le « proche étranger »
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paraît évident. Pourtant, ses capacités d’influence y sont
encore importantes et pourraient même s’accroître dans l’avenir. À cet égard, rien
n’est encore perdu, à part bien sûr le rêve passéiste d’un retour à l’Union sovié-
tique ou celui, plus moderne, d’une construction comme l’Union européenne. La
« chance » de la Russie pour l’avenir de ses relations avec ses voisins tient à ce que
leur marasme économique, politique et social est bien pire que le sien, ce qui n’est
pas peu dire. À côté de la plupart d’entre eux, la Russie apparaît comme écono-
miquement dynamique et « prospère », comme « réformée », « moderne » et
« démocratique »
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... Les discours pro-occidentaux et quelque peu fanfarons des
membres les plus récalcitrants de la CEI ne doivent donc pas faire illusion. Disons
qu’en cela ils prennent exemple sur la Russie qui, sur la scène internationale,
affirme être une puissance majeure et demande à être traitée comme telle, alors que
son PNB équivaut à la moitié de celui des Pays-Bas.
Les priorités, les objectifs et le comportement de la Russie à l’endroit du proche
étranger ont beaucoup changé au cours de la décennie. Cependant, deux circonstances
au moins, qu’il faut rappeler ici, ont encadré le processus dès le début et continuent
à le faire. Tout d’abord, la dissolution de l’URSS en décembre 1991 n’a pas mis un
terme à sa désintégration. La dynamique de fission et les lignes de fracture qui ont
mis fin à l’URSS se sont répercutées et transférées avec une intensité variable dans
les nouveaux États, y compris la Russie, les menaçant à leur tour d’éclatement. Dans
la décomposition générale et le sauve-qui-peut de la fin de 1991, le nationalisme (qui
n’a pas été la cause principale de la désintégration de l’URSS) est devenu la valeur
refuge, le point de chute et l’instrument privilégié de conquête ou de préservation
du pouvoir politique. La Russie eltsinienne pré-indépendance, qui a joué le rôle de
loin le plus important dans la destruction du pouvoir soviétique et le démantèlement
de l’URSS, a encouragé tous ces nationalismes et les a par la suite assez longtemps
tolérés, y compris à l’intérieur de ses frontières. Le nationalisme réel ou fabriqué de
toutes pièces, inspirateur ou manipulé ou détourné, a été l’idéologie fondatrice et légi-
timatrice de tous les nouveaux États indépendants apparus en 1991 et de ceux qui
ont tenté de se constituer comme tels par la suite, sur la base des frontières « natio-
nales » tracées par Staline dans le but exactement contraire. Il y a ici cependant une
exception, une seule, mais de taille : la Russie elle-même.
En effet, ce n’est pas le nationalisme qui a présidé à l’émergence de la nouvelle Russie
et a légitimé la lutte menée par Eltsine et son entourage d’alors contre Gorbatchev,
lutte qui a conduit à la dissolution de l’URSS. C’est au nom des valeurs de la démo-
cratie et de l’économie de marché, fétichisées et dogmatisées à la russe en filiation directe
avec l’ancienne tradition occidentaliste radicale, qu’a été menée cette lutte pour le
pouvoir. C’est là la seconde condition de départ. Elle a marqué profondément la pre-
mière phase de la politique russe dans l’ancien espace soviétique et a laissé des traces
sensibles même après que l’idéologie dominante se fut modifiée à Moscou.
160 — Critique internationale n°12 - juillet 2001