«SOIGNER CâEST LâEXPĂRIENCE DE SE COMPRENDRE
SOI-MĂME PAR LE DĂTOUR DE LâAUTRE»
Les soins culturels à restructurer ou à réorienter consis-
tent Ă modifier ce qui est nocif au bien ĂȘtre ou Ă la
santé de la personne. Changer est difficile dans toute
culture. Dans certaines cultures, le changement se fait
plutĂŽt lentement et dans dâautres, comme la nĂŽtre, cela
se fait gĂ©nĂ©ralement plus rapidement. Ici, lâinfirmiĂšre
tente de transformer certaines coutumes ou habitudes
avec la famille ou avec ceux qui sont concernés : les
régimes, la scolarité. des enfants, la prise de médica-
ments, la propretĂ©, Iâacculturation des familles de
requĂ©rants dâasile, etc. La collaboration, la rĂ©ciprocitĂ©
et la connaissance du contexte culturel sont indispen-
sables pour mener Ă terme un tel projet.
Les étudiants précisent pour terminer comment ils
accueilleraient un individu du groupe Ă©tudiĂ© Ă lâhĂŽpital
aprĂšs ce quâil ont appris lors de ces deux journĂ©e. Les
soins culturels ne sont pas individuels, ils sâĂ©tudient
dans un groupe parce quâune culture sâĂ©labore depuis
plusieurs générations et concerne une communauté.
Une culture est appartenance, elle donne une signifi-
cation Ă ce qui entoure. Les soins ne sont pas origi-
naires de lâhĂŽpital, ils naissent dâune expĂ©rience intime
avec la mĂšre, avec nous
-
mĂȘmes, avec la famille, avec
la vie, avec les liens qui se tissent entre les ĂȘtres
humains. Nos expériences préalables des soins jouent
un rĂŽle dans la propre pratique des soins (Roach,
1992 : 14-I 7). Câest dans une culture que se forment.
les traditions, les croyances qui se transmettent et
celles qui sâacquiĂšrent, celles qui se perpĂ©tuent ou se
transforment au contact dâautres. Essayer de pĂ©nĂ©trer
lâĂ©paisseur de la culture nĂ©cessite une humilitĂ© certaine
pour créer un échange égalitaire et apprendre de
lâautre. Sâaccompagner du milieu du groupe facilite la
comprĂ©hension de lâautre, accompagnĂ©, de beaucoup
de curiositĂ©. Ătudier un groupe
«
exotique
»
encourage
la décentration et la découverte des soins en apprenant
les modes de vie de lâautre, en abordant la conception
de vie de son groupe culturel et sa signification.
Cette approche oblige Ă questionner les conceptions
personnelles, Ă observer dâautres valeurs, Ă dĂ©couvrir
des croyances Ă entrer dans le domaine de la significa-
tion, Ă Ă©crire et Ă partager lâexpĂ©rience en Ă©laborant :
soigner. Cette approche
«
déroule
»
les soins
«
dissi-
mulés
»
dans les synthÚses caractéristiques, à nos
documents des soins : tel le processus de soins :
«
Le patient sera capable de faire sa toilette de maniĂšre
indépendante, à la fin de la semaine ».
«
La patiente
sera capable dâexprimer sa souffrance lors de Iâentre-
tien de relation dâaide », etc. Que dit-on sur les soins
dans ces phrases. Soigner nâest pas la souffrance et ce
que le patient exprime, on ne le sait pas.
Sortir les soins de lâhĂŽpital est une expĂ©rience qui
introduit à la compréhension du domaine des soins
culturels, mais cela ne veut pas dire que les soins pro-
fessionnels sont de cÎté, ils sont en veilleuse parce
quâil ont Ă©tĂ© jusquâici trĂšs envahissants, ils prennent
une autre place. Pourtant, tout au long de cette expé-
rience, un va-et-vient se fait entre les soins profession-
nels et les soins traditionnels. Parce que je tiens Ă un
principe dâapprentissage indispensable, ce principe est
que pour accĂ©der Ă lâinconnu, on passe dâabord et
nécessairement par le connu (voir Rohrbach, 1997a).
u
Rencontre avec des jeunes rapeurs
g
Câest le titre du travail prĂ©sentĂ© par une Ă©tudiante et qui
commence ainsi :
«
Dans le cadre du stage proposĂ©., je fais le choix dâob-
server une population qui mâest âfamiliĂšreâ, tout en res-
tant exotique, puisque je la méconnais. Pour une pre-
miĂšre prise de contact avec les jeunes dâun quartier de
grands immeubles, je suis allée à leur rencontre sur
leur lieu de vie, dans leur quartier. Sâil est un lieu oĂč
lâon peut constater aisĂ©ment le malaise dâune certaine
jeunesse, câest bien la proximitĂ© des grands ensembles.
Assis sur un muret, quelques jeunes tentent dâoublier
leur désoeuvrement
».
Ce qui me frappe en premier lieu, câest lâimpression
dâavoir affaire Ă un groupe. Au travers dâun type vesti-
mentaire qui les caractĂ©rise, je reconnais bien Iâuni-
forme du rapeur, tel quâil est vĂ©hiculĂ© dans les mĂ©dias
et la publicitĂ© : casquettes Ă lâenvers, bonnets de rap-
peur, pantalons trÚs larges, baskets non lacés. je leur
donne environ 18 ans. Quelques visages me sont fami-
liers pour avoir eu lâoccasion de les croiser en dâautres
lieux. je saisis cette opportunité pour expliquer le
but
de ma démarche et éveiller en eux une certaine curio-
sité qui va me permettre de les cÎtoyer durant les deux
jours Ă venir. Jâutilise des mots simples, des phrases
courtes et je leur propose de lire mon futur rapport.
Chance ou intuition? Jâai gagnĂ© leur confiance, et ren-
dez-vous est pris pour le lendemain Ă
lOh30.
Heure
considérée comme raisonnable au regard de leur emploi
du temps! Si Ă ce stade de la rencontre, jâai un senti-
ment, il leur est plutĂŽt favorable
»
(Escribano, 1997 : 1).
Lâauteur du travail prĂ©sente chaque jeune pour faire
part du comment ils conçoivent le monde, car câest de
ces données que soigner va découler. Ainsi un jeune
dira :
«
On se lĂšve pour rien faire, descendre, Ă©chapper
au regard des parents, trouver 2, 3 copains, trouver du
hasch, piquer quelque chose.
»
«Pour nous com-
prendre, faut se mettre dans notre peau
»
(ibid. p. 2).
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Recherche en soins infirmiers
No
56
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Mars 1999