10 Essais
être résorbé par une naïve déclaration d’un droit à la différence, comme si
ce « droit » n’était pas déjà inhérent à la loi de la vie, c’est-à-dire à la vio-
lence insoluble, c’est-à-dire à l’insurrection contre sa propre aliénation.
Un droit à la différence, qui se contente de répéter sa revendication,
sans se mettre en question et sans travailler sur les lieux actifs et réactifs de
son insurrection, ce droit-là ne constitue pas une transgression. Il en est la
parodie. Parodie d’une vie et d’une mort qui nous auront été prises, à notre
insu, contre tout défi insensé. Alors, survivre sans en mesurer ni en savoir
la portée, c’est là l’irréparable.
Si donc l’Occident habite notre être intime, non point comme une exté-
riorité absolue et dévastatrice, ni comme une maîtrise éternelle, mais bel et
bien comme une différence, un conglomérat de différences à poser en tant
que tel dans toute pensée de la différence et d’où qu’elle vienne ; si donc
l’Occident (ainsi nommé, ainsi situé) n’est pas la réaction à un désarroi
incalculé, alors tout reste à penser : questions silencieuses qui souffrent en
nous.
Tout reste à penser en dialogue avec les pensées et les insurrections les
plus radicales qui ont ébranlé l’Occident et continuent à le faire, selon des
voies elles-mêmes variables. Engageons-nous d’emblée dans ce qui est réa-
lisé devant nous et essayons de le transformer selon une double critique, celle
de cet héritage occidental et celle de notre patrimoine, si théologique, si cha-
rismatique, si patriarcal. Double critique : nous ne croyons qu’à la révélation
du visible, fin de toute théologie céleste et de toute nostalgie mortifiante.
Pensée-autre, celle du non-retour à l’inertie des fondements de notre
être. Maghreb, ici, désigne le nom de cet écart, de ce non-retour au modèle
de sa religion et de sa théologie (si déguisées soient-elles sous des idéolo-
gies révolutionnaires), non-retour qui peut ébranler, en théorie et en prati-
que, les fondements des sociétés maghrébines dans l’élément de leur
constitution encore informulée par la critique qui doit le bouleverser. Cette
pensée-autre est posée face aux grandes questions qui secouent le monde
d’aujourd’hui, là où progresse le déploiement planétaire des sciences, des
techniques et des stratégies.
C’est pourquoi le nom « Arabe » est, ici, d’une part, le nom d’une civi-
lisation qui est achevée dans son élément métaphysique fondateur. « Ache-
vée » ne veut pas dire que cette civilisation est morte en réalité, mais qu’elle
est incapable de se renouveler en tant que pensée, sinon par l’insurrection
d’une pensée-autre, laquelle est dialogue avec les transformations planétai-
res. D’autre part, le nom « Arabe » désigne une guerre de nominations et
d’idéologies qui mettent au jour la pluralité active du monde arabe.
Pluralité et diversité, sur lesquelles nous reviendrons – quant à l’élé-
ment subversif d’une pensée-autre. Car l’unité du monde arabe est chose
du passé, si on la considère du point de vue théocratique de la « Oumma »,
KHATIBI essais.p65 29/10/07, 12:2810