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Symbolic Logic» (Journal de logique symbolique): il montrera que la méthode
gödelienne «du modèle interne», comme il la nomme, ne pouvait en principe pas
fournir une démonstration de l’indépendance de l’hypothèse du continu et de
l’axiome du choix (il s’agit de la méthode décrite dans le chapitre précédent,
consistant à limiter l’univers des ensembles à une partie spéciale – par exemple
les ensembles constructibles – et à montrer que tous les axiomes de la théorie des
ensembles restent valides lorsque les variables ne prennent que des valeurs appar-
tenant à cette partie). La démonstration nécessitait une approche différente.
Il n’est pas clair si et quand Gödel a reconnu ou du moins entrevu ce pro-
blème. Toutefois, ses travaux relatifs à l’hypothèse du continu et à l’axiome du
choix sont restés en souffrance après 1941 pour d’autres raisons. D’une part, son
amitié pour Einstein l’encouragea à retourner à ses premières amours, la phy-
sique, et à s’intéresser à la physique théorique et à la cosmologie; d’autre part,
Gödel consacrait de plus en plus de temps à l’étude de son autre passion, la phi-
losophie, sans laquelle il n’envisageait pas les mathématiques.
Gödel était persuadé que les questions philosophiques, par exemple celle de
l’existence des objets mathématiques, pouvaient guider les mathématiciens vers
de nouveaux axiomes qu’ils ne découvriraient pas en se cantonnant au système
formel étudié. Voyons comment se traduisent ces idées dans les derniers articles
de Gödel sur la recherche des fondements des mathématiques.
Évidence et constructibilité
En 1941, lors d’une conférence à l’Université Yale, Gödel aborde de nouveau le
problème des fondements de l’arithmétique: existe-t-il un système mathématique
où la cohérence de l’arithmétique est démontrable? D’après son théorème d’in-
complétude, un tel système n’est pas à chercher dans le formalisme finitiste de
Hilbert, mais doit le dépasser. Hilbert soutenait que les mathématiques devaient
être fondées sur des raisonnements finitistes, c’est-à-dire portant sur un nombre
fini d’objets concrets (donnés par une expérience ou une intuition sensible), et
constitués d’un nombre fini d’étapes. Gödel pense que cela ne suffit pas, et qu’il
faut aussi prendre en considération certaines propriétés abstraites des objets et des
formules des systèmes formels.
Gödel ne publie le texte de sa conférence qu’en 1958, après remaniements.
Il paraît sous le titre Sur une extension des mathématiques finitistes qui n’a pas
encore été utilisée dans le numéro spécial de la revue Dialectica consacré au
70eanniversaire de Bernays, l’ancien assistant de Hilbert. Gödel avait perdu
tout contact avec Bernays pendant presque 15 ans, puis leur correspondance
avait repris, après une visite de l’Allemand, en 1956, à l’occasion d’une invita-
tion à l’Université de Pennsylvanie. Dans son article, Gödel s’inspire de
quelques idées de Bernays. Selon ce dernier, «La non-contradiction d’un sys-
tème étant indémontrable par des moyens moins importants que ceux du sys-
tème lui-même, il est nécessaire de dépasser le cadre des mathématiques fini-
tistes au sens hilbertien pour démontrer la non-contradiction des mathéma-
tiques classiques et même de la théorie classique des nombres. Les mathéma-
tiques finitistes étant définies comme mathématiques de l’évidence claire, cela
signifie […
]
qu’on a besoin de certains concepts abstraits pour la démonstra-
tion de la non-contradiction de la théorie des nombres.» Par concepts abstraits,
il faut entendre, explicite Gödel, des concepts qui ne représentent pas les pro-
priétés des objets concrets ou les relations entre objets concrets, mais les pro-
priétés des «productions mentales», des « contenus de pensées» (par exemple
des démonstrations, des déclarations sensées).
Dans le programme de Hilbert initial, tout raisonnement finitiste équivaut à
la donnée concrète d’un objet, c’est-à-dire à «l’évidence» d’un objet ; pour
Gödel, au contraire, les rapports entre construction d’un objet (à l’aide d’un rai-
sonnement) et évidence de cet objet sont complexes. Ainsi, il distingue, dans le
raisonnement finitiste, d’une part «l’élément constructif, qui consiste dans le
fait qu’on ne peut parler d’objets mathématiques que dans la mesure où on peut
les montrer ou réellement les fabriquer par la construction» et, d’autre part,
«l’élément finitiste spécifique, qui requiert que les objets […
]
soient “évi-
70
Paul Cohen proposa en 1963
une démonstration de l’indépendance
de l’hypothèse du continu de Gödel:
on peut l’adjoindre ou non
aux axiomes des ensembles sans
engendrer de contradiction.
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