La racine, organe d’interface entre la plante et le sol Sylvain Chaillou, Professeur de biologie végétale à AgroParisTech Introduction, notion de rhizosphère Les racines permettent à la fois l’ancrage de la plante dans le sol et l’acquisition des ressources minérales indispensables à sa croissance. La plante a besoin pour se développer de 6 macroéléments (azote, phosphore, potassium, calcium, magnésium, soufre) et de 7 oligoéléments (fer, cuivre, molybdène, manganèse, zinc, bore, chlore), en plus, bien sûr, du carbone apporté par le gaz carbonique de l’air (photosynthèse) et de l’hydrogène et de l’oxygène apportés par l’eau. Pour l’observateur, les racines sont « la face cachée de la plante », difficiles à étudier in situ. Le sol est en effet un univers très complexe, une affaire de spécialistes. Les physiologistes végétaux ont donc développé des techniques visant à cultiver les plantes sans sol (cultures hydroponiques) pour pouvoir observer les racines facilement. Ainsi ont été découverts les aspects fondamentaux du fonctionnement des racines : — La forme des systèmes racinaires est déterminée génétiquement, au moins pour une part. Certaines espèces ont des racines superficielles, par exemple les plantes adaptées aux milieux secs qui développent leurs racines sur une surface importante, profitant ainsi de la moindre goutte de pluie. D’autres, au contraire, enfoncent leurs racines profondément dans le sol. Certaines plantes ont des systèmes racinaires peu ramifiés, dits « en arêtes de poisson », d’autres se ramifient beaucoup, de manière dichotomique. — Les facteurs qui déterminent la ramification racinaire, ainsi que les mécanismes cellulaires de cette ramification, ont également été élucidés grâce à ces systèmes hors-sol. 42 — Les mécanismes d’absorption des éléments nutritifs commencent à être bien connus, la génétique moléculaire ayant permis de découvrir les gènes codant des transporteurs d’ions situés sur les membranes des cellules épidermiques racinaires. Certains de ces transporteurs fonctionnent lorsque la concentration en éléments nutritifs est très faible (on parle de transporteurs à haute affinité), ce qui permet à la plante d’arracher au sol la moindre ressource minérale, même si ce Système racinaire d’aulne © www.albarine.com sol est très pauvre. Ces transporteurs recèlent encore bien des mystères et la recherche se poursuit dans ce domaine prometteur. Mais ces démarches ne permettent pas de comprendre les processus intimes du contact entre la racine et le sol. Pour pouvoir observer la zone de contact entre la racine et le sol, il faut avoir recours à des techniques le moins destructives possibles, comme la microscopie électronique à balayage. Les clichés révèlent alors la présence sur la surface racinaire de nombreux éléments de la microflore et de la microfaune du sol, notamment des bactéries et des fi laments mycéliens. L’étroite zone qui entoure la racine, un cylindre d’environ 5 mm de rayon, a été appelée « rhizosphère ». Les phénomènes rhizosphériques La rhizosphère est un milieu dans lequel se déroulent de nombreux phénomènes, qu’il s’agisse de l’absorption des éléments nutritifs par la racine ou des relations entre la racine et les bactéries et champignons du sol. Ces relations peuvent être de nature agressive, dans le cas des champignons et bactéries pathogènes, ou symbiotique, dans le cas des associations mycorhi- ziennes ou bien des bactéries fi xatrices d’azote atmosphérique par exemple. La racine excrète dans la rhizosphère des exsudats et mucilages qui sont sources d’aliments pour la microflore du sol. De plus, lors de sa croissance dans le sol, en longueur comme en épaisseur, la racine perd les cellules épidermiques les plus externes qui se desquament sous l’effet des forces de frottement avec le sol. Les cellules ainsi lysées vont constituer des niches écologiques de choix pour les bactéries. À son tour, la microflore du sol va émettre des composés utiles pour la plante, comme des sucres simples ou des acides aminés. Certains champignons émettent des phosphatases qui vont solubiliser les phosphates précipités du sol, les rendant ainsi disponibles pour la plante. La rhizosphère constitue donc une zone très riche en éléments nutritifs, dans laquelle tous les protagonistes de l’interface sol-racines vont trouver leur compte. Toutefois, ce bel édifice peut se disloquer si des contraintes apparaissent, par exemple une sécheresse prolongée ou bien une carence en un élément indispensable. La compétition entre racines et êtres vivants du sol peut alors s’avérer grave et aboutir à un ralentissement, voire un arrêt de la croissance racinaire. De plus, de nombreuses maladies des plantes sont dues à des bactéries ou champignons vivant dans le sol. Cependant, il existe des relations non conflictuelles entre les racines et la microflore-microfaune du sol : ce sont les symbioses, au premier rang desquelles se trouvent les mycorhizes. Dans cette association à bénéfices réciproques, le champignon reçoit de la plante les sucres qu’il ne peut synthétiser puisqu’il n’est pas capable de photosynthèse, tandis que la plante reçoit les éléments minéraux, notamment le phosphore, que le champignon est capable d’aller puiser très loin de la racine grâce à ses hyphes. Le volume de sol exploré, réduit à l’étroite zone rhizosphérique en temps normal, trouve une extension importante grâce aux mycorhizes. Image électronique de la rhizosphère © Pacific Northwest National Laboratory, USA Les facteurs de la croissance et de la ramification racinaires La croissance racinaire est guidée par le gravitropisme qui lui permet de s’allonger verticalement dans le sol, stimulée par la gravité. Des expériences de germination en vaisseau spatial ont montré que la jeune racine issue de la graine prend des directions aléatoires en l’absence de pesanteur. La ramification racinaire est déterminée par la richesse en éléments minéraux du sol. Ainsi, lorsque la racine atteint un horizon du sol riche en un ou plusieurs éléments, elle se ramifie. En fait, les ébauches des racines latérales, préformées à l’intérieur de la racine, vont s’allonger dès que la racine perçoit un enrichissement du sol. Ce mécanisme permet à la plante de tirer le meilleur parti de l’exploration des ressources minérales du sol. On ignore encore la nature moléculaire des systèmes de perception de la richesse minérale du sol par la racine («sensors») qui sont probablement des protéines membranaires semblables aux transporteurs. La ramification racinaire, et plus généralement la croissance des racines, est sous la dépendance d’une hormone végétale, l’auxine, qui stimule la croissance. Au contraire, l’éthylène, régulateur de croissance synthétisé par la plante sous l’effet d’un stress, agit en inhibant la croissance des racines, mais aussi celle des parties aériennes. Les facteurs environnementaux, comme la température, le degré d’humidité, la teneur en oxygène, le pH, les obstacles physiques, jouent un rôle important dans la croissance des racines. Ainsi, lorsque la racine atteint une zone du sol où ces facteurs sont défavorables, sa croissance va ralentir ou même s’arrêter. Il arrive qu’une racine meure si elle rencontre une zone très défavorable, par exemple asphyxiante par manque d’oxygène, ou bien empoisonnée par la présence d’un élément toxique en forte teneur (métal lourd, hydrocarbure). La plante a alors la capacité de compenser cette perte racinaire par la ramification d’autres racines qui croissent dans un environnement favorable. De manière étonnante, il existe des espèces capables de résister à des sols toxiques, en faisant croître et se ramifier leurs racines même dans des zones où aucune autre plante ne peut survivre. Dans le cas des sols pollués par des métaux lourds, ces espèces sont particulièrement intéressantes à des fins de dépollution. Dans le sol, les racines des plantes pérennes, surtout des arbres, peuvent atteindre des dimensions importantes (jusqu’à 40 m pour les acacias des vallées sèches du Sahara). Au cours de leur croissance, elles développent une puissance considérable qui peut leur faire soulever le bitume des routes ou bien agrandir des fissures dans des murs ou des dalles de béton. Dans le cas des terrasses ou des jardins sur dalle dans les villes, les racines deviennent alors très gênantes pour 43 Ramification racinaire dans une zone enrichie en P et K © Cooke, 1954 les activités humaines. Au contraire, en montagne, le développement des systèmes racinaires très denses des arbres contribue à retenir les éléments du sol et à ralentir l’érosion. Les racines sont donc un atout pour la préservation de certains sites. Les réactions des racines lorsqu’elles rencontrent une zone favorable peuvent parfois devenir un inconvénient. Ainsi, elles peuvent se développer de manière intense dans des tuyaux d’écoulement des eaux usées (elles y trouvent de nombreux éléments nutritifs), allant jusqu’à les boucher. Un autre exemple est celui des vergers irrigués, où les racines vont se limiter au 44 volume de sol riche en eau, sans explorer davantage le sol autour de cette zone irriguée. On parle du «bulbe d’irrigation». L’ancrage des arbres peut alors s’avérer insuffisant, et ils peuvent être renversés par des coups de vent modérés. Mais il est parfois possible de les redresser, et, après une période de latence, ils reprendront leur croissance normalement. Dans certaines régions où le sol est très peu épais, les racines des arbres vont rester en surface, leur développement étant bloqué par la roche-mère. Cela ne gêne pas la croissance de l’arbre, de nombreuses forêts de conifères étant dans ce cas. Mais lors de tempêtes, ces arbres seront les premiers renversés, et cette fois sans espoir de reprise. Il est alors étonnant de constater que de grands arbres reposent en fait sur des couronnes racinaires, certes étendues, mais très peu profondes. L’arbre semble en équilibre sur son système racinaire. On comprend donc l’importance des racines, aussi bien pour la plante elle-même que pour son environnement, et aussi pour les activités humaines. N’oublions pas également que certaines racines qui emmagasinent des réserves pour la plante sont des aliments pour l’homme (la carotte entre autres). Cette journée « Au pays des racines » rend donc en quelque sorte justice à une partie de la plante trop souvent négligée, ou bien vue comme gênante. La racine reste un sujet d’avenir pour la recherche en biologie végétale !