Le TNF-α dans la physiopathologie du psoriasis

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Articles scientifiques
Regards sur la recherche
Ann Dermatol Venereol
2006;133:174-80
Le TNF-D dans la physiopathologie du psoriasis
A. ROZIERES, A. HENNINO, J.-F. NICOLAS
Introduction
Le psoriasis atteint 3 à 5 p. 100 de la population européenne.
C’est une des nombreuses maladies inflammatoires chroniques dues à des lymphocytes T. Il fait aussi partie de la liste
des maladies autoimmunes les plus fréquentes. Cependant
l’autoantigène (les autoantigènes) du psoriasis n’est pas encore connu [1].
Le psoriasis est une maladie bénigne dans la majorité des
cas mais alors toujours associée d’une altération de la qualité
de vie. Dans 10 p. 100 des cas la maladie est sévère soit par
son étendue et sa résistance aux traitements classiques soit
dans les formes graves (psoriasis érythrodermique, psoriasis
pustuleux généralisé, rhumatisme psoriasique associé) [2, 3].
LA LÉSION DE PSORIASIS
La lésion élémentaire du psoriasis est une plaque érythématosquameuse caractérisée par une inflammation dermique
(erythème) et épidermique responsable de la prolifération accrue des kératinocytes (squames). L’analyse histologique
montre
les
caractéristiques
principales
de
la
maladie associant une hyperprolifération des kératinocytes
[responsable de l’augmentation d’épaisseur de l’épiderme
(acanthose), de la différenciation incomplète des kératinocytes (para kératose) et de l’aspect festonné de la jonction dermo-épidermique (papillomatose)], l’accumulation de
polynucléaires neutrophiles dans l’épiderme et l’infiltration
du derme papillaire par des cellules mononuclées, en particulier macrophages et LT. Les études immunohistochimiques
confirment que le derme est le siège d’une infiltration composée majoritairement de LT CD4+ mémoires, de macrophages et cellules dendritiques alors que les LT CD8+
prédominent dans l’épiderme.
Trois types cellulaires (les cellules présentatrices d’antigènes (CPA), les LT et les kératinocytes) participent à la constitution de la lésion de psoriasis qui résulte de deux
phénomènes successifs : 1) une inflammation cutanée secondaire à l’activation dans la peau de lymphocytes T par présentation d’antigènes par les CPA cutanées et au
INSERM U 503, IFR 128 et Immunologie Clinique et Allergologie, CH Lyon-Sud.
Tirés à part : J.-F. NICOLAS, Immunologie Clinique et Allergologie, CH Lyon Sud,
69495 Pierre-Bénite Cedex.
E-mail : [email protected]
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recrutement de l’infiltrat inflammatoire ; 2) une prolifération accrue des kératinocytes associée à une différenciation
anormale de ceux-ci [4].
PSORIASIS : MALADIE ÉPIDERMIQUE
L’anomalie primitive à l’origine du psoriasis est certainement
localisée dans les cellules cutanées des patients, en particulier
les kératinocytes. En effet, les anomalies les plus typiques intéressent l’épiderme où les LT pathogènes et les polynucléaires neutrophiles sont recrutés. Les études récentes montrant
que les kératinocytes psoriasiques possèdent certaines caractéristiques fonctionnelles différentes des kératinocytes de sujets normaux confirment l’hypothèse d’une anomalie
intrinsèque des cellules épithéliales dans le psoriasis [5]. Cependant la révélation de cette anomalie et l’induction de la pathologie nécessitent l’activation des cellules de l’immunité
spécifique, en particulier les lymphocytes T, et la production
locale de TNFα.
PSORIASIS : MALADIE IMMUNOLOGIQUE
Le rôle des LT a été démontré par l’effet bénéfique des traitements ciblant sélectivement les LT (Ac monoclonaux antiCD4 et anti-CD3) [6, 7] et des immunosuppresseurs lymphocytaires T comme la ciclosporine et le tacrolimus [8-10], tous
capables de « blanchir » des patients atteints de psoriasis sévères [11, 12]. Par ailleurs dans des modèles animaux, le transfert de LT de patient induit des lésions de psoriasis chez des
animaux ayant reçu une greffe de peau non-lésionnelle du
même patient [13, 14]. Les LT pathogènes c’est-à-dire ceux qui
sont responsables du développement des lésions sont retrouvés dans le sang et la peau des patients et se présentent comme des expansions oligoclonales suggérant que l’antigène qui
est responsable de leur activation est un antigène protéique
présenté classiquement dans la niche à peptide des molécules
de complexe majeur d’histocompatibilité de classe I et/ou de
classe II [15].
LE TNFα EST AU CENTRE DE L’INFLAMMATION PSORIASIQUE
Que l’anomalie initiale soit épidermique ou lymphocytaire, le
tumor necrosis factor α (TNFα) est la molécule inflammatoire au centre de la physiopathologie du psoriasis comme le
montre l’effet thérapeutique spectaculaire des molécules biologiques capables de bloquer son action (anticorps anti-TNFα
et récepteurs solubles du TNFα) [16, 17]. La production de
TNFα est un évènement précoce dans la constitution de la lé-
Le TNF-D dans la physiopathologie du psoriasis
sion et le TNFα a un rôle dans l’induction et la persistance du
psoriasis. Comme presque toutes les cellules cutanées, dont
les kératinocytes et les LT, sont capables de produire du TNFα,
le type cellulaire responsable de la production initiale de
TNFα n’est pas encore connu avec certitude. De même le lien
entre TNFα et prolifération des kératinocytes est toujours
l’objet d’intenses recherches centrées sur une anomalie de réponse des kératinocytes psoriasiques à la voie de signalisation
impliquant les récepteurs au TNFα et à l’IFNγ [18].
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les cellules épidermiques [20]. La phase de sensibilisation est
mal caractérisée car asymptomatique. Elle doit se dérouler au
niveau des organes lymphoïdes secondaires, en particulier les
ganglions lymphatiques drainant la peau, par présentation
d’antigènes cutanés aux LT CD4+ et CD8+ par les cellules
dendritiques ayant migré de la peau au ganglion. Cette phase
aboutit à la génération de lymphocytes T spécifique effecteurs
et mémoires qui vont recirculer au niveau cutané grâce à l’expression de la molécule de domiciliation CLA [21].
MÉCANISMES DE FORMATION DES LÉSIONS
Physiopathologie du psoriasis
Les mécanismes impliqués dans le développement de la maladie psoriasique puis dans la formation des lésions de psoriasis peuvent se résumer schématiquement selon les étapes
suivantes.
SURVENUE DE LA MALADIE PSORIASIQUE
La survenue de la maladie chez un individu jusque là indemne de psoriasis suppose une étape de « sensibilisation » pendant laquelle les patients (individus génétiquement
prédisposés) vont développer des LT spécifiques d’un antigène cutané. La localisation épidermique de la pathologie suggère que l’antigène est un auto-antigène des cellules
épidermiques ou des cellules de Langerhans (heat shock protein, défensines [19] ou correspond à des antigènes exogènes
(superantigènes bactériens de la flore cutanée) présentés par
Le développement des lésions chez un individu
« sensibilisé » fait suite à l’interaction des LT spécifiques avec
les CPA cutanées. Plusieurs étapes sont nécessaires à la formation de la plaque psoriasique (fig. 1) :
– Les CPA sont activées et produisent des cytokines de la famille de l’IL-12 (IL-12 et IL-23) responsables de l’orientation
de la réponse T vers la production de cytokines de type 1 et du
TNFα facteur mitogène pour les LT [22]. Le signal initiateur
de cette activation des CPA reste inconnu et peut être un microtraumatisme (phénomène de Koebner) [23], une altération
de la barrière cutanée, la présence de superantigène bactériens de la flore, l’activation de la voie des ligand de Toll.
– L’activation des LT induit la synthèse de cytokines de
type 1 [24] parmi lesquelles le TNFα et l’IFNγ sont les plus importantes car douées d’activité synergique et capables d’amplifier le signal par activation des cellules exprimant les
récepteurs pour le TNF et pour l’IFNγ.
Fig. 1. Mécanisme de la formation des lésions de psoriasis. La formation de la lésion de psoriasis nécessite plusieurs étapes : 1. Activation des CPA, cette activation induit la
production de cytokines de la famille de l’IL-12 et TNF-α, permettant l’initiation d’une réponse T de type 1. 2. Activation des LT présents au niveau cutané, synthèse de
cytokines comprenant notamment IFN-γ et TNF-α. 3. Activation des cellules cutanées résidentes dont les kératinocytes qui produisent un panel de cytokines inflammatoires
(IL-1 ; TNF-α ; IL-8). 4. Recrutement des leucocytes du sang qui entraîne une amplification de la réponse inflammatoire et une prolifération accrue des kératinocytes.
5. Formation de la plaque de psoriasis.
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– L’activation des cellules cutanées résidentes, dont les kératinocytes, aboutit à la production d’un ensemble de cytokines inflammatoires (IL-1, TNF-α, IL-8) et de chimiokines.
– Cette « tempête cytokinique » permet le recrutement des
leucocytes du sang dans le derme puis l’épiderme et la constitution de la réaction inflammatoire psoriasique responsable
de la prolifération accrue des kératinocytes.
RÉSEAU DE CYTOKINES DANS LE PSORIASIS
Le psoriasis est certainement la dermatose inflammatoire
chronique associée à la production la plus importante de cytokines et chimiokines, ce qui a fait parler de tempête cytokinique [3]. Les cytokines de type 1 (encore appellées Th1) sont
prédominantes et on retrouve une production accrue d’IFNγ,
de TNFα et d’IL-12 alors que les cytokines de type 2 (IL-4, IL5, IL-10) caractéristiques de l’inflammation de la dermatite
atopique ne sont retrouvées qu’à des taux très faibles [25]. Il
existe une synergie entre IFNγ et TNFα pour la production de
molécules d’adhérence (ICAM-1) et de chimiokines (IL-8 et
monocyte chemotactactic activating factor-1/MCAF-1).
Le TNFD est une cytokine inflammatoire ubiquitaire
Le TNFα est une cytokine inflammatoire ubiquitaire qui agit
par l’intermédiaire de récepteurs membranaires sur la voie de
signalisation NF-κB. Le gène du TNFα est situé sur le chromosome 6 du génome humain.
Chez le sujet sain, l’injection intradermique de TNFα induit rapidement l’activation des cellules endothéliales et un
infiltrat de neutrophiles et secondairement une migration
des cellules dendritiques épidermiques dans le derme ainsi
que le recrutement de LT CD4+ [26].
En dehors du psoriasis, le TNFα est en cause dans de nombreuses maladies autoimmunes comme la polyarthrite rhumatoide, la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique.
LE TNFα
Le TNFα existe sous forme sécrétée et sous forme transmembranaire. Le TNF-α soluble est un homodimère de
17 kDa. Ce polypeptide de 17 kDa provient de la coupure de
la partie carboxy terminale du TNF-α transmembranaire qui
fait 26 kDa. Il est sécrété par les monocytes, les macrophages, les mastocytes, les cellules musculaires lisses, les cellules endothéliales, les cellules T et certaines cellules NK. Il a
de multiples activités soit pro-inflammatoire soit anti-inflammatoire, joue aussi un rôle de facteur de croissance dans
la régénération physiologique. Au niveau cutané, le TNF-α
est produit par de nombreux types cellulaires comme les kératinocytes, les lymphocytes, les fibroblastes, les monocytes
et les cellules dendritiques [2, 27]. Peu de choses sont connues sur la fonction biologique du TNF-α transmembranaire, mais il pourrait jouer un rôle dans des signaux
inflammatoire ou cytotoxiques dépendants de contacts cellulaires [28].
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LES RÉCEPTEURS DU TNF-α
Il existe deux types de récepteurs au TNF, TNF récepteur de
type 1 (CD120a, 55KD) et le TNF récepteur de type II
(CD120b, 75 KD). Ces deux récepteurs sont des glycoprotéines avec un domaine riche en cystéine au niveau de la partie
Nterminale extracellulaire. TNF R1 est exprimé sur un grand
nombre de type cellulaire alors que le TNF R2 est présent essentiellement au niveau des endothéliales et des cellules dérivant de la lignée hématopoiétique. TNF R1 apparaît avoir une
expression constitutive dans la plupart des types cellulaires
alors que le TNF R2 semble être inductible [28]. Au niveau cutané, le TNF R1 est exprimé au niveau des kératinocytes et des
cellules dendritiques des parties superficielles du derme, le
TNF R2 n’est pas exprimé au niveau de l’épiderme mais au
niveau des cellules dendritiques dermiques [27]. Une trimérisation des récepteurs au TNF est nécessaire à la transduction
du signal induite par la liaison du TNF à son récepteur. L’activation des récepteurs du TNF aboutit au recrutement des
TRAFs (Facteurs associé au récepteur du TNF) qui sont des
protéines induisant la transduction du signal et l’activation
des voies de signalisation intracellulaire et de transduction
NF-κB et AP-1. L’homologie importante du domaine intracellulaire des TNF récepteurs et récepteur Fas explique que le
TNF puisse induire soit une activité cytotoxique soit une inhibition de cette activité.
LA VOIE PRO-INFLAMMATOIRE NF-ΚB
L’inflammation induite par le TNF passe par l’activation de la
voie NF-κB qui fait suite à la liaison de la cytokine avec son récepteur [29]. NF-κB est un hétérodimère constitué de deux
sous-unités p50 et p65 complexées avec son inhibiteur IκB.
IκB et NFκB sont localisés au niveau du cytoplasme. Lors de
la dégradation de IkB, NFκB est transloqué au niveau du
noyau, où il joue sa fonction de facteur de transcription de
nombreuses protéines inflammatoires ou impliquées dans
l’inflammation cutanée comme IL-1β, IL-2, IL-6, GM-CSF,
M-CSF, IL-8, MIP1α, ICAM-1, VCAM-1, E –Selectine et
IL2-récepteur. La translocation de NF-κB consécutive à la dégradation IκB est secondaire à une stimulation par TNFα,
mais aussi par IL1β et IL-17. Ainsi, le TNF-α par l’activation de
la voie NF-κB induit la sécrétion de cytokines de l’inflammation et l’expression de molécules d’adhérence cellulaire ce qui
aboutit à l’amplification du phénomène inflammatoire initial
(fig. 2). Dans ce contexte il est intéressant de noter que l’inhibition de l’activation par la voie NF-κB par des inhibiteurs du
protéasome diminuent très fortement la production des cytokines dépendant du TNF et améliorent les signes cliniques de
psoriasis dans un modèle animal [30].
TNFD et psoriasis
Dès 1991, le TNFα a été placé au centre du schéma physiopathologique du psoriasis aussi bien pour la phase d’induction
que de la chronicité de la maladie [31]. Des taux élevés de
Le TNF-D dans la physiopathologie du psoriasis
Fig. 2. Représentation schématique de la voie pro-inflammatoire NF-κB.
L’inflammation induite par le TNF passe par l’activation de la voie NF-κB qui fait
suite à la liaison du TNFα avec son récepteur. L’activation du récepteur entraîne le
recrutement des TRAFs. Cette activation passe par la voie des MAP kinases et
aboutit à l’activation de NF-κB, hétérodimère constitué de deux sous-unités p50 et
p65 complexées avec son inhibiteur IκB. IκB et NFκB sont localisés au niveau du
cytoplasme. Lors de la dégradation de IκB secondaire à l’activation des MAP
kinases, NFκB est transloqué au niveau du noyau, où il joue sa fonction de facteur
de transcription de nombreuses cytokines inflammatoires.
TNFα sont retrouvés dans le sang et dans la peau de patients
souffrant de psoriasis. Les taux de TNFα dans la peau psoriasique sont plus importants que dans la peau de DA [25]. Des
polymorphismes dans les gènes codant pour le TNF et
d’autres cytokines ont été identifiées dans le psoriasis et
d’autres maladies inflammatoires chroniques et pourraient
être la base de la production accrue de la cytokine ou de l’effet
de la cytokine sur son récepteur chez des individus prédisposés [3].
EFFETS DU TNFα SUR L’INFLAMMATION PSORIASIQUE
Le TNF-α produit au sein de la peau psoriasique agit à plusieurs niveaux pour constituer la plaque érythémato-squameuse. L’activation de la voie NF-κB est responsable de la
production de très nombreuses molécules inflammatoires
aboutissant à une cascade d’activation cellulaire impliquant
des dizaines de cytokines et chimiokines. Ainsi, l’image finale
du psoriasis est due à un ensemble complexe d’évènements
dont la production de TNFα n’est que l’élément déclenchant.
Ceci explique les difficultés rencontrées pour assigner des effets précis au TNF in vivo et le fait que la majorité des résultats
discutés ci-dessous proviennent d’expériences in vitro.
Le TNF augmente l’expression des molécules d’adhérence
ICAM-1 et VCAM-1 toutes deux impliqués dans le trafic lymphocytaire [32, 33] et permettant le recrutement des leucocytes sanguins dans la peau.
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Le TNF stimule la migration des cellules dendritiques de l’épiderme vers le derme puis vers les ganglions lymphatiques
drainants la peau. Cet effet passe par l’augmentation d’expression de la molécule CD44 et permet aux DC épidermiques de quitter l’épiderme et de venir au contact des LT du
derme et des ganglions [34].
Le TNF permet la prolifération des LT in-situ. En effet, des
modèles de greffe de peau pré-psoriasique chez la souris
mettent en évidence le rôle des LT résidents dans le développement des lésions de psoriasis [22].
Le TNF active les kératinocytes et induit la production d’un
large panel de molécules dont des chimiokines capables d’attirer dans l’épiderme les neutrophiles, macrophages et des
LT spécifiques mémoires [35, 36]. Les kératinocytes de patients psoriasiques présentent une prédisposition à répondre
aux signaux inflammatoires de façon anormalement exacerbée. Ainsi une étude récente sur peau reconstruite montre à
l’état basal, une expression augmentée du récepteur à la chimiokine CXCR2 ainsi que des gènes codant pour TNF, IL-8
et IFNg [5]. Les kératinocytes psoriasiques en culture présentent une réponse au TNF anormalement augmentée [37]. De
plus certaines molécules comme IL-8 et IP-10 sont préférentiellement produites par les kératinocytes psoriasiques et pas
par les kératinocytes de dermatite atopique [37]. Ces résultats
suggèrent l’existence d’une anomalie intrinsèque aux kératinocytes dans le psoriasis.
Le TNF n’est pas un facteur de croissance des kératinocytes
normaux ou psoriasiques et ne semble donc pas impliqué directement dans la prolifération des kératinocytes qui constitue une des principales caractéristiques du psoriasis.
Cependant des études récentes de génomique utilisant des
puces ADN montrent que de nombreux gènes des kératinocytes codant pour des protéines non inflammatoires sont activés par le TNFα, en particulier ceux impliqués dans le
cytosquelette, la mobilité et l’attachement des kératinocytes
ainsi que des gènes régulant le cycle cellulaire et l’apoptose
[35]. Il est donc possible que le TNFα puisse induire la prolifération des kératinocytes en présence d’autres molécules de
l’inflammation psoriasique. En effet, parmi les nombreux
facteurs de croissance produits localement sous l’effet direct
du TNF ou par l’intermédiaire de la cascade de cytokines
(TGFα, IGF-1, keratinocyte growth factor (KGF), VEGF, nerve growth factor (NGF), amphireguline), plusieurs sont doués
d’activité mitogénique pour les kératinocytes dont l’IL-6 et le
KGF [2]. Les LT produisent eux aussi des facteurs mitogéniques non encore identifiés [38].
ORIGINE DU TNFα DANS LE PSORIASIS
Toutes les cellules cutanées étant capables de produire du TNFα,
le type cellulaire responsable de la production initiale de
TNFα in vivo dans la peau psoriasique n’est pas encore connu
avec certitude. Les kératinocytes peuvent être en cause et produire du TNF en réponse à un stimulus exogène comme un
traumatisme ou une infection bactérienne [39]. Les mastocytes qui stockent dans leurs granules du TNFα pré-formé et
donc rapidement disponible lors de dégranulation ont été im177
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Fig. 3. Rôle central du TNF-α dans le développement des plaques de psoriasis. Le TNFα via l’activation de la voie NF-κB est responsable de la production de nombreuses
molécules inflammatoires induisant une cascade d’activation cellulaire, avec en particulier : 1. Augmentation de l’expression des molécules d’adhésion cellulaire (ICAM-1 et
VCAM-1), qui induit le recrutement des leucocytes du sang. 2. Stimulation de la migration des cellules dendritiques vers le derme et les ganglions drainant via l’augmentation
de l’expression du CD44. 3. Induction d’une prolifération des lymphocytes T in situ. 4. Prolifération accrue des kératinocytes. L’ensemble de ces phénomènes participent
activement à la formation de la plaque de psoriasis.
pliqués dans la physiopathologie du psoriasis[40] . Mais des
études récentes dans des modèles animaux suggèrent que les
CPA et les LT sont les cellules impliquées dans la production
précoce de TNFα dans le psoriasis [22].
LE TNFα PRODUIT PAR LES CELLULES PRÉSENTATRICES D’ANTIGÈNES
T EST NÉCESSAIRE ET SUFFISANT AU DÉVELOPPEMENT
ET LES LYMPHOCYTES
DE LA LÉSION DE PSORIASIS
Des travaux récents utilisant un modèle spontané de psoriasis
chez la souris immunodéprimée (souris AGR°/°, ne possédant pas de lymphocytes T et B, ni de cellules NK) confirment
le rôle central des LT et du TNFα dans le développement de la
lésion psoriasique et montrent que les CPA et les LT sont les
principales sources de TNFα produit précocément lors du développement de la lésion de psoriasis [22]. Des greffes de
peau non lésionnelle de patient psoriasique chez la souris
AGR°/° sont le siège du développement spontané (sans injection de leucocytes du patient donneur de peau) et rapide (en
6 semaines) d’un psoriasis typique clinique et histologique
qui est associé à la prolifération des lymphocytes T et a une
production locale de TNFα. Comme la souris receveuse de la
greffe n’a pas de LT et comme les LT présents en petit nombre dans la peau greffée ne sont pas capables de recirculer
dans les organes lymphoïdes de la souris receveuse, la seule
possibilité pour expliquer l’augmentation du nombre des
lymphocytes est la prolifération des LT au sein de la peau greffée. Les LT proliférant dans la peau greffée sont pathogènes
puisque leur déplétion par traitement anti-CD3 humain chez
178
la souris greffée prévient le développement du psoriasis. Enfin les LT initialement présents dans le derme (LT CD4+ et
CD8+) migrent progressivement dans l’épiderme où on retrouve une prédominance de LT CD8+. Les cellules productrices de TNFα dans ce modèle sont les cellules présentatrices
d’antigène (CPA) épidermiques et dermiques et les LT. Les
kératinocytes et les fibroblastes ne produisent pas de TNFα.
Le traitement des animaux par anticorps anti-TNF (infliximab) ou par récepteur soluble du TNF (etanercept) prévient
le développement de la lésion psoriasique et réduit la prolifération des LT. Ceci signifie que le TNFα est impliqué dans
l’activation et la prolifération des LT résidents. Ces résultats
montrent que la peau saine de patient psoriasique contient
l’ensemble des effecteurs cellulaires (CPA et LT pathogènes)
et moléculaires pour qu’une lésion de psoriasis se développe
sans qu’aucun recrutement de leucocytes circulants ne soit
nécessaire. La peau saine de patient psoriasique contient donc
des LT mémoires susceptibles d’être activés sous l’influence
d’un facteur initiateur, comme un traumatisme [2, 24]. Il est
donc possible d’imaginer que la greffe représente le signal
pro-inflammatoire (signal de danger) nécessaire pour activer
les cellules cutanées dont les CPA qui vont alors présenter efficacement les « antigènes du psoriasis » aux LT. Le TNF produit par les CPA est un facteur important pour la prolifération
des LT et leur migration du derme vers l’épiderme.
Beaucoup d’inconnues persistent encore sur la nature des
signaux produits par les cellules épidermiques responsables
de l’activation des CPA, de la prolifération des LT et de leur at-
Le TNF-D dans la physiopathologie du psoriasis
traction dans l’épiderme. Gageons que l’existence de ce modèle animal permettra mieux comprendre les interactions
complexes entre l’épiderme et le derme qui sont nécessaires et
suffisantes pour le développement d’une lésion de psoriasis.
Perspectives
Les travaux récents sur la physiopathologie du psoriasis ont
permis de définir la maladie comme le résultat d’un ménage
à trois impliquant cellules dendritiques, lymphocytes T et kératinocytes où le TNFα joue un rôle initiateur primordial. Les
études en cours se focalisent sur les évènements qui se déroulent en amont et en aval du TNF.
En amont du TNFα, les questions concernent les mécanismes inducteurs de la production de TNF par les cellules dendritiques. Ces signaux qui peuvent être externes (représentés
par des motifs bactériens ligands des Toll) ou internes (heat
shock proteins) aboutiraient à l’activation des DC capables
alors de produire du TNFα et des cytokines de la famille de
l’IL-12 (IL-12, IL-23) orientant la réponse T vers le phénotype
Th1. Les DC activées pourraient alors présenter efficacement
les autoantigènes du psoriasis aux LT pathogènes et induire
la production de TNFα et IFNγ.
En aval du TNFα, les questions sont plus complexes en raison de la grande variété des cytokines et chimiokines produites par les cellules résidentes activées par l’IFNγ et les
cellules inflammatoires recrutées. Les molécules responsables de la prolifération des kératinocytes in vivo sont encore
inconnues. Les kératinocytes psoriasiques ont plusieurs caractéristiques phénotypiques et fonctionnelles qui les différencient des kératinocytes normaux. En particulier les voies
de signalisation intracellulaire activées en réponse à l’interaction des cytokines/chimiokines avec leur récepteur membranaires apparaissent perturbées pour NF-κB et STAT3 [18].
Ainsi il est possible que l’anomalie primitive dans le psoriasis se trouve dans les kératinocytes qui auraient des capacités
de réponses altérées aux signaux inflammatoires produits
par les CPA et les LT aboutissant à un programme de prolifération et différenciation caractéristique de la maladie.
Nul doute que les travaux en cours permettront de confirmer que le psoriasis est une hypersensibilité retardée impliquant les CPA, les LT et les kératinocytes et de proposer de
nouvelles possibilités thérapeutiques capables d’agir en
amont et en aval du TNFα afin de bloquer l’inflammation pathologique à l’origine du psoriasis..
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