C
haque printemps, des vents violents déferlent sur les terres arides
de la Mongolie intĂ©rieure, et dĂ©placent dâouest en est des murs de sable sur
des centaines de kilomÚtres, pour atteindre Pékin, périodiquement plongée
dans un air opaque, dans une nuit diurne et brouillée. Sur le passage de ces
tornades desséchantes ont été plantées des milliers de haies, muraille verte
sans fin mais impuissante Ă enrayer la force du vent et lâavancĂ©e des dunes.
Les Jeux olympiques de PĂ©kin, en 2008, pourraient ĂȘtre interrompus par
ces intempestives tempĂȘtes de sable.
La tendance au réchauffement est plus sensible dans les grandes plaines
de lĆss des rĂ©gions du Nord que dans le sud du pays. DâaprĂšs les scĂ©narios
du Groupe intergouvernemental sur lâĂ©volution du climat (GIEC) pour le
XXI
esiĂšcle, les pluies vont continuer Ă augmenter dans le Sud et Ă diminuer
dans le Nord. La pĂ©nurie dâeau va sâaggraver au point de menacer le dĂ©ve-
loppement Ă©conomique de ces rĂ©gions. Lâagriculture est directement mena-
cĂ©e par cette sĂ©cheresse, qui rĂ©duit dâores et dĂ©jĂ le rendement des rĂ©coltes.
Les glaciers chinois ont rétréci de 21 % au
XX
esiĂšcle. En cas de doublement
du dioxyde de carbone (CO
2
) dans lâatmosphĂšre, la rĂ©partition des princi-
pales récoltes sera affectée. Le potentiel alimentaire du pays diminuera de
10 % en raison du changement de climat et dâĂ©vĂ©nements climatiques
extrĂȘmes (1).
Selon le bilan national des changements climatiques (2), « la tendance
à la montée des océans est en augmentation sur les cÎtes chinoises depuis
les annĂ©es 1950 et celle-ci sâest vĂ©rifiĂ©e de maniĂšre encore plus Ă©vidente au
cours des derniÚres années. Le niveau de la mer augmente de 1,4 à 2,6 mm
par an ». Les scientifiques chinois projettent que la hausse du niveau des
mers sur les cĂŽtes du pays sera comprise entre 31 et 65 cm dâici Ă 2100, ce
qui aggravera lâĂ©rosion et augmentera lâintrusion dâeau salĂ©e dans les
nappes aquifĂšres. La mĂ©galopole de ShanghaĂŻ risque dâĂȘtre affectĂ©e par ces
évolutions préoccupantes.
A mesure que les tempĂ©ratures augmentent dans lâOuest monta-
gneux, les sources des deux principaux fleuves du pays, le Huang He
(fleuve Jaune) et le Yangzi (fleuve Bleu), se tarissent Ă un rythme alar-
mant. Les habitants du district de Qumolai, situé à proximité des sources
du Yangzi, se prĂ©parent Ă acheter de lâeau pour survivre. Depuis 2000,
sur les 136 puits de cette localitĂ©, seuls 8 contiennent encore de lâeau,
laissant 80 % de la population dépendante des camions-citernes. Dans
cette région, 18 riviÚres, autrefois affluentes du Yangzi, ne se reconnais-
sent plus que par leur lit asséché.
Le Huang He connaßt un tarissement plus grave encore. Selon une étude
récente (3), sur les 4 077 lacs du district de Maduo, premiÚre région traver-
sée par le fleuve Jaune, 3000 ont disparu. Quelque 600 foyers, 3 000 per-
sonnes et 119 000 tĂȘtes de bĂ©tail ont Ă©tĂ© privĂ©es dâaccĂšs immĂ©diat Ă lâeau.
Le Huang He et le Yangzi prennent naissance dans le plateau tibétain
du Qinghai, dans lâouest de la Chine, dans une rĂ©gion connue sous le nom
de Sanjiangyuan, qui se traduit par « source des trois fleuves ». Câest Ă©ga-
lement le berceau des sources du MĂ©kong, grand fleuve qui irrigue lâAsie
du Sud-Est. PrĂšs dâun quart de lâeau du Yangzi et la moitiĂ© de celle du
Huang He proviennent de cette zone surnommĂ©e le « chĂąteau dâeau de la
Chine ».
Au cours des derniÚres années, la région du Sanjiangyuan a connu un
réchauffement inhabituel, que les scientifiques imputent au changement
climatique global. Selon Greenpeace, la température moyenne dans cette
région de glaciers a augmenté de 0,88 °C durant les cinquante derniÚres
années (4). Ce réchauffement a déclenché le retrait des glaces et la fonte du
pergĂ©lisol (5), affectĂ© les rĂ©gimes de pluies et accĂ©lĂ©rĂ© les taux dâĂ©vapora-
tion. Dans ce paysage fragilisĂ©, lâintensification des activitĂ©s humaines a
exacerbé les dégradations. La population locale a plus que quadruplé, pas-
sant de 130 000 habitants en 1949 Ă 610 000 en 2003. Le surpĂąturage
répond à la nécessité de nourrir une population en augmentation rapide,
mais dĂ©grade les prairies et rĂ©duit les capacitĂ©s de rĂ©tention dâeau de lâĂ©co-
systĂšme. Exploitations miniĂšres et rĂ©coltes intensives dâherbes rares uti-
lisées par la médecine chinoise achÚvent de perturber celui-ci.
MANIĂRE DE VOIR 85
(1) Cf. Intergovernmental Panel on Climate Change, «Climate change 2001 : Impacts,
adaptation and vulnerability », chapitre 11, www.ipcc.ch
(2) Rapport « The peopleâs Republic of China initial communication on climate change»,
Pékin, octobre 2004.
(3) Greenpeace, « Yellow River at risk », 2005, www.yellowriversource.org
(4) Ibid.
(5) On appelle pergélisol les roches ou les sols dont la température est égale ou inférieure
au point de congélation pendant de longues périodes.
Par AgnĂšs SinaĂŻ
âŒ
Journaliste, coauteure de Sauver la Terre, Fayard, Paris, 2003, et dâune sĂ©rie documentaire,
Terriens amers, paradis perdus, qui sera diffusée sur Arte courant 2006.
Cent mille tonnes de benzÚne déversées
dans un affluent du fleuve Amour
aprĂšs lâexplosion dâune usine,
des paysans qui manifestent contre
la pollution des riviĂšres, des fleuves
qui sâassĂšchent, lâair des grandes villes
devenu irrespirable⊠Lâenvironnement
est désormais une question de survie.
Cela explique que le pouvoir ait manifesté
une volonté de changement lors
de la conférence mondiale sur le climat,
en décembre dernier, à Montréal.
Face au cauchemar
climatique