Avec une bienveillance inhabituelle, la Chine laissera son grand rival en Asie, l’Inde, prendre la deuxième
place au sein de la BAII, à laquelle New Delhi contribuera jusqu’à 8 milliards de dollars. Un geste destiné
à prouver, mieux qu’un long discours, à quel point le projet, certes d’origine chinoise, serait en réalité
multilatéral. La Russie sera le troisième pays contributeur. L’empire du Milieu a su se montrer séducteur
et ouvert.
Il s’agit là d’un changement majeur dans la diplomatie chinoise. La puissance montante a longtemps fait
cavalier seul, jugeant le monde largement hostile à son ascension. En toute logique, la Chine privilégiait
plutôt les échanges bilatéraux, où son poids démographique et économique la place d’emblée en position
de force. C’est ainsi qu’elle a bâti sa relation avec les pays d’Afrique, proposant investissements et
infrastructures en échange de livraisons de ressources naturelles.
Or ce mouvement a été suivi d’un net retour de bâton : Pékin est désormais accusé d’exporter sa main-
d’oeuvre et de recourir à ses propres entreprises publiques sans tenir compte des situations locales. Au
problème d’image s’ajoute une question de rentabilité économique, car nombre de ces projets se révèlent
coûteux pour le pays, à l’heure où il voit sa croissance ralentir.
Cette fois-ci, la Chine compte bien travailler avec les autres et étudier les projets au regard de leur
rentabilité. "C’est l’un des principaux intérêts de ce projet, estime un diplomate français. Compte tenu de
son poids, la Chine se voit obligée, par moments, d’oublier ses objectifs pour se fondre dans le jeu
international. Elle ne veut plus risquer d’apparaître comme un passager clandestin." Signe des temps, la
Corée du Nord n’a pas été invitée à rejoindre le club : le régime totalitaire de Pyongyang est incapable de
respecter la moindre transparence économique.
L’homme chargé par le gouvernement de mener le projet, Jin Liqun, a su trouver les mots pour séduire
jusqu’aux Britanniques, conduisant l’administration Obama à s’inquiéter de l’"attitude systématiquement
conciliante" dont Londres ferait preuve envers Pékin. L’envoyé spécial de Pékin n’a pas caché que les
premiers Etats signataires seraient sans doute les mieux placés pour obtenir un siège au futur conseil
d’administration. Mais d’autres facteurs ont joué : "Objectivement, le projet n’est pas mal", reconnaît le
diplomate déjà cité.
Propre contre la corruption et verte pour l’économie
Surtout, les institutions existantes semblent mal adaptées aux besoins immenses de l’Asie. Comme la
Chine se plaît à le rappeler, un rapport publié voilà cinq ans par la Banque asiatique de développement
estime que 8000 milliards de dollars d’investissements supplémentaires seront nécessaires pour maintenir
la croissance des économies de la région au cours de la décennie à venir. Comment dire non, dans ces
conditions, à celui qui se propose de participer au financement ?
Certes, des interrogations persistent. Les projets chinois d’envergure, tels que le barrage des Trois-
Gorges, sur le fleuve Yangzi, ont été réalisés sans égards pour les populations déplacées ni pour le coût
environnemental. Pékin est loin d’être un modèle de vertu. Mais les Européens ont jugé qu’il valait mieux
tenter de peser de l’intérieur sur le cours des événements.
Une autre ambiguïté concerne les orientations de la banque. Car la Chine a déjà fait savoir, avec
maladresse, qu’elle souhaite voir l’établissement participer à ses projets de politique étrangère, tels que la
nouvelle route de la soie, imaginée par Xi Jinping pour renforcer le développement chinois en direction de
l’Asie centrale.
Pour autant, Nicholas Lardy, spécialiste de la Chine à l’Institut Peterson d’économie internationale, estime
que les pilotes chinois de la nouvelle BAII auront l’intelligence de penser d’abord à la réussite du projet,
plutôt que de l’aligner ostensiblement sur les objectifs diplomatiques de Pékin. "Jin Liqun est déterminé à
faire de la BAII une institution multilatérale à succès, estime Nicholas Lardy. Si, au passage, la banque
aide des projets tels que la route de la soie, tant mieux. Mais ce n’est pas son objectif."
Jin Liqun incarne, à sa manière, une politique plus pragmatique et subtile que celle du passé. Ancien vice-