UNE APPROCHE DYNAMIQUE DU TAUX DE CHANGE
REEL D’EQUILIBRE
Yannick Bineau
Bernard Dupont*
L’objectif de l’article est de développer un modèle théorique d’un taux de change réel
d’équilibre de moyen terme. L’un des principaux apports de l’article est de présenter une
approche dynamique du taux de change réel. Le soubassement théorique de l’approche
adoptée est un modèle où la croissance économique domestique est à long terme contrainte
par le dynamisme de la demande. Ce modèle est progressivement amendé. L’accent est
d’abord mis sur les modalités de l’équilibre de la balance des paiements et sur les
ajustements dynamiques en présence de déséquilibres extérieurs. Ce modèle est modifié en
y introduisant un bloc interne qui décrit les modalités de formation des prix et des salaires
sur le marché du travail.
Mots clés : Taux de change réel, Dynamique, Equilibre externe, Equilibre interne,
Classification J.E.L. : F31, F43
MEDEE, Université de Lille, 59655 Villeneuve d'Ascq Cedex, France.
E mail: [email protected], (correspondant) ; [email protected]
1
UNE APPROCHE DYNAMIQUE DU TAUX DE CHANGE
REEL D’EQUILIBRE
INTRODUCTION
La détermination d’une valeur adéquate du taux de change constitue la préoccupation tant
des économistes intéressés par les problèmes de macroéconomie internationale que celle
des banquiers centraux que préoccupent les risques d’inflation importée et pour lesquels les
fluctuations nominales conditionnent fortement leur choix de politique économique à
moyen terme. L’évolution récente de la parité de l’euro/dollar depuis janvier 1999 est là
pour rappeler l’extrême difficulté à prévoir le taux de change et l’origine de la récurrence
de cette thématique. Pourtant les théories du taux de change d’équilibre nominal ou réel
sont nombreuses. Très schématiquement, ces approches se divisent en deux courants. Le
premier, à la fois le plus ancien, le plus connu et le plus testé empiriquement, car le plus
aisé à manipuler est la fameuse parité des pouvoirs d’achat (PPA), qui depuis Cassel a fait
l’objet de nombreuses revues, avatars théoriques et tests économétriques. Sa pertinence
théorique ne fait aucun doute lorsqu’il s’agit de constituer une référence nominale à long
terme, ce qui n’est plus le cas quand l’accent est mis sur le taux de change réel dans le
moyen terme.
Le second courant, plus récent, porte sur les taux de change réel d’équilibre en des termes
plus macroéconomiques. Originalement développés par le FMI (FMI 1984 ; Clark,
Bartoloni, Bayoumi et Symansky 1994), popularisés par les travaux certes normatifs du
Taux de Change d’Equilibre Fondamental1 (noté Tcef par la suite) de Williamson (1983,
1994), ces modèles de taux change réel d’équilibre se sont depuis diversifiés selon des
courants théoriques différents, (Naturel Real Exchange Rate selon Stein ; Behavourial
Equilibrium Exchange Rate selon McDonald2) tout en gardant l’idée commune que la
balance courante doit être compensée par des flux de capitaux.
L’objectif de l’article est de développer un modèle théorique d’un taux de change réel
d’équilibre de moyen terme. La proposition fait explicitement appel aux propositions de
Tcef de Williamson. Cependant, l’approche de statique comparative développée n’offre par
construction pas la possibilité d’étudier les voies d’ajustements du taux de change à moyen
terme. L’un des principaux apport de l’article est de présenter une approche dynamique du
taux de change réel.
Le soubassement théorique de l’approche adoptée est un modèle où la croissance
économique domestique est à long terme contrainte par le dynamisme de la demande. Cette
classe de modèle (balance-of-payment constraint growth model), qui conclut que la
croissance économique domestique dépend d’une part de la croissance économique du
reste du monde d’autre part de la qualité de la spécialisation, à travers les élasticités du
commerce extérieur a été développé par Thirlwall en 1979. Cependant, l’échéance
temporelle de long terme du modèle initial n’est pas compatible avec le cadre temporel de
moyen terme qui est retenu pour proposer un modèle dynamique d’un taux de change réel
d’équilibre. La modification du cadre temporel remet alors en cause l’ensemble des
1Fundamental Equilibrium Exchange Rate.
2 MacDonald et Stein (1999) pour une présentation récente.
2
hypothèses conditionnant sa validité initiale qui deviennent ainsi les aspects clés sur
lesquels le modèle s’appuie.
Le modèle de croissance contrainte par l’équilibre extérieur est d’abord mis en avant en
mettant l’accent sur ces insuffisances (1). Le modèle est alors progressivement amendé en
deux étapes. L’accent est d’abord mis sur les modalités de l’équilibre de la balance des
paiements et les ajustements dynamiques en présence de déséquilibres extérieurs (2). Ce
modèle revisité est de nouveau modifié en y introduisant un bloc interne qui décrit les
modalités de formations des prix et des salaires sur le marché du travail et dont l’absence
constituait une insuffisance majeure du modèle de Thirwall (3). Cet apport contribue alors
à la définition d’un taux de change réel d’équilibre. Constituant une référence, celui-ci
correspond à la valeur du change réel qui assure un équilibre entre une balance des
paiements et la situation sur le marché du travail à travers la correspondance entre les
exigences des salariés et des entrepreneurs. La dernière section conclut.
I. APPORT D’UN MODELE DE CROISSANCE PAR LA DEMANDE
Durant une large partie des années 60 à 80, de nombreux économistes tentèrent d’expliquer
pourquoi les rythmes de croissance étaient différents suivant les pays. Le socle tant
théorique qu’empirique dominant était le modèle de Solow (1956). Largement approfondi
depuis avec les progrès récents de la théorie néo-classique de la croissance endogène, ce
modèle conclut qu’à long terme la croissance dépend exclusivement de l’offre de facteurs
de production. La demande n’a qu’un effet temporaire.
En 1979, Thirlwall a proposé un modèle de croissance alternatif. Il l’amende très
légèrement en 1982 avec Hussain. L’argumentation du modèle se fonde pour partie sur les
schémas théoriques de croissance cumulative de Kaldor (1970), sur le lien dynamique
entre croissance économique et croissance de la productivité, décrit par Verdoorn ainsi que
sur la dynamisation du multiplicateur statique du commerce extérieur décrit par Harrod
(1933), selon lequel le niveau du revenu domestique serait égal au ratio du niveau des
exportations et de la propension marginale à importer. Les travaux de Prebish (1950) et
Seers (1962)1 qui portaient sur les problèmes de croissance de nombreux pays en voie de
développement en élaborant la problématique du centre-périphérie faisaient déjà référence
aux écarts de croissance entre nations selon des modalités similaires, avec des hypothèses
semblables à celles que proposera Thirwall et procurant des résultats proches.
La présentation, puis l’analyse approfondie de ce modèle permettent de mettre en avant ses
limites. Les principales faiblesses inhérentes au modèle sont ainsi mises en exergue. Elle se
placent alors au cœur de notre proposition du modèle dynamique du taux de change réel
d’équilibre.
1.1. Le modèle de croissance par la demande.
L’idée centrale de l’approche de Thirwall (1979) est extrêmement simple et intuitive. Le
taux de croissance d’équilibre de l’économie est celui qui assure une stricte compensation
entre le rythme de croissance des exportations avec celui des importations et du taux de
change réel. A long terme, une économie ne peut réaliser un rythme de croissance qui
induirait un déséquilibre croissant de sa balance courante.
1 Pour les liens théoriques entre le modèle de Thirlwall et ces auteurs, cf. Thirlwall (1983).
3
La demande exerce un rôle prépondérant puisqu’elle conditionne les niveaux des flux
commerciaux. A l’inverse des approches néo-classiques, l'offre est exogène et s'ajuste aux
évolutions de la demande, en raison des valeurs supposées infinies des élasticités de l'offre.
Les prix dans cette petite économie ouverte sont fixes. Les éléments spécifiquement
financiers sont exogènes. Il n’y a pas de secteur financier et seul le secteur réel est pris en
considération. Ce modèle comprend dans la formulation générale qui fut présentée par
Thirlwall et Hussain (1982), trois équations.
Les deux premières sont les fonctions de demande en volume du commerce extérieur. Les
exportations en volume, t
X dépendent positivement du revenu du reste du monde
considéré en un seul bloc, noté t
Z, et du taux de change réel t
S=
()
t
e
tt PPE , lorsque t
E,
t
P et e
t
P sont respectivement les indices du taux de change nominal à l’incertain, des prix
domestiques et des prix étrangers. Le volume des importations, t
M dépend du revenu
national t
Y et de t
S. Leurs expressions s’écrivent1 :
ttt szx &
&
&10
αα
+= (1)
ttt sym &&& 10
β
β
= (2)
Les paramètres, strictement positifs, 0
α
, 1
α
, 0
β
et 1
β
s'interprètent tous comme des
élasticités. Elles permettent une analyse dynamique de la spécialisation en exerçant un rôle
multiplicatif sur les variables de revenu et de prix du commerce extérieur. Elles se
dissocient en élasticité-revenu et en élasticité-prix.
Les paramètres 0
α
et 0
β
sont les élasticité-revenu des flux d'exportations et
d'importations. Elles sont l'un des moyens d'évaluer la qualité de la spécialisation par
produit, l'adéquation de la spécialisation à la demande mondiale et implicitement l'état de
la spécialisation géographique, donc l'impact multiplicatif qu'exerce sur les volumes des
exportations et des importations respectivement toute variation unitaire, des revenus
étranger et domestique. L'élasticité-revenu des exportations est d'autant plus élevée que le
pays est spécialisé dans des produits à forte croissance de la demande où les gains de parts
de marchés sont élevés. L'accroissement de parts de marchés, notamment parce que
l'orientation sectorielle de la production est cohérente avec l'évolution de la demande
mondiale améliore la qualité des spécialisations, grâce à l'effet entraînant du commerce
extérieur. A l'inverse, l'élasticité-revenu des importations est d'autant plus forte qu’une
nation peut difficilement réduire, à brève échéance sa dépendance vis-à-vis de l'étranger.
Dans ce cas, le pays subit fortement les conséquences défavorables de l'évolution du
revenu domestique sur le solde extérieur.
1 Dans l’ensemble de l’article, les conventions suivantes sont adoptées :
Les variables écrites en majuscules correspondent à des niveaux, en valeur ou en volume. Les variables
correspondantes en minuscules sont les logarithmes népériens de leur valeur absolue. Les variables en
minuscules surmontées d’un point sont des taux de croissance instantanés (dérivées du logarithme népérien
de la valeur absolue des variables par rapport au temps) ; les variables en minuscules surmontées de deux
points sont des accélérations instantanées.
4
Cette approche de la qualité de la spécialisation ne peut suffire en elle même. Elle est
complétée par une analyse en terme de compétitivité-prix que reflètent les termes 1
α
et 1
β
.
Ce sont les élasticité-prix de la demande d'exportation et d'importation qui informent sur le
niveau de concurrence par les prix qui existe sur les marchés dans le cas où il n'y aurait pas
de discrimination entre les prix de vente sur le marché domestique et sur les marchés
concurrents. Elles permettent ainsi d'apprécier l'impact de toute variation des prix relatifs
sur le taux de couverture ou celui d'une politique de modification du change nominal sur
les conditions d'équilibre des comptes extérieurs. Des valeurs réduites des élasticité-prix
suggèrent que les entreprises disposent d’un pouvoir de marché sur leurs marchés dont
elles tirent partie en adoptant une stratégie de conquête ou de stabilisation de leurs parts de
marchés en différenciant leur offre de biens, qui constitue ainsi une source potentielle de
dépendance technique et commerciale vis-à-vis des consommateurs.
Enfin, la dernière relation est l’identité décrivant l’équilibre extérieur. Par construction, il
n’y a pas de transferts, ni de revenus du travail ou du capital. Les entrées nominales nettes
de capitaux en monnaie domestique, t
F, sont exogènes.
tt
e
tttt MEPFXP =+
L’expression dynamique de l’équilibre extérieur se déduit de cette expression :
()()
ttttxttx mepfxp &&&
&
&& ++=++ *
1
γγ
(3)
Le terme x
γ
qui demeure par hypothèse constant est la part des exportations en proportion
des recettes totales,
()
tttttx FXPXP +=
γ
. Lorsque ce taux de déséquilibre financier x
γ
est nul, les importations sont totalement financées par des flux de capitaux. Il n’y a pas
d’exportations. A l’inverse, le solde net des capitaux est nul lorsque x
γ
=1. L'équilibre
extérieur est un équilibre commercial.
1.2. Le rythme de croissance compatible avec l’équilibre extérieur.
Ce modèle comprend les équations (1), (2) et (3). L’évaluation du rythme de croissance
compatible avec l'équilibre extérieur noté B
t
y
& se réalise en associant les fonctions du
commerce international à la précédente relation :
()
()
t
xx
t
x
B
tspfzy &&
&
&
&
0
11
00
011
β
β
α
γ
β
γ
β
α
γ
+
+
+= (4)
Ce rythme de croissance résulte du jeu combiné des effets suivants :
Le taux de croissance réel du reste du monde t
z
& est le premier effet. Le rythme de
croissance interne peut être accru si celui de l'étranger s'améliore. Son impact total dépend
de la qualité de l'insertion dans la division internationale du travail, qui est le deuxième
effet.
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