LE VIVANT 1. LE PROBLEME DE LA DEFINITION DU VIVANT. 1.1. 1.2. CRITERES DEFINITOIRES DU VIVANT LE PROBLEME DU FINALISME CLASSIQUE 2. CREATIONNISME ET DARWINISME. 2.1. LA THEORIE DE L’EVOLUTION ET LE SENS COMMUN. 2.2. DARWIN PASSE-T-IL LE TEST DE SCIENTIFICITE DE KARL POPPER AVEC SUCCES ? A. DECRIRE DES EVENEMENTS QUI NE POURRAIENT PAS ETRE CONÇUS SANS CETTE THEORIE. B. UNE BONNE THEORIE DOIT PROSCRIRE, INTERDIRE A CERTAINS FAITS DE SE PRODUIRE. C. ELLE DOIT ETRE REFUTABLE : ELLE DOIT DEFINIR SES LIMITES. D. POUR CE FAIRE ELLE DOIT POUVOIR ETRE TESTEE 2.3. LA CONFUSION EPISTEMOLOGIQUE, LE STATUT DE LA VERITE 1. Le problème de la définition du vivant. Aristote fut probablement le premier penseur à proposer une classification de la nature qui distinguait le vivant du minéral et au cœur du vivant il distinguait deux autres genres, l’animal et le végétal. On peut donc déjà dire ce qui distingue le règne du vivant du règne minéral et ensuite ce qui distingue l’animal du végétal. 1.1. Critères définitoires du vivant La génération, laquelle se décline en deux modes distincts qui sont la nutrition et la reproduction. Les fonctions sensitives et motrices : Tout vivant interagit avec son environnement moyennant une ou plusieurs fonctions sensitives. Ensuite tout vivant est en mouvement. On distingue 3 types de mouvements : Le mouvement qualitatif : l’altération, Le mouvement quantitatif : accroissement ou diminution Le mouvement local : le propre de l’animal. Donc si l’on veut poser une première définition du vivant à partir des travaux d’Aristote nous pouvons dire que le vivant constitue l’ensemble des êtres qui se nourrissent et se reproduisent et qui peuvent se mouvoir par altération, accroissement ou diminution ou bien encore par le lieu. Etudions cette définition : La nutrition et la fonction sensitive sont bien caractéristiques du vivant. Par contre l’accroissement, l’altération ou même le déplacement selon le lieu peuvent également se trouver dans les roches : Une montagne s’accroît mais aussi elle peut diminuer par l’érosion, elle se déplace aussi. Donc ce que l’on peut retenir pour le moment ce sont les fonctions nutritive et reproductive avec, en sus, la fonction sensitive. Dès lors nous pouvons dire que le vivant constitue l’ensemble des êtres qui se nourrissent, qui interagissent avec leur environnement et qui se reproduisent. La génération et la sensation semblent donc être définitoires du vivant. Toutefois pour qu’une définition soit valable il ne faut pas seulement qu’elle donne toutes les caractéristiques propres à l’objet mais il faut encore qu’elle donne sa caractéristique spécifique. Ainsi, par exemple, le rire est bien le propre de l’homme mais il ne définit pas l’homme : on ne dira pas que l’homme est l’animal qui rit pas plus que l’animal qui s’habille. Cela est bien propre à l’homme mais ça ne le définit pas spécifiquement. Dès lors a-t-on spécifiquement défini le vivant quand on a décrit ses caractéristiques propres telles que la génération, la nutrition et la reproduction ? Quand on dit que le rire ou que le fait de se vêtir ou de vivre conformément à certaines lois est le propre de l’homme, on donne là des caractéristiques qui sont toutes déterminées par une seule, la raison. C’est parce que l’homme, en effet, distingue le vrai du faux ou le bien du mal qu’il rit. De même c’est parce qu’il est doué de raison qu’il vit selon des lois qu’il se donne à lui-même et c’est de même parce qu’il se représente sa condition comme n’étant pas celle de la nudité animale qu’il s’habille. Toutes ces caractéristiques peuvent être rapportées à une seule, laquelle est vraiment définitoire de l’homme, selon Aristote, comme « animal doué de raison ». Y a-t-il alors une caractéristique définitoire du vivant qui serait à la nutrition, la reproduction et la génération ce que les lois, le rire et le fait de se vêtir sont à la raison ? Selon Aristote ceci tient dans ce qu’il appelle la cause finale : le vivant est organisé en vertu d’une relation de puissance et d’acte. La chose vivante contient toujours la puissance d’un un acte : le gland est un chêne en puissance, le chêne est l’acte du gland. Cependant le finalisme est un concept problématique parce qu’il présuppose alors que la nature serait comme organisée par une intelligence supérieure. Cf. Dissertation sur la finalité biologique pour approfondir votre compréhension du problème. 1.2. Le problème du finalisme classique Quand on observe le règne du vivant ce qui saute aux yeux c’est son extrême complexité, son organisation. L’exemple le plus souvent cité est celui de l’œil : comment une structure aussi complexe et surtout aussi parfaite par rapport à la fonction qu’elle opère a-t-elle pu apparaître dans la nature ? Faut-il présupposer qu’il y a derrière toute cette complexité un « grand horloger » ou encore un « grand architecte » ? Aristote n’échappera pas à ce paradigme du finalisme qui consiste à penser qu’étant donnée son extrême organisation, le vivant est forcément déterminé par une causalité finale, c'est-à-dire comme préprogrammée par un plan caché de la nature. Et, de fait, ce préjugé demeurera intact jusqu’au XIXème siècle. De nos jours encore l’opinion a bien du mal à s’en séparer et c’est à travers le mythe de la création divine qu’il revient. Cependant la conception d’Aristote a le mérite d’avoir voulu donner une rigueur scientifique que l’on ne retrouvera pas avant des siècles. Aussi l’on peut dire qu’il fut le véritable fondateur des sciences du vivant tant par la classification qu’il proposa que par l’immense somme d’informations qu’il a recueillies par une observation et une dissection du vivant. Certes, il n’utilisait pas les méthodes – et encore moins les outils – de la science du vivant telle que nous la connaissons mais à tout le moins on peut lui reconnaître d’avoir tracé la voie. Cependant sa doctrine va pendant près de mille ans servir de prétexte à justifier la thèse créationniste si bien que la démarche proprement scientifique qu’il avait tracée sera perdue pendant si longtemps que certains de ses ouvrages, notamment son traité sur les Dissections, ont été définitivement perdus. Ce n’est qu’à partir de la renaissance et de l’avènement des sciences expérimentales que l’humanité va de nouveau envisager une approche rigoureuse du vivant. A ce jour nous ne disposons toujours pas de définition rigoureusement scientifique du vivant et celle-ci fait encore débat mais nous disposons en revanche de deux paradigmes théoriques fondamentaux : La théorie de Darwin et la génétique. Dans ce cours je vous proposerai principalement une étude des fondamentaux qui ont permis l’avènement du Darwinisme et, surtout, de la polémique qui subsiste entre le créationnisme et la théorie de la sélection naturelle. Il nous appartiendra, entre autres, de montrer comment cette polémique s’enracine en vérité sur des préjugés provenant de personnes qui d’un côté ne comprennent tout simplement pas la théorie de Darwin et qui, d’un autre côté, ne comprennent pas leur propre méthode et leurs propres préjugés. Ainsi, par exemple, de nombreux « savants » croient qu’il s’agit d’une théorie selon laquelle la sélection naturelle serait aléatoire. Or en vérité il s’agit d’un déterminisme parfaitement structuré et on peut même aller jusqu’à dire que le hasard occupe moins de place en biologie qu’en physique fondamentale. Nous verrons en définitive que cette polémique relève d’une confusion épistémologique et méthodologique qui induit les scientifiques en erreur face à leurs adversaires créationnistes, lesquels ne manquent pas de profiter de cette erreur. 2. Créationnisme et darwinisme. 2.1. La théorie de l’évolution et le sens commun. Il est très difficile de ne pas voir dans le spectacle de la nature le résultat d’une sorte de grand horloger qui serait à l’origine non seulement de la régularité des mouvements des astres mais encore plus de l’organisation infiniment complexe du vivant. Les lois de la nature semblent obéir à une nécessité si forte qu’on imagine mal comment ceci pourrait être le fruit du hasard. De même qui pourrait imaginer que l’œil, avec son infinie complexité et sa perfection fonctionnelle, pourrait également être le résultat du hasard ? Ce serait comme imaginer qu’un Airbus A380 puisse se fabriquer et être parfaitement opérationnel après le passage d’une tempête dans une casse ! L’observateur naïf de la nature ne peut pas s’empêcher de voir dans cette structure infiniment détaillée la preuve de l’existence de Dieu. On peut même dire que ceci constitue le cœur de la justification du christianisme par l’apologétique médiévale dans ce qu’on appelait alors la preuve cosmologique de l’existence de Dieu. Ainsi au 15ème siècle Raymond Sebond dans sa Theologia Naturalis, sive liber creaturerum (Théologie Naturelle, ou livre des créatures) prétendait qu’une science naturelle permettrait d’asseoir la vérité du christianisme qui se révèlerait ainsi au bon sens. Plus récemment encore le Pape Pi XII prononçait en 1951 un discours désormais devenu célèbre et selon lequel la théorie du Big Bang était une preuve supplémentaire de l’existence de Dieu et, plus précisément, du Fiat lux, c'est-à-dire de la création divine de toutes les choses de l’univers et à partir du néant1. Mais le créationnisme trouve bien davantage de grain à moudre dans son opposition au Darwinisme. La théorie Darwinienne est une explication mécanique de l’évolution des espèces. Par mécanisme on entend parler de l’exercice des forces aveugles de la nature, des relations de cause à effet induites par résistance, frottement, attraction et répulsion, relations qui sont propres à la physique et à la chimie. Ainsi le vivant se serait organisé de la même manière que les galets d’une plage qui vont se séparer entre gros et petits galets sous l’effet mécanique de la gravité et du frottement. Un regard non averti croirait qu’ils ont été rangés intentionnellement. Bien entendu cette impression d’ordre établi, d’harmonie et de structure immanente à une nature qui doit forcément avoir un grand architecte est autrement plus puissante lorsqu’on observe le règne du vivant. Mais bien souvent l’on croit ainsi s’opposer au Darwinisme qui est reçu, à tort, comme une théorie qui ferait de l’évolution le résultat de phénomènes aléatoires. La complexité des espèces serait, selon l’opinion reçue, le résultat d’une combinaison aléatoire entre les attributs des individus et leur environnement si bien que, par hasard, certaines mutations permettraient une survie plus longue que d’autres. Cette idée paraît totalement incongrue car il suffit de regarder la structure parfaitement coordonnées des organes d’un corps aussi petit que celui d’une fourmilière ou bien encore de contempler l’extrême organisation de leurs modes de subsistance pour réaliser à quel point le hasard ne peut pas être une explication recevable. 1 S. S. Pie XII, « Les preuves de l’existence de Dieu à la lumière de la science actuelle de la nature », discours prononcé à l’Académie pontificale des sciences le 22 novembre 1951, trad. parue dans La Documentation catholique, no 1110 (16 décembre 1951) Toute la difficulté tient ici dans le fait que ce n’est ni totalement juste, ni totalement faux. D’après Darwin les espèces que nous voyons aujourd’hui sont le résultat d’une sélection qui s’opère sur la capacité de chaque phénotype à survivre (et donc à se reproduire) dans un environnement donné. Ceci relève donc bien d’une relation causale de probabilité qu’un organisme survive ou non selon les mutations dont il est porteur et la structure de son environnement. Mais prétendre que cela relève d’un hasard est une erreur grossière d’interprétation de la théorie de Darwin. Et c’est sur cette erreur et ce manque de formation scientifique que beaucoup de créationnistes pensent pouvoir assoir leur réfutation de la théorie de l’évolution. Richard Dawkins dans l’Horloger Aveugle2 rappelle à son lecteur deux choses : Que l’évolution crée une certaine incrédulité parce qu’elle fait appel à des échelles de temps qui dépassent l’imagination de l’opinion commune qui comprend la notion de probabilité à un niveau extrêmement restreint (celui de son quotidien). Qu’en effet l’évolution ne relève pas du hasard, ce qui n’autorise pas cependant à prétendre qu’elle n’obéit pas aux forces mécaniques de la nature. Vocabulaire : hasard et probabilité. Même si l’évolution s’étend sur des centaines de millions d’années cela ne suffirait pas, par exemple, pour qu’un singe tapant de manière aléatoire sur un clavier parvienne à produire une phrase cohérente. Dawkins propose d’en faire le calcul et le résultat est que pour une phrase aussi simple que « METHINKS IT IS LIKE A WEASEL » on aurait une probabilité de 10-40 , probabilité par laquelle l’âge de l’univers tout entier ne suffirait pas à avoir ne serait-ce qu’une seule chance d’avoir cette phrase. Le test est facilement reproductible sur ordinateur en simulant une frappe aléatoire. Maintenant concevez simplement qu’il faut comparer un simple organisme unicellulaire à la totalité de l’Encyclopedia Britanica (puisqu’une molécule d’ADN pourrait la contenir en entier) et concevez la probabilité que vous auriez d’obtenir cette encyclopédie entièrement rédigée moyennant une typographie totalement aléatoire. L’évolution ne peut donc pas être le simple fruit du hasard. C’est sur la base de cette, si j’ose dire, improbabilité du hasard, que le sens commun se confond lorsqu’il demeure incrédule face à la théorie de l’évolution. Les lois de la nature suffisent aisément à comprendre comment des organismes vivants ont pu émerger. Pour comprendre cela Richard Dawkins ajoute à son expérience typographique une donnée simple : la mort. Toutes les phrases qui n’ont pas de sens sont comme des phrases qui ne peuvent pas vivre, se reproduire. Aussi lorsqu’on ajoute dans le programme cette constante de viabilité il suffira de 43 générations pour retrouver la phrase « METHINKS IT IS LIKE A WEASEL » sans autre intervention sur le programme. Si vous transposez ce calcul de probabilité au vivant il vous suffit de concevoir une seule cellule capable de se reproduire et donc de se diviser pour que ‘’rapidement’’ apparaissent des formes complexes. 2 Richard Dawkins, L’Horloger Aveugle, chez Robert Laffont, p. 58 et suivantes Figure 1 : Voir l’animation suivante : http://www.philonyc.com/biomorphs.mp4 Résultat après accumulation et pression de sélection : La clé d’interprétation de cette théorie tient donc en deux concepts : Pression de sélection et accumulation de petits changements, lesquels sont déterminés par de simples rapports mécaniques qui peuvent être transposés en probabilités. Il ne s’agit donc pas de hasard au sens strict du terme, mais de mutations certes aléatoires qui sont, de fait, déterminées par la capacité de chaque mutation à survivre dans son environnement. 2.2. Darwin passe-t-il le test de scientificité de Karl Popper avec succès ? Rappels des critères de scientificité chez Karl Popper dans Conjecture et réfutation. Pour être scientifique une théorie doit : a. Décrire des événements qui ne pourraient pas être conçus sans cette théorie. La théorie apporte donc quelque chose que le sens commun ne pouvait pas déjà concevoir. Exemple : le mouvement est rectiligne alors que notre expérience commune nous indique que le mouvement est circulaire (les objets retombent quand on les lance, les planètes décrivent un mouvement circulaire). b. Une bonne théorie doit proscrire, interdire à certains faits de se produire. Elle ne se contente donc pas de dire ce qui est possible (tout étant virtuellement possible), elle doit définir précisément ce qui n’est pas possible. Elle définit, autrement dit, des contraintes. c. Elle doit être réfutable : elle doit définir ses limites. Cela veut dire qu’elle doit définir ce qu’elle ignore, ce qu’elle ne peut pas définir sans se tromper ou perdre en précision : Elle doit définir un référentiel dans lequel elle s’applique. d. Pour ce faire elle doit pouvoir être testée Ses expériences doivent pouvoir être reproduites à cette fin : On doit pouvoir chercher à la réfuter. Remarque 1 : l’expérience n’est pas la simple observation de la nature. L’expérience consiste en une modélisation définie par le référentiel de la théorie. Par exemple la gravitation de Newton n’est testable que dans un référentiel galiléen c'est-à-dire inertiel3. Remarque 2 : La loi d’inertie définit le référentiel galiléen, mais celle-ci dépend d’un autre référentiel plus fondamental et il s’agit pour l’essentiel d’une géométrie à trois dimensions. Ainsi la loi d’inertie ne s’applique plus à l’échelle multidimentionnelle Qu’en est-il de la théorie de l’évolution de Darwin ? a. b. c. d. Les événements qu’elle décrit rendent raison de processus impossibles à concevoir sans les notions de pression de sélection et de petites accumulations. Ce critère est donc rempli. Le darwinisme interdit à tout phénomène de se produire de manière strictement aléatoire. L’œil ne peut pas être apparu par hasard, il aura fallu, nécessairement (contrainte) qu’au départ il y ait une première forme de sensibilité à la lumière, même infime, qui conféra un avantage vital à certaines espèces sur d’autres et exerça ainsi une pression de sélection. La théorie de Darwin décrit clairement ses limites : on ne sait pas comment, par exemple, la nature a permis le passage du règne minéral à des structures auto reproductives telles que l’ARN puis l’ADN. On n’a à ce titre que quelques hypothèses, notamment sur la structure et le comportement des cristaux. L’évolution est donc une théorie qui définit son propre référentiel. Elle peut être testée et même modélisée mathématiquement. L’essor de la génétique a rendu cela encore plus aisé. E t les thèses créationnistes, passent-elles ce test ? a. Elles ne décrivent que ce que le sens commun croit déjà spontanément face au spectacle de la nature, face, donc, à l’apparence des choses ; ce sont des thèses qui ne sont pas du tout indispensables pour arriver aux mêmes conclusions. 3 « En physique, un référentiel galiléen, ou inertiel, est un référentiel dans lequel un objet isolé (sur lequel ne s’exerce aucune force ou sur lequel la résultante des forces est nulle) est soit immobile, soit en mouvement de translation rectiligne uniforme. Cela signifie que le principe d’inertie, qui est énoncé dans la première loi de Newton, s’y applique. » (Source : http://www.techno-science.net/?onglet=glossaire&definition=1844). b. Elles ne définissent aucune contrainte ou impossibilité. La conséquence est que tout est vrai en même temps, tout est possible. c. Elles ne définissent aucune limite, car tout est sous le pouvoir absolu de la croyance qui pense ce qu’elle veut, puisque sans contrainte. Le créationniste, comme le croyant en général, a toujours raison. Il n’a pas besoin de distinguer entre hypothèse et connaissance effective, tout étant possible sous la souveraine et insondable volonté de Dieu. d. Evidemment on ne peut jamais tester le créationnisme. On en trouvera toujours des vérifications car dans un référentiel (Dieu) où tout est absolument possible, tout peut tout confirmer. Mais jamais on ne pourra infirmer quoi que ce soit, ce qui est le propre d’une théorie scientifique. En clair : i. le créationnisme est une croyance et pour cette raison il trouvera toujours des vérifications et des adeptes dans l’opinion. Il ne sert à rien de chercher à le réfuter car il n’est pas réfutable et c’est en cela qu’il n’a pas de valeur théorique, scientifique. ii. Le Darwinisme est un savoir, c'est-à-dire qu’il mesure précisément ce qu’il ne sait pas et donc a contrario ce qu’il peut clairement déterminer. De là nous pouvons dégager la question suivante : - Sommes-nous condamnés à scinder la pensée en deux mondes, celui des croyants et celui des savants ? En somme, faut-il mépriser le croyant ? On peut dire que le débat se situe dans une confusion épistémologique concernant la définition de la vérité. 2.3. La confusion épistémologique, le statut de la vérité On peut donner deux définitions de la vérité : a. La définition aristotélicienne : la vérité comme accord du jugement avec les propriétés objectives de la chose étudiée. b. La définition platonicienne ou cartésienne : l’accord du concept avec luimême, c’est le propre des vérités mathématiques, lesquelles sont tautologiques (cf. cours sur la démonstration) : Le cercle est la définition du cercle, le chiffre 1 n’est pas autre chose que lui-même. Tandis que les sciences de la nature procèdent selon la définition b, on est surpris d’entendre de nombreux scientifiques être encore très influencés par la définition a lorsqu’ils s’adressent à l’opinion. En somme, le scientifique n’est scientifique que lorsqu’il est dans son laboratoire et dès qu’il en sort tout se passe comme s’il revenait à des préjugés absolument non-scientifiques. L’ennui c’est que lorsqu’il s’exprime en public il s’exprime selon cette même opinion commune (définition a) de la vérité et non plus vraiment en tant que scientifique. Les cartes sont alors totalement brouillées, ce qui ne laisse pas de donner du grain à moudre au créationnisme. La croyance naturelle de l’esprit se situe dans la définition d’Aristote (définition a) : si ce que je dis correspond à ce que je vois, alors ce que je dis est vrai. C’est la définition sur laquelle se base la croyance naturelle de l’homme face au spectacle de la nature : tout ce que je vois dans la nature m’offre le spectacle d’une parfaite organisation résultant d’une intelligence au moins aussi parfaite. Seulement depuis la révolution Galiléenne cette définition de la vérité est renversée par la seconde : est vrai ce qui correspond au modèle théorique (principalement mathématique) que mon esprit peut concevoir, certes à partir de l’expérience, mais pas selon l’expérience, pas selon ce que je vois tout de suite dans l’expérience. Ainsi le mouvement des planètes, bien que circulaire en apparence, est en vérité déterminé par un principe linéaire, l’inertie. C’est donc à la deuxième conception de la vérité qu’obéissent les sciences de la nature : la loi d’inertie est vraie parce qu’elle correspond exactement au résultat modélisable d’une expérience d’un mouvement auquel on aurait retranché toute autre force autre que l’impulsion de départ. C’est la cohérence du concept avec lui-même, par la modélisation de l’expérience, qui donne à la théorie scientifique toute sa force de vérité ainsi que nous avions pu nous-mêmes le concevoir très clairement lorsque nous avions, en début d’année, reproduit la déduction expérimentale de la loi d’inertie à partir de la simple rotation d’une toupie. Il nous suffisait de quantifier les variations de temps et de distance parcourue par la pointe de la toupie en fonction que l’on diminuait les contraintes pour conclure sur la nécessité qu’en l’absence de toute contrainte la distance parcourue serait nulle et le temps de rotation indéfini. Le problème est que le scientifique oublie à quel point sa progression suit un tel modèle idéaliste. L’idée qu’il laisse véhiculer dans l’opinion est que l’expérience est le critère de la vérité scientifique. Ceci provient de ce qu’il ignore les présupposés de sa propre démarche : il croit que sa théorie est vérifiée par « les faits » tout comme Aristote croyait que la vérité était dans l’adéquation du jugement aux faits. Pourtant, comme on le voit clairement avec les biomorphes de Dawkins, les faits sont construits et modélisés dans un cadre qui les rend adéquats au concept théorique recherché. De même les fossiles sont quelques données relativement rares par rapport à toute la modélisation qu’ils permettent de construire. On ne fait pas l’expérience de l’évolution, pas plus qu’on ne fera jamais l’expérience de la loi d’inertie dans sa pureté ou de la constante gravitationnelle. Ainsi le créationniste qui croit que la vérité c’est ce que je peux voir chaque jour autour de moi dans le spectacle de la nature, croit finalement la même chose que le scientifique lorsqu’il ne questionne pas sa propre démarche ; le fait est que le scientifique n’est scientifique que lorsqu’il est dans son laboratoire. Dès qu’il en sort il retrouve ses opinions naturelles, notamment celle selon laquelle tout ce qu’il découvre relève d’une relation étroite entre le jugement et l’observation. C’est sur cette ambiguïté méthodologique que le créationniste le piège ou plutôt, devrais-je dire, dont il se sert pour persuader une opinion publique qui n’est pas formée à la démarche scientifique et qui entend les scientifiques eux-mêmes dire que le vrai c’est ce que je vois. Evidemment le savant sait qu’il a raison – et il a raison en tant que scientifique – mais le fait est qu’il s’adresse à l’opinion avec les mêmes armes que les créationnistes et non avec les siennes qu’il oublie systématiquement d’expliquer à l’opinion : la science ne dit pas ce qui est, ni ce à quoi l’on devrait tous s’attendre, elle dit ce que l’on est en droit de concevoir rigoureusement et ce sur quoi on ne peut pas se prononcer, elle procède par conjecture et réfutation. La solution à ce problème ne tient donc que dans la formation philosophique des savants qui ne savent pas eux-mêmes expliquer leur propre démarche lorsqu’ils s’adressent à l’opinion. Ce n’est donc pas en débattant sans fin avec les croyances que l’on pourra dépasser ce problème mais en appelant la communauté des savants à reconsidérer sa pédagogie et sa formation philosophique, car seule la réflexion philosophique sur les méthodes scientifiques (=l’épistémologie) leur permettra de répondre aisément aux pseudo-arguments créationnistes en leur rappelant qu’ils ne travaillent pas sur ce qu’ils perçoivent mais sur ce que les règles de l’esprit permettent de concevoir rigoureusement, que ce qu’ils disent est vrai non pas parce que ce serait irréfutable, mais justement parce que c’est réfutable, testable et toujours en travaux, inachevé. Au contraire le croyant a toujours fini de croire ce qu’il croit et il n’a jamais rien d’autre à ajouter à sa croyance. Cependant l’on doit également admettre que cette croyance en l’idée d’un ordre immanent de la nature n’est pas tenace sans raison. Il est même impossible de s’en débarrasser à chaque fois que nous contemplons, par exemple, une simple toile d’araignée ou encore quand on sait comme Bergson que « La Scolie, qui s'attaque à une larve de Cétoine, ne la pique qu'en un point, mais en ce point se trouvent concentrés les ganglions moteurs, et ces ganglions-là seulement, la piqûre de tels autres ganglions pourrait amener la mort et la pourriture, qu'il s'agit d'éviter » Comme nous l’avons vu la théorie de l’évolution ne soumet pas tout cet ordre au hasard, car cela n’aurait aucun sens. Ce serait, comme le dit Dawkins, comme s’attendre à voir la phrase « METHINKS IT IS LIKE A WEASEL » surgisse par enchantement d’une typographie aléatoire. L’ordre naturel est le résultat de mutations qui sont plus ou moins vouées à durer (et donc à se retransmettre aux générations suivantes) sur la base d’un critère très simple à comprendre : l’avantage évolutif qu’elles produisent ou pas, leur viabilité. Plus une mutation est susceptible d’être avantageuse pour l’organisme qui en bénéficie, plus longtemps celui-ci aura de chances de se reproduire et donc de la retransmettre. Ainsi de suite de petites mutations représentant de petits avantages évolutifs vont en augmentant si bien que la nature nous semble infiniment complexe après des centaines de millions d’années d’évolution.