Dégénérescence progressive de la rétine chez un chien Berger Hollandais T. DULAURENT1*, P.F. ISARD1, C. PETIT2, C. GIRARDET3, A. REGNIER4, I. RAYMOND-LETRON5 Centre Hospitalier Vétérinaire Saint-Martin, 275 route Impériale, 74370 Saint- Martin Bellevue, FRANCE. Secteur Vétérinaire de Toulouse, BP 63236, 31132 Balma Cedex, FRANCE. 3 Secteur Vétérinaire de Paris, Ecole militaire, BP 48, 00445 Armées, FRANCE. 4 Service d’ophtalmologie, Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse, 23 chemin des Capelles, 31076 Toulouse, FRANCE. 5 Laboratoire d’histopathologie, Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse, 23 chemin des Capelles, 31076 Toulouse, FRANCE. 1 2 * Auteur chargé de la correspondance : [email protected] RÉSUMÉ Un chien militaire berger hollandais de l’armée française âgé de deux ans a été présenté en consultation d’ophtalmologie à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse pour un déficit visuel se traduisant par une diminution de sa capacité opérationnelle. A l’examen, l’animal montrait une mydriase anisocorique gauche associée à des lésions d’atrophie rétinienne modérées sur l’œil droit, beaucoup plus sévères sur l’œil gauche. Le chien présentait par ailleurs une dégénérescence vitréenne débutante du côté gauche. L’examen échographique a confirmé l’atteinte vitréenne tandis que l’électrorétinographie a mis en évidence une atteinte fonctionnelle grave de la rétine. L’examen histopathologique des globes oculaires, après euthanasie de l’animal, a corroboré l’hypothèse épidémio-clinique d’atrophie progressive de la neurorétine. Cette affection présumée héréditaire est, selon les auteurs, décrite pour la première fois chez le berger hollandais. Mots-clés : Atrophie rétinienne, ARP, photorécepteurs, anisocorie, électrorétinographie, chien. Introduction Les rétinopathies atrophiques du chien concernent la neurorétine, l’épithélium pigmentaire de la rétine ou l’association des deux. Elles peuvent avoir une origine toxique, métabolique, infectieuse, parasitaire ou héréditaire [3, 6, 14]. Elles sont regroupées sous le terme générique d’atrophie rétinienne progressive (ARP) lorsqu’elles ont une origine héréditaire. Elles sont alors divisées en ARP généralisée et ARP centrale [3, 6, 14]. L’ARP centrale désigne une atteinte primitive de l’épithélium pigmentaire de la rétine et porte aussi le nom de dystrophie de l’épithélium pigmentaire [3, 6, 14]. Les ARP généralisées sont des affections de la neurorétine également qualifiées de dégénératives car leur lésion princeps est la lyse des photorécepteurs par apoptose. Elles se subdivisent en ARP précoces (dysplasies et dégénérescences précoces des photorécepteurs) ou tardives (dystrophies des photorécepteurs) [1, 2, 3, 6, 14, 16, 17, 20]. Leur unité clinique est une diminution progressive de la vision jusqu’à la cécité totale et irréversible [6]. Le déficit visuel est souvent observé primitivement en faible luminance, avant de devenir complet dans toutes les ambiances lumineuses [6]. Ces rétinopathies se compliquent parfois tardivement d’une cataracte et plus précocement d’une dégénérescence vitréenne [3, 6, 14]. Les rétinopathies atrophiques héréditaires, ou présumées SUMMARY Progressive retinal degeneration in a Dutch Shepherd A two years old military Dutch Shepherd dog of the French army was presented at the ophthalmology clinic of the National Veterinary School of Toulouse for vision impairment. On ophthalmic examination of the animal anisocoria with left mydriasis was observed. Ophthalmoscopic lesions indicative of retinal atrophy were also found in both eyes and were more marked on the left side. Vitreous degeneration was present on that side, and was confirmed by ultrasound examination. Electroretinography highlighted serious alterations of the retinal electrophysiology. The histopathological examination of the eyeballs, performed after euthanasia, confirmed the clinical diagnosis of progressive retinal atrophy. To the authors’ knowledge this is the first time that presumably hereditary retinal disorder is reported in the Dutch Shepherd breed. Keywords: Retinal atrophy, PRA, dystrophy, photoreceptors, anisocoria, electroretinography, dog. telles, ont été décrites dans de nombreuses races canines [4, 6, 7, 12, 13, 15, 20, 21]. Cas clinique COMMÉMORATIFS, ANAMNÈSE Un chien militaire berger hollandais mâle, âgé de deux ans, a été présenté à la consultation pour une suspicion de déficit visuel. Affecté depuis peu comme chien de patrouille, son comportement inhabituel lors des phases d’entraînement a alerté son maître : mauvaise position lors du rappel, difficulté d’identification des objectifs. Lors de la visite d’achat à l’âge de 13 mois, le vétérinaire avait noté une anisocorie modérée. L’examen oculaire complet n’avait alors révélé aucune autre anomalie. L’animal était correctement vacciné et vermifugé ; il était nourri avec une alimentation industrielle de bonne qualité. EXAMEN CLINIQUE GÉNÉRAL ET OCULAIRE L’examen clinique général n’a montré aucune anomalie particulière. Revue Méd. Vét., 2010, 161, 4, 178-184 DÉGÉNÉRESCENCE PROGRESSIVE DE LA RÉTINE CHEZ UN CHIEN BERGER HOLLANDAIS Au cours de l’examen oculaire, la vision paraissait normale avec persistance des réponses de clignement à la menace et à l’éblouissement. L’animal présentait cependant une mydriase anisocorique gauche (photographie 1); la pupille gauche se contractait peu sous les stimuli lumineux répétés. Les réflexes photomoteurs direct et consensuel gauches étaient fortement diminués. Le myosis de l’œil droit était par ailleurs incomplet sous stimulation lumineuse directe. L’examen attentif du segment antérieur n’a mis en évidence aucune anomalie. Après mydriase pharmacologique obtenue par instillations locales répétées de tropicamide 0,5 % (Mydriaticum®, Théa) et de phényléphrine 10 % (Néosynéphrine Faure® 10 %, Europhta), l’examen du cristallin n’a pas montré d’anomalie. Le vitré de l’œil droit était normal ; le vitré de l’œil gauche présentait une synérèse en région rétro-lentale, ainsi qu’une hyalose astéroïde pigmentée d’intensité modérée (photographie 2). L’examen ophtalmoscopique a révélé la présence de nombreuses lésions rétiniennes sur chaque œil. - La rétine de l’œil droit présentait une zone atrophique en région supéro-temporale. L’ensemble de la région du tapis 179 montrait en ophtalmoscopie indirecte une réflexion lumineuse augmentée, ou bien une teinte grisâtre anormale, en fonction de l’orientation du rayon lumineux incident. La vascularisation rétinienne paraissait néanmoins normale (photographie 3). - Les lésions rétiniennes de l’œil gauche étaient quant à elles beaucoup plus sévères. Des lésions atrophiques multifocales, nummulaires, de taille variable, parcheminaient l’ensemble de la région du tapis. D’autre part, l’ensemble du tapis montrait une réflexion très largement augmentée. La vascularisation rétinienne était presque inexistante. Enfin la papille, d’aspect terne, était bordée d’un conus (photographie 4). EXAMENS COMPLÉMENTAIRES Devant la présence de lésions vitréo-rétiniennes graves, un bilan lésionnel (échographie) et un bilan fonctionnel (électrorétinographie) ont été réalisés. - L’échographie a révélé la présence de lésions hyperéchogènes de petite taille dans la portion postérieure du vitré, confirmant la hyalose astéroide (photographie 5). PHOTOGRAPHIE 1 : Mydriase anisocorique gauche. PHOTOGRAPHIE 2 : Synérèse vitréenne et discrète hyalose astéroïde pigmentée de l’œil gauche. PHOTOGRAPHIE 3 : Lésions focales d'atrophie rétinienne et tapis grisâtre (Oeil droit). PHOTOGRAPHIE 4 : Atrophie rétinienne généralisée, vascularisation grêle et conus (Oeil gauche). Revue Méd. Vét., 2010, 161, 4, 178-184 180 PHOTOGRAPHIE 5 : Echographie de l’œil gauche. Noter la présence des structures échogènes dans la partie postérieure de la cavité vitréenne. - L’électrorétinographie a été réalisée selon le protocole suivant : L’examen est pratiqué sur un animal dont les rétines sont adaptées à une ambiance de niveau lumineux photopique. 1/ Test de fonctionnement des bâtonnets et cellules associées. ERG transitoire : 5 stimulations chromatiques de courte longueur d’onde (bleu : 440 nm) et de niveau lumineux scotopique sont délivrées en ambiance scotopique, après une minute, 5 minutes puis 7 minutes d’adaptation à l’obscurité. Résultat : les réponses étaient discernables, de morphologie non typique; les ondes a et b n’étaient pas identifiables (figure 1). 2/ Test de la jonction neurorétine/épithélium pigmentaire. Adapto-ERG : la morphologie non typique des courbes précédentes n’a pas permis d’évaluer le couplage neuroépithélium / épithélium pigmentaire (figure 1). 3/ Test de fonctionnement des cônes, des bâtonnets et des cellules associées. ERG transitoire : 1 stimulation achromatique (blanche) de niveau lumineux photopique est délivrée en ambiance scotopique. Résultat : les réponses étaient discernables mais de morphologie non typique pour l’œil gauche; les valeurs des amplitudes et des temps de culmination des ondes « a » et « b » n’étaient pas dans les limites des valeurs de référence pour l’œil droit. Les ondes n’étaient pas identifiables pour l’œil gauche (figure 1). 4/ Test de fonctionnement des cônes et des cellules associées. ERG stationnaire (Flicker) : 20 stimulations achromatiques, de niveau lumineux photopique sont délivrées en ambiance photopique à une fréquence de 30 Hz, après adaptation de la rétine à une ambiance de niveau lumineux photopique. Résultat : les amplitudes mesurées crête à crête n’étaient pas dans les limites des valeurs de référence (figure 2). En conclusion, l’examen a montré un trouble majeur de l’électrogénèse rétinienne pour chaque œil, toutefois beaucoup plus marqué pour l’œil gauche. DULAURENT (T.) ET COLLABORATEURS PHOTOGRAPHIE 6 : Coupe histologique de la rétine de l’œil gauche, artéfactuellement détachée de l’épithélium pigmentaire, présentant un aspect d’atrophie externe sévère. L’épaisseur globale de la rétine est très diminuée et associée à un aspect atrophique des cônes et bâtonnets (C&B), un dépeuplement des couches nucléaires externes (Nu Ext) et interne (Nu Int) et une disparition des couches plexiformes. Noter par contre la persistance des neurones dans la couche la plus interne des cellules ganglionnaires (Ggl). Coloration H&E x400. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL Les données épidémio-cliniques, complétées par les résultats des examens complémentaires, ont conduit au diagnostic d’atrophie rétinienne généralisée bilatérale, très avancée sur l’œil gauche, accompagnée de séquelles vitréennes dégénératives nettes sur l’œil gauche. La présentation clinique, le mode d’évolution suspecté de l’atrophie rétinienne et l’âge de l’animal ont permis de privilégier l’hypothèse de dystrophie des photorécepteurs. PRONOSTIC Devant l’absence de solution thérapeutique spécifique efficace, le pronostic de ce type d’affection est très péjoratif, avec une perte visuelle progressive, précoce, totale et définitive. TRAITEMENT Les atteintes atrophiques de la rétine sont incurables à ce jour chez le chien. Des solutions palliatives sont habituellement proposées pour faciliter le quotidien des animaux aveugles et de leurs propriétaires. Elles ont traits aux conditions de vie de l’animal (disposition des meubles dans le foyer, compensation de la cécité par le développement de l’ouïe…). Pour un chien militaire dont la capacité opérationnelle est primordiale, aucune de ces propositions n’était envisageable. SUIVI Etant donné le caractère incurable de l’affection oculaire, le chien militaire a été réformé pour motif médical. Compte tenu de la dangerosité potentielle du chien, exacerbée par le développement de sa maladie, une rétrocession dans le milieu Revue Méd. Vét., 2010, 161, 4, 178-184 DÉGÉNÉRESCENCE PROGRESSIVE DE LA RÉTINE CHEZ UN CHIEN BERGER HOLLANDAIS 181 FIGURE 1 : Tracés électrorétinographiques. Les trois premiers tracés correspondent à la réponse des bâtonnets et des cellules associées, après stimulations monochromatiques bleues, de niveaux lumineux scotopique, délivrées en ambiance scotopique après 1 minute, 5 minutes et 7 minutes d’adaptation à l’obscurité. Le dernier tracé correspond à la réponse des cônes, des bâtonnets et des cellules associées, après stimulation lumineuse achromatique, de niveaux lumineux photopique, délivrée en ambiance scotopique. civil n’a pas été possible et une euthanasie a été pratiquée. Les deux yeux ont été prélevés immédiatement après la mort de l’animal et fixés dans du formol tamponné à 10 %. Un examen histopathologique de routine a été réalisé sur les deux globes oculaires après coloration standard à l’hémalun éosine. EXAMEN ANATOMOPATHOLOGIQUE L’analyse microscopique de ces globes a montré une structure oculaire normale, totalement dénuée de contexte inflammatoire avec un épithélium pigmentaire de la rétine normal mais des lésions atrophiques bilatérales de la rétine. - Sur l’œil gauche ont été observées des lésions dégénératives et atrophiques diffuses généralisées d’intensité sévère de la neurorétine. Elle était globalement amincie, avec une vacuoRevue Méd. Vét., 2010, 161, 4, 178-184 lisation diffuse de toutes les couches. Une déplétion marquée des couches nucléaires internes et externes, une atrophie des couches plexiformes, et une atrophie et une déplétion des segments externes des photorécepteurs ont été mises en évidence. Les cellules ganglionnaires semblaient moins atteintes que les couches plus externes, même si leur nombre était également diminué, étayant le diagnostic d’atrophie rétinienne externe. Par endroit, l’atrophie était telle que la rétine ne formait plus qu’une bande très fine contenant une seule couche résiduelle de noyaux (photographie 6). - La neurorétine de l’œil droit était moins touchée, avec une épaisseur globale plus importante, une vacuolisation diffuse, une déplétion moins marquée des noyaux des couches nucléaires interne et externe, et une meilleure conservation des segments externes des photorécepteurs. Ce tableau lésionnel était donc celui d’une atrophie rétinienne externe bilatérale, modérée à droite et sévère à gauche. 182 DULAURENT (T.) ET COLLABORATEURS FIGURE 2 : Tracé électrorétinographique traduisant la réponse des cônes, après 20 stimulations achromatiques, de niveau lumineux photopique, délivrées en ambiance photopique à une fréquence de 30 Hz. Discussion L’atrophie rétinienne représente le stade terminal de la perte des qualités morphologiques et fonctionnelles de la rétine. Cet état pathologique peut être lié à des causes très variées chez le chien (toxique, nutritionnelle, métabolique, infectieuse, parasitaire…). L’atrophie rétinienne est irréversible et conduit irrémédiablement à la cécité [3, 4, 6, 14, 17]. L’atrophie rétinienne progressive correspond à un groupe d’affections qui ont pour point commun d’être toujours bilatérales, de présenter une évolution progressive vers la cécité dans un contexte excluant toute inflammation ou d’autres affections oculaires primitives. La mort cellulaire est alors dite « programmée » et se produit par apoptose (contrairement aux autres causes d’atrophie rétinienne où la mort cellulaire se produit par nécrose et produit une inflammation). Il existe de nombreux type de dystrophies des photorécepteurs. Certains affectent primitivement les cônes puis les bâtonnets (Cone-Rod Dystrophy), d’autres touchent les bâtonnets puis les cônes (Progressive Rod-Cone Degeneration : pcrd). Les dégénérescences progressives de type pcrd semblent les plus fréquentes [14] ; certaines races y sont particulièrement prédisposées (Caniches nain et toy, Retriever du Labrador). Ce type de rétinopathie dégénérative se manifeste par un déficit visuel de nuit contemporain de l’atteinte fonctionnelle des bâtonnets, compliqué dans un deuxième temps d’un déficit visuel de jour, contemporain de l’atteinte fonctionnelle des cônes [14]. Ce sous-groupe de dystrophie des photorécepteurs représente un modèle animal pour l’étude de la rétinite pigmentaire (Retinitis pigmentosa) chez l’homme. La figure 3 rappelle les différents types d’atrophie rétinienne rencontrés dans l’espèce canine. De très nombreuses races canines sont concernées par l’ARP, mais peu d’informations sont disponibles sur la prévalence et les particularités relatives à chaque race. Néanmoins, le trait épidémiologique commun à presque toutes les races étudiées est le caractère héréditaire de cette affection, transmissible selon un mode autosomique récessif [6, 14, 17]. L’atrophie rétinienne progressive regroupe en réalité des états pathologiques dont le déterminisme est variable. Retenons la dysplasie des photorécepteurs, qui se traduit par un mauvais développement des bâtonnets et des cônes qui ne parviennent jamais à maturité fonctionnelle [6, 14]. La dysplasie des photorécepteurs affecte donc la fonction rétinienne de façon très précoce, entraînant une cécité totale entre 1 an et 5 ans [6, 14]. Les premières manifestations ophtalmoscopiques peuvent être identifiées dès la huitième semaine d’âge [6, 14]. Un autre type d’atrophie rétinienne progressive est la dystrophie des photorécepteurs. Cette affection intervient après maturation des photorécepteurs et traduit un trouble métabolique de ces derniers [6, 14]. Pour cette raison, les manifestations cliniques sont plus tardives que lors de dysplasie des photorécepteurs, puisque la dystrophie se développe lorsque la maturité fonctionnelle des cellules est acquise (par ailleurs, l’âge d’apparition des manifestations cliniques est variable d’une race à l’autre). FIGURE 3 : Les différents types d'atrophie rétinienne rencontrés chez le chien. La dysplasie et la dystrophie des photorécepteurs sont souvent très semblables cliniquement. Les manifestations ophtalmoscopiques sont communes. Elles sont bilatérales et se traduisent d’abord par une modification de la réflexion du tapis, qui prend une teinte grise ou bien hyperréfléchissante en fonction de l’orientation du rayon lumineux incident. Ces modifications s’aggravent avec le temps. Peu à peu, le calibre vasculaire décroît, la réflexion du tapis augmente. Dans les stades les plus avancés, le tapis finit par être uniformément réfléchissant, la vascularisation disparaissant parfois totalement [6, 14]. La papille prend alors une teinte grise, terne ; elle est parfois bordée d’un croissant hyperréfléchissant appelé conus [6]. Revue Méd. Vét., 2010, 161, 4, 178-184 DÉGÉNÉRESCENCE PROGRESSIVE DE LA RÉTINE CHEZ UN CHIEN BERGER HOLLANDAIS Des bandes radiaires noirâtres sont parfois visibles à la périphérie du tapis. A ce stade d’évolution, la dynamique de l’iris est fortement perturbée et la pupille reste souvent en mydriase hyporéactive. La présentation clinique n’est pas nécessairement symétrique et l’évolution n’est pas toujours synchrone pour chaque œil [6, 14]. Des complications fréquentes sont l’apparition d’une cataracte corticale postérieure, parfois vacuolaire, évoluant peu à peu vers une cataracte totale, ainsi que des modifications vitréennes non spécifiques de type hyalose astéroïde [5, 8-11, 14, 18, 19, 24, 25]. Les modifications de la fonction rétinienne sont identifiables précocement par électrorétinographie, parfois dès quelques mois d’âge [6, 13, 14, 20]. Les tracés enregistrés permettent d’étayer la suspicion clinique d’ARP [6, 13, 14, 20]. La dysplasie et la dystrophie des photorécepteurs se différencient donc épidémiologiquement par l’âge d’apparition des lésions et leurs répercussions fonctionnelles. Le plus souvent, cette nuance épidémiologique suffit au clinicien pour émettre une suspicion diagnostique d’ARP précoce ou tardive. En effet, lors d’ARP précoce les signes de déficit visuel sont repérés par les propriétaires dans les semaines ou les mois qui suivent l’acquisition du chiot. Il est en revanche impossible de différencier au plan clinique les dysplasies des dystrophies des photorécepteurs, car ce diagnostic repose sur des moyens techniques (ex : microscopie électronique) inutilisables en pratique courante. Les lésions histologiques et ultrastructurales, observées sur des animaux présentant un déficit visuel avéré, ont de nombreux traits communs pour ces deux affections. Ainsi ces lésions correspondent à un tableau d’atrophie rétinienne externe plus ou moins avancée. Cela se traduit d’abord par une dégénérescence des photorécepteurs, suivie d’une atrophie des couches nucléaires et plexiformes. Puis, lorsque la maladie évolue, l’atrophie est dite terminale lorsque la rétine n’est plus identifiée que par une membrane gliale parsemée de noyaux résiduels. Les différentes étapes chronologiques de l’affection ont été identifiées dans le cas qui nous occupe. En effet, l’atteinte n’étant pas synchrone sur chaque œil, les étapes de dégénérescence rétinienne ont pu être observées. Ce tableau caractéristique a permis de proposer le diagnostic d’atrophie progressive de la rétine. Le mode d’apparition des lésions nous laisse suspecter une dystrophie des photorécepteurs, vu l’âge de l’animal. Toutefois il nous est impossible d’étayer cette précision par d’autres techniques trop lourdes et trop onéreuses. Par ailleurs, le statut sanitaire des ascendants du chien concerné n’ayant pu être déterminé, le mode de transmission n’a donc pu être précisé. A notre connaissance, l’atrophie rétinienne progressive précoce n’a jamais été décrite chez le berger hollandais. Le mécanisme pathogénique et le déterminisme restent inconnus. Le faible effectif de cette race explique probablement la rareté de description de cette affection. Le Berger Hollandais et le Berger Belge Malinois présentent des origines phylogéniques communes et certains éleveurs de Bergers Hollandais utilisent parfois des Bergers Belges pour retremper le génotype de leur lignée, ce qui pourrait expliquer les analogies entre notre cas et ceux préalablement observés chez le Malinois [6]. Revue Méd. Vét., 2010, 161, 4, 178-184 183 Ainsi, les lésions de la rétine observées dans le cas présentement décrit ont évolué vers une atrophie généralisée par coalescence de lésions focales. Cette progression explique l’évolution asynchrone de la rétinopathie qui se manifestait par des lésions atrophiques focales sur un œil, et par une atrophie rétinienne généralisée sur l’autre. Une confirmation a été apportée par l’examen histopathologique des rétines. Une forme semblable d’ARP a été identifiée chez le Malinois en France [6] ; cette affection a pu ainsi toucher le Berger Hollandais après dilution par des reproducteurs de la race Berger Belge. Le mode de transmission de ce type d’ARP chez le Malinois n’est pas précisé à ce jour. De nombreuses études menées dans d’autres races ont permis de mettre en évidence un déterminisme génétique avec une transmission autosomique récessive [6, 14]. Ces études permettent de mettre en place des tests de dépistage génétique validés dans certaines races, mais dont les résultats doivent impérativement être pondérés par la sensibilité et la spécificité. A terme, l’utilisation raisonnée des animaux porteurs de l’anomalie permettrait peut-être d’éradiquer cette affection rétinienne invalidante. Conclusion L’atrophie rétinienne progressive regroupe un ensemble d’affections génétiques qui aboutissent irrémédiablement à la cécité. Ces affections ont un déterminisme variable et s’expriment différemment en fonction du type de photorécepteurs primitivement touchés. L’atteinte est toujours bilatérale, pas nécessairement synchrone. Dans les premiers stades de la dégénérescence, les troubles fonctionnels induits sont frustes et parfois peu identifiables par les propriétaires. Chez le chien de travail et plus précisément chez ce chien militaire, les conséquences peuvent être rapidement identifiables. Elles sont souvent très gênantes et conduisent la plupart du temps à une réforme. Le Berger Hollandais est peu représenté en France, et fréquemment utilisé comme chien de travail. Il s’agit à la connaissance des auteurs, du premier cas de dégénérescence progressive précoce de la rétine décrit dans cette race. Bibliographie 1. - AGUIRRE G., ALLIGOOD J., O’BRIEN P., BUYUKMIHCI N.: Pathogenesis of progressive rod-cone degeneration in miniature poodles. Invest. Ophthalmol. Vis. 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