Les ressources en eau et leur gestion en Chine

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ÉOCARREFOUR
Zongxia CAI
Institut de géographie et des
ressources naturelles
Académie des sciences de
Chine, Pékin
RÉSUMÉ
Avec une superficie de
9,6 millions de kilomètres
carrés, la Chine dispose de
ressources en eau
considérables en volume
absolu. Mais, compte tenu
de l’importance de sa
population (environ
1,3 milliard d’habitants), les
disponibilités per capita
s’avèrent très limitées. La
répartition très inégale des
ressources en eau dans
l’espace et le temps, et par
rapport à la population et
aux terres cultivées, pose
actuellement de grands
problèmes pour le
développement durable du
pays. De plus, la pénurie
d’eau dans les villes
chinoises est de plus en plus
marquée, notamment en
Chine du Nord, par exemple
dans la ville de Pékin. Face à
l’insuffisance des ressources
en eau se pose la question
de l’amélioration de leur
gestion, et notamment de la
lutte contre la pollution et le
gaspillage de l’eau en milieu
rural et urbain. Plusieurs
mesures ont été prises : la
réalisation du transfert de
l’eau du sud (bassin du
Yangzi) vers le nord (grande
plaine de Chine du Nord) et
des opérations
d’aménagement destinées à
économiser l’eau agricole,
industrielle et domestique.
MOTS-CLÉS
Yangzi, ressources en eau,
aménagement hydraulique.
ABSTRACT
With an area of 9.6 millions
km2, China disposes of
considerable water
resources in term of
absolute volume. However,
when this is compared with
the considerable size of the
population (1.3 billion
inhabitants), per capita
amounts are extremely
limited. The problem raised
for sustainable
developpement to China is
linked to the very unequal
distribution of water
VOL 79 1/2004
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Les ressources en eau et leur
gestion en Chine
LES RESSOURCES EN EAU ET LEURS
CARACTÉRISTIQUES EN CHINE
Les ressources en eau en Chine
Avec une superficie de 9,6 millions de km2, la
Chine dispose de ressources en eau considérables.
Mais, compte tenu de l’importance de sa
population (environ 1,3 milliard d’habitants), les
disponibilités par habitant s’avèrent très limitées.
On estime que le volume total moyen des eaux de
surface est de l’ordre de 2 711,5 milliards de m3,
tandis que celui des eaux souterraines avoisine
828,8 milliards de mètres cubes (Zhao et Chen,
1999). Une fois déduits les doubles comptes, la
quantité totale des ressources hydriques atteint
environ 2 812,4 milliards de m3, soit 5,8% de celles
du monde. C’est ainsi que la Chine est classée par
ses ressources en eau au 6e rang, après le Brésil, la
Russie, le Canada, les États-Unis et l’Indonésie. La
lame d’eau moyenne contribuant au débit
superficiel est, quant à elle, de l’ordre 284 mm, soit
90% de la moyenne mondiale, ce qui place la
Chine au 7e rang après l’Indonésie, le Japon, le
Brésil, l’Inde, les États-Unis et le Canada. La
richesse de la Chine en ressources hydriques
provient de diverses origines.
En Chine, les cours d’eau sont très nombreux. On
compte plus de 50 000 cours d’eau dont la
superficie du bassin versant dépasse 100 km2,
ainsi que 1 500 dont la superficie du bassin s’étend
sur plus de 1 000 km2. Les huit fleuves les plus
grands du pays sont, par ordre de débit, le Yangzi
(Changjiang), premier fleuve de l’Asie et troisième
fleuve du monde, la rivière des Perles (Zhujiang),
le fleuve Jaune (Huanghe), le Haihe, le Liaohe, le
Songhuajiang et le Yaluzhuanbu.
En Chine, la superficie totale des lacs s’élève à 71 787
km2, pour un volume d’eau stocké de 709 milliards
de mètres cubes. On compte 2 300 grands lacs dont
la superficie unitaire dépasse 1 km2.
Avec une superficie totale de 58 500 km2, les
glaciers chinois représentent l’équivalent d’une
réserve d’eau de 5 100 milliards de m3 (Zhao et
Chen, 1999). La fonte des glaces est assez faible,
seulement 56 milliards de m3 par an au total, soit à
peine 2% du débit total des cours d’eau du pays.
Néanmoins, ces eaux de fonte alimentant les
cours d’eau jouent un rôle majeur pour
l’agriculture irriguée des régions arides et semiarides de la Chine de l’Ouest.
Les précipitations constituent l’origine principale
des ressources en eau en Chine. Leur volume total
moyen est estimé à 6 188,9 milliards de m3/an
(Zhao et Chen, 1999). Toutefois, leur moyenne
annuelle ne dépasse pas 648 mm, au lieu de
834 mm pour la moyenne mondiale. Surtout, leur
répartition très inégale constitue un obstacle
majeur au développement durable du pays.
En valeur relative, la Chine ne dispose que de
2 260 m3 d’eau par personne et par an, soit 1/4 de
la moyenne mondiale. De même, les disponibilités
hydriques par hectare cultivé ne dépassent pas
28 320 m3, soit 80% de la moyenne mondiale. A
titre d’exemple, les ressources en eau du Japon ne
représentent que 20% de celles de la Chine, mais
les quantités disponibles par habitant y sont deux
fois plus élevées. La faiblesse des ressources en
eau par habitant et par ha cultivé constitue un
facteur limitant de taille pour le développement de
la Chine.
Une répartition très inégale des ressources en eau
dans l’espace et le temps
En Chine, les précipitations, qui proviennent
principalement de la mousson de l’océan
Pacifique, diminuent progressivement du littoral
(au sud-est) vers l’intérieur (au nord-ouest du
pays). En matière de précipitation moyenne
annuelle, la Chine se divise en quatre ensembles
climatiques : zone humide, semi-humide, semiaride et aride, qui représentent respectivement
32,4%, 14,7%, 21,9% et 31,0% du territoire. Les
régions arides et semi-arides occupent 52,9% de la
superficie de la Chine, au lieu de 47,1% pour les
régions humides et semi-humides. Concernant les
ressources en eau, la Chine peut être divisée en
cinq zones (fig. 1), en fonction de la quantité des
précipitations et de la hauteur de la lame d’eau
contribuant au débit moyen annuel (Wu, 1998).
Le tableau 1 (Lu, 1999) montre de grandes
variations interrégionales en matière de
ressources en eau par habitant. Les provinces ou
municipalités les mieux pourvues occupent une
vaste superficie et comptent peu d’habitants,
comme aux Tibet, au Qinghai, au Yunnan et au
Xinjiang, qui, toutes, dépassent le seuil des
5 000 m3/hab. Le Tibet dispose même, quant à lui,
de plus de 186 750 m3 d’eau par personne. Les
provinces ou municipalités les moins dotées en
ressources hydriques sont à la fois de petite taille
et très peuplées. C’est le cas notamment de
Shanghai ou Pékin, ainsi que des provinces du
Ningxia, du Hebei et du Shandong, dont les
disponibilités sont inférieures à 400 m3 d’eau/hab.
Pour Tianjin, elles ne dépassent même pas
159 m3.
L’inégale répartition des ressources en eau dans le
temps se manifeste principalement à travers
l’ampleur des variations annuelles et interannuelles des quantités d’eau. Au cours de
l’année, les précipitations et le débit des cours
d’eau se concentrent normalement en été ou en
automne, notamment vers le mi-juillet et au début
août au sud et les mois d’août-septembre au nord.
Pour la plupart des cours d’eau, la crue principale
se produit en été ou à la fin de l’été. Une crue
intervient au printemps : on l’appelle alors la "crue
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Les ressources en eau et leur gestion en Chine
des pêches", car elle correspond à la période de
floraison des pêchers. Sur le littoral du Sud-Est, les
typhons venant du Pacifique occasionnent
également de grandes crues d’automne. La forte
concentration du débit des cours d’eau sur une
courte période, notamment estivale, provoque de
fréquentes inondations, notamment en Chine
méridionale.
Les variations pluviométriques inter-annuelles
jouent également un rôle majeur. Les années
fortement arrosées ou relativement arrosées
peuvent se produire par séries ou ponctuellement.
Ces fortes variations résultent surtout de
l’instabilité des flux de mousson. Elles provoquent
fréquemment des inondations catastrophiques,
comme au cours de l’été 1998 dans le bassin
moyen du Yangzi, où elles ont provoqué la mort
de plus de 3 000 personnes. Il arrive aussi que le
sud de la Chine connaisse simultanément des
inondations, tandis que le Nord est frappé par la
sécheresse.
La superficie affectée par des inondations ou des
sécheresses atteint en moyenne 267 000 km2/an
en Chine. Les régions les plus touchées par les
inondations sont surtout les bassins moyen et
inférieur des sept grands fleuves du pays : Yangzi,
fleuve Jaune, Haihe, Huaihe, Songhuajiang,
Zhujiang et Liaohe. Les bassins moyen et inférieur
du Yangzi et du fleuve Jaune sont les zones les
plus touchées. La surface des zones affectées par
ces phénomènes extrêmes y représente les trois
quarts de celles du pays dans son ensemble.
Les régions les plus touchées par la sécheresse se
concentrent principalement dans la Grande Plaine
de Huang-Huai-Hai (c’est-à-dire la vaste plaine
alluviale des fleuves Jaune, Huaihe et Haihe), le
Plateau du loess, la plaine de Songhuajiang-Liaohe
(ex-Mandchourie), le Nord-Est du Sichuan. À elle
seule, la plaine Huang-Huai-Hai occupe presque
50% de la superficie du pays affectée par des
sécheresses périodiques.
Figure 1 : Carte des ressources en eau de la Chine
ressources en eau, soit 556 m3 d’eau par habitant,
niveau représentant à peine un quart de la
moyenne nationale. C’est pourtant une région
stratégique où se trouvent la mégapole de Pékin,
la capitale, mais aussi Tianjin, grand foyer
industriel et port maritime.
La Chine du Nord possède les 3/5e des terres
cultivées de la Chine, mais ne dispose que de 1/5e
de ses ressources en eau, soit 9 465 m3 d’eau par
hectare. À l’inverse, la Chine du Sud dispose de
2/5e des terres cultivées, mais 4/5e des ressources
en eau, soit 28 695 m3 d’eau par hectare. Parmi les
quinze provinces chinoises où la terre cultivée
manque le plus d’eau (moins de 1 500 m3/ha),
treize provinces se trouvent en Chine du Nord.
L’insuffisance des ressources en eau constitue
donc un frein majeur au développement de
l’économie régionale, notamment pour
l’agriculture et l’élevage en Chine du Nord et du
Nord-Ouest.
La pénurie d’eau dans les villes chinoises
L’inégale répartition des ressources en eau par
rapport à la population et aux terres cultivées
Parmi les 668 villes chinoises, on estime que près
de 300 d’entre elles manquent d’eau ; parmi
celles-ci, 108 se trouvent dans une situation
critique et 164 doivent limiter l’utilisation de l’eau.
La Chine du Nord possède 42,41% de la
population chinoise (483,44 millions de
personnes), mais ne dispose que de 19,84% de ses
ressources en eau (544,93 km3), soit 1 127 m3
d’eau par habitant. En revanche, la Chine du Sud
héberge seulement 57,59% de la population
(656,56 millions de personnes), mais concentre
80,16% des ressources hydriques (2 201,1 km3),
soit, par habitant, environ le triple de la Chine du
Nord avec 3352,5 m3 par habitant (Zhao et Chen,
1999).
Cette insuffisance conduit à une exploitation
excessive de l’eau souterraine en ville.
Actuellement dans l’ensemble du pays, l’eau
souterraine représente un tiers de l’ensemble des
eaux consommées par les villes chinoises. On
compte 310 villes où l’eau souterraine représente
la source principale d’approvisionnement. C’est le
cas notamment en Chine du Nord, où l’eau
souterraine représente la moitié de l’eau utilisée
par l’industrie et un quart de l’eau consommée par
l’agriculture.
La plaine de Huang-Huai-Hai possède 26% de la
population du pays pour seulement 6% de ses
En raison de cette surexploitation des nappes
phréatiques, nombre de villes ont subi des
resources throughout the
territory, compared with
population densities and the
quality of agricultural land.
Moreover, the lack of water
reserves is becoming more
and more severe, especially
in the north of China, and in
cities such as Beijing. Faced
with an important shortage
of water, better
management of resources is
necessary. There is also a
need to reduce water
polution and the wastage of
water in both urban and
rural areas. Several reponses
have been made such as the
transfer of water from the
south (lakes of the Yangtse
floodplain) to the north (the
northern chinese plain), as
well as developpment
schemes aiming at saving
water for rural, industrial
and domestic uses.
KEY WORDS
River Yangtse, water
ressources, river
development.
Remerciements
Cette rec herch e a été
sou tenu e pa r le F onds de
l'Académie des Sciences de
Chine et a obtenu une aide
financière de la Maison des
Sciences de l'Homme à Paris.
Les ressources en eau et leur gestion en Chine VOL 79 1/2004
phénomènes de subsidence du sol. Ainsi, dans la
plaine de Huang-Huai-Hai, une zone de 200 km
autour de la ville de Shijiazhuang (province du
Hebei) connaît un affaissement. La ville de Pékin
elle-même connaît ce phénomène avec un rythme
de subsidence de 10 à 20 mm/an.
Les problèmes de pollution et de gaspillage des
ressources en eau
Face à l’insuffisance des ressources en eau se
pose la question de l’amélioration de la gestion de
l’eau, et notamment de la lutte contre la pollution
et le gaspillage de l’eau en milieu rural ou urbain.
La pollution de l’eau tend à devenir un phénomène généralisé dans les villes et campagnes de
certaines régions fluviales en raison de grands
travaux, de la forte industrialisation dans les
campagnes, de la périurbanisation accélérée et
anarchique. Le gaspillage de l’eau est un
phénomène courant tant en ville que dans les
campagnes du fait d’une politique de gestion
laxiste et de technologies de production encore
souvent trop rudimentaires.
Dans les campagnes, le taux d’utilisation de l’eau
par l’agriculture reste assez faible. Surtout, le
système traditionnel d’irrigation par inondation fait
perdre presque 50% de l’eau utilisée, soit par
infiltration, soit par évaporation. L’introduction de
nouvelles techniques d’irrigation plus économes
de l’eau (notamment l’irrigation par arrosage et
par goutte-à-goutte) a progressé, mais reste
limitée à certaines régions du pays. Dans
l’industrie, le taux de recyclage des eaux utilisées
ne dépasse pas 60% en moyenne, au lieu de 90%
dans les pays développés.
En matière d’utilisation de l’eau domestique, il
existe des gaspillages considérables en raison de
prix très bas. On estime qu’un robinet mal fermé
peut perdre jusqu’à 6 m3 d’eau par mois, tandis
que les pertes en eau de toilettes défectueuses
peuvent atteindre 20 m 3 par mois. Avec une
population d’1,3 milliard d’habitants et des
centaines de millions de foyers, une politique antigaspillage peut produire une économie
considérable de la ressource.
De fait, la Chine dispose d’un très grand potentiel
en matière d’économie d’eau. En appliquant des
principes de bonne gestion et en généralisant des
technologies plus modernes, il est possible de
réduire la consommation d’eau de l’ordre de 10 à
50% dans l’agriculture, de 40 à 90% pour
l’industrie et de 30% chez les ménages.
Le cas de Pékin
Capitale de la Chine, Pékin a fêté ses 850 ans cette
année. Centre politique, historique et touristique
du pays, la ville a connu un développement
considérable depuis un demi-siècle, notamment
37
depuis les années 1980. Elle est passée de
3,7 millions d’habitants en 1958, 8,8 millions
d’habitants en 1978, à plus de 13 millions d’habitants
(pour l’ensemble de la municipalité) en 2002.
Actuellement, le développement accéléré des
périphéries entraîne de nouvelles sources de
consommation hydrique, qu’il s’agisse des nouvelles
zones industrielles de haute technologie, des parcs
de loisirs, des programmes résidentiels de luxe ou
des complexes sportifs liés aux Jeux olympiques
qui seront organisés en 2008. Au total, la
consommation a augmenté en moyenne de 1,54%
entre 1994 et 1995, et de 4,74% entre 1996 et 1997.
Alors que la demande hydrique est en plein essor,
les ressources s’avèrent limitées et insuffisantes :
la région de Pékin ne dispose en moyenne que de
3,6 milliards de m 3 d’eau en moyenne, soit
seulement 300 m3 par personne, ce qui représente
à peine 1/8e de la moyenne nationale, et 1/30e de la
moyenne mondiale. Afin de répondre à cette
demande, les ressources souterraines ont fait
l’objet d’une surexploitation. Ce phénomène s’est
traduit par un abaissement du niveau des nappes,
de -13,2 m en 1996 à -14,8 m en 1997, ce qui
équivaut à une diminution du stock des eaux
souterraines d’environ 768 millions de mètres
cubes en une seule année. On estime ainsi que
Pékin manque de 170 à 330 millions de mètres
cubes par an.
Face à ce déficit, les autorités municipales ont pris
diverses mesures : la création d’un Bureau spécialement chargé de l’économie de l’eau, l’augmentation du taux de recyclage des eaux usées
industrielles, l’introduction de techniques modernes et de nouveaux principes de gestion, comme
par exemple le relèvement des prix de l’eau pour
limiter le gaspillage. Grâce à ces mesures, le
Bureau spécialement chargé de l’économie de
l’eau estime que la municipalité a économisé 1,26
milliard de mètres cubes d’eau en dix ans.
Mais, le gouvernement chinois a surtout décidé
d’accélérer les travaux du transfert des eaux du
Sud vers le Nord (nanshui beidiao), ce qui
représentera un transfert d’eau d’1,3 milliard de
mètres cubes d’eau par an.
LES GRANDS TRAVAUX DU TRANSFERT DES
EAUX DU YANGZI
Face à l’inégale répartition des eaux sur le territoire
chinois, les grands travaux hydrauliques destinés à
rééquilibrer les ressources du pays s’avèrent
indispensables. La fonction des aménagements
hydrauliques varie fortement suivant les secteurs
du territoire chinois : au sud, il s’agit de lutter
contre les inondations, tandis qu’au nord il
convient d’exploiter rationnellement et d’économiser les ressources limitées existantes. En matière
de grands travaux hydrauliques, le propos sera
centré ici non sur le barrage des Trois Gorges,
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VOL 79 1/2004
Les ressources en eau et leur gestion en Chine
Figure 2 : Les trois itinéraires
de nanshui beidiao
abordé dans diverses publications récentes, mais
sur la dérivation d’une partie des eaux du Yangzi
vers le Nord.
Les travaux du nanshui beidiao ont été lancés en
2002 après une longue série d’études de faisabilité
réalisées depuis près de cinquante ans. Le
montant total des travaux est estimé actuellement
à 486 milliards de yuans (1 euro correspond à 9,5
yuans le 10 octobre 2003). L’objectif est de
transférer une partie des eaux du Yangzi vers la
Grande Plaine de Chine du Nord (la Huang-HuaiHai) par trois itinéraires (fig. 2).
L’itinéraire oriental
L’itinéraire oriental traverse un ensemble de
plaines littorales, du bas Yangzi aux bassins
inférieurs des fleuves Jaune, Huai et Hai. Les eaux
seront prélevées à partir de la station de pompage
de Jiangdu, près de la ville de Yangzhou sur les
bords du Yangzi pour se diriger ensuite vers le
Nord jusqu’à Tianjin. Le dispositif représente une
distance de 1 156 km, auquel s’ajoute un embranchement de 701 km vers l’Est jusqu’aux villes de
Yantai et de Weihai, dans la péninsule de la
province du Shandong.
Les travaux de cet itinéraire ont été inaugurés
officiellement le 27 décembre 2002. La première
phase, d’une durée de cinq ans et d’un coût estimé
à 32 milliards de yuans, reliera les bassins
inférieurs du Yangzi et du fleuve Jaune, dans les
provinces du Jiangsu et du Shandong.
Il est prévu d’utiliser le plus possible le Grand
Canal en améliorant son cours et en reliant les
quatre lacs de Hongze, Loma, Nansi et Dongping.
Les travaux de construction, et donc les
investissements, seront réduits. En revanche, cet
aménagement nécessitera une forte consommation d’énergie électrique. En effet, en raison de la
topographie, le niveau des eaux du fleuve Jaune
est supérieur de 40 m à celui du Yangzi : il sera
donc nécessaire de construire 13 stations de
pompage pour surélever les eaux du Yangzi d’un
total de 65 m.
Une fois achevée, cette première section
permettra de transférer 8,8 milliards de mètres
cubes d’eau du Yangzi jusqu’à la rive sud du
fleuve Jaune de manière à irriguer 16 000 km2 de
terres cultivées. Lors d’une seconde étape, un
ouvrage d’art doit traverser le fleuve Jaune par un
tunnel. Plus au nord, l’eau du Yangzi pourra
s’écouler par simple gravité à travers un canal
artificiel. À la fin de cette phase de travaux,
19,2 milliards de mètres cubes d’eau seront
transférés vers le Nord, dont 8 milliards au nord
du fleuve Jaune.
L’une des préoccupations majeures des
responsables du projet tient à la qualité des eaux
du Bas-Yangzi, grand foyer de pollutions urbaines
et industrielles. Pour éviter que le nanshui beidiao
ne devienne wushui beidiao (un transfert des eaux
polluées vers le Nord), trois grands programmes
d’épuration des eaux représentant 369 ouvrages
d’art seront réalisés, pour un coût total de
24 milliards de yuans. Ainsi, sur les 32 milliards de
yuans de la première phase des travaux,
18 milliards concernent la réalisation des canaux
proprement dits (56% du total), tandis que les
14 milliards de yuan restants (43,8%) seront
affectés au traitement des eaux polluées.
L’itinéraire central
Il s’agit du transfert des eaux du bassin moyen du
Yangzi vers la Grande Plaine du Nord jusqu’à
Pékin. Les eaux sont prélevées à partir du
Les ressources en eau et leur gestion en Chine VOL 79 1/2004
réservoir de Danjiangkou sur le fleuve Han,
affluent de rive gauche du Yangzi et situé dans la
province du Hubei, soit une longueur totale de
1 267 km pour le canal principal. Les travaux de la
première phase ont été lancés en même temps
que ceux de l’itinéraire oriental le 27 décembre
2002. Ils consisteront d’abord à relever la hauteur
du barrage existant de Danjiangkou pour la faire
passer de 162 m à 175 m, de manière à ce que le
volume de la retenue d’eau augmente de
17,5 milliards de mètres cubes à 29 milliards. À
partir du barrage de Danjiangkou seront creusés
des canaux artificiels et des tunnels longeant le
piémont oriental des massifs de Funiu et Taihang.
Cet itinéraire doit traverser plus de 200 cours
d’eau, soit par franchissement aérien, soit par
galerie souterraine. Grâce à la pente, les eaux
s’écouleront par simple gravité naturelle vers le
Nord. En outre, les risques de pollution sont
faibles, car le tracé passe à l’écart des zones
urbaines et minières. Néanmoins, le coût des
canaux et des tunnels est bien plus élevé que dans
l’itinéraire oriental. La surélévation du barrage de
Danjiangkou nécessitera également de déplacer et
de réinstaller les populations vivant actuellement
sur les rives de la retenue d’eau existante. La
dernière phase des travaux prévoit de réaliser,
après l’achèvement du barrage des Trois Gorges
en 2009, un prélèvement direct des eaux du
Yangzi. Le volume d’eau alimentant le réservoir de
Danjiangkou et donc, au-delà, la Chine du Nord
sera fortement augmenté.
39
l’environnement du Bas-Yangzi, notamment dans
le delta se trouvera affecté. Ainsi, à l’embouchure,
près de Shanghai, les prélèvements des eaux du
Yangzi favoriseront la remontée des eaux polluées
lors des fortes marées ainsi que l’accélération de la
sédimentation. La population de Shanghai
s’inquiète ainsi d’une dégradation de la qualité des
eaux. De même, la diminution du débit fluvial sur
l’itinéraire central va affecter la navigation et
l’irrigation dans le bassin du fleuve Han. Il est
cependant prévu de creuser un canal d’un débit de
360-540 m3/s entre Jingzhou et Shayang pour
compenser ce déficit.
Les régions de transit seront également touchées.
Sur l’itinéraire oriental, le transfert des eaux va
entraîner une augmentation du niveau des lacs
dans la zone lacustre du Jiangsu traversée par cet
itinéraire. Ce phénomène aura des conséquences
sur la faune aquatique herbivore. L’accroissement
de la profondeur des lacs sera en effet défavorable
aux poissons herbivores à valeur marchande
élevée, mais favorable aux petits poissons
superficiels de moindre valeur.
Sur les itinéraires oriental et surtout central, le
creusement de canaux parfois profonds et
l’extension de l’irrigation vont modifier les nappes
phréatiques, notamment dans les plaines situées
au nord du fleuve Jaune. De même, l’augmentation du volume d’eau destiné à l’irrigation
comporte un sérieux risque d’accélération de la
salinisation secondaire des sols.
L’itinéraire occidental
Il s’agit d’un projet à plus long terme (pas avant
2010) dont les études de faisabilité sont encore en
cours. Il se situe entre les bassins supérieurs du
Yangzi et du fleuve Jaune, et doit traverser des
zones de hautes montagnes. D’une grande
difficulté technique, il comporte un grand intérêt
économique, mais exigera un montant
considérable d’investissements. Potentiellement, il
représente un volume d’eau transférable de
1 0 0 milliards de mètres cubes, qui pourrait
alimenter les parties arides et semi-arides de la
Chine du Nord. À ce titre, il pourrait contribuer de
manière décisive au développement agricole et
industriel du bassin du fleuve Jaune.
Adresse de l'auteur
Académie des Sciences de
Chine
Institut de Géographie
Bat. 917
rue Datun
Beijing 100101
République populaire de Chine
Les travaux du nanshui beidiao sont d’une grande
utilité socio-économique, notamment pour
contribuer à rééquilibrer partiellement la répartition de l'eau entre Chine du Nord et Chine du Sud.
De tels aménagements entraînent néanmoins une
série de problèmes, notamment écologiques.
Pour les régions où l’eau sera prélevée, le transfert
va diminuer le débit du Yangzi, surtout en période
d’étiage. Les effets sur la navigation, l’irrigation ou
la fourniture en électricité seront faibles dans ses
bassins supérieur et moyen. En revanche,
En ce qui concerne les régions de réception des
eaux du Yangzi, cette question des sols salins et
alcalins se posera également de manière générale.
De plus, de coûteux investissements seront
nécessaires pour contrôler la qualité de l’eau du
départ jusqu’à son arrivée. Ce contrôle représente
un enjeu de santé publique dans la mesure où il
s’agit d’éviter la propagation des maladies
endémiques, comme par exemple la schistosomiase qui affecte certaines zones du bassin moyen
du Yangzi, notamment dans la province du Hubei.
En outre, les effets microclimatiques d’un tel
transfert sont encore mal connus. Certains
chercheurs s’interrogent sur les conséquences
d’une année particulièrement sèche sur le Yangzi :
dans ce cas, la qualité des eaux transférées sera-telle assurée ? N’y aura-t-il pas une forte
augmentation des prix de l’eau ?
BIBLIOGRAPHIE
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Chine], Pékin, Shangwu yinshuguan, 333 p.
40
VOL 79 1/2004
Les ressources en eau et leur gestion en Chine
Tableau 1 : Répartition des ressources en eau de la Chine
Catégorie (m3)
LU D. et al., 1999, Zhongguo quyu baogao
[Rapport sur le développement régional de la
Chine], Pékin, Shangwu yinshuguan, 303 p.
LU D. et al., 2000, Zhongguo quyu baogao
[Rapport sur le développement régional de la
Chine], Pékin, Shangwu yinshuguan, 270 p.
Tianjin
Shanghai
Ningxia
159
191
195
200 - 500
Beijing
Hebei
Shandong
Henan
Jiangsu
Shanxi
328
368
385
448
460
468
500 - 1500
Liaoning
Gansu
Anhui
Shaanxi
887
1 124
1 126
1 258
1500 - 2500
Jilin
Hubei
Zhejiang
Heilongjiang
Mongolie-Intérieure
1 505
1 700
2 077
2 097
2 220
2500 - 3500
Hunan
Guangdong
Sichuan
Guizhou
Jiangxi
2 545
2 647
2 767
2 950
3 500
3500 - 4500
Fujian
Guangxi
Hainan
3 611
4 138
4 365
> 4500
Xinjiang
Yunnan
Qinghai
Tibet
5 316
5 566
13 015
186 750
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Provinces ou municipalités
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