la place du medecin generaliste dans la maladie d

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LA PLACE DU MEDECIN GENERALISTE DANS LA MALADIE D’ALZHEIMER
Dr Jean-Luc MARTINEZ, président de l'URML
Je suis extrêmement heureux et honoré de pouvoir en clôture de cette remarquable journée
consacrée à la maladie d’Alzheimer, vous parler de la place prépondérante qu’occupe avant,
pendant et après le diagnostic, celui que l’on appelle si souvent le pivot du système de santé,
celui que l’on n'oublie jamais de citer dans les conventions ou les grands plans nationaux,mais
dont on oublie vite le rôle essentiel tant celui-ci paraît naturel : je veux parler du médecin de
famille, du médecin généraliste traitant.
Avant le diagnostic, c’est souvent lui qui repère les premières difficultés de mémorisation de
son patient, celles qui portent sur le passé récent et épargnent le passé ancien. Ces difficultés
ne sont pas les seuls symptômes d’appel. Les troubles du comportement, l’apathie, le
changement de caractère du patient, les troubles de son humeur mettent très vite en alerte le
médecin de famille et ce d’autant plus vite que l’entourage familial vient confirmer le signal
d’alerte. C'est déjà la première étape de cette relation privilégiée, médecin de famille, patient
et entourage, relation étroite et indispensable qui guidera les uns et les autres tout au long du
parcours de la maladie.
C’est dès ce moment que doit s’inscrire aussi le recours au spécialiste ou à l’unité spécialisée
quand elle existe et que doit se développer tout ce travail commun que les uns ne pourront
faire sans les autres et qui permettra d’éviter ou de mieux surmonter un certain nombre
d’embuches.
N’oublions jamais que l’immense majorité des patients souffrant de maladie d’Alzheimer est
traitée et suivie à son domicile par le médecin de famille qui, avec l’entourage, reste en
première ligne alors que le recours au spécialiste ou au service spécialisé reste toujours
ponctuel ou limité dans le temps. Le plan Alzheimer nous offre des ouvertures et un espoir à
venir mais pour l’instant le nombre de consultations dédiées et le nombre d’établissements
spécialisés reste encore très en deçà de ce que, même les plus optimistes, envisagent pour
l’avenir proche.
Après le diagnostic, l’implication du médecin de famille devient encore plus étroite. C'est à
lui d’aider le patient et la famille à prendre conscience de la situation nouvelle créée. Outre ce
diagnostic qu’il apporte souvent bien en amont de la consultation du spécialiste, il reste
responsable du choix des médicaments car il apporte par sa connaissance du parcours médical
de son patient,les informations nécessaires pour ce qui concerne les contrindications ou les
associations à risques.
C’est à lui de prendre en charge le traitement, d’en apprécier l’activité, d’en modifier les
modalités en fonction d’éventuels effets secondaires ou d'éventuelles affections intercurrentes.
C’est le suivi du traitement, premier rôle capital à prendre en charge par le médecin de
famille.
Le deuxième rôle capital c’est d’être présent et disponible pour répondre aux attentes et aux
besoins de l’aidant.
L’aidant peut solliciter l’avis du praticien sur la réalisation de certaines activités,
potentiellement à risques pour le malade ou pour son entourage. Peut-il encore conduire sa
voiture ? Peut-il sortir seul ? Peut-il prendre les transports en commun ? Peut-il gérer
l’économie du foyer ? Autant de questions apparemment banales que le médecin devra
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anticiper ou auxquelles il lui faudra répondre. C'est à lui d’apprécier, avec l’aidant, le risque
potentiel, de mettre en balance les répercussions pratiques ou psychologiques d’éventuelles
interdictions. Une fois les décisions prises, c’est encore lui qui doit aider l’entourage à
expliquer et à imposer les mesures envisagées. Il connaît le foyer de ses patients, il connaît
leur mode de vie, il a le privilège du colloque singulier avec l’aidant, il est pleinement
légitime dans ce rôle.
Le troisième rôle capital, c’est d’aider à la mise en place d’un réseau extérieur de soutien.
Pourquoi ? Pour éviter tant que faire se peut l’institutionnalisation.
L’âge de l’aidant, s’il s’agit du conjoint, les activités professionnelles s’il s’agit des enfants,
peuvent nécessiter la mise en place d’un réseau de soutien à base d’intervenants extérieurs.
C’est au médecin traitant qui connaît la vie de son patient à domicile et les possibilités
souvent limitées de l’entourage de détecter le moment où la constitution de ce réseau devient
indispensable. C'est aussi à lui de convaincre l’aidant, voire le patient de cette nécessité, car
les inhibitions sont fréquentes surtout quand il s’agit de laisser dans des mains « étrangères »
des tâches aussi intimes que la toilette corporelle, le recours à une auxiliaire de vie, une garde
malade, des soins infirmiers, etc.
Le quatrième rôle capital, qui peut paraître paradoxal mais est cependant primordial, c’est de
veiller à la bonne santé de l’aidant. La prise en charge d’un proche atteint de maladie
d’Alzheimer crée une situation dans laquelle l’aidant est impliqué tant sur le plan
psychologique que sur le plan physique. Il est très perturbant de vivre la perte progressive des
facultés intellectuelles d’un être cher. Il est très dur sur un plan physique d’avoir la force
d’affronter les efforts nécessaires, les nuits sans sommeil, et de faire preuve d’une
disponibilité de tous les instants. Je dis souvent à ces aidants qu’ils sont merveilleux et la clé
de voûte du maintien à domicile. Le médecin traitant peut venir ponctuellement, de jour
comme de nuit (mais oui nous laissons nos coordonnées personnelles aux patients lourds), le
spécialiste voit le patient une fois de temps en temps, fait des tests, passe une grosse demiheure. Le personnel hospitalier tourne en trois équipes mais l’aidant est là 24 heures sur 24 et
corvéable à merci.
C’est le rôle et le devoir du médecin de famille de le soutenir et de le protéger.
Il n’est pas étonnant que plus de 50% des aidants souffrent au bout de la première année
d’anxiété ou de troubles dépressifs. La prise en charge de ces troubles est du domaine du
médecin généraliste. Un fait témoigne de leur importance : la plupart des admissions de
malades en établissements pour personnes dépendantes sont plus liées à l’état de l’aidant qu’à
celui du malade lui-même.
Le cinquième rôle capital du médecin de famille, c’est celui de l’anticipation et de la gestion
des crises.
La vie quotidienne avec un proche souffrant de maladie d’Alzheimer est émaillée de
« crises ». Il est agité, ne tient pas en place, refuse les soins, devient agressif, a des
hallucinations, des idées délirantes, menace de se suicider, etc.
Ce sont des situations très difficiles à vivre pour l’aidant. Elles le stressent d’autant plus qu’il
ne les comprend pas. Elles compliquent sa vie, rendent difficile sa relation avec son proche et
aussi avec l’entourage car personne n’est à l’abri des retombées.
C’est au médecin de famille d’essayer d’analyser les raisons de la crise. Est-ce que cela veut
dire que les stratégies mises en œuvre sont devenues inefficaces ? Est-ce que cela veut dire
que le seuil de tolérance de l’entourage a été atteint ? Est-ce que le symptôme de crise traduit
le dysfonctionnement de la communication au sein du couple, de la famille, du réseau social
mis en place ?
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Apres cette analyse, le médecin généraliste doit décider de l’opportunité d’une hospitalisation
qui, dans tous les cas de figure, doit être décidée avec l’aidant et sa famille, en concertation
avec le personnel du réseau d’aide, mais de toutes façons très brève.
C’est au médecin de définir quelle est la structure d’accueil la plus appropriée, c’est en
concertation avec les soignants de cette structure d’accueil qu’il faut confirmer les raisons de
la "crise" : pourquoi l’aidant en est il arrivé à ce stade ? Comment les autres membres du
réseau familial vivent-ils cette situation ? tout ceci bien sûr pour prévenir au mieux toute crise
ultérieure.
Le sixième rôle capital du médecin de famille, c’est d’attirer l’attention de la famille et de
l’aidant sur l’éventualité d’une institutionnalisation définitive, de la convaincre de ne pas la
vivre avec un sentiment de culpabilité et de la conseiller et de l’aider dans la recherche de la
structure la plus adaptée à l’état du proche, ceci pour éviter tout contexte d’urgence où le
résultat est souvent catastrophique.
Aucun malade n’échappe à cette interrogation sur la nécessité de l’institutionnalisation. Il
arrive toujours un tournant dans la capacité de l’aidant à faire face aux nombreux problèmes
de la vie de tous les jours. Les traitements médicamenteux sont inefficaces sur la durée et
peuvent être nocifs, en cas d’agitation, par leurs effets sédatifs ou cholinergiques.
C’est au médecin de famille de savoir préparer, en amont des complications, l’aidant et sa
famille à cette échéance souvent traumatisante.
Le rôle du médecin de famille ne s’arrête pas à cette institutionnalisation. Il lui reste un
septième rôle capital. Son devoir, son éthique, l’obligent à continuer d’accompagner le patient
et son entourage vers la dernière épreuve, la plus difficile, la fin de vie. C’est l’un des
moments les plus douloureux que vit la famille. C’est l’un des moments où le rôle du soignant
est capital. Il doit participer avec ses confrères de l’institution aux décisions thérapeutiques,
aux décisions stratégiques et continuer d’assurer ce lien créé d’emblée entre les réactions
humaines d’une famille désemparée et les réponses parfois inadaptées d’une médecine trop
scientifique.
La loi a donné depuis 2006 au médecin traitant du malade un rôle de consultant auprès de
l’équipe de soins spécialisée. Ce rôle, il doit se l’approprier, il doit l’exercer et toujours en
concertation avec l’aidant et sa famille.
Conclusion
N’ai-je pas décrit dans cette courte intervention un profil trop idéal du médecin de famille
face à cette cruelle affection ? N'est-ce pas le profil type du praticien que l’aidant et sa famille
aimeraient avoir à leurs cotés ?
Comment faire abstraction de la réalité et des impératifs quotidiens dans l’exercice de la
médecine générale. Le manque de temps, la difficulté à saisir des affections proches de la
psychiatrie, le nombre croissant en clientèle de patients atteints, les failles dans notre
formation, failles humanistes et non théoriques, tous ces éléments expliquent les difficultés
actuelles sur le terrain.
Paradoxalement ces difficultés attisent mon optimisme. L’apparition du plan Alzheimer est
une première qui montre enfin la prise de conscience de nos gouvernants de ce qui
s’annonçait depuis plusieurs années. La médecine à la « française » a des atouts majeurs, elle
permet au praticien d’être sur le terrain au plus proche des patients, de leurs familles, de leur
mode de vie. Elle donne au médecin tous les atouts pour exprimer son art, tous les atouts pour
s’épanouir dans son exercice. Ceci ne doit pas seulement s’exprimer dans les écrits mais doit
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aussi s’appliquer sur le terrain. Il faut imaginer des moyens donnés au médecin de famille
pour réaliser cet accompagnement idéal que je viens de vous décrire.
Il faut que les familles se persuadent qu’elles ne sont pas seules.
Un médecin de famille seul ne peut rien. Un médecin spécialiste en neurologie seul ne peut
rien. Un médecin spécialisé hospitalier, gériatre ou neurologue, seul ne peut rien. Une
association, un réseau seuls ne peuvent rien.
C’est la mise à l’unisson de toutes nos énergies, c’est prendre l’habitude de se parler, de se
rencontrer, sans hiérarchie ou tabou qui faciliteront les parcours de nos patients.
C’est pour cela que je suis optimiste : des journées comme celle-ci nous font nous rencontrer
et de ces rencontres naîtront la synergie et l’efficacité. Seuls nous avons tous tort, ensemble
nous réussirons !
Merci.
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