Les populations qui vivent sur le pourtour du Pacifique, aux Antilles

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TERRE , PLANE TE MYSTERIEUSE
2- LES ABYSSES
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u Vue en 3D de l'interaction entre les plaques Eurasie et
Philippine près de Taiwan. On remarque grâce aux deux
coupes que la plaque en subduction est eurasienne au sud
de l'île de Taiwan et philippine à l'est. L'île de Taiwan a
surgi en réponse à l'enfoncement de la marge
continentale chinoise (5) sous la plaque Philippine il y
a quelques millions d'années seulement. Une carte
bathymétrique précise a pu être levée lors de la
campagne ACT du N/O L'Atalante de l’Ifremer en 1996.
L'étoile rouge sur l'île indique l'épicentre du séisme de
Chichi de magnitude 7,6 en 1999 (2 500 morts). (1) Fosse
de Manille, (2) Mer de Chine du Sud, (3) Bassin
ouest-philippin, (4) arc volcanique de Luçon, (6) arc non
volcanique des Ryukyus.
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Les populations qui vivent sur le pourtour du Pacifique, aux Antilles,
en Méditerranée, ressentent fréquemment les vibrations de la Terre.
Elles assistent, plus rarement, à des éruptions volcaniques qui
peuvent devenir meurtrières. Dans ces régions, zones de
subduction pour les spécialistes, la dynamique terrestre manifeste,
plus que partout ailleurs, sa toute-puissance. Mais il ne s’agit pas
seulement de risques, c’est aussi là que germent les montagnes,
que les roches du manteau se renouvellent.
LES SU B D U CT I O N S , ZO NES À R ISQUES
Serge Lallemand
Géodynamicien
n sait aujourd’hui que la subduction est un processus terrestre qui entraîne
en profondeur des plaques lithosphériques et compense l’expansion des
fonds océaniques. La surface de notre planète reste ainsi constante. Il a fallu
attendre la fin des années 1960 pour que la moisson d’observations géophysiques du fond des océans témoigne de la naissance de la croûte océanique
aux dorsales. À partir de là, tout est allé très vite. Les plaques océaniques
créées aux dorsales devaient forcément plonger quelque part ! Le lien fut fait
avec la découverte trente ans plus tôt, par le Japonais Wadati, de séismes profonds à la périphérie des océans. La théorie de la « tectonique des plaques »
était née, révolutionnant notre approche de la dynamique terrestre ! Au premier modèle global de Xavier Le Pichon en 1968, décrivant le mouvement des
plaques à la surface du globe, a succédé une frénésie salutaire d’exploration
océanographique. Américains, Soviétiques et Européens ont rapidement dessiné les grandes lignes des marges actives, ainsi nommées à cause de l’intense activité sismique qui les caractérise. Depuis une trentaine d’années,
d’autres nations sont entrées dans la course, dont le Japon, qui dispose
aujourd’hui des outils d’exploration les plus performants. La France aussi qui,
la première, conçut un submersible pour descendre à plus de 6 000 mètres et
dont les premières plongées eurent lieu dans la fosse de Porto Rico en 1984.
Dans les années 1980, les questions que l’on se posait au sujet des zones de
subduction portaient sur leurs structures profondes, la manière dont étaient générés les séismes et le rôle des fluides, ce qu’il advenait des sédiments engouf-
O
frés dans les grandes fosses et l’importance du recyclage de matière dans le manteau dû à la subduction, la profondeur atteinte par les plaques lithosphériques, ou encore la source du magma des volcans typiques de ces régions.
Traquer les plaques enfouies
À l’échelle du globe, les ondes émises par les séismes lointains permettent de
cartographier des anomalies de vitesse dans le manteau – on parle de tomographie sismique – qui nous renseignent sur le devenir des plaques plongeantes. Ainsi, certaines atteignent la base du manteau, tandis que d’autres semblent stagner entre 400 et 600 kilomètres. S’agissant des subductions, voir
profond revient à remonter dans le temps, un peu à la manière des astronomes
avec leurs télescopes sauf que ceux des géophysiciens sont tournés vers l’intérieur de la Terre et s’appellent des sismomètres. Les vingt dernières années ont
ainsi livré une moisson d’images permettant de reconstituer le ballet des plaques.
Risque sismique majeur
Parallèlement et plus près de la surface, les scientifiques scrutent dans le
moindre détail les zones de subduction à l’origine des séismes les plus destructeurs. Celui de Sumatra, en décembre 2004, combiné à un gigantesque
tsunami, a coûté la vie à plus de 220 000 personnes. Il faut savoir que plus de
90 % de l’énergie sismique est dissipée le long des frontières de plaques
en subduction.
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TERRE , PLANE TE MYSTERIEUSE
2 - LES ABYSSES
U Cette image sous-marine de la fosse de
Sumatra prise lors de la campagne SumatraAftershocks en 2005 montre bien à gauche
(couleur verdâtre) le prisme de sédiments plissés
sur le fond océanique par l'enfoncement de la
plaque indienne sous l'Indonésie. On comprend,
à voir ce paysage tourmenté, que nos montagnes
puissent présenter des plis, des fractures.
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u Vue sous-marine du flanc ouest de l'île Siberut.
Les traits rouges signalent les failles chevauchantes
associées à la subduction de la plaque indienne sous
l'Indonésie. Les traits noirs avec barbules délimitent
les zones de glissements de terrain dus au séisme de
Sumatra (2004).
Il y a deux raisons à cela : le frottement de deux plaques « froides » et l’extension de la surface de contact. Mettons de côté les séismes « profonds » ou
« intermédiaires » d’un type bien particulier. Pour qu’il y ait séisme à l’interface
entre les plaques, il doit y avoir frottement, et pour cela, la température des roches
ne doit pas excéder 350 à 450 °C, parce que, au-delà, elles deviennent ductiles. Par ailleurs, la magnitude d’un séisme dépend de l’extension de la rupture
et de la quantité de glissement. Les zones de subduction offrent à la fois la
continuité nécessaire à la propagation de la rupture – 1 600 kilomètres depuis
Sumatra jusqu’en Birmanie le 26 décembre 2004 – et la bonne gamme de températures grâce aux plaques qui, en s’enfonçant, refroidissent l’interface et augmentent ainsi la surface de frottement. La communauté internationale et les
équipes françaises se sont mobilisées après ce séisme historique. Le mouvement
cosismique (pendant le séisme) et postsismique (après le séisme) a pu être
décrit précisément grâce aux stations GPS installées dans la région avant l’événement. La structure de la marge a été cartographiée jusqu’à des profondeurs
de 30, voire 40 kilomètres, alimentant ainsi des modèles de déformation confrontés ensuite aux temps d’arrivée et aux amplitudes du tsunami. L’intégration de
toutes les observations permet de reproduire la séquence d’événements à l’origine de la catastrophe et donc de mieux se préparer à la suivante.
Confrontés aux 67 000 kilomètres de zones de subduction, les chercheurs
concentrent leurs investigations sur les marges actives présentant les plus
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grands risques : le Japon, le Chili, etc. L’objet de leur attention est l’interface
de frottement entre les plaques : la « zone sismogène ». Cette interface complexe présente des zones « d’aspérités » où le glissement est instable et générateur de séismes, d’autres zones stables glissant sans séisme, d’autres enfin
qui peuvent passer d’un mode à un autre. On pense que les séismes se déclenchent à partir des aspérités et se propagent le long des zones de glissement stable. C’est pourquoi il est important d’établir une carte précise de leur distribution, comme c’est le cas par exemple au Japon. Les progrès de l’imagerie
géophysique indiquent que les reliefs océaniques (failles, édifices volcaniques,
plateaux) jouent un rôle essentiel dans le couplage et la localisation des séismes
de subduction. Ils peuvent tout à la fois servir d’aspérités qui concentrent des
contraintes pouvant déclencher un séisme, et de barrière à la propagation de la
rupture. Des missions de forages océaniques profonds en travers de la marge sud
du Japon ont démarré à l’automne 2007, avec la participation des équipes françaises. L’objectif est d’atteindre, grâce aux capacités exceptionnelles du navire
japonais Chikyu, la zone sismogène à une profondeur de 6 kilomètres sous le
fond de l’océan. Les informations attendues seront précieuses pour la compréhension des mécanismes de rupture dans les zones de subduction.
Comme si cela ne suffisait pas, la population se concentre au-dessus de ces
zones, le plus souvent côtières, à forte activité économique et touristique, où,
au risque sismique, s’ajoute le risque volcanique. En effet, les plaques en
Aceh
Bassin avant arc
u Image bathymétrique sous-marine de la faille de
Sumatra et du volcan sous-marin au nord-ouest de
Banda Ace obtenue en 2005 durant la campagne
Sumatra-Aftershocks. À 4 000 m de profondeur un bassin
(pull-apart) s’est formé le long de la faille de Sumatra, le
volcan qu’il abrite appartient à l’arc volcanique.
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u Une campagne océanographique a permis de
déterminer en 2006 la structure profonde de la
subduction dans la région du séisme survenu à Sumatra
en 2004. Des sismomètres placés en fond de mer
pendant plusieurs semaines ont enregistré les séismes
régionaux. Les plus profonds sont situés dans la croûte
océanique en subduction entre 30 et 65 km de profondeur.
Sédiments accrétés
Croûte
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60
50km
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2- LES ABYSSES
U Le Japon est soumis à un risque (ou aléa)
sismique permanent qui fait partie de la culture
japonaise. Depuis une trentaine d’années, des
chercheurs français et japonais étudient la
subduction sous le Japon dans le but de mieux
comprendre les processus à la frontière des plaques
qui déclenchent des séismes. Le programme
Nantroseize, dirigé par des chercheurs américains,
japonais, français dans le cadre du programme
international IODP, prévoit de forer la zone sismogène
de la subduction japonaise dans les années à venir.
Cette image sismique montre la subduction avec la
plaque plongeante, le prisme sédimentaire (plissé)
en dessus, les sites de forage prévus.
subduction sont riches en eau ; lorsqu’elles s’enfoncent, l’augmentation de
la pression et de la température induit une migration des fluides vers la surface
qui provoque la fusion partielle du manteau et produit en surface un volcanisme très explosif, typique des zones de subduction. Dans certaines régions,
ce volcanisme finit par construire des îles en forme d’arcs (arcs insulaires).
Ainsi, la subduction des plaques océaniques s’accompagne d’une ceinture
volcanique représentant un aléa supplémentaire pour des populations déjà
menacées par un littoral susceptible d’être inondé lors d’un tsunami, ou la
secousse d’un séisme. Ceci est vrai sur le pourtour du Pacifique, en Indonésie,
en Méditerranée ou encore dans les Antilles.
La « machine » subduction
Par ailleurs, les zones de subduction sont des lieux privilégiés de transfert de
matériel fluide ou rocheux. On l’a vu, les fluides contenus dans la plaque en subduction favorisent la génèse des magmas d’arcs. Grâce aux isotopes cosmogéniques comme le béryllium 10, on sait que des éléments de la plaque plongeante
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migrent et remontent vers la surface au travers des laves des volcans d’arc.
Des volumes de matière beaucoup plus importants encore sont échangés au
voisinage de la zone de contact entre les plaques. On a longtemps considéré
que le rebord des plaques, sous lesquelles plongeaient d’autres plaques, croissait au cours du temps par incorporation d’unités sédimentaires raclées dans
les fosses océaniques par la subduction. Ce phénomène existe bel et bien,
mais il ne concerne que la moitié des marges actives à une époque donnée. Nous
avons en effet démontré, grâce à une meilleure imagerie sismique des marges
et aux données de forages océaniques profonds, qu’un processus opposé
« rabotait » en de nombreux endroits ce même rebord de plaque, l’érodait de
l’intérieur. Ainsi, plusieurs kilomètres cubes de roches sont incorporés chaque
année aux marges des Antilles, en Alaska ou au Pakistan, où en sont au contraire
arrachés comme dans les Mariannes, les Tonga, l’Amérique centrale ou le nord
des Andes. Ces différents processus de production magmatique, d’abrasion ou
d’accrétion aux marges doivent être pris en compte dans le bilan de la
« machine » subduction.
u Les processus à l'œuvre dans les zones
de subduction sont encore mal connus. Pour
comprendre comment les deux plaques
interagissent, comment se fait l'enfouissement
des roches de la lithopshère océanique et des
sédiments qui la recouvrent ; à quelles conditions
de pression et de températures elles sont
soumises, des chercheurs élaborent des modèles
numériques de subduction de plus en plus
élaborés. Ici, on peut suivre sur une période de
temps correspondant à 23 millions d'années
l'évolution de la morphologie et de la densité d'une
plaque océanique qui entre en subduction.
u Il est possible de simuler par ordinateur
l'évolution d'une plaque océanique entrant en
subduction dans le manteau en tenant compte
des interactions complexes de type pression,
température, vitesse de déformation, libération
d'eau depuis la plaque plongeante vers le manteau
sus-jacent... Les couleurs représentent la
température et les flèches les mouvements
à un instant donné. Les simulations rendent
très bien compte de l'évolution d'une subduction
avec extension à l’arrière de l’arc volcanique
et recul de la fosse (Myr = Millions d’années).
La subduction d’une plaque océanique a de multiples
conséquences. L’une d’elles est la production de
magma particulier qui remonte à la surface. Lorsque
la subduction s’initie au milieu de l’océan, les coulées
de lave s’épanchent d’abord sous l’eau, s’empilent
les unes sur les autres jusqu’à finir par émerger sous
la forme d’une guirlande d’îles volcaniques. Ces
guirlandes ont généralement une forme typique d’arc.
On parle alors d’arc insulaire, ou d’arc volcanique.
Les modèles
Si la tectonique des plaques a permis de quantifier les mouvements relatifs entre
les plaques, ce n’est que ces dernières années que nous avons mesuré l’importance des couplages et interactions chimiques, thermiques ou mécaniques
entre la lithosphère et le manteau sous-jacent. Prenons le cas des Mariannes
où l’arc présente une distension et où la plaque pacifique plonge verticalement. On explique classiquement cette configuration par l’âge qui rend le
poids du panneau plongeant, lui-même entraîné par le manteau qui s’écoulerait vers l’est, élevé. Pourquoi alors, dans un contexte en apparence similaire,
la même plaque pacifique plonge-t-elle sous le Japon avec un angle faible
générant de la compression dans l’arc ? La réponse est que notre premier raisonnement était essentiellement statique et mécanique, or, nous disposons à
présent d’outils numériques de nouvelle génération permettant d’aborder ces
problèmes d’un point de vue dynamique, en faisant le lien entre les différentes
enveloppes de la Terre, les conditions cinématiques, chimiques et thermiques
locales et la réponse évolutive de la marge à ces sollicitations.
De telles simulations nécessitent l’obtention de données denses sur des zones
cibles bien identifiées. Les Américains concentrent leurs efforts sur la région
des Cascades, les Mariannes ou l’Amérique centrale, les Allemands multiplient
les reconnaissances dans le Pacifique ou en Indonésie. La France dispose
d’atouts sur son territoire où les Petites Antilles font l’objet d’une attention
particulière. Un grand nombre de sismomètres « fond de mer » ont été déployés
en 2007 au large de la Martinique pour étudier le séisme de magnitude 7,3
survenu le 29 novembre. D’autres équipes françaises développent des coopérations avec le Japon, le Chili, Taiwan ou le Maghreb, là où la fréquence des
catastrophes naturelles reflète directement l’intensité de la déformation. Nous
disposons aujourd’hui d’outils de modélisation performants qui se nourrissent de séries temporelles d’observation du milieu. Nous devons impérativement développer l’exploration et installer des observatoires permanents si
nous ambitionnons de comprendre la « machine » subduction.
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