Eux aussi ont découvert, ont été surpris, mais ils n’ont pas compris la portée de la chose. Ils
ne pouvaient pas, ils recevaient. Ils ne connaissaient même pas l’envergure et la signification
de leurs propres peuplements des deux continents. Ils ne savaient même pas ce qu’était un
continent. Tout cela enfin, découverte ou pas découverte, n’est que subtilité et argutie qui,
pour des raisons idéologiques, visent à priver les Européens d’un rôle initiateur. On reconnaît
que les explorateurs européens n’ont pas tout compris. En particulier, ils croyaient d’abord
avoir traversé l’océan pour trouver le légendaire Japon, croyant le monde bien plus petit qu’il
ne l’est. Mais ils se sont vite corrigés, ils ont compris dès le début qu’ils avaient entamé, sinon
accompli, la circumnavigation du monde, et ceci d’autant plus après le passage portugais du
continent africain dans la Mer Indienne et les voyages espagnols du Mexique vers les
Philippines. Cette séquence d’ouvertures et d’expansions qu’on connaît comme la
mondialisation ou la globalisation s’est poursuivie depuis par à-coups en traversant des
périodes de progrès rapides ou lents selon les possibilités techniques et politiques. Au début,
c’était une histoire ibérique à partir de ces premières expéditions à travers la Méditerranée et
la proche Atlantique, première moitié du XVème siècle, histoire d’îles et de côtes.
Et puis, on a eu l’explosion du XVIème, l’exploitation des trésors minéraux du nouveau monde,
argent et or, dans cet ordre – argent d’abord parce qu’il y avait plus d’argent que d’or et ils
valaient plus – et l’ouverture de l’Inde et de l’Asie, tout cela avec la bénédiction du Saint-Père
de Rome qui s’est cru autorisé à partager le monde entre ses deux enfants chéris, de l’Espagne
et du Portugal. Mais la réussite même de ces premiers voyages invitait d’autres à entrer dans
le jeu, les Hollandais et les Anglais surtout, deux pays protestants voués à la mer. Ce sont ceux-
là qui ont fini par ramasser le butin de l’Asie. C’est vrai que les Espagnols ont gardé l’empire
américain jusqu’au début du XIXème siècle et en ont tiré une fortune en métal, mais cette
aubaine leur a plutôt coûté que rapporté. A l’encontre de l’argent gagné, l’argent trouvé ou
volé, dévoie le bénéficiaire. En revanche, les Hollandais et les Anglais ont bâti leurs empires
sur l’agriculture, y compris l’esclavage, et les manufactures, colonies américaines surtout, ou
sur des plantations et des privilèges commerciaux. C’étaient des entreprises rentables.
Au cours des siècles, d’autres puissances sont entrées dans le jeu, la France surtout en dépit
d’une préférence marquée pour les gains continentaux et puis tardivement le Japon. Ce dernier,
le Japon, ne s’en est pas mal enrichi, mais les gains et les ambitions impérialistes ont fini par
fausser leur politique intérieure et par encourager des convoitises qui ont amené la guerre et
le désastre. Je pense ici à la Deuxième Guerre Mondiale, la défaite après tant de victoires.
Quant à la France, elle n’a eu droit qu’à la portion congrue, les restes. Certains intérêts
particuliers ont profité de la colonisation, d’autres ont perdu. Mais le pays lui-même en a plutôt
perdu non seulement par les frais de gouvernement, de conflits et des maladies, mais surtout
par l’excès d’amour propre qui en résultait, toujours mauvais guide. Si l’on suit l’ordre des
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