Patrick Letourneur
Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit, Maître de conférences associé à l’Université de Corse
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«Catégories et figures d’associés en France, perspectives et
proposition de grille de lecture»1
L’importance de la question des associés et de leur rôle au sein des sociétés, grandes et petites,
revient dans le débat, suivant une actualité renouvelée à l’occasion des réformes et des réactions
qu’elles suscitent touchant notamment à la création et au financement des entreprises, à leur
gouvernance, à la fiscalité du patrimoine, aux fermetures d’activités, aux cessions d’entreprises et au
rôle de l’Etat. Comment et pourquoi devient-on associé, une question opportune et d’actualité ?
Nombre de réflexions évoquent (dénoncent parfois) les particularités éventuelles d’un capitalisme
hexagonal et provoquent divers états des lieux sur l’identité et la diversité des associés, qu’ils soient
particuliers ou institutionnels, français ou étrangers, minoritaires ou majoritaires, ou encore
appartenant au secteur privé ou au secteur public. L’identification des actionnaires des sociétés
cotées est un chantier relativement avancé dans ses modalités et une préoccupation dépassant le
cadre français. On doit citer, à ce titre, le Livre vert de la Commission européenne publié en 2011 qui
se fixe comme plan d’actions d’accroître la transparence de l’information et de favoriser la
gouvernance des entreprises européennes2. Qui détient les entreprises françaises3 et, au préalable,
quels sont les éléments de définition et de caractérisation des associés ? La réponse à ces questions
concerne toutes les sociétés, le coté et le non coté, et n’a, en fait, rien d’évident. Rechercher les
principaux éléments d’ordre juridique mais également économique ou politique caractérisant la
condition d’associé et l’existence de relations possibles entre variété ou catégorie d’associés, variété
des titres et/ou variété des sociétés dans leurs différents stades de développement, constitue le sujet
des libres propos qui suivent dans le contexte d’une importante activité législative.
1Les développements qui suivent, inspirés par l’actualité et axés sur l’entreprise industrielle et commerciale et
les associés dans les sociétés commerciales, entrent dans le cadre de travaux préliminaires de recherche menés à
l’Université de Corse Pasquale Paoli, EA Patrimoine et Entreprises. Les opinions exprimées dans ce document
de travail, appuyées sur une orientation bibliographique limitée, n’engagent que l’auteur.
Principales abréviations utilisées dans le texte :
Art. / art. : article
Bull. Joly Bourse : Bulletin Joly Bourse
Cass. Com. : Cour de cassation, chambre commerciale
Cass. Crim. : Cour de cassation, chambre criminelle
Cass. Soc. : Cour de cassation, chambre sociale
C. civ. : Code civil
C. com. : Code de commerce
CGI : Code Général des Impôts
CMF : Code monétaire et financier
C. trav. : Code du travail
D. : Dalloz-Sirey ou Dalloz (Recueil)
EIRL : Entreprise individuelle à responsabilité limitée
EURL : Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée
ESS : Economie sociale et solidaire
JCP : Juris-Classeur périodique (E, éd. Entreprise ; G, éd. Générale ; S, éd. Sociale)
Préc. : Précité
Rev. Sociétés : Revue des sociétés
RTD com. : Revue trimestrielle de droit commercial
SA : Société anonyme
SARL : Société à responsabilité limitée
SAS : Société par actions simplifiée
SASU : Société par actions simplifiée unipersonnelle
SCA : Société en commandite par action
SCS : Société en commandite simple
SNC : Société en nom collectif
2 Livre vert relatif à la gouvernance d’entreprise dans l’Union Européenne (UE) publié le 15 novembre 2011.
3 Les Echos du 3 juin 2014 et l’article publié par M. Alcaraz montrant l’évolution sur les vingt dernières années
de l’actionnariat des sociétés cotées françaises et plus particulièrement des sociétés de l’indice CAC 40.
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Il ny a pas de société sans associé(s). Cependant, la notion d’associé doit être précisée, car il
n’existe pas de véritable définition légale de l’associé. Cette carence, si elle n’est pas propre au droit
français, n’exclut pas convergences et similitudes des critères sur la condition d’associé (discutés ci-
après dans le cadre du droit français) avec de nombreux droits étrangers, notamment et comme suite
et condition à la mondialisation, le développement de règles de droit boursier assez largement
partagées par divers pays en quête des mêmes « investisseurs », à commencer par les droits des
pays membres de l’Union Européenne, dans la mesure des textes participant à leur harmonisation4.
Rechercher les éléments de caractérisation et d’une compréhension dynamique des « associés » en
France (approche que l’on peut partager probablement, au moins en partie, avec d’autres pays non
nécessairement civilistes) nous conduit d’abord à une revue des principaux critères juridiques de
définition et de classement, qui révèlent un cadre légal sous influence de l’économie (Partie I), puis à
nous intéresser, en tant que critères additionnels, à l’évolution du concept de l’intérêt social et à la
description des caractéristiques et du rôle joué par certaines figures d’associés, éléments qui
façonnent le paysage des associés en France et semblent plus emblématiques du contexte national
(Partie II). La taxinomie des associés illustre, alors, la flexibilité du droit applicable aux associés et une
analyse plus politique qu’économique des catégories d’associés en même temps que la nature
hybride, politique et patrimoniale, du statut d’associé. Ce constat autorise, à notre sens, une
proposition de grille de lecture qui saisit et synthétise l’apparente diversité des associés (Partie III).
I -Critères usuels de caractérisation des associés
1. Les critères juridiques de définition de l’associé
Pas d’associés sans société. Outre les dispositions spécifiques à la constitution ou au
fonctionnement et à la vie des sociétés commerciales ainsi que les dispositions particulières aux
diverses sociétés commerciales qui, dans leur partie substantielle, peuvent intéresser la condition des
associés (Livre deuxième du Code de commerce, droit spécial des sociétés), les dispositions du Code
civil (articles 1832 et suivants) nous rappellent l’origine contractuelle de la société : « la société est
instituée (sauf dans les cas d’ « associé unique » prévus par la loi) par deux ou plusieurs personnes
qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue
de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter (et qui) s’engagent à
contribuer aux pertes ». La société, institution et/ou contrat, paradigme des associés ?
Dans sa genèse juridique, la société est un contrat qui nécessite pour les associés, outre les
conditions du droit commun des contrats, une volonté commune et réciproque d’être associés
affectio societatis »)5, de mettre en commun et à disposition de la société les contributions
respectives dûment agréées et évaluées (les « apports ») et de partager les résultats mais également,
on l’a dit, les risques de l’entreprise (un partage du résultat qui peut être un profit ou une économie ou
une perte). Il y a donc nécessité d’un contrat concomitant à la souscription des titres en capital qui en
sont le sous-jacent. Les statuts sont l’instrumentum officiel du contrat ou du pacte social appelé à
devenir contrat d’adhésion pour les futurs associés de la société commerciale. Sauf cas de violation
4 Textes adoptés au titre de la coordination générale des législations (art. 44 du Traité CE) et notamment les
règlement et directive européens du 8 octobre 2001 sur la « société européenne » (art. L. 229-1 s C. com) mais
également la transposition en droit français des directives intéressant les associés des sociétés cotées, et
notamment les directives suivantes : en 2003 : « abus de marché », en 2004 : « marchés d’instruments
financiers », « transparence » et « OPA et OPE transfrontalières », en 2002 et 2008 : « comptes consolidés », en
2006 : « offres publiques d’acquisition », en 2007 : « droits des actionnaires », en 2003 et 2010 : « prospectus »)
5 Différente de la motivation individuelle de l’associé qui n’est pas nécessairement partagée, cette condition
« psychologique », qui ne figure dans aucune loi, est définie selon la jurisprudence comme la volonté de chaque
associé de collaborer au sein de la société dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité avec les autres
associés à la date de conclusion du contrat de société, à peine de nullité du moins tant que la société n’a pas été
immatriculée (Cass. Com. 3 juin 1986 : Bull. civ.IV n°116). Cette condition est évidemment inapplicable aux
sociétés constituées avec un associé unique et problématique à vérifier, en pratique, pour les sociétés avec une
forte liquidité du capital telles que les sociétés cotées : quid de l’associé spéculatif éphémère issu du « trading
haute fréquence » (ou « HFT ») où mathématique et informatique sont à l’origine de 40% en Europe à 66% aux
USA des transactions boursières (voir l’article de P. Lagneau-Ymonet et A. Riva, Le Monde 30 mai 2014), et,
source d’inégalité formelle et de risques et manipulations à encadrer?
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d’une disposition impérative du Livre II du Code de commerce qui emporterait également nullité, la
violation des statuts par les associés engage leur responsabilité.
Si l’on recherche ensuite plus de critères relativement aux droits et obligations des associés, on trouve
les dispositions communes suivantes du Code civil : l’article 1833 qui stipule que la société doit « être
constituée dans l’intérêt commun des associés », l’article 1836 qui stipule que « les engagements d’un
associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci », l’article 1843-2 qui stipule
que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives, l’article 1844-1 qui stipule que « la
part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion
de sa part dans le capital social », l’article 1844-9 qui stipule que le partage de l’actif est effectué entre
les associés dans les mêmes proportions que leur participation aux bénéfices ». On voit que, sauf la
règle essentielle de proportionnalité des droits au montant des apports qui cristallise, en principe,
l’existence d’associé(s) majoritaire(s) et le fonctionnement démocratique de la société, le Code civil ne
donne pas d’indications sur l’existence de catégories d’associés sinon pour responsabiliser plus
particulièrement les fondateurs qui concourent aux actes de création de la société (articles 1840 et
1843). Or, ces dispositions peuvent, dans certaines conditions, être aménagées.
Le principe du partage du profit ou des pertes est relatif avec pour limites les dispositions de l’article
1844-1 du Code civil proscrivant les clauses extrêmes (« léonines ») de répartition qui littéralement
priveraient totalement un associé de toute part dans les résultats sociaux, bons ou mauvais.
Ce propos introductif autorise une première définition de l’associé ou de l’actionnaire : la personne
physique ou morale qui, dans le cadre d’une entreprise poursuivie sous forme d’une société, en
échange d’une mise en commun de moyens réalisée par un apport détient parts sociales ou actions
de cette société (droits patrimoniaux) en vue, dans le cadre du principe relatif d’égalité entre associés
ou actionnaires, de participer au contrôle de son activité (droits politiques) et d’en partager les risques
et le résultat économique (droits pécuniaires dont droit au dividende, droit aux réserves, droit au boni
de liquidation) et, last but not least, le droit de céder ses titres6.
Ces attributs définissent donc l’associé type et son statut, en notant que le droit à partager le résultat
(hors cession) est bridé par l’existence d’une décision collective des associés statuant généralement à
des règles de majorité ordinaire (sauf liquidation) et la créance de dividendes de l’associé n’existe que
pour autant qu’elle ait été ainsi votée7 et ne soit pas prescrite. Le rendement du titre est doublement
conditionnel, au résultat (y compris les réserves distribuables) et à une décision conforme.
Cette clarification faite des critères juridiques qui définissent le statut « commun » ou « collectif » de
l’associé, il est intéressant d’identifier les autres critères attachés à la personne des associés et en
tout ou partie matérialisés dans les titres dont les associés seraient propriétaires, ou bien l’existence
de relations entre catégories de titres et catégories d’associés, et, tous les éléments qui précisent la
définition ou viennent, au contraire, différencier les associés entre eux, du point de vue de leur rôle et
responsabilités ou encore du point de vue du contrôle de l’entreprise ou du rendement spécifique des
titres.
Sans s’exempter totalement de laffectio societatis et de la thèse contractualiste de la société, ni, à
l’inverse, se référer exclusivement aux critères et prérogatives qui, selon la thèse institutionnelle de la
société, définissent davantage l’associé, une recherche sur la caractérisation des associés ne peut
faire l’impasse sur les nombreux aménagements du statut d’associé et, en définitive, l’existence de
catégories d’associés, … plus ou moins « associés », quoique tous soumis au pacte social, en
fonction des avantages octroyés ou de la nature et de l’intensité de prérogatives propres, voire
étrangères aux concepts de société et d’associé en droit des sociétés.
6 Il faut de cette manière s’intéresser à la constitution du capital (l’un des facteurs essentiels des systèmes
économiques) lorsque l’on réfléchit au rôle des associés et au devenir des entreprises, et notamment aux moyens
permettant aux entreprises (parfois à travers une structure de contrôle) de se créer, de se développer et
d’atteindre une taille adéquate (besoin auquel répond précisément la société par actions), i.e. une dimension
concurrentielle susceptible de créer et pérenniser emplois et richesse et, dès lors, analyser, par ce biais, les rôle et
prérogatives dévolus aux associés et leurs éventuelles limites. A ce stade, on peut également observer le rôle et
les prérogatives des associés dans leur ensemble exercés au sein d’une société (en tant que « Shareholders » ou
« Stockholders ») et constater que leurs intérêts ne se confondent ni avec ceux de la société (« intérêt social »), ni
nécessairement avec ceux de ses dirigeants, ni davantage avec ceux de ses partenaires («Stakeholders »).
7 Voir en ce sens Cass. Com.28 novembre 2006 Bull. civ. IV, n°235 ; JCP 2007,II, 10008.
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2. La distinction « associé » et « créancier » ou la définition téléologique de l’associé
L’associé est d’abord la personne titulaire d’un titre représentatif d’une fraction du capital d’une
société (action ou part sociale) reçu en contrepartie de son apport et doté de certains droits politiques
et pécuniaires. Le titre est donc une condition et un premier élément de définition. L’associé est
généralement et, peut-être, surtout défini comme une personne titulaire de droits essentiels
(participation aux bénéfices et, par son vote, au fonctionnement de la société) et assujettie à des
obligations principales (libération des apports et contribution aux pertes sociales) dans des conditions
et proportions qui varient en fonction du type de société8. Pour qu’il y ait des associés, il faut donc qu’il
y ait société, apport et rémunération par des titres en capital portant droits politiques et pécuniaires.
Ces caractéristiques distinguent, en principe, l’associé du créancier, lequel détient un titre de créance
(et non de capital), parfois négociable sur un marché réglementé, avec principalement le droit d’exiger
le remboursement en principal et intérêt de son prêt, aux taux et échéances convenus, sans autres
droits spécifiés (articles 1895 et 1905 s du Code civil). Par différence, les droits essentiels de l’associé
sont supposés compenser l’absence d’exigibilité du titre en capital.
Cependant, la distinction « dette » et « capital » et ce statut propre au créancier évoluent en regard
de ce qui est contractuellement et, désormais, habituellement consenti par une entreprise à l’égard de
ses créanciers financiers (son pool bancaire ou ses obligataires), à partir d’un certain montant
d’emprunt, hors facilité et/ou découvert limités. Nous sommes en matière commerciale et les
engagements de la société débitrice, importés des pratiques anglo-saxonnes réputées être des
conditions de marc(définis en tant que «Undertakings » et « Covenants » dans les documentations
de crédit), sont parfaitement valables et comprennent un arsenal d’obligations et dinterdictions de
faire, dont l’obligation de conserver un certain équilibre financier et confèrent des prérogatives aux
créanciers qui s’assurent, par contrat et non sans risques pour eux (notion de dirigeant de fait), un
véritable droit de contrôle sur un nombre important de décisions de gestion de la société, au-delà
même de ce que les associés contrôlent en droit ou en fait, ce qui interroge en creux sur la qualité
d’associé.
Notons (i) que le droit des sociétés organise la représentation des obligataires réunis dans une masse
(art. L 228-46 s C. com), à l’instar des assemblées d’associés (décisions réservées) pour permettre
une consultation avec droit d’opposition- sur certaines questions sociales d’importance (opérations
sur le capital ou sur les actifs sociaux), (ii) que les contrats de crédit (dans le cas d’une syndication)
comme les termes et conditions d’émission des obligations organisent une collectivité de créanciers
soumise au principe majoritaire Majority Lenders / Bondholders») et (iii) que le droit des
procédures collectives, qui reconnaît et organise également masse et comités des créanciers, a été
récemment réformé dans un sens favorable aux créanciers et défavorable aux actionnaires9.
Si l’on ajoute aux éléments précédents, l’existence de dispositions contractuelles pouvant (dans les
limites autorisées de l’usure) conditionner tout ou partie de la rémunération des créanciers financiers
au résultat de l’entreprise Pricing » des obligations convertibles et certaines clauses de « Profit
sharing »)10 on peut considérer que les différences de droits et de régimes juridiques entre titres de
créance et titres en capital se sont, à certains égards, estompées, une telle relativi des frontières
étant favorisée par la création d’obligations convertibles et autres instruments financiers hybrides qui
prévoient et permettent de passer, dans certaines conditions, d’un statut à un autre.
8 Excluant les titres dépourvus de ces caractéristiques (ex : « actions du travail » dans les sociétés à participation
ouvrière). Définitions de l’action et de l’associé dans le « Vocabulaire Juridique » publié sous la direction de G.
Cornu PUF 8ème édition 2009.
9 Voir notamment les dispositions de l’Ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la
prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives qui prévoient notamment (i) le droit des
créanciers de proposer un plan de sauvegarde ou de redressement concurrent de celui des dirigeants, y compris
par conversion des dettes en capital, (ii) la possibilité de faire entrer un tiers au capital pour reconstituer les
capitaux propres, en cas de redressement judiciaire et (iii) d’imposer, en cas de modification des statuts, des
quorums et majorités dérogatoires susceptibles de contourner l’opposition minoritaire des actionnaires.
10 Avec, en nouvelle illustration, la « Moudarabah », la « Moucharakah » et les « Sukuks » plus ou moins
assimilables à des obligations, en tant qu’instruments financiers participatifs de droit islamique qui associent, de
fait et en droit, entrepreneur et investisseur au rendement comme au risque du projet financé (associés de fait ?),
voir E. Jouini et O. Pastré « La Finance islamique, une solution à la crise ? » Editions Economica 2009
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D’autant qu’associés et créanciers se complètent généralement selon certains ratios d’équilibre
financier (en vue d’optimiser la rentabilité des capitaux engagés) et parfois cumulent les deux
statuts11. Souvent confondus dans la me catégorie des « investisseurs », associés et créanciers
contribuent de la sorte et de manière essentielle au financement de l’entreprise, dans le cadre de
techniques et de pratiques propres à la levée de fonds12, et dans des proportions telles que le montant
de la dette est significativement prépondérant par rapport au montant du capital, lequel doit être d’un
montant suffisant et proportionné aux besoins de financement et aux risques de l’entreprise13 (gage
général des créanciers versus effet de levier de la dette, au regard de son moindre coût).
Il faut comprendre que titres de capital14 et titres de créance sont de plus en plus proches et
perméables, dans le sens créance vers capital15, en tant qu’instrument de financement et que traiter
des associés et des titres en capital n’est qu’une des facettes de la gestion financière (et la résolution
d’une problématique globale de financement) avant d’être également une problématique
d’organisation et de pouvoirs au sein de la société concernée. Et, la condition d’investisseur, comme
associé ou créancier, est liée à l’opportunité financière tant pour lui-même que pour la société.
Mais il ne peut s’agir que d’un rapprochement de nature fonctionnelle appuyé sur le dispositif
contractuel (et non exclusivement légal) de chacun des titres et non d’une assimilation des définitions
et moins encore des gimes juridiques des associés et des créanciers. C’est en raison
structurellement de la valeur du titre et des droits généraux et permanents des associés de participer
à la gestion et au résultat de la société que se fait l’offre en capital (en principe non remboursable,
sauf cas exceptionnel d’amortissement) et que se définit l’associé, alors que l’offre en dette du
créancier est, en général, remboursable à court ou moyen terme (sauf exception ou conversion),
susceptible d’être garantie par des sûretés réelles ou personnelles et n’a pas légalement vocation à
faire participer le créancier à la gestion (sauf temporairement au titre des sûretés négatives
éventuelles) ni au résultat de la société débitrice. Consécutivement, les régimes juridiques propres
aux titres de capital et aux associés, d’une part, et, aux titres de créances et aux créanciers, d’autre
part, feront des premiers des débiteurs indirects des seconds (par l’actif net financé), jamais l’inverse.
3. Le risque d’entreprise partagé voire limité, consubstantiel à la condition ou l’état d’associé
Il faut rappeler ici, pour comprendre ce que sont les associés ou les actionnaires, indépendamment de
la distinction précédente entre « dette » et « capital », la différence entre « entreprise » et « société »
et la définition de la société par le Code civil. Car il n’y a pas de société sans entreprise, ni
d’entreprise sans risques. Or, tout ou partie du risque d’entreprise échoit aux associés.
Si les lois et règlements ont recours dans de nombreux domaines à la notion d’entreprise (droit civil,
droit commercial, droit de la concurrence, droit de la consommation, droit des procédures collectives,
droit fiscal, droit financier, droit du travail), le terme n’est pas légalement défini. Et, il faut rechercher
dans la jurisprudence les éléments d’une définition. Economiquement et juridiquement, l’entreprise
représente une activité économique autonome juridiquement identifiée (déclarée, inscrite ou
immatriculée) et organisée pour produire et vendre des biens et services et qui, du point de vue du
11Cas des comptes courants d’associé. Surtout, certaines institutions financières exercent, par filiales interposées,
les deux métiers et selon le cas interviennent partie en capital, partie en dette, en recherchant le meilleur des deux
mondes, ou parfois successivement par nécessité, signant le défaut de crédit de l’entreprise (par conversion de
dette en capital et plutôt que de tout perdre)
12 Voir sur un exposé de ces pratiques, B. Cernès « La levée de fonds Facteurs clés de succès » Dunod 2007.
13 Généralement, dans un rapport variant entre un tiers et la moitié des capitaux engagés. Proposition qui tient
compte de l’inanité du point de vue gestion de toute stipulation légale prévoyant un montant minimum de capital
social (disposition généralement abandonnée aujourd’hui dans le droit des sociétés, à l’exception de la SA et de
la société européenne).
14 Le terme « capital » est un polysème dont on retiendra, pour nos développements, le sens juridique étroit de
« somme des apports et de montant total de la valeur nominale des parts sociales ou des actions émises par une
société en contrepartie des apports ». Voir G. Cornu Préc.
15 En général, et les obligations convertibles émises par les banques pour renforcer leurs fonds propres (Bâle III)
en sont un nouvel exemple (« CoCo Bonds » dont le statut évolue en fonction du ratio de solvabilité et du
mécanisme de résolution (« bail in ») qui a été adopté). Et les facultés de rachat d’actions ouvertes dans certaines
conditions à certaines sociétés et largement utilisées en vue de réduire le capital montrent, en quelque sorte, une
double perméabilité et une plus grande fongibilité des moyens de financement.
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