profil epidemiologique du cancer de la prostate dans le service d

INTRODUCTION
Le cancer de la prostate est devenu le cancer le plus
fréquent et la deuxième cause de décès par cancer
chez l’homme de plus de 50 ans dans les pays
développés [1]. Son épidémiologie est un bon modèle
de l’intrication de facteurs génétiques (congénitaux ou
acquis) et environnementaux. L’incidence des formes
latentes semble constante à travers le monde, par contre
celle des formes cliniques varie selon les pays et l’origine
ethnique.
Les données sur le cancer de prostate aux pays du
Maghreb sont rares. Il est caractérisé par un diagnostic
le plus souvent tardif, à un stade localement avancé
ou métastatique [2, 3].
Nous rapportons le profil épidémiologique des cancers
de prostate diagnostiqués au service d’urologie de
l’hôpital militaire d’instruction Mohammed V (HMI
Med V) de Rabat et procédons à une analyse critique
des résultats obtenus en comparaison avec les données
de la littérature.
MATERIEL ET METHODES
Entre juillet 2000 et janvier 2006, 1070 patients avaient
bénéficié de biopsies de la prostate dans notre service.
L’indication de biopsie a été posée le plus souvent sur
les données du toucher rectal et du dosage de PSA total
(t), rarement dans le cadre d’un dépistage volontaire.
La biopsie a été réalisée chez tous les patients sans
limite d’âge.
Jusqu’au mois de mars 2004, le taux minimal de PSAt
faisant suspecter un cancer de prostate était fixé à 4
ng/ml. Après cette date, nous avions opté pour un taux
seuil de 2,5 ng/ml.
-11-
PROFIL EPIDEMIOLOGIQUE DU CANCER DE LA PROSTATE
DANS LE SERVICE D’UROLOGIE DE L’HOPITAL
MOHAMMED V DE RABAT
A. AMMANI, A. JANANE, J. CHAFIKI, J. SOSSA, Y. EL HARRECH, K. MOUFID,
M. GHADOUANE, A. AMEUR, M. ABBAR
Service d’Urologie, Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed V, Rabat, Maroc
RESUME
Objectifs : présenter le profil épidémiologique du cancer de
la prostate dans notre service.
Matériel et méthodes : entre juillet 2000 et janvier 2006,
nous avons détecté 258 cancers de prostate. Nous avons
procédé à une analyse rétrospective des caractéristiques
démographiques, cliniques et thérapeutiques de ces cancers.
Résultats : le taux d’incidence du cancer de prostate était de
24,11% de la population étudiée. Deux-tiers de nos cancers
étaient diagnostiqués à un stade localement avancé ou
métastatique, chez des patients âgés de plus de 71 ans dans
50% des cas avec un taux de PSA médian de 10 ng/ml.
Discussion : l’incidence, le diagnostic et le traitement du
cancer de la prostate, dans la population générale, sont
méconnus au Maroc. Notre série est la première à rapporter
des caractéristiques locales de cette affection, sur un
échantillon de 258 cas.
Conclusion : cette situation décevante reflète un manque de
prise de conscience de la gravité de cette pathologie et de
l’intérêt d’un diagnostic précoce à un stade où le cancer est
potentiellement curable.
Mots clés : cancer de prostate ; épidémiologie
Correspondance :
Dr M. Ghadouane, BP : 6739, Madinat
Alirfane, 10101, Rabat, Maroc. e-mail: [email protected]
ABSTRACT
EPIDEMIOLOGIC PROFILE OF THE PROSTATE CANCER
IN THE DEPARTMENT OF UROLOGY OF THE MILITARY
HOSPITAL OF RABAT
Objective : to present epidemiologic characteristics of the
prostate cancer in our department.
Patients and methods : between july 2000 and january 2006,
258 prostate cancers were detected. We realise a retrospective
analysis of demographic, clinical and therapeutic
characteristics of these cancers.
Results : the incidence of prostate cancer in the studied
population was 24.11%. 2/3 of our cancers were diagnosed
at a locally advanced or metastatic stage, in patients more
than 71 years old in 50% with a median PSA of 10 ng/ml.
Discussion : incidence, diagnosis and treatment of the prostate
cancer in the general population are unknown in Morocco.
Our data is the first to provide local characteristics of prostate
cancer about 258 cases.
Conclusions : This decevant situation reflets a lack of
conscience about gravity of this pathology and benefits of
early diagnoses when prostate cancer is potentially curative.
Key words : prostate cancer ; epidemiology
ARTICLE
ORIGINAL
J Maroc Urol 2007 ; 5 : 11-14
-12-
Chaque fois que le taux de PSAt était inférieur à 10
ng/ml, un rapport de PSA libre/PSAt était demandé. Un
rapport inférieur à 25% était indicateur de biopsie.
Pour les taux de PSA total supérieurs à 10 ng/ml, la
biopsie était réalisée d’emblée.
Dans tous les cas, le dosage de PSA, réalisé en dehors
de tout épisode infectieux ou manipulation
endourologique, s’est fait selon la méthode MEIA
(dosage immuno-enzymologique microparticulaire).
La préparation des patients comportait une
antibioprophylaxie à base de fluoroquinolone couvrant
48 heures avant et après le geste et un lavement
évacuateur réalisé le jour même de la biopsie.
Toutes les biopsies réalisées dans notre service étaient
écho-guidées, à l’aide d’une sonde endorectale (EER)
munie d’une porte aiguille amovible. Le prélèvement
des carottes était réalisé par des pinces à biopsie, de
type monopty 18 gauges de 20 cm de longueur. Dans
tous les cas, une anesthésie locale par de la xylocaïne
gel était réalisée.
Tous les patients ont eu au moins une série de 18
biopsies systématisées : 3 basales, 3 médianes et 3
apicales, de chaque côté. Chez les patients ayant un
nodule suspect au toucher rectal ou un foyer hypo-
échogène à l’EER, 2 à 3 biopsies supplémentaires
dirigées sur le foyer suspect étaient pratiquées.
L’étude anatomopathologique des carottes de biopsie
était réalisée au laboratoire de l’HMI Med V. En cas de
négativité des biopsies, un dosage de PSA était réalisé
3 mois après. Si le taux de PSAt était stable ou
augmentait et/ou le rapport de PSA libre/PSAt restait
inférieur à 25%, une deuxième série de biopsies était
pratiquée. Le nombre optimal de séries biopsiques est
de 4.
En cas de positivité des biopsies, un bilan d’extension
comprenant une IRM pelvienne sus-pubienne et une
scintigraphie osseuse était réalisé.
Si le bilan d’extension était négatif et le taux de PSAt
20 ng/ml, le diagnostic de cancer de prostate localisé
était retenu. Un traitement curatif était alors proposé
au patient quand son âge est 70 ans et en l’absence
d’autres facteurs de comorbidité.
Les patients ayant un taux de PSAt > 20 ng/ml étaient
considérés comme ayant un cancer de prostate
localement avancé ou métastatique.
RESULTATS
La dysurie et la pollakiurie nocturne étaient les signes
cliniques les plus fréquents (96,91%), motivant une
consultation urologique. Une anomalie du toucher
rectal (nodule, induration ou blindage pelvien) était
retrouvée chez 190 patients (17,75%). Des antécédents
familiaux de cancer de prostate étaient retrouvés chez
16 patients (1,49%) et le tabagisme était retrouvé chez
62,99% des patients.
Le taux de PSAt était élevé ( 2,5 ng/ml) chez 100%
des patients avec un PSAt moyen de 15 ng/ml (entre
2,5 et 3000 ng/ml) réparti comme suit : 249 patients
(23,27%) avaient un PSAt 4 ng/ml, 427 patients
(39,90%) entre 4 et 10 ng/ml, 239 patients (22,33%)
entre 10 et 20 ng /ml, 99 patients (9,25%) entre 20 et
50 ng/ml et 56 patients (5,23%) > 50 ng/ml (fig. 1).
258 patients sur 1070 (24,11%) avaient un
adénocarcinome prostatique avec au moins une carotte
positive à la biopsie. L’âge médian de découverte du
cancer était de 71 ans (53-90 ans). Plus de la moitié
des cancers ont été diagnostiqués à un âge inférieur à
70 ans (fig. 2).
A. AMMANI et coll.Profil épidémiologique du cancer de la prostate dans le Service d’Urologie de l’hôpital Mohammed V de Rabat
Fig. 1. Répartition des patients selon le taux de PSAt
avant la biopsie.
Fig. 2. Résultats des biopsies de prostate et leur répartition
selon l’âge.
249
427
239
99
56
0
100
200
300
400
500
PSA < 4 PSA < 10 PSA < 20 PSA < 50 PSA > 50
Nbre de
cas
ng/ml
181153
28
380
258
122
354
290
64
143
109
34 10 010
0
100
200
300
400
500
50-60 61-70 71-80 81-90 > 90
Total
Biopsie négative
Biopsie positive
Age (ans)
Nbre de
cas
-13-
Le taux médian de PSAt au moment du diagnostic était
de 10 ng/ml. Le taux de PSAt chez les patients ayant
une biopsie positive est réparti comme suit : 21 (8,13%)
avaient un taux de PSA entre 2,5 et 4 ng/ml, 63 (24,41%)
entre 4 et 10 ng/ml, 51 (19,76%) entre 10 et 20 ng/ml
et 123 (47,67%) au delà de 20 ng/ml (fig. 3).
Le nombre de carottes positives par patient était reparti
comme suit : 31 patients (12,01%) avaient une seule
carotte positive, 77 patients (29,84%) deux carottes
positives, 40 patients (15,50%) trois carottes positives,
28 patients (10,85%) quatre carottes positives et 65
patients (25,19%) plus de cinq carottes positives. 76%
des patients avaient un score de Gleason 6.
Après réalisation du bilan d’extension, 126 cancers de
prostate (48,83%) étaient cliniquement localisés ou
localement avancés. Le 1/3 de nos cancers (33,33%)
étaient considérés localisés sur les données de l’imagerie,
du taux de PSA (< 20 ng/ml), du score de Gleason
(< 7) et de l’absence de signes d’extension
extracapsulaire à l’examen anatomopathologique de
la biopsie. 71 patients (56,34%) avaient bénéficié d’une
prostatectomie radicale par voie rétropubienne (PR) et
15 patients (11,90%) d’une curiethérapie (tous à
l’Hôpital Cochin de Paris) (fig. 4).
Le reste des cancers non métastatiques (40/126) étaient
considérés localement avancés et traités par
radiothérapie conformationelle et hormonothérapie
(analogues LH-RH) pendant deux ans.
Plus de la moitié des cancers détectés dans notre série
(51,16%) étaient métastatiques, et le traitement avait
consisté en une castration chirurgicale chez 21 patients
et médicale (analogues de la LH-RH et anti-androgènes)
chez 111 patients.
DISCUSSION
Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent
chez l’homme après 50 ans. Son incidence est en nette
ascension depuis le développement des techniques de
dosage de PSA et varie selon les pays (elle est maximale
aux USA et minimale en Chine).
Après 50 ans, la mortalité par cancer de prostate
augmente d’une façon exponentielle, beaucoup plus
rapidement que tous les autres cancers et 95% des
cancers de prostate sont diagnostiqués entre 45 et 89
ans, avec un âge moyen de diagnostic de 72 ans [4, 5,
7, 8].
En plus de l’âge qui est le facteur de risque principal,
plusieurs autres facteurs ethniques, géographiques,
génétiques et alimentaires sont actuellement identifiés
comme favorisant la carcinogenèse au niveau de la
glande prostatique et il n’est pas étrange actuellement
de reconnaître différents aspects du cancer de la prostate
en fonction des pays et des regroupements ethniques.
L’incidence, le diagnostic et le traitement du cancer de
la prostate, dans la population générale, sont méconnus
au Maroc. Notre série est la première à rapporter des
caractéristiques locales de cette affection, sur un
échantillon de 258 cas.
Nous avions réalisé un dépistage individualisé chez la
population consultante dans notre service pour des
symptômes du bas appareil urinaire. L’indication de
biopsie était basée essentiellement sur les données du
TR et du taux de PSA.
L’incidence du cancer de prostate dans la population
étudiée était de 24,11% (258/1070). Le cancer localisé
représentait près du tiers (33,33%) des cancers
diagnostiqués dans notre service. Ces chiffres sont de
J Maroc Urol 2007 ; 5 : 11-14
Fig. 4. Les différents traitements du cancer de prostate
dans notre série.
Fig. 3. Répartition des biopsies selon le taux de PSAt.
249227
21
427
364
63
239
188
51
99
28
71 56
4
52
0
100
200
300
400
500
2,5 < PSA < 4 4 < PSA < 10 10 < PSA < 20 20 < PSA < 50 PSA > 50
Total
Biopsie négative
Biopsie positive
ng/ml
Nbre de
cas
71
39
15
133
0
50
100
150
Prostatectomie
radicale Radiothérapie
conformationnelle Curiethérapie Hormonothérapie
Nbre de
cas
Traitement
-14-
loin différents de ceux observés en France (60%) [6] et
rejoignent ceux observés en Tunisie (29,8 à 40%) [2].
Près d’un cancer sur dix était détecté avec un taux de
PSA inférieur à 4 ng/ml. Des valeurs de 15 à 19% de
cancers de prostate avec un PSA < 4 ng/ml, ont été
rapportés dans certaines séries [1, 5, 9].
Dans notre série, l’âge médian au moment du diagnostic
était de 71 ans, le PSA médian était de 10 ng /ml et près
des 2/3 de nos patients étaient diagnostiqués à un stade
localement avancé (T3, T4) ou métastatique (N+, M+).
Le diagnostic précoce du cancer de prostate parait
indispensable au Maroc afin d’atteindre des niveaux
raisonnables de cancers localisés curables. D’autant
plus que le coût du traitement des formes localement
avancées ou métastatiques est très élevé par rapport à
la prostatectomie radicale.
CONCLUSION
Nous avions détecté 258 cancers de prostate sur une
série de 1070 biopsies réalisées dans notre service sur
une période de 6 ans, ce qui correspond à un taux
d’incidence de 24,11% de la population étudiée.
Deux tiers de nos cancers étaient diagnostiqués à un
stade localement avancé ou métastatique, chez des
patients âgés de plus de 71 ans et avec un taux de PSA
médian de 10 ng/ml dans 50% des cas.
Cette situation décevante reflète un manque de prise de
conscience de la gravité de cette pathologie et de l’intérêt
d’un diagnostic précoce à un stade où le cancer est
potentiellement curable. L’éducation et l’information
ciblée, sur les différents aspects diagnostiques et
thérapeutiques du cancer de la prostate, permettront
certainement d’améliorer cette situation à l’échelon
national.
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