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traduire en vers, du latin en français, l’aventure de ces enfants d’anciens preux qui se sont mis
en route, contre vents et marées, pour gagner la Terre sainte.
« Ils portaient escarcelles, bourdons et croix sur l’esclavine. Ils arrivèrent à Gènes et
montèrent sur de grandes nefs pour traverser la mer. Et la tempête s’éleva, les deux nefs
périrent, et tous les enfants d’icelles furent engloutis. »
Au coup de foudre de Debussy pour Maeterlinck, correspond celui de Pierné pour Marcel
Schwob. Leurs textes n’exprimaient-ils pas des frémissements candides et des tressaillements
pathétiques ?
Epris d’une légende qui lui mettait les larmes aux yeux, Pierné, vit, pas à pas, l’histoire de ces
héroïques chérubins, si fébrilement retranscrite par Schwob. Gabriel Pierné dirigera lui-même
La Croisade qu’il avait achevée en 1903, jouée d’abord en Hollande avant d’être créée à
Paris, le 18 janvier 1905, aux Concerts Colonne dont le Théâtre du Châtelet abritait les
saisons musicales. 450 exécutants dont 200 voix d’enfants ! Aux chœurs mixtes traditionnels,
répondaient les voix immaculées, ondoyantes, traduisant leur extase, leur espoir, leur effroi.
Le grain vocal, dans son innocente fragilité, apportait une dimension particulière à l’œuvre.
Pas un air qui ne trahisse le plus vibrant trait de psychologie juvénile et qui ne respire l’âme
transparente de l’enfance avec cette ravissante luminosité des petites gorges pudiques
ruisselant sur l’orchestre.
Une Kreutzzug au Kaiser Wilhelm Ring von Metz !
Sa création fut accueillie bras debout ! Son succès se répandit vite au-delà des frontières. La
Croisade fut très fréquemment jouée en Allemagne et même en Amérique. Les critiques
musicaux français s’en étonnaient d’ailleurs. Les Messins annexés en avaient eu vent. Et,
deux ans après sa création parisienne, l’Association Musicale Messine avait négocié pour
qu’elle soit représentée à Metz et avait invité le compositeur en personne qui n’était jamais
revenu dans sa ville natale depuis 37 ans !
A l’époque, les habitants de Metz supportaient de plus en plus mal la domination germanique.
Accueillir dans la ville annexée un des compositeurs français les plus en vue, tenait de
l’audace, voire de la témérité. Et il fallait faire en sorte que cette manifestation musicale ne
soit pas trop criée sur les toits pour ne pas mettre le feu aux poudres des autorités
wilhelmiennes. La date du mardi 30 avril 1907 fut retenue. L’Association Musicale Messine
parvint à s’assurer le concours de 500 artistes dont 200 garçons et fillettes, avec,
nécessairement, l’accord et la collaboration de l’administration occupante.
Toujours est-il que l’émouvant texte de Marcel Schwob sur lequel Pierné avait calqué sa
musique, fut traduit dans la langue tudesque, et que les chanteurs solistes étaient venus de
Berlin, de Cologne et de Mayence. Hiatus ! Lieu du concert ? La Salle des fêtes de l’Hôtel
Terminus (rue Foch), qui avait été rebaptisée du nom de Fest Saal ou encore de Terminus Saal
avec, pour nom propre, der Kaiser Wilhelm Ring.
Le critique du Lorrain de l’époque, décrivit « …ce poème musical dans lequel la poésie et la
musique constituent un ensemble parfait, traduisait, en un langage admirable, le sentiment
mystique qui fait le fond de l’œuvre… » Et il enchaînait : « Ce fut un véritable tour de force,
car il fallait des chœurs aguerris, des solistes de choix, et un orchestre bien stylé pour rendre
tous les effets de cette musique si compliquée, si fortement nuancée et colorés mais
profondément expressive… » Mais, toute belle qu’elle fût, la langue de Goethe était
inappropriée en regard du symbolisme français de Schwob sur lequel Pierné avait coulé sa
musique aux accents fauréens et franckistes.
À la fin, les applaudissements fusèrent et Gabriel Pierné, que les Messins avaient reconnu
dans la salle, fut invité à monter sur scène, ce qu’il fit. Et le chroniqueur d’ajouter : « Le
compositeur dut subir les vivats d’un public composé en grande partie d’indigènes qui, à
travers lui, acclamaient la France absente… »