La Revue de médecine interne 31 (2010) 188–193 Article original Complications infectieuses induites par le mésusage de la buprénorphine haut dosage (Subutex®) : analyse rétrospective de 42 observations Infectious adverse events related to misuse of high-dose buprenorphine: A retrospective study of 42 cases D. Grau a , N. Vidal a , V. Faucherre b , Y. Léglise c , V. Pinzani a , J.-P. Blayac a , J. Reynes d , H. Peyrière a,∗ a Service de pharmacologie médicale et toxicologie, hôpital Lapeyronie, centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance (CEIP), CHU de Montpellier, 191, avenue du Doyen-Gaston-Giraud, 34295 Montpellier cedex 5, France b Service de médecine interne A, hôpital Saint-Éloi, CHU de Montpellier, 34295 Montpellier, France c Unité de traitement des toxicodépendances, hôpital La-Colombière, CHU de Montpellier, 34295 Montpellier, France d Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Gui-de-Chauliac, CHU de Montpellier, 34295 Montpellier, France Disponible sur Internet le 6 janvier 2010 Résumé Propos. – Le mésusage de la buprénorphine haut dosage (BHD), principalement par injection, est à l’origine de complications, notamment infectieuses. Méthodes. – Il s’agit d’une étude rétrospective portant sur les complications infectieuses observées chez des patients injecteurs de BHD. Quarante-deux dossiers ont été recensés (29 hommes et dix femmes) et les données ont été recueillies entre mars 1999 et décembre 2008. Résultats. – Les complications infectieuses rapportées étaient des infections cutanées (27 cas), des endocardites infectieuses (neuf cas), des infections ostéoarticulaires (quatre spondylodiscites, une sacroiliite) et une embolie vasculaire avec baisse de l’acuité visuelle. Conclusion. – Si en France le bilan des traitements de substitution par la BHD est positif compte tenu du nombre de patients traités, la possibilité d’injecter ce médicament peut être à l’origine de complications infectieuses graves et souligne l’importance d’une implication plus adaptée des professionnels prenant en charge les toxicomanes substitués. © 2009 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Buprénorphine ; Mésusage ; Injection ; Complications infectieuses ; Endocardite Abstract Purpose. – Misuse of high-dose buprenorphine (HDB), mainly by injection, is responsible of frequent infectious adverse events. Methods. – This is a retrospective study of infectious complications occurring in patients using HDB by injection. Forty-two cases were identified (29 men and ten women) and the data were collected between March 1999 and December 2008. Results. – The infectious complications included cutaneous infections (27 cases), endocarditis (nine cases), osteoarticular infections (four spondylodiscitis and one sacroiliitis), and a vascular embolism with decrease in visual acuity. Conclusion. – The results of HDB maintenance treatment must be improved, both from the point of view of substitution and to limit its misuse by intravenous route injection. Health professionals have to play an important role in drug addict patients’ education and supervision, to prevent buprenorphine injection and related infectious complications. © 2009 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Buprenorphine; Infectious diseases; Misuse; Injection; Endocarditis 1. Introduction ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (H. Peyrière). La buprénorphine haut dosage (BHD), commercialisée en France depuis 1996 sous le nom de Subutex® , est un 0248-8663/$ – see front matter © 2009 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2009.10.433 D. Grau et al. / La Revue de médecine interne 31 (2010) 188–193 agoniste–antagoniste des récepteurs morphiniques, indiqué dans le traitement substitutif des pharmacodépendances aux opiacés [1]. Son action d’agoniste partiel limite les effets dépresseurs respiratoires observés plus fréquemment avec les agonistes morphiniques. C’est en partie en raison de cette apparente sécurité pharmacologique que la prescription se fait de façon peu contraignante sans qu’un système spécifique d’évaluation et de surveillance ait été mis en place. Selon un rapport de 2004 de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), la BHD serait injectée par 11 % des personnes sous protocole médical et par 54 % des personnes l’utilisant sans prescription [2]. Plus récemment, les résultats de l’enquête Oppidum d’octobre 2008 indiquent que la buprénorphine est injectée par 9 % des patients sous protocole traités par Subutex® , 5 % des patients sous protocole traités par buprénorphine générique et par 18 % des patients recevant de la buprénorphine hors protocole [3]. Cette pratique limite l’impact des traitements de substitution sur la réduction des pratiques d’injection, mais a surtout des conséquences sanitaires préoccupantes locorégionales (abcès, lymphœdèmes, nécroses. . .) et systémiques (contaminations virales, candidoses systémiques. . .). Son utilisation détournée par certaines personnes en association à d’autres produits (benzodiazépines, alcool. . .) est à l’origine de surdosages potentiellement mortels [2]. L’objectif de cette étude est l’analyse rétrospective des complications infectieuses observées chez des patients toxicomanes à la suite du mésusage de la buprénorphine par voie intraveineuse. 2. Patients et méthodes Il s’agit d’une enquête rétrospective incluant les patients ayant présenté des complications infectieuses liées à l’injection de BHD et qui ont été pris en charge dans différents services du Centre hospitalier universitaire de Montpellier. Ces cas ont été notifiés au Centre d’évaluation et d’information de la pharmacodépendance (CEIP) du Languedoc-Roussillon par des médecins spécialistes dans la prise en charge des patients toxicomanes, sur une période de 1999 à fin 2008. En effet, selon les articles R. 5219-1 à R. 5219-15 du code de la santé publique, les professionnels de santé doivent obligatoirement déclarer au CEIP de leur région les cas de pharmacodépendance grave ou d’abus grave d’une substance, plante, médicament ou tout autre produit ayant un effet psychoactif, à l’exception de l’alcool et du tabac [4]. Le mésusage est une utilisation non conforme aux recommandations du résumé des caractéristiques du produit mentionné à l’article R.5128, à l’exclusion de l’usage abusif [5]. Cette définition englobe deux notions différentes, d’une part, la notion d’utilisation avec indication « hors autorisation de mise sur le marché (AMM) » ne s’intégrant pas dans une démarche thérapeutique et, d’autre part, la notion d’utilisation erronée, ne respectant pas les recommandations liées aux modes de prises du traitement. Les données suivantes ont été recueillies : âge, sexe, type de toxicomanie, présence ou non de produits associés à 189 la buprénorphine, motif d’hospitalisation, présence ou non de pathologies associées, suivi du traitement sous BHD, complications infectieuses ainsi que l’agent bactérien responsable, et enfin traitement et évolution de ces complications. Le mode d’obtention de la buprénorphine (prescription médicale ou non) a également été noté lorsque l’information était disponible. 3. Résultats 3.1. Description de la population étudiée 3.1.1. Démographie Cette étude recense 39 patients, 29 hommes et dix femmes, d’âge moyen de 31 ans (extrêmes 22–43). Certains patients ont eu plusieurs infections. 3.1.2. Antécédents et histoire de la toxicomanie Les patients déclaraient avoir antérieurement consommé diverses substances : cannabis, morphiniques (héroïne, codéine), cocaïne, ecstasy et autres, avant de s’injecter la BHD. Pour deux d’entre eux, les produits consommés avant la buprénorphine n’étaient pas précisés. Vingt-sept d’entre eux pratiquaient des injections d’héroïne parmi lesquels, quatre, avaient présenté des abcès cutanés liés à l’injection. L’âge moyen à la première injection était de 20,5 ans (extrêmes 16–29). L’origine de l’obtention de la BHD est renseignée pour 20 patients : 16 patients l’avaient obtenue au travers d’une prescription médicale, alors que quatre l’avaient achetée dans la rue. Trente-huit patients déclaraient injecter la BHD par voie intraveineuse (i.v.) et un patient par voie intramusculaire (i.m.). 3.1.3. Co-morbidités La présence de maladies associées ou de co-morbidités n’était rapportée que pour 20 patients : dépression (deux fois), hépatite C (11 fois), hépatite virale sans précision (une fois), hépatite B (une fois), VIH (une fois), co-infection VIH–VHC (une fois), coinfection VIH–VHB (une fois), co-infection VHC–VHB (deux fois). 3.1.4. Polyconsommations Vingt-deux patients (55 %) rapportaient la consommation de substances, en association à la BHD, que ce soit dans le cadre de protocoles thérapeutiques ou de la toxicomanie. Ainsi, huit patients avaient une polytoxicomanie active : un patient déclarait s’injecter de l’héroïne, deux patients consommaient du cannabis dont un avec injections occasionnelles de cocaïne par voie intraveineuse et cinq patients consommaient d’autres drogues (non précisées). Sept patients déclaraient consommer de l’alcool et huit patients des benzodiazépines. 3.2. Complications infectieuses Dans cette étude, les complications infectieuses observées étaient localisées ou systémiques, les deux types d’infection pouvant coexister chez un même patient. 190 Tableau 1 Infections systémiques recensées après injection intraveineuse de buprénorphine chez 15 patients. No Année de survenue Endocardites 1 2001 Âge/sexe Motif de consultation Pathologies associées ATCD Obtention BHD Complications infectieuses Bactériologie Traitement Évolution 31/M Infection cutanée VHC Injection héroïne : abcès Prescription médicale Endocardite, emboles septiques (cérébraux et spléniques) Endocardite aortique ND Augmentin® Favorable ND Favorable Streptococcus puis levure avec doute sur un SAMS surajouté SA Clamoxyl® , remplacement valve aortique Vancomycine® , Triflucan® , tricuspidectomie partielle Bristopen® , Gentalline® , puis Oflocet® , Rifadine® Oflocet® , Dalacine® , Bristopen® , Vancomycine® 2002 42/M AEG fébrile VHB, VHC Injection héroïne Prescription médicale 3 2002 32/M ND ND ND Endocardite tricuspidienne 4 2003 29/M Choc septique avec embolie pulmonaire massive AEG, fièvre ND Prescription médicale 5 2005 35/M Fièvre, douleur thoracique VHC Injection héroïne, cocaïne, alcool Injection héroïne, alcool 6 2005 26/M AEG, fièvre, toux, douleur thoracique VIH, VHC Injection héroïne Rue 7 2006 43/F AEG fébrile VHC Injection héroïne, alcool ND 8 2006 28/F TS, dépression Codéïne, BDZ 9 2008 25/M Détresse respiratoire aiguë, sepsis sévère ; infection cutanée Fièvre, douleur thoracique Endocardite tricuspidienne (2 épisodes) Endocardite tricuspidienne, pneumopathie bilatérale abcédée avec épanchement pleural, embole septique, arthrite sternoclaviculaire Endocardite tricuspidienne, abcès pulmonaire et pyothorax, ostéomyélite, choc septique, abcès fesse Ulcération cutanée, endocardite, embole septique, « syndrome de Popeye » Endocardite tricuspidienne, abcès jambes Injection cocaïne, cannabis ND Rue Endocardite tricuspidienne, embolie pulmonaire, abcès pulmonaire SAMS Favorable Favorable méthadone Favorable, insuffisance tricuspide méthadone SAMS Bristopen® , Gentalline® , drainage chirurgical, puis Augmentin® , Oflocet® Favorable, fuite tricuspide méthadone SAMS Vancomycine® , Gentalline® , Rocéphine® , puis Bristopen® , Gentalline® ND SAMS Bristopen® Gentalline® , végectomie tricuspidienne Vancocine® , Orbenine® , Gentalline® , végectomie tricuspidienne ND SAMS Favorable méthadone D. Grau et al. / La Revue de médecine interne 31 (2010) 188–193 2 Tableau 1 (Continued ) No Année de survenue Motif de consultation Pathologies associées ATCD Obtention BHD Complications infectieuses Bactériologie Traitement Évolution Spondylodiscite 10 2002 25/M Syndrome rachidien avec raideur ND Prescription médicale Spondylodiscite L3–L4 ND Triflucan® , Dalacine® Favorable 11 2003 33/F Lombalgies VHC Cannabis, cocaïne ; injection héroïne injection cocaïne Spondylodiscite Streptococcus gordinii Favorable méthadone 12 2007 M/36 Spondylodiscite Dépression Prescription médicale Spondylodiscite Klebsiella oxytoca 13 2007 F/42 Ecstasy, cocaïne, héroïne Héroïne Bristopen® , Rifadine® , puis Dalacine® , Oflocet® , Bactrim® , Ciflox® Prescription médicale Spondylodiscite Staphylococcus coagulase négative MS Oflocet® , Bactrim® Favorable méthadone Sacroiliite 14 2003 26/M AEG, douleur fesse ND Injection héroïne, cannabis, alcool ND Sacroiliite SA Bristopen® , Ciflox® Favorable méthadone Autre 15 2003 37/M Baisse acuité visuelle ; infection cutanée VHC Injection héroïne Prescription médicale Abcès pouce, embolie vasculaire : hémorragie rétinienne Enterobacter cloacae Vancomycine® , puis Ciflox® PO Favorable Lombalgies Favorable méthadone D. Grau et al. / La Revue de médecine interne 31 (2010) 188–193 Âge/sexe BHD : buprénorphine haute dose ; ATCD : antécédents ; AEG : altération de l’état général ; ND : non documenté ; BDZ : benzodiazépines ; SA : Staphylococus aureus ; SAMS : Staphylococus aureus méticilline sensible ; MS : méticilline sensible ; VHB : virus de l’hépatite B ; VHC : virus de l’hépatite C ; p.o. : par voie orale ; TS : tentative d’autolyse. 191 192 D. Grau et al. / La Revue de médecine interne 31 (2010) 188–193 3.2.1. Infections cutanées Vingt-sept cas d’infections cutanées ont été rapportés, représentant 64,3 % de la totalité des complications infectieuses observées. Vingt-quatre de ces patients avaient consulté en raison de la présence de manifestations cutanées. Les trois restants présentaient une altération de l’état général avec fièvre à leur arrivée à l’hôpital. Parmi ces complications, les abcès étaient les plus fréquents et concernaient 23 patients ; ils étaient localisés au bras ou à l’avant-bras dans 55 % des cas. Ces abcès étaient associés à une lymphangite (deux cas), un phlegmon (un cas) et une folliculite (un cas). L’injection intramusculaire de buprénorphine dans la fesse chez un patient était à l’origine d’un abcès fistulisé au point d’injection. Enfin, un cas d’ulcérations (pieds et mains), deux cas de tuméfaction des pouces et du poignet, et un phlegmon palmaire ont été observés. Dans trois observations, ces abcès étaient associés à une complication infectieuse systémique. L’identification bactérienne était obtenue pour trois seulement de ces infections cutanées : la présence de streptocoques a été identifiée dans deux abcès (bras et fesse) et Staphylococcus aureus était mis en évidence dans un abcès de la jambe chez un patient ayant une endocardite (Tableau 1). Huit patients présentant des abcès étaient traités par Augmentin® (amoxicilline–acide clavulanique) et six par Pyostacine® (pristinamycine). Des interventions chirurgicales (trois greffes de peau, trois drainages chirurgicaux, une aponévrotomie, une incision et une intervention chirurgicale non précisée) ont été pratiquées, seules ou en association avec une antibiothérapie, et un traitement antiseptique (Bétadine® , Hexomédine® , pansement alcoolisé) était également été utilisé chez cinq patients. 3.2.2. Infections systémiques Quinze patients (38,5 %) présentaient une atteinte systémique : neuf cas d’endocardite infectieuse, quatre cas de spondylodiscite infectieuse, un cas de sacroiliite et un cas d’hémorragie rétinienne secondaire à une embolie vasculaire avec baisse de l’acuité visuelle. Dans trois cas, les infections systémiques étaient associées à des abcès cutanés (Tableau 1). Pour huit patients ayant présenté une infection systémique, le traitement de substitution aux opiacés était orienté vers l’entrée dans un programme méthadone. Les neuf observations d’endocardite infectieuse représentent 60 % des infections générales. La localisation tricuspidienne est dominante (six endocardites tricuspidiennes, une aortique et deux de localisation non précisée). Chez 55 % des patients ayant eu une endocardite, une complication septique était associée : emboles septiques chez deux patients, atteinte pulmonaire chez trois autres patients. Les agents microbiens incriminés dans ces endocardites étaient Staphylococcus aureus (sept fois), streptocoque (une fois) et des levures (une fois). Une observation réalisait une infection plurimicrobienne à streptocoque et à Staphylococcus aureus. 4. Discussion La prévalence du mésusage de buprénorphine par voie intraveineuse est élevée, alors qu’elle a été longtemps sous-estimée. Selon des études françaises, 32 % et 47 % des patients inclus rapportaient s’être injecté de la buprénorphine par voie intraveineuse après initiation du traitement [6,7]. L’injection demeure le mode d’administration le plus fréquemment rapporté quand la buprénorphine est détournée de son usage thérapeutique. Elle permet la conservation d’un rituel de prise que beaucoup d’anciens héroïnomanes ne parviennent pas à abandonner. Les facteurs associés à l’injection de buprénorphine ont été recherchés dans plusieurs études avec des résultats contradictoires. Ainsi, la co-morbidité psychiatrique, et en premier lieu la dépression, est associée à l’injection de buprénorphine dans certaines études [6,8,9] mais pas dans d’autres [10]. Dans l’étude Subgeo, le fractionnement des prises de buprénorphine était associé à l’injection [8]. Dans d’autres travaux, l’impulsivité [9], ainsi que l’injection antérieure d’autres substances que la buprénorphine [7,9] étaient des facteurs de risque d’injection de BHD. Enfin, dans une étude récente, la sévérité de la dépendance, la perception d’un dosage inadéquat de buprénorphine et la présence d’idées suicidaires/tentatives de suicide ont été associées à un risque plus élevé d’injection de buprénorphine [6]. Dans notre étude, la majorité des « injecteurs » de buprénorphine était de sexe masculin (75 %), à rapprocher des 77,2 % d’hommes dans les enquêtes menées en France [7]. Dans l’étude de Roux et al., les hommes représentaient 67 % des injecteurs ; néanmoins, le sexe n’était pas statistiquement associé à l’injection [8]. L’injection de buprénorphine peut être à l’origine d’infections locorégionales ou systémiques, mais aussi d’hépatite ou du « syndrome de Popeye » [11,12]. Les infections cutanées constituent l’une des complications majeures chez les injecteurs de buprénorphine. Plus de la moitié des patients présentent des abcès cutanés, de localisation variée, principalement au niveau des bras et des avant-bras, à proximité du site de l’injection. Pour ce qui est des abcès, il est difficile de les attribuer en totalité à une cause infectieuse. Ils peuvent, en effet, également parfois résulter d’un mécanisme de chimiotoxicité. Les composés du Subutex® (amidon de maïs, stéarate de magnésium) sont pour la plupart insolubles ; ils épaississent la solution en cas de dilution et semblent être dommageables pour le système vasculaire en cas d’injections répétées. Ce sont les injections, en l’absence de précautions d’asepsie, qui sont à l’origine des complications infectieuses que l’on observe chez le patient toxicomane. La substance injectée est rarement directement responsable ; la flore du patient, le liquide de dissolution (eau, salive, jus de citron) ou l’aiguille (utilisée à plusieurs reprises, échangée, humectée avec la salive) sont à l’origine de l’infection [13,14]. L’injection intraveineuse de BHD est ainsi à l’origine d’une grande variété d’infections systémiques, souvent aggravées par le statut immunitaire du patient. L’étude de Chai et al. rapporte qu’en 2005, 14 des 77 patients hospitalisés à l’hôpital universitaire de Singapour pour une complication infectieuse à Staphylococcus aureus sensible à la méthicilline, s’injectaient de la buprénorphine. Ces patients étaient jeunes (moyenne 31,9 ans) et plus souvent des hommes. Dans cette étude, 11 patients avaient D. Grau et al. / La Revue de médecine interne 31 (2010) 188–193 présenté une endocardite infectieuse, associée chez neuf d’entre eux à une embolie pulmonaire septique [15]. Dans une étude similaire à la nôtre, réalisée entre 1998 et 2003, les infections observées après injection de buprénorphine (21 cas) se répartissaient en 62 % d’infections systémiques (neuf endocardites, deux infections ostéoarticulaires, une méningite et une rétinite) et 38 % d’infections locales [14]. Dans notre étude, les endocardites infectieuses étaient également les infections systémiques les plus fréquentes. Une particularité de notre étude est l’observation de quatre cas de spondylodiscite, complication rarement rapportée dans la littérature : un cas de spondylodiscite à Enterobacter cloacae a été décrit après injection intraveineuse de buprénorphine [16]. Selon une étude récente, les pratiques d’injection de la BHD seraient la conséquence de dosages insuffisants de buprénorphine ou de dépendances très sévères aux opiacés, nécessitant alors la mise en place d’une nouvelle stratégie de substitution. Comme la consommation d’héroïne chez les patients traités par Méthadone® , l’injection de BHD devrait être considérée comme une prise en charge thérapeutique inadaptée plutôt que comme un mésusage. Dans les cas de mésusage de buprénorphine, lors d’une prescription de traitement de substitution, une réévaluation de l’efficacité du traitement par une augmentation de la posologie ou un relais vers la prescription de méthadone pourraient être envisagés [6]. La question du repérage des injecteurs de buprénorphine est complexe. Ce repérage repose sur l’interrogatoire, l’examen clinique (recherche de traces cutanées, présence d’un syndrome de Popeye, mais il n’y a pas toujours de stigmate) et par la mise en évidence des facteurs de risque précédemment discutés (impulsivité, fractionnement des doses, antécédents d’injections. . .). La Suboxone® , mélange de buprénorphine et de naloxone, a obtenu une autorisation de mise sur le marché en France mais n’est toujours pas commercialisée. Cette association est supposée présenter un moindre potentiel d’injection, par l’effet antagoniste de la naloxone par voie intraveineuse. Dans les pays dans lesquels cette spécialité est déjà commercialisée, les premières études montrent, que plus de 68 % des sujets injecteurs utilisent par voie intraveineuse la Suboxone® (73 % utilisent la buprénorphine seule) et que 44,9 % l’ont injecté plus d’une fois, malgré une « mauvaise » expérience rapportée chez 80,4 % d’entre eux [17]. La minimisation du risque d’injection pourrait passer par une réévaluation de la situation du patient (indication de la buprénorphine et entrée dans un programme méthadone ; augmentation éventuelle de la posologie prescrite) et des modalités de prises en charge (fréquence des consultations, délivrance quotidienne, contrôle de prise par le pharmacien). Dans notre étude, les endocardites dominent les complications par leur fréquence et leur gravité ; la porte d’entrée cutanée n’est pas toujours retrouvée (lésions anciennes ou inapparentes), si bien que l’échographie cardiaque transthoracique, voire trans-œsophagienne doit être réalisée chez tout patient toxicomane, injecteur, fébrile avec ou sans porte d’entrée cutanée, avec ou sans autres localisations systémiques. 193 Compte tenu de l’ensemble des complications infectieuses rencontrées chez les patients s’injectant la BHD, en particulier les infections cutanées et les endocardites infectieuses, une vigilance accrue paraît de rigueur lors de la présence de symptômes évocateurs, pouvant présager un usage par voie injectable de la BHD, chez des patients venant consulter dans tout type de structure médicale. Conflit d’intérêt Aucun. Références [1] Heel RC, Brogden RN, Speight TM, Avery GS. Buprenorphine: a review of its pharmacological properties and therapeutic efficacy. 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