Lire un extrait - Éditions de La Différence

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œuvres de Abdelkébir Khatibi
III
essais
avec un texte de roland barthes
éditions de la différence
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EXERGUE
Khatibi et moi, nous nous intéressons aux mêmes choses : aux images,
aux signes, aux traces, aux lettres, aux marques. Et du même coup, parce
qu’il déplace ces formes, telles que je les vois, parce qu’il m’entraîne loin
de moi, dans son territoire à lui, et cependant comme au bout de moimême, Khatibi m’enseigne quelque chose de nouveau, ébranle mon savoir.
Khatibi est actuel : il contribue à cet éclaircissement qui progresse
aujourd’hui en moi : peu à peu, je me rends compte combien l’entreprise
sémiologique, à laquelle j’ai participé et participe encore, est restée prisonnière des catégories de l’Universel, qui règlent, en Occident, depuis
Aristote, toute méthode. En interrogeant la structure des signes, je postulais innocemment que cette structure démontrait une généralité, confirmait une identité, qui, au fond, en raison du corpus sur lequel j’ai toujours
travaillé, n’était que celle de l’homme culturel de mon propre pays. En un
sens, Khatibi fait la même chose pour son propre compte, il interroge les
signes qui lui manifesteront l’identité de son peuple. Mais ce n’est pas le
même peuple. Mon peuple à moi n’est plus « populaire ». La mise en scène
de son identité – qu’on appelle ses « traditions » – n’est plus qu’un objet
de musée (celui précisément des Traditions Populaires, situé au bord du
bois de Boulogne, non loin d’un ancien jardin zoologique : dans les deux
cas, il s’agit d’une réserve d’« exotisme »). Ce que j’ai à interroger, à quelque niveau de l’échelle sociale que je me place, c’est un Français « culturel », façonné par les vagues successives du rationalisme, de la démocratie, des communications de masse. Ce que Khatibi interroge, c’est un homme
intégralement « populaire », qui ne parle que par ses signes à lui, et qui se
trouve toujours trahi par les autres, qu’il soit parlé (par les folkloristes) ou
tout simplement oublié (par les intellectuels). L’originalité de Khatibi, au
sein de sa propre ethnie, est donc éclatante : sa voix est absolument singu-
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lière, et par là même absolument solitaire. Car ce qu’il propose, paradoxalement, c’est de retrouver en même temps l’identité et la différence :
une identité telle, d’un métal si pur, si incandescent, qu’elle oblige quiconque à la lire comme une différence.
C’est en cela qu’un Occidental (comme moi) peut apprendre quelque
chose de Khatibi. Nous ne pouvons faire ce qu’il fait, car notre soubassement langagier n’est pas le même ; mais nous pouvons prendre de lui
une leçon d’indépendance. Par exemple : nous sommes, certes, conscients
de notre enfermement idéologique, et certains d’entre nous cherchent quelque idée de la différence en interrogeant l’Autre absolu, l’Orient (zen, tao,
bouddhisme) ; mais ce qu’il nous faut apprendre, ce n’est pas à réciter un
modèle (la langue nous en sépare absolument), mais à inventer pour nous
une langue « hétérologique », un « ramassis » de différences, dont le brassage ébranlera un peu la compacité terrible (parce qu’historiquement très
ancienne) de l’ego occidental. C’est pourquoi nous essayons d’être des
« Mélangeurs », empruntant ici et là des bribes d’« ailleurs » (un peu de
zen, un peu de tao, etc.), brouiller cette identité occidentale qui pèse souvent sur nous comme une chape (pas toujours : elle a son prix, son luxe).
Nous ne pouvons, pour cela, nous tourner vers notre « populaire » : nous
n’en avons plus ; mais nous pouvons nous ouvrir à d’autres « populaires », nous pouvons nous « décentrer », comme on dit maintenant. Et c’est
là que les livres de Khatibi nous donnent une suite subtile et forte de signes
tout à la fois irréductibles et expliqués : de quoi nous permettre de saisir
l’autre à partir de notre même.
ROLAND BARTHES
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PENSÉE – AUTRE1
De la décolonisation.
Quelque temps avant sa mort, Franz Fanon avait lancé cet appel : « Allons, camarades, le jeu européen est définitivement terminé, il faut trouver
autre chose. »
Oui, trouver autre chose, se situer selon une pensée-autre, une pensée
peut-être inouïe de la différence. Oui, oui, une telle libération est rigoureusement nécessaire pour toute pensée qui se réclame ainsi de sa volonté, en
un risque qui ne peut qu’être grand, de toutes les manières.
Mais de quel jeu européen s’agit-il ? Ou plutôt, ne faut-il pas postuler
d’abord que cette Europe est encore une question qui ébranle l’intime de
notre être ? Ce constat marque une interrogation, c’est-à-dire un événement
inévitable, qui n’est ni un désastre ni une bénédiction, mais la condition
d’une responsabilité qui reste encore à prendre en charge, au-delà du ressentiment et de la conscience malheureuse.
Cet au-delà n’est pas un don accordé par une volonté simplement révoltée ; il est un travail sur soi, un travail permanent afin de transformer ses
souffrances, ses humiliations et ses dépressions dans la relation à l’autre et
aux autres. Poser le regard sur de telles questions marque une douleur, et je
dirais une douleur sans espoir ni désespoir, sans finalité en soi ; mais, de
bout en bout, une exigence globale que la vie nous impose pour nous abandonner à la même question, la première et la dernière : il n’y a pas de choix.
Élucidons ce point. Quoi qu’il en soit, cet intime de notre être, frappé et
tourmenté par la volonté de puissance dite occidentale, cet intime qui est
halluciné par l’humiliation, la domination brutale et abrutissante, ne peut
1. Extrait de Maghreb pluriel, Paris, Denoël, 1983, p. 9-39.
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être résorbé par une naïve déclaration d’un droit à la différence, comme si
ce « droit » n’était pas déjà inhérent à la loi de la vie, c’est-à-dire à la violence insoluble, c’est-à-dire à l’insurrection contre sa propre aliénation.
Un droit à la différence, qui se contente de répéter sa revendication,
sans se mettre en question et sans travailler sur les lieux actifs et réactifs de
son insurrection, ce droit-là ne constitue pas une transgression. Il en est la
parodie. Parodie d’une vie et d’une mort qui nous auront été prises, à notre
insu, contre tout défi insensé. Alors, survivre sans en mesurer ni en savoir
la portée, c’est là l’irréparable.
Si donc l’Occident habite notre être intime, non point comme une extériorité absolue et dévastatrice, ni comme une maîtrise éternelle, mais bel et
bien comme une différence, un conglomérat de différences à poser en tant
que tel dans toute pensée de la différence et d’où qu’elle vienne ; si donc
l’Occident (ainsi nommé, ainsi situé) n’est pas la réaction à un désarroi
incalculé, alors tout reste à penser : questions silencieuses qui souffrent en
nous.
Tout reste à penser en dialogue avec les pensées et les insurrections les
plus radicales qui ont ébranlé l’Occident et continuent à le faire, selon des
voies elles-mêmes variables. Engageons-nous d’emblée dans ce qui est réalisé devant nous et essayons de le transformer selon une double critique, celle
de cet héritage occidental et celle de notre patrimoine, si théologique, si charismatique, si patriarcal. Double critique : nous ne croyons qu’à la révélation
du visible, fin de toute théologie céleste et de toute nostalgie mortifiante.
Pensée-autre, celle du non-retour à l’inertie des fondements de notre
être. Maghreb, ici, désigne le nom de cet écart, de ce non-retour au modèle
de sa religion et de sa théologie (si déguisées soient-elles sous des idéologies révolutionnaires), non-retour qui peut ébranler, en théorie et en pratique, les fondements des sociétés maghrébines dans l’élément de leur
constitution encore informulée par la critique qui doit le bouleverser. Cette
pensée-autre est posée face aux grandes questions qui secouent le monde
d’aujourd’hui, là où progresse le déploiement planétaire des sciences, des
techniques et des stratégies.
C’est pourquoi le nom « Arabe » est, ici, d’une part, le nom d’une civilisation qui est achevée dans son élément métaphysique fondateur. « Achevée » ne veut pas dire que cette civilisation est morte en réalité, mais qu’elle
est incapable de se renouveler en tant que pensée, sinon par l’insurrection
d’une pensée-autre, laquelle est dialogue avec les transformations planétaires. D’autre part, le nom « Arabe » désigne une guerre de nominations et
d’idéologies qui mettent au jour la pluralité active du monde arabe.
Pluralité et diversité, sur lesquelles nous reviendrons – quant à l’élément subversif d’une pensée-autre. Car l’unité du monde arabe est chose
du passé, si on la considère du point de vue théocratique de la « Oumma »,
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communauté matricielle et idéale des croyants sur terre. Cette unité est
donc, pour nous, du passé, à analyser dans son insistance imaginaire. Et
d’ailleurs, cette prétendue unité tant réclamée englobe non seulement ses
marges spécifiques (berbères, coptes, kurdes... et marge des marges : le
féminin), mais elle couvre aussi la division du monde arabe en pays, en
peuples, en sectes, en classes ; et de division en division, jusqu’à la souffrance de l’individu, déserté par l’espérance de son dieu, à tout jamais invisible. C’est pourquoi je répète que la théocratie, en tant qu’idée de pouvoir
et que pouvoir d’idée, est chose du passé. Et si elle survit, c’est comme
toutes les pensées des morts.
Cette division du monde et de l’être arabes n’est pas prise en charge
radicalement. Elle est vécue comme telle, entre la nostalgie d’une identité
totalisante et d’une différence encore informe, non élaborée, en un mot :
impensée.
Oui, chercher autre chose dans la division de l’être arabe et islamique,
et se dessaisir de l’obsession de l’origine, de l’identité céleste et d’une
morale servile. Autre chose et autrement – selon une pensée plurielle –
dans l’ébranlement de n’importe quel au-delà et quelle que soit la détermination de cet au-delà. L’autre qui ne soit pas être de transcendance, mais
excentricité dissymétrique d’un regard et d’un face-à-face : dans la vie,
dans la mort, sans l’assistance d’aucun dieu.
Cette altérité – ou cette excentricité dissymétrique – est à même d’ébranler la métaphysique d’un monde maintenu encore par l’ordre de la théologie et d’une tyrannie insistante. Non, nous ne voulons pas en être les débris
à la fin de ce siècle, si nous considérons cette fin dans son processus de
dévastation et de survie nue.
Seul le risque d’une pensée plurielle (à plusieurs pôles de civilisation, à
plusieurs langues, à plusieurs élaborations techniques et scientifiques) peut,
me semble-t-il, nous assurer le tournant de ce siècle sur la scène planétaire.
Et il n’y a de choix – pour personne. Transmutation d’un monde sans retour
sur ses fondements entropiques.
L’appel de Fanon, dans sa générosité même, était la réaction des humiliés
durant l’époque coloniale qui ne finit pas de se décoloniser, et sa critique de
l’Occident (dans ses Damnés de la terre, le livre demeuré inachevé juste
avant sa mort) était encore saisie dans le ressentiment et dans un hégélianisme simplifié – à la manière sartrienne. Et nous sommes toujours en train
de nous demander : de quel Occident s’agit-il ? De quel Occident opposé à
nous-mêmes, en nous-mêmes ? Qui, nous-mêmes, dans la décolonisation ?
Mais « nous » qui avons grandi politiquement durant l’émergence du
tiers-monde, nous qui appartenons à cette génération décoloniale, nous ne
sommes plus dupes de ce genre de défi, ni tenaillés par les affres de cette
conscience malheureuse. Nous avions trop cru, durant des siècles, aux ido-
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les et aux dieux, pour encore croire aux hommes. C’est pourquoi nous ne
croyons en rien. Cela veut dire que cette prise de conscience (continuons à
l’appeler ainsi en lui donnant sa vérité désillusionnée, c’est-à-dire affirmative dans ses transformations inachevées), que cette prise de conscience
d’une différence intraitable (voir plus loin) demeure ouverte à toute tentation de l’impensé en nous, et singulièrement à la reproduction de ce que
l’Occident aura élaboré selon sa volonté propre, comme si, prolongeant
cette volonté étrangère, nous étions devenus les esclaves enchaînés et déchaînés en un immense système de répétition.
Nous étions si jeunes par rapport au développement du monde, si imprécis devant la rigueur de la pensée, et peut-être avions-nous abdiqué à
maintes reprises une liberté sans défense, une pensée désarmée (notre seul
lot) et livrée à sa pauvreté réelle.
Lorsque nous parlons de cette génération maghrébine des années 60 et
que nous fixons notre attention sur nos préoccupations politiques de cette
époque, nous nous voyons avec ce recul tiraillés entre le nationalisme tiersmondiste et le marxisme dogmatique à la manière française. Faut-il rappeler
que sur ce plan nous n’avons jamais accepté que le Parti communiste français, avec lequel nous sympathisions alors, fût si lent à comprendre le mouvement de libération algérien ; et à travers cet événement, l’émergence d’une
politique dont le soubassement idéologique lui échappait. Exemple de ce
dogmatisme parmi d’autres ; mais, en dehors du marxisme, aucune théorie
révolutionnaire ne nous paraissait opérante, nationalement et mondialement.
Cette insuffisance critique était plus grave que nous ne croyions, et de
notre côté et de celui de la gauche française. Car le conflit entre l’Europe et
les Arabes, étant millénaire, est devenu avec le temps une machine de la
méconnaissance mutuelle. Pour être mise au jour, cette méconnaissance
exigeait, elle exige une pensée-autre, à l’écart des discours politiques de
l’époque. Qu’avions-nous fait, sinon reproduire une pensée simplifiée de
Marx et, en parallèle, l’idéologie théologique du nationalisme arabe. Or,
ces deux idéologies, et chacune sur son propre terrain, sont tenues par une
tradition métaphysique, morale et intellectuelle, dont l’édifice conceptuel
demande de notre part une élucidation radicale. Nous avons échoué devant
l’exigence de cette tâche. Mais cet échec, qui possède aussi ses forces régénératrices, est à consigner dans une stratégie-autre, laquelle n’avance rien
sans se retourner contre ses fondements. Une stratégie sans système clos,
mais construction d’un jeu du penser et du politique, gagnant du terrain et
silencieusement sur ses défaillances et ses souffrances. Se décoloniser, c’est
cette chance de la pensée.
Certains, parmi nous, se sont écroulés et sont tombés dans la servitude
du jour ; d’autres continuent à maintenir, coûte que coûte, la tâche politique militante, si nécessaire, dans le cadre d’un parti, d’un syndicat ou d’une
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organisation plus ou moins secrète. D’autres sont morts ou continuent de
survivre à la torture infligée. Mais qui, parmi nous – groupes et individus –,
a pris en charge le travail effectivement décolonisateur dans sa portée globale et déconstitutive de l’image que nous nous faisons de notre domination, exogène et endogène ? Nous sommes encore à l’aube de la pensée
mondiale. Mais nous avons grandi dans la souffrance qui appelle sa force
de parole et de révolte. Si je te disais, qui que tu sois, que ce travail a déjà
commencé et que tu ne peux m’entendre que comme survivant, peut-être
écouteras-tu alors la lente et progressive marche de tous les humiliés et de
tous les survivants.
J’appelle tiers-monde cette énergie formidable de survivance en transformation, cette pensée plurielle de la survie qui se doit de vivre dans sa
liberté inouïe, une liberté sans solution finale ; mais qui a jamais dit que la
« fin du monde » se trouve entre les mains de ce système technique et scientifique qui planifie le monde en le soumettant à l’autosuffisance de sa volonté ? Qui a jamais prétendu que de nouvelles civilisations ne sont pas
déjà à l’œuvre et là où tout semble inerte, mort, inconsistant et absurde ?
Laissons tous ces professeurs de l’autosuffisance proclamer la fin des dieux,
celle des hommes et la fin des fins. Abandonnons-les à leur autosuffisance.
Nous avons trop perdu et nous n’avons rien à perdre, même pas le rien.
Telle est l’économie vitale d’une pensée-autre, qui soit un don accordé par
la souffrance qui se saisit de sa terrible liberté.
De la marge.
La pensée du « nous » vers laquelle nous nous tournons, ne se place, ne
se déplace plus dans le cercle de la métaphysique (occidentale), ni selon la
théologie de l’islam, mais à leur marge. Une marge en éveil.
Sur la scène planétaire, nous sommes plus ou moins marginaux, minoritaires et dominés. Sous-développés, disent-ils. C’est cela même notre
chance, l’exigence d’une transgression à déclarer, à soutenir continuellement
contre n’importe quelle autosuffisance. Bien plus, une pensée qui ne s’inspire pas de sa pauvreté est toujours élaborée pour dominer et humilier ; une
pensée qui ne soit pas minoritaire, marginale, fragmentaire et inachevée,
est toujours une pensée de l’ethnocide.
Ceci – et je le dis avec une extrême prudence – n’est pas un appel à une
philosophie du pauvre et à son exaltation, mais appel à une pensée plurielle
qui ne réduise pas les autres (sociétés et individus) à la sphère de son
autosuffisance. Se désapproprier d’une telle réduction est, pour toute pensée, une chance incalculable. Ce geste – immense par ses effets – récuse
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toute pensée qui prend sa scène spécifique pour une scène planétaire, laquelle est partout trouée de marges, d’écarts et de questions silencieuses.
Le « nous » que je nomme est cet ébranlement inédit, impensé, face à
toute tyrannie. La pensée de ce « nous » est cet enchaînement historial qui
tisse l’être et que l’être tisse – à la marge de la métaphysique. Entendons la
métaphysique comme représentation des dieux devenus hommes, représentation de l’idée de dieu incarnée dans celle de l’homme. Et dans la métaphysique, l’homme a toujours été un homme « blanc » et porteur de la
lumière et de ses concepts solaires. Nous ne pouvons mériter notre vie et
notre mort sans endeuillement de la métaphysique. C’est cet endeuillement
qui nous incite à poser autrement la question des traditions refoulées.
Notre propos n’est pas traditionnel parce qu’il se tourne vers ces traditions ; mais il n’est pas suffisamment inactuel (inactuel dans son actualité
même) par rapport aux pensées dominantes d’aujourd’hui pour comprendre, par exemple, le retrait (historique) des Arabes et leur déclin en tant que
civilisation universelle, en tant que « civilisation intermédiate ». S. D. Goit
écrit : « Nous avons nommé cette civilisation intermédiate, parce qu’elle
est intermédiate dans le temps entre l’hellénisme et la Renaissance,
intermédiate par le caractère entre la culture largement séculière de la dernière période romaine et le monde totalement clérical de l’Europe médiévale, intermédiate dans l’espace entre l’Europe et l’Afrique d’une part, l’Inde
et la Chine d’autre part, formant ainsi, pour la première fois dans l’histoire,
un solide lien culturel entre toutes les parties de l’Ancien Monde » (citation
tirée des Essais sur la pensée islamique de M. Arkoun, Paris, 1973).
Cette civilisation a fait une faillite éclatante à partir du XIVe siècle. Que
s’est-il passé ? Il faudra reprendre le dialogue avec la question « intermédiate »
de ce retrait et de ce déclin vers l’Occident. Retrait plus que jamais actif,
dans toute problématique décoloniale. Comment penser précisément ce retrait ? Qu’en est-il de ce retrait dans l’endeuillement de la métaphysique ? Et
ce n’est pas moi qui contredirai Frédéric Nietzsche lorsqu’il déclare : « Le
christianisme nous a privés de la moisson de la culture antique, plus tard il
nous a encore privés de la moisson de la culture islamique. La merveilleuse
culture mauresque de l’Espagne, au fond plus proche de nous, plus éloquente
pour l’esprit et la sensibilité que Rome et la Grèce, on l’a piétinée – je ne dis
pas quels pieds –, pourquoi ? parce qu’elle devait sa naissance à des instincts
d’homme, parce qu’elle disait oui à la vie et le disait avec les raffinements
singuliers et précieux de la vie mauresque... Les croisés, par la suite, ont
combattu quelque chose devant quoi il eût été plus seyant qu’ils se prosternassent dans la poussière – une culture devant laquelle notre XIXe siècle luimême ferait bien de se sentir très indigent, très “tardif”. Évidemment, ils
voulaient faire du butin : l’Orient était riche... Qu’on ne fasse pas de manières. Les croisades – piraterie supérieure, rien de plus » (L’Antéchrist).
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Oui : la théologie, piraterie supérieure. Mais cet enthousiasme et ce
règlement de comptes de Nietzsche doivent être situés dans l’immense combat qu’il menait contre le christianisme et contre toute théologie. Et nous
sommes aussi musulmans par tradition ; ce qui fait changer la position stratégique de notre critique.
Toute lecture ou relecture de notre patrimoine (tourâth), et tout regard
posé sur cette gloire du passé, n’ont de poids décisif pour nous que comme
levier à une double critique.
C’est pourquoi lorsque nous dialoguons avec des pensées occidentales
de la différence (celle de Nietzsche, de Heidegger, et parmi nos contemporains proches, celle de Maurice Blanchot et de Jacques Derrida), nous prenons en compte non seulement leur style de pensée, mais aussi leur stratégie
et leur machinerie de guerre, afin de les mettre au service de notre combat
qui est, forcément, une autre conjuration de l’esprit, exigeant une décolonisation effective, une pensée concrète de la différence.
Du retrait.
– Avant de continuer ce propos, nous voulons marquer notre inquiétude
sur la direction de votre parole. À quelle métaphysique faites-vous allusion
d’une manière si enthousiaste ? À quelle théologie ? Parlez-vous (si nous
acceptons que vous parliez) à partir de votre tradition ? À partir de quel lieu
théorique ? Nous nous demandons si les questions que vous soulevez ne
sont pas en elles-mêmes voilées par la langue que vous êtes en train d’écrire ?
– De tout cela, rien ne m’est donné comme une grâce, même pas ma
tradition. Mais ne nous éloignons pas de votre première objection, que je
fais mienne, si nous visons la même chose. De quelle métaphysique avonsnous l’air de parler ? Il s’agit d’un face-à-face encore impensé : face-à-face
de la métaphysique occidentale (grecque en son fond) et de la métaphysique islamique, comme deux formulations radicales de l’Être, de l’Un et du
Tout. Expliquons-nous : à la source de la parole islamique, jaillit la révélation d’une langue déclarée inimitable (i’jâz) : la langue arabe. Lieu métaphysique par excellence, la langue arabe fait joindre – dans l’esprit du croyant
– le visible à l’invisible, le présent à l’absent, la terre au ciel...
– Aussi le Coran lui ouvre-t-il les portes du paradis...
– Le mystique y trouve ses hallucinations lorsqu’il transit dans ses béatitudes et ses mortifications, extase du Livre devenu dieu, le mot : transfiguration. Or, la hiérarchie du visible et de l’invisible sépare le corps du
croyant de sa vie et de sa mort concrètes et incalculables pour toute théologie et sous toutes ses formes (dialectique, négative, mystique...). Pour vous
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donner une image, disons qu’aucun dieu n’assistera désormais à notre mort,
aucun ange, aucun démon non plus. Notre subversion, nous l’avons développée ailleurs, est de faire descendre le paradis et l’enfer dans une penséeautre, face au seul visible.
– Peut-être, mais restons là où encore la conscience de cet absolu de la
langue inimitable est irriguée par un avènement miraculeux : le Coran.
– Oui, le Coran : simulacre du divin...
– Voilant l’invisibilité d’Allah.
– Le chemin que vous semblez suivre est grec, radicalement grec : la
pensée du divin comme présence de l’Être, comme advenir, etc. Avez-vous
lu Heidegger dans le texte allemand, traduisant – à sa manière – les Grecs ?
Et puis, n’a-t-on pas dit et redit (êtes-vous analphabète ou amnésique ?)
que la philosophie arabe (ainsi que toute philosophie qui porte ce nom) est
grecque par essence...
– Oui, selon une certaine direction de la pensée. Je dirai crûment que,
par exemple, le Dieu d’Aristote est entré dans l’islam avant l’arrivée de
celui-ci. La théologie de l’islam et son épistémè globale étaient précédées
par Aristote qui leur préexiste. Cette théologie de l’islam serait-elle d’abord
une traduction ? La traduction en arabe du monothéisme abrahamique par
l’intermédiaire du syriaque et du grec ? Cette perspective de recherche serait plus exacte selon une dimension historiale.
– On comprendrait mieux pourquoi les Arabes avaient inventé la fameuse Théologie d’Aristote, pour effacer en quelque sorte le paganisme
grec et contourner la pensée grecque par le cercle du monothéisme.
– Rappelez-vous : ces Arabes avaient le don d’inventer de belles histoires.
– La théologie serait-elle une fable divine ?
– Le fait que vous signalez (la Théologie apocryphe d’Aristote) est une
anecdote certes indicative ; mais, voyez-vous, c’est la stase suivante qui me
paraît maintenant exorbitante : l’islam qui est la métaphysique d’un dieu invisible a perdu le regard dans ce face-à-face avec les Grecs. Rappelons que
l’islam voile aussi le visage des femmes, les houris ne pouvant être visibles
ici-bas que dans le paradis mystique, n’est-ce pas ? C’est-à-dire dans une
hallucination du visible ? Ainsi, dans cette hiérarchie du visible et de l’invisible, la femme est située entre Dieu et l’homme ; visible invisible, elle est la
mise en abyme de l’ordre théologique. Qui vous a empêché de travailler dans
ce sens ?
Mais revenons à ce regard perdu et à ce dédoublement de Dieu dans la
philosophie arabe. Notre hypothèse est que les Arabes, en considérant la
question de l’être selon leur langue, ont opéré une double traduction par
l’intermédiaire du syriaque et du grec. Par cette double traduction, s’est renforcée une métaphysique du Texte : d’où la modernité d’un certain savoir
classique quant aux questions du signe, et du signe écrit en particulier. Mais
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ce qui s’est développé avec une force remarquable, ne l’oubliez pas, c’est la
grande mystique islamique en tant qu’unité extatique de Dieu, du Texte et de
l’islam. Nous sommes arrivés là sur un lieu où l’invisible jaillit dans le visible, et où l’absence d’Allah se résorbe en une expérience mortifiante : unité
hypostasiée d’un corps devenu cadavre offert à Dieu, au Texte et à l’Amour.
– Modérons votre exaltation. Vous parlez parfois des Arabes en disant
« ils ». Faites-vous partie d’une autre planète ? Où vivez-vous donc ? Ou
bien avez-vous fabriqué, à la manière de certains orientalistes, une autre
espèce d’Arabes invisibles, perdus à jamais dans le revenir des morts ?...
– Promesse à soi-même : être infiniment arabe par excès...
– Ou par défaut, comme on dit.
– Voire.
– Avez-vous suggéré tout à l’heure que les Arabes sont en train de changer de visage ?
– Dans la mesure où le visage de la pensée, en retrait, se met à regarder
l’autre en lui-même éloigné : la pensée de l’être et du désert, de la passion
mystique, de l’unité d’Allah, du Texte et de l’Amour. Ces thèmes (maintenant refoulés) de la pensée arabe traditionnelle d’aujourd’hui devront être
accueillis dans notre double critique.
– Mais ce retour est revendiqué aussi par des traditionalistes.
– Le traditionalisme a perdu le sens de la tradition, celle que nous visons et qui a dégagé les limites extrêmes de la pensée arabe. L’appel salafiste
(fondamentalisme musulman, dit-on) à une certaine interprétation de la açâla
(originarité) relève d’une doctrine réformiste très douteuse. Ce but doctrinaire est de faire des Arabes un peuple de théologiens politiques, dans un
monde irréversiblement autre.
– Dans des pays où règnent l’humiliation et la pauvreté, vous faites
appel à des revenants. Avec qui dialoguez-vous ?
– Nous défendons la double critique et la différence intraitable dont, si
vous voulez bien, nous parlerons plus loin. Mais nous pouvons faire un
pas, dégager une éclaircie en maintenant notre attention sur l’impensé de
notre passé extrême (dans tous les sens de ce mot). Il n’y a pas de retour en
soi, rien, rien que des transformations critiques, selon notre perspective.
Trois transformations.
Or, le Maghreb, comme horizon de pensée, se dessine selon trois transformations, trois traits majeurs :
– Le traditionalisme. Nous appelons le traditionalisme la métaphysique réduite à la théologie. Théologie désigne ici la pensée de l’Un et de
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l’étant en tant qu’étant premier, cause première, etc. En termes non philosophiques, la théologie est la science impossible de Dieu et de l’origine du
monde.
– Le salafisme. Nous appelons salafisme la métaphysique devenue doctrine. Doctrine désigne ici la morale d’un comportement politique, d’une
pédagogie sociale, et qui serait la réconciliation de la science et de la religion, de la technique et de la théologie.
– Le rationalisme (politique, culturaliste, historiciste, sociologiste...).
Nous appelons rationalisme la métaphysique devenue technique. Technique désigne, ici, la mise en ordre du monde selon une volonté de puissance
inédite, tirant sa force du développement scientifique.
La métaphysique devenue théologie, doctrine, technique : ces trois transformations peuvent être approchées, par exemple, par l’histoire et la sociologie. Ainsi, chez un idéologue marocain (A. Laroui), la distinction entre le
clerc, le politicien et le technophile : « On peut distinguer dans l’idéologie
arabe contemporaine trois manières de saisir le problème essentiel de la
société arabe : l’une le situe dans la religion, l’autre dans l’organisation
politique, la dernière enfin dans l’activité scientifique et technique » (cf.
p. 19 de son Idéologie arabe contemporaine, Maspero, 1967).
De telles distinctions sont certes utiles à l’analyse psycho-idéologique,
mais elles ne touchent que de loin la question globale du monde arabe. Pourquoi ? Entre la religion, la politique et la technique, existent des solidarités
structurelles dont il faut rendre compte lorsqu’on analyse le monde arabe
dans sa globalité. Solidarités qui se mettent nettement en évidence : la métaphysique, la théologie et la morale continuent à la fois à maintenir une force
tout en couvrant les structures des sociétés arabes. Et de toutes les manières,
ces questions sont déjà entamées par la pensée occidentale qui est allée plus
loin dans la critique des idéologies, et dont Laroui ne retient surtout qu’un
certain historicisme et un marxisme dit « objectif ». Avec quel Occident
dialogue-t-il, si l’on suppose qu’il y ait dialogue ? Et de quel lieu théorique
parle-t-il, et fondé à distance entre ce qu’il appelle l’Occident et les Arabes ?
Nous verrons plus loin que ses propositions sont, d’emblée, tautologiques.
Ce qui est mis en jeu aujourd’hui et depuis toujours, ce n’est pas simplement le portrait empiriste d’une certaine « idéologie arabe contemporaine », mais bien le destin historial des Arabes, leur expansion et leur déclin,
le chiasme qui les noue au monde (occidental ou autre), en tant que ce
destin est, depuis l’aube de l’islam, toujours là. L’historique n’est pas
l’historial, l’idéologique est saisi dans la métaphysique, le contemporain
est tourné vers le retour du Même et au-delà de toute métaphysique. La
question des Arabes est encore occultée et une critique radicale reste ouverte.
Dès le début de la philosophie en islam (al Kindi) est présente la métaphysique (ilâhiyyât) comme pensée de l’être et de l’étant, comme pensée
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de la substance, de l’un et du multiple. Cette philosophie – à la trace des
Grecs – « relève » en quelque sorte la théologie spéculative du kalam dont
un des points cruciaux tournait autour de la création ou de la non-création
de la parole divine. Le retrait de cette philosophie (à partir du XIIIe siècle)
demeure impensé : comment en préciser la question, ici et maintenant ?
Aujourd’hui, on déclare si légèrement la mort de la philosophie du divin.
Ne faut-il pas regarder d’abord de près comment l’identité arabe, tant revendiquée de nos jours, continue à être fascinée par la loi sacrale ? Et la
figure du Père symbolique, c’est-à-dire prophétique ?
Cette datation du retrait peut être considérée autrement lorsqu’on se
réfère à une ontologie proprement mystique comme celle de Molla Sadra
Shirazi qui vécut de 1572 à 1640 (voir son Livre des pénétrations métaphysiques, traduit par Henri Corbin, Paris, 1954). Ce qui nous paraît essentiel
à marquer, à travers la question de la renaissance arabe et musulmane moderne, c’est sa relation avec la décadence et dont nous avons deux témoins
exemplaires. Ibn Khaldûn a, le premier, tenté une explication de cette décadence ; et de son côté, al Ghazzali qui, malgré ses angoisses mystiques, a
combattu la philosophie avec les armes de la mystique et la mystique avec
celles de la théologie. Al Ghazzali n’est pas un théologien parmi d’autres :
il a conduit l’épistémè arabe classique jusqu’à ses limites théologiques,
c’est-à-dire qu’il a barré la route à toute rationalité autonome. Il a été, en
quelque sorte, le législateur de la décadence.
Quand nous critiquons les tentatives comme celle de Laroui, ce n’est
pas par souci polémique, mais c’est qu’il nous est possible (d’ailleurs très
aisément) de montrer que cette vérité de l’historicisme n’est qu’un artifice
théologique sous une forme idéologique. Nous le démontrerons à deux reprises, plus loin. Nous parlons du débat dans sa dimension historiale (expansion, retrait, sommet et rupture dans toute question de l’être) ; car du
point de vue historique, le travail de Laroui constitue lui-même un document, le spécimen d’une décadence impensée et qui ne se prend pas en
charge dans son refoulé, c’est-à-dire dans la relation de l’histoire à la métaphysique. Qui peut prétendre aujourd’hui que les techniques et les sciences, ainsi que les idéologies qui les accompagnent, ne relèvent pas encore
de la langue de la métaphysique, ou plutôt de ses langues ? Même pas la
psychanalyse la plus vigilante, et encore moins et sur un autre plan, la science
systémique dont on nous rebat les oreilles. Cette systématique serait, nous
dit-on, cette construction totalisante de tous les systèmes de pensée, à la
manière métaphorique des poupées russes liées entre elles par je ne sais
quelle magie du savant systémique, spéculateur universel et architecte du
monde dans sa globalité scientifique. Qu’est-ce donc qu’un système des
systèmes qui ne soit pas déjà joué par l’unité organique d’une totalité métaphysique ?
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Cette parenthèse est nécessaire pour préciser rapidement la naïveté de
ce genre d’idéologie qui se réclame d’un historicisme détaché de la langue de la métaphysique et de ses notions de vérité et de science. Naïveté
de cette idéologie : par exemple, la philosophie arabe savait, à sa manière, ce que nous apprenons maintenant en Occident. Nous avons oublié
l’alphabet de la question de l’être et de l’étant, de l’identité et de la différence, et nous continuons à bavarder sans pudeur sur la reconquête de
l’identité et sur la renaissance arabe. Renaître à quoi ? Re-naître à la pensée est le destin mémorable des revenants, des morts qui nous parlent et
des vivants qui parlent à notre insu. Quelle amnésie ! Prendre la parole
est la transformation critique de la vie, de la mort et de la survie, alors que
la pensée métaphysique est un système de cruauté qui nous a domestiqués à une morale servile.
Telle est notre position « théorique », soutenue au jour le jour par la
souffrance de l’expérience, par rapport au refoulé sur lequel nous mettons le doigt. En tant que société, nous sommes traditionalistes par oubli
de la tradition, doctrinaires par oubli de la pensée de l’être, et technophiles
par servitude. Qui nous a domestiqués ainsi pour qu’un tel oubli devienne
séculaire ?
Mais l’oubli n’est pas le néant, ni la désertion hors du temps : il est
maintenu par une loi morale active, une intensité théologique féroce. Le
traditionalisme est cette activité, ce labeur acharné du châtiment et de la
contrainte. On n’a pas assez dit que le désir profond du traditionaliste est
de prendre la place de Dieu, éternel et immuable. Pas étonnant qu’il finisse
par s’exiler dans le ciel pur de la spéculation ! Mais en tant que croyant, il
est un survivant. Et il pourra toujours répéter, dans ses angoisses, la parole
du prophète Muhammad selon laquelle l’islam serait venu en exil sur cette
terre et disparaîtrait en étranger. Mais peut-être, au fond de lui-même, ce
croyant attend-il une apocalypse, qui lui ferait voir de ses propres yeux la
fin de ce monde devenu de plus en plus absurde et incompréhensible. Apocalypse now, dirions-nous, dans toute pensée qui se saisit de sa terrible
liberté. C’est pourquoi nous appelons « traditionaliste » la figure attristée
de ce survivant.
Le traditionalisme, avions-nous dit, n’est pas la tradition ; il est son
oubli et en tant qu’oubli, il fixe l’ontologie à ce dogme : primauté d’un
Étant (Dieu) immuable et éternel, invisible et absent. Cependant, cette
volonté dogmatique et mortifère ne peut se dérouler à notre époque que
dans le champ d’un monde en lui-même désenchanté, propice à la conscience malheureuse et au déchirement perpétuel. Le traditionalisme se
nourrit de la haine de la vie. Se dévorant lui-même et de siècle en siècle,
il se renverse dans le monstrueux et la démonie. La théologie est maintenant et de plus en plus une doctrine pervertie du mal et de la cruauté. Et
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n’oublions pas que Dieu rend fou. Ce qui est intéressant pour toute pensée
démoniaque et toute pensée de la folie. C’est pourquoi le traditionaliste se
tourne maintenant vers le mysticisme, c’est-à-dire vers une forme dégradée de la grande mystique islamique, laquelle appartient à une expérience
extatique de l’être, incapable de constituer maintenant le nerf d’une penséeautre. Précisons : lorsque je dialogue avec cette mystique, ce n’est point
par nostalgie du retour, mais par transmutation de son épreuve. Car la
mystique est une torture divine, alors que nous souffrons selon une pensée-autre de toute torture. Et ce qui souffre dans l’être arabe est la survie
de Dieu.
De son côté, le salafisme veut aller au-delà du traditionalisme. Sa
volonté est doctrinaire : réformer la déchéance du monde et sa corruption
(voir par exemple, au Maroc, les études doctrinaires de Allal el Fassi).
Cependant, ni le traditionalisme ni le salafisme ne peuvent se dépasser
par leur propre énergie. Pourquoi ? Parce qu’en s’égarant dans le monde
contemporain, ils ne sont pas capables de se retourner contre leurs fondements théocratiques, ni de faire un saut de la pensée, c’est-à-dire dialoguer avec le dehors (le mal) qui les détériore en les dévastant de l’intérieur.
Ce dehors, ce mal, sont considérés comme les effets de la domination
occidentale et de la perte de la foi. Or, l’altérité est dissymétrie de toute
identité (individuelle, sociale, culturelle) : je suis toujours un autre et cet
autre n’est pas toi, c’est-à-dire un double de mon moi. Qui souffre en moi
sinon cet autre ! Et cet autre est constitutif de ma séparation ontologique,
de ma douleur au monde.
Sur le plan doctrinaire, le salafisme croit cependant adapter la technique (occidentale) à la théologie, par une double économie :
– une économie de moyen : selon lui, la technique serait un instrument
intégrable dans les sociétés islamiques, sans que cette intégration supposée
mette en cause la structure sociale qui soutient le salafisme, et celle du
monde arabe ;
– une économie de fin : la technique est supposée également vidée
des valeurs qui l’instituent. Elle serait donc maîtrisable et dirigeable par
la doctrine salafiste selon ses propres buts, déjà codifiés par la religion.
Évidemment, l’évolution qu’impose de plus en plus la technique est imprenable dans ce projet doctrinaire. Et si, depuis le milieu du XIX e siècle,
le salafisme continue à tourner à vide sans fonder de nouvelles sociétés,
c’est que la théologie, dans son projet régénérateur, doit se dévaster.
Oui, et le rationalisme, tel qu’il est réclamé par les Maghrébins ? Cette
introduction n’est pas une étude globale de toutes les disciplines scientifiques, telles qu’elles sont pratiquées dans ces pays. Le lecteur trouvera ici
même la critique d’autres discours (sociologique, ethnologique, orientaliste)
et de leur application à l’analyse des sociétés maghrébines. Nous continue-
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rons pour le moment à fixer notre attention sur un seul exemple dominant
au Maghreb dans « les sciences humaines », à savoir l’historicisme.
En écrivant son histoire, toute société écrit le temps de son enracinement ; et par ce mouvement, elle projette sur le passé ce qui, dans le présent, demeure celé. Oui, l’histoire est la question de ce celé et la germination
de sa multiple identité. Et s’il y a « histoire » pour nous, elle aura toujours
été : au futur antérieur. Mais écoutons l’autre voix.
« Faisons de l’historicisme généralisé », tel est le mot d’ordre de
Abdellah Laroui. Sans doute, cet historiciste a-t-il le mérite de vouloir
relire la « conscience historique » par rapport à l’idéologie arabe, en particulier maghrébine. Il insiste sur le sens de la continuité, la nécessaire
continuité historique ; il insiste sur la méthode des longues durées, afin
de placer la situation coloniale et notre « retard culturel » (expression qui
lui appartient) dans un champ historique global, et d’introduire dans l’historiographie locale une critique idéologique dessaisie de certains préjugés orientalistes. Laroui dénonce « la dépossession du sujet » par la
recherche faite en période coloniale, ou par le traditionalisme et le
salafisme qui fixent l’histoire des Arabes dans un passé nostalgique du
modèle initial.
Tous ces efforts sont utiles et nécessaires, constituant un premier palier d’analyse décolonisante. Mais la question historiale (celle du sommet et du déclin, celle du futur antérieur de toute histoire) est ramenée à
un historicisme généralisé qui ne menace que sa propre impasse théorique. Pourquoi ? Laroui réduit l’histoire et son concept à une totalité métaphysique, close par la continuité, la rationalité et la vérité de ce que
serait l’histoire, comme si « le sujet de l’histoire » était une raison absolue, transparente, non seulement dans son déroulement, mais aussi dans
la biographie de l’historien ; et comme si, du sujet individuel au sujet
historique, il n’y avait pas une « traduction », traduction du récit de l’inconscient. Ce que je puis raconter, n’est peut-être qu’une transposition
plus ou moins sensée, une association plus ou moins libre de faits, d’événements et idées qui seraient, sans ma biographie, restés muets dans mon
archéologie. Qu’en est-il du sujet historique en dehors du récit de l’inconscient ? L’histoire : une illusion d’optique. Oui, mais illusion d’une
représentation métaphysique, tant qu’elle parlera au nom de la vérité et
de l’objectivité.
Par ailleurs, à vouloir expliquer principalement l’histoire par la continuité, Laroui laisse filer entre les doigts l’autre mouvement, non moins
actif, celui de l’écart, de la discontinuité, du désordre et de la dissymétrie.
Dans la violence de l’être (historique), il y a toujours une perte, un nonretour. Et c’est cette perte, cette monstruosité de l’immémorial qui cachent,
en l’appelant, notre accès à la pensée historiale.
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Expliquons-nous. Laroui tente de dialoguer avec le marxisme, un certain marxisme par-dessous la pensée de Hegel. Mais, dans une de ses
formes les plus rigoureuses (Althusser), le marxisme « répudie » :
– l’historicisme transcendal (celui de la société théocratique) défini
par des absolus (Dieu, Prophétie, Fatalité...) ;
– l’historicisme de la pensée libérale (XVIIIe siècle d’Europe), qui a
remplacé les absolus de la transcendance par des substituts, cette fois
laïcisés, qui sont la Raison, l’Individu, la Liberté... Le sol métaphysique
demeure le même, mais il y a déplacement idéologique, transformation
critique.
Nous ne sommes pas tenus, nous les Arabes, de faire le même cheminement, de parcourir à nouveau les étapes franchies par l’Occident marxiste,
pour son propre compte. D’emblée, il faut partir de ce qui est, de ce qui est
ici et maintenant comme question, comme provocation, défi à la pensée.
Althusser, par exemple, a revendiqué l’histoire, la lutte des classes en tant
que procès sans sujet, ni finalité ; il fait changer du coup la position théorique du marxisme, en dépassant les deux historicismes ici visés. Le travail
de Laroui, précisément, reste enfermé entre les deux, c’est-à-dire qu’il s’agit
d’un historicisme dépassé.
Ce qu’il faut (devoir d’une pensée-autre), c’est élargir notre liberté de
penser, introduire dans tout dialogue plusieurs leviers stratégiques : évacuer par exemple du discours les absolus de la théologie et du théocentrisme
qui enchaînent le temps, l’espace et l’édifice des sociétés maghrébines.
Cela ne suffit pas. Le dialogue avec toute pensée de la différence est monumental. Il vise l’ébranlement de ce qui nous abrutit dans le ressassement et
la reproduction. Une pensée-autre est toujours un complot, une conjuration, une révolte soutenue et un risque implacable. Et nous sommes si démunis devant la puissance du monde. Telle est notre « histoire », qui aura
été frappée au corps.
Ébranler, par une critique vigilante, l’ordre du savoir dominant (d’où
qu’il vienne), c’est introduire la pensée dans la lutte sociale et politique
actuelle. Mais une telle lutte présente a son inactualité oubliée vers laquelle
il convient de cheminer dans l’énergie de l’être historial, en ce monde tenu
par une irrésistible volonté de puissance.
Ce qui ruine cet historicisme de Laroui, c’est sa fidélité à une naïve
interrogation de l’être, puisqu’il parle sans cesse d’identité sans en saisir
l’enjeu philosophique et métaphysique. C’est ainsi que Laroui confond
« l’Autre » avec « autrui » et les « autres », l’anthropologie culturelle avec
la pensée de la différence. D’ailleurs, ses « différentes » propositions sur
l’être arabe tombent d’elles-mêmes : nous n’avons pas besoin d’exagérer
leur naïveté. Dès le premier paragraphe de son premier chapitre sur
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« l’idéologie arabe contemporaine », il écrit ceci « Depuis trois quarts de
siècle, les Arabes se posent une seule et même question : qui est l’autre et
qui est moi ? » (p. 15). Comme si ce n’était pas là la question de l’être
depuis les débuts du langage humain, sans parler de la langue philosophique. Par quel détour « historiciste », Laroui oublie-t-il la question de l’être
et de l’étant, de l’identique et du différent, telle qu’elle est posée dans la
philosophie grecque et la philosophie arabe ? L’idéologie de Laroui est, à
la base, ruinée. Mais, m’objectera-t-on, un historien n’est pas obligé de
se référer à la philosophie. Je ne vois pas quelle histoire peut pratiquer un
historien sinon celle des langages qui traduisent les faits, les événements
et toutes les traces à déchiffrer. Et si ce qu’il semble découvrir n’a plus de
secret pour un philosophe du Ve siècle d’avant l’ère grégorienne, je ne
vois pas en conséquence l’utilité majeure de telles études sur l’identité et
l’idéologie arabes.
De la différence intraitable.
– Vous parlez de la technique d’une manière tendancieuse. Parfois, vous
semblez la réduire à une fatalité démoniaque.
– On l’a maintes fois répété : la technique n’est ni un mal ni un bien.
Elle est, n’est-ce pas, un destin universel de la science ! Aucune société ne
résiste à son expansion : peut-on arrêter le développement du monde ? Partout où l’homme prend pied, la technique est déjà là, comme seconde demeure.
– Ce qui veut dire qu’elle est partout, quelle que soit la société.
– Oui, bien sûr. Prenons le cas du Maroc. Nous importons des machines, nous importons ce qu’on appelle des modèles de développement. Ces
modèles ont une efficacité et une adaptabilité plus ou moins grandes.
– Ils peuvent parfois aider à résorber une certaine misère. Un niveau de
croissance économique peut être atteint selon des planifications plus ou
moins exactes...
– Exactes dans la mesure où le corps de l’homme est lui-même une
réserve de travail calculable : sa qualité de vivre et de survivre, de procréer
et de mourir.
– Que deviennent ces machines et ces modèles importés ?
– Ils créent une image, une représentation dédoublée de leur système
d’origine. Aussi produisent-ils des technocraties locales qui veillent à leur
gestion. Cet effet d’accumulation est, en lui-même, illimité. Nous n’en
voyons pas le terme. Nous importons avec ces machines et ces modèles un
certain rapport de l’homme avec ses semblables, de l’homme avec l’être...
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– Pareille relation ontologique peut-elle être importée ?
– Nous parlerons volontiers d’un simulacre de la technique.
– Que voulez-vous dire ?
– Eh bien, reprenons très rapidement la très grande question heideggerienne
sur la technique comme « métaphysique achevée ». Vous savez combien ce
penseur a été tourmenté par cette question, telle que je l’énonce ici même.
– En quoi ce tourment est-il le nôtre ?
– Nous dirions donc, à la suite mortuaire de Heidegger, que la technique en tant que « métaphysique achevée » et que volonté de puissance est
le déploiement d’une sommation planétaire inédite qui appelle – plus que
jamais – les hommes à l’écoute de l’Être, à une pensée de la différence. Si
nous voulons marquer une spécificité active, nous ne pouvons, pour le
moment, sauter par-dessus cette pensée de la différence, qui n’est pas la
seule, et quel que soit le mouvement critique à lui opposer.
– Et pourtant Heidegger insista trop sur la dévastation du monde, sur le
destin de l’homme devenant une bête de somme et un chiffre manipulé par
les ordinateurs.
– Des indices ne manquent pas, confirmant ce tourment. Regardez autour
de vous ! Regardez en vous ! La poésie est devenue un exercice technique.
Un écrivain « d’avant-garde » a déclaré récemment qu’il désire écrire comme
un ordinateur, et nous avons vu, par ailleurs, de prétendues œuvres artistiques créées par l’ordinateur. Cette expansion de la technique est universelle. C’est pourquoi, et quelle que soit notre position sur ces jeux
mécaniques, la technique n’est pas le mal, mais une question sur le sens de
l’être.
– Oui, si l’on accepte ces propositions sur les relations entre métaphysique et technique. Mais revenons à ce qui nous lie à l’essence de la technique (et il faudrait parler plutôt des techniques). Après tout, la technique est
une volonté de puissance dominatrice et impériale, puisqu’elle est au service des puissances de ses détenteurs. Elle est, en quelque sorte, l’achèvement du Savoir Absolu, tel que Hegel l’a systématisé. Pourrions-nous
infléchir en notre faveur cette formidable volonté de puissance ?
– Notre faveur ? Nous ? Qui nous, en cette question ? Nous dans le
déploiement de la technique ? L’Orient n’est pas un simple mouvement
(dialectique, spéculatif, culturaliste...) vers l’Occident. Ils sont l’un pour
l’autre le commencement et la fin. Et nous essayons d’aller vers une pensée
planétaire et plurielle, cette pensée-autre qui se construit pas à pas et sans
finalité assurée. C’est pourquoi la métaphore hégélienne sur les deux soleils (l’Orient : soleil extérieur, et l’Occident : soleil intérieur de la pensée
universelle) est une métaphore encore saisie par la métaphysique. Et ceci
pour ne prendre qu’un exemple dans le système gigantesque de Hegel, sans
lequel le monde est encore plus incompréhensible.
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– Que veut dire cette métaphore pour votre propos sur la technique et
son simulacre ?
– L’essence de la technique est unique. Et en tant qu’unique, elle est
universelle, quel que soit le mode de son déploiement. L’unique a ses effets
de dissimulation ; de pli, de repli et de différenciation. Nous appelons toute
cette scène le « simulacre de la technique ».
– Ce qui veut dire ?
– L’essence de la technique est dédoublée par rapport au sol métaphysique de l’islam et de ses valeurs. Nous disions tout à l’heure que le Dieu
d’Aristote est entré dans l’islam avant l’apparition de celui-ci. De même
son organon, prélude au destin universel de la technique. C’est pourquoi il
faut fixer notre attention sur le face-à-face de ces deux métaphysiques, dont
l’une efface l’autre. Nous sommes saisis dans cet écart, en un geste encore
inouï. Ce n’est point pour relire infiniment ces traditions que nous parlons
ainsi, mais pour mettre en crise, nous mettre en crise dans l’impensé de ce
qui est notre lot, ou plutôt dans cette exigence de se différencier. La différence n’est pas accordée au premier révolté.
– C’est ce que vous appelez « la différence intraitable ».
– Oui. Et il y a d’autres écarts, d’autres ruptures qui se déchaînent dans
la violence des uns contre les autres. Dans le monde arabe, la mitraillette
est au bout de la théologie comme un sinistre déchaînement de la métaphysique. Vous avez des exemples, partout dans le monde arabe, iranien. La
différence intraitable est un dessaisissement de la métaphysique par une
double critique, un double combat, une double mort.
– Double critique, dites-vous ?
– Critique de ces deux métaphysiques, de leur face-à-face. En fait, il n’y
a pas de choix. Il faudrait penser le Maghreb tel qu’il est, site topographique
entre l’Orient, l’Occident et l’Afrique, et tel qu’il puisse se mondialiser pour
son propre compte. D’une certaine manière, ce mouvement est depuis toujours en marche. Mais ce mouvement historial exige une pensée qui l’accompagnerait. D’une part, il faut écouter le Maghreb résonner dans sa
pluralité (linguistique, culturelle, politique), et d’autre part, seul le dehors
repensé, décentré, subverti, détourné de ses déterminations dominantes,
peut nous éloigner des identités et des différences informulées. Seul le dehors repensé – pour notre compte – est à même de déchirer notre nostalgie
du Père et l’arracher à son sol métaphysique ; ou du moins l’infléchir vers
un tel arrachement, vers une telle différence intraitable qui se prend en
charge dans ses souffrances, ses humiliations, et dirai-je, dans ses problèmes insolubles. Tel est l’autre versant de notre relation à une telle pensée
de la différence ; car, l’originarité (açâla) dont on nous intoxique, est encore un poison de la théologie, qui est une habile, si habile dérobeuse des
esprits enchantés par la croyance.
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– Que veut dire alors « la double mort » ?
– Héraclite l’a énoncé selon sa voix énigmatique : « Immortels mortels, mortels immortels, qui vivent de la mort de ceux-là et meurent de la
vie de ceux-là. » La dignité de l’homme est de mériter sa vie et sa survie
parmi les vivants et sa mort, sa belle mort parmi les morts, m’entendezvous ?
(1981)
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ŒUVRES DE ABDELKÉBIR KHATIBI
I. Romans et récits.
II. Poésie de l’aimance.
Ouvrage publié avec le concours de l’Association des Doukkala.
© Hazan : « Le corps prophétique », « Scénographie liturgique », « Le regard
de l’autre dans l’image de soi » dans Le Corps oriental (2002).
© SNELA La Différence, 30, rue Ramponeau, 75020 Paris, 2008, pour la
présente édition.
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