sa mise en œuvre s’accompagne « d’un nombre infini de
malentendus, de confusions, d’erreurs et de tous les excès
possibles » (ibid.) : sans doute voulait-il faire allusion non
pas à la Révolution française elle-même dont il avait été
un témoin attentif et enthousiaste, quoique lointain, dès
l’époque de ses études au séminaire de théologie à
Tübingen, mais à la Terreur. Il devait aussi penser à
d’autres excès, plus anciens ou plus récents, en France
comme dans d’autres pays. Ceux-ci ne le conduisirent
pourtant jamais à remettre en question ce que, dans son
cours de 1822, il avait dénommé « l’esprit de la modernité
[…] le drapeau de la liberté. […] Le temps, jusqu’à notre
époque, n’a eu d’autre travail, d’autre tâche, que
d’imprimer ce principe dans la réalité effective et de faire
ainsi acquérir à ce principe la forme de la liberté, de
l’universalité2. » La place clé occupée dans la pensée
hégélienne de l’histoire par la Révolution française –
« magnifique lever de soleil […] enthousiasme de l’esprit
[qui] a fait frissonner le monde3 » – s’explique par cette
revendication de la liberté, comprise comme universelle.
Dans les introductions à la philosophie de l’histoire, la
question de savoir comment définir le concept de liberté
est omniprésente. En 1822-1823 Hegel, reprenant des
développements systématiques antérieurs4, releva surtout
l’importance décisive en la matière de la pensée, cette
capacité de l’être humain qui le distingue de l’animal.
Penser, dit-il alors, c’est se posséder soi-même comme
objet. C’est savoir quelque chose de soi-même, sur
soimême, ou en d’autres termes être intérieurement
« chez soi-même » (bei sich selbst) – c’est-à-dire libre5.
Car ce qui fait de l’homme un être indépendant et par là
libre, ce n’est pas qu’il a en lui la source de ses
mouvements : l’animal aussi a en lui-même la source de
ses mouvements, et pourtant il n’est ni indépendant, ni
libre. Ce qui fait de l’homme un être libre, c’est plutôt la
capacité de penser, présente chez lui dès la naissance, que
l’on trouve même déjà chez l’enfant : « À l’enfant nous ne
pouvons pas attribuer de la rationalité ; pourtant, le
premier cri de l’enfant est déjà autre que celui de l’animal,
il y a déjà en lui, tout de suite, l’empreinte humaine. Déjà
dans le simple mouvement de l’enfant, il y a quelque
chose d’humain6. » À tous ceux qui à son époque
prétendaient commencer l’histoire avec la description
d’un état « primitif » ou « naturel » du genre humain,
Hegel disait donc qu’un tel état devrait alors toujours déjà
être compris comme humain, non pas comme un état
animal – parce qu’à partir de l’animalité, rien d’humain
ne peut jamais se développer. Mais il ne se laissa pas
convaincre par une telle démarche : ni par celle de ceux
qui demandaient, à l’instar des théoriciens du droit
naturel, que l’on commence par présupposer un état de