le point de vue du radiologue interventionnel

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HEMORRAGIE DE LA DELIVRANCE
HEMORRAGIE DE LA DELIVRANCE :
LE POINT DE VUE
DU RADIOLOGUE INTERVENTIONNEL
J-P. Pelage, O. Le Dref, P. Soyer, H. Dahan, M. Kardache, R. Rymer. Service de Radiologie Viscérale et Vasculaire, Hôpital Lariboisière, 2 rue Ambroise Paré 75475 Paris
Cedex 10, France.
INTRODUCTION
L’embolisation artérielle percutanée est une technique de radiologie interventionnelle qui consiste à injecter de façon sélective, en flux libre, des emboles liquides ou
solides pour occlure une artère (utérine) et entraîner la dévascularisation du tissu cible
(utérus) situé en aval.
Les premières embolisations pelviennes ont été pratiquées dans un but hémostatique pour stopper des hémorragies incoercibles associées à des traumatismes du bassin [1].
Cette technique a également été utilisée à visée d’hémostase dans le cas de tumeurs
utéro-ovariennes inopérables [2], de saignements postopératoires [3], dans le post-abortum [4] ou le post-partum [5, 6].
La première embolisation artérielle pour hémorragie de la délivrance a été rapportée en 1979 par Heaston et Brown chez une patiente qui présentait une hémorragie de la
délivrance persistant après hystérectomie et ligature artérielle [7]. Depuis cette date,
compte tenu de son efficacité, les indications de l’embolisation utérine se sont élargies
et cette technique est actuellement proposée comme alternative à la chirurgie en cas
d’hémorragie grave de la délivrance.
L’indication d’embolisation doit toujours faire l’objet d’un consensus pluridisciplinaire entre le gynécologue obstétricien, l’anesthésiste-réanimateur et le radiologue
vasculaire.
1. CONDITIONS DE REALISATION
Une prise en charge initiale par l’anesthésiste-réanimateur est impérative y compris
pendant l’embolisation. Celle-ci est réalisée en salle de radiologie vasculaire par un
opérateur entraîné sous simple anesthésie locale. La voie d’abord est fémorale. Les
abords vasculaires utilisés par l’anesthésiste-réanimateur doivent donc être préférentiellement choisis aux membres supérieurs (cathéter artériel ou veineux) ou en jugulaire.
Une voie d’abord unifémorale permet l’embolisation bilatérale dans tous les cas, tout
en limitant les risques inhérents à une ponction bilatérale [8].
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2. NOTIONS TECHNIQUES
Après la ponction artérielle, un introducteur est mis en place. Il permettra des échanges faciles de guides et cathéters. La procédure consiste à cathétériser dans un premier
temps l’artère hypogastrique controlatérale puis les branches de sa division antérieure
d’où naît l’artère utérine [9].
Les séries ainsi réalisées permettent une cartographie artérielle et la détection d’un
éventuel saignement actif. Une atonie utérine ou un vasospasme diffus sont souvent
mis en évidence à ce stade. Après l’embolisation du côté controlatéral à la voie d’abord,
l’opérateur procède de la même façon du côté homolatéral, en étudiant successivement
l’artère hypogastrique puis sa division antérieure avant de cathétériser sélectivement
l’artère utérine.
L’embolisation sélective des deux artères utérines est souhaitable. Cependant, en
cas de cathétérisme difficile (spasme artériel induit par le choc hypovolémique ou par
l’utilisation de drogues vasoconstrictrices ou utérotoniques), l’embolisation du tronc
antérieur de l’artère hypogastrique est efficace en limitant la durée de la procédure et
donc l’irradiation pelvienne [6].
L’embolisation pelvienne doit être pratiquée même en l’absence d’extravasation de
produit de contraste visible sur les séries diagnostiques [5, 6]. En effet, en cas d’atonie
utérine ou si le saignement est intermittent ou à faible débit, aucun saignement actif
n’est habituellement identifié. Par ailleurs, l’embolisation doit toujours être bilatérale [6].
3. NOTIONS ANATOMIQUES
L’embolisation bilatérale intéresse le plus souvent les artères utérines [6]. Le radiologue vasculaire doit cependant connaître les nombreuses voies anastomotiques
susceptibles de ré-alimenter ultérieurement le saignement [9]. L’artère vaginale longue
ou les rameaux cervico-vaginaux de l’artère utérine doivent être explorés et embolisés
si nécessaire. En cas d’embolisation de l’ensemble du tronc antérieur de l’artère hypogastrique, il faut s’attacher à préserver les branches du tronc postérieur et notamment
les artères sacrées latérales et l’artère fessière pour limiter les complications ischémiques [6, 9].
4. CHOIX DU MATERIEL D’EMBOLISATION
Lors des embolisations d’hémostase, une occlusion artérielle de durée brève est
recherchée. Les fragments de gélatine (Spongel) sont les emboles les plus appropriés
car ils permettent une occlusion vasculaire de quelques jours qui convient parfaitement
dans les saignements associés à une coagulopathie temporaire qui se corrigera rapidement le plus souvent [5, 6].
Compte tenu des incertitudes concernant l’origine animale de la gélatine, certaines
équipes ont utilisé des particules de Polyvinyl Alcool (PVA) [9]. Ces particules réalisent une occlusion plus durable. Des particules de grosse taille doivent être choisis
pour limiter les risques d’ischémie tout en préservant le réseau collatéral. Dans certains
cas, des spires métalliques thrombogènes ou «coils »peuvent être utilisées [10]. En cas
de fistule artério-veineuse ou de faux-anévrysme, certaines équipes entraînées utilisent
les colles acryliques [11].
5. DUREE, QUANTITE DE PRODUIT DE CONTRASTE ET IRRADIATION
Selon l’entraînement de l’opérateur, l’anatomie artérielle et le diamètre des vaisseaux à cathétériser, la durée de la procédure varie entre 1 et 2 heures en moyenne [6].
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Compte tenu de la gravité du tableau hémodynamique et biologique, l’embolisation
doit être réalisée le plus rapidement possible. C’est la raison pour laquelle, nous préconisons l’embolisation du tronc antérieur de l’artère hypogastrique si cela est nécessaire
pour raccourcir le temps de la procédure [6]. La quantité de produit de contraste utilisée est variable. Chaque série consiste à injecter 10 ml de produit de contraste iodé. La
dose cumulée habituellement utilisée varie entre 100 et 200 ml de produit de contraste
à 300 mg par ml ce qui correspond à une dose d’iode comprise entre 30 et 60 g, comparable à la dose injectée au cours d’un simple examen tomodensitométrique. L’irradiation
pelvienne doit également être une préoccupation de l’opérateur. Il a récemment été
démontré que la dose cumulée sur les ovaires reste bien en deçà du seuil susceptible
d’interférer avec la fécondité ultérieure [12].
6. RESULTATS
Les taux de succès de l’embolisation utérine rapportés dans la littérature varient
entre 90 et 100 %. Ce taux est voisin de 100 % dans le cas d’une hémorragie de la
délivrance en rapport avec une atonie utérine [5, 6]. Après césarienne ou en cas de
traumatisme de la filière génitale, le taux d’efficacité est compris entre 85 et 95 % [5, 6].
Il faut signaler que ces taux de succès sont identiques chez les patientes ayant une
coagulopathie même gravissime, ce qui n’est pas le cas avec les traitements chirurgicaux. Les anomalies d’insertion placentaire (placenta accreta et percreta) peuvent
également être traitées par embolisation même si les résultats sont moins encourageants [5, 6]. De même, l’embolisation après hystérectomie ou ligature artérielle
préalable, a souvent démontré son efficacité même si l’expérience du radiologue devient primordiale dans cette situation difficile sur le plan technique [6, 7].
7. COMPLICATIONS
Le cathétérisme de l’artère hypogastrique ou de ses branches n’est habituellement
pas difficile chez des patientes jeunes, ayant des artères saines et à fort débit.
Ainsi, des complications ischémiques de l’embolisation utérine ont surtout été rapportées chez les patientes âgées ayant un cancer utérin ou ovarien préalablement traité
par radiothérapie, ce qui compromet le réseau collatéral. Des complications nerveuses,
des nécroses vésicales, des fistules vésico-vaginales ou des ischémies digestives ont
été rapportées [10, 13-15]. Des reflux indésirables de fragments d’embolisation vers
les membres inférieurs peuvent survenir après ralentissement du flux utérin.
8. EMBOLISATION DANS DES CIRCONSTANCES PARTICULIERES
En cas de saignement persistant après embolisation initiale angiographiquement
satisfaisante, une deuxième artériographie doit être pratiquée. Nous préconisons de laisser
en place l’introducteur artériel pendant 24 heures environ. Cela permet un cathétérisme
rapide en cas de nouvelle séance d’embolisation et évite les problèmes au point de
ponction chez une patiente au bilan de coagulation perturbé.
L’opérateur explore alors successivement les artères déjà embolisées car elles peuvent être recanalisées de façon précoce surtout lorsqu’elles étaient spasmées initialement.
Le radiologue explore également le système iliaque externe, largement anastomosé avec
les artères à destinée utérine.
Enfin, il étudie les artères ovariennes, naissant de l’aorte et qui peuvent être responsables d’une récidive du saignement [16]. Ainsi, les artères ovariennes ou les artères du
ligament rond seront embolisées en cas de nécessité [9, 16]. L’embolisation de ces ter-
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ritoires est difficile avec des risques de complications ischémiques, notamment ovariennes ou utérines.
Les ruptures utérines et les placenta percreta ne constituent habituellement pas des
indications d’embolisation utérine de première intention puisqu’une sanction chirurgicale est le plus souvent la règle. Cependant, l’embolisation préopératoire permet une
correction de la coagulopathie et une intervention chirurgicale différée dans un climat
plus favorable [6].
9. SURVEILLANCE APRES EMBOLISATION
Après l’embolisation, les patientes doivent être surveillées dans une structure de
réanimation. La durée de séjour en unité de soins intensifs est brève (entre 24 h et
3 jours) si l’on considère la gravité initiale des patientes à l’admission. Le retour à
domicile est possible après quelques jours supplémentaires dans le service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital d’origine. Le retour des cycles menstruels se produit dans
les délais habituels [17]. Plusieurs grossesses à terme ont été rapportées après embolisation d’hémostase pour hémorragie de la délivrance [6, 17]. Cependant, le traumatisme
psychologique d’un tel épisode incite la plupart des femmes à ne plus désirer de grossesse.
CONCLUSION
L’embolisation sélective des artères utérines ou d’autres branches des artères hypogastriques doit constituer le traitement de première intention des hémorragies graves de
la délivrance, en cas d’échec du traitement médical et des manœuvres obstétricales
initiales. Une prise en charge pluridisciplinaire des patientes est nécessaire dans les
centres hospitaliers spécialisés disposant 24 h/24 d’une équipe d’anesthésistes-réanimateurs, de gynécologues-obstétriciens et de radiologues vasculaires interventionnels
formés à la prise en charge de ce type de pathologie.
L’embolisation permet de contrôler les hémorragies graves dans 90 à 100 % des cas
surtout si elle est réalisée précocement. Une coagulopathie surajoutée constitue également une indication formelle d’embolisation puisque la chirurgie est plus risquée et
que les troubles de l’hémostase ne diminuent pas le taux de succès de l’embolisation.
En cas de persistance du saignement après embolisation, une deuxième séance pourrait être pratiquée par le désilet qui a été laissé en place. Le taux de succès après cette
deuxième procédure permet souvent d’atteindre les 100 %. En cas d’indication formelle à la chirurgie (rupture utérine ou placenta percreta), l’embolisation préopératoire
peut être utile pour corriger une coagulopathie. Enfin, l’embolisation est un traitement
conservateur qui permet de conserver la fonction de reproduction des patientes.
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