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La diplomatie commerciale et financière de limpérialisme
britannique : les exemples perses et ottomans, 1875-1914
Limpérialisme informel est efficace tant que les intérêts économiques et les principes
stratégiques de la puissance dominante se nourrissent mutuellement. Si lintérêt économique
se trouve affaibli, il crée un vide géoéconomique caractérisé par la réticence des forces
financières et commerciales à jouer leur rôle stratégique. Le cas du Moyen-Orient, à la fin du
XIXe et au début du XXe siècle, correspondait à un tel vide qui mit Londres face à un
décalage entre lintérêt stratégique et lintérêt économique dune région fondamentale pour la
rivalité anglo-germanique. Londres dut activer sa politique interventionniste, notamment par
lintermédiaire dune diplomatie commerciale progressive. Destinée à pallier le décalage entre
le poids stratégique et la valeur économique dune région tout en sauvegardant les
mécanismes de limpérialisme informel, cette forme de diplomatie entraîna des conséquences
inégales en fonction de la nature de la rivalité impériale ; doù lintérêt de comparer lexemple
ottoman et lexemple perse.
Pendant le XIXe siècle, lEmpire ottoman et la Perse représentèrent un enjeu
stratégique extrêmement important pour Londres. Malgré le caractère médiéval de leurs
systèmes économiques et politiques, ces deux régions échappèrent à la colonisation directe
des puissances européennes. Cette exception peut difficilement sexpliquer sans prendre en
compte les relations internationales de lépoque. Le démantèlement de leur régime respectif
menaçait, en effet, de provoquer le désordre sur la route des Indes, dont la stabilité
représentait un des axes principaux de la géopolitique britannique. Lancrage historique des
régimes politiques ottoman et perse permit donc de retarder la colonisation directe du Moyen-
Orient. Les convoitises impérialistes, qui entouraient cette région, la rendirent, en revanche,
assez perméable à linfluence étrangère. Ces deux paramètres constituaient le cadre de la
rivalité stratégique qui sétablit entre les différents acteurs agissant dans cette région. Dune
part, les puissances européennes durent se contenter de larme diplomatique et de linfluence
indirecte pour assurer leurs intérêts. De lautre, les régimes ottoman et perse devaient
saccommoder de cette influence indirecte afin déviter leur effondrement.
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Dun point de vue historique, il est indéniable que le Royaume-Uni joua le rôle le plus
important dans ce schéma. Sa suprématie géopolitique et son expérience dans la colonisation
informelle lui procurait un avantage significatif par rapport aux autres puissances rivales. À la
fin du XIXe siècle, cet avantage devenait de moins en moins évident. Face à la montée de
linfluence française et allemande en Turquie et laffirmation de linfluence russe en Perse,
Londres chercha à retrouver son soft power en soutenant, par exemple, la Banque Nationale
de Turquie et la Banque Impériale Perse. Létude de ces deux cas dans une perspective
comparative est révélatrice de la portée et des limites de cette forme de diplomatie.
I. Lexemple ottoman : impossible harmonie entre économie et stratégie
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le commerce et la finance britannique, attirés
notamment par les nouvelles opportunités du libre-échange, se désintéressèrent
progressivement du marché turc. Lorsque la Sublime Porte suspendit le paiement de ses
obligations en 1875, cette tendance se transforma en rupture entre léconomique et le
stratégique. Le décalage entre le poids stratégique et la valeur économique de lEmpire
ottoman provoqua un vide géoéconomique qui poussa Londres à mobiliser ses capitaux
financiers pour protéger ses intérêts dans la région. En dautres termes, les mécanismes de
lEmpire informel, comme ils ont été présentés par Robinson et Gallagher, devaient continuer
à fonctionner, mais par lintermédiaire dune volonté impérialiste formelle.
Cette phase dinterventionnisme passif échoua : par exemple, malgré le soutien officiel
du gouvernement britannique, la Banque nationale de Turquie ne réussit pas à rétablir
linfluence britannique sur la décision politique ottomane Le seul espoir était donc dunir la
force stratégique britannique à linfluence financière française pour empêcher Constantinople
de rejoindre lorbite allemande. La Banque nationale hérita ainsi de la mission délicate
détablir une entente financière entre Paris et Londres.
Il sagit dun exemple révélateur des difficultés de la diplomatie commerciale dans le
cadre dun vide géoéconomique. Écartelée entre les intérêts immédiats de sa finance, ses
priorités stratégiques à long terme, ses traditions libre-échangistes et la réticence de son
nouvel allié français, Londres ne pouvait produire quune politique déséquilibrée.
Lincapacité britannique de maintenir son soft power dans la région lobligea à sopposer
systématiquement à la pénétration économique allemande, ce qui rapprocha davantage
Constantinople de Berlin.
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II. La Perse : pour une nouvelle harmonie entre lEtat et la finance
La Perse connut relativement le même processus impérial que lEmpire ottoman.
Compte tenu du retard de son économie, les capitaux de la City, qui disposaient dune liberté
totale daction, hésitaient à se risquer en Perse, et menaçaient ainsi de mettre en échec la
stratégie de Londres qui espérait voir lÉtat iranien servir dobstacle aux visées de
lexpansionnisme russe. Mais le caractère territorial de la rivalité anglo-russe facilita
linterventionnisme britannique. Au début du XXe siècle, la banque impériale, principale
institution financière britannique dans la région, jouait le rôle dune administration quasi
officielle, une sorte de dépendance non officielle du Foreign Office, chargée de réorganiser
léconomie du pays.
Cétait dans ce cadre de rapports décomplexés entre lintérêt économique et lintérêt
stratégique que se posa le défi de la gestion de lenjeu du pétrole. La concurrence autour de
cette matière première naquit dans un moment les priorités stratégiques britanniques en
Perse allaient se réaliser, non pas à travers linitiative privée et le libre-échange, mais dans le
cadre dune politique interventionniste. Lorsque lÉtat britannique acquit, en 1914, une part
majoritaire dans lAnglo-Persian Oil Compagny, il ne fit quofficialiser une tendance
impériale progressivement imposée par la nouvelle donne internationale.
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