anticiper ou auxquelles il lui faudra répondre. C'est à lui d’apprécier, avec l’aidant, le risque
potentiel, de mettre en balance les répercussions pratiques ou psychologiques d’éventuelles
interdictions. Une fois les décisions prises, c’est encore lui qui doit aider l’entourage à
expliquer et à imposer les mesures envisagées. Il connaît le foyer de ses patients, il connaît
leur mode de vie, il a le privilège du colloque singulier avec l’aidant, il est pleinement
légitime dans ce rôle.
Le troisième rôle capital, c’est d’aider à la mise en place d’un réseau extérieur de soutien.
Pourquoi ? Pour éviter tant que faire se peut l’institutionnalisation.
L’âge de l’aidant, s’il s’agit du conjoint, les activités professionnelles s’il s’agit des enfants,
peuvent nécessiter la mise en place d’un réseau de soutien à base d’intervenants extérieurs.
C’est au médecin traitant qui connaît la vie de son patient à domicile et les possibilités
souvent limitées de l’entourage de détecter le moment où la constitution de ce réseau devient
indispensable. C'est aussi à lui de convaincre l’aidant, voire le patient de cette nécessité, car
les inhibitions sont fréquentes surtout quand il s’agit de laisser dans des mains « étrangères »
des tâches aussi intimes que la toilette corporelle, le recours à une auxiliaire de vie, une garde
malade, des soins infirmiers, etc.
Le quatrième rôle capital, qui peut paraître paradoxal mais est cependant primordial, c’est de
veiller à la bonne santé de l’aidant. La prise en charge d’un proche atteint de maladie
d’Alzheimer crée une situation dans laquelle l’aidant est impliqué tant sur le plan
psychologique que sur le plan physique. Il est très perturbant de vivre la perte progressive des
facultés intellectuelles d’un être cher. Il est très dur sur un plan physique d’avoir la force
d’affronter les efforts nécessaires, les nuits sans sommeil, et de faire preuve d’une
disponibilité de tous les instants. Je dis souvent à ces aidants qu’ils sont merveilleux et la clé
de voûte du maintien à domicile. Le médecin traitant peut venir ponctuellement, de jour
comme de nuit (mais oui nous laissons nos coordonnées personnelles aux patients lourds), le
spécialiste voit le patient une fois de temps en temps, fait des tests, passe une grosse demi-
heure. Le personnel hospitalier tourne en trois équipes mais l’aidant est là 24 heures sur 24 et
corvéable à merci.
C’est le rôle et le devoir du médecin de famille de le soutenir et de le protéger.
Il n’est pas étonnant que plus de 50% des aidants souffrent au bout de la première année
d’anxiété ou de troubles dépressifs. La prise en charge de ces troubles est du domaine du
médecin généraliste. Un fait témoigne de leur importance : la plupart des admissions de
malades en établissements pour personnes dépendantes sont plus liées à l’état de l’aidant qu’à
celui du malade lui-même.
Le cinquième rôle capital du médecin de famille, c’est celui de l’anticipation et de la gestion
des crises.
La vie quotidienne avec un proche souffrant de maladie d’Alzheimer est émaillée de
« crises ». Il est agité, ne tient pas en place, refuse les soins, devient agressif, a des
hallucinations, des idées délirantes, menace de se suicider, etc.
Ce sont des situations très difficiles à vivre pour l’aidant. Elles le stressent d’autant plus qu’il
ne les comprend pas. Elles compliquent sa vie, rendent difficile sa relation avec son proche et
aussi avec l’entourage car personne n’est à l’abri des retombées.
C’est au médecin de famille d’essayer d’analyser les raisons de la crise. Est-ce que cela veut
dire que les stratégies mises en œuvre sont devenues inefficaces ? Est-ce que cela veut dire
que le seuil de tolérance de l’entourage a été atteint ? Est-ce que le symptôme de crise traduit
le dysfonctionnement de la communication au sein du couple, de la famille, du réseau social
mis en place ?
2