La dimension symbolique de Babylone… 131
s’élève dans sa perfection, non pas comme une construction édifiée par les hommes,
mais comme le séjour des dieux célestes, ses dieux tutélaires. Nippur serait donc alors
comme le plus haut lieu du monde céleste, demeure d’Enlil et de Ninlil.
Ces deux exemples nous montrent le caractère primordial de la ville pour les
habitants de la Mésopotamie, et de là découle l’image particulière de villes qui sont
les sanctuaires des divinités principales dans plusieurs textes mythologiques. La ville
y est présentée d’abord dans sa dimension sacrée : c’est une création divine, une rési-
dence créée pour les dieux, qui préexiste à l’agglomération habitée par des hommes.
C’est ainsi que, dans un texte intitulé Marduk, Créateur du monde6, le récit des
premiers temps de l’univers est mené de telle manière qu’on a l’impression qu’existait
d’abord une Babylone céleste, ville sainte, demeure des dieux et en particulier de son
dieu tutélaire, Marduk, puis que vit le jour une Babylone terrestre, ville habitée par
des hommes, qui devait être citée comme telle dans la partie du texte malheureuse-
ment perdue.
Babylone, ville extratemporelle, ville sainte
Le texte intitulé Marduk, Créateur du monde7 s’ouvre sur une insistante anaphore de
négations pour signifier l’absence de toute civilisation au Commencement du monde
et le caractère très lointain de l’époque à laquelle se déroule le récit qui va suivre :
seule la mer existait, et rien de ce qui sert à construire les habitations et les villes n’avait
émergé du liquide primordial, ni roseau, ni arbre, ni brique, ni moule à brique. Pour
exprimer le « néant », l’auteur insiste sur l’absence complète de toute ville. Dans ce
mythe, « la création du monde […] se trouve placée dans une perspective “templo-
centrique” »8. Les premières créations seront des temples, et il est clairement précisé
qu’aucun édifice sacré n’avait encore vu le jour, ni l’Ékur, ni l’Éanna, ni l’Éridu, ni
bien sûr l’Ésagil de Babylone, et pour cause : aucune assise sûre n’existait encore,
puisque la terre n’existait pas.
Ensuite, c’est la présentation de la construction des premiers sanctuaires : l’Éridu
d’une part, que le dieu Éa, ici nommé Lugal.du6.kù.ga, édifie dans son domaine ;
l’Apsû, qui est une nappe d’eau douce souterraine ; d’autre part l’Ésagil, construit par
le fils d’Éa, Marduk, à Babylone. Mais le lecteur d’aujourd’hui peine à comprendre
comment ces édifices sacrés ont pu voir le jour, étant donné que tout est eau en ce
début de monde. Jean Bottéro tente d’expliquer ce que le mythe laisse dans l’ombre,
en interprétant de la façon suivante les lignes 10 à 16 du texte :
6. Ce texte a été composé à la fin du IIe millénaire au plus tôt (cf. J. Bottéro, S.N. Kramer, Lorsque les Dieux
faisaient l’homme…, p. 497). Il connaît plusieurs dénominations, notamment, Prière pour la fondation d’un
temple (cf. J. Bottéro, Mythes et rites de Babylone, Paris, H. Champion (Bibliothèque de l’École Pratique
des Hautes Études, IVe Section, Sciences historiques et philologiques ; 328), 1985, p. 301).
7. Cf. Annexe, texte no 3.
8. Cf. J. Bottéro, Mythes et rites de Babylone, p. 499.
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