DOSSIER CHINE L’ÉBULLITION CHINOISE Avec l’Expo Shanghai 2010, la Chine souhaite obtenir un retentissement mondial comparable à celui des Jeux Olympiques de Pékin et propulser ainsi Shanghai sur le devant de la scène internationale. La manifestation, qui déclinera la thématique “Better city, better life” du 1er mai au 31 octobre, se présente comme la plus grande exposition universelle de tous les temps. Plus de 200 pays et organisations participants sont attendus, ainsi que 100 millions de visiteurs. Shanghai est à l’image du pays : en pleine ébullition, ambitieuse et prometteuse. Cette dynamique inégalable attire évidemment un nombre croissant de diplômés HEC, tandis que les partenariats entre HEC Paris et les business schools chinoises gagnent en intensité. Devenue incontournable dans bien des secteurs, la Chine n’est pourtant pas un marché facile. Comment travaille-t-on dans l’empire du Milieu ? Quels sont les atouts et les faiblesses de l’économie chinoise ? Quels sont les opportunités professionnelles, les pièges à éviter, les rouages à connaître ? Hommes & Commerce vous livre les clés d’une Chine très éveillée. SOMMAIRE 32 Fotolia Le monde du business chinois et ses subtilités 30 HOMMES ET COMMERCE • AVRIL-MAI 2010 34 Portraits de diplômés 39 La Chine, une priorité pour HEC Paris 40 Analyses : multinationales chinoises, PMI chinoises, finances en Chine... © Delphimages - Fotolia.com AVRIL-MAI 2010 • HOMMES ET COMMERCE 31 DOSSIER CHINE Expertises Business en Chine : un défi culturel ! ’usine du monde ne cesse de multiplier les records. Avec des exportations atteignant les 1200 milliards de dollars en 2009, la Chine a détrôné l’Allemagne de la plus haute marche du podium des exportateurs mondiaux. En 2010, l’empire du Milieu, dont la croissance dépassera largement celle des pays occidentaux les plus industrialisés, deviendra vraisemblablement le dauphin des États-Unis en termes de PIB nominal. “Paradoxalement, la Chine a accéléré sous l’effet de la crise ses gains de productivité dont la croissance moyenne de 1990 à 2008 est à 4 %, soit quatre fois supérieure à celle de notre pays”, souligne Paul ClercRenaud (H.70), Managing Director de Fargo. La Chine est-elle pour autant un Eldorado où les entreprises doivent s’implanter impérativement, une terre d’expatriation ? “Dans le panorama émergent global de nombreux secteurs, le marché chinois devient incontournable. Toutefois, la décision de s’y développer ne doit pas résulter d’un effet de mode. Il faut un plan soigneusement élaboré, des moyens financiers et humains conséquents, ainsi que l’implication personnelle du chef d’entreprise et des cadres supérieurs concernés”, pour- L “La quête du consensus et l’absence de conflits sont deux principes primordiaux.” suit-il. Éric Goujon (H.84), associé de PricewaterhouseCoopers Audit & Conseil à Pékin et président du groupement HEC Pékin, conseille la même prudence avisée : “Entre 3000 et 5000 jeunes diplômés arrivent à Shanghai chaque année pour trouver un emploi ; beaucoup d’entre eux repartent au bout de six mois. Il existe de nombreuses opportunités, mais sans un projet professionnel bien échafaudé, sans expertise et sans parler chinois, c’est difficile.” 32 HOMMES ET COMMERCE • AVRIL-MAI 2010 EXPLORER LA CULTURE CHINOISE Une fois préparé, l’expatrié ou le chef d’entreprise peut aborder le marché chinois, à condition de s’armer de patience. “C’est le maître mot !, insiste Paul Haouzi (MBA.98), président de Bluebell Greater China et président du groupement HEC Hong Kong. Il faut laisser du temps au temps, car tout est plus compliqué ici de par l’histoire, les problèmes de langue et les différences culturelles.” L’apprentissage du chinois, s’il est recommandé, n’est pas toujours indispensable. En revanche, les expatriés doivent se plonger dans la culture chinoise. “Si un Occidental ne comprend pas notre culture, il est alors très difficile de travailler ensemble !”, juge Li-Ya Qiu (H.84), VP chez Total Raffinage Marketing Chine. La quête du consensus et l’absence de conflits sont deux principes primordiaux. “Après avoir été discutées en groupe, les décisions sont prises lors des réunions. Il faut parvenir à bâtir un consensus et éviter de se fâcher ou de critiquer quelqu’un en public. Cela peut avoir des effets contre-productifs”, prévient Man-Ying Lee (D.01), professeur, consultant en stratégie d’entreprise et président du groupement HEC Taipei. “Il faut toujours garder la face, enchérit Leo Lui (H.84), président d’Hermès Chine. Souvent, lors d’une réunion, les Chinois ne refusent pas explicitement mais communiquent leurs souhaits indirectement, car un refus est une infraction en Chine. Il faut alors prêter attention à la communication non verbale (comme le langage corporel).” Les expatriés s’avouent souvent surpris par cette communication indirecte, comme le remarque Éric Goujon : “À une question directe, en France, on obtient généralement une réponse directe. Pas en Chine. La réponse pourra prendre la forme d’une anecdote qui vous paraîtra décalée ou de propos “circulaires” qui, peu à peu, vous laissent deviner l’intention de votre interlocuteur.” “Un refus est une infraction en Chine : il faut prêter attention à la communication non verbale.” La Chine valorise également le respect et la hiérarchie. “Lorsqu’on s’adresse à un homme d’affaires ou à un haut fonctionnaire, on l’appelle par son nom et son titre. Par exemple, Monsieur le Président Chen. Lors de réunions ou de négociations, les cartes de visite sont obligatoires : elles doivent être reçues des deux mains, examinées puis déposées sur la table. Il serait extrêmement impoli de les jeter sur la table sans leur prêter attention ! Il est aussi considéré comme une politesse de faire un petit cadeau à un partenaire d’affaires lors de la première réunion. En revanche, il serait irrespectueux d’envoyer un jeune cadre français à une réunion avec un interlocuteur chinois senior : cela voudrait dire que l’entreprise française ne considère pas sérieusement son partenaire chinois”, détaille Leo Lui. RELATIONS ET TRANSACTIONS Pour illustrer les différences culturelles saillantes entre Français et Chinois, Hao Guan (MBA.87), Managing Director China pour VSL et président du groupement HEC Shanghai, conte une anecdote : “Supposez qu’un directeur envoie son subordonné lui acheter un paquet de cigarettes. En France, on dira que c’est un abus de pouvoir, alors qu’ici ce sera considéré comme une marque de confiance.” Or, en Chine, la confiance mutuelle s’avère centrale dans les relations professionnelles. Les cadeaux, les conversations qui démarrent les réunions avant La Chine attire de plus en plus de diplômés HEC. Les opportunités de carrière y sont nombreuses et prometteuses, à condition de bien préparer son projet et de savoir s’adapter aux spécificités culturelles. Sept diplômés HEC décortiquent pour vous le monde des affaires chinois et ses subtilités. LES FRANÇAIS VUS PAR LES CHINOIS de plonger dans le vif du business, le sens de l’écoute sont autant de tentatives pour tisser des relations autres que purement professionnelles. Un bémol toutefois : selon Man-Ying Lee, il faut “faire confiance aux gens, mais ne pas avoir une confiance aveugle dans leurs actions”, d’où l’importance d’un bon système de contrôle. Les réseaux (“guanxi”) restent un trait fort du paysage des affaires, malgré l’ouverture de la Chine et la professionnalisation des relations d’affaires. “L’efficacité de la relation d’affaires dépend de la qualité des guanxi : il convient de cultiver ses relations en recherchant toujours la perception partagée d’une situation équilibrée où les deux parties trouvent leur compte, observe Paul Clerc-Renaud. Simple étape dans cette relation, le contrat peut connaître des rééquilibrages consensuels si les circonstances évoluent. C’est là toute l’ambiguïté des affaires avec la Chine, ce qui implique une disponibilité et une capacité d’écoute du partenaire au plus haut niveau de la hiérarchie.” UNE EXPÉRIENCE FASCINANTE Travailler en Chine n’est pas pour autant mission i mp o s sible. Au contraire. “Vivant depuis nombre d’années en Chine et confrontés chaque jour à cette différence, nous n’entendons pas la nier mais quel autre pays n’est pas différent ?, interroge Éric Goujon. Si les circonstances et contraintes varient d’un pays à l’autre, les objectifs économiques et principes de gestion demeurent quant à eux rigoureusement semblables.” Le romantisme, la tour Eiffel, le luxe et l’art de vivre sont des images souvent associées aux Français. L’envers de la médaille ? Nos compatriotes sont également taxés d’arrogance et de mesquinerie. Selon Éric Goujon, la collaboration francochinoise n’est pas évidente : “Alors que les Chinois ont une vision holistique, les Français se démarquent par le souci du détail. Les Chinois ne comprennent pas pourquoi nous nous attachons à certains points contractuels et non pas à l’esprit du contrat. Car s’ils sont nécessaires, ce n’est pas seulement en signant des contrats que l’on fait du business en Chine !” Paul Clerc-Renaud considère que les Français souffrent aussi d’un déficit de sérieux. “Nous avons la réputation de ne pas réagir rapidement. Par ailleurs, les 35 heures, perçues comme un symbole de décadence et de paresse, ont nui à notre image.” Côté business, les marques françaises liées au luxe et à la mode sont célèbres en Chine, tout comme l’enseigne de grande consommation Carrefour. En revanche, les autres secteurs d’excellence de l’Hexagone, tels que le nucléaire, les transports ou encore les travaux publics, demeurent plutôt méconnus. “Simple étape dans une relation d’affaires, le contrat peut connaître des rééquilibrages consensuels si les circonstances évoluent.” LE RÉSEAU HEC EN CHINE : 4 GROUPEMENTS 612 DIPLÔMÉS HEC EN CHINE • Shanghai, 135 diplômés • Pékin, 164 diplômés • Hong Kong, 144 diplômés • Taipei, 30 diplômés • Autres villes en Chine, 139 diplômés Les diplômés HEC installés dans la région s’avouent parfois surpris ou déstabilisés, mais tous font part de leur fascination pour ce pays qui marie traditions culturelles et profondes évolutions économiques. “Il est très agréable de travailler avec des Chinois, car c’est une culture qui privilégie encore l’humain par rapport au résultat. Et quand un Chinois sent que vous appréciez sa culture, il vous le rend au centuple”, conclut Paul Haouzi. ● © Airdiasol “Ici, il faut faire confiance aux gens, mais ne pas avoir une confiance aveugle dans leurs actions.” AVRIL-MAI 2010 • HOMMES ET COMMERCE 33 DOSSIER CHINE Témoignages Parcours et regards sur la Chine LA FINANCE EN QUÊTE D’EFFECTIFS UN MARCHÉ CONTRAIGNANT Deepak Rao (H.95), Managing Director au bureau de Hong Kong de Goldman Sachs Jacques Ponty (H.86), directeur général Danone Waters Chine Vous vous déclarez fasciné par la Chine. Pourquoi ? Voici plus de 13 ans que je travaille en Asie, dont 10 à Hong Kong. Durant cette période, nous avons vécu des événements susceptibles d’inquiéter sa croissance (la reprise de Hong Kong en 1997, la crise asiatique de 1998, l’épidémie du SRAS en 2003). Cependant, la Chine est ressortie plus forte à chaque reprise. D’un point de vue financier, chaque année a fourni plus d’opportunités de croissance que l’année précédente. Aujourd’hui, la Chine est selon moi le pays au monde qui a le mieux compris le capitalisme ! Quelles sont les opportunités dans le secteur financier ? La Chine représente le plus important marché de consommateurs au monde, le plus important détenteur de réserves de dollars, et conserve un bilan très peu endetté. Son économie croît de plus de 10 % par an depuis 2000. Cette croissance a besoin d’être encadrée, financée et mise en œuvre, ce que s’efforcent d’assister les financiers basés en Asie. Voici déjà plusieurs décennies, les banques occidentales ont installé leur QG asiatique à Hong Kong, recrutant expatriés et locaux. Un expatrié basé en Asie bénéficie souvent, pour une expérience donnée, d’un voire de deux niveaux de responsabilités plus élevés qu’en Europe ou aux États-Unis, et les carrières peuvent se monter rapidement. Quel a été l’impact de la crise en Chine ? Rappelons-nous que l’Asie a vécu sa propre crise, bien plus douloureuse, en 1998. Forte des leçons qu’elle en avait tirées et grâce à sa puissance fiscale actuelle, la Chine a disposé pour amortir la crise récente de nombreux moyens qui, dans l’ensemble, ont fonctionné très rapidement. C’est à se demander si la crise a jamais eu lieu en Asie ! Plus subtilement peut-être, cette crise a été pour la Chine l’opportunité d’accélérer la mise en place de jalons nécessaires à faire évoluer son positionnement d’“usine du monde” vers celui de fournisseur de produits et services à haute valeur ajoutée. La Chine ne fait que se réveiller… “La Chine est selon moi le pays au monde qui a le mieux compris le capitalisme !” 34 HOMMES ET COMMERCE • AVRIL-MAI 2010 Expatrié en Chine depuis un an, Jacques Ponty porte un regard neuf sur ce marché aux nombreux défis. “La taille du pays, la vitesse de croissance de la consommation (de 15 à 20 % sur le secteur des boissons), le caractère très concurrentiel et compétitif du marché et l’organisation de la distribution encore traditionnelle et complexe nécessitent une remise en question de nos méthodes et de nos stratégies de développement”, souligne-t-il. L’empire du Milieu, “plus challenging et contraignant que d’autres marchés”, s’avère très gratifiant en termes de business : “Même avec des positions de niche, on peut réussir à créer des business significatifs dans des délais assez rapides et regarder l’avenir sur du long terme en restant très optimiste.” LE FILON DU VIN David Chow (MBA.96), fondateur d’Altavis Fine Wines Quel est votre parcours ? J’ai passé la quasi-totalité de ma vie professionnelle en Asie, pour de grands groupes comme Peugeot, Pernod Ricard, LVMH et DuPont. Il y a cinq ans, j’ai décidé de devenir entrepreneur. J’ai commencé par gérer des projets liés aux biotechnologies, avant de fonder une société d’importation de vins, Altavis Fine Wines. Pourquoi avoir choisi ce secteur ? Je connais bien ce domaine pour avoir dirigé les vins Dragon Seal du groupe Pernod Ricard. Le potentiel est énorme : la Chine est déjà le septième producteur mondial de vin, et le dixième en termes de consommation. Dans les dix années à venir, la Chine figurera vraisemblablement parmi les trois premiers marchés mondiaux. Quelles sont les principales difficultés rencontrées en tant qu’entrepreneur ? Il ne faut pas se limiter à une vision simpliste de la Chine, à savoir un marché énorme où le PNB explose. En réalité, il est difficile de trouver sa place sur ce marché atomisé, concurrentiel et immature, où chaque zone nécessite un marketing et une distribution différents. Il faut donc se démarquer en apportant le professionnalisme et l’expertise du vin. Quant aux capitaux, le système de prêts bancaires est beaucoup plus complexe qu’en Europe. UN MARCHÉ INCONTOURNABLE POUR LA CHIMIE Michel Ybert (H.72), président de Rhodia Asie Pacifique Jérôme Benoit (H.06), administrateur de WSEIP et DG Chine de Delta Plus Group Il y a une trentaine d’années, Jacques Benoit (H.75) fondait Delta Plus : initialement importatrice d’équipements de sécurité individuelle (harnais antichutes, casques de chantier…), l’entreprise finit par concevoir et fabriquer ses propres articles en Chine. Lorsque le poste de directeur général Chine se libère, son fils Jérôme Benoit (H.06), qui a fait ses armes au sein de la direction financière puis de la direction marketing du groupe familial, postule. “La Chine est un pays euphorisant où tout est difficile à comprendre et où tout va très vite”, juge Jérôme Benoit. Parallèlement, la famille Benoit a ouvert depuis deux ans le Wujiang Sino-european industrial park dans la banlieue de Shanghai. Ce site propose des locaux industriels clés en main aux PME européennes. “On gère toute une gamme de services (ressources humaines, exportations…) pour que les PME puissent se concentrer sur leur cœur de métier, dans un esprit pépinière.” Ses conseils ? “Pour qu’une PME s’implante avec succès, il faut réaliser une étude préliminaire poussée, appréhender les différences de culture et s’adapter au marché. Le dynamisme et la rapidité d’action sont essentiels pour distancer les éventuelles copies.” “Le dynamisme et la rapidité d’action sont essentiels pour distancer les éventuelles copies.” “Il est plus important de respecter la culture et l’identité chinoises que de parler la langue.” “13,6 millions de véhicules ont été vendus en Chine en 2009.” LE RÊVE CHINOIS Alice Lopin (H.04), directrice commerciale monde chez Qeelin “Je vis la version chinoise de l’American Dream !”, s’enthousiasme Alice Lopin. Après avoir travaillé pour Van Cleef & Arpels au Japon et à Hong Kong, obtenu le diplôme de la Chinese University of Hong Kong et ouvert deux boutiques de luxe dans l’île de Guam, cette gemmologue revient à Hong Kong en tant que directrice commerciale monde pour Qeelin, “la première marque de haute joaillerie chinoise”. Considérant qu’il est “plus important de respecter la culture et l’identité chinoises que de parler la langue”, elle communique en anglais ou via des interprètes. Et multiplie les efforts d’adaptation afin de ne pas “bloquer le bon fonctionnement de l’entreprise” : “Si je souhaite par exemple m’adresser au membre d’une équipe, je dois d’abord contacter son manager et éviter à tout prix de court-circuiter la hiérarchie.” Chaque journée comporte son lot de malentendus, d’anecdotes amusantes ou improbables... et d’émerveillement. “J’apprécie le dynamisme inépuisable de cette mégalopole, son style de vie cosmopolite et surtout cette nouvelle aventure professionnelle “unique” : je suis la seule Française au monde à travailler pour une marque de luxe chinoise devenue internationale !” © Airdiasol UNE AFFAIRE DE FAMILLE “J’ai intégré la zone Asie Pacifique de Rhodia en 2003, après avoir occupé des fonctions de direction générale au sein des différentes divisions du groupe. Basé à Singapour, j’ai ensuite rejoint Shanghai : le centre de gravité de nos activités se déplace en effet vers la Chine, devenue une priorité sur tous nos marchés. C’est là que nous réalisons l’essentiel de nos investissements de capacité et déployons une politique très agressive de croissance : 20 % de notre activité est liée à l’automobile. Or la Chine est devenue le premier consommateur au monde avec 13,6 millions de véhicules vendus en 2009. Dans le domaine de la consommation, la classe moyenne achète de plus en plus de shampoings, détergents et autres produits dans lesquels interviennent nos composants chimiques. Enfin, nos produits pour bitume et traitement des métaux profitent de la croissance spectaculaire des infrastructures. La Chine est un pays où il est difficile, en tant qu’industriel, de prendre ses premiers pourcentages de part de marché. Mais si on y arrive, la rapidité d’exécution est alors extraordinaire.” AVRIL-MAI 2010 • HOMMES ET COMMERCE 35 DOSSIER CHINE Témoignages Parcours et regards sur la Chine GARE À LA QUALITÉ ! AFFIRMER SON LEADERSHIP Sébastien Breteau (M.97), président d’AsiaInspection Hao Guan (MBA.87), Managing Director de VSL Chine, président du groupement HEC Shanghai C’est en créant une société d’import-export à Hong Kong (SEBO, lauréat d’un Mercure HEC 2001) que Sébastien Breteau a appréhendé l’ampleur des problèmes de la qualité en Asie. “Les prestataires historiques de la qualité en Chine sont des mastodontes qui servent mal les besoins des PME”, juge-t-il. Il vend alors son entreprise et fonde AsiaInspection. L’offre destinée aux PME propose, via un site Internet, trois types de services : des audits d’usine, des inspections qualité sur site et la certification des produits en laboratoire. “En 2010, nous allons réaliser 50 000 contrôles qualité avant expédition, et environ 18 000 produits seront rejetés”, estime-t-il. La prudence s’impose donc. “Malgré l’amélioration de la qualité ces dernières années dans le sud de la Chine, les problèmes ne disparaissent pas. En effet, pour des logiques de coût, les importateurs s’approvisionnent désormais davantage au nord et à l’ouest de la Chine, régions où les standards de qualité sont loin des exigences occidentales. L’importateur doit bien garder en tête qu’il est légalement responsable, et non le distributeur, de la conformité des produits qu’il met sur son marché. D’où l’importance des inspections avant expédition.” © Airdiasol “Au nord et à l’ouest de la Chine, les standards de qualité sont loin des exigences occidentales.” “VSL, filiale de Bouygues, est leader mondial des bétons précontraints. Les Chinois apprécient de tels produits technologiques à forte valeur ajoutée. Dans le cas de grands groupes généralistes, mieux vaut d’ailleurs s’implanter via les filiales leaders dans leur domaine, quitte à déployer le réseau ensuite. Il faut également privilégier une vision à long terme : cela signifie affirmer son leadership, soigner la relation clientèle, ne pas s’endormir sur ses lauriers, se protéger contre le piratage en ne lésinant pas sur la propriété intellectuelle, et bien suivre les évolutions du cadre juridique, toujours très mouvant.” SE MÉFIER DES ÉTATS FINANCIERS ! Éric Goujon (H.84), associé de PricewaterhouseCoopers Audit & Conseil à Pékin, président du groupement HEC Pékin “Les entreprises chinoises qui n’ont jamais connu d’ouverture internationale peuvent avoir des systèmes comptables archaïques, voire frauduleux : il est courant que des entreprises privées aient deux ou trois jeux de comptes ! Mais elles sont capables de se mettre à niveau très rapidement. Avant d’entreprendre une joint-venture ou effectuer un rachat, les investisseurs doivent donc entreprendre des travaux d’analyse poussés, et non pas seulement se reposer sur les états financiers qui leur sont présentés.” 36 HOMMES ET COMMERCE • AVRIL-MAI 2010 “Les Français négligent le rôle important que les Chinois réservent au facteur émotionnel.” CONSTRUIRE LA CROISSANCE VILLE PAR VILLE Jean-Michel Ripoll (H.85), directeur général en charge du département prospective et insight Chine pour L’Oréal Quel est votre itinéraire professionnel ? Je travaille chez L’Oréal depuis 25 ans. Après huit années passées au Japon et une parenthèse en Europe, j’ai pris la direction générale de la zone Asie pour la Division des produits grand public en 1998, peu de temps après la création de notre filiale à Shanghai. J’ai ensuite rejoint les bureaux chinois en 2005. Comment qualifieriez-vous le marché chinois dans votre secteur d’activité ? Tous les marchés sur lesquels nous opérons sont en plein développement et la Chine est le plus grand marché au monde pour les soins du visage. Le potentiel de croissance est énorme : les statistiques montrent qu’en 2012, pour la première fois, il y aura autant d’habitants à la campagne que dans les villes. Or nos marchés sont concentrés dans les villes. Par ailleurs, la pyramide des consommateurs en termes de revenus rend nécessaire une offre de produits de qualité aux prix variés. La segmentation par marques de L’Oréal est donc en parfaite adéquation avec cette pyramide et accompagne ainsi l’enrichissement des consommateurs de ce pays. Quels conseils donneriez-vous à une entreprise désireuse de conquérir le marché chinois ? Il faut proposer des produits de qualité pour satisfaire les attentes de consommateurs extrêmement exigeants et savoir s’entourer de bons collaborateurs chinois. La Chine doit également être considérée comme plusieurs pays : il faut bien identifier les zones les plus intéressantes pour son produit, puis avoir la patience de construire sa stratégie et son marché ville par ville. “La Chine doit être considérée comme plusieurs pays. ” CULTIVER LA SENSIBILITÉ CULTURELLE Man-Ying Lee (D.01), professeur, consultant en stratégie d’entreprise et président du groupement HEC Taipei “D’après mon expérience, le point faible des Français est le manque de sensibilité culturelle dans leurs négociations et leur communication avec les Chinois. Connus pour leur logique et leur approche rationnelle, les Français négligent le rôle important que les Chinois réservent au facteur émotionnel. Lorsqu’on traite avec des Chinois, il faut également penser aux bénéfices mutuels (et non pas adopter la mentalité typiquement française du “chacun pour soi”) et se mettre dans l’optique d’une relation à long terme. Enfin, il ne faut pas négliger la communication indirecte et le second degré. Je cite l’exemple d’un directeur chinois qui souhaitait annuler un projet. Plutôt que de l’annoncer clairement à ses partenaires français, il a critiqué certains points du programme. Les Français ont tenté d’y remédier en vain, sans comprendre la véritable intention du directeur.” CHOC CULTUREL Cui Wen Pottier (MBA.04) Jacques Chirac, Gerhard Schröder, Chris Patten, Rupert Murdock... Elle les a tous interviewés. Alors reporter à la Télévision de Shanghai, Cui Wen Pottier produit un programme quotidien d’information en langue anglaise et devient directrice adjointe du service international, à la tête de 70 collaborateurs. Mais lorsque le ministère français des Affaires étrangères lui attribue une bourse d’excellence pour suivre le MBA d’HEC, elle n’hésite pas un seul instant à demander un congé sabbatique. “De par mon travail, j’avais un pied dans les reportages, un autre dans l’administration. Je souhaitais en savoir plus sur le management, d’autant plus que les MBA sont très populaires à Shanghai, ville de commerce”, raconte-t-elle. Ce diplôme lui permet de changer de voie quelques années plus tard. Aujourd’hui employée à Paris par Arte Charpentier et Associés, elle veille aux bonnes relations entre la filiale du cabinet d’architecture à Shanghai et les autorités chinoises. Travailler pour une entreprise française représente à ses yeux un vrai choc culturel. “Les grèves étaient quelque chose d’impensable pour moi. Le patron français est à égalité avec les employés. Le plus étonnant, c’est sans doute que les gens licenciés organisent un pot d’au revoir et remercient leur patron. Chez nous, si quelqu’un est licencié, il part en pleurant et menace de se suicider...” “Les MBA sont très populaires à Shanghai, ville de commerce.” AVRIL-MAI 2010 • HOMMES ET COMMERCE 37 DOSSIER CHINE Témoignages LE SECTEUR BANCAIRE SE LIBÉRALISE François Cristofari (H.72), responsable Chine de BNP Paribas “Depuis son entrée dans l’OMC, la Chine s’est engagée à libéraliser son secteur bancaire : les banques étrangères sont désormais autorisées à avoir des f iliales. Le marché du retail, trop lourd et compliqué, n’est pas facilement rentable pour les banques internationales. En revanche, les grandes banques internationales, comme BNP Paribas, sont mieux outillées que les chinoises pour les financements spécialisés à haute valeur ajoutée et les activités de marché, notamment Fixed Income. Avec l’obtention d’une “Securities License”, BNP Paribas pourrait compléter son of fre domestique en ayant l’autorisation d’émettre des actions et de faire des fusions-acquisitions : nous pourrions alors devenir l’une des deux ou trois premières banques étrangères dans la banque de financement et d’investissement en Chine.” Parcours et regards sur la Chine AU CŒUR DE L’ACTION Patrick Schuler (MBA.07), manager en stratégie pour Areva Chine Patrick Schuler veut “être là où ça se passe, connaître les grandes puissances actuelles et à venir”. Après avoir travaillé pour Siemens aux États-Unis et étudié à Berkeley, cet ingénieur de formation enchaîne donc avec un double diplôme MBA HEC Tsinghua : “Le prestige de Tsinghua est comparable à celui de Harvard. Au Parti communiste, la majorité des leaders viennent d’ailleurs de cette école.” Il rejoint ensuite Areva Chine. “Le fait de parler la langue grâce à six mois de cours intensifs et d’être diplômé d’une université chinoise m’a permis d’être intégré très rapidement par mes collègues chinois”, se félicite-t-il. “Au Parti communiste, la majorité des leaders viennent de Tsinghua.” LE DÉFI ENVIRONNEMENTAL Alexandre Xing (H.84), fondateur et président de GRE Investment Services Co. Ltd Ancien du groupe Veolia Environment en Asie, Alexandre Xing crée en 2004 sa société de conseil spécialisée dans l’environnement et les industries propres. “La Chine est devenue, avec les États-Unis, le principal pollueur de la planète”, rappelle-t-il. Une véritable politique environnementale a été mise en place. “La Chine figure d’ores et déjà parmi les champions des énergies renouvelables et l’objectif de 15 % fixé pour 2020 devrait être largement atteint”, continue Alexandre Xing. Néanmoins, les défis environnementaux de la Chine restent de taille, avec “une énorme demande en énergie qui croît de 15 % par an, des ressources en pétrole et gaz limitées, et la primauté des centrales au charbon.” “WE WANTED THE BEST IN INTERNATIONAL MARKET AND CORPORATE FINANCE!” Wen Zeng (E.06 HEC EMBA China), Vice President of China National Aero-Technology Import and Export Corporation (CATIC) The CATIC Group is a subsidiary organization of the former Aviation Industries Corporation of China (AVIC) which oversees the international market of R&D, production and sale of all military and civilian aircraft in China. The CATIC Group is not a production entity but rather sells military and civilian aircraft, engines, missiles and other airborne equipment. The annual business of CATIC is $1.5 billion. “There is lot of choice in China and Asia for quality MBAs and Executive MBAs, says Wen Zeng. But one of the best programs for the comprehension of International Market and Corporate Finance is surely the EMBA provided by HEC Paris in China under the auspices of SASAC.” According to him, one of the strengths of the program is the high level of qualification of the professors: “we of course studied a lot of cases, some coming directly from their own professional experience in major companies.” Is CATIC satisfied? “I was part of the first EMBA HEC China Class in 2006, and 8 persons from CATIC have followed this course since!” 38 HOMMES ET COMMERCE • AVRIL-MAI 2010 Académie La Chine, une priorité pour HEC Paris Grande école pionnière en Chine, HEC a multiplié les partenariats durant les 25 dernières années. Aujourd’hui, Shanghai fait partie de ses priorités. D Supervision and Administration Commission (SASAC), chargée d’exercer la tutelle sur les grandes entreprises publiques du pays, et la National Development and Reform Commission (NDRC), dont le rôle est majeur dans l’élaboration des politiques du pays. Dans ce cadre, différents programmes de formation sont proposés aux chefs d’entreprise et cadres supérieurs, à Pékin et Shanghai, tels que “Navigating Sino-EU Opportunities” ou encore l’“AMP, Advanced Management Program in Fashion and Luxury”, développé par Tsinghua University SEM, HEC Paris et l’Institut Français de la Mode. Sans oublier l’opération 10 000 Women : “Piloté par Goldman Sachs, ce projet vise à former 10 000 femmes à l’entrepreneuriat à l’échelle mondiale, dont 500 en Chine dans les cinq prochaines années. La première promotion de 50 femmes, dont l’âge moyen est de 31 ans, vient d’être formée par HEC et Tsinghua University SEM”, précise Geneviève Barré. De nombreux échanges académiques et travaux de coopération viennent compléter ces relations déjà denses. L’ouvrage “Les Multinationales chinoises” (lire l’article page 40), édité par HEC et Tsinghua University SEM, en trois éditions, anglais (WSPC, Singapore), chinois (Huazhang, Beijing) et français (Eska, Paris), marque ainsi l’aboutissement de trois ans de recherches menées par une équipe mixte d’une douzaine de professeurs. “La Chine est très importante pour le développement d’HEC Paris dans le monde. Tout comme Londres et New York, Shanghai constitue l’une des villes prioritaires pour notre école. Le groupement HEC de Shanghai est d’ailleurs celui qui croît le plus vite au monde”, conclut Jean-Paul Larçon. ● DR ès 1984, HEC Paris a tissé des partenariats avec l’empire du Milieu. “Nous avons été l’une des premières écoles à nous développer en Chine”, rappelle Jean-Paul Larçon (H.68), doyen associé en charge du développement international d’HEC. Actuellement, l’école d’excellence française est liée aux six plus prestigieux établissements du monde chinois : Tsinghua University School of Economics & Management (SEM) à Pékin, China Europe International Business School (CEIBS) et Fudan University School of Management (SoM) à Shanghai, Chinese University of Hong Kong Faculty of Business (CUHK/FBA) et Hong Kong University of Science & Technology (HKUST) Business School, ainsi que National Taiwan University (NTU) College of Management à Taipei. “Cent soixante étudiants et participants chinois sont présents sur le Campus au sein de nos différents programmes”, poursuit Geneviève Barré, Head International Development Asia-Pacific pour HEC. Dès la première année, la Grande École envoie des étudiants à Shanghai et Hong Kong afin qu’ils se forment à la langue, à la culture et à l’environnement des affaires dans le cadre du “Global Exchange Program”. Sur le Campus, l’intérêt pour la Chine est vivace : le chinois figure parmi les langues les plus enseignées, derrière l’anglais et le français. Des échanges ont également été mis en place avec les six business schools pour les étudiants de la Grande École tandis que deux doubles diplômes MBA sont proposés respectivement avec la Chinese University of Hong Kong/FBA et Tsinghua University SEM. Concernant l’Executive Education, HEC travaille en collaboration avec deux grands organismes chinois : la State-owned Assets Le pavillon de la France de l’Exposition Universelle de Shanghai a été conçu par l’architecte Jacques Ferrier. HEC PARIS À L’EXPO SHANGHAI 2010 “Entrepreneurship and the Sustainable City” : tel est le thème du concours international “Shanghai 2010 Award” organisé par HEC Paris et Tsinghua School of Economics & Management, à l’occasion de l’Expo Shanghai 2010. Cette compétition est ouverte à des équipes d’étudiants d’écoles de commerce, d’ingénieurs, d’architecture, d’urbanisme ou de jeunes entrepreneurs ayant obtenu leur diplôme il y a moins de trois ans. Les lauréats se verront récompensés au Grand Théâtre de Shanghai le 15 juillet prochain au cours d’une cérémonie présidée par Wu Jianmin, ancien ambassadeur de Chine en France et président honoraire du Bureau International des Expositions. Les équipes gagnantes recevront aussi des billets pour visiter l’Exposition universelle, un bonus de plusieurs milliers d’euros, ainsi qu’un accompagnement pour la réalisation de leur projet. Par ailleurs, le 14 juillet, HEC Paris donnera une conférence-débat intitulée “The Enterprise and the City” au Pavillon de Paris Île-de-France. L’événement réunira les organisateurs du Pavillon, les experts d’HEC et les lauréats du concours. Plus d’infos sur www.shanghai2010award.com. AVRIL-MAI 2010 • HOMMES ET COMMERCE 39 DOSSIER CHINE Analyse La montée en puissance des multinationales chinoises Par Jean-Paul Larçon (H.68), doyen associé en charge du développement international d’HEC HEC Paris et la School of Economics and Management de l’Université de Tsinghua développent depuis 2009 une coopération étroite en matière d’enseignement et de recherche en management international. Le livre “Les Multinationales chinoises” a mobilisé une équipe de 12 experts des deux institutions pendant trois ans et une vingtaine d’entreprises chinoises publiques et privées de tous les secteurs de l’économie. Celles-ci ont ouvert largement leurs portes aux équipes de recherche tant au niveau de leur direction générale qu’au niveau du siège en Chine et de leurs filiales à l’étranger. QUATRE OPPORTUNITÉS DE CROISSANCE SIMULTANÉES Le gouvernement Chinois encourage les entreprises – tout en les encadrant – à investir fortement à l’étranger pour y bâtir une présence durable au-delà des simples exportations. Cette politique, de plus en plus marquée depuis les années 2000, différencie la Chine des autres grands pays émergents. “Le rattrapage technologique est au cœur des préoccupations tant du gouvernement que des chefs d’entreprise.” Les investissements chinois à l’étranger sont d’abord ceux de grandes entreprises dans lesquelles l’État est actionnaire, mais aussi de plus en plus les sociétés privées et des entreprises de taille moyenne. Les entreprises chinoises sont dans une posture stratégique remarquable car elles ont à faire face simultanément à quatre opportunités de croissance. La première opportunité vient de la consolidation du marché intérieur chinois. C’est ce qui a conduit Tsingtao Beer à se concentrer sur une série d’acquisitions en Chine avant de développer ses investissements à l’étranger. La deuxième opportunité est liée à des besoins d’intégration verticale dans certaines industries. Les coopérations de Shanghai Baosteel avec le brésilien CVRD (Companhia Vale Do Rio Doce) – l’un des trois leaders mondiaux du minerai de fer – permettent de développer la production d’acier nécessaire à l’économie chinoise. La troisième opportunité – et ten- 40 HOMMES ET COMMERCE • AVRIL-MAI 2010 tation – est celle d’une diversification conglomérale, sur le modèle des groupes diversifiés coréens. C’est la stratégie par exemple de Haier, géant de l’électroménager, dans des secteurs non reliés comme la pharmacie, l’immobilier ou l’assurance. Enfin, la quatrième opportunité de croissance est l’international. Aussi les firmes chinoises sont-elles conduites pour mieux gérer leurs ressources à élaborer des stratégies focalisées : concentration sur un nombre limité de cœurs de métiers, investissement sur les maillons-clés de la chaîne de valeur, et déploiement des ressources financières et humaines sur deux fronts géographiques complémentaires : le marché domestique et le marché international. LES TROIS OBJECTIFS MAJEURS DE L’INTERNATIONALISATION Les motivations des entreprises varient d’un secteur et d’une entreprise à l’autre, mais trois mobiles l’emportent : accès aux marchés, accès à la technologie, accès aux ressources naturelles. Une série d’investissements visent également à garantir la présence de l’entreprise à l’intérieur des grandes zones mondiales de libre échange comme l’Union Européenne ou le Nafta (North American Free Trade Agreement). Le rattrapage technologique est au cœur des préoccupations tant du gouvernement que des chefs d’entreprise. En ce sens, les stratégies technologiques des entreprises sont en parfaite adéquation avec les programmes nationaux de recherche. Cela implique des priorités très claires en termes d’axes de recherche et de standards technologiques, des budgets importants tant au niveau des agences de l’État que des entreprises, et une vision à long terme ainsi qu’un management efficace des fonds publics de recherche. Enfin les marchés financiers internationaux, en tant que sources de financement, sont un élément important de la stratégie internationale des firmes chinoises : elles sont de plus en plus nombreuses à être présentes sur les marchés financiers internationaux, en particulier Hong Kong, New York et Londres. En 2010, plus d’une centaine d’entreprises chinoises sont ainsi cotées au Nasdaq. DES RÉSULTATS RAPIDES ET REMARQUABLES Une série d’entreprises chinoises se placent déjà en tête des classements des multinationales des pays émergents en termes de pourcentage d’activité à l’étranger. C’est le cas du conglomérat financier public CITIC Group, de Cosco (China Ocean Shipping Group), “Elles ont une présence géographique plus diversifiée que celle de leurs homologues russes, indiennes ou latinoaméricaines.” de sociétés d’ingénierie et de construction dont la première est China State Construction Engineering, des entreprises pétrolières comme CNPC (China National Petroleum Corporation) et CNOOC (China National Offshore Oil Corporation). C’est le cas également de Lenovo (informatique), SAIC (le constructeur automobile de Shanghai), Baosteel (acier), Haier et TCL (électroménager, électronique grand public), ZTE et Huawei Technologies (équipement téléphonique). “Ces entreprises ont dû adapter leur organisation et leur processus de décision au nombre et à la diversité de leurs réseaux commerciaux et filiales à l’étranger.” Ces entreprises se sont internationalisées rapidement, grâce en particulier à des stratégies d’acquisitions, de prises de participation, ou encore de joint-ventures avec des partenaires à l’étranger. Les acquisitions les plus importantes ont été réalisées surtout après 2001, date de l’entrée de la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce : TCL a pris le contrôle de Thomson Multimedia en 2003, Lenovo de la division PC d’IBM en 2004, SAIC de SsangYong Motor en 2004, ou encore SINOPEC de Petrokazakhstan en 2005. Plus récemment, le 28 mars 2010, le constructeur automobile Geely – fondé en 1986 – a racheté Volvo Cars à Ford Motor. Dans le domaine financier, les mouvements sont plus récents avec par exemple les prises de participation par ICBC (Industrial & Commercial Bank of China) dans Standard Bank en Afrique du Sud en 2007 et dans ACL Bank en Thaïlande en 2008. DES CIBLES GÉOGRAPHIQUES DIVERSIFIÉES Les multinationales chinoises ont une présence géographique plus diversifiée que celle de leurs homologues russes, indiennes ou latino-américaines. Elles sont présentes à la fois dans les pays émergents et dans le monde développé. Dans les pays émergents, leur présence est forte en Asie (Indonésie, Vietnam, Malaisie), mais aussi en Amérique latine, Afrique, Russie et en Asie centrale, pays qui présentent de riches opportunités tant en termes de nouveaux marchés que d’accès à l’énergie et aux matières premières. Mais c’est aussi une présence non négligeable dans les pays développés : Japon et Corée en particulier pour l’accès à certaines technologies, mais aussi aux ÉtatsUnis et en Europe. Une série d’entreprises chinoises comme Cosco, Haier, Hisense, Huawei Technologies, Lenovo, TCL, et Wan- xiang ont démontré leur capacité à bâtir une présence durable aux USA, mais aussi en Europe, en particulier en Allemagne et en Grande-Bretagne. UNE ORGANISATION ADAPTABLE Les entreprises chinoises ont donc dû adapter leur organisation et leur processus de décision au nombre et à la diversité de leurs réseaux commerciaux et filiales à l’étranger. Elles ont d’abord accordé une plus grande délégation aux filiales étrangères pour mieux répondre aux spécificités du management local. Ainsi, la stratégie de Haier en Europe est de type multidomestique, c’est-à-dire différente en Italie, en France, en Espagne ou en Allemagne. Une entreprise comme Wanxiang, sous-traitant automobile et fournisseur de General Motors à Shanghai, a réussi une triple localisation aux USA : la recherche, la fabrication et le personnel. “Une des raisons des succès des multinationales chinoises est sans aucun doute l’apprentissage acquis sur le marché domestique au sein des joint-ventures sino-étrangères.” Les entreprises chinoises disposent dans le monde entier d’un réservoir unique d’ingénieurs et de managers dotés d’une double culture chinoise et internationale, en plus d’être très attractives vis-à-vis des jeunes diplômés des meilleures universités chinoises et internationales. Elles ouvrent aussi à l’étranger des opportunités de carrière à des managers non chinois. Cependant, il existe parfois au sein des multinationales chinoises une distance trop grande entre le siège en Chine et la direction de la filiale. On peut attribuer par exemple à cette distance les difficultés de TCL dans sa jointventure en Europe avec Thomson Multimedia : une gamme de produits vieillissante – celle de Thomson – et la sous-estimation du temps nécessaire à une restructuration commerciale et industrielle en Europe. que leurs homologues japonaises ou coréennes à se lancer avec succès sur la scène internationale. Comme leurs homologues américaines et dans une moindre mesure européennes, les multinationales chinoises peuvent bâtir leur avenir à long terme sur deux piliers : un très grand marché domestique et une capacité forte de présence internationale. La stratégie des entreprises et la politique nationale se complètent harmonieusement, et on peut parler d’un processus de codétermination. Enfin, une des raisons de leur succès est sans aucun doute l’apprentissage acquis sur le marché domestique au sein des joint-ventures sino-étrangères. Pour la Chine, c’est une nouvelle étape dans la politique d’ouverture économique internationale menée depuis 30 ans, progressivement mais avec détermination. Pour le reste du monde et pour l’Europe en particulier, c’est aussi un avantage car les entreprises chinoises contribuent autant aux échanges commerciaux qu’à l’investissement à long terme. Dans l’ensemble, ceci conduit à une plus grande intégration de la Chine dans l’économie mondiale et à une réorganisation des différents maillons de la chaîne de valeur sur une base internationale. C’est un défi et une opportunité tant pour les entreprises chinoises que pour les entreprises occidentales. ● Les Multinationales chinoises est édité par HEC et Tsinghua University. Coordonné par Jean-Paul Larçon, il vise à faire mieux connaître les “champions nationaux” chinois : leurs objectifs, leurs stratégies marketing et technologiques, leurs alliances, leur organisation et leur impact sur le marché mondial. LA NOUVELLE GÉNÉRATION DE MULTINATIONALES Les multinationales chinoises sont nées dans un monde des affaires globalisé. Elles ont su faire leurs preuves sur un marché domestique hyperconcurrentiel. Elles ont été plus rapides AVRIL-MAI 2010 • HOMMES ET COMMERCE 41 DOSSIER CHINE Analyse Face à la crise, des stratégies opportunistes ? Par Yuan Ding, Professor of Accounting, China Europe International Business School (CEIBS), et Véronique Malleret (H.77), Doyen de la Faculté et de la Recherche d’HEC Paris, professeur au Département Comptabilité-Contrôle de Gestion. Ayant pour objectif initial de mieux connaître les méthodes de calcul des coûts des PMI chinoises, nous avons eu l’occasion de visiter à plusieurs reprises cinq entreprises familiales chinoises de taille moyenne (entre 200 et 2000 employés) et de rencontrer leurs dirigeants pour les interroger sur leur stratégie, la façon dont ils réagissaient aux changements d’environnement, leurs choix en matière de systèmes de gestion. ette recherche nous a permis de confirmer certaines des hypothèses que nous avions formulées ; elle nous a aussi amenés à découvrir à quel point le comportement des dirigeants chinois en matière de décisions stratégiques était éloigné de celui que nous observons chez des dirigeants d’entreprises similaires en Europe… et sans doute de celui qui est présenté dans la plupart des manuels de management stratégique. C Comme nous le pressentions, le calcul des coûts dans ces PMI présente des faiblesses qui ne s’expliquent pas seulement par la taille des entreprises. Par exemple, alors que ces entreprises changent d’outil industriel tous les deux ou trois ans, elles pratiquent l’amortissement fiscal (plutôt qu’économique) sur des durées longues, ce qui conduit à sous-estimer systématiquement les amortissements dans les coûts de revient des produits. Il arrive également que les entreprises oublient certains postes de coûts importants, comme ceux d’emballages, ou de développement et de conception. D’un point de vue plus technique, les entreprises choisissent souvent la mauvaise “maille d’analyse” pour calculer les coûts, raisonnant par produit là où il faudrait raisonner par lot ou par commande ; ou bien elles utilisent des unités d’œuvre pour allouer les coûts indirects qu’un simple raisonnement de bon sens suffirait à disqualifier. L’organisation des processus de production elle-même (gestion des stocks et donc contrôle des consommations de matières premières, suivi des lots et des délais, etc.), qui est le fondement d’un bon suivi des coûts, laisse souvent à désirer. En revanche, contrairement à l’image véhiculée traditionnellement sur les “usines chinoises”, nous avons été surpris de trouver des processus à faible intensité de main-d’œuvre, tant dans l’organisation physique de la production que dans les structures de coûts. Il faut préciser que la recherche s’est déroulée dans la région de Shanghai où les salaires sont relativement élevés. Mais nous avons pu noter aussi, dans les discours des dirigeants, la volonté d’automatiser les processus de production (le “chic” étant l’achat d’une machine à commande numérique allemande) pour éviter le recours à une main-d’œuvre de plus en plus chère et pas toujours fiable. La faible intensité en main-d’œuvre peut aussi s’expliquer par une caractéristique de la société DR En deux ou trois ans, plusieurs des entreprises rencontrées avaient changé de stratégie industrielle, passant de la fabrication de produits simples à celle de produits à fort contenu technologique. 42 HOMMES ET COMMERCE • AVRIL-MAI 2010 chinoise qui se retrouve dans les entreprises : l’organisation en réseau, dans laquelle les entreprises rencontrées excellent et qui leur permet de se procurer les ressources et les compétences qu’elles n’ont pas en interne, tant au niveau des approvisionnements qu’au niveau commercial. Enfin, nous nous sommes interrogés sur les raisons pour lesquelles les dirigeants que nous avons rencontrés, par ailleurs dotés d’un solide bagage intellectuel (diplôme d’ingénieur + EMBA), ne s’efforçaient pas, comme leurs homologues européens patrons de PMI, de rationaliser les processus et les coûts en cas de difficultés économiques. La réponse tient dans leur attitude stratégique que nous qualifierons “d’opportuniste” et dans leur grande capacité à changer de produit, voire de métier. En deux ou trois ans, parfois en quelques mois, plusieurs des entreprises rencontrées avaient changé de stratégie industrielle, passant de la fabrication de produits simples à celle de produits à fort contenu technologique, lançant des lignes de produits qui ne trouvaient pas leur place dans le portefeuille de produits existant ni dans une logique industrielle ni dans une logique commerciale. Les facteurs invoqués pour expliquer ces changements étaient toujours les mêmes : profits potentiels substantiels, affaire apportée par un contact connu (réseau) et faible risque. Enfin, il ne faut pas oublier de souligner l’impact que peuvent avoir sur les pratiques de gestion les aspects macroéconomiques de l’environnement chinois et la rapidité avec laquelle les entreprises naissent, grandissent, se regroupent ou meurent dans un tel contexte. ● Marché / Bourse Et maintenant, se faire financer en Asie ? Par Bang Dang Nguyen (D.06), ancien doctorant de finance d’HEC, professeur de finance à la Chinese University of Hong Kong (CUHK)*. Q ue les consommateurs voient des produits fabriqués en Asie un peu partout dans les rayons des supermarchés, ce n’est pas nouveau, ils s’y s’habituent. Que les distributeurs européens (y compris Français bien entendu) s’enrichissent énormément en se fournissant à bas coût en Asie, ce n’est pas non plus un secret. Mais s’y faire financer… c’est totalement nouveau, voire du jamaisvu ! “Les investisseurs individuels en Asie ont les taux d’épargne parmi les plus élevés du monde : entre 30 % et 40 % du PIB.” C’est ainsi que l’annonce par l’Occitane de se faire coter à la Bourse de Hong Kong le 29 mars 2010 – au détriment de la Bourse NYSE Euronext à Paris – a fait du bruit ! L’entreprise provençale, spécialiste des produits de beauté naturels, a mis 25 % de son capital sur le marché en avril sous forme d’une introduction initiale en Bourse. L’opération lui a rapporté 707 millions de dollars. sera encore très certainement dans le futur. Pourquoi ? En raison de l’abondance des ressources financières bien sûr ! Elle existe tant du côté des investisseurs individuels (qui ont les taux d’épargne parmi les plus élevés du monde : entre 30 % et 40 % du PIB au Japon, en Chine et au Vietnam), que du côté des gouvernements (la Chine possède 2400 milliards de dollars en réserve, 1019 milliards pour le Japon, 270 milliards pour Taiwan, 258 milliards pour Hong Kong…). En se faisant coter à Hong Kong, l’Occitane vise les investisseurs individuels qui connaissent bien ses produits, mais aussi les fonds d’investissement souverains. L’un d’entre eux, le China Investment Corporation, dont le capital est de 200 milliards de dollars, s’est porté acquéreur de 8,5 % du capital, soit 50 millions de dollars d’investissement. L’Asie est aussi le marché en plus forte croissance pour bien des marques, et il est toujours mieux d’être proche des marchés les plus importants. À l’heure actuelle, les entreprises cotées en Asie jouissent souvent de meilleures valorisations boursières. L’Occitane espère une multiplication du prix de son action d’au moins de 7 à 8 fois son EBITDA (Earnings before interest, taxes, depreciation and amortisation), ou de 20 fois son EPS (Earnings per share), un niveau quasiment impossible a atteindre en temps de crise en Europe. Avec un peu de chance, l’Occitane pourrait jouir d’une multiplication de 30 fois son EPS… comme c’est le cas du japonais Shiseido. “Les entreprises cotées en Asie jouissent souvent de meilleures valorisations boursières.” S’il s’agit de la toute première fois qu’une entreprise française de taille moyenne (avec un chiffre d’affaires de 537 millions d’euros en 2009) est cotée à Hong Kong, il ne s’agira probablement pas de la dernière. En fait, le géant russe Rusal, premier fabricant mondial d’aluminium, a déjà récolté 2,2 milliards de dollars en janvier en étant la première compagnie russe à être cotée à Hong Kong. Le géant anglais de l’assurance, Prudential, a prévu** lui aussi d’être coté dès le mois de mai, pour 21 milliards de dollars. Fotolia Alors… pourquoi être coté à Hong Kong et non pas à Londres ou à New York comme dans le passé, ou encore à Paris dans le cas de l’Occitane ? Les analystes s’accordent sur plusieurs motivations et faits nouveaux. D’abord, les entreprises se financent là où il y a de l’argent, et surtout de l’argent au plus bas coût. En ces temps de crise, cette place est l’Asie. Et elle le L’exemple de l’Occitane montre que l’Asie est non seulement un marché important qui a la croissance la plus rapide et qui constitue une source d’approvisionnement à bas coût, mais aussi une place pour les entreprises, même de taille moyenne, pour se faire financer. Après tout, en 2009, Hong Kong a dépassé New York en valeur des introductions en Bourse. Prada, Ferragamo, Prudential et bien d’autres entreprises sont en train de se tourner vers l’Asie, et spécialement Hong Kong, pour trouver des ressources financières à leur développement. ● * Le point de vue exposé dans cet article est strictement personnel et ne reflète pas nécessairement celui de CUHK. ** Cet article a été rédigé la mi-avril. AVRIL-MAI 2010 • HOMMES ET COMMERCE 43