Quelle production pour quelle qualité : que maîtrisons-nous ? J. F. HOCQUETTE, D. MICOL, G. RENAND* Unité de Recherches sur les Herbivores, INRA, Centre de Clermont-Ferrand/Theix *Station Génétique Quantitative Appliquée, INRA, Centre de Jouy-en-Josas La variabilité non maîtrisée de la qualité sensorielle de la viande bovine (tendreté, flaveur) restent une préoccupation majeure de la filière. La variabilité des caractéristiques musculaires peuvent expliquer au moins 20% de la variabilité de la qualité sensorielle de la viande bovine (revue de Dransfield, 1995). Cette proportion sera d’autant plus élevée que les conditions d’abattage et de transformation du muscle en viande seront maîtrisées, contrôlées et standardisées, ce qui est de plus en plus le cas. C’est pourquoi, l’INRA a engagé depuis plus de 10 ans des recherches sur l’influence respective du type génétique des animaux et de leurs conditions d’élevage (ou systèmes de production) sur leurs caractéristiques musculaires selon leur potentiel de croissance. Cette approche implique de bien connaître les relations entre les caractéristiques des tissus et du muscle et les caractéristiques qualitatives des viandes pour disposer de prédicteurs biologiques de la qualité sensorielle de la viande, c’est à dire les caractéristiques musculaires les plus informatives. Comme on va le voir, cette question sous-entend aussi de bien connaître la biologie et la physiologie musculaires, y compris au niveau moléculaire, justifiant ainsi la pertinence de programmes de recherches plus fondamentaux et prospectifs (Annexe 1). I - Les Enjeux Pour présenter les relations entre caractéristiques musculaires et qualités sensorielles de la viande bovine, les chercheurs se posent plusieurs questions qui sont ensuite traduites en programmes de recherches. 1. Quelles sont les caractéristiques musculaires les plus explicatives de la qualité sensorielle de la viande? 2. Pour répondre aux attentes de la filière, a-t-on les moyens techniques de mesurer objectivement et facilement quelques prédicteurs biologiques de la tendreté et de la flaveur ? L’objectif serait alors de pouvoir prédire individuellement la tendreté et la flaveur potentielles d'un muscle à partir de ses caractéristiques avant qu’il soit transformé en viande. 3. Se pose en parallèle le problème de l'influence des facteurs d'élevage (choix du type génétique des animaux, mode de conduite, nature et niveau de l'alimentation) sur la variabilité des caractéristiques musculaires et des qualités de la viande qui en découle. 4. Par ailleurs, la sélection a besoin d’outils de prédiction de la qualité afin de sélectionner les animaux sur leur potentiel à produire une viande de qualité. Toutefois, ceci n’est possible que si les caractéristiques musculaires explicatives de la qualité sont des caractères suffisamment héritables. 5. Se pose enfin le problème des moyens d'action qu'a l'éleveur pour modifier la mise en place des caractéristiques musculaires aux stades les plus précoces de la vie (peut être en partie durant la vie fœtale) afin d'induire des effets marqués et rémanents tout au long de la vie de l’animal sur le potentiel de croissance et les caractéristiques musculaires déterminantes pour la qualité. II – Les acquis 1 – Les caractéristiques musculaires les plus explicatives Nous ne présenterons pas ici la diversité des relations qui ont été décrites dans la littérature entre les caractéristiques qualitatives des viandes (tendreté et flaveur surtout) et les caractéristiques musculaires (fibres, pH, protéases, lipides intramusculaires, collagène). Nous soulignerons simplement les difficultés majeures rencontrées dans nos travaux. En effet, les relations entre les caractéristiques musculaires et les critères de qualité dépendent des causes de la source de variabilité observée, du modèle d’interprétation utilisé pour établir ces relations, et bien entendu, de la nature des mesures réalisées, c’est à dire de l’identité des estimateurs utilisés. Tout d’abord, les études faisant appel à une variabilité générée par des mesures sur plusieurs muscles ne donnent pas les mêmes relations que les études sur un seul muscle. Ainsi par exemple, les teneurs en collagène sont très différentes entre muscles, alors que la solubilité du collagène ne varie pas de façon significative entre muscles mais varie fortement entre individus pour un muscle donné (revue de Valin et al., 1995). De plus, comme les muscles réagissent différemment (Vestergaad et al., 2000 ; Listrat et al., 2001 ; Cassar-Malek, et al., 2001), c'est-à-dire de façon spécifique, à une source de variabilité telle qu'elle soit (génétique ou nutritionnelle), les relations valables pour un type de muscle donné ne sont donc pas extrapolables à un autre type de muscle. De même, une variabilité générée par différents types génétiques d'animaux (Brouard et al., 2001) ou par différentes conduites d'élevage conduisent à des relations différentes et particulière pour un muscle donné. Du point de vue statistique, quand on dispose d'une source de variabilité multifactorielle de la qualité (génétique, nutritionnelle ou autre), il est possible de s'affranchir de l'effet des facteurs de variation contrôlés en travaillant sur les résidus de l'analyse de variance qui prend en compte cet effet. Ainsi, par exemple, connaissant l’origine génétique des animaux, il est possible de s’affranchir de cet effet afin d’exploiter la variabilité phénotypique non liée à la génétique des caractéristiques musculaires (Hocquette et al., 2001). L’analyse simultanée de la variabilité entre facteurs de variation et intra facteur de variation apporte des informations sur ces deux sources de variation qui peuvent induire des relations différentes. Enfin, en travaillant sur une variable synthétique résultant d'une combinaison de variables mesurées, suite à une analyse en composante principale par exemple, on obtient théoriquement une meilleure prédiction de la qualité ou de variables importantes pour la qualité : ainsi, par exemple, environ 85% de la variabilité de la force de cisaillement du muscle long dorsal peut être expliquée par les différentes proportions de fibres musculaires et le pH de la viande à 45 min et à 24 h (revue de Valin, 1995). De même, environ 50% de la variabilité du taux de lipides intramusculaires peut être expliquée à partir d’une combinaison de 8 activités métaboliques chez le lapin (Gondret et al., 2001). L’analyse en composantes principales est en effet une méthode de choix pour avoir une vue synthétique des multiples relations entre les différentes variables qualitatives des muscles et des viandes (Destefanis et al., 2000). Mais un problème important réside aussi dans la nature des estimateurs envisagés et des méthodes de laboratoire utilisées. Par exemple, comment estimer les propriétés contractiles et métaboliques des fibres musculaires que l’on sait être importantes pour la qualité de la viande ? Les propriétés contractiles des fibres peuvent appréciées par immunocytochimie (par coloration ATPase-SDH ou à l’aide d’anticorps) ou par électrophorèse ou encore ELISA avec des anticorps dirigés contre les différentes chaînes lourdes de myosine (Picard et al., 1994) . Les résultats sont souvent, dans le détail, différents suivant les méthodes ou les outils utilisés ; de même, les propriétés métaboliques sont estimées par des enzymes glycolytiques ou oxydatives, mais suivant les enzymes étudiées, on aura, là encore, des résultats différents plus ou moins significatifs (Hocquette et al., 1998, 2001). Malgré l’ensemble de ces limitations, il est généralement observé que la couleur est positivement corrélée aux teneurs en fer héminique, que la teneur en lipides intramusculaires est parmi les facteurs importants qui influent sur la flaveur, et que la dureté de base de la viande dépend de la trame conjonctive alors que sa maturation dépend des caractéristiques des fibres musculaires (type, surface, pH, protéases). 2 – Prédiction individuelle de la qualité Contrairement au problème précédent, il ne s’agit pas d’apporter des explications biologiques à la variabilité de la qualité en mettant en évidence une corrélation entre la variabilité de telle ou telle caractéristique musculaire et tel ou tel critère de qualité. Il faut aller beaucoup plus loin en établissant une très forte corrélation afin d’établir une véritable prédiction avec le moins de risque d’erreur possible. C’est pourquoi, le coefficient de la corrélation entre les deux variables d’intérêt doit être élevé. Pour un muscle donné (le longissimus thoracis) issus de taurillons Charolais élevés dans les mêmes conditions, il est possible aujourd’hui d’expliquer seulement un quart à un tiers de la variabilité de la tendreté ou de la flaveur par un ensemble de 11 caractéristiques musculaires dont certaines sont peu explicatives (Renand et al., 2001). Les raisons en sont multiples : 1) la variabilité non biologique (dues à l’imprécision de la mesure) de la variable dépendante à prédire (tendreté) est elle-même beaucoup trop élevée (l'analyse sensorielle étant relativement difficile à maîtriser), 2) les caractéristiques musculaires mesurées ont leur propre erreur de mesure, 3) certaines caractéristiques musculaires importantes (activité des protéases, par exemple) n’ont pas été prises en compte dans cette étude. En revanche, une autre étude sur le même muscle de taurillons frisons mais dans différentes conditions d’élevage a montré que 62% de la variabilité de la tendreté pouvait être expliquée par la variabilité de l’index de fragmentation myofibrillaire (Vestergaard et al., 2000). Ce meilleur score de prédiction s’explique probablement (i) par l’augmentation de la variabilité due à l’introduction de différents systèmes d’élevage comme expliqué précédemment, et (ii) par le fait que l’indice de fragmentation myofibrillaire est un indicateur direct de la protéolyse musculaire, et non pas une caractéristique musculaire de l’animal vivant. 3 – Influence du type de production sur les caractéristiques musculaires et la qualité Encadré : A partir de son maximum atteint vers 1980 (> 30 kg Equivalent carcasse (EC) par hab), la consommation intérieure de viande bovine a engagé une décroissance notable et pérenne. Une combinaison défavorable initiale « prix/qualité/image » perçue par le consommateur explique cette chute, relayée ces dernières années par des raisons de manque d’innocuité et d’information très négative sur ce produit (ESB, fièvre aphteuse voire la maladie du Charbon tout récemment ), à tel point que le niveau de consommation semble se situer vers 20-22 kg EC/hab en 2000-1. La filière bovine ou divers opérateurs ont réagi par une segmentation du marché dans un souci d’ouverture du choix pour le consommateur (démarcation des produits, signes de qualité) et par une volonté de réassurance sur la qualité du produit auprès de l’acheteur final (étiquetage, origine, mode de production, signes de qualité…) ; les deux démarches se confondant ou se complétant dans la pratique. Dans ce contexte, l’ensemble du processus de production de l’animal (origine, génotype, type de production, conduite et alimentation…) intéresse la filière ou veut être maîtrisé par un élément de cette filière. L’objectif général est d’abord une garantie d’innocuité pour la consommation humaine, doublée d’un souci de caractérisation ou d’amélioration des qualités finales du produit consommé (qualités sensorielles et nutritionnelles). Pour le secteur amont, du sélectionneur bovin à l’abatteur, ce souci correspond à vouloir maîtriser la composition de l’animal (anatomique ou chimique) et la structure et la composition du muscle, avant les processus de transformation des muscles en viande et les procédés technologiques dont ils peuvent bénéficier. Comparativement aux autres pays producteurs de viande bovine, la France est très clairement caractérisée par la diversité de ses systèmes de production à partir de ses deux troupeaux laitier et allaitant. On retrouve en France une production de viande bovine à partir de bœufs comme dans les pays anglo-saxons ou de jeunes bovins mâles comme chez les pays d’Europe du Nord (Belgique, Allemagne…) ou surtout, à partir de vaches de réforme de race laitière ou à viande. De nombreux travaux passés et plus récents ont montré que les qualités finales des viandes (sensorielles et nutritionnelles) sont sous la dépendance initiale de la composition et des caractéristiques du muscle. On peut résumer ici les principaux facteurs de maîtrise liés à l’animal et à son milieu qui peuvent influer sur ces caractéristiques musculaires et par là sur la qualité finale du produit. Leviers sur l’animal : Age : Au cours de la croissance et du vieillissement , la structure et la composition du muscle évoluent avec l’âge, entraînant une augmentation de la dureté, de l’intensité de la flaveur et de la couleur. L’augmentation de la dureté est sous la dépendance du collagène, à relier davantage à une diminution de sa solubilité qu’à une augmentation de sa teneur. Ces changements sont généralement attribués à une augmentation progressive du nombre de liaisons intermoléculaires stables . Bien que le nombre de fibres musculaire soit relativement fixé à la naissance chez les bovins, la proportion des différents types de fibres n’est pas constante. Durant la première partie de la vie (de la naissance à la puberté du bovin mâle), une graduelle réduction de la proportion des fibres IIA peut être observée au bénéfice des fibres IIB. L’activité glycolytique s’accroît. Ensuite, cette évolution se ralentit puis s’inverse progressivement, l’activité oxydative de développe alors que le nombre de fibres à contraction lente (type I) semble rester constant (revue de Micol et Picard, 1997). Le type de fibres a également un rôle sur l’intensité de la flaveur et de la jutosité avec l’âge. Les fibres rouges lentes induisent une meilleure flaveur et une plus forte jutosité. Ces fibres sont associées à plus de lipides et d’acides gras que les fibres rapides. Ainsi, l’accroissement au cours du vieillissement de l’activité oxydative peut être relier à l’augmentation de l’adiposité et par suite à celle de l’intensité de la flaveur. L’âge a une effet prononcé sur les différentes caractéristiques de la couleur. La concentration en myoglobine augmente au cours de la croissance, très rapidement avant la puberté, jusqu’à un maximum variable selon les muscles et le sexe de l’animal. Dans le même temps, la luminosité de la couleur diminue, la viande devient plus sombre. La stabilité de la couleur se réduit, ainsi les muscles lents et plus rouges deviennent plus instables. Sexe : Au delà de la puberté, la viande de mâles entiers est moins tendre que celle des mâles castrés, elle même moins tendre que celle des femelles. Ces différences s’expliquent dans une large mesure par la teneur et la solubilité du collagène et en partie par des différences de type métabolique et contractile des fibres musculaires. Une plus forte teneur en collagène s’observe cher le taurillon par rapport au bouvillon, lui même présentant une teneur et une chute de solubilité notable par rapport à des génisses de même âge entre 13-24 mois. Les androgènes augmentent la taille de toutes les fibres musculaires et ralentissent à même âge la conversion des fibres IIA en fibres IIB . La proportion de fibres rouges à métabolisme oxydatif est donc plus importante chez les mâles entiers que chez les animaux castrés. La castration est associée à une flaveur et une jutosité plus élevées en relation avec une teneur en lipides intramusculaires plus importante. Les caractéristiques liées à la couleur semblent être peu affecté par la castration. La viande de femelles est plus tendre que celle des mâles, à la fois du fait d’une teneur plus faible en collagène des muscles et de sa plus grande solubilité. Elles auraient en outre moins de fibres de type I et un pourcentage plus élevé de fibres glycolytiques et une plus faible teneur en pigments. La teneur en pigments croit plus rapidement chez les femelles, plus précoces que les mâles (revue de Geay et Renand, 1994). Leviers sur le mode de conduite : Le niveau d’alimentation , permet de moduler les phénomènes de croissance et de développement chez l’animal. Les effets d’une variation du niveau alimentaire sur le type métabolique et contractile des fibres vont dépendre de la période à laquelle elle est appliquée par rapport au stade de développement de l’animal. Après sevrage, une restriction alimentaire entraîne une réduction des fibres IIB au bénéfice des fibres IIA, le métabolisme devient plus oxydatif. Une réduction pendant la période de finition va de pair avec une diminution de la vitesse de croissance, du niveau de synthèse protéique et lipidique et de la taille des fibres. Inversement lorsque le niveau alimentaire s’accroît le métabolisme devient plus glycolytique, la proportion de lipides déposés augmente et par suite la flaveur des viandes (revue de Geay et al., 2001). Courbe de croissance : La modulation des niveau d’alimentation qui se traduit par des courbes de croissance discontinue (sous alimentation, réalimentation, croissance compensatrice) permet de maîtriser en partie les caractéristiques musculaires au cours de la croissance (effet âge). Une alimentation finale libérale chez un animal, auparavant limité, se traduit, hormis une augmentation des performances, par un métabolisme glycolytique associé à une augmentation des fibres IIB, un accroissement du dépôt de lipides intramusculaires et d’une proportion de collagène néoformé plus soluble et plus importante (revue de Geay et al., 2001). Ces combinaisons « animal/mode de conduite » permettent contrôler en partie les caractéristiques finales des animaux, tout en générant certainement des causes de variabilité accumulées au coures de sa vie. Ainsi, par exemple, ces interactions « animal/conduite » peuvent expliquer qu’un bœuf de 33 mois aura des caractéristiques de carcasses et des muscles assez proches de son homologue de 24 mois conduit sur un schéma un peu plus intensif ; ou encore que les vaches de réforme Limousines, à fort potentiel de synthèse musculaire et peu précoces, sont acceptées dans le cahier des charges Label Rouge malgré un âge avancé (9 ans) si elles présentent les critères requis. Nature de l’alimentation : Comme chez d’autres espèces (monogastriques, production laitière), de nombreux travaux ont eu pour but de maîtriser les caractéristiques de carcasses et des muscles par le biais de la nature de l’alimentation ou des composants des rations alimentaires. Cette approche est souvent entachée d’une confusion rapide dans ces études entre des effets du niveau d’alimentation per se et de la nature de la ration (exemple souvent présenté de l’ensilage de maïs). Les effets obtenus à partir des rations extrêmes (tout paroi vs amidon, apports alimentaires azotés très élevés, surcharge en pigments…) mettent en évidence des effets assez peu notables sur ces caractéristiques, sans commune mesure à ceux observés sur les autres productions animales (porcs, volailles) et laisse donc peu de place à une utilisation pratique efficace via la stricte nature des aliments ou via la complémentation en certains éléments régulateurs. Récemment, des travaux engagés par URH sur l’alimentation à l’herbe des bovins à viande mettent cependant en évidence des différences sensibles sur les caractéristiques des tissus et des muscles. Un alimentation à l’herbe, incluant des phases de pâturage, semble se traduire par une augmentation de la solubilité du collagène, un métabolisme du muscle plus oxydatif, une utilisation plus importante des acides gras comme source énergétique, une modification du métabolisme protéique (protéolyse) et une augmentation du dépôt d’acides gras insaturés n-3 (Jurie et al., 1999, 2000 et 2002). 4 – Variabilité d’origine génétique Ce dernier problème est accentué par la sélection sur la vitesse de croissance qui s'est opérée de façon plus ou moins spectaculaire selon les races. En effet, d'une façon générale, une sélection sur la vitesse de croissance conduit à des muscles plus gros et de ce fait moins vascularisés, avec des fibres plus glycolytiques et plus rapides et moins de lipides intramusculaires. Ceci est actuellement un problème pour les espèces à intervalles de génération court (volailles et porcs) mais le devient pour le bovin. Par exemple, la sélection des bovins des culards en race Blanc Bleu Belge en Belgique a conduit à des animaux produisant une viande sans saveur, ceci d’autant plus qu'ils sont conduits en système taurillon abattus jeunes. En Charolais, la sélection sur la vitesse de croissance et l'efficacité alimentaire de taurillons charolais (dispositif Vachotron de l'INRA) conduit effectivement à des muscles plus glycolytiques avec moins de lipides intra-musculaires et une flaveur plus faible. Les travaux menés à l’INRA pour appréhender la variabilité d’origine génétique des caractéristiques musculaires et des qualités des viandes chez les bovins complètent les trop rares travaux disponibles dans la littérature. L’estimation des paramètres génétiques (h², rg et réponses à la sélection) nécessite des dispositifs expérimentaux adaptés et l’essentiel de nos résultats furent obtenus dans l’expérimentation « Vachotron ». Les CM furent celles qui étaient mesurables « en routine » sur près de 300 taurillons : dosages des protéines, lipides, collagène, pigments ; caractéristiques des fibres musculaires (% myosine I par ELISA, activités enzymatiques de la LDH et ICDH, taille des fibres sur coupes histologiques), alors que les QV ne purent être mesurées que sur un peu plus de 100 taurillons. Le premier résultat à souligner est la forte variabilité individuelle entre animaux de même race, même sexe, même âge, même conduite alimentaire, des caractéristiques musculaires, bien supérieure à celle qui existe classiquement pour la composition des carcasses (CV environ 15-20 %) ou la croissance (CV environ 10%). Les coefficients d’héritabilité sont plutôt moyens (h²=0.20 en moyenne), un peu inférieurs à ceux des aptitudes bouchères à l’abattage (h²=0.33 en moyenne), mais surtout nécessitent d’être confortés par de nouvelles estimées dans d’autres populations. Les relations génétiques sont nettement plus marquées que les relations phénotypiques. Les teneurs en lipides et en pigments sont positivement corrélées avec la teneur en dépôts adipeux des carcasses. Sur ce même axe on retrouve positivement la proportion de myosine lente et l’activité de l’ICDH en opposition avec celle du LDH. Ces relations génétiques sont confirmées par une étude sur 150 taurillons Limousins. Il existe aussi une association négative entre la croissance musculaire d’une part et la teneur en collagène et la taille des fibres d’autre part. De ce fait, une sélection sur la croissance musculaire au détriment des dépôts adipeux, devrait conduire à des muscles avec moins de lipides intramusculaires, moins de collagène, des fibres plus glycolytiques et plus rapides. Ce type de relation se retrouve, mais d’une façon plus accentuée, lorsqu’on compare des bovins culards à des bovins normaux en race Blanc Bleu Belge. Compte tenu des relations phénotypiques observées entre les caractéristiques musculaires et les qualités des viandes, on peut prédire que dans une race à viande spécialisée telle que la race Charolaise, la poursuite de la sélection sur la croissance musculaire actuellement pratiquée à travers la sélection sur la vitesse de croissance et l'efficacité alimentaire doit conduire à des muscles dont les caractéristiques musculaires sont compatibles avec une meilleure tendreté, mais au détriment de la flaveur et de la couleur (plus pâle) . 5 – Mise en place des caractéristiques musculaires au cours de la vie fœtale Le potentiel de croissance musculaire dépend, dans sa dimension quantitative, du nombre total de fibres musculaires. De même, la teneur en lipides de la carcasse et en lipides intramusculaires dépendent également du nombre d’adipocytes dans les différents dépôts adipeux considérés. Par ailleurs, les caractéristiques des fibres comme celles des autres composantes du tissu musculaire (collagène, adipocytes) déterminent les critères de la qualité de la viande. Le déterminisme du nombre de fibres et d’adipocytes ainsi que leurs caractéristiques s’opèrent pour une grande part pendant les phases embryonnaires et fœtales du développement. Toute anomalie au cours du développement fœtal, lié par exemple à une période de sous-nutrition marquée de la mère et de son fœtus, peut avoir des conséquences importantes et rémanentes sur le développement des tissus et sur leur métabolisme après la naissance, affectant ainsi la croissance et la composition corporelle postnatales. C’est pourquoi, on parle de « programmation nutritionnelle » de la croissance et de la composition corporelle, concept qui est de plus en plus accepté chez l’homme comme chez l’animal. Ainsi, par exemple, chez l’homme, la prédisposition à de nombreuses pathologies, telles que l’obésité, le diabète non-insulino dépendant ou les maladies cardiovasculaires sont liées à des perturbations nutritionnelles qui seraient survenues avant la naissance. Plus précisément, chez le porc, une sous-nutrition de 40% de la truie gestante durant la première moitié de la gestation conduit à une diminution du nombre de fibres secondaires, et de ce fait de la masse musculaire. Par ailleurs, le nombre plus important de fibres musculaires chez le bovin culard s’explique par une prolifération plus importante des myoblastes au cours de la vie fœtale. Chez le bovin, les études conduites à l’URH suggèrent que si l’on souhaite modifier le nombre de fibres, il est important d’agir avant 6 mois de développement fœtal puisque le nombre de fibres est fixé à partir de ce stade. Au contraire, si l’on souhaite davantage modifier les caractéristiques contractiles et métaboliques de ces fibres, il faut agir durant le dernier tiers de la vie fœtale (revue de Picard et al., 2000). Ce contrôle potentiel, via le niveau d’alimentation, durant la phase de gestation des bovins est actuellement prospecté. Les applications pratiques dépendront du niveau des réponses envisageable sur le produit en relation avec les autres fonctions actives ou successives lors de la gestation des bovins (croissance fœtal, lactation, reproduction…). Bien que certainement moins marquants que chez d’autres productions animales (monogastriques, lait..), les facteurs de milieu, de mode d’élevage et d’alimentation permettent de maîtriser et caractériser les produits de viande bovine. Ce souci correspond à une attente du consommateur qui demande une assurance sur la qualité du produit qui lui est proposé (innocuité, qualités sensorielles et diététiques, image de naturalité, bien-être de l’animal…) . Il correspond également à la demande de la filière (producteur, distributeur…) soucieux de caractériser ses produits voire de les démarquer. Les approches en cours sur les reconnaissance AOC ou IGP en viande bovine à l’heure actuelle sont illustratrices sur ce point. Les travaux en cours mettent en évidence une part de contrôle nutritionnelle des caractéristiques musculaires et sensorielles des viandes. Il en est de même pour une certaine liaison entre ces produits et leur lieu de production (terroir) et la façon de les élaborer (alimentation…). Ces travaux sont en cours et méritent leur poursuite, leur avancée s’appuie également sur les différents points ouverts de ce chapitre de ‘perspectives ‘ III - Perspectives 3. 1. Poursuivre nos recherches sur l’ontogenèse des caractéristiques musculaires Bien que l’ensemble des observations précédentes suggèrent la possibilité de manipuler de façon importante la masse musculaire et les caractéristiques tissulaires en agissant durant la vie fœtale, l’état actuel de nos connaissances nous amènent à proposer deux directions majeures de recherches : 1) poursuivre les approches descriptives pour mieux connaître les différentes phases du développement fœtal et les mécanismes de régulation de la différentiation afin de définir les différentes périodes clés de la différentiation sur un plan cognitif. 2) développer des recherches dites « pragmatiques » pour préciser expérimentalement dans chacune de nos espèces zootechniques (caractérisées par des degrés de maturité différents) (i) quels sont les niveaux de sous-nutrition critiques à éviter et les nutriments indispensables au cours de la vie fœtale, (ii) quels sont les effets que l’on observera en fonction de la période à laquelle on agit, et (iii) comment on peut proposer de nouvelles méthodes de conduites, respectueux de l’animal et prenant en compte l’ensemble des fonctions concomitantes cher les bovins (lactation, reproduction…) 2 . Connaître et maîtriser les facteurs du milieu Besoins de mesure de routine Des tests de dosage rapide des types de chaînes lourdes de myosine sont actuellement en développement entre l’INRA et la Société Agro-Bio (Orléans). Ces tests devraient permettre de déterminer rapidement le type de fibres musculaires sur un grand nombre d’échantillons. Cependant, hormis des tests rapides (ELISA par exemple), la plupart des caractéristiques musculaires sont mesurées de façon laborieuse et onéreuse, c'est-à-dire par des méthodes de laboratoire lourdes rendant toute opération de routine illusoire. La recherche scientifique, et surtout la « filière bovine », ont besoin de nouvelles méthodes dite de routine pour déterminer rapidement et à moindre coût sur un grand nombre d’échantillons les caractéristiques musculaires les plus pertinentes et les plus explicatives de la variabilité de la qualité. Cela sous-entendu des recherches à caractère méthodologique. Ce besoin se manifeste pour différentes approches : (i) génétique quantitative qui nécessite une réponse fiable et rapide selon les programmes de sélection mis en place dans les populations en production, (ii) génomique fonctionnelle qui a besoin également des modifications phénotypiques rencontrées à la suite de l’expression ou pas de certains gènes impliqués, (iii) recherches sur l’ontogenèse des tissus et du muscle qui veut retenir les prédicteurs les plus pertinents des caractéristiques des tissus et des muscles en relation avec les qualités du produit. 4. Besoins de techniques à haut débit Les techniques à haut débit permettent l’analyse simultanée d’un grand nombre de caractéristiques musculaires. En exagérant, ce sont des techniques qui tendent vers l’exhaustivité. Ces techniques se mettent actuellement en place en biologie moléculaire . Ces approches font appel à la technologie des « puces à ADN ». Elles permettent d’étudier simultanément l’expression au niveau ARN (étude du transcriptome) ou protéine (étude du protéome) ou encore le polymorphisme de centaines ou de milliers de gènes à la fois rendant possible l’étude simultanée d’autant de caractéristiques musculaires différentes. De ce fait, par leur caractère presque exhaustif, ces études devraient accélérer le développement de la « modélisation » des prédicteurs « moléculaires » du potentiel de croissance et de la qualité de la viande. 5. Recherches caractéristiques musculaires de nouvelles L’état actuel de nos connaissances souligne notre faible capacité à prédire de façon satisfaisante et utile pour la filière le potentiel de croissance des animaux et la qualité sensorielle de la viande bovine. Une façon de résoudre ce problème est d’approfondir la biologie du muscle afin de découvrir de nouvelles caractéristiques musculaires qui permettraient d’expliquer la variabilité de la qualité et qui seraient faciles à mesurer en routine. Deux approches sont actuellement en cours à l’INRA avec cet objectif. Ces deux approches sont dite « transversales » ; en d’autres termes, elles visent en mettre en commun les connaissances dans toutes les espèces (porcs, ruminants, volailles, mais aussi poissons et homme) de façon à être plus efficaces. Toutefois, il est important de dégager également les spécificités de chacune des espèces pour mieux répondre aux attentes particulières de chaque filière. La première approche consiste à focaliser les efforts de la recherche sur des mécanismes biologiques importants pour la physiologie musculaire. Une attention particulière est portée sur le rôle des mitochondries (Transversalité animée par P Herpin) et sur le déterminisme du nombre de fibres musculaires (projet VIMUS animé par G Cabello). Ce thème fait également l’objet d’une action européenne en cours (projet COST) sur les différentes espèces zootechniques. La seconde approche, plus connue sous le nom de « Génomique Fonctionnelle », consiste à utiliser au mieux les techniques de biologie moléculaire à haut débit (étude du transcriptome et du protéome) pour connaître la fonction des gènes exprimés dans le muscle. Cette approche « moléculaire » permet par son caractère exhaustif d’identifier de nouveaux gènes impliqués dans la croissance et de la qualité de la viande répondant ainsi au problème de la découverte de nouvelles caractéristiques musculaires. Toutefois, cette voie de recherche extrêmement récente doit encore être validée à la fois sur les plans conceptuels et techniques, bien qu’elle soit très prometteuse. 6. Développement d’outils de simulation Enfin, il apparaît important de développer des outils de simulation permettant d’exploiter au mieux l’état de nos connaissances actuelles pour prédire le potentiel de croissance et la qualité sensorielle de la viande. Cette approche passe par une étape de « modélisation » de la variabilité des caractéristiques quantitatives et qualitatives des muscles et des viandes actuellement en cours. La dernière direction préconisée ici ne doit surtout pas être oubliée car elle apporte la démonstration de l’utilité de l’ensemble du dispositif de recherches. C’est une approche que l’on peut qualifier de « pragmatique » qui est parfois davantage développée à l’étranger qu’en France. Ainsi, par exemple, en Australie, le CRC (Cooperative Research Centre for Cattle and Beef Quality) a développé un système très simple de prédiction de l’acceptabilité de la viande bovine à partir de variables zootechniques (poids et dimension de la carcasse, sexe et âge de l’animal, épaisseur de tissu adipeux sous-cutané), de variables relatives à l’abattage (méthode de suspension des carcasses), et de variables musculaires (persillage, pH) ou même culinaires (méthode de cuisson) pour garantir aux consommateurs une acceptabilité minimale. Une démarche par sous-modèle doit clairement être encouragée, le premier sous-modèle visant à modéliser les relations entre caractéristiques musculaires et qualité de la viande doit être entrepris. Ces modèles de simulation doivent guider les besoins de recherches en matière zootechnique et en recherches globales. Ils doivent progressivement rendre compte de la chaîne d’élaboration de l’animal sur pied et de sa carcasse, mise en place des différents tissus, élaboration des caractéristiques musculaires, liaisons avec les qualités finales des produits. Conclusion générale Les chercheurs ont accumulé des connaissances importantes dans différentes disciplines (zootechnie, nutrition, physiologie, génomique, etc). L’ensemble de ces connaissances est certainement utile pour la filière « viande bovine ». Toutefois, il apparaît un écart de plus en plus perceptible entre les recherches dites « fondamentales » et les autres plus « pragmatiques ». Parmi les premières, nous citerons tout ce qui concerne la physiologie musculaire et la génomique fonctionnelle. Ces disciplines doivent assurément être développées et encouragées car potentiellement porteuses d’avenir. Parmi les secondes, nous citerons les approches mathématiques, et en particulier la modélisation, et toutes les activités de synthèse qui . apportent assurément des tentatives de réponse aux problèmes que se posent la filière. L’enjeu et le défi auxquels doivent faire face les chercheurs est de maintenir un équilibre entre ces deux types d’approches, sans oublier les approches « pragmatiques » qui crédibilisent les recherches « fondamentales ». C’est pourquoi, une veille scientifique et technologique permanente est souhaitable pour savoir exploiter au mieux les progrès des connaissances dans les autres espèces. Références La liste des références bibliographiques mentionnées dans ce texte est disponible auprès des auteurs Annexe 1 : Génome Génome Prédiction Génétique moléculaire Type génétique, race Génomique fonctionnelle Prédiction Expression des gènes Expression et fonction des gènes Expression des gènes Nutrition, zootechnie Génomique fonctionnelle Facteurs d’élevage (alimentation, conduite) ANIMAL Métabolisme, physiologie Caractéristiques Caractéristiques musculaires musculaires Biologie musculaire Qualités sensorielles ABATTAGE Métabolisme, physiologie MUSCLE Biologie musculaire Prédiction Génétique quantitative TECHNOLOGIE Génie des procédés Jury d’analyse sensoreille VIANDE Analyses de routine pour la filière, Outils de simulation