgeois, Allemagne, compétitivité et dynamiques territoriales, Travaux et
documents du CIRAC, p 1-28
Page 79
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
Politiques de
spécification des
actifs pour
acquérir un
avantage
compétitif
Compétitivité du
territoire
Maintien sur le
territoire d’une
forte activité
Les
entreprises
sont attirées
sur le
territoire
Théorie de la
proximité: les
externalités de
connaissance, de
communication et
les effets
d’agglomération
INNOVATION
Lieu de
productions de
savoirs grâce à
l’échange des
connaissances et
des transferts
technologiques
Figure 4 - Le cercle vertueux des politiques proactives des Länder d’Allemagne
De cette importance croissante que prennent les Länder, il ne faut pas conclure en
l’absence de politiques fédérales en matière d’innovation et de soutien à la performance
économique. Ces dernières complètent les politiques régionales et tendent même à favoriser la
compétition entre les Länder.
Il en va par exemple de la politique BioRegio lancée en 1995 en faveur de la
promotion des biotechnologies, pour laquelle l’Etat fédéral a misé uniquement sur les régions
dynamiques. Plus récemment encore, l’initiative Excellenz a mis en concurrence les
différentes universités d’Allemagne dans des secteurs d’innovation de pointe. Ces dispositifs
d’incitation mis en place par l’état fédéral tiennent compte de la nouvelle configuration
décentralisée de l’innovation.
Page 80
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
Comme nous allons le voir dans la partie suivante, l’état fédéral détient également des
compétences plus globales de cadrage légal de l’innovation et même de la formation. A ce
titre, il a multiplié, ces dernières années, des politiques transversales recouvrant plusieurs
champs de la promotion de l’innovation. Cet aperçu des différentes politiques nous permettra
d’apprécier l’action fédérale et, d’une manière plus globale, la capacité de l’Allemagne à
s’intégrer dans ce qui pourra être, la nouvelle donne économique internationale.
Section 2 - Un ensemble de politiques publiques en adéquation avec
les nouveaux enjeux ?
A. Des politiques transversales d’innovation
Nous avons délibérément choisi d’entendre une conception large du système
d’innovation, qui s’étend à toutes les structures économiques et institutionnelles du système
de production. Pour cette raison, nous considérons que les politiques publiques de
l’innovation sont aussi bien sociales, fiscales, et financières que technologiques. Les autorités
publiques allemandes sont conscientes de la nécessité de promouvoir une telle politique
holiste de l’innovation : « Quand on poursuit l’objectif d’un soutien ciblé à l’innovation, il
faut tenir compte des différents facteurs qui l’influencent. Les découvertes scientifiques et les
prototypes construits dans les laboratoires de développement sont un élément important. Mais
pour que les idées et inventions se transmuent en innovation, il faut qu’il y ait de fortes
incitations à leur commercialisation et à leur large diffusion. Les facteurs décisifs sont alors
notamment l’état de la concurrence sur les marchés, les possibilités d’accéder aux capitaux, la
culture du risque et de l’aptitude au changement dans la société, la présence en nombre
suffisant d’un main d’œuvre qualifiée, l’existence de règles favorables à l’émergence de
l’innovation, reposant sur des normes, des standards, la brevetabilité, des lois et règlements,
etc. – une politique moderne de l’innovation doit prendre en considération l’ensemble de ces
facteurs »86. Nous essayerons cependant de nous arrêter sur les politiques majeures de soutien
à l’innovation, sans prétendre aucunement à l’exhaustivité. Il s’agira de conceptualiser les
politiques économiques et technologiques d’innovation, aidé d’aspects financiers et fiscaux.
86
www.bmbf.de
Page 81
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
A.1. De la politique publique en direction des réseaux
Afin d’améliorer les performances de l’Allemagne dans le domaine des innovations
incrémentales, l’encouragement aux réseaux économiques est, comme nous l’avons vu,
nécessaire. En effet comme nous le rappelle le groupe franco-allemand sur la compétitivité
(2001)87 : « l’aptitude à innover [d’une firme] dépend de manière croissante de la qualité des
relations qu’elle entretient avec son réseau de partenaires : fournisseurs, clients, instituts de
recherche, centres de formations, etc.». De la même manière certains théoriciens du
capitalisme mettent au cœur des enjeux, l’impératif de l’innovation : « Si nous avons défini le
capitalisme cognitif comme une forme historique émergente dans laquelle l’accumulation est
fondée sur l’exploitation systématique de la connaissance et des informations nouvelles, c’est
aussi un régime dans lequel l’innovation, en un sens large (voisin du terme Schumpetérien
originel) occupe une place centrale.[...] La constitution de réseaux répond en partie à un souci
de profiter des complémentarités stratégiques dans la production d’innovation. »88 En effet,
outre les externalités du réseau définies précédemment, les entreprises ont aujourd’hui intérêt
à miser sur des standards pour développer de nouvelles technologies. La nécessité des
compatibilités entre les différentes technologies les conduit à partager une partie de leurs
connaissances. Ainsi les clusters regroupent souvent des technologies connexes qu’il va s’agir
de rendre conciliable au travers de relations souvent informelles. Comme le résume les
auteurs « La constitution de réseaux répond en partie à un souci de profiter de
complémentarités stratégiques dans la production d’innovations ».
On entrevoit, dès à présent, toute la difficulté de ce type de politique, qui associe à des
structures administratives hiérarchiques, des dynamiques beaucoup moins formelles de
réseaux. En effet, par définition, le réseau associe des acteurs et des institutions dont les
relations plus ou moins étroites sont à l’origine de synergies, or, cette idée est en opposition
avec l’unilatéralité qui caractérise l’action des pouvoirs publics. Même si cette unilatéralité
doit être nuancée, au regard des études de la sociologie de l’action publique, la fluidité et la
réciprocité des réseaux d’entreprises demeurent indéniablement plus denses que dans l’action
publique. Les réseaux économiques se créant de manière spontanée dans des territoires, la
87
Henrik Uterwedde, Gabriel Colletis, Jean-Louis Levet, « Compétitivité globale, une perspective francoallemande, Rapport du groupe franco-allemand sur la compétitivité », Commissariat général au Plan, La
documentation française, Paris, 2001, p 127
88
Programme de recherche d’A. Corsani, P. Dieuaide, M. Lazzarato, J-M. Monnier, Y. Moulier-Boutang, B.
Paulré et C. Vercelonne, Le capitalisme cognitif, comme sortie de la crise du capitalisme industriel,
Modélisations appliquées, Trajectoires institutionnelles, Stratégies socio-économiques, Unité Mixte du CNRSUniversité Paris 1, n° 8595. Matisse.
Page 82
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
logique traditionnelle de top down employée par les pouvoirs publics n’est pas toujours
pertinente. Une digression sur la situation française nous permettra de mieux comprendre cet
aspect des choses. On considère souvent que la politique des pôles de compétitivité est la
première politique française de développement territorial, mais en réalité, dès 1960, la
DATAR avait lancé la politique de métropoles d’équilibres. Celle-ci consistait à concentrer
les financements de l’Etat sur certaines métropoles, auxquelles on attribuait une spécialisation
industrielle. C’est à cette occasion que Toulouse s’est vu doté de l’industrie aéronautique,
Grenoble de l’énergie nucléaire et Marseille d’un port moderne et d’une industrie lourde. Si
cette politique a fonctionné pour le cas de Toulouse et de Grenoble, c’est parce que ces
industries consacraient des technologies d’avenir et que les conditions nécessaires de ces
industries étaient déjà présentes sur le terrain. L’état d’esprit qui a présidé à la mise en place
des pôles de compétitivité fut le même, bien que l’économie géographique ait pu montrer
qu’on ne crée pas de réseau de toutes pièces par simple financement, car celui-ci dépend avant
tout de la volonté des acteurs présents sur le terrain. En Allemagne, comme nous l’avons
montré dans la première partie, le polycentrisme et le principe de subsidiarité ont conduit au
développement spontané de réseaux. Il ne faut pas perdre de vue à l’heure du capitalisme
cognitif, cet atout considérable que possède l’Allemagne. En Allemagne, cette logique de
réseau est tellement ancrée dans le fonctionnement économique que « ce sont les entreprises
qui se tournent généralement vers les pouvoirs publics pour les inclure dans la constitution de
leur propre réseau de développement et leur demander, le cas échéant, d’exercer à leur tour
leurs responsabilités en veillant à entretenir un cadre favorable aux activités.»89 A l’inverse,
en France, la logique de réseaux est beaucoup moins prégnante, et la logique de top down
employée par les pouvoirs publics peine clairement à montrer ses effets. Les autorités
publiques sont donc dans l’obligation de réinventer une politique publique adaptée qui puisse
favoriser et encourager la constitution de réseaux. A partir de ces analyses, il semble
préférable de favoriser des politiques transversales et processuelles, développées à partir de
projets et de réseaux, qui tendent d’ailleurs à être développées Outre-Rhin. La première
édition 2008 de la compétition « Réseau de compétences 2008 » (Kompetenznetz 2008)
témoigne de la prise en compte de cette nécessité dans l’agenda politique allemand. Le but de
la compétition était de récompenser des réseaux de compétences économiques beaucoup plus
intégrés et performants que la moyenne des réseaux. Par exemple le premier prix fut décerné
au réseau « bwcon » du Bade-Wurtemberg qui prodiguait aux jeunes entreprises de
89
Sous la direction d’Isabelle Bourgeois, Allemagne, compétitivité et dynamiques territoriales, Travaux et
documents du CIRAC, p 1-28
Page 83
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
technologie, un soutien sur le management et des services de conseil. Dans le cas présent, le
prix permet à la fois d’encourager les réseaux, mais aussi les compétences complémentaires
peu développées en Allemagne, que sont le management et le conseil et la politique
d’assistance aux entreprises nouvelles90. Le groupe franco-allemand sur la compétitivité91
nous donne un aperçu encore plus précis de ce qui pourrait être réalisé « Il s’agit de mettre en
place des dispositifs stimulant les interactions entre le monde de l’industrie et celui de la
recherche, par exemple à travers des procédures d’évaluation et des assouplissements de statut
incitant les chercheurs à coopérer plus étroitement avec les entreprises. »92
A.2. Une politique de droit contractuel et de coopération
Le droit allemand des entreprises et des relations entre entreprises et organismes
publics est déjà largement fondé sur un droit contractuel. Steven Casper93 montre en effet,
qu’en Allemagne, les relations contractuelles interentreprises sont largement encouragées par
l’ensemble du système économique. En effet, le gouvernement allemand promeut ces
contrats, pour lesquels les Tribunaux allemands autorisent des clauses non contraignantes, à la
condition qu’elles respectent les législations des associations industrielles et patronales
allemandes. C’est donc un jeu à trois entre : le gouvernement, les tribunaux et les associations
industrielles et patronales, qui entretient la vigueur d’un système de droit contractuel,
totalement absent dans les pays anglo-saxons. Le droit contractuel allemand encourage les
relations interentreprises, qui sont elles-mêmes à l’origine des performances dans l’innovation
incrémentale et dans la différenciation des produits. Le soutien à ce type de droit est donc lié à
son rôle dans le système productif d’ensemble.
90
http://lexikon.bmwi.de/BMWi/Navigation/Presse/pressemitteilungen,did=234534.html
Henrik Uterwedde, Gabriel Colletis, Jean-Louis Levet, Compétitivité globale, une perspective francoallemande, Rapport du groupe franco-allemand sur la compétitivité, Commissariat général au Plan, La
documentation française, Paris, 2001, p 143
92
ibid
93
Steven Casper, The Legal Framework for Corporate Governance : The Influence of Contract Law on
Company Strategies in Germany and the United States, 2001, Varieties of Capitalism, the Insitutional
Foundations of Comparative Advantage, Oxford University Press
91
Page 84
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
B. Une politique de soutien aux forces vives de l’économie
B.1. Une Politique de soutien aux PME
Les PME allemandes concentrent, à elles seules, 40 % du PIB allemand, 70 % des
emplois et jusqu’à 83 % des places d’apprentissage, ce qui explique l’importance numérique
des politiques de soutiens qu’a développées l’Allemagne en leur direction. Elles sont encore
aujourd’hui au centre de toutes les préoccupations puisque comme l’explique Angela
Merkel94 : « Nous savons que seulement si nous sommes innovants – et cela vaut aussi bien
pour les PME que pour les autres entreprises – nous pourrons durablement assurer notre
prospérité en Allemagne ». En outre, le secteur privé contribue en Allemagne à deux tiers des
efforts de recherche et développement, ce qui fait de ce dernier, un partenaire primordial de la
politique de l’innovation.
Ainsi, selon Isabelle Bourgeois, « Si la face la plus immédiatement visible des
politiques d’innovation porte sur le soutien aux technologies clefs (biotechnologies,
nanotechnologies, TIC, etc.) ou sur le développement de pôles d’excellence en matière de
recherche fondamentale et de compétences scientifiques ou universitaires, leur effort principal
vise depuis toujours le soutien au PME »95. Ces mesures, qui ont été initiées à partir des
années 1960, comprennent un vaste panel d’actions : programmes d’aide au financement,
d’accompagnement des transmissions d’entreprises (y compris par des mesures fiscales),
d’aide à l’exportation, à la formation, et à la mise en œuvre des TIC. Sur son site Internet, les
mesures qu’Angela Merkel souhaite mettre en place en faveur des PME, témoignent de la
diversité des chantiers : réforme sur les droits de succession, sur la diminution des coûts
salariaux, sur la réforme administrative et la dé-bureaucratisation, et sur l’incitation à
l’innovation (kleine und mittlere Unternehmen Innovative). Cette importance des programmes
d’action en direction des PME s’explique par l’organisation bicéphale que prend l’action de
l’état fédéral sur ce sujet, puisqu’aussi bien le Ministère de l’Economie (BMWI) que le
Ministère de la Recherche (BMBF) s’impliquent activement. Ainsi, les mêmes mesures en
direction des PME font l’objet d’explication sur les deux sites internet, que ce soit PRO INNO
94
http://www.bundeskanzlerin.de/Webs/BK/DE/Aktuelles/VideoPodcast/video-podcast.html, « podcast zum
Mittelstand », 5 octobre 2007
95
Isabelle bourgeois, Comment l’intelligence vient aux PME allemandes, regards sur l’économie allemande,
n°74/2005, pp 29-36
Page 85
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
II (amélioration des compétences des PME par la coopération avec d’autres entreprises et des
institutions de recherche en Allemagne et à l’étranger),
NEMO (encouragement au
développement de réseaux de PME et d’organismes de recherche dans les nouveaux Länder)
ou encore intec.net (recherche de partenariat et de coopération à l’étranger). Les passerelles
sont donc nombreuses entre les différents dispositifs des deux Ministères - par exemple
l’Offensive pro Mittelstand de 2003 relie certains des programmes - même si le Ministère de
l’Economie mène une approche d’économie générale, tandis que le Ministère de
l’Enseignement et la Recherche se concentre davantage sur les grands projets de recherche.
La politique allemande de l’innovation s’est, de ce fait, développée en apportant une aide aux
entreprises nouvellement créés, pendant leur phase de démarrage, tout en les incitant à investir
dans les activités de recherche et développement.96
Les Länder mènent également une politique proactive en direction des PME. La
Rhénanie du Nord-Westphalie a ainsi fondé en 2003 une Fachhochschule privée ayant pour
mission de former les futurs dirigeants des PME. Cette mesure n’est que le volet apparent
d’une politique structurelle importante en faveur du Mittelstand local. Le Land de BadeWurtemberg a choisi de mettre à disposition des PME un serveur sur l’e-business regroupant
de multiples informations sur leur gestion au quotidien. Quant à la ville hanséatique de
Hambourg, elle propose un programme d’aide à la création d’entreprise. Cependant il nous
semble que le soutien apporté pendant les premières années suivant la création est encore trop
faible or c’est ce soutien que le groupe franco-allemand sur la compétitivité considère comme
majeur : « L’enjeu majeur semble moins porter sur l’aide à la création d’entreprise que sur
l’assistance qu’il convient de porter aux entreprises nouvellement créées pendant leur phase
de démarrage.»97 C’est à ce niveau que la politique allemande en direction des PME pourrait
encore être améliorée.
Il n’en demeure pas moins que le dynamisme des PME allemandes est un élément
essentiel de sa compétitivité, leur forte activité exportatrice est d’ailleurs regardée avec intérêt
par les autorités françaises. Elie Cohen résumait cette idée dans un entretien au Monde : « Le
problème de la France est que depuis 1999, avec la formidable accélération du commerce
international et de la croissance mondiale, elle n’a pas su répondre à cette demande nouvelle
pour une raison simple : la France manque de ce tissu de PME innovantes et exportatrices qui
font le dynamisme de l’Allemagne, pour ne prendre qu’un exemple proche. La France a donc
96
Henrik Uterwedde, Gabriel Colletis, Jean-Louis Levet, Compétitivité globale, une perspective francoallemande, Rapport du groupe franco-allemand sur la compétitivité, Commissariat général au Plan, La
documentation française, Paris, 2001, p 139
97
ibid
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vu sa part de marché dans les exportations en zone euro et hors zone euro baisser. A titre
d’exemple, nous disposons en France de deux fois moins de ces grosses PME innovantes et
exportatrices qu’en Allemagne ».98 Lorsque M. Nicolas Sarkozy annonce, au vu des chiffres
du déficit commercial, qu’il souhaite que les grandes entreprises présentes à l’international
soutiennent les PME françaises, il ne fait que reprendre un système qui fait depuis longtemps
recette en Allemagne. A cette idée il faut également ajouter que les PME allemandes
dynamiques et exportatrices sont également souvent présentes dans des secteurs de niches à
forte valeur ajoutée.
B.2. Une politique de soutien à des organismes publics et privés
La promotion de ce qui fait une des particularités du système allemand, à savoir les
organismes privés de soutien aux réseaux tels que la fondation Steinbeis ou la fondation
Fraunhofer, est également symptomatique de la politique de coopération allemande. Ces
dernières ont d’ailleurs vu leurs dotations financières en provenance de l’état augmenter, à
mesure que les financements aux organismes publics demeuraient stables. Le groupe francoallemand sur la compétitivité permet de mieux appréhender le rôle de ces structures :
« Comme le montre l’exemple de la fondation Steinbeis, les politiques de développement
territorial s’efforcent de faire jouer des effets de synergies entre les différents acteurs locaux
et, dans la mesure du possible, en liaison avec des partenaires extérieurs. En ce sens, il
importe pour le développement territorial de coordonner l’action des différents acteurs
concernés en fonction d’intérêts communs. »99 La politique menée par le gouvernement
fédéral passe par des organismes du type de AiF qui offre une structure décentralisée proche
des entreprises. Cet organisme cible d’ailleurs clairement sa mission : « comme porteur et
promoteur de la politique de l’état fédéral concernant
la recherche de la communauté
industrielle, il offre des conseils pratiques pour l’innovation »100. A ce titre cet organisme sert
de relais pour mener la politique fédérale, qu’il s’agisse des politiques PRO INNO II, NEMO,
intec.net, ou encore de la politique de recherche au sein des Fachhochschule. Ainsi
l’Allemagne a depuis longtemps associé à une politique directe de soutien à l’innovation, une
98
Elie Cohen, membre du conseil d’analyse économique, Après la période 1978-1985, nous assistons à une
désindustrialisation en France depuis 2002, Entretien du Monde, du 18 février 2008, édition numérique
99
Henrik Uterwedde, Gabriel Colletis, Jean-Louis Levet, Compétitivité globale, une perspective francoallemande, Rapport du groupe franco-allemand sur la compétitivité , Commissariat général au Plan, La
documentation française, Paris, 2001, p 134
100
www.aif.de
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politique qui consiste à soutenir des organismes privés ou publics établissant un contact direct
et de proximité avec les entreprises, les organismes de recherche et de formation. Les
relations sont également étroites entre l’Etat et les organisations patronales. Ainsi, par
exemple, le système de formations professionnelles est financé par l’état et géré par les
organisations patronales et les syndicats, au niveau des industries. Ceci permet de faire
pression sur les grandes entreprises pour recruter des apprentis, négocier des catégories de
qualification au niveau des entreprises et, de cette manière, faire en sorte que la formation
réponde aux besoins de l’entreprise. Les organisations patronales fortes peuvent assurer les
fonctions de contrôle et de persuasion. De même en ce qui concerne la politique de
l’innovation l’Etat Fédéral, comme les organisations patronales, encouragent la diffusion des
technologies nouvelles et déterminent les domaines où les compétences du territoire peuvent
être améliorées.
On peut pratiquement parler d’une externalisation de la politique d’innovation à des
acteurs locaux ancrés dans une approche nouvelle de développement du territoire.
B.3. Une lacune dans le high-tech ?
L’influence du capitalisme anglo-saxon étant marquée à différents niveaux du système
allemand, il nous semble que la création d’un segment de marché financier voué aux actifs
d’entreprises risqués participe de cette logique. Ainsi désormais au delà d’assurer le
financement du risque grâce à des organismes publics, l’action gouvernementale vise à
développer le marché privé du capital risque. Cette politique, couplée à une politique de
développement high-tech, pourrait à long terme développer les secteurs de hautes
technologies. Cette idée participe de la notion d’innovation radicale que nous avons définie
plus tôt. En effet ces innovations radicales, moins présentes en Allemagne, sont plus à même
de développer des biens de hautes technologies des marchés émergents. A ce titre,
l’Allemagne doit tenter de s’engouffrer dans ces marchés porteurs afin d’intensifier encore
davantage sa compétitivité. Les budgets de recherche témoignent de cette nouvelle priorité
puisque l’on trouve, sur les sept secteurs concentrant 30% des dépenses, l’environnement,
l’énergie, la santé et les technologies médicales, les biotechnologies, les matériaux et la
chimie ainsi que l’aéronautique et les technologies hypersoniques. Dans le site du Ministère
de l’Enseignement et de la Recherche, au même titre que la Recherche ou l’Enseignement, le
high-tech a également son propre onglet avec l’ensemble des programmes qui lui est lié.
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Cependant il faut dès à présent se prémunir contre une tendance qui consisterait à multiplier
les champs d’innovation allemande car, encore une fois, ce qui fait la force de l’Allemagne
c’est sa spécialisation sur certains domaines relativement restreints. A contrario la France, qui
possède une spécialisation beaucoup plus diluée, ne parvient pas à afficher de si bons
résultats.
Nous avons pu montrer que l’Allemagne avait des fondations solides pour demeurer
aussi compétitive dans l’avenir qu’elle l’est aujourd’hui. En s’inscrivant dans la filiation du
capitalisme cognitif, cette compétitivité revêt des aspects nouveaux. En effet, cette
configuration économique nous permet de mettre en avant l’adaptabilité de l’Allemagne à une
accumulation centrée sur les connaissances. Sa capacité à former tout au long de la vie par
l’apprentissage professionnel, son aptitude à enseigner des savoirs en action grâce au système
dual et enfin sa faculté à mettre en relation des acteurs d’univers variés au moyen de ses
nombreux réseaux, lui procure un avantage substantiel pour s’inscrire dans ce nouveau
contexte. Outre l’importance des compétences, le capitalisme cognitif place également au
centre l’impératif d’innovation. A ce titre, nous avons pu montrer que l’architecture de la
société productive allemande ainsi que les modes de coordination qui s’exerçaient en son sein,
révélaient l’attention portée à l’innovation.
L’économie allemande risquerait de prospérer encore d’avantage si le capitalisme
cognitif se révélait adapté à la configuration économique des années à venir. Nous ne pouvons
que le souhaiter car ce capitalisme présage également que l’épanouissement de la puissance
économique soit associé à un retour à la conception égalitariste qui prévalait autrefois.
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CONCLUSION
Au cours des précédents développements, nous avons tenté de caractériser le modèle
allemand, à partir de conceptualisations retenues d’auteurs, en se distinguant par une
focalisation d’ensemble sur les modes de gouvernement propres à ce modèle. Dans une
approche comparative et institutionnelle, nous avons tenté, par la suite, de caractériser les
changements qu’il pouvait connaître et de les confronter au modèle anglo-saxon. Nous avons
alors cherché à fuir deux types de littérature : celle focalisée sur les institutions et les diverses
manières dont elles reproduisent des schèmes d’action stables et permanents, et celle dans
laquelle une grande capacité perturbatrice est attribuée aux pressions de la globalisation.
La deuxième question, que nous nous sommes posée au cours de ce mémoire, est
relative à l’éventuelle adaptation du modèle rhénan à une nouvelle configuration : le
capitalisme cognitif. Nous avons alors pu montrer que l’Allemagne avait les préalables
nécessaires à l’assimilation de celui-ci. Au delà de la présence d’institutions en adéquation
avec cette nouvelle phase de capitalisme, l’Allemagne possède les conditions de l’évolution
de son système. Le simple fait que les contenus de nombreuses normes, régulations, lois et
institutions fassent systématiquement l’objet de renégociations, peut parfois être à l’origine de
lenteurs dans le processus de transformation, mais il garantit a contrario que ces changements
aient lieu. Ainsi, par exemple, la formation professionnelle en Allemagne est l’exemple type
de la théorie du changement institutionnel par conversion101. En effet, le contenu de celle-ci
peut faire l’objet d’une redéfinition permanente des objectifs, en fonction du contexte et de la
stratégie des acteurs. Peter A. Hall et David Soskice102 accréditent cette idée en mettant en
avant les avantages des marchés coordonnés, en présence d’un choc externe :
« Les économies politiques nationales sont fréquemment soumises à des chocs
exogènes provenant d’une économie mondiale dans laquelle les technologies, les produits et
les goûts sont en constante mutation. Souvent, ces chocs ébranlent les équilibres autour
101
Robert Boyer, Les analyses historiques comparatives du changement institutionnel : quels enseignements
pour la théorie de la régulation? L’Année de la Régulation, Economie, Institutions, Pouvoirs, n°7, 2003-2004,
Presses de Sciences Po, p 176-177
102
Peter A. Hall et David Soskice, Les Variétés du Capitalisme, l’Année de la Régulation, n°6 2002-2003,
Presses de Sciences-Po, 2003, p 47-115
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desquels les acteurs économiques coordonnent leur action, et se heurtent aux pratiques
traditionnelles des entreprises. En réponse à ces défis, les entreprises s’efforcent de modifier
leurs pratiques afin de préserver leurs avantages en termes de compétitivité, y compris les
avantages comparatifs institutionnels. Ainsi, une grande partie du processus d’ajustement
sera orientée vers la reconstruction institutionnelle de l’avantage comparatif. Sous l’effet de
ce processus, les entreprises et les individus seront appelés à modifier leurs investissements
relationnels, dans une recherche de compétences nouvelles impliquant la création de
nouveaux lien avec d’autres entreprises ou avec les salariés. [...]
Cette proposition comporte plusieurs corollaires. Premièrement, si nous prévoyons
que les entreprises s’efforceront de soutenir ou de rétablir les formes de coordination sur
lesquelles elles avaient bâti leur compétitivité, il demeure qu’après un choc économique, ces
efforts pourraient nécessiter une modification des institutions et des pratiques présentes dans
l’économie. Deuxièmement, l’importance du savoir commun pour la réussite des interactions
stratégiques implique une certaine asymétrie dans le développement potentiel de ces
systèmes. Dans la mesure où ils ont peu d’expérience d’une telle coordination sous-tendant le
savoir commun requis, les économies de marché libérales éprouveront une certaine difficulté
à développer la coordination hors marché telle qu’elle s’effectue couramment dans les
économies de marché coordonnées, même lorsque les institutions appropriées peuvent être
mises en place. Dans la mesure où les relations de marché n’exigent pas les mêmes niveaux
de savoir commun, toutefois, les économies de marché coordonnées qui déréglementent afin
de se rapprocher des économies de marché libérales, ne rencontrent pas ces contraintes. [...]
Les récentes difficultés auxquelles s’est heurté le système allemand de coordination
des salaires illustre parfaitement le type de problèmes d’ajustement que les économies de
marché coordonnées sont susceptibles de rencontrer. [...] Dans certains secteurs, les grandes
entreprises ont désormais rationalisé leurs activités afin de profiter des opportunités offertes
par une plus grande intégration internationale, délocalisant certaines activités à l’étranger et
reconfigurant leurs filières d’approvisionnement. Il en résulta qu’elles sont devenues de plus
en plus vulnérables aux interruptions de production, et par là même hostiles aux lock-out.
Néanmoins, cette nouvelle attitude a perturbé l’équilibre préexistant. Sans la coopération des
grandes entreprises, les organisations patronales ne sont plus en mesure d’organiser
efficacement la résistance aux revendications salariales ? Il en résulte que certaines
entreprises, de tailles plus modeste, ou moins efficaces, tendent à ne plus le faire. D’autre
part, les leaders syndicaux, qui normalement seraient tentés d’avaliser des augmentations de
salaire modestes dans le but de préserver l’emploi, se trouvent désormais dans l’incapacité
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
de le faire à cause des pressions qu’ils subissent de la part de leurs militants, dont les
revendications ne sont plus freinées par la menace d’un lock-out. Il en a résulté une certaine
détérioration de l’efficacité de la coordination autour des salaires, et de celle des
organisations patronales dans certains secteurs de l’économie allemande. Ceci est le type
même du problème d’ajustement que l’on rencontre souvent dans les contextes de
coordination. Il existe cependant de bonnes raisons de croire qu’une coordination efficace
peut être rétablie dans la plupart des cas. Comme le souligne Thelen [2001], de tels
problèmes ne sont pas inconnus dans les économies de marchés coordonnées. Les équilibres
autour desquels les acteurs coordonnent leurs activités ont été perturbés de nombreuses fois
dans le passé par divers chocs économiques. Dans chacun de ces cas, de nouveaux équilibres
ont été atteints par des processus de négociation et de compromis »103.
*
Il est important de percevoir la distinction entre des phases de capitalismes, telles que
le fordisme et hypothétiquement le capitalisme cognitif, avec leur réappropriation nationale à
travers des modes de croissance. En effet, il nous apparaît qu’il est fort peu probable qu’un
état se conforme au mode de croissance d’un autre état. Cependant l’ensemble des versions
nationales fut baigné par un contexte commun de capitalisme fordisme et le seront peut-être
avec le capitalisme cognitif. Notre but n’était donc pas, à travers la comparaison entre
capitalismes géographiquement situés, de nier les possibilités de changement, de
renégociation, de recombinaison, de conversion ou même de sédimentation des modèles. Le
modèle allemand a subi une évolution notable dans le concept même de consensus qui,
longtemps symbole de l’équité à l’allemande, consacre aujourd’hui le déséquilibre du rapport
social. En effet le consensus aujourd’hui revêt des aspects nouveaux lorsqu’il est utilisé pour
négocier « des pactes de compétitivité ». C’est d’ailleurs ce que constate René Lasserre104
lorsqu’il affirme : « Les réformes ont certes restauré la confiance, mais le consensus
économique allemand n’est plus tout à fait ce qu’il était. »
103
Peter A. Hall et David Soskice, Les Variétés du Capitalisme, , Traduction de l’ouvrage Varieties of
Capitalism, The Institutional Foundations of Comparative Advantage, dirigé par Peter A. Hall et David Soskice,
publié en 2001 par Oxford University Press. Il a été traduit par Eduardo Diaz. L’Année de la Régulation,
Economie, Institutions, Pouvoirs, n°6, 2002-2003, Presses de Sciences Po, p. 113- 115.
104
René Lasserre, La confiance sans le consensus ?, 29 février 2008, Editorial de la Revue sur l’Economie
Allemande, Bulletin économique du CIRAC, n° 85, mars 2008.
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LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
La conceptualisation du changement des institutions et des capitalismes comporte des
difficultés de taille. Pourtant, les théoriciens du capitalisme cognitif pourraient se pencher sur
les modalités qui tendraient à faire émerger globalement ce nouveau capitalisme. En effet
outre la théorisation intégrée d’un nouveau capitalisme, il peut être intéressant d’approfondir
les conditions de son émergence. Encore une fois, si nous considérons que les schémas
nationaux sont marqués par des institutions nationalement et historiquement construites, nous
n’estimons pas que le changement soit impossible. L’histoire ne nous semble pas devoir être
assimilée à l’isomorphisme ou au mimétisme.
Cependant, ce travail de définition du changement des institutions suppose que l’on se
penche sur un chantier idéologiquement très épars. En effet doit-on considérer un changement
à la marge, un changement par la crise ou une dépendance au sentier ? Il semble que les
auteurs du capitalisme cognitif se situent d’avantage dans une tradition d’analyse du
changement en termes de distribution du pouvoir. Si cette analyse peut d’après R. Boyer105
faire l’objet d’amélioration avec l’ajout des phénomènes de sédimentations, de conversion et
de restructurations des institutions, elle n’en est pas moins pertinente pour juger de la
pertinence du capitalisme cognitif. En effet, le capitalisme cognitif, dont l’accumulation est
centrée sur les compétences, pourrait donner une centralité nouvelle au rapport capital travail. A ce titre, les salariés retrouveraient un pouvoir de négociation de premier rang, qui
leur permettrait de voir les institutions évoluer en leur faveur. A long terme, cette évolution
contredirait René Lasserre, puisque la confiance serait de nouveau accompagnée du
consensus. Il serait alors utile d’utiliser des indicateurs pour mesurer ces faits, le salaire réel
ne suffisant pas, peut-être faudrait-il réfléchir à des indicateurs plus qualitatifs ? (Sans oublier
des indicateurs sur la formation, sa qualité, son type, etc.).
Pourtant, au delà de ces questions, il nous semble également intéressant de s’interroger
sur la portée de la conceptualisation du capitalisme cognitif. Pour mieux appréhender cette
idée, il faut revenir à l’ouvrage étudié dans la première partie « Les modèles productifs »106,
de Michel Freyssenet et Robert Boyer. Dans cet ouvrage, les auteurs décrivent des modes
productifs divers, qui ont existé durant l’époque du fordisme, dans des pays différents.
Cependant, ces modes productifs ne peuvent être ramenés à des versions nationales d’un
même capitalisme fordiste, puisqu’il s’agit de types de production dans l’industrie limitée de
105
Robert Boyer, Les analyses historiques comparatives du changement institutionnel : quels enseignements
pour la théorie de la régulation?, L’Année de la Régulation, Economie, Institutions, Pouvoirs, n°7, 2003-2004,
Presses de Sciences Po, p. 167- 203
106
Robert Boyer et Michel Freyssenet, Les Modèles productifs, Paris, Repères, la Découverte, 2000
Page 93
LE « MADE IN GERMANY » FERA-T-IL TOUJOURS RECETTE ?
l’automobile. Or la question qui se pose est de savoir si cette présentation de « la diversité des
modèles productifs (de l’automobile), [...] nous fait perdre l’universalité du régime (du
modèle ou du mode de régulation) fordiste ? Et cette ‘perte’ affecte-t-elle les analyses du
fordisme ?»107. Est alors soulevée la question de la portée que les auteurs du capitalisme
cognitif veulent donner à leur conception théorique. En effet le capitalisme cognitif serait-il
une phase de capitalisme globalisante dans laquelle subsisteraient des variétés aussi
conséquentes que le modèle Sloanien, Hondien, Wollardien durant le fordisme ?
L’accumulation des connaissances consisterait donc en l’articulation des systèmes tout en
laissant la place à des versions nationales et sectorielles si diverses ? Henri Nadel, auteur de la
note de lecture sur l’ouvrage de Rober Boyer et Michel Freyssenet, se demande quel est le
véritable objectif des auteurs : « Soit la disparité des modèles de production automobile milite
en faveur d’un déclassement du statut majeur de cette industrie pour styliser le fordisme et
d’une manière plus générale un mode de régulation et il faut s’en expliquer. Partant, aucune
industrie ne pouvait ni ne peut a fortiori aujourd’hui jouer ce rôle. Et, aujourd’hui, ni le
développement des services, de l’immatériel, des nouvelles technologies de l’information et
de la communication, etc., ne pourraient permettre de définir une « nouvelle économie », ou
un nouveau mode de régulation. Soit cette diversité est seulement formelle et les grandes
caractéristiques substantielles de la régulation fordiste étaient ailleurs et s’accommodaient de
ces différences, et voilà qui mériterait également l’attention. »108.
Faut-il alors considérer que la définition du capitalisme cognitif telle que nous l’avons
présentée ne consiste qu’en « de grandes caractéristiques substantielles de la régulation
cognitive », et que chaque mode de croissance national sera en mesure de l’adapter, de la
ménager parfois substantiellement à cette nouvelle phase ? C’est cette idée que nous
avalisons, davantage que celle qui tendrait finalement à ne voir aucun modèle capitalistique
commun à une époque donnée. Nous avons pu montrer que le capitalisme rhénan possédait
les conditions préalables à l’émergence, déjà en route, du capitalisme cognitif, il ne sera pas
vain de s’interroger dans quelques années sur la réappropriation des schèmes de cette nouvelle
phase par ce capitalisme inventif.
107
Henri Nadel, Note de lecture de « Les modèles productifs, Robert Boyer, Michel Freyssenet, La Découverte,
Coll. « Repères », Paris, 2000 », GERME, Université Paris VII, L’Année de la Régulation, Economie,
Institutions, Pouvoirs, n°5, 2001-2002, Association recherche et régulation, Presse de Science Po, p 325-329
108
Henri Nadel, Note de lecture de « Les modèles productifs », Robert Boyer, Michel Freyssenet, La Découverte,
Coll. « Repères », Paris, 2000 , GERME, Université Paris VII, L’Année de la Régulation, Economie,
Institutions, Pouvoirs, n°5, 2001-2002, Association recherche et régulation, Presse de Science Po, p 325-329
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Remerciements ....................................................................................................... i
Avertissement........................................................................................................ii
Abréviations .........................................................................................................iii
Sommaire.............................................................................................................. iv
Introduction ........................................................................................................... 1
PARTIE I - Le Modèle d’outre-Rhin face à celui d’outre-Atlantique................ 11
CHAPITRE 1 - De la définition du modèle Rhénan ............................................................ 12
Section 1 - Le modèle allemand en quête de conceptualisation....................................... 13
Section 2 - Les facteurs de la compétitivité allemande.................................................... 19
A. Les réseaux en Allemagne ....................................................................... 19
B. Le principe de subsidiarité ou les processus décentralisés d’action ................... 27
C. La logique de coopération et de coordination ............................................... 30
CHAPITRE 2 - Un modèle allemand sous influences ......................................................... 33
Section 1 - L’Allemagne, face à de nouveaux défis......................................................... 34
Section 2 - L’Allemagne, nouveau héraut du capitalisme anglo-saxon ? ........................ 41
PARTIE II - Quelle est la pertinence du modèle rhénan à l’aune du contexte
économique actuel ? ............................................................................................ 50
CHAPITRE 1 - Une évolution qui tendrait à privilégier le « marché » sur le « social » ? .. 51
Section 1 - Travailleurs Routiniers contre Travailleurs innovants................................... 54
A. Rémunération, fonction de la mobilité ........................................................ 55
B. La mise en concurrence globale des travailleurs routiniers .............................. 56
C. Les perspectives à court et long terme ........................................................ 57
Section 2 - La centralité des compétences cognitives dans le nouveau statut des
travailleurs........................................................................................................................ 60
A. Le capitalisme cognitif ............................................................................ 60
B. A la recherche de la centralité des compétences cognitives dans l’éducation
allemande ................................................................................................. 64
CHAPITRE 2 - La « Deutschland AG » sera-t-elle toujours aussi performante au sein du
capitalisme cognitif ? ........................................................................................................... 69
Section 1 - Etat des lieux du système allemand à l’heure du capitalisme cognitif .......... 69
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A. Une compétitivité allemande qui pourrait se maintenir dans le capitalisme cognitif
............................................................................................................... 71
B. Les acteurs politiques de cette compétitivité ................................................ 76
Section 2 - Un ensemble de politiques publiques en adéquation avec les nouveaux
enjeux ? ............................................................................................................................ 81
A. Des politiques transversales d’innovation.................................................... 81
B. Une politique de soutien aux forces vives de l’économie ................................ 85
Conclusion........................................................................................................... 90
Références ........................................................................................................... 95
Table des Matières............................................................................................... 99
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Résumé
Le capitalisme à l’allemande fait l’office de modèle dans la conjoncture économique
actuelle. Pourtant, ce n’a pas toujours été le cas et jusqu’à très dernièrement, certains auteurs
ont prophétisé sa disparition au profit du modèle anglo-saxon. Après avoir esquissé le portrait
de ce capitalisme rhénan, nous tenterons de dépeindre son cheminement jusqu’à aujourd’hui.
Cette étude s’inscrira dans la filiation des écrits institutionnalistes, qui accordent une place
centrale à l’étude des institutions, comme charnières des dynamiques économiques
actuellement observables dans le monde.
Ce capitalisme d’Outre-Rhin est-il en passe de disparaître à la faveur de celui d’OutreAtlantique? La réalité empirique, que nous tenterons d’analyser, donne une réponse sans
appel à ces prédictions. Alors, ne faut-il donc pas davantage s’interroger sur sa capacité à se
modeler vis à vis du nouveau contexte économique mondial, plutôt que de questionner son
éventuelle faculté à converger vers un modèle influant ? Au cœur de cette question, se trouve
la difficile définition du contexte économique mondial, pour laquelle nous emprunterons les
nouvelles théories du capitalisme cognitif. Ces dernières voient dans l’accumulation des
connaissances, le principe de fonctionnement des capitalismes à venir. L’Allemagne est-elle
bien armée pour demeurer performante dans cette nouvelle configuration ?
Mots clé
Modèle rhénan, modèle anglo-saxon, institutionnalisme, capitalisme cognitif, innovation,
formation.
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