La racine, organe d`interface entre la plante et le sol

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Introduction,
notion de rhizosphère
Les racines permettent à la fois lancrage de la plante
dans le sol et lacquisition des ressources minérales
indispensables à sa croissance. La plante a besoin pour
se développer de 6 macroéléments (azote, phosphore,
potassium, calcium, magsium, soufre) et de 7 oli-
goéléments (fer, cuivre, molybdène, manganèse, zinc,
bore, chlore), en plus, bien sûr, du carbone appor
par le gaz carbonique de lair (photosynthèse) et de
lhydrogène et de loxygène apportés par leau. Pour
lobservateur, les racines sont « la face cachée de la
plante», diffi ciles à étudier in situ. Le sol est en eff et un
univers très complexe, une a aire de spécialistes. Les
physiologistes végétaux ont donc développé des tech-
niques visant à cultiver les plantes sans sol (cultures
hydroponiques) pour pouvoir observer les racines
facilement. Ainsi ont été découverts les aspects fonda-
mentaux du fonctionnement des racines :
— La forme des systèmes racinaires est déterminée
génétiquement, au moins pour une part. Certaines
espèces ont des racines superfi cielles, par exemple
les plantes adaptées aux milieux secs qui développent
leurs racines sur une surface importante, profi tant
ainsi de la moindre goutte de pluie. D’autres, au
contraire, enfoncent leurs racines profondément dans
le sol. Certaines plantes ont des systèmes racinaires
peu rami és, dits «en arêtes de poisson», d’autres se
rami ent beaucoup, de manière dichotomique.
— Les facteurs qui déterminent la rami cation raci-
naire, ainsi que les mécanismes cellulaires de cette
rami cation, ont également été élucidés grâce à ces
systèmes hors-sol.
— Les mécanismes dabsorption des éléments nutritifs
commencent à être bien connus, la génétique molécu-
laire ayant permis de découvrir les gènes codant des
transporteurs dions situés sur les membranes des cel-
lules épidermiques racinaires. Certains de ces trans-
porteurs fonctionnent lorsque la concentration en
éléments nutritifs est très faible (on parle de transpor-
teurs à haute a nité), ce qui permet à la plante d’arra-
cher au sol la moindre ressource minérale, même si ce
sol est très pauvre. Ces transporteurs recèlent encore
bien des mystères et la recherche se poursuit dans ce
domaine prometteur.
Mais ces démarches ne permettent pas de comprendre
les processus intimes du contact entre la racine et le
sol. Pour pouvoir observer la zone de contact entre la
racine et le sol, il faut avoir recours à des techniques
le moins destructives possibles, comme la microsco-
pie électronique à balayage. Les clichés révèlent alors
la présence sur la surface racinaire de nombreux
éléments de la micro ore et de la microfaune du sol,
notamment des bactéries et des fi laments mycéliens.
Létroite zone qui entoure la racine, un cylindre denvi-
ron 5 mm de rayon, a été appelée «rhizosphère».
Les phénomènes
rhizosphériques
La rhizospre est un milieu dans lequel seroulent
de nombreux phénomènes, qu’il s’agisse de labsorp-
tion des éléments nutritifs par la racine ou des rela-
tions entre la racine et les bactéries et champignons
du sol. Ces relations peuvent être de nature agressive,
dans le cas des champignons et bactéries pathogènes,
ou symbiotique, dans le cas des associations mycorhi-
La racine, organe d’interface entre la plante
et le sol
Sylvain Chaillou, Professeur de biologie végétale à AgroParisTech
Système racinaire daulne © www.albarine.com
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ziennes ou bien des bactéries fi xatrices dazote atmos-
phérique par exemple.
La racine excrète dans la rhizosphère des exsudats et
mucilages qui sont sources daliments pour la micro-
ore du sol. De plus, lors de sa croissance dans le sol,
en longueur comme en épaisseur, la racine perd les
cellules épidermiques les plus externes qui se des-
quament sous leff et des forces de frottement avec le
sol. Les cellules ainsi lysées vont constituer des niches
écologiques de choix pour les bactéries. À son tour, la
microfl ore du sol va émettre des composés utiles pour
la plante, comme des sucres simples ou des acides ami-
nés. Certains champignons émettent des phosphatases
qui vont solubiliser les phosphates précipités du sol,
les rendant ainsi disponibles pour la plante. La rhizos-
phère constitue donc une zone ts riche en éléments
nutritifs, dans laquelle tous les protagonistes de lin-
terface sol-racines vont trouver leur compte. Toutefois,
ce bel édi ce peut se disloquer si des contraintes
apparaissent, par exemple une sécheresse prolongée
ou bien une carence en un élément indispensable. La
compétition entre racines et êtres vivants du sol peut
alors s’avérer grave et aboutir à un ralentissement,
voire un arrêt de la croissance racinaire. De plus, de
nombreuses maladies des plantes sont dues à des bac-
téries ou champignons vivant dans le sol. Cependant,
il existe des relations non con ictuelles entre les
racines et la micro ore-microfaune du sol : ce sont les
symbioses, au premier rang desquelles se trouvent les
mycorhizes. Dans cette association à bénéfi ces réci-
proques, le champignon reçoit de la plante les sucres
qu’il ne peut synthétiser puisqu’il n’est pas capable de
photosyntse, tandis que la plante reçoit les éments
minéraux, notamment le phosphore, que le champi-
gnon est capable daller puiser ts loin de la racine
grâce à ses hyphes. Le volume de sol exploré, réduit à
létroite zone rhizosphérique en temps normal, trouve
une extension importante grâce aux mycorhizes.
Les facteurs de la croissance et
de la ramifi cation racinaires
La croissance racinaire est guidée par le gravitropisme
qui lui permet de s’allonger verticalement dans le sol,
stimulée par la gravité. Des expériences de germina-
tion en vaisseau spatial ont montré que la jeune racine
issue de la graine prend des directions aatoires en
labsence de pesanteur. La rami cation racinaire est
déterminée par la richesse en éléments minéraux du
sol. Ainsi, lorsque la racine atteint un horizon du sol
riche en un ou plusieurs éléments, elle se rami e. En
fait, les ébauches des racines latérales, préformées à
lintérieur de la racine, vont s’allonger dès que la racine
perçoit un enrichissement du sol. Ce mécanisme per-
met à la plante de tirer le meilleur parti de lexplora-
tion des ressources minérales du sol. On ignore encore
la nature moléculaire des systèmes de perception de la
richesse minérale du sol par la racine («sensors») qui
sont probablement des protéines membranaires sem-
blables aux transporteurs. La rami cation racinaire, et
plus généralement la croissance des racines, est sous
la dépendance dune hormone végétale, l’auxine, qui
stimule la croissance. Au contraire, léthylène, régula-
teur de croissance synthétisé par la plante sous l’e et
d’un stress, agit en inhibant la croissance des racines,
mais aussi celle des parties aériennes. Les facteurs
environnementaux, comme la température, le deg
dhumidité, la teneur en oxygène, le pH, les obstacles
physiques, jouent un rôle important dans la croissance
des racines. Ainsi, lorsque la racine atteint une zone
du sol où ces facteurs sont défavorables, sa croissance
va ralentir ou même sarrêter. Il arrive quune racine
meure si elle rencontre une zone très défavorable, par
exemple asphyxiante par manque doxygène, ou bien
empoisonnée par la présence dun élément toxique en
forte teneur (métal lourd, hydrocarbure). La plante a
alors la capacité de compenser cette perte racinaire
par la rami cation dautres racines qui croissent dans
un environnement favorable. De manière étonnante,
il existe des espèces capables de résister à des sols
toxiques, en faisant croître et se rami er leurs racines
même dans des zones où aucune autre plante ne peut
survivre. Dans le cas des sols pollués par des métaux
lourds, ces espèces sont particulièrement intéressantes
à des fi ns de dépollution.
Dans le sol, les racines des plantes pérennes, surtout
des arbres, peuvent atteindre des dimensions impor-
tantes (jusqu’à 40 m pour les acacias des vales sèches
du Sahara). Au cours de leur croissance, elles déve-
loppent une puissance considérable qui peut leur faire
soulever le bitume des routes ou bien agrandir des fi s-
sures dans des murs ou des dalles de béton. Dans le cas
des terrasses ou des jardins sur dalle dans les villes, les
racines deviennent alors très gênantes pour
Image électronique de la rhizosphère
© Pacifi c Northwest National Laboratory, USA
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les activités humaines. Au contraire, en montagne, le
développement des systèmes racinaires très denses
des arbres contribue à retenir les éléments du sol et à
ralentir lérosion. Les racines sont donc un atout pour
la préservation de certains sites.
Les réactions des racines lorsqu’elles rencontrent une
zone favorable peuvent parfois devenir un inconvé-
nient. Ainsi, elles peuvent se développer de manière
intense dans des tuyaux découlement des eaux usées
(elles y trouvent de nombreux éléments nutritifs),
allant jusqu’à les boucher. Un autre exemple est celui
des vergers irrigués, où les racines vont se limiter au
volume de sol riche en eau, sans explorer davantage le
sol autour de cette zone irriguée. On parle du «bulbe
dirrigation». Lancrage des arbres peut alors s’avé-
rer insu sant, et ils peuvent être renversés par des
coups de vent modérés. Mais il est parfois possible
de les redresser, et, après une période de latence, ils
reprendront leur croissance normalement. Dans cer-
taines régions où le sol est très peu épais, les racines
des arbres vont rester en surface, leur développement
étant bloqué par la roche-mère. Cela ne gêne pas la
croissance de larbre, de nombreuses forêts de coni-
fères étant dans ce cas. Mais lors de tempêtes, ces
arbres seront les premiers renversés, et cette fois sans
espoir de reprise. Il est alors étonnant de constater que
de grands arbres reposent en fait sur des couronnes
racinaires, certes étendues, mais très peu profondes.
Larbre semble en équilibre sur son système racinaire.
On comprend donc limportance des racines, aussi
bien pour la plante elle-même que pour son environne-
ment, et aussi pour les activités humaines. Noublions
pas également que certaines racines qui emmaga-
sinent des réserves pour la plante sont des aliments
pour lhomme (la carotte entre autres). Cette journée
« Au pays des racines » rend donc en quelque sorte
justice à une partie de la plante trop souvent négligée,
ou bien vue comme gênante. La racine reste un sujet
davenir pour la recherche en biologie végétale !
Ramifi cation racinaire dans une zone enrichie
en P et K © Cooke, 1954
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