
192 D. Grau et al. / La Revue de médecine interne 31 (2010) 188–193
3.2.1. Infections cutanées
Vingt-sept cas d’infections cutanées ont été rapportés, repré-
sentant 64,3 % de la totalité des complications infectieuses
observées. Vingt-quatre de ces patients avaient consulté en rai-
son de la présence de manifestations cutanées. Les trois restants
présentaient une altération de l’état général avec fièvre à leur
arrivée à l’hôpital.
Parmi ces complications, les abcès étaient les plus fréquents
et concernaient 23 patients ; ils étaient localisés au bras ou à
l’avant-bras dans 55 % des cas. Ces abcès étaient associés à
une lymphangite (deux cas), un phlegmon (un cas) et une fol-
liculite (un cas). L’injection intramusculaire de buprénorphine
dans la fesse chez un patient était à l’origine d’un abcès fis-
tulisé au point d’injection. Enfin, un cas d’ulcérations (pieds
et mains), deux cas de tuméfaction des pouces et du poi-
gnet, et un phlegmon palmaire ont été observés. Dans trois
observations, ces abcès étaient associés à une complication
infectieuse systémique. L’identification bactérienne était obte-
nue pour trois seulement de ces infections cutanées : la présence
de streptocoques a été identifiée dans deux abcès (bras et
fesse) et Staphylococcus aureus était mis en évidence dans
un abcès de la jambe chez un patient ayant une endocardite
(Tableau 1).
Huit patients présentant des abcès étaient traités par
Augmentin®(amoxicilline–acide clavulanique) et six par
Pyostacine®(pristinamycine). Des interventions chirurgicales
(trois greffes de peau, trois drainages chirurgicaux, une apo-
névrotomie, une incision et une intervention chirurgicale non
précisée) ont été pratiquées, seules ou en association avec
une antibiothérapie, et un traitement antiseptique (Bétadine®,
Hexomédine®, pansement alcoolisé) était également été utilisé
chez cinq patients.
3.2.2. Infections systémiques
Quinze patients (38,5 %) présentaient une atteinte systé-
mique : neuf cas d’endocardite infectieuse, quatre cas de
spondylodiscite infectieuse, un cas de sacroiliite et un cas
d’hémorragie rétinienne secondaire à une embolie vascu-
laire avec baisse de l’acuité visuelle. Dans trois cas, les
infections systémiques étaient associées à des abcès cutanés
(Tableau 1). Pour huit patients ayant présenté une infec-
tion systémique, le traitement de substitution aux opiacés
était orienté vers l’entrée dans un programme métha-
done.
Les neuf observations d’endocardite infectieuse représentent
60 % des infections générales. La localisation tricuspidienne
est dominante (six endocardites tricuspidiennes, une aor-
tique et deux de localisation non précisée). Chez 55 % des
patients ayant eu une endocardite, une complication sep-
tique était associée : emboles septiques chez deux patients,
atteinte pulmonaire chez trois autres patients. Les agents
microbiens incriminés dans ces endocardites étaient Sta-
phylococcus aureus (sept fois), streptocoque (une fois) et
des levures (une fois). Une observation réalisait une infec-
tion plurimicrobienne à streptocoque et à Staphylococcus
aureus.
4. Discussion
La prévalence du mésusage de buprénorphine par voie intra-
veineuse est élevée, alors qu’elle a été longtemps sous-estimée.
Selon des études franc¸aises, 32 % et 47 % des patients inclus
rapportaient s’être injecté de la buprénorphine par voie intravei-
neuse après initiation du traitement [6,7]. L’injection demeure
le mode d’administration le plus fréquemment rapporté quand
la buprénorphine est détournée de son usage thérapeutique.
Elle permet la conservation d’un rituel de prise que beaucoup
d’anciens héroïnomanes ne parviennent pas à abandonner.
Les facteurs associés à l’injection de buprénorphine ont été
recherchés dans plusieurs études avec des résultats contradic-
toires. Ainsi, la co-morbidité psychiatrique, et en premier lieu la
dépression, est associée à l’injection de buprénorphine dans cer-
taines études [6,8,9] mais pas dans d’autres [10]. Dans l’étude
Subgeo, le fractionnement des prises de buprénorphine était
associé à l’injection [8]. Dans d’autres travaux, l’impulsivité [9],
ainsi que l’injection antérieure d’autres substances que la bupré-
norphine [7,9] étaient des facteurs de risque d’injection de BHD.
Enfin, dans une étude récente, la sévérité de la dépendance, la
perception d’un dosage inadéquat de buprénorphine et la pré-
sence d’idées suicidaires/tentatives de suicide ont été associées
à un risque plus élevé d’injection de buprénorphine [6]. Dans
notre étude, la majorité des « injecteurs » de buprénorphine était
de sexe masculin (75 %), à rapprocher des 77,2 % d’hommes
dans les enquêtes menées en France [7]. Dans l’étude de Roux et
al., les hommes représentaient 67 % des injecteurs ; néanmoins,
le sexe n’était pas statistiquement associé à l’injection [8].
L’injection de buprénorphine peut être à l’origine d’infections
locorégionales ou systémiques, mais aussi d’hépatite ou du
« syndrome de Popeye » [11,12]. Les infections cutanées consti-
tuent l’une des complications majeures chez les injecteurs de
buprénorphine. Plus de la moitié des patients présentent des
abcès cutanés, de localisation variée, principalement au niveau
des bras et des avant-bras, à proximité du site de l’injection. Pour
ce qui est des abcès, il est difficile de les attribuer en totalité à
une cause infectieuse. Ils peuvent, en effet, également parfois
résulter d’un mécanisme de chimiotoxicité. Les composés du
Subutex®(amidon de maïs, stéarate de magnésium) sont pour
la plupart insolubles ; ils épaississent la solution en cas de dilu-
tion et semblent être dommageables pour le système vasculaire
en cas d’injections répétées. Ce sont les injections, en l’absence
de précautions d’asepsie, qui sont à l’origine des complications
infectieuses que l’on observe chez le patient toxicomane. La sub-
stance injectée est rarement directement responsable ; la flore du
patient, le liquide de dissolution (eau, salive, jus de citron) ou
l’aiguille (utilisée à plusieurs reprises, échangée, humectée avec
la salive) sont à l’origine de l’infection [13,14].
L’injection intraveineuse de BHD est ainsi à l’origine d’une
grande variété d’infections systémiques, souvent aggravées par
le statut immunitaire du patient. L’étude de Chai et al. rap-
porte qu’en 2005, 14 des 77 patients hospitalisés à l’hôpital
universitaire de Singapour pour une complication infectieuse à
Staphylococcus aureus sensible à la méthicilline, s’injectaient de
la buprénorphine. Ces patients étaient jeunes (moyenne 31,9 ans)
et plus souvent des hommes. Dans cette étude, 11 patients avaient