
Alors que la sphère mécanique, en effet, est caractérisée par des objets discontinus : les points de 
l’espace,  les  instants  du  temps  ou  encore  les  astres  du  système  solaire,  l’organisme se  présente, 
quant  à  lui,  comme  un  tout  continu,  qui  rend  compte  par  soi  d’un  devenir  qui,  par  là  même,  est 
nécessaire.  Ces  deux  mouvements  se  contredisent-ils  purement  et  simplement ?  En  réalité,  ils 
s’articulent, au sens où l’on passe d’une identité et d’une différence formelles, caractérisées par 
la réitération et la discontinuité, à une identité et à une différence concrètes, caractérisées par 
l’unité  fonctionnelle  et  la  répartition  des  fonctions.  La  différence,  dans  la  mécanique,  est 
simplement extérieure, et, à ce titre, quantitative, tandis que dans la physique organique, elle est 
intériorisée,  et,  à  ce  titre,  qualitative.  De  même,  l’identité  n’a  initialement  que  le  sens  de 
l’égalité simple,  tandis  qu’elle  devient,  avec  la physique  organique, principe d’individuation. On 
peut donc  affirmer que  la  nature constitue bien  un  système,  dont  les moments  sont de  plus  en  plus 
concrets, et dont les produits ultimes sont eux-mêmes systématiquement organisés. Le « progrès », au 
sein de la nature, est donc caractérisé par l’apparition d’éléments présentant en eux-mêmes de plus 
en  plus  de  différences,  mais,  inversement,  les  intégrant  de  manière  toujours  plus  intensive.  Il 
s’agit bien d’une universalisation.  
Cependant,  cette  universalisation  butte  inévitablement  sur  l’extériorité  rémanente  de  la  nature. 
Ainsi  la  forme  universelle  du  genre  ne  trouve  pas  d’existence  qui  lui  soit  adéquate,  mais  se 
disperse  dans une  série  atomique  d’espèces  ou  d’individus.  La  nature  est  caractérisée  par  l’échec 
inévitable  de  sa  quête  de  l’universel.  L’addition  du  §  396  de  l’Encyclopédie  de  1827/30  propose 
alors  le  commentaire  suivant :  « L’être  qui  vit  de  façon  simplement  animale  [...]  n’a  pas  la 
puissance  de  réaliser  véritablement  le  genre  dans  lui-même ;  sa  singularité  immédiate,  dans 
l’élément de l’être, abstraite, demeure toujours en contradiction avec son genre, n’exclut pas moins 
celui-ci qu’elle l’inclut en elle-même.  Du fait de  son incapacité à présenter pleinement le  genre, 
l’être  qui  n’est  que  vivant  va  à  l’abîme.  Le  genre  se  montre  en  lui  comme  la  puissance  devant 
laquelle  il  lui  faut  disparaître.  [...]  Par  contre,  le  genre  se  réalise  de  façon  vraie  dans 
l’esprit, dans la pensée – cet élément homogène à lui. » [2] L’ultime moment de la nature, l’organisme 
animal, se présente comme le sommet de la nature : il y a alors, en effet, sentiment de soi, emprise 
de  l’âme  sur  les  organes,  faculté  de  s’affirmer  face  à  l’environnement  inorganique  dans  la 
nutrition, faculté, enfin, de se rapporter à l’autre comme à soi-même dans l’accouplement. Pourtant, 
l’animal demeure également affecté de l’insuffisance qui caractérise en général la nature, à savoir 
l’incapacité de  se penser soi-même – le vivant n’est affecté que par des sensations extérieures  –, 
l’incapacité  de  se  rapporter  au  monde  sur le  mode positif  du  travail,  et,  dans  l’accouplement,  un 
rapport à  autrui qui  demeure gouverné par la  tendance et  non  par  la  décision libre  de  reconnaître 
autrui comme libre. 
On  sait  que  le  passage  de la  logique  à  la  nature  résulte d’une  décision.  Peut-on dire,  cependant, 
que  le  passage  de  la  nature  à  l’esprit,  à  son  tour,  relève  de  la  catégorie  de  la  décision ?  Un 
élément  semble  certes  plaider  en  ce  sens :  l’affirmation,  par  Hegel,  du  caractère  subjectif  de 
l’organisme animal. Néanmoins, la subjectivité de l’animal ne rend pas celui-ci capable de décision. 
L’auteur de  l’Encyclopédie  souligne  que  la  liberté  de  l’animal  n’est  pas  autre  chose  qu’un  libre-
arbitre, au sens où elle ne renvoie qu’à la contingence d’actes dénués de rationalité véritable. Par 
conséquent, si le passage de la logique à la nature apparaît comme un acte souverainement rationnel 
et libre, il en va à l’inverse du passage de la nature à l’esprit.  Nous n’avons alors affaire qu’à 
l’actualisation d’une tendance. Si la logique se pense et, dès lors, décide de s’opposer une nature, 
c’est  seulement  le  besoin  et  l’accomplissement  de  celui-ci  qui  caractérise  cette  dernière.  Plus 
précisément, la nature tend à se rassembler avec soi, et, par là, à se supprimer comme telle.  
            En quoi consiste alors l’auto-suppression de la nature ? Poursuivons la comparaison avec 
l’extériorisation de la logique comme nature. Dans ce dernier cas, nous avions affaire à la venue au 
jour  d’une  nouvelle  entité,  caractérisée  par  l’extériorité  à  soi.  Dans  le  passage  de  la  nature  à 
l’esprit, à l’opposé, rien de neuf n’apparaît. En revanche, la suppression de la nature par l’esprit 
se traduit par le fait que  l’objectivité devient  signifiante.  C’est ce qu’explicite par exemple le 
§ 411 de  l’Encyclopédie  de  1830 :  « L’âme  est, dans  sa corporéité complètement façonnée  et qu’elle 
s’est  appropriée,  pour  elle-même  en  tant  que  sujet  singulier,  et  la  corporéité  est  ainsi 
l’extériorité en tant que prédicat dans lequel le sujet ne se rapporte qu’à  lui-même. » [3] Si, à la 
fin de la logique, nous assistions à l’extra-position du négatif, la nature se clôt, quant à elle, 
par la soumission pleine et entière de l’extériorité objective au sens. Alors que dans la nature, la 
matérialité  existe  sans  signification, qu’elle a  pour  horizon  la  simple  existence  des objets, dans 
la  troisième sphère  du développement encyclopédique, la  nature se  fait en  revanche l’auxiliaire  de 
la représentation. 
Mais il  faut  aller plus loin. On sait que,  dans le  système hégélien, tout  moment assume pour  lui-
même  les  conditions  qui,  en  soi,  ont  assuré  son  surgissement.  C’est  pourquoi  il  semble  possible 
d’affirmer que  c’est l’ensemble de  l’esprit qui,  comme  tel, ne  cesse de  se rapporter à  la  nature, 
mais selon un mode en constante évolution. Par exemple, dans la philosophie du droit, la propriété 
représente  l’assujettissement  d’un  bien  extérieur,  l’histoire  n’est  pas  autre  chose  que  la 
configuration de l’effectivité naturelle géographique et anthropologique, tandis que, dans l’esprit 
absolu, l’œuvre d’art constitue, derechef, l’expression de l’esprit au sein d’une matière sensible. 
C’est  par  ce  processus  que  l’esprit  en  vient,  in  fine,  à  rendre  compte  de  son  origine  de  manière 
achevée  et  à  vérifier  ainsi  sa  rationalité  de  manière  systématique.  C’est  ici  qu’il  convient  de 
revenir  au  concept  d’idéalité,  qui  constitue  assurément  l’une  des  clés  de  la  pensée  hégélienne  de 
l’esprit :  « Comme  la  déterminité distinctive  du  concept de l’esprit,  il  faut désigner l’idéalité, 
c’est-à-dire  la  suppression  de  l’être-autre  de  l’Idée,  le  fait,  pour  celle-ci,  de  retourner  et 
d’être-retournée de  son autre en elle-même,  alors que, par  contre, le  caractère distinctif, c’est, 
pour  l’Idée  logique,  l’être  dans  soi  simple,  immédiat,  et,  pour  la  nature,  l’être  hors-de-soi  de 
l’Idée. » [4] L’addition  du  § 381,  dès  lors,  énonce  le  sens  du  cycle  spirituel :  il  s’agit  de 
considérer  l’esprit  « en  premier  lieu,  dans  son  unité  immédiate  avec  la  nature,  puis  dans  son 
opposition à celle-ci, et, enfin, dans son unité avec la nature en tant qu’elle contient en elle une