CĂ©cilia ROHRBACH
InfirmiĂšre
anthropologue, Doctorat en
sociologie et anthropologie de l’UniversitĂ© de Lausanne,
«SOIGNER, C’EST L’EXPÉRIENCE DE SE COMPRENDRE
SOI-MÊME PAR LE DÉTOUR DE L’AUTRE» ’
«
Celui qui nage Ă  contre-courant
ConnaĂźt la force que celui-ci contient
»
Woodrow Wilson
RÉSUMÉ
Les expĂ©riences pĂ©dagogiques rĂ©alisĂ©es Ă  l’institut de Formation en Soins Infirmiers de Thonon-Les-Bains favorisent
l’émergence des connaissances des soins grĂące Ă  la mĂ©thode pratiquĂ©e. L’observateur fait partie intĂ©grante de son
observation, car soigner ne se construit pas en «suisse
»
2,
mais avec un groupe culturel Ă©loignĂ©. L’observation et le
partage obtenu dans un tel groupe permettent de quitter momentanĂ©ment I’hopital et sa culture et prendre de la dis-
tance pour considérer les soins comme une ontologie dans une perspective culturelle.
Mon propos est d’argumenter la nĂ©cessitĂ© d’approfondir le lien entre soins et culture. Un bref parcours historique est
dĂ©crit Ă  travers la prĂ©sence constante de l’hĂŽpital et du systĂšme mĂ©dical dans la formation et la pratique de soins
infirmiers. Ensuite, j’introduis ma dĂ©marche basĂ©e sur les soins et l’anthropologie et l’orientation philosophique qui
l’accompagne. Le rĂ©sumĂ© du travail d’une Ă©tudiante Ă©voque un groupe culturel
«
exotique
»
3
et une description
succincte de la maniùre dont elle a tenu compte du fait que l’observateur fait partie de son observation.
Soigner d’une maniùre culturellement significative est pour moi un droit humain universel que je reconnais et que
je défends à travers mes activités de recherche et mes interventions professionnelles et pédagogiques dans les
milieux professionnels des soins et de la santé.
Mots-clés : Soigner
-
Observation
-
Participation
-
Ontologie
-
Culture
-
Éloignement.
1. Voir C. Rohrbach, 1997a.
2. J’utilise cette formulation pour indiquer le mĂȘme contenu que l’expression :
«
Boire en Suisse
»
qui signifie boire tout seul, en pays Romand.
3. «Exotique
n
veut dire dans ce contexte, inconnu de l’observatrice.
81
Recherche en soins infirmiers
ND
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-
Mars 1999
ARIATION
«SOIGNER C’EST L’EXPÉRIENCE DE SE COMPRENDRE
SOI-MÊME PAR LE DÉTOUR DE L’AUTRE»
Les raisons de l’éloignement
L’hĂŽpital est une prĂ©sence pesante dans la formation et
dans la pratique de soins infirmiers depuis le siÚcle passé.
L’hĂŽpital monopolise le contenu de l’étude de soigner
dans les différentes formations et dans la quotidienneté
de la pratique. Sans nier les efforts considérables des
centres de formation en soins infirmiers, le systÚme médi-
cal et sa technologie imprùgnent aujourd’hui les soins.
L’hĂŽpital est le lieu privilĂ©giĂ© de la pratique infirmiĂšre et
de la formation professionnelle, l’hîpital est en fait la cul-
ture d’origine du monde infirmier. C’est l’hospitalier et
l’extrahospitalier qui prescrivent normes, valeurs,
croyances, habitudes, thérapeutiques, médicaments, atti-
tudes, etc., caractérisant la
«
culture
»
de soins infirmiers.
La formation en soins infirmiers modernes marque la pro-
fession depuis le siĂšcle passĂ© et jusqu’à nos jours. Le pre-
mier programme laĂŻque de formation en soins infirmiers
est celui de l’école de la Source Ă  Lausanne (Jaccard,
1949, p. 358, et La Source, 1859-1959, cité par
Nadot,
1992 : 334) en 1859 :
«
A cĂŽtĂ© de l’enseignement cli-
nique qui se pratiquait dans le service hospitalier par le
corps mĂ©dical, la soeur directrice et la sƓur institutrice
traduiront : pour l’une, les valeurs professionnelles en
leçons de morale Ă©lĂ©mentaire et pour l’autre, les
prĂ©-requis Ă  l’enseignement mĂ©dico-chirurgical en cours
d’anatomie
»
(Nadot,
1992 : 329 et 330). Le programme
est donc basé sur le modÚle médical. Voici quelles sont
les racines I’hospitaliĂšres et mĂ©dicales de soins infirmiers
professionnels modernes. Les soins prodigués à domicile
suivent le modÚle hospitalier centré sur les tùches, les
actes et plus tard le processus des soins, les anamnĂšses,
l’application des thĂ©ories prescrites.
Une telle invasion dans le monde infirmier, justifie
amplement de sortir les soins de l’hîpital pour les com-
parer Ă  ceux des autres groupes culturels. Cette compa-
raison ouvre aux soins un
«
regard autre
»
que je déve-
lopperai plus loin? (Rohrbach, 1992).
N’oublions pas que le systùme hospitalier en vigueur
dans la plupart des pays post-industriels est trÚs oné-
reux. C’est d’ailleurs le systùme de
«
santé
»
américain
qui est le plus coûteux au monde (voir Spector, 1996 :
93-l 16) et je considÚre avoir une responsabilité profes-
sionnelle Ă  ce sujet.
La place des soins
La naissance des soins remonte à l’apparition de la vie,
les soins sont donc anciens. Les soins naissent avec
l’ĂȘtre humain et la signification de soigner est trĂšs diver-
sifiĂ©e Ă  l’intĂ©rieur du monde. Pourquoi soignons-nous
uniquement d’aprùs notre culture? N’est-ce pas une
attitude ethnocentrique de notre part?
La réflexion des soins a pourtant beaucoup évolué
dans les pays anglophones et soigner compte plusieurs
démarches, plusieurs philosophies et plusieurs écoles
dont celle de Leininger :
«
Soigner c’est les soins infir-
miers, soigner c’est protĂ©ger, soigner c’est le cƓur et
l’ñme de soins infirmiers
»
(1991 : 40).
Les soins sont indispensables à la vie dùs l’aube de I’hu-
manitĂ© et Marie-Françoise ColliĂšre l’a remarquablement
illustré dans son ouvrage, Promouvoir la vie (1982), tout
autant que l’a fait Madeleine Leininger (1970). Soigner
est enracinĂ© dans la culture, mais en tant qu’étude, soi-
gner est pratiquement inaperçu dans la plupart des for-
mations parce qu’une telle Ă©tude est rĂ©cente et
demande l’expĂ©rience de mĂ©thodes nouvelles.
Une transformation considérable jaillit à partir du
moment oĂč l’étude des soins peut se faire avec un
regard
«
du dedans
»
(Merleau-Ponty, 1964 : 24), avec
des méthodes qualitatives qui autorisent un autre
regard. Les soins et soigner s’apprennent à travers des
cours, des exercices, des lectures, etc., mais si on sou-
haite les Ă©tudier, vivre et partager du temps avec des
groupes culturels variĂ©s est un outil d’apprentissage
prĂ©cieux pour apprendre d’eux et comprendre par
l’étude leurs coutumes, leurs modes de vie, leurs tradi-
tions variées et ensuite les soigner et savoir anticiper
les soins Ă  leur donner.
La recherche en soins infirmiers est récente, surtout en
Europe et dans le monde francophone, et la recherche
est plus facilement pratiquée avec une orientation posi-
tiviste. La transformation que la méthodologie qualita-
tive
4
peut emmener dans l’étude de soigner est la rup-
ture d’un obstacle qui barricade souvent la
connaissance des soins.
L’étude de soigner en tant que phĂ©nomĂšne, prend de
plus en plus de place aux Etats-Unis, poussée par
l’étude du fĂ©minisme (voir
Neil,
R.M. et Watts, R.
1991, Cordon, S. Benner,
P.
et Noddings, N. 1996,
1996,
Lejninger,
1970, 1978, 1985, 1991, 1995). Nos
collÚgues américaines transforment soigner (caring) en
discipline, stimulées par le privilÚge de la liberté aca-
dĂ©mique qu’elles ont conquise.
4. La question de méthodologie demanderait une explication plus
complÚte que je ne peux pas faire ici. Les méthodes, toutefois, ne sont
ni bonnes, ni mauvaises, il s’agit de faire le bon choix. Soigner n’a pas
été étudié avec les méthodes qui conviennent à un phénomÚne que
l’on connaĂźt si peu. Les collĂšgues amĂ©ricaines l’ont bien montrĂ©.
82
Recherche en soins infirmiers
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Mars 1999
«SOIGNER C’EST L’EXPÉRIENCE DE SE COMPRENDRE
SOI-MÊME PAR LE DÉTOUR DE L’AUTRE»
L’étude d’une ontologie des soins, c’est-Ă -dire d’envisa-
ger les soins comme une maniĂšre d’ĂȘtre, prend plu-
sieurs directions
5
Ă  partir de 1970, mais une mĂȘme
intention : Étudier, comprendre, approfondir, comparer,
développer la recherche avec des méthodes phénomé-
nologiques ou qualitatives
6.
Ce pas-de-gĂ©ant : Étudier le phĂ©nomĂšne soigner Ă  I’uni-
versité, aligne cette discipline
a
la mĂȘme hauteur que
les autres disciplines académiques. Soigner, prendre
soin, entretenir la vie sont décrits dans le quotidien et
les connaissances acquises rendent les
«
soins
»
attrac-
tifs à concevoir, à réfléchir et à pratiquer.
La place de la culture
Madeleine Leininger constate que les valeurs hospita-
liĂšres, la technologie, les soins professionnels sont
insuffisants pour soigner les gens d’autres cultures.
GrĂące Ă  sa formation et Ă  l’expĂ©rience acquise par son
travail de terrain chez le Gadsup de la
Nouvelle-
Guinée lors de ses études de doctorat en anthropolo-
gie, Leininger créera le domaine de soins infirmiers
transculturels et l’école du
«
caring ». Leininger est pro-
phĂšte concernant le mĂ©lange des soins et de I’anthro-
pologie (voir Leininger, 1970). Elle témoigne dans ses
Ă©crits de la patience qu’il lui a fallu, car ses idĂ©es
paraissaient
«
bizarres
»
Ă  ses collĂšgues. Sans se laisser
intimider, elle fait son doctorat en anthropologie et
devient la premiĂšre infirmiĂšre anthropologue dans le
monde.
La culture, le concept clĂ© de l’anthropologie, est
aujourd’hui intĂ©grĂ©e aux soins culturels. La culture
interroge notre façon uni-culturelle de soigner, ainsi
que la culture hospitaliÚre et médicale sur lesquelles
nos soins sont basĂ©s. En mĂȘme temps la culture ouvre
la planĂšte pour Ă©tudier les soins des autres peuples, les
soins traditionnels, ces soins qui nous ouvrent au
monde et qui permettent un
«
Ă©clairage en retour
»
(Berthoud, 1992 : 11-l 3) sur notre pratique, sur notre
agir, sur notre philosophie.
5. Que je n’examinerai pas ici.
6. Voir Leininger, 1985, pour les méthodes phénoménologiques et
qualitatives.
Recherche et choix philosophiques
La technique et les actes ont été valorisés dans le
modĂšle hospitalier et hospitalocentriste. Cette focalisa-
tion sur l’institution hospitaliĂšre et sur le modĂšle mĂ©di-
cal marque la philosophie de la profession. Cette phi-
losophie centrée sur le modÚle hospitalier est
aujourd’hui perceptible dans les valeurs, les concep-
tions des soins actuelles, les choix des programmes, les
efforts pédagogiques pour démédicaliser, pour ensei-
gner les soins individualisés et pour humaniser
I’hîpi-
tal. Tenter de mettre Ă  sa juste place une influence
techno-médicale qui a aussi donné prestige et recon-
naissance aux soignants, mais qui monopolise hier
comme aujourd’hui la scĂšne de la santĂ© et de la mala-
die, c’est nager Ă  contre-courant quelques fois Ă  I’intĂ©-
rieur mĂȘme de la profession.
Soigner est fondamental Ă  tout ĂȘtre humain pour vivre,
c’est un regard du dedans et un regard du dehors, soi-
gner c’est l’expĂ©rience de se comprendre soi-mĂȘme
par le dĂ©tour de l’autre (Rohrbach,
199713
et 1977a).
Soigner c’est une prĂ©sence, un idĂ©al, soigner c’est
aider l’autre à grandir (Mayeroff, 1971 : 6-l 5).
Soigner c’est les soins infirmiers, soigner c’est protĂ©ger,
soigner c’est la maniĂšre d’ĂȘtre de l’infirmiĂšre Ă  l’égard
de l’autre et aider les gens, soigner, c’est le cƓur et
l’ñme des soins infirmiers (Leininger, 1991). Cette onto-
logie concerne chaque ĂȘtre humain et Heidegger est
un des principaux inspirateurs des courants actuels du
soigner, car une partie de l’oeuvre de Heidegger
aborde ce phénomÚne
(Macann,
1993 : 56-109) et
pour Heidegger prendre soin est l’expression qui
caractĂ©rise l’ĂȘtre dans le monde.
»
Ces réflexions universelles sont une base de la concep-
tion de «soigner les autres ». Les traditions propres à
chaque culture demandent une approche spécifique. II
est de ce fait souhaitable de sortir les soins de
l’hîpital.
II s’agit d’apprendre aux Ă©tudiants Ă  observer soigner Ă 
l’origine, soit avec le groupe culturel lui-mĂȘme. C’est
une expĂ©rience indispensable pour l’avenir de la pro-
fession et je propose son introduction dans le cadre des
programmes de formation, selon les postulats
ci-
aprĂšs :
a) Le premier se rĂ©fĂšre aux droits de I’Homme.
b)
Le deuxiÚme se réfÚre à la nécessité du
«
regard du
dehors et du dedans
»
des soins.
c) Le troisiÚme se réfÚre à la prise en considération de
la qualité des soins culturels.
83
Recherche en soins infirmiers
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56 Mars 1999
d)
Le quatriĂšme se rĂ©fĂšre au fait que soigner les ĂȘtres
humains de maniĂšre congruente Ă  leur culture
nécessite une formation (Leininger, 1991).
Les principes philosophiques plus spécifiques qui gui-
dent cette démarche sont :
l
«
Le respect de l’égalitĂ© des cultures.
l
«
La reconnaissance de leurs différences
»
(voir
Berthoud, 1992 et Rohrbach, 1997a).
Ces valeurs philosophiques guident la rĂ©flexion de I’ex-
périence pédagogique proposée et préparent les étu-
diants Ă  l’étude des soins dans une perspective cultu-
relle, tenant compte de l’universalitĂ© et de la diversitĂ©
dans le monde et en accord avec une orientation de
recherche (voir Rohrbach, 1997a).
Expérience pédagogique : Soins et culture
La nĂ©cessitĂ© et l’avantage du dĂ©tour pour l’étude des
soins, rĂ©sident dans l’expĂ©rience riche en connaissance
de l’autre et de soi-mĂȘme et dans l’ouverture qui habi-
tuellement se produit par rapport à soigner. Le détour
que je propose Ă©loigne de l’hĂŽpital tandis qu’il rap-
proche de la connaissance de l’autre et d’un regard neuf.
C’est dĂ©cisif et inestimable de dĂ©couvrir l’autre dans son
groupe d’appartenance tout en identifiant la vision du
monde de ce groupe. Cette introduction à la méthode
d’ethnosoins (Leininger 1991 : 69-117) est une expĂ©-
rience stimulante dans une carriĂšre professionnelle, une
formation de cadres ou des Ă©tudes universitaires.
Les soins professionnels originaires de l’hîpital sont
connus et pratiquĂ©s depuis un peu plus d’un siĂšcle. Les
soins quotidiens et traditionnels
7
qui réparent depuis
des générations sont pratiquement ignorés dans nos
milieux hospitaliers. Les soins traditionnels sont pour-
tant le fondement mĂȘme de soigner et leur Ă©tude se fait
dans les différents groupes culturels du monde et de
chaque société.
Le groupe de 46 étudiants de premiÚre année
8
a suivi
une introduction théorique de trois jours discontinus,
une observation de 2 jours et une mise en commun par
petits groupes de dix. Voici quelques choix faits par les
Ă©tudiants : un couvent des sƓurs catholiques, un cou-
7. Je me suis inspirée de cette terminologie : soins professionnels et
soins folk, génériques, ou traditionnels des travaux de Leininger. Elle
Voit l’union de ces deux types des soins comme Ă©tant les soins cul-
turellement appropriés. II y a également la terminologie de ColliÚre
qui nomme les soins coutumiers.
8. Institut de Formation en Soins Infirmiers de Thonon-Les Bains.
vent bouddhiste, les squatters, les témoins de Jéhovah,
les individus transsexuels, les dealers, un foyer de maga-
sin chinois, un mendiant, une famille paysanne, les res-
tos du cƓur, le cirque, les Ă©leveurs des chiens, etc.
La découverte par observation directe pendant ces
deux journées consécutives
9
permet de récolter des
informations inestimables en créant des liens avec ces
gens. Le groupe choisit, devient abordable et compré-
hensible, les préjugés se révisent, les craintes dimi-
nuent, soigner se transforme en l’écrivant, en le dĂ©cri-
vant et en le partageant avec les autres. Les données de
premiÚre main et leur utilité pour les soins profession-
nels sont évidentes et cela apparaßt dans la capacité
des étudiants à décrire comment ils soigneraient ces
individus si variĂ©s s’ils arrivaient Ă  l’hĂŽpital.
Leininger dans sa théorie des soins culturels, décrit les
soins de la maniĂšre suivante :
Les soins culturels à préserver ou à continuer impli-
quent de reconnaĂźtre les traditions, les croyances, les
habitudes qui ne gĂȘnent pas les soins professionnels’o,
mais au contraire qui favorisent le bien-ĂȘtre et la santĂ©.
Par exemple, comprendre la signification des priĂšres
du groupe, les valeurs de la famille Ă©tendue, les modes
de vie pour les valoriser et contribuer Ă  leur maintien.
Les soins culturels Ă  accommoder
et/ou
à négocier,
demandent des connaissances sur le mode de vie du
groupe et sur la signification de demandes faites dans
les services. II y a un travail Ă  faire de la part de
I’infir-
miĂšre pour accepter certaines demandes : comme une
famille musulmane qui demande Ă  faire la toilette mor-
tuaire d’un membre de sa famille dĂ©cĂ©dĂ©, comme le
souhait d’un patient africain visitĂ© par un groupe de
familiers, souhait souvent problématique. Dans ces
deux cas, c’est à l’infirmiùre et au service de trouver
une solution satisfaisante pour les familles. Plus les ser-
vices et les collaborateurs hospitaliers acquiĂšrent des
connaissances sur les traditions, les coutumes, leur
signification, plus la compréhension et le respect envers
les patients et leurs demandes augmentent et le service
est prĂȘt Ă  faire des concessions. La qualitĂ© des soins
d’un hîpital augmente si les patients venus d’autres cul-
tures sont respectés et satisfaits et si on réalise que la
qualité des soins est aussi culturelle. Des soins culturel-
lement significatifs sont une ressource nouvelle par rap-
port à la qualité des soins qui se pratique habituelle-
ment à l’hîpital et qui est mono ou uni-culturelle.
9. Une prolongation à 3 journées cette année.
10. Les soins professionnels sont ceux qui sont appris lors d’une for-
mation de base et qui se pratiquent Ă  l’hĂŽpital, les soins gĂ©nĂ©riques
ou folk sont ceux que chaque groupe culturel pratique selon ses
croyances ou traditions (Leininger, 1991 : 38).
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Recherche en soins infirmiers
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«SOIGNER C’EST L’EXPÉRIENCE DE SE COMPRENDRE
SOI-MÊME PAR LE DÉTOUR DE L’AUTRE»
Les soins culturels à restructurer ou à réorienter consis-
tent Ă  modifier ce qui est nocif au bien ĂȘtre ou Ă  la
santé de la personne. Changer est difficile dans toute
culture. Dans certaines cultures, le changement se fait
plutît lentement et dans d’autres, comme la nître, cela
se fait gĂ©nĂ©ralement plus rapidement. Ici, l’infirmiĂšre
tente de transformer certaines coutumes ou habitudes
avec la famille ou avec ceux qui sont concernés : les
régimes, la scolarité. des enfants, la prise de médica-
ments, la propretĂ©, I’acculturation des familles de
requĂ©rants d’asile, etc. La collaboration, la rĂ©ciprocitĂ©
et la connaissance du contexte culturel sont indispen-
sables pour mener Ă  terme un tel projet.
Les étudiants précisent pour terminer comment ils
accueilleraient un individu du groupe Ă©tudiĂ© Ă  l’hĂŽpital
aprĂšs ce qu’il ont appris lors de ces deux journĂ©e. Les
soins culturels ne sont pas individuels, ils s’étudient
dans un groupe parce qu’une culture s’élabore depuis
plusieurs générations et concerne une communauté.
Une culture est appartenance, elle donne une signifi-
cation Ă  ce qui entoure. Les soins ne sont pas origi-
naires de l’hĂŽpital, ils naissent d’une expĂ©rience intime
avec la mĂšre, avec nous
-
mĂȘmes, avec la famille, avec
la vie, avec les liens qui se tissent entre les ĂȘtres
humains. Nos expériences préalables des soins jouent
un rĂŽle dans la propre pratique des soins (Roach,
1992 : 14-I 7). C’est dans une culture que se forment.
les traditions, les croyances qui se transmettent et
celles qui s’acquiĂšrent, celles qui se perpĂ©tuent ou se
transforment au contact d’autres. Essayer de pĂ©nĂ©trer
l’épaisseur de la culture nĂ©cessite une humilitĂ© certaine
pour créer un échange égalitaire et apprendre de
l’autre. S’accompagner du milieu du groupe facilite la
comprĂ©hension de l’autre, accompagnĂ©, de beaucoup
de curiositĂ©. Étudier un groupe
«
exotique
»
encourage
la décentration et la découverte des soins en apprenant
les modes de vie de l’autre, en abordant la conception
de vie de son groupe culturel et sa signification.
Cette approche oblige Ă  questionner les conceptions
personnelles, Ă  observer d’autres valeurs, Ă  dĂ©couvrir
des croyances Ă  entrer dans le domaine de la significa-
tion, Ă  Ă©crire et Ă  partager l’expĂ©rience en Ă©laborant :
soigner. Cette approche
«
déroule
»
les soins
«
dissi-
mulés
»
dans les synthÚses caractéristiques, à nos
documents des soins : tel le processus de soins :
«
Le patient sera capable de faire sa toilette de maniĂšre
indépendante, à la fin de la semaine ».
«
La patiente
sera capable d’exprimer sa souffrance lors de I’entre-
tien de relation d’aide », etc. Que dit-on sur les soins
dans ces phrases. Soigner n’est pas la souffrance et ce
que le patient exprime, on ne le sait pas.
Sortir les soins de l’hĂŽpital est une expĂ©rience qui
introduit à la compréhension du domaine des soins
culturels, mais cela ne veut pas dire que les soins pro-
fessionnels sont de cÎté, ils sont en veilleuse parce
qu’il ont Ă©tĂ© jusqu’ici trĂšs envahissants, ils prennent
une autre place. Pourtant, tout au long de cette expé-
rience, un va-et-vient se fait entre les soins profession-
nels et les soins traditionnels. Parce que je tiens Ă  un
principe d’apprentissage indispensable, ce principe est
que pour accĂ©der Ă  l’inconnu, on passe d’abord et
nécessairement par le connu (voir Rohrbach, 1997a).
u
Rencontre avec des jeunes rapeurs
g
C’est le titre du travail prĂ©sentĂ© par une Ă©tudiante et qui
commence ainsi :
«
Dans le cadre du stage proposĂ©., je fais le choix d’ob-
server une population qui m’est ‘familiùre’, tout en res-
tant exotique, puisque je la méconnais. Pour une pre-
miùre prise de contact avec les jeunes d’un quartier de
grands immeubles, je suis allée à leur rencontre sur
leur lieu de vie, dans leur quartier. S’il est un lieu oĂč
l’on peut constater aisĂ©ment le malaise d’une certaine
jeunesse, c’est bien la proximitĂ© des grands ensembles.
Assis sur un muret, quelques jeunes tentent d’oublier
leur désoeuvrement
».
Ce qui me frappe en premier lieu, c’est l’impression
d’avoir affaire à un groupe. Au travers d’un type vesti-
mentaire qui les caractĂ©rise, je reconnais bien I’uni-
forme du rapeur, tel qu’il est vĂ©hiculĂ© dans les mĂ©dias
et la publicitĂ© : casquettes Ă  l’envers, bonnets de rap-
peur, pantalons trÚs larges, baskets non lacés. je leur
donne environ 18 ans. Quelques visages me sont fami-
liers pour avoir eu l’occasion de les croiser en d’autres
lieux. je saisis cette opportunité pour expliquer le
but
de ma démarche et éveiller en eux une certaine curio-
sité qui va me permettre de les cÎtoyer durant les deux
jours à venir. J’utilise des mots simples, des phrases
courtes et je leur propose de lire mon futur rapport.
Chance ou intuition? J’ai gagnĂ© leur confiance, et ren-
dez-vous est pris pour le lendemain Ă 
lOh30.
Heure
considérée comme raisonnable au regard de leur emploi
du temps! Si à ce stade de la rencontre, j’ai un senti-
ment, il leur est plutĂŽt favorable
»
(Escribano, 1997 : 1).
L’auteur du travail prĂ©sente chaque jeune pour faire
part du comment ils conçoivent le monde, car c’est de
ces données que soigner va découler. Ainsi un jeune
dira :
«
On se lĂšve pour rien faire, descendre, Ă©chapper
au regard des parents, trouver 2, 3 copains, trouver du
hasch, piquer quelque chose.
»
«Pour nous com-
prendre, faut se mettre dans notre peau
»
(ibid. p. 2).
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