Hommage à la langouste rouge - IFREMER

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Natura
La langouste rouge
Stantari #6
Hommage à la
langouste rouge
La langouste rouge (Palinurus elephas).
août-octobre 2006
La langouste rouge
par Anthony Pere, Corinne Pelaprat et Pierre Lejeune
Nature
Anthony Pere est doctorant à l’Université
de Corse et à la Stareso
Corinne Pelaprat est chargée
d’étude et Pierre Lejeune
est directeur de la Stareso
Dans le monde, il existe plus d’une cinquantaine d’espèces
de langoustes. Certaines peuvent occuper des territoires très
étendus (la langouste de Cuba est présente de la Floride au
Brésil) alors que d’autres se cantonnent à des zones plus
restreintes, comme le pourtour de petites îles. En Europe, la
langouste rouge est présente en Atlantique (de la Norvège à
la Mauritanie), mais aussi dans l’ouest de la Méditerranée, en
Adriatique et en mer Égée.
De nos jours, les populations de langoustes ont fortement
régressé le long du littoral atlantique et du littoral
méditerranéen. En Corse, grâce à l’abondance des fonds
rocheux et coralligènes* répartis sur 1 000 km de côtes,
la langouste, bien qu’en nette régression aujourd’hui, s’est
longtemps mieux maintenue et notre région reste la principale
région française productrice de langouste rouge. A ligusta est
non seulement une espèce emblématique pour les plongeurs
sous-marins, mais constitue aussi le principal revenu des
pêcheurs professionnels corses. Aujourd’hui, ces derniers,
conscients de la diminution actuelle du stock, ont engagé
une politique volontariste de gestion de cette ressource.
Cependant, les recherches portant sur la biologie et l’écologie
de ce crustacé sont encore peu nombreuses et, pour la
plupart, relativement anciennes. La complexité du cycle de ces
animaux (et notamment la durée exceptionnellement longue
de leur phase larvaire) a découragé plus d’un scientifique et la
langouste rouge reste encore aujourd’hui, en bien des points,
un mystère.
août-octobre 2006
Stantari #6
Cliché G. Antoni
Emblème de la richesse
des eaux corses, on connaît
surtout ce “délicieux
arthropode” pour ses
qualités culinaires. Ontelles masqué les autres ?
En tout état de cause, les
scientifiques ont tardé à se
pencher sur son cas. Et, alors
que la langouste se raréfie – à
cause de l’“amour” que nous
lui portons –, voici un point
sur ce que l’on sait de cet
animal étrange et quelques
raisons supplémentaires de
s’y intéresser…
D
Natura
La langouste rouge
Elle est une grande amatrice
d’échinodermes (ophiures, oursins,
étoiles de mer…) et ses besoins en
calcaire (nécessaire en période de
mue) lui font, à ce moment précis,
préférer les mollusques. Ces derniers
sont broyés grâce à des pièces buccales
très puissantes. En captivité, elle
délaisse le poisson frais pour un menu
composé de moules (décortiquées ou
entières) ou même d’huîtres dont elle
est capable de briser la coquille.
La coloration “traditionnelle” de la langouste rouge est fortement teintée de mauve.
Stantari #6
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Dans sa phase adulte, la langouste rouge,
Palinurus elephas, est communément
rencontrée entre 50 et 100 m de fond
au voisinage des substrats durs (fond
rocheux, divers faciès coralligènes*) ;
elle s’abrite ainsi dans les crevasses
et les anfractuosités. Au printemps il
n’est cependant pas rare de capturer
des gros spécimens “à terre”, c’est-àdire plus près des côtes (dans des fonds
de 30 m). Ces individus présentent
une coloration plus sombre que celle
habituellement rencontrée. De plus,
certains professionnels de la pêche nous
ont rapporté des captures faites au-delà
des 200 m de fond.
La langouste est essentiellement active
la nuit durant laquelle elle quitte son
abri en quête de nourriture. Son régime
alimentaire est varié, en relation avec
la faune et la flore disponible. Elle se
nourrit aussi d’algues, d’éponges, de
bryozoaires, de vers et, plus rarement,
d’autres crustacés et de petits poissons.
août-octobre 2006
Cliché A. Pere
Habitat et alimentation
Ci-dessus : cette langouste en cours de mue et
prise dans le filet d’un pêcheur, ne s’est
pas encore totalement débarrassée
de son ancienne carapace.
La carapace de la langouste constitue
en réalité le squelette de l’animal. Par
opposition à l’“endosquelette” des
vertébrés, les crustacés possèdent un
squelette externe ou “exosquelette”.
Puisque le corps est enfermé dans
une cuticule inextensible, la langouste
est obligée de s’en débarrasser pour
croître ; c’est le phénomène de la mue,
régi par des mécanismes hormonaux.
Ainsi, contrairement à beaucoup
d’autres animaux, le gain en poids et
en taille est discontinu puisqu’il ne
se produit que lors du rejet du vieil
exosquelette. Cependant, entre deux
mues, l’animal subit toute une série de
transformations continues et, pendant
Ci dessous : relation âge/poids chez
Palinurus elephas
Document A. Pere / Infographie Stantari
Cliché S. Mauron
Une vie rythmée par des mues
La langouste rouge
Nature
Crevettes, langoustes, crabes, homards… tous dans dans la même “soupe” ?
La classe des crustacés (littéralement,
animaux qui ont une croûte) fait partie
de l’embranchement des arthropodes
(ou animaux aux pieds articulés) et
se différencie notamment des autres
classes (arachnides, insectes…) par la
présence de deux paires d’antennes.
Les crustacés sont constitués de trois
régions segmentées : le céphalon (tête),
le péréion (thorax), et le pléon (abdomen
ou queue). Dans cette classe, l’ordre
des décapodes (ils ont 10 pattes !) se
distingue par une fusion des segments
céphaliques et thoraciques, formant ainsi
le céphalothorax. On peut, de façon très
simplifié, diviser les décapodes en deux
groupes : les Natantia et les Reptantia.
Document A. Pere / Infographie Stantari
Les Natantia sont les “crevettes” et sont
caractérisés par un abdomen comprimé
latéralement et capables de nager.
Les Reptantia sont benthiques et
possèdent des pattes marcheuses. On
peut distinguer :
- les Astacidés : les homards et
langoustines diffèrent des langoustes
par la présence de pinces sur la
première paire de pattes marcheuses
(1er péréiopode*) ;
- les Anomoures : les galathées et les
pagures (bernard-l’ermite) ont un
abdomen à cuticule molle. Pour se
protéger, ils élisent régulièrement
que la nouvelle cuticule durcit, un nouveau squelette de
remplacement est élaboré.
En Corse, c’est au printemps que la mue est la plus souvent
observée chez l’adulte. Quelques jours avant la mue, la
langouste ne se nourrit plus et se fixe dans un abri. Elle se
gonfle alors par absorption d’eau afin de provoquer, sur sa
face dorsale, une cassure entre le céphalothorax et la queue.
L’animal se dégage ainsi en commençant par extraire son
nouveau céphalothorax. Il semblerait que le changement
de carapace soit rapide et ne dure qu’une quinzaine de
minutes. Pendant la mue, toutes les parties chitineuses* sont
renouvelées, ainsi que certains organes internes tels que la
surface des branchies et une partie du tube digestif. Outre
le gain de poids et de taille, la mue permet, par exemple, de
régénérer les appendices abandonnés sur le champ de bataille
durant les luttes avec les prédateurs. De même, certains
domicile dans
gastéropodes ;
des
coquilles
de
- les Brachyoures : l’abdomen réduit est
replié sous le céphalothorax qui, lui,
est élargi. Ce sont les crabes et les
araignées de mer.
organes nécessaires à la reproduction sont renouvelés,
comme les soies ovigères* chez la femelle. Après la mue, la
langouste qui a revêtu sa nouvelle armure ne parade pas : bien
au contraire, elle reste à l’abri et ne se nourrit plus. En effet,
la nouvelle carapace encore molle laisse l’animal vulnérable
et il doit attendre quelques jours le durcissement complet de
sa protection externe ! La fréquence des mues dans l’année
diminue avec l’âge de l’animal. Chez les petits individus
(70 g), trois mues en moyenne peuvent se produire, alors
que chez les individus plus important (500 g), on n’observe
qu’une seule mue en moyenne par an. Ainsi, le nombre de
mues conditionne la croissance de l’animal : plus la langouste
est grande, plus elle est âgée. Cependant, si les biologistes
marins ont finalement mis en équation le poids et l’âge de
l’animal, le schéma de croissance n’est qu’indicatif. En effet,
puisque les crustacés rejettent régulièrement leur carapace, il
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Stantari #6
- les Palinuridae : ce sont les
langoustes et les cigales de mer, qui
ont un abdomen rectiligne et bien
développé. La différence entre ces
deux organismes vient du fait que
les antennes sont transformées en
palettes chez la cigale ;
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Natura
La langouste rouge
n’est pas possible de déterminer leur âge grâce aux structures
qui, chez d’autres espèces – otolithes* chez les poissons ou
cernes concentriques pour les arbres –, gardent en mémoire
les étapes de la croissance. De plus, et pour la même raison,
il est difficile de retrouver une langouste préalablement
marquée (grâce à une fléchette par exemple) et relâchée dans
son milieu naturel puisqu’elle aura probablement perdu sa
marque à la mue. Ainsi, les relations de croissance établies
pour la langouste rouge en Corse, reposant sur des données
de marquages-recaptures, doivent être prises avec précaution.
Sous cette réserve, une langouste de 500 grammes aura 4-5
ans si c’est un mâle et 5-6 ans si c’est une femelle. Ainsi, si
la longévité précise de la langouste en milieu naturel reste
inconnue, on l’estime à une vingtaine d’année. Ceci est d’autant
plus probable que, chaque année, en Corse, des spécimens de
plus de 3 kg sont capturés.
Mâle ou femelle ?
- les
pléopodes*
des
femelles sont composés
de deux parties, les soies
ovigères qui porteront
les œufs, et une grande
palette. Ceux des mâles sont
uniramés et se présentent
sous la forme de petites
palettes arrondies ;
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Mâle
août-octobre 2006
Principales différences morphologiques entre mâle et femelle
Cliché A. Pere
Stantari #6
- les orifices génitaux
des femelles sont des
pores situés à la base
de la 3e paire de patte
marcheuse.
Chez
les
mâles, les ouvertures
génitales sont à la base
de la 5e paire de pattes
marcheuses, et forment
une protubérance ;
- chez les femelles, les deux
derniers articles de la 5e
paire de pattes marcheuses
forment une petite pince.
Cette dernière n’existe pas
chez les mâles.
Femelle
Cliché A. Pere
La distinction entre mâle
et femelle peut se faire
très facilement par trois
caractères morphologiques
externes :
La langouste rouge
Nature
Les oeufs.
Pendant la période de reproduction, les langoustes
australiennes sont célèbres pour effectuer des migrations en
file indienne sur plusieurs dizaines de kilomètres, rejoignant
ainsi les sites de reproduction. De telles migrations ne sont
pas connues pour la langouste corse, mais les études, il est
vrai, sont rendues difficiles par la profondeur d’habitat de
Palinurus elephas, beaucoup plus importante que celle de sa
cousine de l’hémisphère sud.
En Corse, il semble que ce n’est qu’à partir de la cinquième
année (soit un poids de 450 g) que les femelles pondent pour la
première fois. En Atlantique, la ponte est encore plus tardive
et ne se produit que lors de la sixième année (550 g). Durant
l’été, la femelle attire les mâles en émettant une stridulation
continue. Dès qu’un mâle la touche des antennes, ce crissement
s’interrompt. Il s’en suit une “phase de séduction” pendant
laquelle les antennes des deux partenaires sont en contact
permanent. Puis le mâle retourne sa partenaire et dépose sur
son réceptacle des masses blanchâtres et gélatineuses qui ne
sont autres que les spermatophores, poches contenant les
spermatozoïdes. Après l’accouplement, qui s’effectue donc
sternum contre sternum, le mâle quitte la femelle aussitôt
après avoir déposé sa laitance.
Jusqu’à la ponte, qui a lieu quelques jours plus tard, la femelle
cherche un abri puis reste inactive. Pour pondre, elle replie la
Stantari #6
Document A. Pere / Infographie Stantari
Cliché C. Costa
Accouplement et ponte
août-octobre 2006
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Natura
La langouste rouge
Palinurus mauritanicus : la petite sœur des grands fonds
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espèce qu’on croyait inféodée aux côtes
de Mauritanie.
Ainsi, il existe bien deux espèces de
langoustes dans les eaux corses : la
langouste rouge Palinurus elephas, et la
langouste rose, Palinurus mauritanicus. Si
on trouve des petites différences au niveau
de la morphologie et de la coloration (P.
mauritanicus est plus claire), c’est la
répartition bathymétrique qui permet
d’éviter toute confusion. En effet, la
langouste rose est pêchée beaucoup plus
Cliché M. Agreil
profondément dans les eaux insulaires : à
partir de 350 m. À cause de cette forte profondeur d’habitat,
aucune donnée biologique n’est disponible en Méditerranée et,
aujourd’hui encore, on ne sait toujours pas faire la différence
entre les deux espèces à l’état larvaire.
Ci-dessus : à gauche, Palinurus elephas, la langouste rouge et à
droite, Palinurus mauritanicus, la langouste rose.
Ci-contre : résumé des principales différences morphologiques
entre les deux espèces.
Les beaux yeux de Palinurus elephas.
août-octobre 2006
Cliché E. Volto
Stantari #6
Document A. Pere / Infographie Stantari
Les recherches sur la phase pélagique de la
langouste rouge ont été longues et restent
encore inachevées. Mais la quasi-totalité
de ces études sont parties du postulat
qu’ils n’existait qu’une seule et unique
espèce de langouste sur nos côtes. Or, ce
n’est qu’à partir de 1922 que L. Fage révéla
la présence de Palinurus mauritanicus
en Atlantique et en Méditerranée, une
La langouste rouge
Nature
queue afin de constituer un véritable réceptacle et déchire les
spermatophores grâce aux petites pinces situées à l’extrémité
de sa cinquième paire de pattes. Simultanément, les ovules
qui sortent de son céphalothorax par le biais des orifices
reproducteurs sont ainsi fécondés et s’agglutinent en grappes
sur des soies ovigères situées sous la queue. Après la ponte
et jusqu’à éclosion, les œufs seront nettoyés continuellement
par la femelle grâce au cinquième péréiopode* (ou patte
marcheuse) et oxygénés en permanence par le battement
des pléopodes*. Il n’y a qu’une seule ponte dans l’année et le
nombre d’œufs croît en fonction de la taille de l’animal. Ainsi,
une femelle de 500 g ponds environ 43 000 œufs, alors que
115 000 œufs sont générés pour une femelle d’un kilo.
De la larve à l’adulte
En Méditerranée, l’éclosion des œufs a lieu de janvier à février.
Leur incubation est donc estimée à environ 5 mois dans les
eaux corses, alors qu’elle serait de 7 à 8 mois en Bretagne.
Cette différence dépendrait étroitement des conditions
thermiques régionales, dans le sens ou la température
plus élevée des eaux méditerranéennes favoriserait le
développement de l’embryon dans l’œuf. Une étude récente,
réalisée en aquarium à la Stareso de Calvi, a permis de suivre
l’éclosion des œufs portés par plusieurs femelles œuvées.
Ce processus dure de 9 à 10 jours et plus de 30 000 larves
ont été recensées pour une langouste de 500 g, ce qui induit
une perte d’environ 30 % des œufs durant l’incubation.
Les larves qui sortent des œufs sont transparentes, aplaties
dorso-ventralement. Mesurant de deux à trois millimètres,
elles sont appelées “phyllosomes” (“organisme en forme de
feuille” en grec). Contrairement à l’adulte qui vit sur le fond,
le phyllosome est pélagique* et adapté à la vie en pleine eau.
S’il parvient à se déplacer verticalement, il est un médiocre
nageur sur le plan horizontal et dérive au gré des courants qui
l’entraînent vers le large. Durant ce voyage, il se développe en
effectuant une dizaine de mues pour finalement atteindre une
taille de 2 cm. Puis le phyllosome, qui ne ressemble en rien
à l’adulte, se métamorphose en une miniature de langouste
transparente appelée puerulus (“petit garçon”, en latin). À ce
stade de développement, il est capable de nager et revient alors
vers la côte. La puerulus gagnera ainsi le fond pour muer en
“juvénile”, qui a l’aspect et les mœurs de l’adulte. La durée de
la vie larvaire serait de l’ordre de cinq mois en Méditerranée.
Les taux de survie en mer, de la larve aux juvéniles, restent
inconnus. Malgré les quantités importantes d’individus
pondus pour chaque femelle, on peut penser que l’immense
majorité des phyllosomes feront des mauvaises rencontres,
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Stantari #6
Cliché G. Antoni
Juvénile et porcelaine.
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Natura
La langouste rouge
ou que les puerulus ne retrouveront jamais leur chemin pour
revenir aux côtes. La dernière expérience d’élevage de larves
de Palinurus elephas a été réalisée par une équipe japonaise
en 2001. Ces derniers ont obtenu avec succès des juvéniles à
partir de phyllosomes nourris en aquarium, avec un taux de
survie de 0,08 %…
Stantari #6
S’il apparaît plus simple d’identifier les différentes étapes du
cycle de vie pour une espèce terrestre, il n’en est pas de même
en milieu marin. En effet, l’immense majorité de la faune
marine passe par une forme larvaire pélagique* et l’ensemble
de ces larves fait partie du zooplancton* qui a la particularité
de dériver dans la colonne d’eau. La capture et l’identification
de ces larves sont ainsi rendues plus compliquées. La
langouste n’échappe pas à la règle : les différentes formes
prises par l’animal, de l’œuf à l’adulte, ainsi que le passage
d’une forme à l’autre ont été découvertes progressivement.
Il aura fallu plus d’un siècle pour rassembler les différentes
pièces du puzzle. C’est en 1818 que W. E. Leach étudia
plusieurs spécimens larvaires inconnus capturés en pleine
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Phyllosome. Extrait d’une planche d’Ernst Haeckel, célèbre
dessinateur scientifique de la fin du xixe siècle.
août-octobre 2006
Cliché C. Costa
Le phyllosome, le puerulus, le juvénile
jusqu’à l’adulte : plus d’un siècle de recherches
Mesure du céphalothorax d’une langouste pêchée.
eau dans les mers d’Afrique et des Indes et créa une nouvelle
espèce. Sans le savoir, Leach avait apporté la première pièce
du puzzle : les larves translucides n’étaient autres que des
larves de langoustes. Ce n’est que quarante ans plus tard que
R. Q. Couch et Z. Gerbe eurent la bonne idée d’observer
les phyllosomes de trois millimètres, venant d’éclore d’une
langouste œuvée. Le lien était fait entre la larve et l’adulte et
les confusions liées aux fortes similitudes existant entre les
larves de langoustes et celles des cigales de mer furent vite
éclaircies par la suite.
En 1891, J. T. Cunnigham captura des phyllosomes au
large de Plymouth, au sud de l’Angleterre, à l’aide d’une
moustiquaire. Il posa le problème du passage du phyllosome
pélagique* à la forme adulte benthique*, sachant que les plus
petites langoustes étudiées mesuraient 25 mm. Dès 1881,
Boas avait supposé que ce passage devait s’effectuer par
l’intermédiaire d’une forme nageuse capable de revenir à la
côte, et un certain W. T. Calmann avait créé une nouvelle
espèce, appelée puerulus, dont la forme était proche de
celle de la langouste. E. L. Bouvier, parti en 1913 sur les
traces de son confrère à Plymouth, apporta les principaux
éléments de réponse quant au cycle de vie. Il eut en effet la
chance de capturer non seulement plusieurs phyllosomes de
tailles différentes, mais aussi un phyllosome âgé en cours de
métamorphose en puerulus. Plus tard, en Méditerranée, les
premiers phyllosomes et puerulus furent capturés en 1926 par
R. Santucci, à Messine.
Enfin, si J. T. Cunningham, E. L. Bouvier, et R. Santucci
avaient prévu que le puerulus devait muer en jeune adulte,
les travaux de J. H. Orton et E. Ford en 1933 ont permis de
vérifier cette hypothèse en observant en aquarium un puerulus
se métamorphosant en juvénile. La boucle était alors bouclée
et depuis cette date, peu de travaux ont porté sur la phase
pélagique de Palinurus elephas.
La langouste rouge
Nature
Mieux comprendre pour mieux gérer
La baie de Calvi vue du port de la Stareso.
Si d’autres espèces de langoustes dans le monde ont fait
l’objet de recherches plus poussées, la complexité du cycle de
ces animaux, et notamment la durée importante de la phase
larvaire, constitue un obstacle important pour les biologistes.
Développer les recherches sur le déplacement et la répartition
des larves au large, mais aussi sur les mécanismes de retour
à la côte des puerulus, ou encore sur l’écologie des juvéniles,
permettra une meilleure compréhension des mécanismes de
recrutement*. Quoi qu’il en soit, de nombreuses questions
restent posées aujourd’hui encore et, comme le soulignait
déjà en 1940 R. Legendre : “On ne peut manquer de s’étonner
de l’insuffisance de nos connaissances sur cette espèce banale,
abondante, d’intérêt économique, et sur les difficultés qu’on a eues
4
pour acquérir ce qu’on sait déjà !
Depuis plusieurs années le Comité Régional de Pêches a pris
conscience de la nécessité d’accentuer les efforts de gestion
de la ressource langoustière en Corse. Avec le support de la
Collectivité territoriale de Corse, grâce à une collaboration
étroite de l’ADEC et de l’Office de l’Environnement, le soutien
de la Direction Régionale des Affaires Maritimes de Corse et
de l’Europe, un arrêt temporaire de la pêche à la langouste
en septembre, période ou les femelles sont grainées, a été
décidé et réalisé pendant 3 ans. D’autres actions sont venues
renforcer cet effort : rejet des femelles grainées à l’initiative
du CRPMEM et de l’Office de l’Environnement, réalisation
d’un outil de mesure des langoustes sous la taille de capture,
essais scientifiques d’engins plus sélectif que les filets,
mesures de diversification vers d’autre ressources…
Parallèlement, la Stareso de Calvi (Station de Recherches
Sous-Marines et Océanographiques) a été chargée d’une
étude de suivi des effets de cette réduction de la pêche
qui a permis pour la première fois, à l’issue d’un programme
de travail de 3 années, d’avoir la vision la plus complète
et la plus objective à ce jour de l’activité de pêche
et de la ressource langoustières en Corse. Des études
complémentaires, menées par la Stareso, sur la génétique
des populations (avec l’Université de Corse) et sur le stade
larvaire planctonique des langoustes (avec l’université de
Liège) devraient, lorsqu’elles seront finalisées, améliorer
encore notre connaissance de l’espèce en Corse.
• Campillo A., Amadei J., 1978, “Premières données biologiques sur
la langouste de Corse, Palinurus elephas Fabricius”, Revue des Travaux
de l’Institut des Pêches Maritimes, 42 (4), p. 347-373.
• Coutures E., 2000, thèse, univ. de Nouvelle-Calédonie. http://
pages.univ-nc.nc/~coutures/sommaire.pdf
• Culioli J.-M., 1995), “La pêche professionnelle dans la Réserve
Naturelle des îles Lavezzi (Corse) : efforts et productions” (août 1992juillet 1993), Travaux Scientifiques du PNRC, 52.
• Latrouite D., 1998, “Langouste rouge”, in Les fruits de mer et
plantes marines des pêches françaises, Delachaux et Nieslé, p. 205-207.
• Marin J., 1985, “La langouste rouge : biologie et exploitation”, Pêche
maritime, 64, p. 105-113.
• Miniconi R., 2004, Les fruits de mer des côtes de Corse et du nord de
la Méditerranée : biologie, pêche, gastronomie, Éd. A. Piazzola.
Lexique
> Benthique : se dit d’une espèce en relation constante avec le fond ;
habitat, nourriture, reproduction. Ces espèces peuvent être fixées,
enfouies, posées et aussi très proches des fonds marins.
> Chitine : principale molécule composant l’exosquelette des insectes
et autres arthropodes (crustacés, arachnides, etc.).
> Coralligène : le coralligène est une association d’algues calcaires
(corallinacées) qui forment des blocs. On a longtemps pensé que cette
formation donnait naissance au corail rouge (Corallium rubrum) d’où
son appellation
> Otolithe : concrétion minérale de l’oreille interne qui sert à
l’équilibration.
> Ovigère : qui portent les œufs (voir encadré n° 3)
> Pélagique : se dit d’une espèce qui vit en pleine mer, sans contact
avec le fond ou la côte.
> Péréiopode (ou patte marcheuse) : appendices portés par le
péréion (thorax).
> Pléopodes : appendices portés par le pléon (abdomen).
> Recrutement : c’est la phase définitive de l’arrivée des jeunes au sein
des populations adultes dont ils adoptent les exigences de vie.
> Zooplancton : plancton animal, acteur de base de la production
secondaire.
août-octobre 2006
Stantari #6
Gestion et suivi scientifique
de la pêche langoustière corse
Cliché C. Costa
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