pré-actes - Centre d`histoire sociale du XXème siècle

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PRÉ-ACTES
au 17 juillet 2014
Université Panthéon-Sorbonne et Centre Malher
SOMMAIRE DES PRÉ-ACTES DU COLLOQUE
Programme ........................................................................................................ 4
Liste des 27 communications par ordre alphabétique ...................... 7
Matt Swagler. Qui définit « la jeunesse »? Les étudiants et la
politique des organisations de jeunesse au Congo-Brazzaville, 1963
à 1968 ........................................................................................................................ 64
Comité scientifique et d’organisation....................................................... 8
Malika Rahal. 1968-1971 en Algérie. Contestation étudiante, parti
unique et enthousiasme révolutionnaire ................................................... 73
JEUDI 3 JUILLET ................................................................................................ 9
Atelier 3 : Connexions, circulations .......................................................... 74
I – ANNÉES 1960-1980 : LE TEMPS DES RÉVOLUTIONS ? ................... 9
Nicolas Bancel et Thomas Riot. Une étude comparée de la
mobilisation des jeunesses catholiques scolarisées dans les
décolonisations africaines : les cas du Rwanda et de l’ancienne AOF
entre 1945 et 1970 .............................................................................................. 74
Atelier 1 : Les années 68 au prisme des étudiants africains.
Subjectivation et transformations sociales .............................................. 9
Burleigh Hendrickson. Student Activism and the Birth of the
Tunisian Human Rights Movement ................................................................. 9
Ophélie Rillon. Révolution dans le genre au Mali. L’émergence de la
figure de l’étudiante contestataire dans les mouvements de la fin
des années 1970 .................................................................................................... 21
Klaas van Walraven. The Struggle of Sawaba in Niger and its
Students in Eastern Europe, 1958-1969..................................................... 81
Françoise Blum. De la FEANF et du mouvement étudiant en
diaspora .................................................................................................................... 82
Didier Monciaud. Les étudiants sont revenus (‫ »)رجعوا ال ت المذة‬: le
“68” égyptien, année de protestation et de rupture ............................... 32
Pedro Monaville. Lumumba, Mobutu, et Mao: Une “histoire globale”
du mouvement étudiant congolais ................................................................ 91
Irène Rabenoro. De l’espoir d’une “Ecole nouvelle” en Mai-1972 à
Madagascar au désespoir actuel des étudiants ........................................ 33
VENDREDI 4 JUILLET.................................................................................... 93
Morgan Corriou. Cinéphilie et engagement estudiantin en Tunisie
sous Bourguiba ...................................................................................................... 50
Pierre Guidi. « Éradiquons les voleurs ! » : les élèves de l'école
secondaire du Wolaita contre les élites locales (Éthiopie, 1970)..... 93
Bibliographie .......................................................................................................... 51
Atelier 2 : Autonomisation des mouvements étudiants ? Entre
engagement syndical et partisan ............................................................. 52
Pauline Bernard. De l'université au maquis : les militants étudiants
engagés dans la guérilla pendant la guerre civile de 1981-1986 en
Ouganda.................................................................................................................... 95
Héloïse Kiriakou. L’engagement politique des jeunes congolais à
l’aube de la révolution d’août 1963............................................................... 52
Mohamed Dhifallah. Radicalisation du mouvement étudiant
tunisien : Du gauchisme à l’islamisme (1963-1980) .......................... 107
Atelier 4 : Les voies de la radicalisation ................................................. 93
2
Sofiane Boudhiba. De l’universite a la rue : le rôle des étudiants
tunisiens dans la révolution du jasmin ..................................................... 116
Hughes Morell Meliki. Registres contestataires estudiantins et
inflexion du socle politique post-autoritaire au Cameroun ............. 206
Atelier 5 : Le syndicalisme étudiant comme outil de légitimation
...........................................................................................................................123
Tatiana Smirnova. Idées de la “nouvelle gestion publique” dans
l’enseignement supérieur au Niger : entre la promotion des valeurs
“démocratiques” et héritage du mode opératoire des régimes
autoritaires........................................................................................................... 219
Assani Adjagbe, Abdoulaye Bamba et André Dominique Yapi Yapi.
La Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) :
laboratoire d’une élite politique 1990-2010? ........................................ 124
Anna Deutschmann. From mobilization to institutionalization?
Students’ political activism in Mali and Kenya ...................................... 135
Olivier Provini. L’étude des mouvements étudiants comme grille de
lecture de l’action publique : appréhender le non-changement par
l’action collective. Le cas des mouvements étudiants des universités
du Burundi et de Dar es Salaam .................................................................. 220
Joseph Koffi Nutefé Tsigbe. Les contestations étudiantes à
l’université de Lomé : entre politisation, radicalisation et
négociation (1990-2010) ............................................................................... 144
En guise de conclusion. ............................................................................ 243
Atelier 6 : Que faire ? Désillusions, basculements et adaptations du
syndicalisme étudiant ................................................................................165
Pascal Bianchini. Les trois âges du mouvement étudiant dans les
pays d’Afrique subsaharienne francophone........................................... 243
Jacinthe Mazzochetti. Les étudiants burkinabè au tournant du XXIe
siècle. Entre luttes et compromissions, réussir sa vie ........................ 165
Table des matières .................................................................................... 268
Les Afriques dans le Monde, ......................................................................... 220
Hanna Cleaver. ‘Becoming a True Activist’ Student Activism in
Burkina Faso ........................................................................................................ 167
Claude Mbowou. Dans la boîte noire d’un mouvement étudiant en
contexte autoritaire. L’apprentissage contestataire au sein d’un
mouvement étudiant au Cameroun............................................................ 183
Mamadou Dimé. Entre syndicalisme alimentaire et stratégie
protestataire. Abdoulaye Wade et les étudiants : du héros adulé au
patriarche déchu ................................................................................................ 185
SAMEDI 5 JUILLET .......................................................................................206
Atelier 7 : Contributions des étudiants aux reconfigurations de
l’action publique...........................................................................................206
3
Programme
JEUDI 3 JUILLET
I – ANNÉES 1960-1980 : LE TEMPS DES RÉVOLUTIONS ?
Après-midi sous la Présidence de Françoise Raison
Matinée sous la Présidence de Klaas van Walraven et Sylvie
Thénault
Atelier 2 : Autonomisation des mouvements étudiants ? Entre
engagement syndical et partisan
14h00-15h00 :
 Histoire des luttes étudiantes au Congo-Brazzaville (1955-1974) :
Héloïse Kiriakou
 Qui définit la jeunesse ? Les étudiants et la politique des
organisations de jeunesse au Congo-Brazzaville : Matt Swagler
 1968 en Algérie. Contestation étudiante, parti unique et
enthousiasme révolutionnaire : Malika Rahal
Atelier 1 : Les années 68 au prisme des étudiants africains.
Subjectivation et transformations sociales
9h30-10h30 :
 Student activism and the Birth of The Tunisian Human Rights
Movement: Burleigh Hendrickson
 Révolution dans le genre au Mali : émergence de la figure de
l’étudiante contestataire dans les mouvements de la fin des années
1970 : Ophélie Rillon
 Les étudiants sont revenus : le “68” égyptien, année de protestation
et de rupture : Didier Monciaud
10h45-11h30 :
 De l’espoir d’une « école nouvelle » en mai 72 à Madagascar: Irène
Rabenoro
 Cinéphilie et engagement estudiantin en Tunisie sous Bourguiba :
Morgan Corriou
Atelier 3 : Connexions, circulations
15h45-17h :
 Une étude comparée de la mobilisation des jeunesses catholiques
scolarisées dans les décolonisations africaines : le cas du Rwanda et
de l’ancienne AOF entre 1945 et 1970 : Nicolas Bancel et Thomas
Riot
 The Struggle of Sawaba in Niger and its Students in Eastern Europe,
1958-1969: Klaas Van Walraven
 De la FEANF et des mouvements étudiants en diaspora : Françoise
Blum
 Lumumba, Mobutu et Mao : une « histoire globale » du mouvement
congolais : Pedro Monaville
4
VENDREDI 4 JUILLET
II – ANNÉES 1990 2010 : LE TEMPS DES AJUSTEMENTS
Matinée sous la Présidence de Souleymane Bachir Diagne et Malika
Rahal
Atelier 4 : Les voies de la radicalisation
9h30-10h15 :
 « Éradiquons les voleurs » : les élèves de l’école secondaire du
Wolaita contre les élites locales (Éthiopie, 1970) : Pierre Guidi
 De l’université au maquis : trajectoires militantes d’étudiants
pendant la guerre civile ougandaise de 1981-1986 : Pauline
Bernard
Après-midi sous la Présidence de Richard Banégas et Pierre
Boilley
10h30-11h15 :
 Radicalisation du mouvement étudiant 1968-1972 : Mohammed
Dhifallah
 De l’université à la rue : le rôle des étudiants tunisiens dans la
révolution de Jasmin : Sofiane Boudhiba
Atelier 5 : Le syndicalisme étudiant comme outil de légitimation
14h-14h45 :
 La Fédération étudiante et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) : Assani
Adjagbe, Abdoulaye Bamba et André Dominique Yapi Yapi
 From Mobilization to institutionalization? Students political
activism in Mali and Kenya: Anna Deutschmann
 Les contestations estudiantines à l’Université de Lomé, de la
radicalisation à la négociation : enjeux et conséquence (2004-2011) :
Joseph Koffi Nutefé Tsigbe
Atelier 6 : Que faire ? Désillusions, basculements et adaptations du
syndicalisme étudiant
15h30-16h30 :
 Les étudiants burkinabè au tournant du XXIe siècle. Entre luttes et
compromissions, réussir sa vie : Jacinthe Mazzochetti
 Becoming a true Activist: Student- Activism in Burkina Faso : Hanna
Cleaver
 Dans la boîte noire d’un mouvement contestataire : Claude Mbowou
 Entre syndicalisme alimentaire et stratégie protestataire. Abdoulaye
Wade et les étudiants sénégalais : Mamadou Dimé
5
SAMEDI 5 JUILLET
Matinée sous la Présidence de Mamadou Diouf
Atelier 7 : Contributions des étudiants aux reconfigurations de
l’action publique
9h30-10h30 :
 Registres contestataires estudiantins et inflexion du socle politique
post-autoritaire au Cameroun : Hughes Morell Meliki
 Comment la contestation des élèves et des étudiants au Niger
alimente l’agenda de l’enseignement supérieur : entre promotion des
valeurs « démocratiques » et héritages des régimes autoritaires :
Tatiana Smirnova
 L’étude des mouvements étudiants comme grille de l’action
publique : le cas des mouvements étudiants de l’université du
Burundi mis en comparaison avec les universités de Daar-Es-Salaam
et de Nairobi : Olivier Provini
11h15-11h45 : En guise de conclusion par Pascal Bianchini : Les
Trois âges du mouvement étudiant
6
Liste des 27 communications par ordre alphabétique
Jacinthe Mazzochetti (Université de Louvain)
Assani Adjagbe (Université Paris 1), Abdoulaye Bamba (Université Félix
Houphouët-Boigny) et André Dominique Yapi Yapi (Université Félix
Houphouët-Boigny)
Claude Mbowou (Université Paris 1)
Nicolas Bancel (Université de Lausanne) et Thomas Riot (Université de
Strasbourg)
Pedro Monaville (Michigan University)
Pauline Bernard (Institut des Mondes Africains, IFRA-Nairobi, Université
Aix-Marseille)
Olivier Provini (Les Afriques dans le Monde, Université de Pau et des
Pays de l'Adour)
Pascal Bianchini (CESSMA, Université Paris7)*
Irène Rabenoro (Université d’Antanarivo)
Françoise Blum (Centre d’Histoire Sociale du XXe siècle, CNRS)*
Malika Rahal (Institut d’Histoire du Temps Présent, CNRS)
Sofiane Boudhiba (Université de Tunis)
Ophélie Rillon (Institut des Mondes africains, Université Paris1)*
Hanna Cleaver (University of Copenhagen)
Tatiana Smirnova (Centre Norbert Elias/Ehess-Marseille)*
Morgan Corriou (Bibliothèque nationale de France)
Matt Swagler (Columbia University)
Anna Deutschmann (Bayreuth International Graduate School of African
Studies)
Joseph Koffi Nutefé Tsigbe (Université de Lomé)
Mohamed Dhifallah (Université de Tunis)
Hughes Morell Meliki (Université Yaoundé I)
Didier Monciaud (Gremamo, Université Paris7)
Klaas van Walraven (African Studies Center, Leiden University)
Mamadou Dimé (Université Gaston Berger)
Pierre Guidi (Institut des Mondes Africains, Université Paris 1)*
Burleigh Hendrickson (Northeastern University)
Héloïse Kiriakou (Institut des Mondes Africains, Université Paris1)
7
Comité scientifique et d’organisation
(* désigne les membres du comité d’organisation)
Richard Banégas (CERI-Sciences Po)
Pascal Bianchini (CESSMA/Université Paris7)
Françoise Blum (CHS/CNRS)*
Pierre Boilley (Imaf/Paris1)
Jean-Pierre Chrétien (Imaf/Université Paris 1)
Lila Chouli (Chaire sud-africaine d’études sur les changements
sociaux/UJ)*
Malika Rahal (IHTP)
Faranirina Rajaonah (CESSMA/Paris7)
Françoise Raison (CESSMA/Paris7)
Ophélie Rillon (Imaf)*
Tatiana Smirnova (Centre Norbert Elias/Ehess-Marseille)*
Klaas van Walraven (African Studies Centre Leiden)
Patrice Yengo (Université Marien N’Gouabi Brazzaville)
Leo Zeilig (Chaire sud-africaine d’études sur les changements
sociaux/UJ)
Souleymane Bachir Diagne (Columbia University)
Mamadou Diouf (Columbia University)
Omar Gueye (Université Cheikh Anta Diop, Dakar)
Pierre Guidi (Imaf)*
Jean-Philippe Legois (Cité des mémoires étudiantes)*
Marina Marchal (Cité des mémoires étudiantes)*
Elikia M’Bokolo (Ceaf/EHESS)
Robi Morder (Germe)
Cindy Morillas (LAM/Sciences Po Bordeaux)*
Michel Pigenet (CHS)
8
JEUDI 3 JUILLET
I – ANNÉES 1960-1980 : LE TEMPS DES RÉVOLUTIONS ?
Matinée sous la Présidence de Klaas van Walraven et Sylvie
Thénault (Centre d’histoire sociale du XXe siècle, CNRS)
Atelier 1 : Les années 68 au prisme des étudiants africains.
Subjectivation et transformations sociales
9h30-10h30 :
 Student activism and the Birth of The Tunisian Human Rights
Movement: Burleigh Hendrickson
 Révolution dans le genre au Mali : émergence de la figure de
l’étudiante contestataire dans les mouvements de la fin des années
1970 : Ophélie Rillon
 Les étudiants sont revenus : le “68” égyptien, année de protestation
et de rupture : Didier Monciaud
10h45-11h30 :
 De l’espoir d’une « école nouvelle » en mai 72 à Madagascar: Irène
Rabenoro
 Cinéphilie et engagement estudiantin en Tunisie sous Bourguiba :
Morgan Corriou
BURLEIGH HENDRICKSON. STUDENT ACTIVISM AND THE BIRTH OF THE
TUNISIAN HUMAN RIGHTS MOVEMENT
Northeastern University, Post-doctoral Fellow, Department of History,
Boston College
Before France's Mai 68, Tunisians held their own series of
lesser-known protests at the University of Tunis. Though the
movement was rooted in a local context, centered on the goal of
liberating imprisoned student leaders, it held several international
dimensions and developed into a transnational movement. In June
1967, a group of Tunisian students organized a protest against
Tunisia's failure to denounce the West's pro-Israel stance in the ArabIsraeli conflict, and student leader Mohamed Ben Jennet was
scapegoated with 20 years of hard labor. His harsh sentencing set off
university protests and elicited even stronger state responses and new
demands by students for increased human rights. I trace the genealogy
of the Tunisian human rights movement that developed directly out of
the Tunisian student movement of the late 1960s, and argue that this
played a critical role during intense moments of student and worker
activism throughout the 1970s. This period of heightened youth
activism and state brutality is particularly important to recall in the
wake of recent hagiographic recollections of Bourguiba when
compared to the ousted Ben Ali.
The history of student movements is also a history of statesociety relations, one in which this dialectic transformed the nature of
student movements and, in turn, of national politics. Perhaps no case
of transformative state-society relations was more evident than in
Tunisia. For the first time since Tunisian national independence in
9
1956, students in 1968 articulated alternative goals for the nation
outside of the dominant Bourguibist narrative. When Tunisian
authorities arrested key activist Simone Lellouche Othmani in
February 1972, students reactivated the 1968 movement and
demanded her release, along with a number of additional human
rights claims. This second wave of student activism in February 1972
constituted what many Tunisian participants refer to as "Tunisia's Mai
68" in the sense that it was the most widespread student protest in
Tunisia's young history. While Tunisian workers' unions often
criticized these early anti-authoritarian student movements and sided
with the Bourguiba administration, they eventually drew on many of
the same slogans in their own movement in 1978. And though not as
far-reaching as the Mai 68 of France or Senegal, the Tunisian student
movements of the 1960s and early 1970s gave way to important
transnational human rights activism targeting injustices committed by
the Bourguiba regime, and ultimately led to the creation of the first
Tunisian-based human rights organization in 1976 and the first
Amnesty International section in the region in 1981.
TUNISIAN STUDENT ACTIVISM
Tunisian university students have a strong history of activism
dating to the independence movement of the 1930s. Indeed, early in
his political career, Habib Bourguiba recognized the importance of
students in politics. He reached out to the Association of Muslim North
African Students (AEMNA) in France in 1937 to ask for support in
Tunisia's battle against French colonial power.1 Mohamed Dhifallah
has argued that students remained an important ally to the Bourguiba
regime after independence in 1956, and that Bourguiba continued to
make significant efforts to reach out to Tunisian university students,
particularly after the creation of the University of Tunis in 1960.2 It
was not until the early 1960s, when Bourguiba dissolved the Tunisian
Communist Party and seized its journal, that he faced his first real
challenge from student groups. In large part a response to this attack
on Tunisian communists, a Paris-based group of Tunisian intellectuals
and students formed to comment on national issues such as
agricultural reform, the tourism industry, and Tunisian foreign policy.
The Groupe d’études et d’action socialiste (GEAST), created in 1963,
initially centered its activity on its underground publication,
Perspectives tunisiennes, and group members were eventually referred
to as "Perspectives."
In 1964, Perspectives relocated its headquarters from Paris to
Tunis and, by 1967, the journal had transformed into a political organ
challenging government positions. Its famed “La Question
Palestinienne” became known widely in Tunisian university circles as
the brochure jaune, which advocated a two-state solution and attacked
the Bourguiba regime for failing to denounce what it deemed as Israeli
aggression.3 Perspectives took its criticism to the streets during the
Arab-Israeli war of June 1967 when it organized protests outside of
the British and American embassies in Tunis. Despite Perspectives'
non-violent stance, the protests drew large crowds from neighboring
areas of the city and ended with vandalism targeted at Synagogues and
Jewish-owned shops. In the aftermath of this volatile situation, the
Mohamed Dhifallah, “Bourguiba et les étudiants: Stratégie en mutation (1956–
1971),” in Habib Bourguiba: La trace et l’héritage, ed. Michel Camau and Vincent
Geisser (Paris: Éditions Karthala, 2004), 313-324.
3 “La question palestinienne dans ses rapports avec le développement de la lutte
révolutionnaire en Tunisie,” Perspectives Tunisiennes, brochure no. 2 (February 1968).
2
Habib Belaïd, "Bourguiba et la vie associative pendant la période coloniale et après
l'indépendance," in Habib Bourguiba: La trace et l’héritage, ed. by Michel Camau and
Vincent Geisser (Paris: Editions Karthala, 2004), 330.
1
10
Bourguiba regime selected Tunisian university student and
Perspectives' member Mohamed Ben Jennet as scapegoat for the
destruction.4 The pronouncement of his sentencing to 20 years of hard
labor in March 1968 elicited a series of university-wide student strikes
that pushed the regime to close the campus in Tunis and dole out
equally harsh punishments to March 1968 protestors. Indeed
Bourguiba created a Special Court to try the over 134 detained in
relation to the March events, and ultimately convicted over 80
protesters for crimes against the state in September 1968.5
Among the detained was Perspectivist Ahmed Ben Othmani,
who had studied in Paris in the 1960s and established a relationship
with Michel Foucault while he was a visiting Professor in the
Philosophy Department at the University of Tunis from 1966 to 1968.
Foucault even allowed Othmani to hide out in his Sidi Bou Saïd
residence when Othmani was evading police in 1967.6 In spite of his
relationship with prominent intellectuals like Foucault, Othmani
nonetheless received a prison sentence of 16 years, while his partner
and future wife, Simone Lellouche Othmani, was exiled to France after
Ben Jennet was a theology student at the Zitouna University at the time of his arrest.
According to Sophie Bessis, it is highly unlikely that Ben Jennet or other Perspectives
members advocated the anti-Semitic violence, especially since a substantial number of
Jews belonged to the group. Some have even charged that this was conducted by
militia forces under the direction of the regime itself to create a pretext for repressing
oppositional groups like Perspectives. See Bessis, “‘Perspectives’: l’effervescence
tunisienne des années 1960,” in 1968: Une histoire collective, ed. Philippe Artières and
Michelle Zancarini-Fournel (Paris: La Découverte, 2008), 122; and Interview with
Simone Lellouche Othmani, Paris, 2011. For an overview of Tunisian radical left
politics during this period, see also Abd al-Jalil Buqura, Harakat Afaq min Tarikh alYasar al-Tunisi (Tunis: CERES, 1993).
5 See Dhifallah, “Bourguiba et les étudiants," 321.
6 Ahmed Othmani with Sophie Bessis, Beyond Prison: The Fight to Reform Prison
Systems around the World, trans. Marguerite Garling (New York: Berghahn Books,
2008), 8.
the March events. Perspectives was not the only group to face the
wrath of the Tunisian authorities, as Communists and Ba'athists were
also cited as threats to the state and the nation in propaganda
published by the lone officially recognized Socialist Destourian Party
(PSD).7 This muscular reaction by the Bourguiba administration may
have temporarily crushed the student movement, but it also gave birth
to a robust and transnational human rights movement that Tunisian
activists launched from Paris.8
After a contentious period between students and
administration following the March strikes, the University of Tunis
erupted again in February 1972 shortly after activist Simone Lellouche
Othmani was arrested upon her return from exile in Paris. Authorities
informed her that she had been convicted in absentia for crimes
perpetrated during the March 1968 events. However, she was allowed
her to return in 1970 to marry fellow activist Ahmed Othmani without
incident, and detained and released in April 1971 with no indication of
the pending sentence.9 Lellouche Othmani's release coincided with a
crisis at the Congress of the lone government-recognized national
student union (UGET), when the regime intervened in August 1971 to
4
Parti Socialiste Destourien, La vérité sur la subversion à l’université de Tunis (Tunis:
Parti Socialiste Destourien, 1968).
8 I treat the transnational connections between Tunis and Paris at length in "March
1968: Practicing Transnational Activism from Tunis to Paris," International Journal of
Middle East Studies 44:04 (2012): 755-774.
9 Lellouche wrote to the ambassador of France describing her consternation upon
hearing through the press the news of her prison sentence of five and a half years, after
having been expelled by the Tunisian police in April 1968. Letter from Simone
Lellouche to the Ambassador of France in Tunisia, undated, in Fonds Simone Lellouche
et Ahmed Othmani, SOL 28; BDIC, Nanterre. For a detailed discussion of the events
surrounding February 1972, see Burleigh Hendrickson, "Imperial Fragments and
Transnational Activism: 1968(s) in Tunisia, France, and Senegal," (PhD diss.,
Northeastern University, 2014): 193-226.
7
11
prevent a coalition of Progressives from taking leadership from
Bourguiba's supporters in the PSD.10 The PSD's increased
interference in the national student union led many students to
demand autonomy and the creation of alternate extra-legal
organizations, and to petition for the removal of the single-party state
in university affairs. After the repression of 1968, the PSD's influence
in UGET waned significantly, and Bourguiba supporters were on the
verge of losing control of UGET executive offices. When it became clear
that Progressives held the majority at the Korba Congress, the PSD
helped to orchestrate a coup of the elections to place its own partisans
in positions of student leadership.
Lellouche Othmani was put on trial on 1 February 1972 and
received a suspended sentence of two years. This proved to be the last
straw for students after the Korba crisis. The massive protests that
followed the announcement of her verdict led to what she later
deemed, “the first democratic movement in Tunisia on a national
level,” albeit with “the university as its point of departure and a
provisional student organization that was only established for the
student masses, and whose existence was constantly contested by the
authorities.”11 News of her verdict sparked protests in which over
4,000 students at various colleges at the University of Tunis went on
strike. The February movement—viewed by many Tunisian activists
as Tunisia’s equivalent to France’s May 1968—included larger
Destourians within the national student union staged a coup at the Korba Congress
of 1971 once they realized they had lost elections. Participants recalled the details of
the February movement and the Korba Congress at a conference hosted by the
Tunisian National Archives: Le Congrès extraordinaire de l’UGET de février 1972,
quarante année après, Tunis 6-7 February 2012. See also interview with Simone
Lellouche Othmani, Paris, 2011.
11 Letter from Simone Lellouche Othmani to M. Claude Jullien of Monde Diplomatique,
dated Paris 3 December 1977, in Fonds Othmani, SOL 29; BDIC, Nanterre.
10
numbers than Tunisia’s March 1968 as it quickly spread to high
schools and even beyond Tunis, again leading the regime to close
down the University.12 This time, students called for the liberation of
Simone and Ahmed Ben Othmani, and held their own extraordinary
Congress during the February 1972 strikes to demand a more
democratic student union.13 As with Ben Jennet before, a Committee
For the Liberation of Ahmed Ben Othmani was created, and students
called for his release throughout the February movement. Compared
to March 1968, students made fewer references to Palestine or
Vietnam, and focused mainly on Ben Othmani’s liberation, for freely
elected student representation, and for freedom of expression.14 It is
worth noting that student wing of the defunct Tunisian Communist
Party did not participate in or denounce the university strikes. Where
the March movement began as a general anti-imperialist protest and
ended with narrower goals of liberating Ben Jennet and company,
February 1972 took the reverse order in that it was set off as a
liberation movement and grew to a national democratic one. Much of
For a comparison of Tunisia’s February 1972 to France’s May 1968, see “Une
Tunisiene citoyenne des deux rives,” 47. Here Lellouche Othmani describes both as
“spontaneous” movements “that completely transcended the realm of political parties
and organizations, whether recognized or clandestine.” The Tunisian minister of
National Education, Mohamed Mzali, announced closures of the universities of Tunis
until September 1972 through the press. L’Action, February 8, 1972.
13 Simone was expelled to France for a second time on 5 February 1972. Ahmed Ben
Othmani was re-arrested in April 1971 for allegedly having edited works published in a
Perspectives journal, El Amel Tounsi (The Tunisian Worker), and remained in prison
without trial at the time of Simone’s expulsion. Some editions were also published in
French as Le Travailleur tunisien. Amel Tounsi later became the name of a Perspectives
splinter group also known as the Organisation du travailleur tunisien in 1973, which
created a new series of El Amel Tounsi, and gave birth to the current Parti ouvrier des
communistes de Tunisie (POCT, or Tunsian Communist Workers’ Party), headed by
former Perspectives member Hamma Hammami.
14 See “Tunisie: une université en grève et...un ministre raciste,” Politique-Hebdo 15 (10
February 1972).
12
12
the global anti-imperialism that accompanied calls to liberate Ben
Jennet in 1968 had been replaced, by 1972, with more circumspect
objectives on the national level.
HUMAN RIGHTS AS A RESPONSE TO REPRESSION
While the 1968 and 1972 student movements resulted in
relatively few gains in comparison to similar activity in places like
France and Senegal, they did lead to the birth of the Tunisian human
rights movement. Following the heavy-handed verdicts of the
September trials, the 1968 Committee to liberate Ben Jennet morphed
into a broader International Committee for the Protection of Human
Rights (CISDHT), a Franco-Tunisian group based in Paris advocating
for incarcerated and detained Tunisian political activists. Consisting of
such prominent figures as attorney Marcel Manville, CISDHT
undertook a series of efforts to alert the international public to the
situation in Tunis, advocated for the rights of prisoners and assisted in
providing legal support. When reports of torture surfaced, it was
CISDHT that reached out to French media outlets to put international
pressure on the Bourguiba regime regarding prisoners' rights.15
Though their efforts to obtain short-term goals such as due process
only saw limited success, CISDHT members created an infrastructure
for transnational human rights activism that would be mobilized in
future movements.
The media campaign led to collaboration with the Paris-based and first
international human rights organization, the International Federation for Human
Rights (FIDH), which wrote a letter to Bourguiba in September 1968 denouncing the
torture of prisoners. “Lettre ouverte de la Fédération Internationale des Drois de
l’Homme au Président Bourguiba,” signed and dated by General Secretary Suzanne
Collette-Kahn, Paris, 13 September 1968, published in Tribune Progressiste 5
(December 1968).
15
With its original purpose to defend those convicted in 1968,
CISDHT was forced to evaluate if it had the means and desire to also
defend prisoners arrested following the protests of February 1972.
Simone Lellouche Othmani noted that CISDHT’s role was no longer
clear following the release of many of the prisoners. “We were seeking
liberation [and] it was not a question of overthrowing the government.
It was not a question of engaging directly in politics.”16 As another
CISDHT member put it, “[i]n the absence of a clear political line for
defending victims, we have oscillated between opportunism,
dogmatism, and sectarianism. This has often led us to a halt in action
within the committee. All of the difficulties we’ve faced came from
confusion between defense of democracy and a political program. ”17
When Bourguiba's February 1972 crackdown created another need
for the protection of Tunisian activists, a new Paris-based group, the
Tunisian Committee of Information and Defense of the Victims of
Repression (Comité tunisien d’information et de défense des victimes de
la répression [CTIDVR]), surfaced.
Made up exclusively of Tunisians, some CTIDVR members were
holdovers from CISDHT. They joined CTIDVR to narrow (i.e.,
nationalize) the group to Tunisian efforts for Tunisian human rights
causes. CISDHT was further divided regarding the polarizing PSD
minister Ahmed Ben Salah, whose failed collectivization policies
divided his supporters in the Tunisian Communist Party and the more
critical radical left. Ben Salah eventually met a similar fate to the
student militants of 1968 when he was ousted from the economic
planning ministry in September 1969 and convicted of 10 years of
Interview with Simone Othmani, Paris 2011.
See “Rapport auto-critique,” undated, CISDHT, in Fonds Othmani, SOL 28; BDIC,
Nanterre.
16
17
13
forced labor in 1970.18 CISDHT members remained split between
those who denounced Ben Salah as a member of the corrupt
Bourguiba administration and architect of a completely failed
agricultural collectivization project on the one hand, and reformers
who viewed Ben Salah as an oppositional socialist unfairly blamed for
economic factors outside his control on the other. To facilitate the
creation of CTIDVR, former French coopérant and CISDHT member
Jean Gattégno acted as the primary contact for the association, though
the organization was run by and made up of Tunisians.19 As a French
citizen, Gattégno acted as a convenient front man for the organization
and eased the process of receiving mail, creating a bank account and
obtaining publication and distribution authorizations.20 CTIDVR's
main goals were to inform the public of events in Tunisia and provide
legal, moral and material support to victims of repression, much like
CISDHT before its political strife.
CTIDVR engaged in a media campaign by sending "information
letters" to various press agencies. After sustained efforts from 1972 to
1974, it contributed to the appearance of articles on Tunisian
repression in French press agencies such as Le Monde, Libération,
L’Humanité, Politique-Hebdo and Afrique-Asie, as well as foreign
publications El Bayane (Morocco), El Hadef and El Balgh (Beirut), and
“Tentative de Bilan sur les problèmes de la défense,” undated, CTIDVR, in Fonds
Othmani, SOL 29; BDIC, Nanterre.
19 Simone Othmani provided similar cover for the Perspectives’ publication El Amal
Tounsi, providing her address and opening a bank account in her name. See interview
with Simone Othmani, Paris 2011.
20 Rights of association were not granted in full to foreigners until the arrival of
Mitterand’s Socialist government and the law of 10 October 1981. See Rémy Leveau
and Catherine Wihtol de Wenden, “Évolution des attitudes politiques des immigrés
Maghrébins,” Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no. 7, numéro special : Étrangers,
immigrés, Français (Jul. - Sep., 1985), 79.
18
obtained German television and radio interviews with Tunisian
hunger strikers and Tunisian Communist Party activists.21 Members
worked closely with Paris-based Tunisian student groups to organize a
hunger strike at the Maison de Tunisie in Paris in February and
December 1972. They also communicated regularly with Amnesty
International, and assisted in setting up Amnesty's “adoption” of a
number of prisoners. CTIDVR reported on events in both Tunisia and
France, noting in a communiqué of November 1973 that 25 students at
the University of Tunis were forced to enroll in military service as a
result of political activity, and that Tunisian immigrant workers in St.
Etienne and Lyon had been expelled by the Tunisian Consulate.22 This
shift toward the plight of Tunisian workers was further emphasized by
efforts at working with the Paris-based Arab Workers’ Movement
(Mouvement des travailleurs arabes [MTA]) during the same period.23
Their goals thus centered on the defense against repression occurring
on both sides of the Mediterranean while they advocated for both
students and immigrant workers.
In spite of certain successes in the defense of victims, CTIDVR
was not immune to internal strife. Friction dated to the accord reached
between Perspectives and the PCT in the formation of the Committee
for the liberation of Ben Jennet in 1967 in Tunis. The Committee’s
ability to reach consensus was jeopardized by Perspectives’
domination of the Paris section and their efforts to push the political
“Bilan Novembre 73-Juin 74,” undated, in Fonds Othmani, SOL 29; BDIC, Nanterre.
“Communiqué de Novembre 1973,” undated, in ibid.
23 For more on the MTA, see Rabah Assaoui, Immigration and National Identity: North
African Political Movements in Colonial and Postcolonial France (New York: Palgrave
Macmillan, 2009), 153-217 and "Le Discours du Mouvement des travailleurs arabes
(MTA) aux années 1970 en France: Mobilisation et mémoire du combat anticolonial,"
in Hommes et Migration 1263 (Oct.-Nov., 2006), 105-119.
21
22
14
agenda beyond Ben Jennet's liberation. Perspectives sent
representatives to Paris specifically to carry out orders from Tunis.
Hachemi Ben Fredj led the Paris section of Perspectives—in part to
keep watch on rogue members like Khémaïs Chammari, who
frequently disobeyed orders regarding publication—while Chérif
Ferjani replaced Simone Lellouche Othmani as the voice of
Perspectives within the CTIDVR after she proclaimed her independent
position.24
By late 1972, radical factions of the CTIDVR sent
representatives to committee meetings in an effort to impose the
participation of political organizations and expand the goals of the
group.25 Older members, such as Khémaïs Chammari and Simone
Lellouche Othmani, resisted such initiatives, but the democratic nature
of group meetings often led to domination by factions who organized
larger numbers of participants. By the mid-1970s, CTIDVR had been
weakened with many of its leading members imprisoned when they
returned to Tunisia.26 As a result, Chammari eventually shifted
Interview with Simone Othmani, Paris 2011. Unlike her husband, Lellouche Othmani
was never an official member of Perspectives, though she maintained regular contact
with many of its members. In addition to her active role at different points in CISDHT
and CTIDVR, Lellouche Othmani also assisted imprisoned Tunisian activists in
enrolling at the University of Paris VIII in various programs. She first had to obtain the
accord of sympathetic university administrators and professors in Paris to take on the
imprisoned students who in many cases were blocked by Tunisian authorities from
receiving books and other related materials. In some cases, the prisoners had been
forbidden from ever taking another university course at the University of Tunis. In
many ways, French universities provided the most plausible alternative, especially
considering the status of diploma equivalency between French and Tunisian
universities.
25 “Tentative de Bilan sur les problèmes de la défense,” undated, CTIDVR, in Fonds
Othmani, SOL 29; BDIC, Nanterre.
26 For example, Chérif Ferjani returned to Tunis in 1975 only to be imprisoned for
illegal distribution of activist literature. Interview with Chérif Ferjani, Lyon 2010.
24
allegiance and was instrumental in developing the Tunis-Based
Tunisian League for Human Rights (Ligue tunisienne des droits de
l’homme, or LTDH). Though not in concert, both groups worked
actively for the release of political prisoners following yet another
regime crackdown in January 1978. This time, the once PSD-friendly
national workers' union led the strike and brought in far larger
numbers than the students in 1968 or 1972. So while international
action was essential to reaching a public audience and providing
support to detainees, the political differences of various organizations
on the left were also reflected within groups like CTIDVR that
attempted to organize activists under a larger umbrella. And although
CTIDVR was created in many ways as a reaction to CISDHT’s
fracturing, it eventually succumbed to similar internal disputes. 27
"BLACK THURSDAY": JANUARY 1978
MOVEMENT
AND
THE WORKERS
While the student protests of 1968 in both Senegal and France
sparked general strikes with the participation of flagship national
labor unions, workers did not participate en masse in Tunisia until
January 1978. Labor unions were an integral part of the Tunisian
independence movement, and the national labor union, the UGTT, had
been allied with Bourguiba's Neo-Destour since 1946.28 These ties
between labor and the state persisted into the independence era, and
labor leaders backed the regime in its suppression of the student
movements in 1968 and 1972. UGTT secretary general Habib Achour
publicly stated of Simone Lellouche Othmani in February 1972 that
"[UGTT] will never tolerate a strike in favor of a zionist woman...I
“CISDHT - La lutte contre la répression: information, assistance juridique, soutien
des prisonniers,” undated, in Fonds Othmani, SOL 28; BDIC, Nanterre.
28 The Neo-Destour, created in 1934 and led by Bourguiba, was renamed the Parti
Socialiste Destourien in 1964 following Tunisian independence.
27
15
affirm that the 'Red Guard' of the Party is the UGTT, which will always
assume full responsibility for the defense and safeguarding of the
fruits of the nation."29 This reference to Mao's Red Guard—the
paramilitary group deployed in 1966 to protect the Cultural
Revolution—was rather ironic given that Achour actively mobilized
workers to suppress communist and Maoist students.
Yet state-labor relations eventually soured as the PSD
encroached upon workers' rights. At the moment of Tunisian
independence in 1956, the workers numbered between 150,000 and
200,000, and were often divided by nationality. By the 1970s, the
working class was much more homogeneous and ballooned to
approximately 500,000 by 1974, almost 1/3 of the active population.30
This rising class became more demanding in the mid-1970s. Tunisia's
nationalized transportation industries were vulnerable to the power
of a strong national labor union that often had monopolies on the
commodity of labor. From 1970-74, salaries increased 35% thanks to
worker strikes, but the state put in place a repressive law in 1974
allowing the requisition to cease even legal strikes and up to one-year
prison sentences for strikers who refused to adhere to state's orders.31
The tensions between labor and the state were temporarily
mitigated in a 19 January 1977 labor agreement (termed "the Social
Pact") that was designed to increase wages in exchange for the state's
L'Action, 11 February 1972.
Mahmoud Ben Romdhane, “Mutations économiques et sociales et mouvement
ouvrier en Tunisie de 1956 à 1980,” in Le mouvement ouvrier maghrébin, ed.
Noureddine Sraïeb and the Centre de recherches et d’études sur les sociétés
méditerranéennes (Paris: Éditions du Centre national de la recherche scientifique,
1985), 279.
31 Ibid, 280.
29
authority to withhold the workers' right to strike. Yet already by
September 1977, authorities had seized the UGTT's organ Ech-Chaâb
(The People), which had become increasingly critical of the regime.
Meanwhile, labor leader Achour faced death threats in November
1977, allegedly from PSD henchmen.32 Achour distanced himself from
the Bourguiba regime when, in a symbolic act demonstrating his
desire for syndical autonomy, he resigned from the PSD at UGTT's
national council meeting of 8-10 January 1978. Authorities retaliated
by arresting a prominent UGTT labor leader and agitator from Sfax,
Abderrazak Ghorbal on 24 January. Achour finally broke ties with the
regime in a call for a general workers' strike set for 26 January 1978,
the first of its kind since Tunisian independence. He borrowed a slogan
from the student movement by exclaiming before a crowd of union
members gathered in Tunis, "the only supreme combatant is the
people."33 The violent state response led to the first instance in which
students and labor leaders agitated for similar causes in Tunisia. In
addition, it also mobilized transnational human rights activist
networks on behalf of detained labor leaders that had been forged
during the 1968 and 1972 student movements.
The regime's oppressive reaction to striking workers on 26
January came to be known as "Black Thursday." As early as 25 January,
authorities encircled UGTT headquarters, effectively blocking in 200 of
its leaders who had ordered striking workers to stay home to avoid
provocations by authorities. Upon the arrest of their leaders,
thousands of workers took to the streets and clashed with police,
30
See Newsletter no. 02381 of the Collectif Tunisien 26 janvier, undated, in Fonds
Othmani, SOL 34, BDIC, Nanterre.
33 Quoted in Marguerite Rollinde, "Les émeutes en Tunisie: un défi à l'état?" in Émeutes
et mouvements sociaux au Maghreb: Perspective comparée, ed. Didier Le Saout and
Margureite Rollinde (Paris: Karthala, 1999), 113.
32
16
military, and PSD militia forces. It was the first time in Tunisian history
that the PSD acknowledged having recruited and deployed militia
forces. PSD director and former Information Minister Mohamed
Sayah—who was also accused by activists of creating student militias
to spy on Tunisians in France in the 1960s and of ordering the torture
of students after February 1972—publicly acknowledged the
existence of the militias in March 1978.34 He claimed to have recruited
about 500 members to provide support to police, though unofficial
sources put the figure at over 2,500. 35 According to Afrique-Asie, the
Black Thursday clashes resulted in 250 dead, 1,000 injured, and 2,000
arrested or brought in for interrogation at a detention camp in Oued
Ellil near Tunis. Authorities also apprehended 500-600 union
members, many of whom cited the use of torture during their
captivity.36 The regime declared a nation-wide state of emergency that
was not lifted until 25 February, and imposed a curfew in Tunis
through 20 March. A number of labor leaders were brought before the
Special Court that was created in 1968 to prosecute student protestors
for crimes against the state.
In October 1978 the court sentenced Achour and Ghorbal to 10
years of forced labor with 13 other labor leaders receiving heavy
Interview with Simone Lellouche Othmani, Paris, 2011; “Le rôle politique et culturel
de Perspectives et des Perspectivistes dans la Tunisie indépendante,” in Mouvements
nationaux tunisiens et maghrébins, series 3, 17 (2008): 144; and "Interview - Dr.
Saadedine Zmerli, ex-président de la Ligue Tunisienne des Droits de l'homme," Le
Temps, 16 February 2011.
35 See Nigel Disney, “The Working Revolt in Tunisia,” MERIP Reports, No. 67 (May,
1978), 12-14.
36 "Le massacre du 26 janvier," Afrique-Asie 154 (February 1978). After political claims
against previous regimes were liberalized following the Tunisian Revolution of
January 2011, UGTT leaders called for an investigation into acts of torture by the
Bourguiba regime associated with the events of Black Thursday.
sentences.37 Thirty union members were charged before the court
with article 72 of the Tunisian Penal Code, for which the death penalty
could be applied: “Aggression aimed at changing the government;
inciting citizens to kill each other; inciting disorder, murder, and
pillaging; distribution of arms and groups seeking to destroy the
property of others."38 At least 92 UGTT members were imprisoned for
crimes related to the 26 January events. The majority of those charged
would be released by summer 1979 thanks to the efforts of human
rights watch groups.39 Though political opposition to Bourguiba
experienced tensions throughout the post-independence era, many
found common ground in seeking political rights for Tunisian citizens
and more humane prison conditions. [Also need to mention TUnisian
Collective of 26 January,
By 1973, Perspectives had been paralyzed by prison sentences
of its intellectual core and splintered when a new generation on the
left created the populist group Amel Tounsi (The Tunisian Worker).
Original Perspectives members like Ahmed Othmani and Gilbert
Naccache criticized Amel Tounsi for its naive support of global
communism and for sacrificing the intellectual origins of Perspectives
in its quest for populist support.40 Othmani explained the political and
generational split within the left:
34
" Marguerite Rollinde, "Les émeutes en Tunisie: un défi à l'état?" 114.
“Procès des libertés démocratiques et syndicales en Tunisie,” Bulletin spécial no. 27
(Sept. 1978), CTIDVR, Paris, in Fonds Othmani, SOL 32; BDIC, Nanterre.
39 See the International Labor Organization, "Interim Report No. 197," Case No. 899
(Tunisia),
November
1979,
at
http://www.ilo.org/dyn/normlex/en/f?p=1000:50002:0::NO::P50002_COMPLAINT_T
EXT_ID:2900103#1
40 Perspectives began as an intellectual journal addressing the national problems of
Tunisian development through theoretical engagement.
37
38
17
They were 100 per-cent pro-Albanian communists, whereas
we—the old guard—had
finished with all that long ago. It was
then that I decided never again to work in politics with a capital P,
but instead to fight for the defence of human rights. After the political
and ideological break with Amel Tounsi, the first generation of
Perspectives was thus intellectually ready to join the human rights
movement from the mid-1970s on.
This evolution illustrates the capacity of the various
components of the Tunisian opposition to come together again, no
longer around a political programme, but in the
wider defence of
human rights. The Tunisian Human Rights League was founded in
1977 as a front uniting the political strands, no longer through
partisan interest, but around the common denominator of the rights
of the individual.41
On the eve of Black Thursday, the networks and infrastructure
created during previous movements were in place. The last piece of
ideological common ground crystallized with the creation of a
homegrown, legally recognized Tunisian Human Rights League in
1977 that had support systems and information dissemination groups
located abroad. Paris again proved to be a center of activism and
coordination with Tunis when human rights groups took action after
the atrocities of 26 January 1978. As they had done since 1968,
activists across the Mediterranean responded to the state-sponsored
violence of Black Thursday and actively sought the liberation of
political prisoners. Paris was home to advocates of political prisoners
in organizations like the "Tunisian Collective of 26 January" and the
Ahmed Othmani with Sophie Bessis, Beyond Prison: The Fight to Reform Prison
Systems around the World, trans. Marguerite Garling (New York: Berghahn Books,
2008 [2002]), 21-22.
CTIDVR, while the Tunisian Human Rights League led efforts in
Tunisia to liberate Black Thursday activists. The PSD media outlets
sought to frame the events as a government response to a traitorous
plot to overthrow the regime by a UGTT minority, whereas human
rights organizations focused on state repression and published
alternative news reports. Much of their activities were devoted to
information production and dissemination to communities in Tunisia
and France. For its part, the PSD engaged in its own media campaign
and narrative construction around the events of Black Thursday with
the aid of a national radio station (Radio Tunis) and the regimefriendly daily, L'Action, as well as a livre blanc entitled La politique
contractuelle et les événements de janvier 1978 (Contract Politics and
the Events of January 1978).
The Tunisian Collective of 26 January was created in Paris to
"undertake the largest possible information and solidarity campaign
with all those who wish to come to the aid of the working class and of
the UGTT to actively and effectively express solidarity and to sensitize
international opinion on the bloody repression in Tunisia."42 The
organization released Newsletters and "Information Flashes" that
acted as correctives to official Tunisian sources. Given the lack of faith
in state-controlled sources of information, the major goal of the
collective was to act as a check on the state's discursive power. The
Collective also worked closely with Amnesty International, which
released a report on 20 March 1979, the 23rd anniversary of Tunisian
independence. The report denounced human rights violations in
Tunisia regarding the use of torture on prisoners including cigarette
burns and beatings by club, which resulted in the poor health of
41
See "Plateforme du Collectif," in Newsletter of Collectif Tunisien du 26 janvier,
undated, in Fonds Othmani, SOL 34; BDIC, Nanterre.
42
18
prisoners such as Achour.43 The collective's reporting aided in
obtaining the support of French organizations like the French Socialist
and Communist Parties, as well as the French labor unions CFDT and
the CGT.44
The Tunisian Human Rights League launched an investigation
into the death of activist and UGTT member Houcine el Kouki, whom
many believed to have resulted from the use of torture.45 The
collective also published prisoners' personal accounts of prison
conditions and torture. In a letter signed by 32 UGTT members
detained at the Sousse civil prison, one prisoner described his
experience:
In effect we were encircled by members of the BOP security
services, the firefighters
corps, the army and the Destourian
militia, which ordered us to lift our arms and began to beat us, slap
and kick us, along with blows on all parts of the body...
lasted until the morning in an atmosphere of terror and fear, in front
of agents
armed to the hilt and led by A...A and M...H.46
These descriptions used only the first letter of the first and last names
of the violent perpetrators who remained unidentified in the report.
Prisoners received only one piece of harissa-dipped bread per day, and
access only to contaminated water twice per day. Thanks in large part
to the efforts of groups like the Tunisian Human Rights League, the
CTIDVR, and the Collective of 26 January, Achour and several others
received presidential pardons on 3 August 1979, well before their tenyear sentences had been served.47 Their joint efforts led to the
comparatively swift release of UGTT activists in 1979, the same year
long-term political prisoners like Ahmed Othmani and Gilbert
Naccache were released.
Other trade union members were thrown on the ground,
against walls and windows, then stomped. To the point that one
comrade suffered a broken vein and has problems with his arm
today...The most odious was inflicted upon 10 women who were
arrested
with us. Their female dignity was besmirched with a
rare cruelty. They were insulted,
ridiculed, knocked down, and
humiliated with degrading gestures and savagely beaten.
This
See “L’Action d’Amnesty International,” in Flash Info of the Collectif Tunisien du 26
Janvier, March 1979, in Fonds Othmani, SOL 34; BDIC, Nanterre; and Amnesty
International: rapport 1979 (Paris: Éditions Mazarine, 1980), 210-214.
44 See Le Monde, 3 February 1978 and 5-6 February 1978.
45 See Bulletin no. 4 of the Collectif Tunisien du 26 Janvier, undated, in Fonds Othmani,
SOL 34; BDIC, Nanterre.
43
Flash d'information "Témoignages de l'intérieur de la prison de Sousse sur la
torture," undated, in Fonds Othmani, SOL 34; BDIC, Nanterre.
47 See the International Labor Organization, "Interim Report No. 197," Case No. 899
(Tunisia),
November
1979,
at
http://www.ilo.org/dyn/normlex/en/f?p=1000:50002:0::NO::P50002_COMPLAINT_T
EXT_ID:2900103#1
46
19
CONCLUSION
The student movement in Tunisia has been, since national
independence, inseparable from its human rights movement. After the
initial June 1967 protest, students' pronouncements of anticolonialism shifted to calls for freedom of expression, rights of
assembly, and due process before the law. Because of the Tunisian
state's particularly draconian responses to June 1967 and March 1968,
the course of the student movement rerouted to meet the immediate
demands of liberating their detained colleagues. Some activists, such
as Ahmed Ben Othmani, spent the majority of the 1970s behind bars,
and faced periodic torture and limited contact with attorneys and
family members. With heavy risks of imprisonment, state-imposed
violence, and fear of bodily harm, this new human rights movement
went transnational and employed old postcolonial networks of
activists residing in France. Based largely in Paris and Tunis, these
activist groups sought to garner French and international public
opinion in favor of repressed student activists, advocated for penal
reform, and produced alternative versions of events to counteract
state-controlled media. Radical elements of 1960s Tunisian youth
articulated a postcolonial nationalism that reflected different views on
the direction of the Tunisian nation, and an alternative vision for
Tunisia absent the political repression of Bourguism.
and collective political goals, which led to internal strife and the
creation of splinter or alternative organizations, they eventually
resulted in the creation of the Tunis-based Tunisian Human Rights
League. This was the first of its kind in Africa or the Arab world and
remains active today. By 1978, infrastructure was in place to carry out
effective national and international campaigns for the successful
release of a number of striking workers and other activist intellectuals.
While this was likely also in part due to the high profile of the
imprisoned—many were former lead officials in the national workers'
union with deep roots in the PSD—the human rights efforts of
previous student-dominated movements provided organized
networks of political pressure that were reactivated in 1978. In
addition to the human rights networks, student agitators also
provided a language of resistance upon which labor leaders like
Achour and Ghorbal drew extensively.
1968 activism led to creation of human rights organizations in
support of Tunisian causes. These were initially launched in Paris in
large part due to the post-colonial relationships linking Tunisia and
France through education and industry. Paris provided relative safety
from which to levy criticisms the Bourguiba regime and the Socialist
Destourian Party. Yet these were very much concerned with Tunisian
national causes. While these organizations struggled to outline clear
20
OPHÉLIE RILLON. RÉVOLUTION DANS LE GENRE AU MALI. L’ÉMERGENCE DE LA
FIGURE DE L’ÉTUDIANTE CONTESTATAIRE DANS LES MOUVEMENTS DE LA FIN
DES ANNÉES 1970
Institut des Mondes africains, Université Paris1
« Auparavant, le fils devait suivre les traces de son père.
Auparavant, les pères donnaient l’exemple : courage, dignité, foi.
Aujourd’hui, l’ordre du monde est inversé :
Les fils se battent
Les fils meurent la tête haute
Les pères restent au foyer
Ils consolent les femmes en pleurs
Ils donnent l’exemple de leur couardise »48.
Les mouvements de contestation qui avaient émergé dans le milieu
scolaire, au lendemain du coup d’État de 1968 au Mali, prirent une
forme inédite à la fin de la décennie 1970. Durant trois ans, de 1977 à
1980, les élèves et les étudiants ont multiplié les grèves et les
manifestations, défiant ainsi le régime militaire de Moussa Traoré.
Parties de revendications catégorielles (opposition à la mise en place
d’une sélection à l’entrée du supérieur49), leurs mobilisations ont
plongé le Mali dans une crise politique sans précédent avant de
s’estomper, à partir du printemps 1980, sous les coups d’une violente
répression et de l’assassinat du leader estudiantin Abdoul Karim
Camara dit « Cabral ». Ce premier mouvement social de grande
Chant de femmes cité par DIARRAH Cheick Oumar, Mali : bilan d’une gestion
désastreuse, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 43.
49 Au fil des ans, les revendications se sont élargies : libération des élèves arrêtes,
suppression de l’instauration d’un concours d’entrée dans la fonction publique et du
tronc commun dans le secondaire, amélioration des conditions matérielles (cantines,
bourses) et arrêt de l’exclusion des filles-mères des établissement scolaires.
ampleur dans le Mali indépendant fit surgir une nouvelle catégorie
contestataire dans l’espace public : les jeunes scolarisés qui
disposaient, désormais, d’une organisation autonome vis-à-vis du
pouvoir politique et des aînés : l’Union Nationale des Elèves et
Etudiants du Mali (UNEEM), créée en 1975 au sein de l’Ecole Normale
supérieure (ENSup). A l’instar de nombreux pays d’Afrique
francophone, le Mali ne disposait pas d’université à cette période50. Les
« mouvements étudiants » analysés dans cette communication
émanent donc des Ecoles supérieures de formation des cadres et des
Ecoles secondaires au sein desquelles se trouvaient les plus grandes
cohortes d’élèves. Leur irruption spectaculaire résultait d’un
processus long et discontinu de « politisation des jeunes générations
issues du creuset scolaire colonial » initié à partir de 194551, suivi dans
les années 1960 et surtout 1968, d’une tentative d’affranchissement de
la posture subalterne et déférente que les dirigeants politiques
attendaient d’elles. Dix ans plus tard, les scolaires portaient une parole
qui leur était propre et s’affirmaient comme une force politique
singulière.
A entendre le chant de femmes cité en exergue et composé dans le
contexte des grèves étudiantes, les hiérarchies sociales furent
bouleversées, « l’ordre du monde [fut] inversé » : les pères avaient
démissionné de leurs obligations d’aînés et s’étaient repliés dans
l’espace féminin du foyer, tandis que les fils s’étaient emparés des
attributs virils (courage et combativité) qui forgeaient l’autorité des
chefs. Quant aux femmes, essentialisées comme mères et épouses, elles
48
L’université de Bamako date de 1996.
NEDELEC Serge, « Le Festival de la Jeunesse africaine de Bamako 1958 », in
ALMEIDA-TOPOR Hélène d’, GOERG Odile, COQUERY-VIDROVITCH Catherine,
GUITART Françoise (dir.), Les Jeunes en Afrique, Paris, L’Harmattan, tome 2, 1992, p.
204.
50
51
21
pleuraient les morts et chantaient les louanges des nouveaux héros.
Suivant cette distribution des rôles, les jeunes filles n’avaient pas leur
place dans l’histoire : l’affrontement, qui opposait les étudiants aux
militaires était masculin ; la dévotion était maternelle. L’hégémonie
masculine de la lutte chantée par ces femmes était indéniable.
Pourtant, dans ces mondes d’hommes qu’étaient l’école, les
mouvements sociaux et le pouvoir politique, ont émergé des figures
féminines moins immédiatement saisissables. Habituellement exclues
de l’histoire politique, les jeunes filles n’étaient évoquées jusqu’à cette
période que dans des sources relatives aux mœurs, au mariage, à la
scolarisation. Or dans le contexte où on les attendait le moins, de crise
politique et de violences, ont émergé des individualités féminines.
Étrange paradoxe que cette visibilité – certes relative, mais néanmoins
nouvelle – d’individus qui cumulaient un double statut de mineures :
jeunes et femmes à la fois. Les lycéennes et les étudiantes qui ont
participé au mouvement social de 1977-1980 n’étaient cependant pas
n’importe quelles filles : scolarisées car issues d’un milieu aisé
d’intellectuels, elles appartenaient à une élite sociale. Elles pouvaient
jouir de cette période transitoire qui s’étire de l’enfance à l’âge adulte
(symbolisé par le mariage), au même titre que certains garçons, bien
plus nombreux52. Ces jeunes filles « bourgeoises », « intellectuelles » et
« engagées » étaient donc des marginales qui, bien que fréquentant
En 1976, l’âge moyen d’entrée au mariage en milieu urbain était évalué à 29 ans
pour les hommes et 19 ans pour les femmes. D’autre part, 24 % des urbaines de 20-24
ans étaient célibataires (contre seulement 9 % des femmes rurales). Du côté des
hommes, 61 % des 25-29 ans étaient célibataire en zone urbaine (contre 44 % en zone
rurale). Ainsi, il semble que pour les femmes, la scolarité repoussait l’entrée en union
alors que pour les hommes, le facteur économique était la principale cause d’un célibat
prolongé. MARCOUX Richard, GUEYE Mouhamadou, KONATE Mamadou Kani, « La
nuptialité : entrée en union et type de célébration à Bamako », in OUEDRAOGO
Dieudonné, PICHE Victor (dir.), L’insertion urbaine à Bamako, Paris, Karthala, 1995, p.
123.
52
pour la plupart des établissements non-mixtes, bénéficiaient d’un
modèle d’éducation pensé pour les garçons. Elles n’en demeurent pas
moins des figures évanescentes qui ne laissèrent que peu de traces
dans le « panthéon » masculin de la lutte.
L’ÉTUDIANTE CONTESTATAIRE : UNE NOUVELLE FIGURE DE LA LUTTE
Si les femmes étaient peu nombreuses dans les lycées et les
établissements du supérieur, nombre de militantes politiques et
syndicales ont fait leurs premières armes au sein des luttes
estudiantines des années 1977-1980. Les plus âgées d’entre elles
participèrent à la révolte des étudiants de l’École Normale Supérieure
(ENSup) contre le coup d’État militaire de 1968 qui renversa le régime
socialiste de Modibo Keita. Le second événement fondateur pour cette
génération militante a été l’enterrement de Modibo Keita en 1977. AM,
alors au Lycée des jeunes filles de Bamako, se souvient avoir suivi le
mot d’ordre de l’UNEEM à venir manifester en faveur de la mémoire de
l’ancien président « parce que beaucoup d’étudiants à l’époque se
reconnaissaient en lui »53. Dans les archives de la presse, de
l’Ambassade de France, et du Ministère de l’Intérieur du Mali, ces
jeunes filles demeurent cependant invisibles en tant qu’individus :
aucun nom, aucune figure n’apparaît dans le mouvement de 1977.
Comme l’écrivait Alexandra Boudet-Brugal, au sujet de l’engagement
des étudiantes américaines contre la guerre du Vietnam, « elles
semblent former une masse de participants anonymes, venant grossir
les rangs lors de manifestations, se fondant dans le flot bouillonnant
Entretien AM, élève au Lycée des Jeunes Filles en 1977 et étudiante en Lettres à
l’ENSup en 1979-1980. Bamako Coura, 18 février 2010.
53
22
de l’opposition »54. Bien que les lycéennes se rendaient dans les
manifestations en partant de leur établissement et formaient ainsi des
groupes de filles, elles se fondaient ensuite dans les cortèges de
lycéens ou d’étudiants et défilaient aux côtés de leurs camarades
masculins. « Les filles agissaient en même temps que nous, elles nous
accompagnaient »55 se souvient un ancien étudiant, signifiant par là
l’indistinction des jeunes filles dans le mouvement et leur adoption des
codes dominants de lutte. L’UNEEM avait pourtant cherché à les
rendre plus visibles en imposant qu’une représentante du Lycée des
Jeunes Filles ou du Lycée Notre-Dame du Niger siège dans le bureau
exécutif de l’organisation. Elles bénéficiaient donc d’un traitement
spécifique qui visait à promouvoir leur insertion dans le mouvement.
La massification du mouvement et la prise en compte de sa
composante féminine par l’UNEEM ont favorisé l’émergence de figures
féminines contestataires au fil des grèves. RD, lycéenne en 1980,
évalue à cinq ou six le nombre de jeunes filles qui avaient alors des
responsabilités au sein de l’UNEEM :
« Il n’y avait pas beaucoup de filles pour la simple raison qu’il n’y avait
pas beaucoup de filles scolarisées […] Je crois que nous étions cinq à
six à être dans le mouvement. Il y avait le Comité du Lycée des Filles, il
y avait le Comité du Lycée Notre Dame du Niger qui étaient des
Comités exclusivement féminins parce qu’il n’y avait pas de mixité
dans ces lycées. Mais dans les lycées mixtes, il y avait très peu de filles
BOUDET-BRUGAL Alexandra, « Etudiantes américaines, militantisme et guerre du
Vietnam : guerre, paix et ‘‘genre’’ dans les années 1960 », Amnis, n° 8, 2008, consulté le
27 mai 2013. URL : http://amnis.revues.org/653.
55 Entretien MT, étudiant en histoire-géographie à l’ENSup de 1975 à 1983, Sévaré, 23
février 2010.
54
dans les Bureaux. Moi, j’étais dans un lycée mixte, au lycée de
Badalabougou, j’étais Secrétaire à l’Information du Bureau »56.
Parmi ces rares responsables, on retrouve Bintou Maïga, dite « Winnie
Mandela »57, qui milita dans les comités scolaires, dès son plus jeune
âge, à l’École Fondamentale58. Elle exerça de nombreuses
responsabilités à l’UNEEM, à compter de 1975, et joua un rôle actif
dans les différents mouvements de scolaires de la fin de la décennie
1970. Elle fut la seule femme du bureau de coordination de
l’organisation étudiante où elle occupa le poste de Secrétaire aux Arts
en 1978. Comme quatre de ses camarades de l’organisation étudiante,
elle parvint à se faire élire, dans le premier bureau de l’UNJM au poste
de secrétaire aux affaires féminines en 1979. Agée de 27 ans, elle était
diplômée du secondaire depuis un an et exerçait la profession de
greffière dans un tribunal de Bamako. Elle connut les arrestations, la
torture en 1977 et fut accusée d’être la complice de Cabral en 1980,
par les forces de l’ordre qui étaient à la recherche du leader
estudiantin. Tout comme Rokya Kouyaté, secrétaire générale du Lycée
de Jeunes Filles en 1980, qui devint l’icône féminine du mouvement et
fut incarcérée à la Poudrière avec Cabral, mais qui contrairement à lui,
Entretien RD, élève en 1979-1980 au Lycée de Badalabougou. Bamako, 30 mars
2010.
57 A la fin des années 1970, Winnie Mandela incarnait la lutte contre l’apartheid en
Afrique du Sud, alors que son mari Nelson Mandela était emprisonné depuis 1964. Elle
fut condamnée en 1976 comme « instigatrice » des émeutes de Soweto. Militante
radicale, elle était devenue une icône pour nombre de jeunes des townships et à
l’international.
58 Bintou Maïga est née en 1952 d’un père cheminot et syndicaliste et d’une mère
ménagère. Elle obtient son DEF en 1973 et entre ensuite à l’École secondaire (section
Justice Travail) dont elle sort diplômée en 1978. C’est à cette période qu’elle entre à
l’UNEEM. KONARE Adam Ba, Dictionnaires des femmes célèbres du Mali, Bamako,
Edition Jamana, 1993, pp. 400-401.
56
23
en ressortit vivante59. Quelques rares autres noms émergent des
archives et des entretiens comme ceux de Madina Sylla60 ou de Kadidia
Bocoum qui a eu des responsabilités au sein de l’UNEEM, dès son
entrée au lycée des jeunes filles (vers 1973) et ensuite à l’ENSup lors
du dernier mouvement étudiant61. Souleymane Cissé, dans son film
Fynié62, rendit hommage aux étudiantes contestataires de la fin des
années 1970, au travers du portrait de Batra, jeune fille émancipée qui
s’affronte à l’autoritarisme politique et familial symbolisé par son père
gouverneur. Au contraire des grèves de 1977 où les filles étaient peu
visibles, le mouvement de 1979-1980 apparaît comme une lutte
mixte : des lycéennes avaient gravi les échelons de l’organisation
estudiantine, l’Ambassade de France s’inquiétait de l’arrestation et de
l’incorporation forcée dans l’armée d’étudiants des deux sexes et les
responsables politiques, eux mêmes, reconnaissaient à demi-mots que
les jeunes filles pouvaient être des éléments dissidents : « faisons en
sorte que nos fils et filles ne grossissent pas les rangs des
délinquants » déclarait le Lieutenant Colonel Sékou Ly au lendemain
de violents affrontements entre les jeunes manifestants et les forces de
l’ordre63. Cette reconnaissance de l’activisme féminin prenait la forme
d’une véritable héroïsation dans certains tracts étudiants : « les
scolaires, filles en tête, rompent les cordons des forces de répression
armées jusqu’aux dents […] qui tirent sur une fille de 13 ans »
MARIKO B. « Comment est mort Abdoul K. Camara dit « Cabral », Les Echos, n° 63, du
13 au 29 mars 1991.
60 Entretien RD, élève en 1979-1980 au Lycée de Badalabougou. Bamako, 30 mars
2010.
61 « Oraison funèbre de l’AMS-UNEEM. En hommage à Mme Dramé Kadidia Bocoum »,
Le Républicain, 13 août 2004, http://www.malikounda.com/Societe/Oraison-funèbrede-l-AMS-UNEEM.html, consulté le 7 juillet 2012.
62 CISSE Souleymane, Finyé, Bamako, Les Films Cissé, 1982, 105’.
63 CADN, Carton 62, Ambassade de France au Mali, Dossier « grèves étudiantes » 19771980, « Nous sentir encore plus responsables de nos enfants. Une allocution du
Lieutenant-Colonel Sékou Ly », L ‘Essor, 17 décembre 1979, p. 6.
clamaient l’AESMF64. De victimes passives elles étaient devenues des
passionarias à la fin du mouvement, dont l’évocation servait à légitimer
la contestation et à dénoncer la brutalité de la répression (viols des
jeunes femmes dans les dortoirs scolaires, les commissariats et les
camps de militaires65). Néanmoins, ces discours politiques et
médiatiques s’ils peuvent contribuer à rendre visibles des figures
féminines dans l’espace protestataire, s’avèrent une source limitée
pour comprendre les parcours biographiques de ces jeunes militantes.
59
« Communiqué : une nouvelle offensive des scolaires au Mali », Peuples Noirs Peuples
Africains, n°13, 1980, pp. 119-122 (Communiqué daté du 10 décembre 1979, Paris,
Association des Etudiants et Stagiaires Maliens en France et Fédération des Etudiants
d’Afrique Noire en France).
65 CADN, Carton 62, Ambassade de France au Mali, Dossier « grèves étudiantes » 19771980, Télégramme diplomatique n° 80, Agitations estudiantines, photocopie d’un tract
ayant circulé dans les milieux scolaires et universitaires de Bamako, Professeur
DONKADIAN ASEBALITE (pseudonyme) « l’épreuve de force continue Bamako », 20
mars 1980, 2 p.
64
24
DEVENIR
UNE
MILITANTE
:
TRAJECTOIRES
PERSONNELLES ,
EXPÉRIENCES COLLECTIVES
Comprendre ce qui poussa un certain nombre de jeunes femmes à
s’investir dans les mouvements de scolaires de la fin des années 1970
nécessite de se pencher sur leurs trajectoires personnelles. Comme le
soulignent Frédéric Sawicki et Johanna Siméant, l’engagement « se
situe au confluent de l’histoire globale et individuelle »66. Il est le fruit
d’interactions, d’expériences collectives, d’imprégnations et de
conjonctures historiques. Il s’agit donc de retracer ce que les
sociologues des mobilisations nomment les « carrières militantes »67
de trois jeunes femmes qui participèrent, chacune à leur façon, aux
luttes de scolaires. De ces expériences singulières, il ressort que
l’engagement est un processus au long court qui ne saurait, pour
autant, se limiter à une socialisation linéaire.
RD68 est née en 1961 à Kayes mais a vécu à Bamako dès son plus jeune
âge. Elle entra à l’école fondamentale en 1968 et intégra le mouvement
des Pionniers car elle était bonne élève. Le jour du coup d’État de
1968, elle se souvient être « en train de chanter ‘’22 Août’’ à l’école […]
quand on est venu dire que la permanence du Parti était fermée. On ne
comprenait pas ce que ça voulait dire … la permanence du Parti, on
s’en fout ! Mais on était très triste parce que c’était quelques jours
après une visite du Président Modibo […] En tant que pionnier, on
SAWICKI Frédéric, SIMEANT Johanna, « Décloisonner la sociologie de l’engagement
militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français »,
Sociologie du travail, vol. 51, n°1, 2009, p. 107.
67 FILLIEULE Olivier, « Carrière militante », in FILLIEULE Olivier, MATHIEU Lilian,
PECHU Cécile (dir.), Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Les Presses de
Sciences Po, 2009, pp. 86-87.
68 Entretien RD, élève en 1979-1980 au Lycée de Badalabougou. Bamako, 30 mars
2010.
66
avait été lui remettre des fleurs et tout […] un type sympa était venu, il
était très gentil avec nous, les petits enfants. On lui a remis des fleurs
et lui nous a remis des bonbons, on était contents, c’était des quantités
énormes de bonbons ! ». Poussée par sa mère, la jeune fille poursuivit
des études secondaires et avec ses camarades de classe, elle tenta de
se rendre à l’enterrement de Modibo Keita en 1977. Elle avait alors 16
ans et n’était pas impliquée dans les réseaux politiques ou syndicaux
de scolaires. En 1979, en entrant au lycée de Badalabougou où elle
intégra une filière scientifique, elle commença à militer à l’UNEEM.
Bien qu’étant l’une des rares filles d’un lycée mixte, elle occupa le
poste de Secrétaire à l’Information du bureau de son établissement,
lors de la grève de 1979-1980. « A l’époque, c’était une grande
responsabilité parce que le pouvoir avait déjà dissous le mouvement
étudiant. Donc, on était dans la clandestinité ».
AM69 est née en 1957 à Gao. Sous le régime socialiste, la politique était
une affaire de famille chez les M. et correspondait aux codes de la
division sexuée et générationnelle du travail militant. Son père, « très
engagé politiquement avec Modibo […] était au bureau politique à Gao,
il était ‘‘chef de bande’’ » se souvient-elle, sans trop savoir « ce que ça
veut dire ‘‘chef de bande’’ ». Il fut arrêté et emprisonné au lendemain
du coup d’État, alors que sa mère, en temps que « bonne ménagère »,
fut épargnée. Au contraire de ses grands frères, la petite fille n’intégra
pas le mouvement des Pionniers. Ce qui ne l’empêcha pas d’aider son
père dans ses tâches militantes et de participer à la distribution
quotidienne des cartes de l’US-RDA à Gao : « chaque matin, on avait
comme corvée d’aller distribuer les cartes de membres … On allait
dans les familles pour distribuer ». Scolarisée à l’école fondamentale
Entretien AM, élève au Lycée des Jeunes Filles en 1977 et étudiante en Lettres à
l’ENSup en 1979-1980. Bamako Coura, 18 février 2010.
69
25
de Gao, elle fut envoyée à Bamako après le DEF en 1975 pour faire ses
études secondaires au Lycée des Jeunes Filles. C’est comme lycéenne
qu’elle répondit à l’appel de l’UNEEM et se rendit avec ses camarades
de classe à l’enterrement de Modibo Keita en 1977. Elle intégra ensuite
l’ENSup en 1979 pour suivre un cursus d’anglais qu’elle termina en
1985. Durant la grève de 1979-1980, elle louait une chambre
universitaire dans les locaux de l’établissement qu’elle dut quitter
suite à la fermeture des écoles par les militaires. Au contraire de
nombreux étudiants qui se virent forcés de retourner dans leur famille
en région, la jeune femme put rester à Bamako car elle fut hébergée à
deux carrés de l’ENSup. La position géographique de ses logeurs et la
sociabilité estudiantine qui régnait dans la concession où elle se
trouvait favorisèrent son insertion dans les réseaux militants. AM
n’eut cependant aucune responsabilité syndicale au sein de l’UNEEM,
elle n’écrivait pas de tracts et ne prenait jamais la parole dans les
assemblées générales. Elle se considère comme une militante « de
base » : « je n’avais pas de poste. Je ne faisais pas partie du Bureau.
Nous, on était les ‘‘militantes’’ […] au quotidien, chaque fois, on
participait aux meetings, on participait aux marches ».
SKS70 est née en 1955 à Nioro du Sahel où elle fut élevée par sa grandmère jusqu’à l’âge de 6 ans. Elle entra à l’école fondamentale à Bamako
en 1961, grâce à l’intervention de son père, inspecteur des postes et
militant « très actif » à l’US-RDA, qui souhaitait que tous ses enfants
soient scolarisés : « mon père est venu me chercher au village pour
m’inscrire à l’école […] en dehors de moi, il n’y avait pas d’enfants dans
le village qui allait à l’école ». Influencée par son père, la jeune fille
s’intéresse de plus en plus à la politique et elle se passionne pour ses
Entretien SKS, étudiante en Lettres et en Droit à Nice de 1974 à 1979, Bamako, 14
février 2006.
70
cours de philosophie au Lycée Notre-Dame du Niger qui ont « ouvert
un peu mon esprit sur les questions de lutte de classes, les injustices
… ». Après avoir obtenu son baccalauréat en philosophie et langues en
1974, elle poursuivit ses études universitaires de Lettres et de Droit à
Nice. Elle soutint une maîtrise de Lettres en 1978 puis se rendit à Paris
pour suivre des cours à l’Institut d’Administration des Entreprises.
Durant son séjour en France entre 1974 et 1979, elle milita à la FEANF
et à l’AESMF dont elle fut Secrétaire Générale en 1976. Cette même
année, elle épousait un militant actif de ces organisations étudiantes.
Elle intégra une troupe théâtrale d’étudiants africains, à Nice, et
dispensa des cours d’alphabétisation à des travailleurs immigrés dans
des foyers parisiens. L’expérience militante acquise par les étudiantes
maliennes en France se distinguait de celle de leurs compatriotes. Le
contexte de migration favorisa leur insertion dans les réseaux
politiques et syndicaux d’hommes plus âgés (exilés politiques ou
migrants de travail) au service desquels elles pouvaient mettre leurs
compétences scolaires. Elles rédigeaient des tracts et des brochures
diffusés sous le manteau au Mali71 ; elles animaient des réunions avec
des organisations françaises pour la libération des prisonniers
politiques maliens72 ; elles récoltaient des fonds et organisaient des
activités socio-culturelles pour leurs « frères » des foyers73. Dans le
contexte démocratique français, elles pouvaient jouir d’une relative
71Le
Bulletin du Peuple organe du Comité de Défense des Libertés Démocratiques au
Mali (CDLDM), Le Bulletin du CIDOA le Comité International de Défense des Ouvriers
Africains.
72 Avec Amnesty International, le Parti Communiste Français, la Confédération
Française Démocratique du Travail, la Confédération Générale du Travail.
73 Dans les années 1970, les foyers Sonacotra où étaient logés un certain nombre
d’étudiants et de travailleurs maliens, connurent d’importants mouvements de
contestation (dits « grève des loyers »). Si les étudiantes ne vivaient pas dans ces
espaces de migrants masculins, elles les fréquentaient assidûment. Articulant activités
sociales et engagement politique, certaines ont probablement pris une part active à
ces mobilisations.
26
liberté de parole et les contacts tissés avec les groupes d’extrêmegauche (communistes, maoïstes et trotskistes) favorisèrent leur
radicalisation idéologique et leur emploi de modes d’action directe :
« Celles qui ont milité en France, elles ont bénéficié d’un système de
formation, parce que les étudiants qui étaient là [en France] se
faisaient un devoir de capter et de former les nouveaux et les
nouvelles qui venaient. On les formait aux méthodes d’analyse
communiste, aux méthodes de mobilisation. Elles faisaient des
marches, chaque fois qu’il y avait un pétard à Bamako, elles
marchaient sur l’ambassade du Mali. Puis il y avait la police française
qui venait les chasser mais on ne les bastonnait pas, on ne les
violentait pas. Donc, elles ont cette façon de militer, de revenir,
d’insister. Il n’y a pas eu cette formation sur le plan local. Donc, elles
étaient plus aguerries, plus expérimentées et moins peureuses. Parce
que quand on dit que la police va venir, elles, elles savaient très bien ce
que cela veut dire alors qu’elles n’ont jamais été bastonnées par la
police en France. Mais elles savaient qu’il fallait tenir tête à la
police ! »74.
Bien que ces trois militantes aient eu des parcours et des engagements
très différents, leurs trajectoires individuelles comportaient de
nombreuses similitudes. Leur socialisation politique primaire débuta
dès leur enfance sous le régime socialiste. La famille, pour deux d’entre
elles, et les organisations de jeunesse pour RD ont constitué le cadre
premier de transmission d’un savoir-faire politique, tant idéologique
que technique. Cet apprentissage n’échappait pas à des logiques
genrées et reproduisait la division et la hiérarchisation des rôles dans
la vie sociale : participer aux animations folkloriques, offrir des fleurs,
Entretien BS, entrée au Lycée des Jeunes Filles en 1962, étudiante en thèse
d’histoire à Paris de 1977 à 1982. Paris, 28 janvier 2013.
74
distribuer les cartes du Parti, apprendre des chants, telles étaient les
tâches attribuées aux petites filles. Les compétences qu’elles ont
acquises, quoique inhérentes au bon fonctionnement du parti de
masse, n’octroyaient aucune reconnaissance sociale et prolongeaient
les rôles invisibles habituellement attribués aux femmes : gérer et
organiser au quotidien la vie collective. Pour toutes, la politique était
incarnée par des figures masculines qu’elles admiraient - leurs pères
ou le Président socialiste - dont l’engagement était associé à des
valeurs de conflictualité et de pouvoir. Ces hommes avaient eu accès à
de hautes responsabilités au sein du Parti et de la fonction publique ils étaient « chefs de bande » pour reprendre l’expression d’AM - mais
leurs engagements comportaient aussi des risques que les jeunes filles
n’ignoraient pas (emprisonnement, assassinat, perte de leur statut
social). Elles légitimaient, par ces figures tutélaires, leur attrait pour
des activités considérées comme non féminines qui n’avaient pas été
transmises par leurs mères. A l’inverse, les hommes interrogés
projettent leur militantisme comme une construction individuelle
déconnectée de l’histoire familiale75. Ils puisent dans un répertoire
d’icônes internationales (Sékou Touré, Mao Zedong, etc.) et
intellectualisent leur démarche militante, la détachant de tout lien
affectif. Pour garçons et filles néanmoins, l’entrée dans les écoles
secondaires puis dans le supérieur favorisa leur passage à l’acte et les
Cette différence d’identification s’explique aussi par la différence de milieux
sociaux : les filles scolarisées jusque dans le secondaire appartenaient à des familles
« bourgeoises » ; leurs pères (au contraire de leurs mères) avaient été à l’école
coloniale et étaient devenus des fonctionnaires – cadres de l’US-RDA à l’Indépendance.
Les garçons interrogés étaient issus de milieux plus « populaires » : leurs deux parents
n’étaient pas allés à l’école pour la plupart ; ils étaient agriculteurs ou commerçants et
ne militaient pas à l’US-RDA. Néanmoins, l’absence de référent familial se retrouve
aussi chez les leaders interrogés par Ambroise Vedrines qui cherchent tous à
« populariser » leurs origines et il est assez peu connu que le père de Cabral était lui
même un militant syndical.
75
27
poussa à s’engager dans l’organisation étudiante. Au contact de leurs
enseignants marxistes, les jeunes filles aiguisèrent leur esprit critique ;
avec leurs camarades de classe elles se rendirent dans les
manifestations. Militer constituait alors l’un des rouages de la
sociabilité des élèves et renforçait le sentiment d’appartenance au
groupe. Comme l’a montré Antoine Prost, dans un contexte cependant
bien différent, l’engagement était « une pratique régulière, une
attitude normale, une façon de vivre » sa scolarité76. La sortie de
l’enfance correspondait à une réorganisation des liens de sociabilités
favorisés, pour nombre d’élèves, par l’éloignement du domicile
parental lorsqu’ils ou elles poursuivaient leur cursus dans les écoles
secondaires et supérieures de Bamako. Une nouvelle camaraderie se
créait en dehors des cercles familiaux et des réseaux de voisinage.
« L’école est le second foyer de l’élève » notait l’UNEEM qui réclamait
en conséquence que les élèves aient le droit de créer des sections
syndicales dès le cycle fondamental77. Les idéaux et les expériences
partagés forgeaient alors l’identité des scolaires et ont produit un vécu
commun structurant une « communauté d’empreinte »78 propre à une
génération. Pour autant, l’ensemble des jeunes filles et des jeunes
garçons scolarisé-e-s de cette génération ne s’engagea certainement
pas dans les mouvements sociaux de cette période. Comme en
témoignent les trois parcours reconstitués, des dispositions
individuelles venaient favoriser le passage à l’acte et le degré
d’implication dans la lutte.
Il analyse la transformation du rapport à l’engagement et sa libéralisation dans le
contexte d’instauration de la République en France à la fin du XIXème siècle. PROST
Antoine, « Changer le siècle », Vingtième Siècle. Revue d'histoire. n°60, 1998, p. 15.
77 « Résolution finale de la réunion de l’UNEEM. Adhésion aux idéaux de l’UNJM mais
autonomie pour les problèmes scolaires », L’Essor, 28-29 janvier 1978, p. 4.
78 BLOCH Marc, Apologie pour l’histoire, Paris, A. Colin, 1961, p.94.
76
LA TIMIDE ÉMERGENCE D ’UNE IDENTITÉ COLLECTIVE FÉMININE
L’expérience militante acquise par ces étudiantes se distinguait
fortement de celle des élites féminines de la lutte d’indépendance.
Leurs aînées s’étaient engagées dans des partis et des syndicats en
tant qu’adultes, dans le cadre de leur vie professionnelle. Tout en
s’investissant dans des organisations mixtes, elles s’étaient aménagés
des espaces d’autonomie par le biais des associations féminines79. A
l’inverse, les lycéennes et les étudiantes des années 1970 s’engagèrent
dans un mouvement clandestin à dominante masculine. Y faire leur
place en tant que femmes nécessitait de transgresser les assignations
de genre (prise de parole en public, réunions nocturnes, fréquentation
d’un monde d’hommes). Leur statut de jeunes filles – encore non
mariées et non mères – leur a certainement offert la marge de
manœuvre nécessaire pour adhérer à une culture et à des pratiques
militantes considérées comme viriles, car violentes et provocantes. Il
n’est d’ailleurs pas surprenant que la majorité des filles qui obtinrent
des responsabilités au sein de l’UNEEM, et qui en furent les porteparoles officielles, soient des lycéennes (et non des étudiantes comme
nombre de meneurs masculins). Pour les femmes, les contraintes de
D’après les travaux de Pascale Barthélémy et Jean Hervé Jézéquel, les écoles
coloniales n’étaient pas des espaces de politisation, où s’élaboraient et se vivaient au
quotidien les premières expériences militantes. Si les « désordres, transgressions et
indisciplines » contre la rigidité de la vie quotidienne se sont multipliés après 1945
dans les écoles de filles, ces contestations ne s’accompagnaient que marginalement de
revendications collectives. Même du côté des Pontins, pourtant plus enclins à la
contestation et mieux organisés, les revendications se limitaient aux questions
matérielles (nourriture, habillement, liberté de mouvement). Il n’y eut pas de grève
longue qui fédéra différents établissements contre l’administration coloniale dans le
milieu scolaire. BARTHELEMY Pascale, Femmes, africaines et diplômées : une élite
auxiliaire à l’époque coloniale. Sages-femmes et institutrices en Afrique occidentale
française (1918-1957), thèse d’histoire, sous la direction de COQUERY-VIDROVITCH
Catherine, Université Paris 7, 2004, p. 403.
79
28
genre se renforçaient avec l’âge et les benjamines parvenaient plus
aisément à s’accommoder des prescriptions liées à leur sexe. Cerner la
teneur de l’engagement de ces jeunes femmes s’avèrent cependant
particulièrement délicat, tant elles minimisent - à posteriori - leur rôle
dans la lutte : « ça n’était qu’un mouvement d’étudiants, un
mouvement de jeunes ‘‘ados’’ »80 selon RD ; « on ne savait même pas ce
qui se passait en vérité » soutient AM. Marque de pudeur ou preuve de
sincérité, la réserve qui revient régulièrement dans les témoignages
féminins tranche singulièrement avec l’emphase masculine. Le jeune
frère d’AM n’hésite pas à présenter son aînée comme une militante
« très active à l’UNEEM quand elle était à l’ENSup. Elle faisait anglais
là-bas. Elle était très active dans les mouvements associatifs »81. Ainsi,
les témoignages recueillis trois décennies après ce mouvement social,
informent tout autant sur les modalités de l’engagement, qu’elles
dévoilent les projections, les fantasmes et les contraintes de genre
dans la lutte. Se raconter devient une manière d’endosser des rôles
militants. Si les garçons se plaisent à relater leurs faits d’arme
(cocktails molotov, barricades, arrestations) et insistent sur le climat
de violence de la période, ils occultent largement la banalité de la
grève, faite de « meetings d’information », de « marches » et de « sitin » non violents :
« A la maison du Peuple, il y avait le bureau de Moussa le Président. On
venait y faire les sit-in de 8h à midi. Avant le travail, c’était de 8h à
midi et de 14h30 à 18h. Donc […] on venait s’asseoir là […] tous les
jours. On a fait plus de deux semaines là-bas. On n’a pas eu
d’interlocuteur. [Les militaires] chassaient les gens et les gens
Entretien RD, élève en 1979-1980 au Lycée de Badalabougou. Bamako, 30 mars
2010.
81 Entretien TM, élève à l’école fondamentale puis au lycée de Gao durant les
mouvements de scolaire, Bamako, 11 février 2010.
revenaient mais il n’y a pas eu de provocations, pendant les sit-in, ils
n’ont pas agressé les gens ».
Seules les femmes s’attardent, en entretien, sur ces actions collectives
répétitives et réglées qui n’avaient rien d’épique, mais qui
appartenaient au répertoire ordinaire des mobilisations étudiantes.
Elles évoquent les ruses, les stratégies de contournement des
contrôles de police, l’ambiance des cortèges et surtout les combines
pour adapter leur vie quotidienne au contexte de crise politique82. Se
loger, se nourrir, se déplacer demeuraient des interrogations qui
n’avaient pas disparu à la faveur du mouvement social. Si les pratiques
militantes des filles et des garçons étaient certainement peu
différentes dans l’action (exception faite pour les meneurs qui avaient
le monopole de la parole, de l’écrit et des décisions), les discours de
lutte et les manières de dire l’engagement s’avéraient – et demeurent profondément sexués.
Faire émerger une parole féminine dans le contexte d’un mouvement à
hégémonie masculine constituait un véritable défi. Si les étudiantes
disposaient de leurs propres espaces informels de discussion comme
les grins, si la non-mixité dans deux lycées de la capitale a pu favoriser
l’émergence de doléances spécifiques portées par des déléguéesfemmes, rien n’augurait que l’UNEEM ne se préoccupe des
revendications d’une minorité féminine. Pourtant, dès son congrès
constitutif de janvier 1978, l’organisation étudiante plaida en faveur
de la réintégration dans les classes des élèves exclues pour cause de
grossesse : « Le Congrès insiste que les filles-mères qui viennent d’être
80
Entretien AM, élève au Lycée des Jeunes Filles en 1977 et étudiante en Lettres à
l’ENSup en 1979-1980. Bamako Coura, 18 février 2010.
82
29
exclues, soient immédiatement reprises »83. Deux décennies après
l’indépendance du pays, cette réglementation héritée des écoles
coloniales était ouvertement contestée par les étudiants. Ils n’étaient
pas les seuls à se soucier de la discrimination dont étaient victimes les
« filles-mères ». A la même période, l’UNFM tentait de modifier les
représentations accolées aux mères célibataires et plaidait en faveur
d’une prise en charge collective des enfants nés hors mariage.
Promouvant la diffusion de l’éducation sexuelle dans les écoles,
l’organisation féminine s’était positionnée en faveur d’une gestion
préventive des grossesses précoces. Elle ne s’était cependant jamais
risquée à réclamer le maintien des élèves enceintes dans les
établissements scolaires, probablement par crainte de voir s’accroître
les résistances parentales à l’égard de la scolarisation des filles.
L’UNEEM optait donc pour une posture radicale qui ne s’embarrassait
guère des griefs ni des préjugés dont elle pouvait être la cible, en
prenant la défense d’une catégorie de femmes stigmatisées.
L’organisation étudiante agissait en syndicat qui prenait la défense des
intérêts moraux et matériels de l’ensemble des scolaires. Comment
cette revendication a-t-elle émergé au sein de l’organisation ? Par qui
fut-elle portée ? Fut-elle débattue ? Les données manquent pour
répondre à ces interrogations84. Néanmoins, ce ne fut certainement
« Résolution finale de la réunion de l’UNEEM. Adhésion aux idéaux de l’UNJM mais
autonomie pour les problèmes scolaires », L’Essor, 28-29 janvier 1978, p. 4. Je
remercie Ambroise Vedrines d’avoir eu l’amabilité de me transmettre les deux articles
de presse de L’Essor portant que les « filles-mères » qu’il évoquait dans son Master.
VEDRINES Ambroise, L’Union Nationale des Elèves et Etudiants du Mali. Origines, vie et
mémoire d’une organisation de jeunesse (1960-2012), Mémoire de Master 2 en histoire
de l’Afrique contemporaine, sous la direction de Pierre Boilley, Université Paris 1,
2012, p. 82
84 Dans les entretiens menés avec les militantes de cette période, aucune ne mentionne
cette revendication de réintégration des filles-mères. Ont-elles oublié avec le temps ?
Considéraient-elles qu’il s’agissait d’une doléance mineure ? Est-ce le signe que cette
revendication ne fut pas portée par la base des élèves ? Plus largement, seule RD
83
pas un hasard qu’une revendication féminine ait été inscrite sur la
plate forme étudiante au moment même où Bintou Maïga accédait au
bureau de coordination de l’organisation étudiante, instance
exclusivement masculine jusque-là.
Interpellé sur cette question à de multiples reprises par les élèves, le
gouvernement se vit obligé de prendre publiquement position. Dans
une interview accordée à L’Essor, le Lieutenant Colonel Yousouf
Traoré, alors Ministre de l’Education Nationale affirma qu’il s’agissait
d’un phénomène minoritaire et avança, pour se justifier, une pléthore
de chiffres invérifiables85, que venaient contredire les rapports
produits à la même période par des organismes de développement86.
Tout en reconnaissant qu’il s’agissait d’une question « très sérieuse et
délicate qui mérite une attention particulière », le Ministre balayait la
revendication de la réintégration des jeunes filles concernées en
promouvant la « prévention ». Il proposait d’introduire dans les
programmes scolaires, l’éducation sexuelle « afin que les jeunes filles
soient mieux informées ». A ses yeux, les garçons n’étaient pas
concernés : ce problème était lié à l’ignorance, voire au libertinage, des
jeunes filles. La vision moraliste de la sexualité hors-mariage qui visait
à prémunir les filles et les femmes contre la corruption sexuelle se
situait à l’antipode de celle de l’organisation étudiante. Celle-ci pointait
du doigt l’inégalité de traitement dont étaient « victimes » les jeunes
souligne que l’UNEEM s’intéressait à la condition des filles : « Les gens parlaient déjà
d’accès des filles aux filières scientifiques, d’accès des filles à l’éducation, on le disait
déjà. Mais à l’époque, c’était peut-être moins aigu que maintenant ». Entretien RD,
élève en 1979-1980 au Lycée de Badalabougou. Bamako, 30 mars 2010.
85 « L’éducation au Mali. Le campus, les filles-mères, l’UNEEM et les mouvements
estudiantins. Une interview du Lt-Colonel Youssouf Traoré », L’Essor, 13-14 mai, p. 4.
86 « Chaque année, une proportion non négligeable d'étudiantes au niveau du
baccalauréat doit abandonner l'école et renoncer aux avantages acquis par des années
d'effort ». LAPLANTE André, SAMAKE Faran, BROWN George F., Family Planning in
Mali, Ottawa, International Development Research Center, 1975, p. 10
30
filles enceintes et réclamait « que soient cherchés des moyens
adéquats en vue de trouver une solution à ce fléau social dont la
plupart de nos sœurs sont victimes alors que les mauvais garçons qui
sont coupables demeurent impunis »87. L’UNEEM appelait ainsi les
élèves et les étudiants masculins à assumer leur responsabilité de filspères et demeurait intraitable sur la réintégration des élèves exclues.
Refusant que la maternité ne soit un frein supplémentaire à la
scolarisation des jeunes filles, l’organisation maintenait cette
revendication dans la plate-forme défendue par les étudiants au cours
de l’été 1979.
accommodées du modèle dominant du militantisme et en adoptèrent
toutes les caractéristiques, quel qu’en fut le coût (répression). Si leurs
engagements ont pu brouiller à certain moment les frontières de
genre, c’est que leur statut social n’était pas figé. Les lycéennes et les
étudiantes, dans une moindre mesure, pouvaient jouer d’identités
multiples - jeunes, femmes, scolaires, militantes - pour s’insérer et se
mouvoir dans l’espace des mobilisations.
L’apparition de cette nouvelle figure de l’étudiante contestataire alla-telle de pair avec la constitution d’un sujet social femmes dans la lutte ?
La réponse à cette question s’avère loin d’être univoque tant les jeunes
filles qui s’engagèrent avec et parfois comme leurs camarades
masculins adoptèrent des comportements différents. Bien que le
catéchisme militant n’ait pas attribué de fonction spécifique aux jeunes
femmes, certaines ont évolué dans des espaces de sociabilité qui leur
étaient propres : elles sont allées dans les manifestation entre filles,
elles ont débattu des revendications et modes d’action dans des
comités scolaires exclusivement féminins, elles ont élu leurs déléguées
et l’UNEEM a promu des responsables féminins pour refléter au mieux
les différentes composantes du mouvement. Enfin, l’organisation a
inscrit dans sa plate-forme une revendication qui les concernait
spécifiquement. Elles ont donc acquis une visibilité en tant que
« filles », en même temps qu’elles ont intégré un mouvement mixte et
se sont fondues dans un collectif viril. Nombre d’entre elles se sont
« Résolution finale de la réunion de l’UNEEM. Adhésion aux idéaux de l’UNJM mais
autonomie pour les problèmes scolaires », L’Essor, 28-29 janvier 1978, p. 4
87
31
DIDIER MONCIAUD. LES ÉTUDIANTS SONT REVENUS (‫مذةال ت ال‬
‫»)رجعوا‬88 : LE “68” ÉGYPTIEN, ANNÉE DE PROTESTATION ET DE RUPTURE89
Cahiers d’Histoire, revue d’histoire critique, associé au Gremamo,
Université Paris7,
Proposition de communication
En Egypte, l’éruption d’une protestation estudiantine d’ampleur
inaugure une vague de protestation qui va se perdurer jusqu’au milieu
des années 1970. Trop souvent, elle est circonscrite à son aspect
régional, conséquence du conflit israélo-arabe et de la guerre de 1967.
Il n’est pas exagéré de considérer qu’elle reste sous-estimée malgré de
riches monographies et n’est pas pleinement intégrée dans le
« 68 international »…
Et pourtant, le « 68 » égyptien représente une véritable brèche dans la
vie politique, sociale et culturelle contemporaine du pays. Il signifie
l’ouverture d’une nouvelle ère dont les caractéristiques principales
sont le rejet du régime, l’espoir et la volonté d’un changement.
Après le désastre militaire de juin 1967, le régime nassérien doit faire
face à une crise politique d’ampleur. L’expression d’une inquiétude,
d’une colère et d’un mécontentement s’exprime avec d’imposantes
manifestations estudiantine mais aussi ouvrière dès juin 1967. La
dernière semaine de février 1968, les étudiants protestent contre la
légèreté des sentences frappant les généraux considérés comme
Selon la chanson de Chaykh Imam écrite par Ahmed Fou’ad Negm pendant le
soulèvement
estudiantin
de
1972.
Voir
http://www.youtube.com/watch?v=AlhNKSbnlfw
89 Ce projet de recherche doit beaucoup à la personnalité généreuse du’Ahmed
Abdallah (1950-2006), dirigeant du mouvement étudiant de 1972. Ce chercheur
indépendant et intègre, de sensibilité nationaliste de gauche, reste le spécialiste
incontournable du mouvement étudiant en Egypte.
responsables de la défaite. Le pouvoir doit lâcher du lest et rejuger les
inculpés. Des manifestations éclatent le 21 novembre 1968 et
dégénèrent en véritables émeutes. Le régime réagit par la répression,
la suspension des cours mais aussi des mesures de clémence. Dès lors,
la politisation et l’intervention active des étudiants atteignent un
niveau jamais connu depuis 1952.
Notre communication cherchera à montrer comment ce « moment
68 » représente une rupture et ouvre une nouvelle période qui
favorise des mobilisations importantes et l’affirmation de sensibilités
politiques radicales de gauche, principalement nationaliste et
marxiste90. La jeunesse rebelle égyptienne s’engage pour changer
l’ordre politique et social en place. Le mouvement n’est donc pas qu’un
simple mouvement régional même si le conflit israélo-arabe et la
question palestinienne restent un thème important. Les questions
politiques et sociales « égyptiennes » s’avèrent décisives pour
appréhender cette contestation. Notre étude s’intéressera aux étapes
et dynamiques du « moment 68 » égyptien, à ses répertoires d’action
et son héritage.
Notre travail repose sur les sources suivantes : études, documents
judiciaires, presse de l’époque, mémoires, entretiens, chansons,
poèmes…
88
Elle marque aussi de manière plus « discrète » la reprise de la veine intégriste
islamique, que cela soit de l’école de Frères Musulmans ou de la sensibilité plus
radicale influencés par Sayed Qotb.
90
32
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
Abdallah, Ahmed, The Student Movement and National Politics in Egypt,
1923-1973, Londres, Al Saqi Books, 1985.
al-Desūqī, ‘Asem (dir), ʻUmmāl wa-tullāb fī al-hạraka al-watạnīya alMisṛīya : nadwa ʻan shahādāt wa-ruá abtạl hạrakat al-ʻummāl wa-al-tạlaba
1946-1977, Le Caire, Dār al-Mahṛūsa, 1998.
Erlich, Ḥagai, Students and university in 20th century Egyptian politics,
Londres, F. Cass, 1989.
Rammā, As’âd, Sutûr min yawmīyāt al-hạraka al-tụllābīya al-Misṛīya,
1968-1973, Le Caire, al-Dār lil-Nachr wa-al-Tawzīʻ, 1987
Shaʻbān, Aḥmad Bahāʼ al-Dīn, Inhạztu lil-watạn : shahāda min jīl alghadạb : sạfahạt min tārīkh al-hạraka al-watạnīya al-dīmuqrāt ya li-tụllāb
Misṛ, 1967-1977, Le Caire, Markaz al-Mahṛūsa lil-Buhụth wa-al-Tadrīb
wa-al-Nashr, 1998.
IRÈNE RABENORO. DE L’ESPOIR D’UNE “ECOLE NOUVELLE” EN MAI-1972 À
MADAGASCAR AU DÉSESPOIR ACTUEL DES ÉTUDIANTS
Université d’Antanarivo
“Sekoly vaovao”91, Ecole nouvelle - des mots porteurs d’espoir
pour les jeunes malgaches en 1972. L’enthousiasme était au rendezvous et pour cause : on allait construire une école nouvelle, voire une
société nouvelle92 et un système politique nouveau93. Depuis, les
jeunes comme l’ensemble de la population sont allés de déboires en
désillusions: l’école postérieure à 1972 est loin d’avoir réduit les
inégalités qu’ils combattaient, elle semble même plus discriminatoire
encore qu’avant. Actuellement, la moitié des jeunes scolarisés aussi
bien que non instruits est semble-t-il en butte au chômage et au sousemploi94 et devient la proie de maintes dérives outrepassant la légalité
et de gens peu scrupuleux95.
A signaler l’emprunt à l’anglais « school » du mot malgache pour «école», dû à
l’introduction de l’école à Madagascar par les missionnaires protestants britanniques
au début du 19e siècle, en même temps que celle de la Bible.
92 Cf. infra p.17
93 Cf. infra tract 26.
94 Lors du Salon regional de l’emploi et de la jeunesse organisé à Toamasina (premier
port de Madagascar) du 29 au 30 avril 2014, le ministre de l’Emploi, de
l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle, Gatien Horace, “et les
autorités régionales et communales ont mesuré davantage l’intérêt de développer des
actions rapides en faveur des jeunes du pays dont la moitié fait face aujourd’hui à la
gravité
du
chômage
et
du
sous-emploi.”
http://www.ilo.org/public/french/region/afpro/antananarivo/ téléchargé le 3 mai
2014.
95 Par exemple, “La situation précaire des jeunes filles peu éduquées ou analphabètes
vivant en milieu urbain fait d’elles une proie facile des agences de recrutement et des
employeurs impliqués dans la traite des êtres humains. Le tourisme sexuel infantile
existe notamment dans les villes cotières et est exarcerbé par la pauvreté des
familles.”, Document UNESCO de programmation pays – Madagascar 2012-2013, janvier
91
33
L’objectif que nous proposons d’atteindre est de voir si, parmi
les idées émises à propos de la réforme de l’enseignement en 1972, on
peut déceler des indices pouvant éclairer sur l’attitude de la majorité
des étudiants actuels et plus généralement, sur la situation actuelle
des universités publiques malgaches. Une limite spatiale sera
observée: il s’agira en particulier de l’Université d’Antananarivo, celle
dont ont émané les cinq autres universités. Notre corpus d’étude sera
constitué de tracts diffusés à l’époque qui auront été sélectionnés en
fonction de notre objectif. Nous y reviendrons, après avoir donné un
aperçu des contours de la question qui nous intéresse.
LA TOILE DE FOND DE L ’OBJET
Il est de bon ton de rendre compte des évènements de mai
1972 en affirmant que «(…) toute la politique de l’éducation était
calquée sur celle de l’ancienne métropole. Et c’est justement cette
inexistence de rupture avec les pratiques coloniales qui porta le
nationalisme malgache à la révolution de mai 1972.” 96 S’ensuit alors le
discours habituel et qui a toujours cours: “C’est alors la mise en place
d’un système éducatif répondant à la politique et à l’idéologie
socialiste. Avec la décentralisation et la malgachisation de
l’enseignement, la IIème république ne fera que réaliser l’aspiration
populaire anti-néocoloniale. Mais ces politiques décevront autant
qu’elles sacrifieront toute une génération de Malgaches.”97 Si de tels
2012,
p.7-8.
http://unesdoc.unesco.org/images/0021/002153/215326f.pdf
téléchargé le 4 mai 2014.
96 Andrianintsilavo Masoandro Rakotoarimanana, Stephano Carly Rakotozafiniaina,
Tatiana Eddie Razafindravao, Ludonie Velontrasina, L’éducation à Madagascar.
Repenser le système éducatif pour un meilleur devenir, Policy Paper 3, Friedrich Ebert
Stiftung,
novembre
2012,
non
paginé.
http://www.mg.undp.org/content/madagascar/fr/home/presscenter/articles/
téléchargé le 4 mai 2014.
97 Ibid.
propos concernant les effets désastreux de la décentralisation et la
malgachisation de l’enseignement sont sujets à caution98, il est un fait
que l’enthousiasme des années 1970 a fait place au désespoir: les
jeunes, désabusés pour la plupart, figurent parmi les groupes sociaux
les plus touchés99 par la situation de crise actuelle que nous qualifions
de “totale”100. Elle touche en effet tous les aspects de la vie: crise de
société, crise morale, économique, politique, culturelle… Malgré
l’élection d’un nouveau président de la République101 au terme d’un
régime de transition qui aura duré 5 ans, la crise totale est trop
profonde pour être résolue en quelques mois. D’ailleurs – mais il s’agit
d’une hypothèse qui reste à vérifier –, le coup d’Etat de 2009
également appelé “changement anti-constitutionnel” et la crise
En l’absence de toute évaluation, il est difficile d’affirmer quoi que ce soit.
“Des mesures de redressement urgentes en termes de politique de l’emploi (...)
s’imposent pour éviter une génération perdue voire une explosion sociale à
Madagascar”, intervention de Clara Ramaromanana (Bureau de l’OIT à Antananarivo)
à la conférence débat sur la « Situation socio-économique à Madagascar: diagnostic et
piste de solutions”, organisée par la Vice-primature chargée de l’Economie et de
l’Industrie,
Antananarivo,
28
août
2013.
http://www.ilo.org/public/french/region/afpro/antananarivo/ consulté le 3 mai
2014.
100 Dans une intervention intitulée « L’éducation au service de la nation », nous avons
relaté une anecdote qui donne une idée de l’ampleur du phénomène de perte de
repères: un jeune homme « bien » habillé, qui ne prend pas la peine de garer sa
voiture, qui en descend et fait ses besoins sur le trottoir, en pleine ville, dans la
capitale, en début de soirée. Le plus intéressant à noter est que bien peu de gens
s’émeuvent de tels faits – tsy maninona (qu’importe)!. Atelier organisé par le CRECI,
Faculté des Lettres et Sciences humaines, Université d’Antananarivo, sur le thème « La
nation malgache : construction, déconstruction, reconstruction », 29-30 novembre et
1er décembre 2012, Université d’Antananarivo.
101 Le nouveau président de la République, Hery Rajaonarimampianina, ancien
ministre des Finances du gouvernement de transition, a prêté serment le 25 janvier
2014.
98
99
34
politique de 5 ans qui s’ensuivit n’auraient pas eu lieu si les
fondements de la société malgache n’étaient pas déjà fragiles102.
C’est dans ce contexte de crise totale que nous tenterons une
approche des idées qui ont mû les étudiants de l’Ecole de médecine de
Befelatanana d’abord, puis de l’Université de Madagascar et leurs
jeunes camarades du secondaire en 1972, tout en portant un regard
furtif sur leurs congénères d’aujourd’hui, 42 ans plus tard. Furtif ce
regard l’est, car ne reposant sur une quelconque recherche sur le sujet.
Cependant, nous sommes d’avis que même en l’absence d’une
véritable étude sur les raisons du désespoir des étudiants actuels,
censés être privilégiés par rapport aux autres jeunes, il est possible
d’essayer d’y apporter quelque explication.
organisés104 s’opposent-ils de temps à autre aux forces de l’ordre pour
réclamer le paiement de leurs bourses d’études. Il est toutefois
intéressant de noter que ces derniers temps, il est arrivé que des
étudiants, las d’attendre six mois durant le début des cours105, aient
manifesté. Ils signalent ainsi leur existence en tant qu’étudiants et c’est
là sinon un signe d’intérêt pour les études, du moins une réaction à
l’oisiveté.
A remarquer que dès le deuxième jour de grève le 25 avril
1972, le tract 3 appelait les jeunes manifestants à prendre leur avenir
en main et à revendiquer leurs droits, réagissant ainsi à l’Etat accusé
de les infantiliser et qualifié dans le tract de “paternaliste”. Ce pour
quoi les jeunes luttaient il y a 42 ans est donc encore bien d’actualité.
Les responsabilités des uns et des autres étant mises à part103,
nous tenterons d’apporter un éclairage sur la situation actuelle où
ceux censés bénéficier de l’éducation, en particulier les jeunes, sont
presque sans voix. Tout au plus de petits groupes éphémères et non
Quant au syndicat des enseignants et chercheurs de
l’enseignement supérieur public, le “fameux” SECES qui avait été un
des signataires du tract106 qui a déclenché une vive réaction
Nous avons pris comme exemple de déliquescence de la société malgache les vols
de sépultures dans les tombes, « qui faisai(en)t scandale à ses débuts et qui, comme
bien d’autres phénomènes, n’étonne(nt) guère plus.” Il est fort étonnant que depuis
l’existence de ces vols des «ancêtres” (les ossements sont le symbole des ancêtres), ils
n’aient fait l’objet d’aucune enquête sérieuse de la part des pouvoirs publics ni
d’interpellations soutenues de la part des parlementaires et de la société civile. Irène
Rabenoro, “Les enseignants-chercheurs au coeur d’un enseignement supérieur
porteur d’espoir pour Madagascar », communication présentée lors de la conférencedébat sur L’enseignement supérieur à Madagascar, Département d’Etudes
anglophones/Organization for Social Science Research in Eastern and Southern Africa
(OSSREA), Madagascar Chapter, Université d’Antananarivo, 19 septembre 2013, à
paraître.
103 Qui est responsable de quoi, telle est la question qui se pose dans ce contexte de
crise où l’Etat tente de renaître et où les responsabilités se diluent. La classe politique
figure à n’en pas douter parmi les premiers responsables de la situation actuelle.
104
102
chez les tenants du pouvoir en 1972107, il est désormais peu écouté.
Malgré la fréquence très élevée des grèves qu’il mène108, il ne fait pas
Il y a bien des associations d’étudiants au niveau des facultés et écoles ainsi que des
associations par région d’origine des ètudiants mais ni les unes ni les autres ne sont
très visibles ni très appreciées de l’étudiant moyen. La grande majorité des étudiants
est tellement silencieuse que cela en est inquiétant pour des jeunes.
105 Il s’agit des cours de l’année universitaire 2013-2014 qui, en avril 2014, n’avaient
pour la plupart pas encore commencé.
106 Cf. infra tract 15.
107 Ce tract, distribué le 12 mai 1972, s’intitule “Ho anareo mpiasa rehetra eto
Antananarivo” (A vous tous travailleurs à Antananarivo). Il est signé par le SEMPA
(syndicat des enseignants de secondaire public), l’AEOM (Association des étudiants
d’origine malgache regroupant les étudiants malgaches en France), le SECES (syndicat
des enseignants et chercheurs de l’enseignement supérieur) et la FAEM (Fédération
des associations des étudiants de Madagascar). Il lance un appel aux travailleurs pour
qu’ils rejoignent les étudiants devant l’hôtel de ville le lendemain, le samedi 13 mai,
semant ainsi la panique au sein des autorités gouvernementales. Ce tract a
35
l’objet d’une quelconque répression. Au contraire, les autorités offrent
aux dirigeants du syndicat des postes de direction au sein du ministère
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, ce qui a
pour effet de mettre un arrêt, il est vrai temporaire109, aux grèves. Par
contre, les enseignants du primaire et du secondaire regroupés autour
du SEMPAMA110 ont subi une série de répressions suite aux grèves
répétées qu’ils ont menées en 2012-2013 mais auxquelles les
gouvernants sont restés sourds. C’est peut-être la première fois dans
l’histoire des grèves d’enseignants que ceux qui exercent en dehors de
la capitale semblent avoir été les plus motivés pour réclamer de
meilleures conditions de vie, notamment une hausse de salaires111. A
croire que la vie est dure, comme l’attestent les chiffres du PNUD:
probablement motivé l’arrestation de ceux qu’on croyait être les meneurs du
mouvement et leur envoi sur l’île de Nosy Lava, qui sert de bagne aux criminels, dans
la nuit du 12 mai.
108 Cette fréquence des grèves, qui ont généralement pour motifs des revendications
corporatistes, est telle qu’il est parfois difficile de savoir quand une grève commence
et quand elle s’arrête.
109 Il faut dire que les responsabilités confiées aux leaders du syndicat sont tout aussi
temporaires.
110 Ce syndicat des enseignants de l’enseignement public est dirigé par Claude
Raharovoatra, bête noire des anciens responsables du ministère de l’Education
nationale.
111 A ce sujet, dans un article en cours de publication, nous avons souligné le fait que
« Ces derniers temps, jamais Madagascar n’aura connu autant de grèves d’enseignants
de tous les niveaux, jamais les enseignants en dehors de la capitale ne se sont autant
mobilisés, jamais les enseignants en grève n’ont subi autant de mépris et n’ont été
aussi ignorés des autorités. », in « Les enseignants-chercheurs au cœur d’un
enseignement supérieur porteur d’espoir pour Madagascar », communication
présentée le 19 septembre 2013, conférence-débat sur L’enseignement supérieur à
Madagascar, organisée par le « Organization for Social Science Research in Eastern
and Southern Africa » (OSSREA) Madagascar, Université d’Antananarivo.
Madagascar, avec une population estimée à 21,3 millions, enregistre
un taux de pauvreté de 76,5%112.
Cet aperçu aura permis d’avoir une idée, si succincte soit-elle, du
contexte dans lequel la présente étude est menée.
DU CORPUS ET DE LA DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE
Alors que le travail de recherche que nous avons mené à propos de
mai 1972113 s’était appuyé à la fois sur les tracts et les résolutions du
congrès national qui a clôturé les évènements114, il nous semble plus
pertinent de s’attacher à examiner les tracts. Etant donné notre
intention de nous pencher sur la question éducative, il nous semble
que ce sont eux qui véhiculent le plus fidèlement les idées des élèves et
étudiants de Mai-1972 à ce sujet. Les premiers tracts qui les ont
mobilisés tournaient quasiment tous autour de ce qui les préoccupait:
l’enseignement, leur statut d’apprenant et la façon dont les autorités
les considéraient. Le congrès national en effet, d’après le KIM115,
Ce chiffre date du jour où l’information a été téléchargée du site du PNUD, le 11 mai
2014: http://www.mg.undp.org/content/madagascar/fr/home.html .
L’Agence ECOFIN, citant la Banque Mondiale, affirme en juillet 2013 que 92% de la
population
vit
sous
le
seuil
de
la
pauvreté.
http://www.agenceecofin.com/politique/0707-12246-madagascar-92-de-lapopulation-sous-le-seuil-de-pauvrete téléchargé le 11 mai 2014.
113 Irène Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache pendant les évènements de Mai
1972, thèse de doctorat d’Etat ès-Lettres et Sciences humaines, Université Paris 7Denis Diderot, décembre 1995.
114 Le congrès national s’est tenu dans la capitale du 4 au 19 septembre 1972. Dès le
début de la grève fin avril, le tract 41 avait évoqué la tenue d’un congrès national
considéré comme l’aboutissement des séminaires.
115 KIM: Komity Iombonan’ny Mpitolona = Comité commun de lutte au sein duquel le
groupe dominant était celui des travailleurs, dont des enseignants de tous les niveaux
du système éducatif. C’est dans un tract intitulé “Fantatrao ve fa naongan’ny
mpitokona ny sarivongan’i Tsiranana ...” (“Savez-vous que les grévistes ont
déboulonné le buste de Tsiranana ...”) que ces objectifs du congrès national sont
mentionnés.
112
36
organe suprême du mouvement, avait d’autres tâches : l’élaboration
d’une nouvelle constitution en vue de la mise en place d’un nouveau
système politique et de la tenue d’élections libres. On notera
cependant que le mot malgache pour “école” (sekoly) occupe
sensiblement le même rang dans les tracts et dans les résolutions du
congrès national : il se trouve au 6e rang dans ces dernières et occupe
le 5e rang dans les Tracts116. L’école est donc demeurée un thème
relativement majeur vers la fin du mouvement, environ 4 mois après
les temps forts.
La constitution du corpus s’est effectuée sur la base du contenu
des tracts: les tracts retenus sont ceux qui, à la lecture, traitent un tant
soit peu de l’école, qui que soient leurs rédacteurs. Le résultat est un
corpus composé de 43 tracts qui, pour 39 d’entre eux, ont déjà servi à
la poursuite d’autres objectifs de recherche117. Notre objectif étant
d’essayer de cerner les idées sur le système éducatif et non d’observer
la langue utilisée, la langue de rédaction des tracts importe peu: aussi
aux 39 tracts en malgache ont été ajoutés 4 tracts rédigés en français.
A signaler que les tracts sont présentés ici dans l’ordre
chronologique de leur diffusion, que leur date soit précise ou
approximative.118 Ceci nous permet dès l’abord de constater que leur
nombre décroît au fil des mois: 29 tracts du 24 avril au 31 mai dont 4
en français, 9 en juin, 4 en juillet et un seul en août-septembre. Ces
Il s’agit ici des 99 tracts que nous avons retenus suivant des critères précis pour le
sous-corpus Tracts de notre thèse. A noter que la lettre initiale du mot “tract” est mise
en majuscule quand ce terme renvoie à ce sous-corpus, et non à un de ces éléments.
117 Il s’agit des objectifs de notre thèse de sociolinguistique citée plus haut. Les 39
tracts retenus pour le présent corpus constituent 38,61% de la totalité du sous-corpus
Tracts de notre thèse.
118 Rares sont les tracts portant une date. Aussi ont-ils été datés en fonction de
l’évolution des évènements, pour certains de leur apparition dans des journaux, ou
aussi de leur contenu.
chiffres donnent une idée de l’essoufflement du mouvement avec le
temps d’une part et d’autre part de la réduction progressive de la part
accordée au thème de l’enseignement. Par ailleurs, il convient de
souligner que sur les 43 tracts retenus, 34 ont été produits par le
comité de grève estudiantin, soit 79,06%, ce qui nous conforte encore
advantage dans le choix que nous avons opéré de travailler sur les
tracts.
Au cours de l’analyse, afin de permettre une référence plus aisée à l’un
ou à l’autre, les tracts seront suivis du numéro d’ordre qui leur est
attribué ici. Ci-après les éléments du corpus retenus pour avoir traité
plus ou moins de questions liées à l’enseignement.
Tracts du 24 avril au 31 mai 1972
Titre
1
Date
Emetteur(s)
Miady na ho faty (Lutte ou 24
crève)
avril
Ny Komitin’ny Grevy
2
Henoy! (Ecoutez!)
24
avril
Ny Komitin’ny Grevy
3
“Nitaky i Befelatanana” 25
(Befelatanana a fait des avril
revendications)
Ny Komitin’ny Grevy
(le comité de grève)
116
37
4
Sekoly ho an’olom-bitsy. 28
“Raha 1000 no miditra ... ” avril
(Ecole
pour
une
minorité/élitiste. “Si 1000
entrent ...)
Komitin’ny
Mpitokona
(comité des grévistes)
11 Ho
an’ny
mpianatra 05
ivelan’Antananarivo (Pour mai
les élèves en dehors
d’Antananarivo)
Ny mpianatra namanareo eto
Antananarivo (vos camarades
étudiants à Antananarivo)
5
Sekoly ho an’olom-bitsy. 28
“50% ny zaza malagasy ...” avril
(Ecole
pour
une
minorité/élitiste.
“50%
des enfants malgaches ...”.
Comité de grève
12 Isika
mpitokona
no 08
misafidy (C’est à nous, mai
grévistes, de choisir)
Ny Komitin’ny Mpitokona (le
comité des grévistes)
13 Tsy maintsy mandresy ny 09
mpitokona! (La grève mai
vaincra!)
Ny Komitin’ny Mpitokona (le
comité des grévistes)
6
Sekoly tsy fitoviana (Ecole 02
inégalitaire)
mai
Ny Komitin’ny Mpitokona (le
comité des grévistes)
14 Ho an’ny mpiasa rehetra 11
eto Antananarivo (A tous mai
les
travailleurs
d’Antananarivo)
SNIPUMA: Ratsimba, Filoha
nasionaly
(Président
national).
7
Sekoly miangatra (Ecole 02
discriminatoire)
mai
Ny Komitin’ny Fitokonana (le
comité de grève)
8
Mitohy ny fitokonana! (La 03
grève continue!)
mai
Le Comité de grève
SEMPA: Andriamanisa, Viceprésident,
Relations
extérieures.
9
Sekoly
mihinam-bolam- 03
bahoaka (L’argent du mai
peuple dilapidé pour une
école qui n’est pas la
sienne)
Ny Komitin’ny Mpitokona (le
comité des grévistes)
SECES: Ignace R., Sekretera
jeneraly (secrétaire général).
10 Fianarana tsy mahavita 04
azy (Enseignement “nul” / mai
qui ne vaut rien)
Komitin’ny
Mpitokona
(comité des grévistes)
FAEM: Jérôme R., Sekretera
jeneraly (secrétaire général).
AEOM: Ranaivosoa.
Tampon: Comité de grève
estudiantin.
38
15 Ho anareo mpiasa rehetra 12
eto Antananarivo (A vous mai
tous
travailleurs
à
Antananarivo)
SEMPA: Andriamanisa, Viceprésident,
Relations
extérieures.
AEOM: Ranaivosoa.
SECES: Ignace R., Sekretera
jeneraly. (secrétaire général).
FAEM: Jérôme R., Sekretera
jeneraly (secrétaire général).
16 Ho an’ny mpianatra sy ny 15
mpiasa (Aux étudiants et mai
travailleurs)
17 Fomba hitondrantsika ny
loa
bary
an-dasy
(Comment nous organiser
pour les séminaires)
Ny Komity Vonjy Maika (le
comité provisoire)
2e
Ny Komitin’ny Fitokonana (le
quinz comité de grève)
.
mai
119
18 Mahereza ry mpitolona 2e
Ny Komitin’ny Fitokonana (le
(Courage,
camarades quinz comité de grève)
militants)
. mai
119
19 Inona
ny
hevitrao 2e
Ny Komity ny Mpitokona (le
momban’ny
fielin’ny quinz comité des grévistes)
sekoly eto? (Que pensez- . mai
vous de la répartition
géographique
des
écoles?)
20 Inona
no
mari- 2e
Ny Komitin’ny Fitokonana (le
pandresen’ny mpianatra? quinz comité de grève)
(Quels signes de victoire . mai
pour les étudiants?)
21 Ho vonona lalandava 2e
Ny Komitin’ny Fitokonana (le
hiaro ny kongresintsika quinz comité de grève)
isika (Soyons toujours . mai
prêts à défendre notre
congrès)
22 Sekolin’ny
2e
Ny Komitin’ny Fitokonana (le
mpangorongarena vahiny quinz comité de grève)
(Le capitalisme étranger . mai
derrière l’école)
23 Tantaran’ny
2e
Komitin’ny
Fitokonana
fampianarana teto Ma- quinz (comité de grève)
dagasikara (Historique de . mai
l’enseignement
à
Madagascar)
“Quinz.” est l’abréviation de « quinzaine ».
39
24 Sekoly fanompoana ny 2e
Ny Komitin’ny Mpitokona (le
mpangoron-karena (Ecole quinz comité des grévistes)
au service du capitalisme) . mai
25 Tolon’iza (La lutte pour 2e
Ny Komitin’ny ZOAM
qui?)
quinz
. mai
Tracts de juin 1972
Titre
Date
Emetteur(s)
26 “Sekoly
vaovao
no 1ère Komitin’ny
Fitokonana
takiantsika atsangana ...” quinz (comité de grève)
(C’est une école nouvelle . juin
que nous revendiquons)
27 Fanjakan’ny
madinika. 1ère Ny Komitin’ny Fitokonana (le
“Notsikeraintsika
quinz comité de grève)
hatramin’izay ...” (Pouvoir . juin
du petit peuple. “Nous
avons analysé jusqu’ici
...”)
28 Famintinana sy soso- 1ère Ny Komitin’ny Fitokonana (le
kevitra
(Synthèse
et quinz comité de grève)
propositions)
. juin
29 Fampahatsiarovana
(Rappel)
1ère Ny Komitin’ny Fitokonana (le
quinz comité de grève)
. juin
30 Olana
apetraky
ny 1ère Ny Komitin’ny Fitokonana (le
fanagasiana
ny quinz comité de grève)
fampianarana (Problèmes . juin
posés
par
la
malgachisation
de
l’enseignement)
40
31 Antso avo ho an’ny 1ère Ny Komitin’ny Tolon’ ny
tantsaha
(Appel
aux quinz Mpiasa (le comité des
paysans)
. juin travailleurs en lutte)
32 Tolon’ny ZOAM (Lutte des 1ère Ny Komitin’ny ZOAM
ZOAM)
quinz comité des ZOAM)
. juin
(le
33 Miady ho an’iza moa isika 1ère Ny Komitin’ny ZOAM
ZOAM? (ZOAM, pour qui quinz comité des ZOAM)
luttons-nous?)
. juin
(le
34 Mifohaza ry tantsaha 2ème Komitin’ny ZOAM (comité des
havako ka andeha hijoro quinz ZOAM)
fa androm-pivoarana izao. . juin
(Amis paysans, réveillezvous, et levons-nous,
l’heure est au progrès)
Tracts de juillet 1972
Titre
Date
Emetteur(s)
35 Sekoly vaovao. “Votoatin- 10
Ny Komitin’ny Fitokonana
kevitra ...” (Ecole nouvelle. juillet
“Idées essentielles...)
36 Hevitra niseho tamin’ny
loabary an-dasy momba
ny sekoly vaovao (Les
idées
dégagées
des
séminaires à propos de
l’école nouvelle)
1ère Komitin’ny
Fitokonana
quinz (comité de grève)
.
juillet
37 Teny
fanolorana
ho
amin’ny sekoly vaovao
(Préambule du projet
“Ecole nouvelle”)
1ère Ny Komitin’ny Fitokonana
quinz (Le comité de grève)
.
juillet
38 Hevitra
hanorenana ny
vaovao (Principes
création
de
nouvelle)
2ème Komitin’ny
Fitokonana
quinz (comité de grève)
.
juillet
fototra
sekoly
pour la
l’école
41
Tracts d’août-septembre 1972
Titre
39 Tolom-bahoaka 1972
(Lutte de 1972)
Date
Emetteur(s)
1ère quinz. Komitin’ny ZOAM
d’août
Tracts en français diffusés en avril-mai 1972
Titre
Date
Emetteur(s)
40 Lutte ou crève
Comité de grève
41 La grève continue
Le Comité de Grève
42 Primaires,
secondaires,
universitaires
Comité de grève
43 Ecoute!!!
Non signé mais produit
probablement
par
le
Comité de grève
Relevons que deux des quatre tracts rédigés en français sont la
traduction de tracts en malgache, ou inversement car on ne sait
lesquels sont les originaux. Il s’agit des tracts 40 et 43 sont
respectivement la version française du tract 1 Miady na ho faty (Lutte
ou crève) et du tract 2 Henoy! (Ecoutez!).
Le traitement qui sera fait des éléments du corpus ne fait appel
à aucune procédure particulière: il s’agira d’une analyse en contexte
des mots ou des énoncés qui intéressent notre question de recherche.
Toutefois, il nous faut prendre des précautions avant d’entamer
l’analyse. Ainsi, on gardera à l’esprit un certain nombre de points. Le
premier a trait à l’objet à analyser: le tract. En 1972, le tract n’est en
effet
« (…) pas seulement cet objet qui vise à “frapper, instruire, faire agir
dans de brefs délais”, mais aussi un document à caractère informatif et
didactique, parfois polémique, qui sert de point de départ aux débats
tenus lors de ce qu’on appelaient des “séminaires”. Au moins un tract
était distribué le matin aux séminaristes, et cet objet a fini par créer
des habitudes, des attentes, et entretenir un certain climat: l’on
imaginait mal qu’il puisse y avoir un jour sans tracts. Les élèves et les
étudiants en particulier, entre fin Avril et Juin 1972, avaient l’habitude
de les avoir entre les mains, de se les passer, de les lire et de les
commenter.”120
Les réponses et réactions à un tel type de support ne peuvent
relever de réflexions approfondies. Pour la plupart des acteurs du
mouvement, les réactions ont des chances d’être spontanées, de venir
du coeur121 plutôt que de l’esprit. Seuls les membres de syndicats, de
partis politiques ou d’associations auraient pu donner des réponses
réfléchies à des questions dont ils auraient pu avoir débattu par
ailleurs. Il est un autre point que l’on aura à l’esprit au cours de notre
étude: il s’agit des conditions de production des tracts sur lesquelles
nous nous pencherons brièvement.
Le discours contenu dans les tracts a été produit, au plan
national, un an après le soulèvement des paysans dans le Sud sous la
Irène Rabenoro, 1995, op. cit., p.43.
Dans ibid. p.292, nous avons relevé dans notre corpus 12 mots composés avec le
substantif “fo” (coeur). Nous faisions alors remarquer que les Malgaches passaient
pour être des gens de coeur.
120
121
42
direction du parti MONIMA de Monja Jaona, et deux mois après la
réélection avec un score peu plausible de 99,9% des voix122 du
premier président de Madagascar après qu’il a recouvré son
indépendance, Philibert Tsiranana. La présence française est encore
forte, ainsi que le souligne Françoise Blum: “(Les accords de
coopération) impliquent la présence d’assistants techniques à tous les
échelons du pouvoir, qui occupent la plupart des postes clés.”123 Cette
visibilité excessive de la France, ne serait-ce qu’aux postes de direction
de l’Université de Madagascar et des lycées, y ait certainement pour
quelque chose dans la mobilisation des participants au mouvement.
Au plan international et notamment par rapport à l’ancien pays
colonisateur, Mai-1972 a eu lieu 4 ans après Mai-68 en France. Il est
probable que Mai 68 ait été une source d’inspiration pour les
dirigeants de mai 1972. Le marxisme était en vogue, de même que la
liberté de parole. Bien d’autres paramètres124 sont à prendre en
compte mais ces quelques éléments d’information pourraient suffire à
l’approche de notre objet.
L’ÉCOLE : DÉTRUIRE ET CONSTRUIRE
Dans un contexte où l’amitié et la solidarité sont réelles, l’âge, le niveau
d’instruction et le milieu social dont émanent les ”séminaristes”
importent peu. Chacun a le droit de s’exprimer, de dire ce qu’il pense.
Mais il est évident que compte tenu des conditions dans lesquelles les
tracts ont été produits, les idées qu’ils renferment sont pour la plupart
Anne-Marie Goguel, Aux origines du mai malgache. Désir d’école et compétition
sociale 1951-1972, Paris: Karthala, 2006, p.317.
123 Françoise Blum, « Madagascar 1972 : l’autre indépendance. Une révolution contre
les accords de coopération”, Le Mouvement Social, juillet-septembre 2011, p.64. Ces
accords ont été signés au moment de l’indépendance en juin 1960.
124 Voir entre autres Anne-Marie Goguel, op.cit., p.317-359. Voir également notre
thèse, op.cit.
122
plutôt vagues: leurs auteurs ne sont pas, sauf peut-être exception, des
spécialistes de l’éducation. Soulignons que le mot “école” est ici en
quelque sorte un mot générique et renvoie donc aussi bien à
l’enseignement primaire qu’au secondaire et à l’université.
D’après les tracts, pourquoi détruire l’école et en construire une
nouvelle?
Une des raisons évoquées de manière répétitive est le caractère
inégalitaire et discriminatoire de l’école. L’école est réservée à une
minorité: n’y a pas accès la moitié des enfants en âge d’aller à l’école
(cf. tract 5). Elle est aussi sélective dans la mesure où ce sont les
enfants de fonctionnaires, de grands possédants125 et de riches
agriculteurs qui y ont accès alors que tous les contribuables en
assurent le fonctionnement (ibid.). Il s’agit de l’école publique, bien
équipée, qui coûte chère et qui est de qualité contrairement aux écoles
privées et confessionnelles de qualité médiocre (cf. tract 9). Dans ce
même tract, le coût élevé d’un étudiant diplômé est indiqué et d’autres
statistiques dans ce domaine fournies pour aboutir à la conclusion que
le peuple ne mange pas à force de payer des impôts pour une école
chère et inégalitaire.
Les capitalistes, dont il est dit qu’ils ont besoin de former des jeunes
qui seront à leur service, sont donnés pour causes de cette école
injuste et discriminatoire (cf. tract 24), de la pauvreté et de
l’impossibilité à accéder à l’emploi (cf. tract 20). Un lien est donc établi
entre l’enseignement et l’économie, entre l’école inégalitaire et
discriminatoire et la catégorisation des travailleurs par les capitalistes
suivant qu’ils ont un emploi requérant de la force physique ou des
compétences liées aux études effectuées. Sont la cible des tracts les
125
C’est ainsi qu’a été traduit le mot malgache tremalahy.
43
capitalistes français en particulier, à cause de qui on est obligé
d’apprendre le français (cf. tract 22). Mais les accords de coopération
avec la France126, qualifiés d’accords d’esclavage (cf. tract 6), sont aussi
accusés d’être à l’origine des inégalités par rapport à l’école et à
l’emploi.
Le tract 6 quant à lui s’attaque aux enseignants, considérés
comme des espions des capitalistes, en ce qu’ils classent les élèves en
bons et mauvais, et seuls les bons obtiennent le diplôme qui ouvre la
porte à l’emploi. Par contre, le tract 35 préconise une collaboration
entre élèves et enseignants dans la mise en oeuvre de l’école nouvelle.
Quant au tract 20, il estime que la lutte des étudiants est intimement
liée à celle des travailleurs et des indigents (en malgache mpitrongy
vao homana). Sont en revanche considérés comme ennemis des
étudiants ceux qui empêchent la tenue du congrès en envoyant des
gens en exil et en tuant ou qui veulent perturber le congrès populaire.
Ce sont en effet les participants au congrès, notamment les étudiants
et le peuple, qui devraient avoir pouvoir de décision quant à la
création de l’école nouvelle.
Face à ces idées parfois peu réalistes, certains adoptent un
point de vue plus pragmatique comme l’atteste le tract 30 consacré
aux problèmes que pose la malgachisation de l’enseignement. On s’y
interroge sur les conditions nécessaires à la mise en œuvre de la
malgachisation: la langue malgache ferait-elle l’affaire en tant que
langue d’enseignement? Par cette question, il n’est pas impossible que
les auteurs de ce tract veuillent inciter les participants à réfléchir à la
possibilité d’adopter un enseignement bilingue (malgache-français).
Toujours dans ce tract 30, il est suggéré que la langue malgache soit
126
développée127, ce qui à nos yeux serait tout à fait utile si elle devait
servir d’outil de communication didactique à tous les niveaux du
système éducatif. Toujours à propos de la langue malgache mais dans
un autre tract (tract 36), il peut paraître surprenant qu’il soit question
de l’école nouvelle devant avoir pour objectif d’apprendre à l’ensemble
de la population à parler malgache. Cette proposition trouve peut-être
son explication dans ce qui s’est passe en 1963: «Le rapport de la
Mission UNESCO resta confidentiel, probablement parce qu’il prenait
fermement et ouvertement parti pour une « malgachisation intégrale,
facteur d’unité pour la planification, et d’union pour la nation”, prise
de position qui, étant donné le caractère politique de ce débat, aurait
pu en faire une arme entre les mains de l’opposition”.128
Pour en revenir au français, notons que les compétences dans
cette langue sont dites constituer le principal critère d’évaluation des
connaissances (cf. tract 22). Ces compétences linguistiques sont aussi
sources d’inégalités entre étudiants. On affirme dans le tract 22 que ce
sont ceux qui sont bons en français qui obtiennent un emploi et
dominent les petits agriculteurs et éleveurs ainsi que les petits
A considérer que les auteurs de ce tract 30 partagent notre point de vue,
développer une langue, en l’occurrence le malgache, signifie la standardiser et la doter
d’éléments, notamment lexicaux, dont ses utilisateurs ont besoin quelle que soit la
situation dans laquelle ils s’en servent.
128 Anne-Marie Goguel, op. cit., p.258. Cette position de la Mission de l’UNESCO en
1963, date de parution du Rapport, se comprend quand on sait que l’UNESCO
préconise depuis 1953 la langue maternelle comme médium d’instruction. Un tel fait
nous rappelle un autre rapport mais datant de 1993, qui soutient que pour améliorer
le système éducatif, il faut adopter la langue malgache comme médium d’instruction. Il
s’agit du rapport de mission de Marcel Crahay pour la Banque Mondiale, Comment
améliorer le système d'éducation en République de Madagascar?, 1993, que le ministère
chargé de l’éducation de l’époque s’est efforcé de cacher et qui continue de faire l’objet
de cachotteries.
127
Voir l’article de Françoise Blum, op. cit., très instructif à ce sujet.
44
salariés. On observera que l’accent est mis ici sur le caractère politique
et social de la langue.
particulièrement aigu pour le recrutement des enseignants des lycées
(…).”129
Dans le tract 30 que nous avons commencé à observer, le
doute est perceptible à travers la question posée: un enseignement des
traditions serait-il bénéfique aux “petits”, au petit peuple? Ce tract 30
s’interroge également sur le problème de remplacement des assistants
techniques étrangers. Ainsi que nous l’avons souligné plus haut, la
présence des Français est trop voyante pour continuer à être acceptée.
Il n’en reste pas moins que leur départ à partir de 1972-1973, sans
solution de rechange, ne pouvait qu’avoir des conséquences
catastrophiques sur l’enseignement, l’économie et plus généralement
sur tout secteur nécessitant certaines compétences.
Le tract 11 fait remarquer que le système éducatif et le
contenu de l’enseignement, semblables à ceux de la France, ne
conviennent ni à la société malgache, ni aux besoins de développement
du pays, ni à son économie. Les auteurs de ce tract font preuve de
réalisme en soulignant qu’il ne faut pas se contenter de contrer, qu’il
faut concevoir un nouveau système. Cependant, moins réaliste était
l’idée du tract 35 selon laquelle toutes les écoles privées doivent être
prises en main par l’Etat pour qu’aucun élève n’ait à payer des frais de
scolarité.
Ces questions nous semblent pertinentes, indépendamment
des réponses qui ont pu y être apportées. Si elle avait été planifiée, la
malgachisation, en l’occurrence l’adoption du malgache comme
médium d’instruction, n’aurait peut-être pas eu les effets négatifs qui
ont traumatisé plus d’un et continuent à effrayer bien des citadins. De
même, une planification du remplacement des assistants techniques
étrangers par des nationaux aurait peut-être permis d’éviter la grave
carence en compétences depuis des dizaines d’années, notamment en
enseignants, dans la perspective de la décentralisation et de la
démocratisation de l’enseignement. A cet égard, il nous faut remarquer
que certains rédacteurs des tracts étaient probablement au courant de
cette question qui avait préoccupé sérieusement les autorités
éducatives à partir de 1967 : « l’effectif des assistants techniques
cessera d’augmenter et le problème se posera de plus en plus de la
nécessité de les relayer par des cadres nationaux, problème
Le tract 5 dénonce la concentration des écoles de qualité dans
la capitale et dans les chefs-lieux de province, d’où la proposition de
démocratiser l’enseignement dans le sens où elle serait ouverte à tous.
Dans le même ordre d’idées, des questions sont posées aux acteurs de
1972 (cf. tract 19): que pensez-vous de la répartition géographique
des écoles, sont-elles de qualité égale? Quelles sont les provinces qui
ont le plus d’enfants exclus de l’école et à quelle catégorie sociale ces
enfants appartiennent-ils?
Nous sommes d’avis qu’il est important que ces questions aient
été abordées, même de manière superficielle, car dans “les régions
christianisées”, dont la capitale et ses environs, “les élites
traditionnelles avaient été scolarisées dès le début du XIXe siècle.»130
Elles ont ainsi une longueur d’avance en matière d’éducation sur le
reste du pays. Les inégalités nées de ces faits historiques demeurent à
ce jour, quoique la décentralisation de l’Université de Madagascar et la
129
130
Anne-Marie Goguel, op. cit., p.250.
Ibid., p.24.
45
création des universités de province131 aient contribué à les réduire,
tout en favorisant les contacts entre étudiants d’origines
socioculturelles différentes. Une telle mobilité géographique des
jeunes au niveau national est, faut-il le souligner, un des aspects
positifs de la décentralisation et de la démocratisation de
l’enseignement.
La promotion de la formation professionnelle (cf. tract 28) est vue
comme pouvant satisfaire les besoins du peuple et comme contribuant
à la croissance économique. Les jeunes chômeurs (les ZOAM) en
particulier souhaitent bénéficier d’une formation professionnelle (cf.
tract 25). Notons qu’il est assez surprenant que dans ce tract 28, sans
qu’il y ait transition aucune, de la formation professionnelle on passe à
l’évocation de la mise en place du socialisme et de l’égalité des classes
sociales.
Pour ce qui est des examens, alors que certains veulent leur
suppression, d’autres sont plus nuancés. Bien que ces derniers
n’apprécient pas non plus le système d’évaluation de connaissances en
vigueur en ce qu’il favorise l’apprentissage par coeur (tract 35), ils
proposent que les contrôles continus remplacent les examens. Quand
on pense que ce n’est que maintenant, avec la préparation de la
migration des universités vers le système LMD132 que de tels points de
vue sur les méfaits et l’inefficacité du par coeur et l’adoption
systématique du contrôle continu refont surface, il n’est peut-être pas
C’est à partir de 1977 que des ramifications de l’Université de Madagascar ont
commencé à être mises en place mais la véritable création des 5 universités de
province s’est faite en 1988.
132 LMD: licence-master-doctorat, également connu sous l’appellation “processus de
Bologne”.
hasardeux de dire que du moins les scripteurs des tracts étaient en
avance sur leur temps.
Concernant l’emploi, tout ce qui requiert de la force physique
est considéré comme dégradant, comme ne convenant qu’aux voyous,
comme peu respectable (cf. tract 7). Dans ce sens, l’école est la solution
permettant d’éviter les “bas” emplois, de sortir de l’ignorance et de ne
pas se faire avoir (cf.tract 36). Elle doit être ouverte aux adultes qui
souhaitent étudier et à ceux qui veulent servir le pays (?). On y dit des
handicapés qu’ils ne seront pas en reste mais sans plus. Ce tract 36,
intitulé Hevitra niseho tamin’ny loabary an-dasy (Les idées dégagées
des séminaires à propos de l’école nouvelle), donne une idée assez
précise des points de vue des participants aux séminaires. Il aborde la
question de savoir à quoi sert l’école, milite en faveur d’une école qui
forme les gens à avoir un esprit curieux, à avoir les compétences
nécessaires à la production (agriculture, artisanat, commerce…).
L’école devrait également apprendre à connaître les droits de chacun
et à connaître la culture (dont la sagesse) et les réalités malgaches. Par
ailleurs, l’école est vue comme devant forger la personnalité des
jeunes pour qu’ils puissent vivre en société en ayant une maturité
d’esprit, un esprit patriote, une forte personnalité, le sens de la
responsabilité et le goût pour la recherche et la création133. Sur un plan
plus général, d’après ce tract 36, l’école doit aussi permettre de former
les futurs dirigeants du pays, de se libérer du joug des capitalistes,
d’acquérir des connaissances dans le domaine de la santé, la propreté,
les aliments. En ce qu’elle forme des citoyens, l’école doit enseigner
l’instruction civique et la sociologie. Pour les enfants malgaches
131
Il est intéressant de noter que la créativité, le goût pour la création est une qualité
que de grandes organisations ou de grandes concertations internationales, tel le
Forum mondial sur l’éducation à Dakar en 2000, voudraient bien voir développée
dans le cadre du système éducatif.
133
46
souhaitant travailler dans le domaine de l’agriculture, l’école doit les
initier aux techniques agricoles, aux sciences physiques, à la
technologie, à l’économie, à la gestion et à la comptabilité. L’école doit
être ouverte à tous ceux qui aspirent à une ascension sociale, et doit
permettre d’être au même niveau de connaissances que tous les autres
pays du monde, Toutefois, l’obtention de diplômes ne devrait pas être
l’objectif de la scolarisation.
La durée des études est remise en question dans le tract 35:
bien que la spécialisation y soit préconisée comme devant intervenir
assez tôt, l’enseignement général est tout de même considéré comme
nécessaire mais il doit être abrégé.
Que tirer de ce survol des idées sur l’enseignement ou plus
exactement, sur le système éducatif?
Comme dans tout mouvement sans direction bien assise, Mai1972 a vu la participation de gens de divers horizons, d’âges différents,
de motivations différentes et de milieux socioculturels différents: les
uns rêvent et les autres ont les pieds sur terre. Pour ceux des
participants qui ont été assidus aux séminaires, la vie s’est en quelque
sorte arrêtée après le congrès national. Ils ont été abandonnés à euxmêmes, la tête pleine d’idées plus ou moins convergentes ou
contradictoires. La reprise d’une vie « normale » fut sans doute dure
pour beaucoup : se taire face à des adultes alors qu’on avait pris
l’habitude de prendre la parole et de parler librement, parler de tous
les sujets sans craindre de se faire blâmer, discuter de sujets que seuls
des spécialistes ou des hommes politiques étaient habilités à aborder,
faire appel à ses facultés de pensée en dehors du contexte scolaire, se
considérer et se comporter comme des adultes responsables, ne pas
être considérés comme des enfants, apprendre à prendre des
initiatives…
Dans l’ensemble, les étudiants des universités actuels ne
savent rien de tout cela. Ils n’étaient pas nés en 1972 et l’école ne leur
apprend pas grand-chose de l’histoire récente de leur pays. Tout au
plus ont-ils appris que Mai-1972 a vu la chute du régime Tsiranana. Ils
ne connaissent que le mépris ou les brimades des enseignants et des
employeurs pour leur manque de compétence en français. Plus que
jamais, la langue française est le principal outil de mobilité sociale.
Bien qu’ayant du moins confusément conscience que les diplômes
n’ouvrent pas toujours la porte à l’emploi souhaité ni à une vie
meilleure, certains essaient « à tout prix d’obtenir un diplôme,
quoiqu’il en coûte et donc parfois par des voies illégales”, poursuivant
“le rêve d’occuper un poste dans les sphères du pouvoir politique,
l’important (…) étant de devenir riche très vite, sans avoir à fournir
d’efforts. »134 En l’absence d’autres perspectives, d’autres tendent à
continuer leurs études sans conviction et sans savoir où elles peuvent
les mener. Une des rares choses qui intéresse beaucoup d’étudiants est
peut-être l’argent, dont il manque énormément dans la vie de tous les
jours.
Alors qu’avant la crise politique de 2009, les jeunes se
tournaient vers la religion entre autres pour se doter de valeurs
morales et “s’accrocher à quelque chose»135, les positions nettement
opposées des chefs des églises catholique et protestante face au coup
d’Etat les ont conduits à être discrets sur leur option religieuse et
Irène Rabenoro, 2013, op.cit., p.3.
En témoigne la page des remerciements des mémoires de Maîtrise ès-Lettres où à
quelques exceptions près, Dieu et plus rarement Allah, est le premier à faire l’objet de
remerciements.
134
135
47
politique. Souvent, ils n’ont ni parents vers qui se tourner car ces
derniers sont trop occupés à essayer de joindre les deux bouts, ni
enseignants à l’oreille bienveillante, disposée à les écouter et à les
éclairer. Les enseignants eux-mêmes, nous y avons déjà fait allusion,
ont du mal à exister et à se faire respecter.
La conjugaison de divers paramètres a rendu les jeunes
quasiment muets: mentionnons en particulier l’usage qui veut que les
cadets et les femmes n’aient pas droit à la parole tant qu’un homme
et/ou une personne plus âgée est présente d’une part et d’autre part
l’attitude des enseignants qui, en général, ne favorise guère la prise de
parole des étudiants. Le droit à la parole, la libération de la parole en
1972 ne sont plus que de doux souvenirs pour ceux qui les ont connus.
Les dirigeants du mouvement de 1972 ou tout au moins les rédacteurs
du tract 3 avaient vu juste: pour la liberté d’expression, contre l’Etat
paternaliste qui infantilise les élèves et étudiants en grève, pour une
prise en main de leur avenir par les jeunes scolarisés, pour une
revendication de leurs droits.
Pour en revenir à la question strictement éducative, on peut se
poser la question de savoir si l’apport d’Internet, dont l’usage ne
pourra que se répandre et les utilisations se diversifier, et l’entrée des
universités malgaches dans le système LMD apporteront une
revitalisation du système éducatif et une redynamisation de ces
acteurs et bénéficiaires. Le statut même des enseignants et des
apprenants est appelé à changer si tant est que le système LMD sera
effectif. Ceci dit, comment les enseignants, réduits depuis des dizaines
d’années à revendiquer la mise en œuvre de mesures leur permettant
de mener une vie matérielle décente, peuvent-ils relever les multiples
défis136 liés à leur métier dans la perpective du redressement du pays?
A une population composée pour moitié de jeunes de moins de 20
ans137, il faut des modèles en matière d’éthique, de courage, de
détermination, de patience, de persévérance, de liberté d’expression,
de sens de la responsabilité, de dur labeur, de conscience citoyenne, de
tolérance, d’ouverture d’esprit... Les enseignants figurent parmi les
premiers à pouvoir et à devoir jouer ce rôle mais encore faut-il les
aider.
Comment, dans une société dont beaucoup de membres sont
déboussolés, où l’éthique a du mal à se rappeler à la mémoire des uns
et des autres, espérer que les étudiants puissent se positionner comme
apprenants autonomes et créatifs et devenir des citoyens ouverts et
responsables? Comment des jeunes – et des moins jeunes - qui
utilisent sans arrêt l’expression tsy maninona (qu’importe, peu
importe) peuvent-ils du jour au lendemain se prendre en main? Cette
expression devenue d’usage courant, utilisée à propos de tout et de
n’importe quoi, veut dire tout et son contraire: à la fois “je m’en
moque”, “d’accord” et “merci”138. Est-ce un signe d’impuissance, de
démission face à un défi insurmountable, de désinvolture, de passivité,
Parmi ces défis, on citera celui en rapport avec l’approche pédagogique à adopter à
tous les niveaux du système éducatif, en l’occurrence l’approche participative, la
pédagogie centrée sur l’apprenant. Suivant cette approche, l’enseignant doit éviter de
monopoliser la parole et de laisser les apprenants s’exprimer – ce qui est un exercice
ardu pour qui a l’habitude de ne pas être contesté.
137 http://www.mg.undp.org/content/madagascar/fr/home/countryinfo/ consulté le
3 mai 2014.
138 Nous avons déjà fait allusion à cette expression en ce qu’elle est un signe de
l’autodestruction de la société malgache actuelle, face à quoi il faut réagir. Irène
Rabenoro, «L’éducation au service de la nation », intervention à l’atelier organisé par
le CRECI, Faculté des Lettres et Sciences humaines, Université d’Antananarivo, sur le
thème « La nation malgache: construction, déconstruction, reconstruction », 29-30
novembre et 1er décembre 2012, Université d’Antananarivo.
136
48
d’un désintérêt plus ou moins réel ou plus ou moins feint pour tout, ou
peut-être d’une résilience et d’un pacifisme peu communs?
Goguel, Anne-Marie, Aux origines du mai malgache : désirs d’école et
compétition sociale 1951-1972, Paris, Karthala, 2006.
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communication présentée le 19 septembre 2013, conférence-débat sur
L’enseignement supérieur à Madagascar, organisée par le
« Organization for Social Science Research in Eastern and Southern
Africa » (OSSREA) Madagascar, Université d’Antananarivo, en cours de
publication.
Rabenoro, Irène, « L’éducation au service de la nation », atelier
organisé par le CRECI, Faculté des Lettres et Sciences humaines,
Université d’Antananarivo, sur le thème « La nation malgache:
construction, déconstruction, reconstruction », 29-30 novembre et 1er
décembre 2012, Université d’Antananarivo.
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49
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http://www.mg.undp.org/content/madagascar/fr/home/presscenter
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http://unesdoc.unesco.org/images/0021/002153/215326f.pdf
téléchargé le 4 mai 2014.
L’hebdomadaire catholique Lumière a également tenu une chronique
très détaillée des événements.
SOURCES
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Corpus de tracts imprimés en 1972 réunis par les soins d’Irène
Rabenoro lors de son travail de thèse.
MORGAN CORRIOU. CINÉPHILIE ET ENGAGEMENT ESTUDIANTIN EN TUNISIE
SOUS BOURGUIBA
Bibliothèque nationale de France, Département des Arts du spectacle
[email protected] / [email protected]
Proposition de communication
La cinéphilie ne peut être détachée d’une certaine sociabilité étudiante dans
la Tunisie de la deuxième moitié du XXe siècle. Les études universitaires
constituent, en effet, un temps privilégié de l’investissement associatif –
entre l’adolescence et l’entrée dans la vie adulte. Le ciné-club est alors l’un
des rares lieux mixtes où les jeunes Tunisiens peuvent se retrouver et
occuper leurs loisirs, loin du foyer parental. Ainsi, la cinéphilie apparaît
comme un élément essentiel de la culture étudiante et les étudiants
conquièrent peu à peu le premier rôle dans les structures de la Fédération
tunisienne des ciné-clubs (FTCC) et de la Fédération tunisienne des
cinéastes amateurs (FTCA). Cette passion pour le cinéma est souvent
synonyme de combats politiques : nombre d’anciens des ciné-clubs lient
encore cinéphilie et contestation de l’autoritarisme bourguibien. Il importe,
néanmoins, de dépasser la légende qu’entretient une nostalgie pour ce qui
aurait été l’âge d’or des ciné-clubs et d’interroger plus précisément les
modalités d’engagement des étudiants tunisiens à travers la cinéphilie. Si
les archives de la période postindépendance restent encore difficilement
accessibles, l’étude des revues publiées par les divers cercles cinéphiles
ainsi que les entretiens oraux que nous avons menés avec d’anciens
membres des ciné-clubs permettent de renseigner les pratiques
cinéphiliques au temps de Bourguiba.
Souvent issus de milieux privilégiés, les étudiants tunisiens
témoignent d’un désir anxieux de s’investir dans les mouvements
d’éducation populaire. Ils croient trouver dans le cinéma le média par
50
excellence pour aller à la rencontre de leurs concitoyens, pour une
partie encore analphabètes. Tahar Cheriaa, pionnier de la FTCC qu’il a
longtemps présidée et premier directeur du cinéma au secrétariat
d’État aux Affaires culturelles et à l’Information, parle lui-même du
« moyen de culture et de promotion sociale et intellectuelle […] le plus
aisément accessible aux masses des pays en voie de développement ».
Nous nous intéresserons donc aux efforts des étudiants pour
s’adresser au « peuple » par le film, que ce soit à travers l’arabisation
des débats, les inflexions de la programmation (au risque de heurter
certains préjugés cinéphiles), ou encore les campagnes de projection
dans les usines et les quartiers populaires.
Cet impératif pédagogique explique que la FTCC et la FTCA attirent un
public déjà largement politisé. Mais elles nourrissent à leur tour cette
politisation, en initiant notamment les étudiants à l’action militante :
on apprend à tenir une assemblée générale, à coller des affiches et,
surtout, on se forme à la critique et à la prise de parole. Dans cette
perspective, nous interrogerons la porosité entre les mouvements
étudiants et les cercles cinéphiles et nous examinerons le rôle de ces
jeunes passionnés de cinéma dans la contestation du pouvoir
bourguibien, à un moment où la FTCC tend à devenir le dernier espace
démocratique du pays.
véritable Internationale de la cinéphilie et l’impact des nouveaux
cinémas du « Tiers Monde » dans la culture étudiante.
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cinéma tunisien, Tunis, Éditions Médiacom, 2002, 493 p.
Nawadi Cinéma, Tunis, FTCC, 1959-1971 ?.
Il serait, toutefois, réducteur de s’arrêter aux programmes qui se
transforment en tracts, aux séances qui se terminent en meetings, aux
débats qui débordent en pugilats. Nous nous intéresserons également
à la manière dont la critique cinématographique a pu être mise au
service de l’action politique. Pour cela, il importe d’étudier le panthéon
cinématographique promu par les ciné-clubs, les liens qui se nouent
avec d’autres mouvements arabes et africains au sein de cette
51
Après-midi sous la Présidence de Françoise Raison.
Atelier 2 : Autonomisation des mouvements étudiants ? Entre
engagement syndical et partisan
14h00-15h00 :
 Histoire des luttes étudiantes au Congo-Brazzaville (1955-1974) :
Héloïse Kiriakou
 Qui définit la jeunesse ? Les étudiants et la politique des
organisations de jeunesse au Congo-Brazzaville : Matt Swagler
 1968 en Algérie. Contestation étudiante, parti unique et
enthousiasme révolutionnaire : Malika Rahal
HÉLOÏSE KIRIAKOU. L’ENGAGEMENT POLITIQUE DES JEUNES CONGOLAIS À
L’AUBE DE LA RÉVOLUTION D’AOÛT 1963
Institut des Mondes Africains, Université Paris 1
L’opposition des jeunes au système colonial a été récurrente
durant toute la colonisation. Mais la décennie 1950 marque un
tournant dans leur engagement avec la création de deux mouvements
politiques propre aux jeunes. L’AEC (Association des Etudiants
Congolais) a été fondée à Paris en 1952 par des étudiants congolais et
l’UJC (Union de la Jeunesse Congolaise) a été créé en 1956 au Congo
par un petit groupe de jeunes syndicalistes. Ces mouvements avaient
en commun de porter, à la fois, les revendications des jeunes
(conditions d’apprentissage, problème du chômage) mais aussi un
message politique au niveau national comme l’indépendance
immédiate. La plupart des cadres de l’UJC étaient des membres de la
CGAT (Confédération Générale Africaine des Travailleurs, affiliée à la
CGT). Quant à l’AEC, c’était l’antenne congolaise de la FEANF
(Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France). Les activités de
ces organisations naissantes reposaient sur l’engagement d’un petit
nombre de militants, très liés entre eux et connectés à des associations
internationales (souvent procommunistes).
Mais ces jeunes ont dû mener leurs actions dans un contexte
national très tendu. Les trois partis politiques officiels, l’UDDIA, le MSA
et le PPC139, s’étaient engagés dans une lutte acharnée pour le contrôle
du pouvoir. Les élections étaient souvent accompagnées de violences
(les massacres de 1959 à Brazzaville en sont le paroxysme). C’est dans
ce climat politique, aggravé par le marasme économique et le
problème du chômage, que l’abbé Fulbert Youlou (UDDIA) est devenu
le premier président du Congo en novembre 1959. Pour consolider
son pouvoir, il a tenté de réprimer les actions subversives des
organisations qu’il considérait comme « procommunistes ». L’UJC a
donc été dissoute en mai 1960 mais ça n’a pas empêché ses membres
de s’organiser dans la clandestinité. Ils ont contourné l’interdiction en
organisant des réunions politiques dans les locaux de la CGAT et en
multipliant les voyages dans le bloc communiste. La visite officielle de
Sékou Touré en juin 1963 à Brazzaville (et son discours très antifrançais) a renforcé la résistance des jeunes au pouvoir en place.
Youlou a été hué pendant son discours et Sékou Touré a été acclamé
au nom de « vive le président de l’Afrique140 ». A la veille du 3ème
anniversaire de l’indépendance en août 1963, la défiance des jeunes
était à son comble.
Le PPC (Parti Progressiste Congolais) a été fondé par Jean-Félix Tchicaya ;
le MSA (Mouvement Socialiste Africain) a été fondé par Jacques Opangault et
l’UDDIA (Union démocratique de défense des intérêts africains) par Fulbert Youlou.
140 Bernault F., Démocraties ambigües en Afrique centrale, Paris, Karthala, 1996 : 25.
139
52
Il s’agira d’analyser l’hétérogénéité des formes de résistance
des jeunes à l’ordre colonial et au pouvoir congolais avant la
révolution. Les jeunes se sont organisés au sein de l’AEC et de l’UJC
mais ces associations étaient de petite envergure (il y avait peu de
militants). A mon sens, les jeunes ont aussi manifesté leurs
mécontentements à travers le choix de leurs loisirs, du type de
musique (surtout les chansons à texte) et de leur style vestimentaire ;
mais aussi au sein des associations confessionnelles apolitiques
comme la JEC (Jeunesse Etudiante Chrétienne) et la JOC (Jeunesse
Ouvrière Chrétienne). Ils y ont développé un discours progressiste,
basé sur la morale chrétienne, qui s’est avéré être très anti-Youlou.
C’est seulement durant la révolution qu’il y a eu la formation d’un
mouvement contestataire unitaire qui a conduit à la démission du
président Youlou.
Pour cette étude, j’ai principalement utilisé l’ouvrage de
Florence Bernault, démocraties ambigües en Afrique centrale (1996),
pour comprendre le contexte politique de l’époque. Elle analyse de
façon très problématisée l’organisation de la vie politique, le rôle des
partis, des syndicats, le découpage électoral et la modification du jeu
politique après l’indépendance. Mais je me suis aussi appuyée sur le
livre de Rémy Bazenguissa-Ganga, les voies du politique au Congo
(1997), pour comprendre l’émergence des jeunes dans le jeu politique,
et sur le livre de Phyllis Martin, qui a fait un travail remarquable sur
l’organisation des loisirs pendant la période coloniale141.
Concernant les sources, je me suis appuyée sur les archives
nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence qui regroupent les rapports
des services français au Congo. Un carton entier est consacré à
Martin P.M. (traduction de Christiane Mégy), Loisirs et société à Brazzaville pendant
l’ère coloniale, Paris, Karthala, 2006.
141
l’activité de l’AEC en France, ce qui m’a permis de lire l’ensemble des
numéros du mensuel de l’association pour comprendre quelles étaient
leurs revendications. Ces archives m’ont permis aussi de retracer le
parcours de certains militants syndicaux comme Aimé Matsika, leader
de l’UJC et Julien Bouckambou, membre de l’UJC et cadre de la CGAT.
Les rapports sont très exhaustifs sur les liens entre l’UJC et le bloc
communiste mais il y a peu d’informations sur la réalité de leurs
activités sur le terrain. Quant aux archives nationales du Congo (à
Brazzaville), elles m’ont permis de comprendre l’importance des
organisations confessionnelles et de la CATC (la Confédération
Africaine des Travailleurs Croyants) ainsi que le problème du chômage
et du « vagabondage » des jeunes.
Ma démonstration s’articulera en trois temps, il s’agira d’abord
de comprendre l’organisation de l’UJC, de l’AEC et de l’ASCO
(l’Association Scolaire du Congo, créée en 1959) ; puis de montrer qu’il
y a eu d’autres formes de résistance à l’autorité coloniale et au pouvoir
de Youlou et enfin d’analyser l’engagement des jeunes durant la
révolution.
I. LES
ORGANISATIONS POLITIQUES DES JEUNES
:
EMBRYONNAIRES
MAIS PORTÉES PAR UNE POIGNÉE DE MILITANTS CONNECTÉS À
L ’INTERNATIONAL
Jusqu’à la révolution, les organisations politiques des jeunes
ont eu un rôle limité par rapport aux syndicats de travailleurs comme
la CATC (le syndicat des travailleurs croyants). Elles n’ont pas pu se
déployer sur l’ensemble du territoire et rassembler au-delà d’un petit
nombre de militants instruits. Il s’agira de comprendre leur
fonctionnement (avant et pendant la clandestinité), leurs moyens
53
d’action, la manière dont ces jeunes ont su créer des réseaux à
l’international et aussi d’analyser l’évolution de leur rôle.
A. Des organisations
contestataires
embryonnaires
mais
fortement
L’UJC a été fondée en 1956 mais ses activités politiques
débutent réellement en 1958 au moment du référendum sur l’entrée
du Congo dans la Communauté française. L’UJC a été une des seules
organisations politiques à s’opposer ouvertement à la communauté du
Général de Gaulle et à réclamer l’indépendance immédiate du pays. A
cette époque, des comités sont crées dans plusieurs quartiers de
Brazzaville, Pointe Noire et Dolisie pour relayer les idées politiques de
l’association auprès des jeunes. Des débats et des cours
d’alphabétisation pour les jeunes travailleurs sont organisés ainsi que
des formations idéologiques procommunistes. Les comités étaient
assez autonomes et les activités variaient en fonction des militants. Le
comité de Moungali (quartier nord de Brazzaville), par exemple, était
un des plus dynamiques, c’était une sorte de « maison des jeunes », un
lieu de rencontre avec des débats, des concerts et des activités
sportives142. Mais jusqu’en 1960, l’UJC fonctionnait surtout grâce aux
activités d’un petit groupuscule de militants communistes (une dizaine
tout au plus) qui menaient la plupart de leurs combats au sein de la
CGAT, dont la plupart étaient encore des membres actifs. Le
développement limité de l’UJC durant les premières années est, en
partie, lié au manque de moyens et aux persécutions répétées du
pouvoir en place.
Quant aux étudiants de l’AEC, ils ont aussi été très isolés
jusqu’en 1960 mais pour d’autres raisons. Ils faisaient partie d’une
minorité de Congolais qui avait eu accès à l’enseignement secondaire à
Brazzaville (dans les deux seuls lycées du pays jusqu’en 1960), qui
avait eu son baccalauréat et qui avait ainsi pu suivre une formation
universitaire en France. Ils étaient une cinquantaine environ en 1955,
répartis dans plusieurs villes de France (notamment Toulouse, Paris,
Nantes et Besançon). La plupart des fondateurs de l’AEC militaient
déjà à la FEANF (Fédération des Etudiants Africains en France) où ils
avaient acquis une véritable expérience politique, à la fois théorique et
militante. Un rapport des services de renseignement français, datant
d’octobre 1958, mentionne l’arrestation de plusieurs étudiants
congolais lors d’une manifestation pour le non au référendum sur la
communauté française, organisée par la FEANF devant le ministère
des colonies143. L’AEC s’est peu à peu radicalisée, surtout au moment
où Lazare Matsokota, un étudiant en droit procommuniste, est entré
au comité de rédaction du bulletin mensuel de l’association. Il en a fait
une arme redoutable contre la présence française au Congo (il a
notamment publié des articles de Pascal Lissouba, futur premier
ministre, sur les inégalités du système social français dans les
colonies144). Les revendications de l’AEC ont été connues au Congo
grâce à la diffusion du bulletin mensuel par des étudiants revenus au
pays pour les vacances. Ça a été un véritable catalyseur des idées
progressistes (anticoloniales, indépendantistes) auprès d’un public
(politisé ou non) de jeunes urbains instruits. Mais de nombreux
articles du bulletin évoquent les difficultés de l’AEC à mobiliser au
niveau local. Jusqu’en 1960, l’AEC a été, à mon sens, une association
qui militait principalement en France et qui était assez éloignée des
revendications quotidiennes des jeunes congolais et du contexte
national.
143
142
Swagler M., thèse de doctorat (chapitre 3 en cours de rédaction) : 27.
144
Carton 5D 280, archives nationales d’outre-mer à Aix en Provence.
Carton 5D 280, archives nationales d’outre-mer à Aix en Provence.
54
Mais ces deux organisations politiques de jeunes ont su
développer des réseaux à l’international pour pouvoir mener leurs
combats politiques. Il s’agira de comprendre quels types de réseaux
ont été développés, quel type de militants ont été concernés, est ce
qu’il y a eu des liens entre les militants de l’AEC et de l’UJC à
l’international et enfin quels impacts ont eu ces réseaux sur le
développement de ces deux organisations ?
B. Des organisations connectées grâce à quelques individualités
L’UJC et l’AEC ont été portées à bout de bras par un petit
groupe de militants très connectés à l’international. A cette époque,
toutes les organisations même locales avaient des relations et des liens
avec des organisations métropolitaines et internationales. Ce n’était
pas une exception des associations communistes. L’UJC était affiliée à
la FMJD (la Fédération Mondiale de la Jeunesse Démocratique,
communiste) et l’AEC était également affiliée à la FMJD, au RDA et au
parti communiste français. Ce qui permettait à leurs membres de
participer à toutes les célébrations, les rencontres et les colloques
organisés par ces associations. C’était des moments privilégiés pour
rencontrer d’autres jeunes africains, asiatiques et européens. Aimé
Matsika s’est, par exemple, rendu durant l’été 1957 au 6ème festival
mondial de la jeunesse à Moscou avec Pascal Kakou et Dominique
Sombo Dibele145. On a peu d’éléments sur leurs impressions et leurs
conditions de séjour mais ils ont décidé d’organiser, dès leur retour, un
grand meeting sur « la lutte anticoloniale » à Brazzaville. Néanmoins,
les membres de ces différentes organisations n’entretenaient pas, ou
très peu, de liens en dehors de ces rencontres. Les services de
renseignement français s’imaginaient qu’il y avait des réseaux
clandestins de militants communistes qui sillonnaient l’Afrique pour
convertir les populations. A ce titre, un rapport mentionne la création
en URSS d’un programme pour encadrer « l’action anti-impérialiste
dans les colonies146 ». Ce programme était censé contenir, entres
autres, des cours d’information, de propagande, d’agitation, de
camouflage, d’idéologie communiste et des cours sur l’évolution des
syndicats révolutionnaires. Il est difficile de savoir combien de
militants congolais ont participé à ces formations. On sait, par
exemple, que Firmin Matingou, un militant de la CGAT, s’est rendu en
Tchécoslovaque pour y faire un stage durant l’année 1962. Mais
jusqu’en 1963, ils ont été, à mon sens, très peu nombreux à bénéficier
de ce type de formation.
Ces réseaux ont surtout permis de révéler quelques
individualités qui ont su profiter de l’avantage symbolique que leur
conférait ces voyages et ces relations avec l’étranger. En effet, Aimé
Matsika et Julien Bouckambou étaient les deux principaux leaders de
l’UJC et ils ont effectué de nombreux séjours à l’étranger depuis le
milieu des années 1950. Ils étaient très admirés par les Congolais de
leur génération (Aimé Matsika avait 26 ans en 1960) qui les appelaient
les « aventuriers ». Il était si rare de quitter le territoire que ceux qui
avait pu se rendre à l’étranger étaient considérés quasiment comme
des demi-dieux. C’est grâce à ce prestige que ces deux jeunes
syndicalistes ont pu mobiliser dans les quartiers populaires de
Brazzaville, qu’ils ont pu bénéficier du soutien des autres syndicats et
d’une certaine sympathie de la part de la population en général.
Rapport des services secrets français sur le développement de réseaux
communistes en Afrique datant du 1er juin 1953, carton 5D 250, archives nationales
d’outre-mer d’Aix en Provence.
146
Note du 4 octobre 1957, carton GR 10 T 646, deuxième bureau, armée de terre,
archives militaires.
145
55
Les relations que l’UJC et l’AEC ont entretenues avec des
organisations étrangères leur ont aussi permis d’obtenir de petites
aides financières pour organiser des meetings, imprimer des tracts et
des brochures ainsi que pour financer le séjour de quelques membres
actifs. L’ambassade de l’URSS à Léopoldville a joué le rôle de relais,
Aimé Matsika s’y est rendu à plusieurs reprises pour participer à des
réunions avec des Congolais de l’autre rive et pour récupérer des
ouvrages interdits au Congo. Ces échanges ont aussi favorisé la
circulation des pratiques militantes. Aimé Matsika et Julien
Bouckambou se sont inspirés des cours qu’ils ont eus à l’étranger pour
organiser des débats (gérer le temps de parole, le rôle des orateurs),
des manifestations, pour diffuser des tracts, pour organiser la vie des
comités et encourager les jeunes à participer aux activités.
Mais, à partir de novembre 1959 avec l’accession de Youlou au
poste de président, le rôle de l’UJC et de l’AEC s’est renforcé. Il s’agira
de comprendre quelles ont été les raisons de cet essor et la manière
dont le gouvernement a réagi.
C. Evolution des pratiques et des revendications après
l’indépendance
A partir de 1959, ça a été le retour au Congo de la première
génération des étudiants de l’AEC. Leur retour au pays a permis de
redynamiser les mouvements d’opposition. Pascal Lissouba, par
exemple, a continué à avoir des activités politiques. Il a participé aux
réunions du réseau clandestin Basali ba Congo, littéralement
« travailleurs du Congo », une branche locale de l’AEC147. Lissouba était
Vlum Le coat J.Y., Une migration entre consécration et disqualification sociales.
Relations franco-congolaises (Congo-Brazzaville) et trajectoires des migrants pour
études en France (1960-2005), thèse de doctorat, dir. Catherine Quiminal, Paris 7,
2011 : 180
147
connu des services de renseignement mais il avait l’avantage d’avoir
un statut social qui lui permettait de ne pas être inquiété. Il était
docteur en science (spécialisé en agronomie et en génétique) et avait
obtenu le poste de directeur général des services agricoles de retour
au pays en 1962.
En parallèle, l’UJC avait développé ses activités en créant deux
sections féminines en 1959. C’était un moyen d’intégrer les femmes à
leur combat. Véronique Bouesso est devenue présidente de la section
de Bakongo à 23 ans et Marie José Goueta, de la section de Poto-Poto à
21 ans. Véronique Bouesso (sans profession), était déjà responsable de
la cellule congolaise de l’union des femmes africaines (UFA) et, dans ce
cadre, elle avait assisté à un congrès international de la FDIF
(Fédération Démocratique Internationale des Femmes) à Lausanne148.
Les activités de ces deux sections étaient surtout folkloriques
(organisation de spectacles de danse traditionnelle et de défilés). Il y a
pas eu de réel débat sur la condition des femmes, leur statut, leur
intégration politique et sur la question de leur instruction. Malgré tout,
l’UJC était la seule organisation politique à compter quelques femmes
dans son comité de direction. Ça a été le cas d’Alice Badiangana, une
jeune fille de 21 ans (en 1960) très engagée politiquement, qui sera la
première femme à siéger au comité centrale du parti unique après la
révolution.
Mais Youlou a décidé, dès 1959, de prendre des mesures
radicales pour réprimer les actions de l’UJC et de l’AEC. En avril 1959,
il a fait passer une ordonnance qui interdit l’éligibilité aux personnes
résidant depuis moins de deux ans au Congo, ce qui élimine tous les
étudiants congolais rentrés au pays après leurs études (Lissouba,
148Note
du 11 février 1959, carton 5D 159, archives nationales d’outre-mer d’Aix en
Provence.
56
entres autres). Puis en mars 1960, il a complété son dispositif en
mettant en place une série de lois restreignant les libertés publiques
(interdiction de se réunir, de créer une association sans autorisation).
Son objectif était de limiter les activités de l’UJC et de la CGAT mais
c’était sans compter sur l’activisme de certains militants. C’est ce qui
l’a poussé à dissoudre l’UJC le 9 mai 1960 et à condamner, dans le
même temps, Aimé Matsika, Julien Boukambou et Simon Kikounga
N’Got à des peines de prison allant de 6 mois à 5 ans sous prétexte
d’un « complot communiste ». Toutes ces mesures ont beaucoup
affaibli l’UJC mais l’ambassade de France estime le nombre de ses
membres et de ses sympathisants à environ 800 en 1962149.
Ce dispositif répressif n’a pas dissuadé un groupe de jeunes du
lycée Savorgnan de Brazza de créer l’ASCO (l’Association Scolaire du
Congo), la première association de lycéens en 1959. D’après Mbéri
Martin, un cadre de l’ASCO, les lycéens avaient des relations très
étroites avec les membres de l’UJC et de la CGAT. Pierre Nzé, par
exemple, lycéen à Chaminade (lycée catholique) a été exclu de
l’établissement pour avoir proféré des propos virulents contre l’église
et il a été accueilli dans les locaux de la section de l’UJC à Ouenzé150.
Les revendications concernaient principalement l’enseignement (lutte
contre la prééminence des enseignants, administratifs et directeurs
français, lutte contre les discriminations que subissaient les étudiants
congolais) mais elles étaient aussi plus générales. Les lycéens de
l’ASCO ont manifesté plusieurs jours devant le lycée Savorgnan de
Brazza après la mort de Patrice Lumumba le 21 janvier 1961 pour
condamner les ingérences extérieures.
149
150
Swagler M., thèse de doctorat (chapitre 3 en cours de rédaction) : 40.
Swagler M., thèse de doctorat (chapitre 3 en cours de rédaction) : 42.
Les jeunes congolais ont réussi à s’organiser avant la
révolution malgré les persécutions systématique de la part du
gouvernement de Youlou. Ils ont su développer des liens avec
l’étranger et tisser des relations avec les autres organisations
politiques. Mais l’UJC, l’AEC et l’ASCO étaient des associations de petite
envergure, avec peu de militants et de moyens. Est-ce qu’il y a eu
d’autres formes d’opposition au système colonial et au gouvernement
Youlou propre à l’ensemble de la jeunesse ?
II. DES
LOISIRS AUX ORGANISATIONS CONFESSIONNELLES
FORMES D ’OPPOSITION ALTERNATIVES
:
DES
?
Environ 45% de la population du Congo avait moins de 15 ans
au milieu des années 1950. La plupart des jeunes ne militaient pas
dans des associations politiques comme l’UJC, l’AEC ou l’ASCO. Mais ils
ont adopté des formes de contestation différentes, à la fois
vestimentaire, dans le type de loisirs, au sein des organisations
religieuses car ils étaient les premiers touchés par le chômage et
l’exclusion sociale.
A. Le rôle des loisirs dans l’émergence de revendications
chez les jeunes
Les loisirs faisaient partie du quotidien de la plupart des
Congolais (surtout des hommes), de tout niveau social. Ils étaient des
révélateurs du rapport que les Congolais entretenaient avec la
colonisation et avec la culture européenne (musique, style
vestimentaire) et de leur manière de gérer leur temps libre dans un
système colonial très restrictif. Mais les loisirs étaient aussi des
moments de mise à distance voir d’opposition au système. A partir des
années 1920-30, il y a eu un engouement pour la maringa, un style de
danse très prisé par les classes populaires qui trouvaient dans cette
danse très festive une manière de se divertir et de rompre avec les
57
difficultés du quotidien. La maringa était une danse très saccadée qui
accompagnait les rythmes à contre temps du patenge, un tam-tam
recouvert de peau. C’était un style très éloigné des rythmes européens
et les missionnaires ont écrit plusieurs rapports pour dénoncer « cette
danse malhonnête151 » et les troubles qu’elle pouvait engendrer
(alcoolisme, badinage). Cette danse était, à mon sens, une riposte à la
culture officielle152. On a même retrouvé des danseurs dans des
villages très reculés en brousse vers 1935.
Mais l’opposition au système colonial a surtout touché la
musique. Plusieurs rapports des services français évoquent les
difficultés du comité de censure à gérer l’afflux illégal de disques venus
des Antilles, d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique du sud et d’Europe153. Les
jeunes étaient les principaux amateurs de musique étrangère. C’était
une manière de se distinguer de leurs ainés qui continuaient à écouter
de la musique du village et de refuser les restrictions de la censure.
Mais comme le dit Phyllis M. Martin, se sont « les chansons populaires
qui ont été un véhicule d’expression des frustrations de la vie
quotidienne et des rêves d’avenir154 ». André Nkouka, un jeune
chanteur-compositeur, était l’auteur de la chanson « viens à
Brazzaville pour voir » (dédiée à sa petite amie pour l’avertir des
problèmes de la vie urbaine)155. Il y dénonçait le chômage, la pauvreté
et son incapacité à se marier. Ces paroles reflétaient la réalité
quotidienne de milliers de jeunes urbains désœuvrés. Ces chanteurs
vedettes portaient les revendications et le malaise de toute une
Martin, 2006 : 179.
Scott J.C., La Domination et les arts de la résistance, fragments du discours
subalterne, édition Amsterdam, 2008 : 174.
153 Carton 5D159, archives nationales d’outre-mer d’Aix en Provence.
154 Martin, 2006 : 201.
155 Martin, 2006 : 202.
151
152
génération consciente d’être totalement sacrifiée par le pouvoir en
place.
A partir de l’indépendance, la résistance au nouveau régime a
pris un sens plus politique. George Balandier note qu’en 1960,
beaucoup de jeunes de Brazzaville portaient une barbe à la Patrice
Lumumba suite au discours qu’il avait prononcé le jour de
l’indépendance le 30 juin 1960 devant le roi Baudouin156. C’était une
forme de ralliement à ce jeune premier ministre qui avait su s’attaquer
frontalement à l’autorité coloniale. Lors de la visite officielle de Sékou
Touré à Brazzaville en juin 1963, les jeunes sont venus en masse
écouter son discours au stade Eboué. Il a été acclamé au non de « vive
le président de l’Afrique » et « à bas Fulbert Youlou ». Ce dernier a
même été sifflé pendant son intervention. C’était une forme de
défiance, une manière de lui montrer leur exaspération.
La majorité des jeunes avait ainsi adopté depuis longtemps des
formes de résistance à l’autorité coloniale. C’est tout ce répertoire
d’action qui leur a permis de s’engager massivement durant la
révolution. Mais c’est aussi au sein des associations religieuses, la JEC
(Jeunesse Etudiante Chrétienne) et la JOC (Jeunesse Ouvrière
Chrétienne), que s’est forgée une conscience humaniste chez les jeunes
croyants.
B. Les jeunesses chrétiennes (JEC, JOC): haut-lieu de
formation d’une pensée humaniste
Durant la colonisation, les missionnaires catholiques et
protestants ont développé un réseau d’école sur tout le territoire.
L’enseignement était destiné principalement aux enfants du primaire,
156
Balandier G., Sociologie des Brazzavilles noires, Paris, Armand Colin, 1955.
58
mais à partir des années 1950, plusieurs centres de formation et un
lycée (le lycée Chaminade) ont été ouverts à Brazzaville. En 1940, une
centrale de la fédération autonome des éclaireurs d’Afrique française a
été créée au Congo ; ainsi que d’autres mouvements de jeunesse
comme les scouts, les guides, les cœurs vaillants (groupe de jeunes
dont les activités étaient principalement centrées autour de la
paroisse) et les croisées. L’objectif des missionnaires était d’intégrer
une grande partie des jeunes congolais dans ces organisations pour
encadrer leur éducation et leurs loisirs. D’après Denise Bassoueka, « le
développement de l’enseignement confessionnel au Congo a donné
naissance aux principaux mouvements de militantisme catholique ou
protestant entre lesquels se partage la jeunesse congolaise dans sa
majorité depuis les années 1950157 ».
C’est dans ce contexte qu’ont été créées les antennes de la JOC
et de la JEC au Congo. Ces deux organisations ont été le lieu
d’apprentissage et de mise en pratique des valeurs chrétiennes pour
une grande partie de la jeunesse congolaise. Ces mouvements étaient
apolitiques mais ils étaient basés sur des valeurs comme la justice
sociale, l’égalité, la solidarité et le respect de la dignité de chaque
personne. C’est ce qui a favorisé leur prise de conscience des inégalités
du système colonial. En effet, leurs convictions religieuses allaient à
l’encontre des agissements d’une partie de l’église et des Français au
Congo. La JEC s’est principalement développée dans les milieux
scolaires et urbains. A Bakongo, par exemple, il y avait le centre
Eugène Kakou où des groupes de jeunes chrétiens radicaux se
réunissaient pour discuter et écouter les enseignements du père de la
Bassoueka D., Le Mouvement populaire des 13, 14, 15 août 1963 au CongoBrazzaville, thèse de doctorat, dir. C. Coquery-Vidrovitch et J. Devisse, Paris VII, 1979 :
104.
paroisse sur le marxisme léninisme158. Entres autres, le jeune Ange
Diawara, futur cadre du parti unique durant la période socialiste, a
suivi les séminaires du centre Eugène Kakou. Quant à la JOC, elle a su
s’appuyer sur la CATC pour s’implanter dans les milieux ouvriers. C’est
ainsi que de nombreux jeunes de la CATC et de l’UJC ont aussi fait
partie de la JOC.
En 1959, des jeunes chrétiens du lycée Savorgnan de Brazza
ont créé l’ASCO pour donner une voix plus politique à la contestation
chrétienne. Ils étaient très proches des idées de l’UJC et de la CGAT
mais c’est surtout leur engagement dans les organisations
confessionnelles qui a développé chez eux un sentiment très critique à
l’égard des abus du gouvernement de Youlou. En dehors de la culture
et des associations religieuses, est ce qu’on peut analyser le
« vagabondage » et « l’oisiveté » (d’après la terminologie coloniale)
d’une certaine partie de la jeunesse comme une forme d’opposition
alternative ?
C. Le « vagabondage » : un problème politique ?
Le « vagabondage » était une des principales préoccupations
des Français durant la période coloniale. Il existe de multiples
rapports sur les formes d’oisiveté, les types de personnes concernées
et les villes d’AEF les plus touchées par ce phénomène. A partir des
années 1950, l’enjeu n’était pas de chasser tous les chômeurs des
centres urbains mais d’enrayer le phénomène car l’accroissement
naturel et le développement économique des villes avaient provoqué
un afflux massif de jeunes ruraux. Denise Bassoueka estime qu’il y
avait environ 9 000 personnes au chômage à Brazzaville en 1961, soit
157
Il m’a été impossible de trouver le nom du père de la paroisse pour l’instant mais
plusieurs rapports mentionnent qu’il était un fervent communiste.
158
59
25% de la population active de sexe masculin (dont quasiment la
moitié n’avait jamais travaillé)159. Pour les milieux coloniaux, l’oisiveté
de ces jeunes était considérée comme la cause du développement de la
criminalité (trafics, vols). Est-ce que le développement de moyens de
subsistance parallèles et parfois illégaux était une forme de résistance
au système colonial puis au gouvernement de Youlou, incapables de
régler le problème du chômage ?
À partir de 1959, le « vagabondage » était devenu un enjeu
électoral pour les hommes politiques congolais. En octobre (quelques
mois avant son élection au poste de président), Youlou a décidé de
mettre en place un service civique obligatoire pour les jeunes sans
emploi de 18 à 23 ans qui résidaient en ville depuis plus de six mois.
Selon Florence Bernault, les jeunes concernés par cette mesure étaient
environ 4500 à Brazzaville160. Ils étaient affectés soit à un centre de
fixation rurale, soit à des travaux d’intérêt général (nettoyage des rues,
des rivières, ramassage des déchets). Le service civique a eu un
énorme succès, bien au-delà des prévisions de Youlou. Ce qui montre
que c’était la seule proposition d’emploi pour la plupart de ces jeunes,
prêts à prendre n’importe quoi pour subvenir à leurs besoins. Mais le
service civique s’est rapidement avéré inefficace. Le principe des
centres de fixation rurale était de donner (ou de redonner) envie aux
jeunes de vivre à la campagne pour cultiver. Cependant, les moyens
étaient dérisoires, les jeunes ne pouvaient pas cultiver sans argent,
sans formation, sans outils et sans moyens pour commercialiser leurs
produits. Puis la vie à la campagne, difficile et isolée, n’intéressait pas
les jeunes. C’était la vie à l’usine qui les faisait rêver. Il y a donc eu
beaucoup de désertions durant les deux premières années. Ce qui a
Bassoueka, 1979 : 119.
160 Bernault, 1996 : 306.
159
poussé l’administration a réorganisé le service civique en juin 1963
mais sans prendre en compte les suggestions et les attentes des
jeunes.
Le « vagabondage » est devenu réellement problématique à la
veille du 3ème anniversaire de l’indépendance le 15 août 1963. Youlou
devait faire face, simultanément, aux jeunes syndiqués, aux lycéens,
aux associations chrétiennes et aux jeunes marginaux, tous
mécontents de la politique du gouvernement. Il a donc décidé, comme
mesure de dernière chance, d’employer (à ses frais ou presque) les
jeunes marginaux de Brazzaville à la préparation des festivités
(nettoyage des rues, mise en place des gradins et des banderoles).
Mais ça aussi, il en a été incapable. Les jeunes se sont retrouvés, durant
deux semaines (du 1er au 13 août), à jouer aux cartes car il n’y avait
pas suffisamment de choses à faire. La grève générale du 13 août,
lancée par les syndicats de travailleurs, a eu lieu dans ce contexte où
l’exaspération des jeunes était à son comble. C’est ce qui explique, en
partie, que les jeunes aient massivement participé à l’insurrection du
13, 14 et 15 août 1963.
Les syndicats de travailleurs, organisés dans un comité de
fusion dominé par la CATC, avaient décidé de faire une grève générale
pour protester contre la volonté de Youlou de créer un parti unique. Il
s’agira de comprendre, dans une troisième partie, quel a été le rôle des
syndicalistes jeunes et des simples manifestants dans le basculement
de la grève générale en révolution.
III. L’ÉCLOSION
D ’UN
MOUVEMENT
CONTESTATAIRE
UNITAIRE
PENDANT LA RÉVOLUTION
Les jeunes ont été très présents durant les trois jours
d’insurrection. Les manifestants étaient majoritairement jeunes et les
60
meneurs étaient des membres de l’UJC, de l’ASCO et de l’AEC. A mon
sens, les leaders syndicaux de la CATC (notamment Pascal OckyembaMorlende et Gilbert Pongault) ont eu un rôle de médiateur auprès des
militaires français, des militaires congolais et de Youlou, et ils ont
laissé la gestion du terrain aux jeunes.
A. Les jeunes : soutien incontesté des leaders syndicaux
étudiants
Les militaires français ont mentionné dans leurs rapports qu’il
y a eu plusieurs rassemblements à Poto-Poto et à Bacongo le 13 août
dès 6h30. Les manifestants étaient majoritairement des jeunes et ils
étaient « harangués par un orateur161 ». C’était surement un membre
de l’UJC ou de la CGAT qui les encourageait à se joindre aux syndicats
de travailleurs. A 8h, les manifestants étaient environ 3000 sur le
terre-plein de la gare centrale. Il y avait, de nouveau, des meneurs qui
lançaient des slogans contre Youlou pour maintenir la pression sur la
foule. Vers 10h, un premier mouvement est lancé vers le palais
présidentiel mais en route, un petit groupe de manifestants, décide de
dévier le mouvement vers la prison centrale. Ça a été, à proprement
parlé, le début de l’insurrection. Des coups sont échangés entre les
gendarmes et les manifestants et deux jeunes sont grièvement blessés.
Dans la confusion générale, la foule reprend le chemin du palais. Mais
un petit groupe, voyant les gendarmes se replier dans leurs
casernements, décide de mener une dernière incursion. En quelques
minutes, ils parviennent à entrer dans la prison et à libérer tous les
prisonniers. Ça a été la première victoire du mouvement. Dès les
premières heures, on a l’impression qu’il y a eu une stratégie, une
organisation bien précise derrière chacune de ces actions. Le calibrage
Synthèse concernant la crise au Congo, carton GR 10 T 646, deuxième bureau,
armée de terre, archives militaires.
161
du temps leur a permis l’exploit de prendre la prison sans armes et
sans trop de pertes.
Vers 11h30, les manifestants décident de se séparer en deux
groupes (là encore il est difficile de savoir de qui vient cette initiative).
L’un d’eux, composé d’environ 500 personnes, descend vers le rondpoint de l’allée du Chaillu, puis après un temps d’arrêt, prend la
direction du Plateau. A ce moment là, les militaires français se rendent
compte que les deux groupes sont en train de converger par des
chemins détournés vers la radio-Congo. Ce n’est pas anodin si les
manifestants ont décidé de prendre la radio comme deuxième objectif.
C’était un point stratégique qui leur permettait de communiquer avec
le reste du pays et d’arrêter la propagande gouvernementale. C’était
aussi important que de prendre l’aéroport ou le palais présidentiel et
ils en avaient beaucoup plus les moyens. Est-ce qu’on peut penser que
ces actions reflètent l’utilisation de méthodes d’agitation
révolutionnaires acquises à l’étranger ? Il est difficile de l’affirmer
mais, dans tous les cas, leurs méthodes ont suffisamment bien
fonctionné pour faire tomber Youlou en trois jours (une première en
Afrique à cette époque).
Cette première journée de révolution ainsi que les suivantes
ont montré que la situation était totalement sous le contrôle des
leaders syndicaux. Finalement les manifestants ont suivi exactement
les directives des syndicalistes, ils ont respecté les parcours, les temps
d’arrêts et le couvre-feu. Le déroulement de l’insurrection a fait
l’unanimité auprès de tous les leaders syndicaux (même les plus
modérés de la CATC) car il n’y a quasiment pas eu d’incidents. L’unité
des leaders syndicaux a surement joué en la faveur du mouvement
auprès des militaires français et congolais qui ont décidé de ne pas
intervenir et de soutenir la destitution de Youlou le 15 août. Mais il y a
61
aussi eu un certain nombre d’initiatives plus radicales et spontanées
qui ont influencé le cours des évènements.
B. Les jeunes : acteurs et initiateurs d’un mouvement plus
radical
Les jeunes ont, pour la plupart, suivi les instructions des
syndicalistes mais plusieurs incidents sont venus ponctuer la première
journée. Après le meeting au stade Marchand (organisé le 13 août à
14h par des militants UJC), les manifestants ont été encouragés à
rentrer chez eux. Mais à 15h30, les maisons du garde des sceaux,
Dominique N’Zalakanda et du président de l’Assemblée nationale,
Marcel Ibalico, étaient incendiées en même temps que le domicile
d’une maitresse de Youlou. Les forces de l’ordre se sont décidées à
intervenir au moment où la maison du directeur de cabinet de Youlou
était aussi menacée. C’était les jeunes défavorisés de Bakongo et de
Poto-Poto qui avaient décidé d’incendier les maisons des ministres
corrompus. C’était leur manière de dénoncer la corruption du régime,
symbolisée par ces maisons luxueuses construites au milieu des
quartiers populaires. Ces maisons marquaient aussi une distance
intolérable entre ces ministres privilégiés et leur précarité. Leurs
maisons ont été brûlées mais d’abord vidées puis pillées. L’intérêt était
de démontrer par la preuve leur enrichissement illégal, de montrer à
la population leurs beaux meubles français et leurs habits de luxe.
En parallèle, il y a eu un certain nombre d’incidents après le
couvre-feu mis en place à Brazzaville à partir de 18h. Des jeunes ont
dressés des barricades au milieu du quartier de Poto-Poto, peut être
pour se préparer à une éventuelle attaque de l’armée le lendemain.
Puis il y a eu quelques bars célèbres de Poto-Poto qui se sont fait
attaquer durant la nuit. L’un d’eux était tenu par un Portugais, très
critiqué par les habitants du quartier pour son comportement injuste
(voir raciste) vis-à-vis des habitants162. Ces incidents montrent
clairement que les jeunes ont manifesté de façon spontanée leur
mécontentement vis-à-vis du gouvernement de Youlou. Ils ont certes
participé aux manifestations durant la journée mais ils ont aussi réglé
leurs comptes, à leur manière, avec ceux qu’ils considéraient comme
les responsables de leur misère quotidienne.
Mais les trois jours de révolution ont aussi révélé une scission
au sein de l’UJC. A mon sens, les leaders de l’UJC étaient les meneurs
des manifestations, c’est eux qui ont poussé les manifestants à se
diriger vers le palais pour demander la démission de Youlou (le
deuxième jour). Mais les militaires français mentionnent l’existence
d’un trafic d’armes pour des membres de l’UJC à Poto-Poto. Ces armes
ont même été retrouvées le 16 août, soit un jour après la chute de
Youlou, par le nouveau gouvernement qui voulait montrer qu’un
complot était organisé par l’UJC. Cela signifie que certains membres de
l’UJC souhaitaient peut être une issue plus radicale à la révolution.
Peut être qu’ils envisageaient, dès ce moment-là, de mettre en place un
régime socialiste. Il a donc existé plusieurs formes de luttes contre
Youlou (officielles, autonomes et clandestines), qui ont toutes permis
le renversement du régime. Mais la révolution a aussi transformé le
regard des Congolais sur les jeunes qui sont devenus les symboles et
l’incarnation du mouvement.
C. La construction d’une nouvelle identité jeune pendant la
révolution
Les jeunes ont eu un rôle politique de premier plan durant les
trois jours, bien au-delà de la place qui leur était dévolue
Synthèse concernant la crise au Congo, carton GR 10 T 646, deuxième bureau,
armée de terre, archives militaires.
162
62
précédemment. Ils se sont avérés être de vrais atouts pour les
syndicalistes qui n’imaginaient pas que le mouvement puisse prendre
autant d’ampleur. Le « moment » révolutionnaire a été une expérience
à part, où les rôles étaient inversés, les habitudes chamboulées, même
le temps était différent. Pendant trois jours, les Congolais ont vécu au
rythme des manifestations, des longs moments d’attente devant le
palais et du couvre-feu. D’après Arlette Farge, ce type « d’événement
est créateur car il déplace des représentations acquises163 ». Cette
expérience a été très positive pour les jeunes car ils n’étaient plus
perçus comme des adultes en devenir, des cadets-sociaux, ils
incarnaient le courage et le changement pour toute la société
congolaise.
Pour reprendre la formulation de ma problématique, je trouve
que les jeunes ont su développer des formes de résistance originales
avant la révolution. La musique, le sport et les autres types de loisirs
ont été des exutoires aux frustrations de la vie quotidienne. Les jeunes
ont aussi trouvé dans les associations confessionnelles des espaces
pour réfléchir à une société idéale et pour mettre en pratique cette
pensée humaniste basée sur la morale chrétienne. La JEC et la JOC ont
été les principaux réservoirs de militants pour les associations
politiques comme l’UJC, l’AEC et l’ASCO. Ces trois organisations ont eu
un rôle croissant à partir de l’indépendance mais elles sont restées
limiter à un petit nombre de militants, en général instruits et formés à
l’étranger.
Ce changement s’est confirmé le 18 août 1963, soit trois jours
après la démission de Youlou, au moment des obsèques nationales des
trois martyrs de la révolution. Selon Rémy Bazenguissa-Ganga, « la
figure du martyr a émergé dans ce contexte révolutionnaire
privilégiant la jeunesse 164». Les trois martyrs étaient des jeunes
manifestants, les deux premiers étaient morts lors de la prise de la
prison centrale et le dernier lors d’une manifestation. Il y a eu quatre
enterrements ce jour-là mais seuls trois ont été érigés au rang de
martyr. Ça a été un acte symbolique pour valoriser le rôle des jeunes
pendant le mouvement et pour rompre définitivement avec la période
précédente.
L’engagement des jeunes s’est fait dans différents lieux (au
Congo et en France) avec une forme et une intensité très variable selon
les gens et les moments. Mais pendant l’insurrection, la condamnation
des abus du régime de Youlou a été l’élément fédérateur de tous les
jeunes congolais. Les travailleurs, les étudiants, les lycéens et les
marginaux se sont retrouvés pour protester contre les injustices du
gouvernement. La révolution a été le point culminant de la
contestation des jeunes au Congo. Elle a révélé, à mon sens, l’étendue
de l’activité militante (souvent clandestine et apolitique) qui existait
depuis les années 1950.
CONCLUSION
Farge A., « Penser et définir l’événement en histoire. Approche des situations et des
acteurs », Terrain, numéro 38, 2002 : 3.
164 Bazenguissa-Ganga R., Les Voies du politique au Congo : essai de sociologie
historique, Paris, Kartala, 1997 : 92.
163
63
MATT SWAGLER. QUI DÉFINIT « LA JEUNESSE »? LES ÉTUDIANTS ET LA
POLITIQUE DES ORGANISATIONS DE JEUNESSE AU CONGO-BRAZZAVILLE, 1963
À 1968
Columbia University, [email protected]
Note: Je fais cette communication en lien avec celle d’Héloïse Kiriakou
sur l’histoire des luttes étudiantes et jeunes au Congo entre 1955 et
1963. Je présenterai en français au colloque, mais le texte que vous
trouver ici est en anglais.
Who Defines the "Youth"? Students and the Politics of Youth
Organization in Congo-Brazzaville, 1963-1968.
I. INTRODUCTION: STUDENTS AND THE "YOUTH "
In post-independence Africa, the first generation of African
national leaders redefined “youth” as a gendered, political identity. As
Mamadou Diouf has pointed out, young men were to propel the
national economic development programs of new states, while
respecting "the frontier between elders and juniors that characterized
traditional African values.”165 In places like Guinea, Mali, Zanzibar, and
Tanzania, ruling parties sought to bind young people to party-led
youth organizations. Youth organizations were often a source of labor
and social policing that allowed early post-independence political
leaders to assert their political dominance.166
See, Mamadou Diouf, "Engaging Postcolonial Cultures: African Youth and Public
Space," African Studies Review 46, no. 2 (2003), 3-4; See also Rémy Bazenguissa-Ganga,
Les Voies du politique au Congo: Essai de sociologie historique (Paris: Karthala, 1997),
60-97.
166 Cf. Jay Straker, Youth, Nationalism, and the Guinean Revolution (Bloomington:
Indiana University Press, 2009); James R. Brennan, "Youth, the Tanu Youth League and
Managed Vigilantism in Dar Es Salaam, Tanzania, 1925-73," Africa: Journal of the
165
Students held an ambiguous relationship to this definition of
"youth." On the one hand, they were part of the national development
project, being trained to become the technical and administrative
cadres of the new state. But as a relatively small and select group, they
were more confident to expound their own ideas about development
and governance, which often differed from post-independence
administrations. Thus, student organizations in the 1960s, usually led
by lycéens or university students, were often the sharpest critics of
postcolonial governments in Francophone Africa - and their actions
could unleash broader social discontent, as in Senegal in 1968.
However, students often moved within the confines of student spaces
and networks. Thus, when they tried to challenge post-independence
governments, they often found themselves isolated - thrown into
prison and/or co-opted into the governments that they had formerly
opposed.
In this paper, I explore how students and recent graduates in
Congo-Brazzaville broke out of their isolation by taking control of the
project of defining "youth" after the downfall of the first Congolese
government in 1963. They made two mutually reinforcing moves:
First, they acted quickly to project young people as the vanguard of a
liberatory socialist revolution. Second, they gave this definition of
"youth" an organized form.
International African Institute 76, no. 2 (2006), 221-46; G. Thomas Burgess, "To
Differentiate Rice from Grass: Youth Labor Camps in Revolutionary Zanzibar," in
Generations Past: Youth in East African History, eds. by Andrew Burton and Hélène
Charton-Bigot (Athens, OH: Ohio University Press, 2010), 221-36; Andrew Ivaska,
Cultured States: Youth, Gender, and Modern Style in 1960s Dar Es Salaam (Durham N.C.:
Duke University Press, 2011).
64
Prior to 1963, some of the students had been involved in the
Union de la jeunesse congolaise (UJC), as discussed by Héloïse Kiriakou
in her paper. The UJC had already offered a model of an organization
that integrated student radicals and non-student youth. But now
student radicals saw the opportunity to bring their political ideas out
of the margins. Their ability to control the definition of who was and
who was not “youth” allowed them to exert an unprecedented
influence on the direction of the Congolese government between 1963
and 1968.
the time of Youlou’s fall, who returned after the “revolution.” Third,
there were the domestic student activists, mostly lycéens, who had
participated in the protests against Youlou.168
II. THE STUDENT RADICALS
Born within a decade of each other, the main student leaders
ranged in age from twenty-two to thirty-three years old.170 The
students and recent graduates were part of a small and rather select
group - a few dozen Congolese per year - who had completed
schooling at a lycée in Congo or France, and saw themselves as natural
leaders in the post-independence nation.171 The fall of Youlou's regime
allowed them to come together, across age and geographic space, in a
way that had not been previously possible. They gathered in a new
formation, the Groupe de Mpila, which began as a place for political
discussion and evolved into a strategic body to intervene in the new
political situation. Long harassed because of their proclivity for
As Héloïse Kiriakou has just discussed, the protests of August
1963 not only cast aside the Congo's first president, Fulbert Youlou,
but nearly the entire existing Congolese political establishment. The
new provisional government, led by Alphonse Massamba-Débat, was
composed of young technocrats who embraced the term “revolution”
from the outset.167 But the goals and political orientation of this
“revolutionary” government were still to be determined. A group of
students, university dropouts, and recent graduates began meet and
actively assert themselves in this political vacuum.
First, there were the students who had studied in France at the
end of the 1950s, and returned to the Congo at the time of
independence, only to find their job opportunities limited by the high
number of European administrators and technicians in both the
private and public sectors. Second, there was a slightly younger group
of students who were still studying in France and the Soviet Union at
Students returning from abroad brought the intellectual authority to
promote Marxist ideas, because of the international connections they
had developed with Communist and new Third World networks.169
The domestic student activists brought their intimate knowledge of
the opposition networks on the ground in the Congo.
Most came from the Association Scolaire du Congo (ASCO) and the Union de la
Jeunesse Congolaise (UJC), discussed in Héloïse Kiriakou's paper.
169 Students abroad developed these connections mainly through their involvement
with the Association des Etudiants Congolais (AEC) (the organization of Congolese
students in France), and its umbrella organization, the Fédération des étudiants
d’Afrique noire en France (FEANF).
170 The youngest was probably Ange Diawara, 22, and the oldest, and Pascal Lissouba, 33, who became
168
the first Prime Minister of the new government.
167
The
provisional government was formed with
an almost entirely new set of ministers, mostly young intellectuals and
171 At independence, only four high schools existed in the Congo, one of which was a Lycée technique. All had been created (or
technicians with some experience in their respective ministries. Trade unionists and other oppositionists who had led the
"upgraded" to lycées) just in the previous decade. Many of
movement against Youlou initially declined posts in the government, and instead led an advisory body, the Conseil national
AEF or the children of European parents who continued to reside and work in the Congo. Congolese
la révolution (CNR).
de
the students were still foreign-born - from across the former
graduates were
a small minority.
65
Marxist ideas and suspected connections to Communist states, they
now found an open terrain on which to expound and refine their views
publically and in practice.
III. ORGANIZING THE YOUTH
The student radicals believed they were the natural
representatives of the young, mostly unemployed men who had led
the protests against Youlou.172 Young people were a massive potential
base of support: over half of the country's population was under
twenty years old. As young immigrants in from rural areas arrived in
cities in search for wage labor, unemployment skyrocketed, and the
Congo became the most urbanized of the former French Sub-Saharan
colonies, equaled only by Senegal. The student radicals saw their first
task as organizing men and women under the age of thirty in defense
of the new government and the "revolution."173 In doing so, they
sought to universalize a certain definition of "youth": as the vanguard
of a revolutionary process that would liberate all oppressed segments
of society.
Fears abounded that Youlou’s supporters would try to reestablish him as president, and were using Léopoldville as a base for
organizing an armed attack on the new government.174 In response,
vigilance committees, called the quartiers jeunesses, were created.175
Initially unarmed, these groups of young men and women patrolled
urban neighborhoods and the banks of the Congo river in the evenings.
They would look for “suspicious” behavior, intercept pirogues crossing
the river, or listen in on conversations in bars among pro-Youlou
partisans. The quartiers jeunesses was a defensive measure that
quickly became an offensive structure that asserted the visible public
authority of a certain type of "revolutionary" young person.
Student radicals simultaneously initiated programs that affixed
young people to state-development projects. The main creation of this
type was Opération retroussons les manches, which began as a means
of cleaning up public space in Brazzaville, and then expanded to
building schools and dispensaires in rural areas, and repairing roads in
the wake of rainy seasons. 176177 Hoping to consolidate the success of
their initiatives, student radicals created the Conseil national de la
jeunesse (CNJ)⁠, which they claimed to be an umbrella organization for
all youth groups in the country. The CNJ, like the vigilance patrols and
Opération retroussons les manches, acted in support of the new
government, but was organized outside of official government
175
According to interviews with Mberi Martin and Paul Nzete,
these vigilance committees were
organized by Ange Diawara, Andre Hombessa, and others who had come out of the ASCO and the UJC. They initially operated
under no particular umbrella organization,
but were likely formed on the basis of UJC neighborhood
When police had shot down three of these protesters, they became the martyrs of
les Trois Glorieuses, thus linking the "revolution" to "youth" from the outset.
committees.
173 As Jérôme Ollandet writes, in this context, the idea of organizing and harnessing the “youth” was to both “donner une
rivière in Brazzaville. For some in the Groupe de Mpila the project was about instilling a strong work ethic in young people that
Jérôme Ollandet,
L'Expérience congolaise du socialisme de Massamba-Débat à Marien N'gouabi (Paris:
Harmattan, 2012), 81.
could be carried over into national development projects.
174 Right after the revolution, Marcel Ibalico, the former head of the National Assembly under Youlou, gained refuge in
to 1968. It also became integrated into the “les Samedis Socialistes” - Saturday afternoon programs of labor and popular
Léopoldville. Youlou did actually escape to Léopoldville in 64, and commando attacks were launched from Léopoldville, all of
education that attempted to engage other sections of the population beyond “youth .” However, the problem of voluntary labor
which reinforced the fears of young radicals. Furthermore, many youth leaders feared that Youlou’s supporters were organizing
projects such as these quickly became evident, as initial clean up, construction, and maintenance required regular follow up, and
in neighborhoods in Brazzaville, especially Bacongo, where many residents shared Youlou’s ethnic and linguistic background .
Opération retroussons les manches could not take the place of actual hired public workers.
172
dynamique nouvelle au pays” but also to become a “caution populaire” to the new government.
176 The first mobilization took place on September 3rd, 1963, with a reported 200 “jeunes” cleaning up the Madoukou-Tsékélé
Based on discussions in the newspaper Dipanda, and reports in folder PR9 and
Series B of the Congolese national archives, Opération retroussons les manches seems to have continued up
177
66
structures.
The struggle to universalize "youth" as the embodiment of a
particular conception of revolutionary politics faced a multitude of
challenges, first from young supporters of the former president.
Tensions came to a head February 1964, when a group of young men
in Brazzaville gathered and began marching toward where Youlou was
being held under house arrest, calling for him to be freed and restored
to power. With police forces overwhelmed, government ministers
began to panic. But young people organized around the quartiers
jeunesses and the CNJ arrived en masse, just in time to turn back the
crowd, effectively saving the new government.178 This display of
numbers and force decisively asserted the dominance of the youth led
by the student radicals, not simply in relation to other formations of
young people, but also vis-à-vis the shaky provisional government
itself.
The student radicals had now become youth leaders, and were
propelled into positions in the new government. They now pushed for
the creation of a single-party in the Congo, where they hoped their
vision of the "revolution" could central to state policy. Just months
earlier many of the new youth leaders had engaged in a bitter struggle
against Youlou's proposal for a single party state. But they had not
opposed the form of the single-party, rather the political content such a
party would have taken under the Youlou-led government. With the
country adopting a new political direction, a single, mass party was
now seen as the most effective means drawing the entire population
into the project of creating a socialist nation.
Thus, due to the efforts of the new youth leaders, in July 1964,
the new party was created, the Mouvement National de la Révolution
(MNR), along with a youth section the Jeunesse du Mouvement
Nationale de la Révolution (JMNR).179 But young people in the Congo
were in no way uniform in their interests or political convictions, and
Catholic youth and trade union representatives opposed the singleparty project. At the JMNR congress, and over the course of the
following year, Catholic youth leaders accused the new party militants
of promoting communism and stifling their autonomy. In response,
JMNR leaders used the formations they had organized --the vigilance
patrols and local JMNR sections-- to actively harass, disorganize and
exclude Catholic leaders from the political realm.180 The polarized
nature of the conflict allowed the JMNR leaders to define one section of
the youth as "revolutionary" and another as "counterrevolutionary."181 To be deemed counter-revolutionary was to
essentially lose one's position as a representative of the youth -regardless of one's age.182
The creation of a single party with a youth section took place in
many post-independence African states. What makes the Congo's
history so particular is that the youth section, in embryo as the CNJ, led
179 Even
before the youth section was formed, the Groupe de Mpila and the CNJ leaders remained visible at
MNR
congress: the Secretary of the proceedings was Andre Hombessa, and the first secretary of the party, behind
the
Massamba-Débat, was Amboise Noumazalay, one of the editors of the
independent youth newspaper, Dipanda.
180 Most dramatically, a vigilance team captured Catholic trade union leader Fulgence Biayouala, dressed as a woman, trying to
flee Brazzaville. It not only validated the JMNR leaders fears about a Catholic plot to restore Youlou to power, but it also served as
a point of pride for youth radicals and a photo of Biayoula trying to pass as a woman was splashed all over the cover of Dipanda.
181 Within the student milieu, the same was done with the new student union, the Union générale des élèves et étudiants congolais
(UGEEC). The UGEEC worked in tight collaboration with the JMNR and the AEC to assert the supremacy of certain conceptions of
"youth" among students - though the group insisted on maintaining its autonomy
from the JMNR, an important factor a
few years later.
Massamba-Débat seemed to recognize this, as three days later, he appointed Andre
one of founders of the quartiers
jeunesses, and the new president of the ASCO, as the High Commissioner for Youth and Sports.
"youth" defined by one's political affiliations, Remy Bazenguissa-Ganga points out, and archival
See:
Bazenguissa-Ganga, Les Voies du politique au Congo.
178
182 With
Hombessa, a leader of the Protestant youth and student organization (JEP) ,
records confirm, it was not uncommon for "youth" leaders associated with the JMNR to be over thirty years old.
67
the push for the creation of the national party (when the "elders" were
faltering), and then played the predominate role in setting the political
direction of the party. As one former JMNR leader told me, he never
saw the need to aspire to a position in the party itself, since all
decisions of importance had to be cleared by the youth leaders first.183
IV. DEFINING YOUTH POLITICS
As the new youth leaders built organizations, they
simultaneously spread their political ideas via three new initiatives: an
independent weekly newspaper (Dipanda), a series of radio programs
run by one of the student radicals, and mass political education
meetings that took place every Sunday morning (in direct competition
with church services.)184
Using these platforms, the new youth leaders outlined their
main principles. First, they felt that formal independence had done
little to alter the structures of colonial rule, and called for
"indépendance veritable" or "indépendance réelle."185 The presence of
French troops on Congolese soil was the most worrisome. 186 Thus, in
April 1965, youth leaders pushed through a bill in the National
Assembly to remove all French troops and bases from the Congo.187
The move prompted a bitter response from French military officials,
who destroyed supplies and equipment, or dumped them into rivers including unexploded munitions that later maimed people.188
The same year, youth leaders argued that that control of the
national educational system needed to be removed from the hands of
the foreign administrators and Christian missionaries who ran it. After
a raucous debate in 1965, the representatives of the "youth" in the
National Assembly pushed though a law to quickly nationalize the
entire education system.189 Simultaneously they launched a
government-sponsored program of Education populaire, mobilizing
students and young activists to provide basic courses, especially
French language instruction, to adults.190
Second, youth leaders argued that indépendance réelle was not
possible so long as other parts of the world remained under colonial or
neocolonial control. The Congo's foreign relations were as important,
if not more important to youth leaders attempts to define the
"revolutionary" youth. They saw themselves surrounded by threats: a
violent Portuguese occupation in Angola, neocolonial regimes in
Gabon, Cameroon, and the Central African Republic, and most
187 The bill, however, did not end agreements for ongoing cooperation in the provision of arms, equipment, and training from
Interviews with Mberi Martin, 15 October 2012, 19 November 2012.
184 Like the vigilance brigades and Opération retroussons les manches, all of these
initiatives were first taken with tacit or explicit state approval, but operated
independently of government supervision.184 Dipanda's editors, for example, first set
up shop in a government ministry, but used the international connections they had
developed while studying abroad to secure funding for the paper from China and
North Korea.
183
185 Youth activists described this overall situation as neocolonialism, defined by one writer in Dipanda as, “the continuation of
colonialism through intermediary national servants. Youth activists had regularly referred to Youlou as a “servant” (valet) and
“puppet” (fantoche) of foreign governments and foreign capital.
186 When the French embassy aided Youlou in escaping to Léopoldville, and when the French military restored Léon M'Ba to
power in Gabon in 1964, they felt that their fears were well grounded.
France
to the Congolese army.
188 See, Ollandet, 163-164.
189 In protest, mission teachers began to dessert their schools, rather than be integrated into the new system, as had been hoped.
The 1965-1966 school year was virtually sabotaged by this mass exodus, but the JMNR and the government held firm to the need
to weather the disruption and train new teachers.
Though nationalizated and popular education programs both faltered from a lack
of resources, the Congo still saw a increase in education rates during the 1960s. By the
end of the decade 90% of children were attending primary or secondary school, with a
higher proportion of young girls participating than in any other Francophone African
country. See: Marchés Tropicaux & Méditerranéens, “Scolarisation en Congo-Brazza,”
April 12, 1969. See also, Jeune Afrique, December 15, 1970. On the initial surge and
then collapse of Education populaire, see folders PR9 and Series B from the Congolese National Archives.
190
68
importantly, a hostile government in Léopoldville.
The assassination of Patrice Lumumba at the hands of Moïse
Tshombe, and backed by the US and Belgian governments, was still a
fresh wound for many Congolese youth leaders. Thus, when Tshombe
became the Prime Minister of Congo-Léopoldville in 1964, the regime
across the river was seen as a genuine threat to the "revolutionary"
government in Brazzaville. Multiple covers of Dipanda portrayed
Tshombe with fangs and clawed hands, working in collaboration with
the United States to steal the wealth of Congo-Brazzaville.191
During this time, Congo became a hub for leftist refugees from
the region. The youth leaders organized volunteer fighters to go to
Angola, and pushed the government to allow the Movimento Popular
de Libertação de Angola (MPLA) to set up their headquarters in
Brazzaville.192 Congo also became a refuge for militants from the Union
des Populations du Cameroun (UPC) and the Conseil National de
Libération Congo-Léopoldville (CNL), often to the chagrin of the
Congolese diplomats trying to work in these countries. As exiles fled to
Brazzaville, many then played a role in providing political education to
JMNR militants.193
JMNR militants supported the Vietnamese fighting the US
military and regularly discussed reports of Afro-American activists
challenging racism in the US.194 As JMNR militants became more vocal
in their criticism of the United States, the United States ended
diplomatic relations with the Congolese government on the second
anniversary of les Trois Glorieuses.195 In February 1964, the Congolese
government recognized Mao's China; an embassy and many free
copies of Mao's "Little Red Book" quickly followed. Military and
political cooperation was established not only with China and the
USSR, but by the end of 1965 also with Cuba, North Korea, Egypt,
Algeria, Vietnam, and Eastern Bloc countries, including Yugoslavia,
Czechoslovakia, and Bulgaria. As writers in Dipanda were quick to
point out, the goal was not to break all ties with "western" countries -notably France-- but to equalize alliances with a number of different
countries that would provide support for new national development
projects.
Third, for youth leaders, moving away from capitalism was a
key element of achieving indépendance réelle. Martin Mberi, a JMNR
leader, explained to me how an anti-capitalist position seemed logical
to students like himself in the early 1960s: “…capitalism was the origin
of colonial exploitation. The capitalist could not liberate us.”196 Many of
the new youth leaders who had studied abroad had been introduced to
a Stalinized version of Marxism through the influence of Communist
parties, but as youth leaders were quick to assert, they did not
advocate communism.197 Instead they called for socialisme scientifique,
a form of developmentalist nationalism, rooted in an economy that
would be planned and run by the government, using revenues to
191 See Dipanda,
A few months later, the US backed the Joseph Mobutu's coup across the river,
solidifying the animosity of JMNR leaders. Diplomatic relations between the US and Congo did not resume
until 1977.
196 Interview with Mberi Martin, 15 October 2012. Such a position was clear from the first issue of Dipanda, which, in
192
calling for nationalization of foreign companies, clearly linked market economies to colonialism.
5 September 1964 and 12 December 1964.
The program of sending volunteers to Angola was described to be in an interview
with Claude Ndalla, who helped coordinate the program.
193 Most importantly Abdoulaye Yerodia from Congo-Léopoldville and Osendé Afana
from the UPC.
194 See, for example, Dipanda, 12 September 1964, which ran photos of police brutality against Afro-Americans in the
US and an interview with Malcolm X.
195
Dipanda very carefully chose not to advocate "communism" throughout its
entire print run. As one Congolese youth leader wrote in Dipanda in 1967, “Everyone
knows that it is utopian to want to advocate a single socialism in Moscow, in Belgrade,
in Beijing, or in Brazzaville, for the simple reason that these are distinct capitals with
their own culture and economic situation."
197 Editors for
69
introduce increasingly advanced means of production.198 To this end,
youth leaders' pushed for the nationalization of foreign owned
businesses and utilities, and in June 1967, the government
nationalized the utility companies that held a monopoly over the
distribution of water and electricity. The move opened up the
possibility for additional large-scale nationalizations, which took place
over the course of the following decade. Youth leaders also advocated
and tried to implement equitable salaries, free education, the creation
of state farms and cooperatives for peasants and artisans, and the
advancing of interest-free credit for peasants and artisans to buy
equipment. Political debates over how to apply Marxism in the Congo
flourished during this time within the JMNR, as copies of French leftist
literature and French translations of Marx, Engels, Lenin, Stalin, Mao,
and Trotsky were circulated among youth militants.
The political changes pushed by youth leaders were neither
uniformly successfully nor always well received. When initiatives
faltered, youth leaders were quick to place blame on those in the
government who they regarded as insufficiently trained in, or
committed to, the revolutionary ideals of socialisme scientifique.
Having established the revolutionary youth of the JMNR as a political
vanguard, all political actors could be judged against this standard not just other youth activists, but also their elders.
V. T HE MILITARIZATION OF THE YOUTH
The strength of the "youth" in the Congo initially rested on
multiple bases: their demographic majority, their high level of
organization, and the relative clarity of their political ideas in the
198 This
was an echo of Soviet and Chinese models of "catching up" to the major world
economies through state investment, which student radicals differentiated from Massamba-Débat's
embrace of what he called a communal philosophie Bantu.
midst of much confusion after the fall of Youlou. But most of the rankand-file of the new youth organizations were students or unemployed
men and women who held little to no economic or political power. As
Pierre Bonnafé observed just after the formation of the JMNR, what
gave the "youth" its influence in the final instance was the possibility
of the use of force.
From the outset, vigilance brigades behaved as morality police
in urban neighborhoods, claiming the prerogative to set up
checkpoints, and apprehend late night inebriates, suspected
prostitutes, and abusive spouses. Fines were often exacted -sometimes through threats of violence-- as a way for the young
vigilantes to piece together a living.199 Afraid of an armed rebellion of
from the Congolese military, Léopoldville and/or Youlou's supporters,
youth leaders moved beyond unarmed patrols and created the armed
milices populaires.200 The proliferation of autonomous armed
groupings operating in urban and rural spaces became deadly in
February 1965, when three members of the government were
assassinated.201 Though the assassinations were not traced back to the
JMNR leaders, the crisis prompted an attempt to reign in vigilantism.
A suspect might spend a night in a school classroom or other space claimed by the
quartiers jeunesses as their headquarters (later, these became the JMNR's état-major),
subject to verbal taunting or physical abuse, including one account of a rape. Patrols
became more regulated as they were absorbed by the JMNR and party's women’s
section (the URFC, which organized patrols of women), but accounts of abuse
continued.
200 At first, groups of young militants were provided arms and basic training from the
Congolese military itself, (perhaps hoping to integrate them into the Congolese Army's
command). Weapons came initially from Algeria and Egypt, then Czechoslovakia.
201 The Attorney General, the head of the Supreme Court, and the directory of the
Congolese Information Agency were assassinated. Mystery still shrouds the killings,
but accusations have most often been made against a "Groupe Choc" organized by
allies of the president and Prime Minister Pascal Lissouba.
199
70
Cuban military trainers were brought in to help create a single armed
youth force, the Corps national de la défense civile (CNDC), in October
1965. The Défense civile was granted physical encampments to
conduct military and political training, in order to keep the young
miliciens out of public spaces.202
What made the Défense civile so important was that it operated
under a command structure that was entirely separate from the
Congolese military.203 It was funded by the party, and commanded by a
group of young men from the JMNR leadership, notably Ange Diawara,
who had been a domestic student leader at the time of les Trois
Glorieuses. With 1345 militants in the Défense Civile battalions by 1968
and up to two thousand more remaining in the milices populaires,
youth leaders had created a military force that rivaled the size and
equipment of the Congolese army.204 Created as a counterbalance
against a possible military coup, the Défense civile was now the cause
of greater conflict between the government and military commanders.
Youth leaders, as their influence grew, were themselves
increasingly at odds with government ministers, MNR leaders, and
sometimes each other over the pace of political reforms, and out of
This attempt to control armed "youth" was also a means of canalizing foreign
military aid and training toward the creation of a counter-balancing force against the
military - a project that President Massamba-Débat initially saw as important to the
preservation of his government.
203 Military officers demanded the integration of the CNDC into the army, but an
attempt to merely involve a Congolese Army officer in the running of the CNDC was
rebuffed by CNDC leaders.
204 Funded directly from the general treasury of the MNR, the budget provision in
1967-1968 was decided upon by the former JMNR head, André Hombessa. For the
breakdown of CNDC soldiers, see folder PR23, Congolese Natonal Archives. The CNDC
was mirrored by the much smaller Brigades féminins, provided young women with
political and paramilitary training. The CNDC and Brigades féminins was fed by the
JMNR's organization for even younger people: the Pionniers.
202
this grew ideological and interpersonal quarrels. 205 Massamba-Débat
found himself trying to bridge an internal polarization - unable to
please either moderates disturbed by the radical overtures of youth
leaders, nor the youth leaders themselves.206 In July of 1968, the new
student union, the Union générale des élèves et étudiants congolais
(UGEEC), met for a congress and, led by the demands of students
studying abroad, became the first group to openly call for MassambaDébat to step down. Some students had experienced the upheavals of
May and June 1968 in France firsthand, others followed the nearly
simultaneous strikes in Dakar, and many hoped to see the "revolution"
in the Congo renewed by similar mass social protests against the
stagnation of the government.
Once again, student leaders seemed poised to set the political
direction of the country. But ultimately, it was a core of military
officers, who coopted the definition of "youth" as a vanguard, and
organized a military action to topple government in July of 1968. The
officers were led by the thirty year-old Captain Marien Ngouabi, who
presented himself as someone who could break through the
conservatism of the government on behalf of "youth". As a result many
of the youth leaders initially allied with him, and by the end of 1969,
he had declared the Congo to be Africa’s first Marxist-Leninist state.207
These were not simple power struggles, but a reflection of real discontent bred by
the government's inability to address unemployment and raise standards of living in
either the city or the countryside. Multiple state enterprises faltered, dashing hopes
for job creation and industrial growth.
206 Massamba-Débat initially responded by trying to take control of the JMNR, and
eliminating the position of Prime Minister held by one of the student radicals from
1963, Ambroise Noumazalay.
207 The new party, the Parti Congolaise de Travail (PCT), purported to be a "vanguard"
party. The founders blamed the failure on the MNR on its attempt to be a mass party of
the whole nation, not one built around a committed revolutionary core.
205
71
However, youth organizations were forced into submission to
the new regime: The JMNR was dissolved and the Défense civile was
integrated into the national army.208 Students organized strikes,
declaring the "Marxist-Leninist" government a sham, and former
Défense civile militants led a failed military uprising.209 But by 1974,
potential sources of autonomous resistance had been largely quashed,
and the youth leaders of 1963 - 1968 had either been executed,
politically marginalized, or brought into the new government under
Ngouabi.
VI. CONCLUSION
I want conclude with an observation about the potential and
the limitations of the definition of "youth" institutionalized by the
student radicals of 1963 to 1968. Because youth organizations in the
Congo guarded their autonomy, and maintained an insider-outsider
status, they became the most in important independent political force
in the Congo in the 1960s. However, most student leaders saw youth
autonomy not a step toward socialist democracy, but as a means of
bringing socialism through the enlightened dictates of the most
"revolutionary" intellectuals.210 As a result, youth militants were
increasing instrumentalized as a means for student leaders to ascend
to new positions in the state or party.
The JMNR was replaced by the Union de la jeunesse socialiste congolaise (UJSC).
When the military action (known as M22) failed, a small core of the leaders fled to
the countryside where they struggled to build a Cuban-style guerrilla maquis, until
being rooted out and executed a year later.
210 As Ernest Wamba-dia-Wamba writes of the student radicals of 1963: "their
understanding of the transformation of the state [was] driving 'non-socialists' out of
the state apparatus. Struggles in the state were reduced to struggles by 'socialist
elements' to occupy 'strategic' state places..." See: Wamba dia Wamba, Ernest. "The
Experience of Struggle in the People's Republic of Congo." In Popular Struggles for
Democracy in Africa, edited by Peter Anyang' Nyong'o, 96-110. London: Zed Books,
1987.
But as the student radicals of 1963 were elevated into party
and government positions, they often found themselves operating
under constraints that forced them to temper or betray the demands
they had raised as youth leaders.211 In the process, the next group of
youth leaders behind them (whether in age or influence), critiqued
their actions, and took control of the ongoing political redefinition of
"youth" under increasingly radical terms. In large part, this was
possible because student leaders put a great deal of effort into training
JMNR rank-and-file members in the politics that they espoused, as
they organized reading groups, debates, physical fitness, public works
programs, literacy classes, and military training. Despite its
limitations, the process of continually creating new young leaders and
intellectuals with their own political perspectives is what made 19631968 one the most dynamic periods in the Congo's history.
208
209
For example, JMNR leaders and Dipanda writers expressed disappointment with
the governments under both Lissouba and Noumazalay, Prime Ministers from 19641966 and 1966-1968 respectively, despite the major roles they played in the
formation of the "youth" leadership in the Groupe de Mpila and Dipanda.
211
72
MALIKA RAHAL. 1968-1971 EN ALGÉRIE. CONTESTATION ÉTUDIANTE,
PARTI UNIQUE ET ENTHOUSIASME RÉVOLUTIONNAIRE
Institut d’Histoire du Temps Présent, CNRS, Chargée de recherches,
[email protected]
Proposition de communication
Du point de vue de la mobilisation des étudiants algériens, la séquence
1968-1971 est particulièrement riche. Suite au coup d’état de 1965,
qui porta au pouvoir le colonel Houari Boumediene, l’affirmation de
l’autorité du régime de parti unique du FLN, se durcit. Il s’agit
notamment de mettre en coupe réglée l’ensemble des organisations de
masse : organisations syndicales, paysannes, de femmes, anciens
combattants et mouvements de jeunesse. Dans ce contexte, l’UNEA
(l’Union nationale des Étudiants algériens) est l’organisation qui
résista le plus longtemps, en dépit les vagues d’arrestations
successives et le passage obligé à la semi-clandestinité.
La présente contribution émane d’une recherche en cours sur les
partis communistes algériens (Parti communiste algérien jusqu’en
1966, puis Parti de l’Avant-garde socialiste), à partir d’entretiens
biographiques avec d’anciens militants. Elle met en évidence
l’importance du syndicalisme lycéen et étudiant dans les carrières
politiques.212 Nombre de militants algérois du PCA puis du PAGS furent
d’abord des militants lycéens et/ou étudiants ; une fois entrés dans le
parti, ils conservèrent une action dans les organisations de masse, bien
souvent dans le syndicat étudiant.
Au sens de Howard Becker, qui permet d’analyser le modèle séquentiel à partir des
répétitions d’un entretien à l’autre. Howard Saul Becker, Outsiders : Studies in the
Sociology of Deviance (New York: Free Press, 1963).
212
Elle mettra en lumière comment la nature même d’un mouvement
étudiant rendait complexe la transmission des savoir-faire d’une
cohorte à l’autre, tout en assurant le renouvellement malgré la
répression, les aînés emprisonnés (Djamal Labidi et Djelloul Nasser)
devenant très vite des figures mythiques mais inconnues pour les
cohortes suivantes. On verra se développer une gamme de pratiques
politiques (grèves sur des revendications limitées, élections-flash des
comités pédagogiques pour éviter l’arrestation, réunions très rapides
durant les cours, les formes de mobilisation en semi-clandestinité, et
même la clandestinité totale de la direction de l’UNEA) avec des
références dans les entretiens aux pratiques des étudiants
communistes sous le régime franquiste.
Cette séquence 1968-1971 est marquée par le bouillonnement des
mouvements de grève à partir de 1968, et une répression qui aboutit à
la dissolution de l’UNEA en 1971. Le tournant de 1971 est
d’importance : à partir de cette date, il n’y a plus en Algérie
d’organisation étudiante, mais seulement des organisations de
jeunesse (Union national de la jeunesse algérienne ou Jeunesse du
FLN) sous la houlette du FLN. Les formes de mobilisations étudiantes
se transforment, de même que l’intégration dans les organisations
étudiantes internationales (UIE) qui passent par le maintien d’une
UNEA à l’étranger (et principalement en France).
Issue d’une recherche encore en cours – rendue complexe par les
conditions de la clandestinité de l’époque, et par la disparition des
archives –, cette intervention visera à en établir d’abord les éléments
factuels. Elle ouvrira des pistes plus analytiques de réflexion
concernant notamment les relations entre le mouvement étudiant et le
parti unique : il semble en effet que la suppression du mouvement
étudiant au profit d’un mouvement de jeunesse et de volontariat en
73
1971 ait été concomitante avec une orientation plus nettement
socialiste (nationalisation des hydrocarbures et révolution agraire
également en 1971) et une utilisation de la jeunesse par le président
Boumediene et l’aile gauche du FLN pour appuyer les réformes. Au
déjà de la jeunesse, c’est quasiment l’ensemble de la gauche qui est
ainsi ralliée au régime dans ce qu’on a nommé parfois le « soutien
critique ». Par ailleurs, on examinera l’entrée en politique de la
première génération de l’indépendance, son imaginaire politique
après la sortie de guerre, et notamment l’analogie entre engagement
politique et engagement guerrier.
Le corpus est constitué par les entretiens réalisés entre 2011 et 2013
avec des militants communistes de la génération de l’indépendance,
nés entre 1943 et 1958. À ce corpus s’ajoutent quelques mémoires et
autobiographies de militants. Du côté des documents écrits, des
archives de l’UNEA sont conservées à l’association Génériques à Paris ;
on peut y ajouter une poignée de documents retrouvés au cours du
travail de terrain en Algérie : L’ensemble forme un corpus
documentaire très disparate avec des tracts, quelques documents
internes et des notes du le fonctionnement des organisations
étudiantes puis de jeunesse.
Bibliographie
Abrous, Mansour. Contribution à l’histoire du mouvement étudiant
algérien (1962-1982). Editions L’Harmattan, 2002.
Mouffok, Houari. Parcours D’un Étudiant Algérien : De l’UGEMA À
l’UNEA. Escales. Saint-Denis: Bouchène, 1999.
Kheffache, Mohand A. Mémoires D’une Adolescence Volée : Algérie 19621963. Paris: L’Harmattan, 2007.
Atelier 3 : Connexions, circulations
15h45-17h :
 Une étude comparée de la mobilisation des jeunesses catholiques
scolarisées dans les décolonisations africaines : le cas du Rwanda et
de l’ancienne AOF entre 1945 et 1970 : Nicolas Bancel et Thomas
Riot
 The Struggle of Sawaba in Niger and its Students in Eastern Europe,
1958-1969: Klaas Van Walraven
 De la FEANF et des mouvements étudiants en diaspora : Françoise
Blum
 Lumumba, Mobutu et Mao : une « histoire globale » du mouvement
congolais : Pedro Monaville
NICOLAS BANCEL ET THOMAS RIOT. UNE ÉTUDE COMPARÉE DE LA
MOBILISATION
DES
JEUNESSES
CATHOLIQUES
SCOLARISÉES
DANS
LES
DÉCOLONISATIONS AFRICAINES : LES CAS DU RWANDA ET DE L’ANCIENNE AOF
ENTRE 1945 ET 1970
Nicolas Bancel (Université de Lausanne) et Thomas Riot (Faculté des
Sciences sociales et politique, Université de Strasbourg)
La contribution que nous présentons aujourd’hui s’inscrit dans un
programme initié à l’université de Lausanne et qui débutera en
septembre prochain. Ce programme vise à comprendre le rôle des
mouvements de jeunesse et des activités physiques dans les processus
de décolonisation du Rwanda, de l’Ouganda et de l’AOF, dans le
contexte plus large des luttes politiques et des mutations sociales et
institutionnelles qui caractérisent cette période (45-60), tout en
envisageant les conséquences immédiatement postcoloniales de ce
processus (jusqu’au début des années 70).
74
La perspective est donc transnationale, et comparatiste. Sur ces bases,
nous formons l’hypothèse que la période de la décolonisation a été
marquée par la formation de nouvelles élites, et que cette formation
est passé en particulier par des dispositifs corporels. Nous postulons
que les luttes anticoloniales qui marquent cette période relèvent d’un
processus profondément ambivalent, puisque les principaux
opposants politiques à la colonisation au sein de ces nouvelles
générations d’élites, se trouvent être les plus intensément soumis à
une transformation de leur habitus et de leur hexis, dans le sillage de
leur accès à des pratiques culturelles importées de la métropole. C’est
sur les bases de cette hypothèse que nous souhaitons réexaminer
l’histoire des décolonisations.
Vous l’avez compris, ce programme est à venir. La communication que
nous vous présentons aujourd’hui ne peut donc être qu’une ébauche.
Entre 1945 et 1970, les anciens territoires coloniaux de l’Afrique
occidentale française (AOF), comme ceux du Rwanda ou du Burundi,
sont entrés dans une phase de transformations politiques rapides,
marquées par la naissance ou l’action plus vigoureuse de partis
politiques autonomistes ou indépendantistes – ce qui est bien connu –
mais aussi par de fortes mobilisations de la jeunesse africaine
scolarisée engagée dans les transformations sociales, culturelles et
politiques des différentes zones – ce qui l’est moins.
En Afrique occidentale française, la nouvelle politique impulsée à
partir de 1946 par la mise en œuvre du plan décennal de
développement orchestré par le FIDES (700 milliards de FCFA)
comprend un volet « éducation » et étend significativement d’une part
l’enseignement primaire en AOF (on passe de 4% à 12% de taux de
scolarisation entre 1946 et 1959) ; d’autre part élabore un ambitieux
programme doté de bourse pour des étudiants d’AOF accédant à
l’enseignement supérieur. Au Rwanda, on assiste, sur une échelle plus
réduite, à un phénomène relativement comparable. Alors que le plan
décennal de 1951 entend promouvoir un développement rapide du
territoire, les missions catholiques renforcent leur politique de
scolarisation de la jeunesse issue des milieux ruraux de la population
colonisée (qui font monter le taux de scolarisation de 7% à 12% entre
1951 et 1958). La possibilité quasi nulle d’accéder à des bourses de
séjour universitaire à l’étranger (au Congo ou en Europe) est quelque
peu compensée par les voyages en Belgique et à Rome
qu’entreprennent quelques étudiants catholiques engagés dans
l’encadrement de la jeunesse chrétienne (les futurs cadres politiques
et culturels républicains, dont Grégoire Kayibanda).
Les deux mouvements de jeunesse catholiques que nous nous
proposons d’étudier aujourd’hui sont intimement liés au
développement de la scolarisation, dans le primaire, le secondaire et le
supérieur. On constate, en AOF comme au Rwanda, que les scolarisés
ont représenté la grande majorité des participants à ces mouvements.
Des mouvements étudiants africains ont également été liés à ces
mouvements, fournissant l’essentiel de l’encadrement.
Grâce à une comparaison entre le Rwanda et l’ancienne AOF, nous
voudrions montrer que cette « association » de mouvements étudiants
aux organisations de jeunesses catholiques a été, dans un cas, un
moteur de la décolonisation (Rwanda), dans l’autre un mouvement
politiquement conservateur qui n’a pas participé à la décolonisation.
Mais dans les deux cas, la conjonction des dispositifs de la jeunesse
chrétienne aux savoirs scolaires a formé l’une des conditions majeures
75
des continuités existantes dans les deux territoires entre le temps
colonial et la période postcoloniale.
Dans ce cadre, nous posons l’hypothèse qu’un processus
« d’hybridation asymétrique » des étudiants concernés a été un facteur
essentiel de la réhabilitation – après l’indépendance – de quelques
paradigmes culturels de la domination coloniale, et permet d’éclaire
les raisons pour lesquelles les projets sociétaux mis en place après
1945 ont été généralement poursuivis après les indépendances, mais
aussi de mieux comprendre pourquoi les Etats postcoloniaux dans les
zones concernées ont fonctionné selon une forme de concurrence
mimétique avec l’ancien dominant. Ainsi, l’« hybridation
asymétrique », envisagée du colonial au postcolonial, permet
d’appréhender le fait qu’une minorité issue des fractions scolarisées,
après s’être emparée du pouvoir et malgré son opposition à la
domination coloniale, a partagé avec l’ancien dominant un ensemble
de référents sociaux et culturels l’amenant à poursuivre le projet
colonial après l’indépendance.
Dans le cadre de ce « work in progress », notre comparaison entre les
deux zones s’est focalisée sur trois dimensions révélatrices du rôle
joué ou non par les mouvements de la jeunesse catholique scolarisée
dans les décolonisations africaines. Premièrement, il s’agira d’étudier
le rôle (effectif ou pas) joué par ces dispositifs dans le combat
politique pour l’indépendance. Secondement, nous mettrons en
évidence l’importance de la forme (réinventée ou transplantée) des
pratiques, normes et valeurs mobilisées par les mouvements et leurs
effets sur les transformations socio-culturelles des groupes concernés.
Enfin, nous interrogerons les effets d’une racialisation de cette
dynamique d’acculturation sur les trajectoires postcoloniales des
mouvements.
Le corpus empirique que nous mobilisons se compose d’entretiens,
d’archives administratives et missionnaires, de correspondances,
d’archives privées. Une partie importante de ces archives reste à
explorer et exploiter.
SOCIOLOGIE DU RECRUTEMENT
Au Rwanda, la politique de modernisation conservatrice menée par la
Belgique et les missionnaires catholiques jusqu’à la fin des années
1940 a généré un développement tardif des formules européennes
consistant à « parfaire » l’éducation sociale, corporelle et religieuse de
la jeunesse scolarisée. La plus importante, née en 1952 à Bukavu
(Congo belge) sous le nom de Xaveri, fut empruntée au scoutisme
catholique européen. A la fin des années 1950, les centres scolaires et
missionnaires du Rwanda comptaient environ 10.000 Xaveri
(majoritairement issus des lignages hutu de la population colonisée)
formés au mouvement à partir de la troisième année primaire, soit
entre 5 et 10% de la population scolarisée (qui elle-même ne
représentait pas plus de 10% d’une classe d’âge susceptible d’intégrer
les rangs de l’école). A partir de 1957, la sociologie du recrutement des
Xaveri est révélatrice d’un très net retournement de la politique
coloniale en faveur de la mobilisation d’une jeunesse censée
représenter les aspirations de la majorité (hutu) de la population
colonisée. Après avoir privilégié la formation d’une minorité scolarisée
issue du groupe racialisé des Tutsi, Belges et missionnaires
encouragent le recrutement et la mobilisation – à partir de l’année
1954 – de jeunes fils d’agriculteurs, de moniteurs de l’enseignement et
de fonctionnaires prélevés dans la catégorie hutu de la population.
Recrutement qui favorise – à la fin des années 50 – l’association de ce
groupe à l’idéologie et aux pratiques révolutionnaires menées par une
76
élite hutu décidée à se débarrasser de ce qu’elle appelle le « féodalisme
tutsi ».
En AOF, le scoutisme catholique s’est implanté dès les années 1930,
mais son recrutement est alors majoritairement européen. Il faut
attendre les années 1940 pour que le recrutement d’africains prenne
son essor, mais le mouvement conserve alors et conservera jusqu’en
1959 le principe d’une ségrégation des troupes (les jeunes africains
sont séparés des jeunes européens). Il compte alors environ 3000
membres africains. Le scoutisme catholique recrute essentiellement
autour des missions et surtout des écoles catholiques, qui bien que
concurrencées rapidement par l’école coloniale publique, conserve
une forte influence dans certains territoires (Dahomey et Côte d’Ivoire
en particulier). La situation dans les colonies d’AOF est
fondamentalement différente de celle du Rwanda. Tout d’abord parce
que l’Etat français, nous l’avons vu, investit massivement dans le plan
décennal animé par le FIDES et que, dans ce cadre, un effort important
est consenti pour l’érection d’écoles primaires, dans toute l’AOF,
faisant passer le taux de scolarisation, entre 1945 et 1959, de 4 à 12%.
Contrairement à la Belgique, qui laisse de fait le monopole de
l’éducation aux missionnaires, la France, conformément à une
tradition postrévolutionnaire, étend le réseau des écoles publiques. Le
scoutisme catholique est, de fait, marginalisé par cette évolution et
dépassé bientôt par les Eclaireurs de France, laïcs, qui profitent de
l’essor des écoles publiques coloniales.
Le scoutisme catholique recrute dans des fractions sociales
spécifiques : on dénombre – quoi que les statistiques soient
incomplètes et fragiles – une majorité d’enfants issus des milieux
proches de l’administration coloniale (commis, petits fonctionnaires),
de l’économie monétarisée (planteurs, commerçants) ou de la
chefferie. Dans cette période d’essor scolaire important, un nombre
non négligeable d’enfants issus de la paysannerie pauvre (20% ?)
profitent de l’ouverture d’écoles catholiques.
TRAJECTOIRES POLITIQUES DES MOUVEMENTS
Les trajectoires politiques du scoutisme catholique en AOF et du
mouvement Xaveri au Rwanda sont dissymétriques.
En AOF, le scoutisme catholique a d’une part été constamment
contrôlé par le scoutisme français. Il faudra attendre 1959 pour qu’un
début d’émancipation de cette tutelle se fasse jour (alors qu’elle est
depuis longtemps consommé dans le cas du scoutisme laïc). Or,
l’opposition à la colonisation fut très tardive dans le scoutisme
catholique (entre 1958 et 1959), suivant en cela la prise de position
tardive de l’Eglise. Mais ce tournant est largement minoré en AOF, car
l’encadrement du scoutisme catholique continue d’être dominé par
des Européens, dont une majorité est issue des fractions les plus
conservatrices de la société coloniale européenne : militaires,
commerçants, planteurs, forestiers. Plusieurs travaux montrent bien
que l’indépendance de l’AOF a été, pour la majorité du colonat, une
véritable surprise, et qu’une écrasante majorité ne la souhaitait pas.
Par ailleurs, là où les mouvements étudiants africains, qui se
développent très rapidement en France dans les années 1950,
exercent une influence déterminante sur la radicalisation des
mouvements de jeunes laïcs et en particulier sur le scoutisme laïc, les
étudiants catholiques africains ne disposent que d’une seule
association véritablement structurée (dirigée par Ki-Zerbo), mais qui
n’exerce qu’une influence très marginale sur le scoutisme catholique
aoéfien. L’effet d’entraînement de la radicalisation politique des
mouvements étudiants africains en France (et de l’UGEAO à
l’Université de Dakar) n’a donc pas joué.
77
On doit aussi noter que l’idéologie véhiculée par les principales
publications destinés aux scouts d’AOF sont, jusqu’aux indépendances,
marquées par le souci de préserver l’ordre colonial. Les scouts d’AOF
restent donc fidèles à leur généalogie : construire une élite destinée à
« préserver » l’ordre social.
Mais les normes, valeurs et techniques du mouvement ont grandement
participé d’un processus d’incorporation de la dépendance de ces
jeunes, à la fois à l’ordre colonial et aux idiomes et pratiques de la
chrétienté universelle. Les pratiques des scouts catholiques ont
conservé leur origine en partie militaire. L’obéissance, le sens de la
hiérarchie, le respect de l’ordre sont constamment rappelés dans les
rituels. La pratiques impliquant la mise en œuvre de la justice ou de
charité, bien que très performatives sur le plan des transformations
socio-culturelles du groupe et pouvant déboucher, dans d’autres cas,
sur la contestation anticoloniale – comme au Rwanda –, n’a pas
recouvert ici cette dimension. Pour autant, l’ensemble des pratiques
physiques d’origine occidentale – le plein air, les jeux et le sport –, ont
contribué décisivement à la transformation culturelle et psychique des
jeunes scouts, ouvrant sur un répertoire normatif très nouveau, fondé
sur la construction métaphorique d’un champ mérito-démocratique
impliquant la progression dans la hiérarchie scoute, l’imprégnation du
sens de la compétition interindividuelle, l’incorporation de la valeur
du progrès technique. En ce sens, les scouts catholiques participent
d’un mouvement beaucoup plus vaste, qui les apparient ici au
scoutisme laïc. Nous reviendrons sur ce point.
Là encore, la situation rwandaise est différente. Si l’on observe les
transferts politiques de ces mouvements vers la lutte pour
l’émancipation, le Rwanda offre un exemple de gestation d’une
idéologie de la révolution menée par une élite hutu formée aux
idiomes et aux pratiques de la démocratie chrétienne. Le mouvement
Xaveri, puissant vecteur de schèmes émancipateurs articulés aux
notions de justice sociale et de charité, a été l’un des médiateurs du
phénomène. En plus des savoirs scolaires et religieux associés à l’idée
de l’éveil du « peuple hutu » face à ses oppresseurs (identifiés à l’élite
tutsi), les dispositifs culturels et corporels de l’organisation participent
de la formation des futurs dirigeants de la première République
(gouvernée par les ministres, préfets et bourgmestres du Parmehutu
de Grégoire Kayibanda, transformé en Mouvement démocratique
républicain MDR). Alors que bon nombre d’entre eux avaient participé
à l’orchestration des premières tueries ayant visé les « évolués » et
chefs tutsi au moment du renversement de la monarchie (entre 1959
et 1961), une grande partie de ce groupe était constitué d’anciens
Xaveri devenus cadres du mouvement.
PRATIQUES ET AFRICANISATION DES MOUVEMENTS
Associées à leur formation scolaire, religieuse et apostolique, les
pratiques culturelles des Xaveri du Rwanda, comme celles des scouts
catholiques en AOF, contiennent des formes nettement européanisées
(jeux collectifs, plain air, sport, gymnastique…) s’ajoutant aux activités
locales réinventées par la culture coloniale (veillées collectives, danses
et poésie guerrière…). En AOF, alors que l’organisation privilégie une
transplantation quasi mimétique de techniques, normes et valeurs
issue de la culture du colonisateur, les scouts catholiques composent
une catégorie de scolaires engagée dans un procès de transformation
du champ socio-culturel de formation des futurs cadres du
mouvement. Alors qu’au Rwanda, l’africanisation des pratiques sert les
stratégies d’extraversion de Xaveri engagés dans les mouvements
nationalistes en présence (hutu et tutsi), les scouts catholiques aofiens,
culturellement proches de leurs formateurs européens, ont pour
78
principal projet politique de remplacer ces derniers dans le
gouvernement du mouvement.
RACIALISATION DE L ’ÉMANCIPATION
Du point de vue des jeunes mouvements étudiants catholiques, la
situation coloniale rwandaise offre un exemple de racialisation interne
de la lutte pour l’émancipation. Identifié au combat d’une élite
représentante des « serfs hutu » face à leurs anciens « seigneurs
tutsi », le mouvement nationaliste hutu a eu pour ambition de se
détacher de la tutelle raciale provoquée par quatre décennies de
délégation de l’exploitation coloniale à la minorité tutsi de la
population. Ce pan-hutuisme, comme certains l’ont appelé, a aussi
procédé d’une appropriation des savoirs et techniques du groupe à
combattre : l’élite tutsi. Composant l’immense majorité des cadres
autochtones du mouvement Xaveri, la minorité tutsi du dispositif
incarnait le modèle et l’adversaire vis-à-vis duquel des groupes
politisés de jeunes xaveri hutu avaient des sentiments très ambigus.
Après avoir participé à l’orchestration de l’élimination physique des
opposants tutsi à leur projet, de jeunes sympathisants du Parmehutu
adoptèrent une ligne de gouvernance du mouvement très proche de
celle cultivée par leurs anciens chefs.
En AOF, si le scoutisme catholique n’a pas été une matrice de
l’émancipation politique, il est par contre frappant de constater que
l’accès à ce mouvement a permis à de jeunes scolarisés de se
familiariser avec la culture du dominant. Nombre d’entre-eux
rejoindront les administrations coloniales et ont, par hypothèse,
bénéficié de soutiens à l’intérieur des nouvelles bureaucraties d’Etat.
C’est le cas en Côte d’Ivoire, et il faudra étendre les investigations pour
savoir si d’autres territoires ont également participé de ce phénomène
(Bénin ?).
TRANSFERTS CULTURELS ET INDÉPENDANCE RELATIVE DES MEMBRES
Dans le processus (non systématique) de politisation des mouvements
de jeunesse catholique, le niveau d’africanisation des pratiques semble
agir moins efficacement que le transfert (effectif ou pas) des savoirs,
normes et valeurs constitutives des activités dans les espaces socioculturels de la contestation politique (se déclinant en demande
d’émancipation, de renouveau social ou de révolution culturelle). A ce
sujet, le jeune mouvement catholique de décolonisation du Rwanda
constitue un exemple radical de politisation d’une ligne idéologique
socio-chrétienne articulée à une racialisation des stratégies
d’émancipation menée par une minorité de la jeunesse hutu face à ses
dominants intérieurs (les élites tutsi). A ce niveau, le recours à la
« tradition » (soit à l’africanisation des pratiques) n’a fait que
renforcer la dimension interne (racialisée) de la lutte menée par les
jeunes acteurs hutu de la « révolution sociale ».
Dans le contexte de gestation du nationalisme chez les catégories
scolarisées de la jeunesse aofienne, le scoutisme catholique a plutôt
joué un rôle inverse sur le plan politique, la thématique raciale étant
classiquement articulé sur une division – de moins en moins
proclamée à partir du début des années 1950 – entre les Africains et
les Européens. Il est très symptomatique de constater que les manuels
destinés à l’encadrement continuent de soutenir des schémas qui ont
disparu – ou qui sont combattus – dans les autres mouvements :
l’Africain est fondamentalement perçu comme attardé, grand enfant
auquel on s’attache mais qu’il s’agit de transformer pour le faire entrer
dans l’âge adulte. Les allusions à la « nature » de l’Africain sont légion,
renvoyant implicitement à une conception essentialisée de la race. Ces
schémas se raréfieront avec l’africanisation du mouvement puis
l’émancipation de la tutelle européenne. Mais le décalage est frappant
79
avec les autres mouvements de jeunesse émancipés de la tutelle
coloniale. Le mouvement scout aoéfien, dominé par le colonat
européen conservateur, structurellement inféodé à son centre
métropolitain, a instillé l’amour de l’ordre et la nécessité de sa
préservation, admettant à mots couverts, et seulement à partir de
1957, les « abus » du colonialisme.
Au Rwanda, contrairement à l’AOF, la race – et surtout les médiations
socio-culturelles de son enracinement dans les corps et les
consciences de cette jeunesse – est un idiome central du processus.
Mais elle ne fait pas tout. Il est aussi question de mobiliser un tel
transfert idéologique dans les arènes du combat politique face à
l’occupant (étranger ou pris pour un oppresseur africain).
CONCLUSION
En commençant ce premier essai de comparaison entre le Rwanda et
l’AOF, nous ne nous doutions pas faire face à deux processus aussi
dissymétriques. Ce qui, il faut bien le dire, ne nous simplifie pas la
tâche. Emanant d’une idéologie très proche, les mouvements scouts en
AOF et Xaveri au Rwanda ont poursuivis des trajectoires politiques
radicalement différentes. Ceci peut être éclairé hypothétiquement par
plusieurs facteurs convergents.
Premièrement, le mouvement Xaveri se trouve à l’épicentre du
processus de décolonisation au Rwanda, en tant qu’il est une condition
du retournement d’alliance fomenté par le colonisateur à la veille des
indépendances, après avoir construit une théorie de la « libération »
vis-à-vis de la domination tutsie, recelant une conflictualité potentielle
particulièrement explosive. En AOF, si des conflits liés à
l’appartenance ethnique ont émaillé à la marge l’histoire du
mouvement scout, la doctrine de celui-ci est fondée sur la commune
appartenance à l’humanité, les distinctions raciales en Africains et
Européens visant à préserver l’ordre colonial (le « retard » des
Africains nécessitant la « mission civilisatrice et chrétienne » de la
France). La où le mouvement Xaveri participera d’une révolution
raciale impliquant de nombreux progroms contre les tutsis, en AOF, les
scouts catholiques accepterons de mauvaise grâce l’indépendance,
tout en s’acclimatant fort bien des nouveaux dirigeants (sauf dans
certains cas spécifiques, comme en Guinée), qui poursuivront
finalement sans grands heurts les projets mis en place par le
colonisateur.
Ces données contextuelles du processus de décolonisation expliquent
en partie ces divergences de trajectoires. Il s’agit pour nous de les
articuler aux bases sociales du recrutement des jeunes. Au Rwanda, les
responsables républicains du mouvement sont prélevés chez des
moniteurs de l’enseignement et des anciens séminaristes fils
d’agriculteurs hutu et bientôt nommés chefs politiques du parti
présidentiel républicain. En AOF, le scoutisme catholique est dominé
par le colonat au sein duquel on compte peu d’hommes impliqués dans
l’administration coloniale et donc la gestion des colonies. Le colonat
conservateur a-t-il freiné en AOF le changement de pied de l’Eglise
catholique en France dans la seconde partie des années 1950,
contrairement à ce qui a pu se passer au Rwanda, où l’Eglise, voyant
lui échapper la nouvelle élite tutsi, a parié sur une « révolution hutu » ?
Ces questions restent ouvertes.
Mais il nous semble que ces processus sociopolitiques, pour
importants et décisifs qu’ils soient, ne doivent pas nous masquer une
convergence entre le Rwanda et l’AOF, qui se situe sur un autre plan.
Le rôle joué par ces mouvements dans l’incorporation de la culture du
dominant (occupant) est en effet déterminant. L’hybridation
80
asymétrique des élites, au Rwanda comme en AOF, se manifeste par
l’adhésion inconsciente à des répertoires culturels coloniaux qui
participent de la formation des communautés politiques
« indépendantes ». Cette incorporation passe par les corps, dans le jeu
de leur mise en mouvement dans le cadre de pratiques d’origine
européenne, tels les pratiques de plein air et le sport. Les valeurs
véhiculées par ces pratiques impliquent une rupture fondamentale
avec les sociétés paysannes qui regroupent alors l’essentiel des
populations des deux zones. Ces valeurs sont celles de la concurrence
interindividuelle, de la rupture avec les sociétés castées par la
valorisation de la progression dans la hiérarchie sociale à l’aide des
savoirs acquis à l’école et des nouveaux habitus construits au sein des
mouvements de jeunesse, de la croyance dans le progrès technique et
la modernisation.
Si l’on s’extrait un moment des différences – encore une fois
essentielles – des trajectoires politiques et « raciales » de l’AOF et du
Rwanda, on constate cependant, dans l’un et l’autre cas, la
prééminence postcoloniale des schémas coloniaux incorporés par ces
jeunes élites. Dans l’un et l’autre cas, l’ombre portée du modèle
européen est, en vérité, désirable. La concurrence mimétique qui
s’instaure avec l’ancien colonisateur après les indépendances n’est-elle
pas le produit de cette période politiquement haletante mais où se
joue, aussi, la formation des futurs dirigeants des deux zones, qui,
effectivement, prolongeront les projets coloniaux mis en place durant
les années 1950, mais avec d’autres moyens et d’autres hommes, au
nom, désormais, de la souveraineté ?
KLAAS VAN WALRAVEN. THE STRUGGLE OF SAWABA IN NIGER AND ITS
STUDENTS IN EASTERN EUROPE, 1958-1969
African Studies Center, Leiden University, [email protected]
Proposition de communication
After its fall from power in 1958, the Sawaba movement in Niger was
pushed underground by the RDA regime, the country’s new Gaullistprotected government. Consigned to a clandestine existence and
systematically persecuted, numerous Sawaba cadres fled abroad and
the movement’s leadership began to prepare for a violent come-back.
Its strategy to reconquer political power consisted of two prongs:
training its own guerrilla force with the help of the Algerians,
Ghanaians and Chinese, and, secondly, forming a pool of educated
cadres with which to run Niger’s administration once the RDA regime
had been toppled.
Thus, the campaign to train its own government personnel, baptised
‘Opération formation des cadres’, was at the heart of Sawaba’s
strategic challenge to Niger’s regime, the more so as the possibilities
for higher education for young Nigériens were severely limited. In the
course of ‘Opération formation des cadres’, Sawaba’s leadership
dispatched party members, sympathisers and, more generally,
youngsters who were not only loyal to the movement but, simply,
aspiring to gain access to education, to Eastern Europe to enroll in
institutions offering a variety of training (notably the Soviet Union,
East Germany and, to a lesser extent, Bulgaria). This paper analyses
the nature of this education, the way that ‘Sawaba students’ gained
access to training, the itineraries pursued to reach Eastern Europe,
and their relations with Sawaba’s guerrillas-in-training. It outlines the
81
lives of the students in the Eastern Bloc and Sawaba’s student politics,
their role in the movement’s struggle and the consequences of the
movement’s defeat for students’ lives and professional careers, both in
the short and longer-term.
BIBLIOGRAPHY
K. van Walraven,
The Yearning for Relief: A History of the Sawaba
Movement in Niger (Brill: Leiden and Boston, 2013).
---------------------,
‘From Tamanrasset: The Struggle of Sawaba
and the Algerian, Connection (1957-1966)’, Journal of North African
Studies, 10 (2005), 3-4, 507-527.
---------------------,
‘Decolonization by Referendum: The Anomaly
of Niger and the Fall of Sawaba, 1958-1959’, Journal of African History,
50 (2009), 269-292.
---------------------,
‘Djibo Bakary’, in H.L. Gates & E.K. Akyeampong
(eds), Dictionary of African Biography (Oxford University Press:
Oxford, 2011), vol. 1, 355-357.
---------------------,
‘From Gao: Sawaba and the Politics of
Decolonization and Insurrection in the Songhay Zone of Mali and Niger
(1957-1964)’, in J.B. Gewald, A. Leliveld & I. Pesa (eds), Transforming
Innovation in Africa: Explorative Studies on Appropriation in African
Societies (Brill: Leiden and Boston, 2013), ch. 6.
FRANÇOISE BLUM. DE LA FEANF ET DU MOUVEMENT ÉTUDIANT EN DIASPORA
Centre d’Histoire Sociale du XXe siècle, CNRS
En 1960-61, il y a environ 8000 étudiants africains en France, dont
44% de boursiers (Boursiers FAC ou boursiers des états). Parmi les
boursiers, 69%, c’est-à-dire la grande majorité sont dans le supérieur,
les autres étant, majoritairement dans le secondaire ou le technique.
En Afrique francophone, l’augmentation des effectifs scolarisés de
1960 à 1975 s’est effectué à un rythme élevé, et les universités créées
très tardivement dans l’empire français ne peuvent absorber tous les
nouveaux bacheliers : L’université de Dakar a vu le jour en février
1957, et draine les étudiants de toute l’Afrique de l’Ouest ; celle de
Tananarive est fondée en 1960. L’Afrique centrale - l’ancienne AEF devra attendre jusqu’en 1971, année qui voit Brazzaville et Libreville
ouvrir les portes de leur université. Celle d’Abidjan est née en 1964,
celle du Cameroun en 1961etc…Certaines filières n’existent pas et
doivent donc être suivies en France ou dans les pays de l’Est, voir aux
Etats-Unis. Enfin, les diplômes délivrés en Afrique jouissent d’une
« validité de plein droit » sur le territoire français. Ce qui revient à dire
que les programmes et les exigences sont les mêmes. Tout au long des
années 60, de 60 à 75, années sur lesquelles portera notre propos, le
nombre des étudiants va augmenter d’autant plus qu’aux originaires
des anciennes colonies françaises vont s’adjoindre des ressortissants
de l’Ethiopie ainsi que des ex-colonies belges (Congo, Burundi), ou
anglaises.
Faute de source fiable pour les années 75-80 (date de la dissolution
par le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing) je m’arrêterais dans
ce qui ne saura être qu’un profilage à grand trait de la FEANF, à 19741975. La FEANF est incontestablement, depuis ses origines en 1950,
82
l’association la plus représentative des étudiants africains, les
Malgaches ayant quant à eux leur propre structure, l’AEOM. Il existe
bien quelques autres associations comme l’UECA, mais dont l’audience
est incontestablement moindre et qui d’ailleurs en est adhérente , et
saura parfois y apporter sa touche. Il y a aussi une autre raison pour ne
considérer la FEANF que jusqu’en 1975, et non 1980 : c’est le
changement de législation en matière d’émigration et d’une certaine
façon la fin de ce no man’s land temporel où ce n’était plus l’Empire
certes mais où persistait une situation de transition qui permettait par
exemple aux étudiants résidant sur le sol français d’obtenir la
nationalité française par simple déclaration , qui faisait qu’aucune
carte de séjour n’était nécessaire, ni aucun visa, toutes choses qui
changeront à partir de 1973-74. Les étudiants, comme d’ailleurs les
travailleurs –et la frontière est parfois poreuse entre les deux
catégories - ont, dans les années 60, liberté entière et de circuler et de
s’établir sur le sol français, du fait des accords de coopération signés
entre ce qui est devenu leur pays d’origine et la France. Outre des
accords sur l’enseignement, sur la défense etc, ce corpus de textes qui
varient peu d’un pays à l’autre comprend une convention
d’établissement qui permet aux nationaux de s’établir en France et
réciproquement. Par décision du 10 mars 1961du Ministère des
Affaires étrangères, ce régime juridique privilégié est étendu à
l’ensemble des états francophones, exception faite de la Guinée. Cela
ne va pas sans appréhension de la part des nouveaux états qui
craignent alors une fuite des cerveaux et réclament des mesures pour
obliger leurs ressortissants à rentrer. De même, les associations
d’étudiants d’Afrique sub-saharienne bénéficient encore d’un régime
d’assimilation au national et ne sont donc pas soumises aux
restrictions en vigueur pour les associations d’étrangers. Cela donne
une grande liberté de parole et d’action que ne manqueront pas de
déplorer les différents gouvernements africains. La situation va
changer dans les années 70 avec la révision générale des accords de
coopération - réclamée par bien des oppositions - , et une nouvelle
codification entre la France et ses anciennes colonies africaines. Des
conventions de circulation plus restrictives sont signées, la circulaire
n° 74-628 du 30 novembre 1974 par exemple définit les modalités
d’application de la nouvelle situation juridique des étudiants, et les
conditions dans lesquelles obtenir des cartes de séjour, dont
l’attribution est soumise à l’inscription dans un établissement
d’enseignement. Parallèlement, la surveillance des frontières entre
France et Afrique s’est faite tatillonne et rigoureuse. Enfin, une
circulaire du 22 juillet 1976 émanant du Ministère de l’intérieur met
également fin à la liberté d’association. Les années 60-75 sont bien à
cet égard une sorte de no man’s land où il n’y a plus tout-à-fait
d’empire mais où les continuités entre l’avant et l’après-60
l’emportent largement sur les ruptures. On change certaines
dénominations - nous allons le voir - on s’interroge sur le rôle que
doivent jouer les nouveaux états mais tout ceci se fait dans le
tâtonnement et l’improvisation. Bien qu’il y ait une date butoir, à
l’énorme charge symbolique, celle de l’indépendance, c’est un
processus qui est en marche et non un brutal changement. C’est
l’histoire de la fin d’un Empire mais c’est aussi l’histoire de la
constitution en immigration des personnes qui étaient jusque là sur le
territoire français en toute liberté.
Dès 1950-51, les étudiants africains en France avaient fondé une
association loi de 1901, la Fédération des étudiants d’Afrique noire en
France (FEANF) pour les représenter et défendre leurs intérêts, en
matière de logement, de bourses etc. Mais outre ce rôle d’ordre
syndical la FEANF a fonctionné dès ses origines comme un véritable
Think tank , lieu d’élaboration d’une pensée théorique de libération de
83
la tutelle coloniale, en lien avec d’autres pôles attractifs pour les
étudiants comme Présence africaine, qui publia notamment , conçue
par la Fédération un numéro intitulé « Les Etudiants noirs parlent » et
une brochure tôt interdite contre la guerre d’Algérie, dont le maître
d’œuvre était Jacques Vergès : le sang de Bandoeng. La FEANF
exprima, à travers ses congrès et son organe de presse L’Etudiant
d’Afrique noire son opposition à l’Union française, à la loi-cadre de
1956, pensée comme l’instrument de la balkanisation de l’Afrique. Elle
fut tôt indépendantiste, et appela à voter non au referendum de 1958.
Elle mérite sans doute à ces titres de figurer pour l’histoire au rang des
mouvements de libération nationale. Ses actions s’exerçaient selon un
triple axe : syndical et/ ou corporatiste, culturel et/ou festif (avec
notamment l’organisation des Nuits de l’Afrique), et politique. Son
syndicalisme se voulait révolutionnaire. Elle était organisée en
sections académiques (lieu d’étude des étudiants) et sections
territoriales (origine des étudiants), devenues après les
indépendances sections nationales. Les sections académiques sont en
60 au nombre de 14, les sections nationales au nombre de 21. Plutôt
modérée à ses tout débuts, la FEANF se radicalisa ou plutôt se
« communisa » avec la prééminence en son sein, d’abord des étudiants
du RDA, qui refusaient d’accepter le « repli stratégique » et
désapparentement de l’organisation-mère , puis, à partir de 1957 et de
la création de ce parti par un étudiant de la FEANF, Majmout Diop,
d’éléments appartenant au marxiste PAI, fondé à Thies.
Ce que nous allons aborder ici, c’est non point tant l’histoire de la
FEANF que la situation engendrée par l’accession des colonies
africaines de la France à leur indépendance, en 1960 et la manière
dont les étudiants africains en France vont, via la FEANF et ses
différentes structures se positionner par rapport aux nouveaux états,
la manière aussi dont la FEANF va pouvoir jouer un rôle de soupape de
sécurité face à des régimes dont l’autoritarisme s’exerce aussi contre
les étudiants, regroupant en son sein ce qui devient quelque fois avec
le temps une véritable émigration politique.
Si l’on pense en termes de mouvement , pour se conformer à l’objet de
ce colloque, on peut lire l’histoire de la FEANF selon plusieurs
préoccupations, on peut la penser de plusieurs manières : comme un
creuset de formation politique par lequel sont passés bien des leaders
de futurs mouvements sociaux dans leur propre pays, mais aussi bien
des futures élites , comme une structure organisatrice de
manifestations (politiques ou culturelles), comme une sorte d’avantgarde idéologique connectée aux mouvements de gauche et
d’Extrême-gauche qui se mondialisent alors.
En 1960, la FEANF perd ce qui en faisait l’alpha et l’oméga, le projet
indépendantiste. Elle perd aussi son pouvoir corporatiste en perdant
son siège à l’OCAU, qui gère les dossiers des étudiants africains. Elle
n’a donc plus de pouvoir en matière d’attribution de bourses ou de
logement. Il va lui falloir 2 ans pour se retrouver une véritable raison
d’être, c’est-à-dire d’abord des mots d’ordre structurants pour, sinon
l’ensemble, du moins la majorité des étudiants africains poursuivant
leurs études sur le sol français. Ce sera encore et toujours la lutte pour
l’indépendance, mais cette fois une « indépendance réelle », selon la
terminologie usuelle, opposée aux indépendances dites nominales
octroyées en 1960. L’ Indépendance réelle va, bien entendu de pair
avec la dénonciation du néo-colonialisme et/ou de l’impérialisme (ce
qui n’a pas tout-à-fait le même sens : le néo-colonialisme désignant la
présence et la prégnance toujours effective et efficiente de l’ancienne
puissance coloniale et l’impérialisme désignant plutôt le pouvoir
croissant de la super-puissance américaine). Le troisième pilier
idéologique, tout aussi structurant est « l’unité africaine »
84
prolongement du vieux rêve panafricain mais toujours soumise à un
futur débarrassé des séquelles bourgeoises et coloniales du présent.
L’unité africaine, dans les congrès de la FEANF et surtout après la
chute de N’krumah, en 1966, fait, plus encore que les autres mots
d’ordre, figure de mythe et d’horizon d’attente alors même que les
troubles qui secouent l’Afrique peuvent faire penser, avant bien sur ,
les déceptions qu’ils engendrent toujours, une révolution possible
dans le court terme, peuvent faire penser que rien n’est encore joué.
En matière d’unité toujours, le problème immédiat qui se pose après
les indépendances est pour la FEANF, de ne pas succomber aux
tendances centripètes émanant de ses associations nationales. Pour ce
faire va être créée une conférence des présidents des sections
nationales, qui ne jouera malgré tout qu’un rôle mineur, et qui
n’empêchera pas, de toutes façons, l’essor des divers nationalismes,
ou, plus exactement la prééminence croissante, et logique, que
prennent les questions nationales.
Pour mieux saisir les évolutions de la FEANF, de même que pour
mieux comprendre ce qu’elle a représenté pour les étudiants africains
en général, il faut à mon avis effectuer deux opérations distinctes.
D’une part, comprendre que malgré le caractère souvent très
minoritaire des positions prises par son état-major, elle ait pu garder
une aura symbolique majeure, qui fait qu’on est encore de nos jours
fier de lui avoir appartenu , et que les anciens de la Feanf sont toujours
membres d’un réseau informel qu’ils ne désavouent pas. Comme le
signale un rapport des RG, non sans une certaine admiration, ce sont
les meilleurs et les plus talentueux des étudiants qui en forment les
cadres – comité directeur, CA et bureaux des sections. Il faut aussi
périodiser en essayant de saisir la dialectique qui préside aux rapports
des étudiants en exil sur le sol français avec leurs gouvernements
respectifs, ou, pour mieux dire avec les élites locales. Si les mots
d’ordre émanant de la FEANF ont eu un caractère si dogmatique et
rigide –ce qu’ils avaient par ailleurs largement en partage avec les
mots d’ordre d’un gauchisme multinational- c’était dans ce cas aussi
parce qu’il fallait qu’ils soient valables pour tous les étudiants africains
au-delà des situations propres à chaque pays. Et la FEANF n’était
évidemment pas imperméable à la conjoncture mondiale, que l’on
pourrait qualifier pour faire simple et de façon un peu trop francocentrée, « d’esprit de 68 ».
Donc trois piliers idéologiques unifiant, réaffirmés de congrès en
congrès : Indépendance réelle, anti-néo-colonialisme et/ou antiimpérialisme, unité africaine. Mais il faut aussi distinguer des étapes
dans la vie de la FEANF et des associations nationales et sections
académiques, étapes dans les dominantes idéologiques, étapes dans
les méthodes d’action, étapes dans les rapports avec les états-nations
africains, étapes aussi quoique de façon plus marginale dans les
rapports avec le gouvernement français.
REDÉFINITIONS IDÉOLOGIQUES
Donc 60-75 : Une première phase, nous l’avons dit, de redéfinition
idéologique où la FEANF doit en quelque sorte se repenser, et
retrouver d’autres marqueurs. Elle y réussit au prix sans doute d’une
standardisation de ses mots d’ordre, martelés sans nuance majeure de
congrès en congrès. Néanmoins, on peut noter quelques évolutions. La
vindicte à l’égard de l’ancienne puissance coloniale se fait plus
modérée, alors même qu’un autre ennemi principal est désigné,
l’impérialisme américain, guerre du Vietnam et avancées économiques
sur le continent africain obligent. Cela correspond sans doute aussi à
une forme de prudence, qui fait que les représentants
indépendantistes des DOM ne seront pas admis – bien qu’on les
85
soutienne théoriquement et les invite aux congrès- au sein de la
fédération. Mais, derrière la façade unanimiste, les luttes de tendance
se font violentes. La FEANF, adhérente de l’Union internationale
étudiante communiste de Prague, -l’UIE- était en 1960, nous l’avons dit
dominée, par les membres, et en particulier les membres sénégalais du
PAI, et, d’après les renseignements généraux, soutenu matériellement
et financièrement par le Parti communiste et la CGT. Malgré le refus
exprimé de prendre partie dans la querelle sino-soviétique, les luttes
entre « révisionnistes » et pro-chinois ou pro-albanais voire castristes
–la lettre d’adieu du Che a un écho formidable au sein de la FEANFvont aller s’amplifiant, menaçant l’existence même de la fédération. En
1965, le comité directeur de la FEANF est majoritairement pro-chinois,
ce qui implique des tensions avec l’UIE. L’organisation internationale
cesse alors de faire de la FEANF son relais pour les bourses vers
l’Europe de l’Est, ce qui, après la perte de son siège à l’OCAU, met
définitivement fin à son pouvoir de gestion. Mais ce triomphe des
maoïstes ne sera que de courte durée, les « moscoutaires » comme
disent les RG, reprenant une position dominante dès 1970. Ce qu’il
faut néanmoins noter, c’est que les sections nationales connaissent les
mêmes divisions, entre communistes orthodoxes et diverses formes de
gauchisme qui peuvent aller jusqu’à la scission, comme c’est le cas par
exemple pour l’UNEK, ou pour les étudiants guinéens, par ailleurs dans
une situation tout-à-fait particulière et souvent douloureuse du fait de
la spécificité des rapports entre la Guinée et la France, pour ne rien
dire de la versatilité politique de Sékou Touré.
Il semble par ailleurs que son obédience maoïste n’ait apporté aucun
avantage matériel à la FEANF, contrairement à l’obédience
communiste orthodoxe, les chinois se montrant plutôt méfiant. Il faut
néanmoins comptabiliser dans l’aide apportée par la Chine ou
l’Albanie –qui est loin d’être en reste – les très nombreux voyages,
stages et invitations diverses effectués sans aucun doute à titre gratuit
par les dirigeants de la FEANF dans ces pays du communisme réel.
Toujours est-il que la FEANF se retrouve généralement dans une
situation financière difficile, vivant des cotisations de ses membres ou
de l’argent recueilli lors de l’organisation des soirées africaines, dont
les différentes sections se font une spécialité, reversant les gains ainsi
acquis. Ces soirées et/ou événements culturels sont d’ailleurs très
attractifs, et suscitent sans doute plus l’adhésion de la majorité des
étudiants que les prises de position, débats, meetings et actions
politiques diverses.
REDÉFINITIONS STRATÉGIQUES
En matière d’action politique, justement, on peut aussi constater des
redéfinitions d’ordre stratégique. En 1960 et 1961 la FEANF appelle
encore à de grandes manifestations sur le sol français : telle celle du 11
février 1960 contre l’explosion de la bombe A dans le Sahara et celle
du 15 février 1961en réaction à l’assassinat de Patrice Lumumba,
manifestations où le PCF joue aussi un grand rôle. Mais pour les
étudiants africains, cela va se solder par de très nombreuses
arrestations et expulsions du territoire français, qui font s’il en était
besoin prendre conscience du danger de manifester sur la voie
publique. Dès 1962, la FEANF va donc interdire à ses membres les
manifestations publiques et chercher, par conséquent, d’autres
moyens d’action. Ses territoires vont d’abord se restreindre aux
résidences universitaires telle la Maison de la FOM à la cité du
boulevard Jourdan ou la maison de l’Afrique de l’Ouest du 69
boulevard Poniatowski. C’est là que sont tenus meetings et AG, voir
une partie des commissions des congrès. Mais c’est aussi là –et cela ne
date pas de 60- que l’on impose un comité des résidents, que l’ont fait
les grèves de loyer, les occupations de locaux, voir la séquestration du
86
personnel retrouvant ainsi des activités à mi-chemin entre le
corporatiste (mieux être matériel) et le politique (manifestation
contre les incuries des divers gouvernements). Il n’est guère de doute
qu’il y ait eu là un sentiment d’avoir des territoires à soi, en particulier
en région parisienne, où l’on peut manifester, et ce d’autant plus que la
Maison de la FOM, le boulevard Poniatowski et divers foyers sont des
propriétés ou co-propriétés des Etats Africains. Une stratégie qui se
met en place en 68 est encore plus significative de ce fait : ce sont les
occupations d’ambassades dont la liste serait trop longue si elle était
exhaustive : 31 mai 68 : occupation de l’ambassade du Sénégal, 27
novembre 1968, occupation de l’ambassade de Haute-Volta ; 13 février
1969, Sénégal ; 3 et 29 avril 69 : Sénégal ; 10 mai 69, Mali ; 22 mai 69,
Dahomey ; 3 novembre 69 : Tchad ; 7 juillet 70 : Mali ; 29 janvier 71,
Sénégal ; 2 février 71 , Mauritanie ; 9 novembre 1973 : Niger Etc. Il
s’agit bien là d’occupations d’un morceau du territoire national, en
opposition aux actes liberticides de « gouvernements fantoches »,
valets de l’impérialisme. Il y a sans doute là aussi un effet mimétique,
alors même qu’ en 68 la France entière est occupée, dans ses
universités et dans ses usines. Les étudiants africains eux aussi
occupent, la plupart du temps en réaction à un événement intervenu
dans leur pays d’origine.
L’occupation le 29 novembre 1971 des locaux de l’ambassade du
Congo à Paris pour protester contre la fermeture d’établissements
scolaires à Brazzaville ;
L’occupation le 13 décembre des locaux de l’ambassade du Tchad à
Paris pour demander la « démission du chef de l’état tchadien , le
retrait des troupes françaises du Tchad et la réintégration des élèves
renvoyés du lycée de Fort-Lamy ;
L’occupation le 31 décembre 1971 des locaux de l’ambassade de
Mauritanie à Paris pour protester contre la décision du gouvernement
de Nouakchott de rapatrier vingt-six de leurs camarades effectuant
leurs études à Alger ;
L’occupation le 12 février 1972 des locaux de l’ambassade du Niger à
Paris pour protester contre le renvoi d’élèves des lycées de Niamey qui
avaient refusé de reprendre les cours au moment du voyage du
Président Pompidou au Niger ;
L’occupation le 15 mai 1972 des locaux du consulat de Madagascar à
Marseille, par les membres de la section locale de l’AEOM, renforcés
par des étudiants de la FEANF ; »
Par exemple :
« la manifestation du 7 avril 1971 dans le Hall de la Maison
intenationale de la Cité universitaire, 21 boulevard Jourdan à Paris
pour protester contre la dissolution d’association d’étudiants à Dakar ;
Le manifestation du 28 juin 1971 devant l’ambassade du Cameroun
pour exiger la libération des leaders de l’UNEK, Jean-Jacques Ekindi et
Henri Njomgang ;
87
REDÉFINITIONS DES RAPPORTS AVEC LES ÉTATS AFRICAINS
D’une manière générale, les gouvernements africains sont considérés
comme les valets , ou les fantoches , les laquais du néo-colonialisme et
de l’impérialisme. Il y a bien sur quelques exceptions qui changent
avec les régimes : le Mali de Modibo Keita un temps, le CongoBrazzaville de la JMNR. Mais la chute de Modibo comme l’accession au
pouvoir de Marien N’Gouabi change la donne. La FEANF paye très
cher, au sens propre, son opposition aux gouvernements en place. Elle
n’a plus de subventions des Etats. Ceux-ci sont très soucieux de leurs
étudiants, futures élites et vont utiliser toute une série d’armes plus ou
moins efficaces pour les mettre au pas. Ce sera d’abord les demandes
d’expulsion, largement accordées au début des années 60, en
particulier à Houphouët-Boigny, mais, semble-t-il de plus en plus
souvent refusé par le gouvernement français . Il tempère l’ardeur du
gouvernement Ahidjo en 1963, et résiste aux sollicitations de Marien
N’Gouabi en 1970 et d’Eyadema en 1976. Si la création du MEOCAM ,
en 1967, comme contre-pouvoir se traduit également par un échec , il
est d’autres mesures prises par les Etats qui se révéleront plus
efficaces pour venir à bout des résistances étudiantes. C’est
notamment la création d’associations maison comme l’UNECI pour
faire pièce à la très contestatrice AECIF, ou l’Association des étudiants
et élèves du Gabon pour faire pièce à l’AGEG.L’adhésion y est
obligatoire sous peine de retrait de bourses. Et c’est là l’arme suprême
des états africains contre leurs étudiants : la suppression des bourses,
effectives dans bien des cas.
Tout cela va signifier un véritable jeu du chat et de la souris entre les
Etats et leurs étudiants. Quand une association étudiante est dissoute
sur le territoire africain, la section étudiante en France va fonctionner
comme la poche de résistance, et l’organe étudiant d’opposition à
l’autoritarisme du régime. Avec constance, la FEANF s’est toujours
élevée contre les régimes de Parti unique « anti-démocratiques »,
contre une certaine conception de la construction nationale - et a
plaidé pour l’autonomie des organisations de travailleurs, de jeunes et
de femmes, se révélant en cela quelque peu en contradiction avec ses
options marxistes-léninistes. Les étudiants africains font sur le sol
français sur lequel ils restent parfois longtemps l’apprentissage d’une
démocratie qu’ils souhaitent d’une manière ou d’une autre transposer
à l’Afrique. Ils y font, aussi rigides que soient leurs mots d’ordre,
l’expérience du pluralisme. Expérience d’autant plus contradictoire
que le rôle de la France en Afrique – pour ne pas parler de
l’intervention qui a sauvé Léon M’Ba - va évidemment dans le sens du
soutien aux régimes dictatoriaux qu’ils dénoncent. Cela induit, sans
aucun doute, des formes de schizophrénie, dont le cas le plus extrême
est celui des étudiants camerounais, qui disposent d’une relative
liberté sur le sol métropolitain alors même que la guerre coloniale
qu’ils dénoncent a été menée – et est toujours menée avec l’aide de
cette même métropole.
Le résultat de ces mesures de rétorsion , dont la plus commune est
donc la suppression de bourse et la plus radicale, l’interdiction
d’exercer toute profession sur le sol national, voire même dans le cas
de la Guinée, des menaces sur la famille de l’étudiant, a pu avoir trois
résultats distincts : la mise au pas, la ruse, ou la constitution d’une
émigration politique.
La mise au pas, il n’y a pas grand’chose à en dire. L’étudiant-e s’éloigne
de la FEANF et de la section territoriale d’appartenance. Cela explique,
entre autre raison que la FEANF perde des adhérents ; la ruse : c’est le
cas par exemple des étudiants guinéens qui ne renouvellent pas le
bureau de leur association nationale, et fonctionnent ainsi dans une
88
quasi-clandestinité. C’est aussi le cas des étudiants ivoiriens qui
acceptent l’association créée par le gouvernement d’HouphouetBoigny, après dissolution de la leur mais tentent de la noyauter.
L’émigration politique : c’est le cas d’étudiants guinéens par exemple,
privés de bourse , interdits de rentrer exercer dans leur pays et qui
vivotent sur le sol français, tentant tant bien que mal de poursuivre
leurs études avec l’aide de leurs camarades. Je ne sais par ailleurs si le
fonds de solidarité annoncé à plusieurs reprises par la FEANF a
effectivement ou non vu le jour. Néanmoins, diverses formes de
solidarité sont attestées, dont la plus commune est le partage de
logement. Poniatowski et la Cité du boulevard Jourdan sont
surpeuplés, ce qui justifiera aux yeux de l’administration l’intervention
des CRS dans cette dernière en 1972, pour en expulser tous les
habitants.
Ainsi tout au long des années 60 et 70, les étudiants vivent au rythme
de politiques menées à des milliers de kilomètres et auxquelles ils sont
généralement hostiles. Ils restent ainsi étroitement connectées à leurs
nations en construction tout en en rêvant une meilleure : une nation
égalitaire et socialiste, dont le vivre-ensemble reste à inventer, qui
pourrait s’inspirer des modèles soviétiques, chinois, cubains ou
algériens mais trouverait aussi ses propres solutions, son mode d’être
africain. Leur communauté imaginée se situe quelque part entre leur
utopie nationale et leur vie d’opposants politiques. Et c’est le droit de
dire non qui fonde leur identité citoyenne, leur appartenance à cette
communauté imaginée que leur séjour en un pays démocratique rend
aussi possible, alors même que leurs camarades sont arrêtés ou pour
le moins baîllonnés : Communauté imaginée qui mêle dans un même
rêve re-fondateur, marxisme, droits de l’homme et panafricanisme. Se
fabriquer comme citoyen d’un état en fabrication, dont l’existence ellemême n’a tenu qu’au pouvoir de dire non, et ce dans l’exil, sur un sol
démocratique où les voix des étudiants sonnent puissamment en ces
années 60 et 70, est-ce que cela pouvait se faire autrement qu’en
redisant non ? Aurait-on pu vraiment, de loin, participer à la
construction de la nation autrement qu’en s’ opposant? Cela explique
peut-être aussi les très rapides reconversions et volte-face politiques
de certains contestataires, outre bien sur la realpolitik. Quand ils
rentrent sur leur territoire, ils n’ont plus besoin de s’opposer pour
exercer leur citoyenneté. D’une certaine façon, on peut dire que les
étudiants africains en France avaient deux fois des raisons de dire non.
La même raison que celle de toute une génération contestatrice et
mondialisée, et une seconde, complexe et aux multiples facettes,
s’affirmer comme citoyen d’un nouvel ordre politique.
Quelle fut l’influence de la FEANF ? En France même et surtout en
Afrique. L’influence est un concept difficile à utiliser et pour lequel il
n’existe aucun indicateur, sinon un chiffre d’adhésion qui ne dit pas
tout. En 1962, les RG donnent le chiffre de « 2500 adhérents dont 600
actifs ». Les congrès du début des années 60 réunissent jusqu’à 600
personnes mais celui de 1972 seulement 150. Mais l’ aura de la FEANF
allait bien au-delà des seuls cotisants, et son action bien au-delà du
politique . Elle fonctionnait comme une forme de gouvernement
panafricain en exil, comme un centre qui attirait les isolés et les faisait
se sentir moins seuls, cristallisant les affects, que ceux-ci soit d’ordre
nationaliste ou identitaire, étant à la fois syndicat, parti, creuset
culturel , club de rencontre , en un mot mouvement. Et ce mouvement
aida des exilés, qui n’avaient pour certains jamais mis les pieds dans
leur pays devenu indépendant à se nationaliser.
89
Il est certain aussi que dans la plupart des mouvements étudiants qui
eurent lieu sur le continent africain dans les années 60-70, les mots
d’ordre et revendications furent les mêmes que ceux de la FEANF :
soit outre l’établissement des libertés démocratiques , la rupture des
liens institutionnels et organiques avec les anciennes puissances
coloniales, la dénonciation des accords de coopération, la liquidation
de toutes les bases militaires étrangères sur les territoires africains….,
l’africanisation de l’enseignement, etc . Il est certain aussi que
d’anciens de la FEANf jouèrent un rôle majeur dans certaines
révolutions. C’est le cas par exemple au Congo-Brazzaville d’Ambroise
Noumazalaye ou de Pascal Lissouba. Mais il est tout aussi certain que
d’anciens de la FEANF également, tel Ousmane Camara purent rallier
le pouvoir en place dès leur retour, ou dans ce même CongoBrazzaville Lazare Matsocota auquel son ralliement à Youlou couta
d’ailleurs la vie. Au-delà des cas individuels, la FEANF sut organiser
des Universités populaires, des cours de soutien pendant les périodes
de vacances, tout au moins au début des années 60, qui lui gagnèrent
sans doute les cœurs. Et, dans la mesure où le marxisme y faisait
généralement la loi, ses membres surent être des passeurs d’idéologie,
de livres, voire même de méthodes de guérilla, ou d’organisation.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Charles Diané, Les grandes heures de la FEANF, Paris, Chaka, 1990,
190 p
Amady Ali Dieng, Les premiers pas de la Fédération des étudiants
d’Afrique noire en France (1950-1955) : des origines à Bandung, Paris ,
L’Harmattan, 2003
Amady Ali Dieng, Les grands combats de la fédération des étudiants
d’Afrique noire : de Bandung aux Indépendances, 1955-1960, Paris,
L’Harmattan, 2009, 267 p. ;
Fabienne Guimont, Les étudiants africains en France, 1950-1965,
L’Harmattan, 1997
Amadou Booker Sadji, Le rôle de la génération charnière Ouestafricaine : indépendance et développement, Paris, L’Harmattan, 2006,
425 p
Sékou Traoré, La Fédération des étudiants d’Afrique noire en France,
FEANF, L’Harmattan, 1985, 102 p.
Il y a aussi des témoignages d’anciens militants mais qui n’abordent
que peu l’après indépendance : par exemple : Ousmane Camara,
Mémoires d’un juge africain, Paris, Karthala, 2010, 306 p. ou JeanMartin Tchaptchet, Quand les jeunes africains créaient l’histoire : récit
autobiographique, T.2, Paris, L’Harmattan, 2006, 359 p.
QUELQUES SOURCES
Archives nationales :
Sur les étudiants
90
AN-CAC – DOSSIER 960134/17-18
AN-CAC-OCAU – DOSSIER 19780596/42-51
Sur la Maison de la FOM – Résidence Lucien Paye
AN-CAC – DOSSIER 960134 – Occupation de la Résidence Lucien Paye
et DOSSIER 960134/18- sous-dossier Incidents à la Résidence Lucien
Paye
AN-CAC - DOSSIER 19960134/17. Sous-dossier Expulsions à la
Résidence Lucien Paye
1
AN-CAC - DOSSIER 19960134/17. 8 mai 1974, Le directeur de la
Résidence Lucien Paye ….et tout le personnel de l’établissement ont
été séquestrés….
1
Archives de la préfecture de police de Paris
APP- A7, A10
BDIC
Ministère de l’intérieur – Direction des renseignements généraux – Les
étudiants de Madagascar et d’Afrique noire en France, 1961-1967, 1972
PEDRO MONAVILLE. LUMUMBA, MOBUTU, ET MAO: UNE “HISTOIRE
GLOBALE” DU MOUVEMENT ÉTUDIANT CONGOLAIS
Michigan University, Visiting Assistant Professor, Williams College
Proposition de communication
Cette contribution propose une relecture des années soixante au
Congo: une décennie charnière, qui s’ouvrit avec la douloureuse
accession du pays à l’indépendance et se ferma avec le recours à
l’authenticité et la zaïrianisation. Cette période fut celle d’une longue
lutte pour le pouvoir, marquée par l’invention de nouvelles formes
politiques. L’objet de ma contribution est de montrer la place centrale
des jeunes intellectuels et étudiants dans ce processus. L’enjeu est
d’historiciser la postcolonie au Congo/Zaïre. Elle fut moins la simple
expression des lubies et désirs du despote, que le résultat de
négociations, d’emprunts, et de conflits entre différents acteurs
politiques. Par leurs aspirations cosmopolites et leur habilité à
voyager à l’étranger, les étudiants ont joué un rôle important dans
l’internationalisation de la politique congolaise au moment de la
décolonisation.
J’ai abordé les différentes dimensions de l’activisme étudiant congolais
des années soixante dans la thèse de doctorat que j’ai récemment
défendue à l’Université du Michigan (« Decolonizing the University:
Postal Politics, the Student Movement, and Global 1968 in the
Congo »). Au colloque de juillet à Paris, j’aimerais partager certaines
conclusions de ma thèse, et du long travail d’interviews et de
recherches en archives que j’ai conduit au Congo, aux Etats-Unis et
dans plusieurs pays européens. Ma contribution s’articulera sur les
91
relations des étudiants congolais aux trois figures centrales de Patrice
Lumumba, Joseph-Désiré Mobutu, et Mao Tse Toung.
Ma présentation abordera le rôle des jeunes universitaires congolais
dans la « neutralisation » politique puis physique de Patrice Lumumba
au lendemain de l’indépendance. J’expliquerai comment la mort de
Lumumba et son accession au statut de héros anticolonial et
panafricain transformèrent ensuite profondément les étudiants
congolais, en radicalisant leur mouvement. J’évoquerai ensuite les
rapports compliqués des étudiants à la figure de Mobutu, tour à tour
grand frère bienveillant et bourreau de la jeunesse intellectuelle.
Finalement, à travers la figure de Mao, j’aborderai le rapport des
intellectuels congolais aux avant-gardes politiques de l’époque. Pour
conclure, j’insisterai sur le rôle du mouvement étudiant dans le
processus d’invention de la postcolonie et de médiation entre les
champs politiques nationaux et internationaux.
________________________. Les années Lovanium: La première
université francophone d’Afrique subsaharienne. Paris:
L’Harmattan, 2010.
ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
Achille Mbembe. De la postcolonie: Essai sur l’imagination politique
dans l’Afrique contemporaine. Paris: Karthala, 2000.
Pedro Monaville. « The Destruction of the University : Violence, Political
Imagination, and the Student Movement in Congo-Zaire, 1969-1971. » In
The Third World in the Global 1960s, edited by Samantha Christiansen
and Zachary A. Scarlett. New York: Berghahn Books, 2013, p.159-170.
Isidore Ndaywel è Nziem (ed.). L’Université dans le devenir de l’Afrique:
Un demi-siècle de présence au Congo-Zaïre. Paris: L’Harmattan,
2007.
92
VENDREDI 4 JUILLET
Matinée sous la Présidence de Souleymane Bachir Diagne et Malika
Rahal
Atelier 4 : Les voies de la radicalisation
9h30-10h15 :
 « Éradiquons les voleurs » : les élèves de l’école secondaire du
Wolaita contre les élites locales (Éthiopie, 1970) : Pierre Guidi
 De l’université au maquis : trajectoires militantes d’étudiants
pendant la guerre civile ougandaise de 1981-1986 : Pauline
Bernard
10h30-11h15 :
 Radicalisation du mouvement étudiant 1968-1972 : Mohamed
Dhifallah
 De l’université à la rue : le rôle des étudiants tunisiens dans la
révolution de Jasmin : Sofiane Boudhiba
PIERRE GUIDI. « ÉRADIQUONS LES VOLEURS ! » : LES ÉLÈVES DE L'ÉCOLE
SECONDAIRE DU WOLAITA CONTRE LES ÉLITES LOCALES (ÉTHIOPIE, 1970)
Institut
des
Mondes
[email protected]
Africains,
Université
Paris
1,
Proposition de communication
« Pourquoi alors que tous les autres chez eux se battaient pour
leur pays, nous ne le faisions pas dans le Wolaita ? Le voleur, le
pilleur, le juge, l'administrateur, pourquoi il maltraite ? Pourquoi
ils maltraitent nos pères ? Pourquoi ils oppriment ? C'est en
pensant cela que cela s'est réveillé213».
Entre les mois de février et d'avril 1970, une centaine d'élèves
de l'école secondaire de la province du Wolaita, dans le Sud éthiopien,
a organisé une campagne visant, selon leurs propres termes, à
« éradiquer les voleurs ». Dans les premiers jours d'avril, 12 personnes
ont été tuées, 42 grièvement blessées et plus de 80 maisons
incendiées. Il s'agissait, plus précisément, de détruire un système
d'extorsion organisé par des notables locaux, leur clientèle, des
membres de la police et de la justice. Les paysans se voyaient
régulièrement détroussés de leur bétail au bénéfice des « voleurs »,
c'est-à-dire de pillards, de policiers, de juges et de membres
corrompus de l'administration.
213
Saol Aqamo, membre du comité d'organisation de la « campagne
d'éradication des voleurs », condamné à la prison à perpétuité et libéré par le Därg,
entretien, novembre 2010, Boditi, Wolaita.
93
Cette pratique venait se greffer sur un système légal de
domination déjà particulièrement oppressif. Intégré en 1894 lors de
l'expansion qui a donné au pays sa forme actuelle, le Wolaita est une
région semi-périphérique dans l'ensemble éthiopien. Selon John
Markakis : « dépossession de pouvoir, exploitation économique et
discrimination culturelle s'additionnent pour aboutir une forme
sévère de marginalisation, qui caractérise la périphérie214 ». Cette
réalité a été indéniablement celle du Wolaita jusqu'à la chute de Haylä
Sellassé en 1974. En revanche, un semis scolaire relativement bien
développé le rapprochait du centre. Les élèves qui ont organisé la
« campagne d'éradication des voleurs » se situaient dans une position
médiane. Enfants de paysans marginalisés et exploités, leur
scolarisation les destinait à être les futurs exécutants d'un pouvoir
central qui se disait progressiste, les futurs meneurs de la nation.
La « campagne d'éradication des voleurs » visait
directement la classe dirigeante locale et ses pratiques de
pouvoir arbitraires et corrompues. Mais elle ne peut se
comprendre sans être mise en relation avec le mouvement
étudiant éthiopien contre le régime de Haylä Sellasé – alors en
pleine phase de radicalisation – et avec les luttes internationales.
clairement ciblés leurs ennemis – ceux qui maltraitaient leurs familles
– tout en étant animés par la conscience confuse de participer à un
mouvement qui dépassait les frontières de l’Éthiopie.
RÉFÉRENCES
BAHRU ZEWDE (eds.), Documenting the Ethiopian Student
Movement : An Exercise in Oral History, Addis Ababa, Forum for
Social Studies, 2010, 162 p.
BALSVIK, RANDI RØNNING, Haile Sellasie's Students : The
Intellectual and Social Background to Revolution, 1952-1977,
African Studies Center, Michigan State University, 1985, 363 p.
WANNA WAGÄSHO, የ ወ ላ ይ ታ ሕዝ ብ ታሪ ክ , (Histoire du peuple Wolaita),
Addis Abäba, Berhanenna Sälam Printing Press, 2003, 257 p.
Cette communication vise à montrer la manière dont les jeunes
Wolaita ont mené leur campagne à l'articulation d'espaces politiques
pensés ensemble sous forme de cercles concentriques. D'une part, les
rapports de pouvoirs directement expérimentés dans leur région
étaient projetés à l'échelle de la nation. D'autre part, les élèves ont
214
« Powerlessness, economic exploitation and cultural discrimination add up
to a severe form of marginalisation, the defining feature of the periphery » ; John
Markakis, Ethiopia : The Last Two Frontiers, London, James Currey, 2011, p. 7.
94
PAULINE BERNARD. DE L'UNIVERSITÉ AU MAQUIS : LES MILITANTS ÉTUDIANTS
ENGAGÉS DANS LA GUÉRILLA PENDANT LA GUERRE CIVILE DE 1981-1986 EN
OUGANDA
Institut des Mondes Africains, IFRA-Nairobi, IMAF-Université AixMarseille,
doctorante
contractuelle
InSHS/CNRS,
[email protected]
Au début des années 1980, en Ouganda, éclatait la « bush
war », guerre civile qui opposa le gouvernement central à différents
mouvements armés d'opposition : en janvier 1981, après les élections
contestées de décembre 1980 qui portèrent au pouvoir Milton Obote
et son parti l'Uganda People Congress (UPC) dans des circonstances
frauduleuses, certains militants politiques radicaux des partis
perdants des élections (l'UPM et le DP), prirent les armes contre le
gouvernement et établirent des maquis à proximité de la capitale. Sur
le campus de Makerere, la seule université du pays, les militants
étudiants membres ou proches de ces partis d'opposition subirent une
répression féroce : meurtres, disparitions, arrestations, harcèlement.
La lutte politique sur le campus étant rendue impossible, des militants
étudiants choisissèrent alors de passer à la lutte armée, et rejoignirent
les maquis de la guérilla. Nous avons tenté de retracer ces trajectoires
de radicalisation, de la lutte politique vers la lutte armée, et nous
sommes intéressé à leurs expériences et aux relations de pouvoir
internes au sein du maquis. Parmi les militants étudiants qui ont
rejoins la guérilla de la NRA, la majorité sont aujourd'hui décédés, et
les survivants occupent des fonctions politiques ou militaires
importantes, ce qui a rendu difficile la réalisation d'entretiens oraux.
Un seul d'entre eux, John Kazoora, a écrit ses mémoires, qui ont
l'avantage d'être sans révérence particulière vis à vis du NRM
actuellement au pouvoir (contrairement à d'autres mémoires et
biographies des cadres du régime qui participent à la construction
d'un mythe officiel sur l'histoire de la guérilla), car l'auteur est passé à
l'opposition à partir des années 1990. D'autres témoignages existent
sous forme d'entretiens publiés. Nous avons donc utilisé les sources
disponibles émanant de ces étudiants maquisards que nous avons
confronté aux sources (mémoires et entretiens oraux) émanant des
acteurs antagonistes qui les ont fréquenté, à l'université ou dans le
maquis: les militants étudiants qui ont choisi l'exil, les combattants du
maquis d'origine paysanne, et les combattants du maquis issu des
forces armées. Nous avons aussi utiliser des archives de presse,
archives internes des mouvements armés, des pamphlets et des
archives privées d'organisations internationales.
ÊTRE
ÉTUDIANT MILITANT À
M AKERERE
AU SORTIR DU RÉGIME
AUTORITAIRE D 'IDI AMIN
La mémoire militante étudiante de la dictature d'Amin
Si la vie politique estudiantine des années 1960, les « années
glorieuses » de l'université de Makerere, avait été marquée par les
débats d'idées sur le socialisme africain et le panafricanisme215 ;
pendant le régime militaire d'Amin (1971-1979), les étudiants
militants de Makerere étaient davantage préoccupés par leur propre
survie que par leurs positionnements idéologiques et identités
politiques. Avec la militarisation de l'état, un réseau d'agents des
services secrets s'était infiltré à Makerere pour traquer l'opposition.
Les arrestations arbitraires et les meurtres brutaux des leaders
étudiants perçus comme des opposants était chose commune sur le
campus. Les activistes radicaux, menacés d'arrestation, n'avaient pas
d'autres choix que de s'enfuir en exil : « With Amin it was not prison or
215
Carol SICHERMAN, Becoming an African university : Makerere, 19222000, Trenton N.J. : Africa World Press, 2005, 416 p.
95
probably going to answer before the court ; it would mean the end of
your life, they would make you disappear (¡K) Yes everybody feared
for his life » (G. Rubarema, étudiant à Makerere dans les années
1970)216.
Les étudiants ayant étudié à Makerere pendant cette période
ont gardé en mémoire la répression tragique des mobilisations de
l'année 1976 : celle du « mardi noir » (black tuesday) d'août 1976.
L'année 1976 avait été ponctuée de manifestations et boycotts à
Makerere, organisés par des réseaux militants clandestins puisque les
organisations politiques étudiantes avait été interdites sous Amin217.
Ces manifestations exprimaient l'exaspération des étudiants vis à vis
du régime et de la terreur que faisait régner sur le campus les forces
de sécurités gouvernementales depuis plusieurs années. Le vicechancelier de l'université, accusé d'être un agent de l'opposition, avait
été assassiné en 1972, et le président de la république Idi Amin se
nomma lui-même Chancelier de l'université. La National Union of
Students of Uganda (NUSU) puis la Guild, principales organisations
politiques étudiantes218, avait été interdites en 1972 et 1973 (leurs
présidents respectifs avaient dû fuir en exil), la bourse de subsistance,
surnommée « boom » avait été supprimé, et des assassinats et
enlèvements d'étudiants sur le campus avaient été commis par les
216
Gaetano Rubarema, étudiant dans les années 1970, cité par Frederick
Kamuhanda BYARUHANGA, Student power in Africa's higher education : a case of
Makerere University, New York : Routledge, 2006, 180 p.
217
Interdiction du National Union of Students of Uganda en 1972 puis de la
Guild en 1973.
218
La NUSU créé sous le premier régime d'Obote (1962-1971), ciblait les élèves
et étudiants de l'enseignement secondaire et supérieur.
forces de sécurité du régime219. C'est le meurtre brutale d'une
étudiante en 1976 par le tristement célèbre State Research Bureau (les
services de renseignement d'Amin) qui fût la goutte d'eau faisant
exploser l’exaspération contenue des étudiants depuis plusieurs
années. L' ouvrage du chercheur ougandais F. K. Byaruhanga220, très
bien documenté, nous apporte un récit des événements : Après
l'enterrement de la jeune femme, quelques étudiants du Lumumba
Hall, soutenus par des exilés politiques en Tanzanie et galvanisés par
le contexte politique de mécontentement général vis à vis du régime,
commencèrent à planifier une révolte populaire massive contre le
gouvernement militaire dont les étudiants de Makerere auraient dû
être l'avant-garde. Ils organisèrent un réseau clandestin de résistance
et fixèrent la date du début de la révolte populaire au 3 août 1976. La
veille, furent distribué des tracs aux étudiants appelant à la grève
générale, à un nouveau gouvernement pour l’Ouganda : « everybody is
behind us ; the civilians, the police, the air force and non-kakwa
soldiers. All these people are waiting for us to strike », avec un rendezvous donné sur la place centrale de l'université Freedom Square. Le
jour dit, les étudiants se rassemblèrent sur Freedom Square en
chantant des slogans anti-Amin. Le campus fut alors assiégé par les
militaires221. Les troupes chargèrent les étudiants par des tirs de
sommation, et procédèrent a des arrestations massives, emprisonnant
les étudiants dans des casernes militaires222 ou ils furent torturés.
219
Une étudiante kenyanne, Ms. Nanziri, avait été enlevée par le State Research
Bureau et assassinée, puis, un mois après, un étudiant en Droit, Paul Sserwanga fut
tué par balle alors qu'il rentrait la nuit au campus, après une soirée avec ses amis.
220
Frederick Kamuhanda BYARUHANGA, Student power in Africa's higher
education : a case of Makerere University, New York : Routledge, 2006, 180 p.
221
Des troupes sélectionnées parmi les casernes militaires et les unités
spéciales aux plus tristes réputations : les casernes du lubiri, de Makindye, la Public
Safety Unit, les marines et le State Research Bureau.
222
Dans les casernes du Lubiri, Makindye, Bugolobi, Mbuya et Nagulu.
96
L'armée retourna le soir même sur le campus, et envahit la résidence
universitaire Lumumba en y arrêtant les étudiants accusés d'être des
« guérilleros et des agents d’Israël223 ». De nombreux viols furent
ensuite commis par les militaires dans la résidence des étudiantes
adjacente à celle de Lumumba224. De nombreux étudiant(e)s furent
blessé(e)s, traumatisé(e)s par les tortures et les viols, et d'autres
avaient fui en exil. Cet épisode traumatisant fût, selon un étudiant de
cette période : « the only strike during Amin's regime, and actually not
just in the university, but also country-wide. People were too much
scared to rise again225 ».
L'espoir et les aspirations déçues des étudiants après la chute
d'Amin : Les élections frauduleuses de 1980
223
En référence au raid d'Entebbe par les israéliens qui venait d'avoir lieu (3-4
juillet 1976).
224
Les étudiantes de Mary Stuart Hall s'étaient d'abord barricadées et
chantaient aux balcons « Lumumba oye ! Amin zee !». (Vive Lumumba ! À bas Amin ! )
Les soldats envahirent la résidence Mary Stuart et s'adonnèrent à des viols sur les
étudiantes.
225
Frank Byamugisha, un étudiant des années 1970 cité par F. K. Byaruhanga
(2006).
226
Succession de deux président puis d'une commission militaire
227
Le très populaire professeur de sciences politiques Joshua Baitwa Mugenyi,
très populaire au sein des étudiants fît de la propagande pour l'UPM, parlant du besoin
d'une « troisième force », et que les anciens partis étaient sectaires, basés sur la
religion ou l'ethnicité (il devint ensuite le secrétaire de la jeunesse de l'UPM). C'est lui
qui a motivé les jeunes à Makerere à rejoindre l'UPM.
228
John KAZOORA, Betrayed by my leader : the memoirs of Kohn Kazoora, s.n.,
2012, p. 33.
Au vu de la dépression morale et politique des étudiants
pendant les dernières années du régime d'Amin, la chute du dictateur,
le 12 avril 1979 (après l'invasion de la coalition des forces des exilés
ougandais et de l'armée tanzanienne) provoqua sur le campus un
sentiment de soulagement, et de grands espoirs chez les étudiants. Les
étudiants s'imaginaient des opportunités de jouer un rôle dans la
transformation du pays. La politique redevenait le centre des
discussions sur le campus. Après une période de transition politique
instable226, s'organisait en 1980 la campagne électorale pour choisir le
nouveau président ougandais. Elle opposa les deux principaux partis
historiques : le Democratic Party et l'Uganda People Congress de Milton
Obote. Le 4 juin 1980, un nouveau parti radical et progressiste se
formait, le Uganda Popular Movement (UPM), dirigé par le jeune
Yoweri Museveni. Sur le campus, la campagne battait son plein : tous
les partis en campagne organisaient des rassemblements à
l'université. Certains professeurs donnèrent des conférences
politiques227 de soutien à tel ou tel parti. Le jeune leader de l'UPM,
Museveni, organisa des meetings sur le campus de Makerere le 12 juin
et 17 août 1980 : « il était charismatique et populaire auprès des filles
car sur les affiches on pouvait voir qu'il était jeune228 » raconte J.
Kazoora, étudiant à Makerere séduit par l'UPM à l'époque. Ce nouveau
parti aux jeunes leaders progressiste était le plus radical sur la scène
97
politique, et rencontra une popularité auprès des étudiants de
Makerere. Museveni, pendant la campagne électorale, menaçait, dans
ses discours, de prendre le maquis si les élections étaient truquées, « le
genre de politique que les étudiants « enjoy » »229, fait remarquer J.
Kazoora.
Juste avant les élections nationales eurent lieu les élections des
représentants étudiants, pour lesquelles la configuration politique
nationale se reproduisait sur le campus. La vie politique
(organisationnelle) étudiante à Makerere n'etait pas organisée autour
de syndicats étudiants, comme dans les universités africaines
francophones, mais autour de la Guild, l'organisation politique de
représentation des étudiants, dont le « président » était élu
annuellement par l'ensemble de la communauté estudiantine. En
1980, il y avait huit résidences universitaires à l’intérieur du campus
(dont deux résidences de femmes), chacune portant un nom et une
identité bien particulière230. Les étudiants de chaque résidence
élisaient leur représentant (chairman) de résidence. Les candidats
portaient les étiquettes des partis nationaux231, la politique étudiante
etait donc très dépendante de la politique nationale : se reproduisait
alors sur le campus une vie politique nationale « miniature ». Les
campagnes électorales étudiantes rythmaient les années
universitaires, les étudiants participant massivement aux élections de
leur représentants. Un certain nombre d’étudiants firent une
campagne active pour les partis d'opposition, l'UPM et le DP, et se
présentèrent aux élections étudiantes sous les étiquettes de ces partis :
J. Kazoora, par exemple, ayant été séduit par l'UPM, s'engage pour ce
229
idem
230
Linvingstone, Lumumba, Mitchell, Nkrumah, Northcote, University halls et les
deux résidences de femmes Africa et Mary stuart halls.
231
Des candidats indépendants peuvent néanmoins se présenter.
parti et se fait élire chairman UPM de sa résidence universitaire
« Nkrumah ». Les étudiants membres du DP et de l'UPM firent une
alliance et gagnèrent les élections de la Guild et des résidences
universitaires.
Mais au niveau national, ce fût l'UPC d'Obote qui remporta les
élections le 15 décembre 1980, par des manœuvres politiques et
électorales frauduleuses. Quand les étudiants reçurent les résultats
des élections nationales, la Guild des étudiants publia une déclaration
accusant l'UPC d'avoir truqué les élections, déclarant que les étudiants
refusaient les résultats électoraux et ne reconnaissaient pas Obote
comme président de l'Ouganda232. Cette déclaration signait l'arrêt de
mort de la Guild et de son président.
Quelques semaines plus tard, Museveni, comme promis, pris le
maquis et lança sa guérilla en attaquant le 6 février 1981 la caserne
militaire de Kabamba, au Luwero. Cette région rurale peuplée de
paysans baganda avait voté massivement pour le parti d'opposition, le
DP. Évoquant le gouvernement de l'UPC qui a truqué les élections,
l'expression : « They may have the votes but we have the guns »233 en
révélait l'état d'esprit.
La guerre civile : Répression, meurtres, enlèvements et
harcèlements des militants sur le campus
L'armée ougandaise a d'abord riposté aux attaques des
guérillas en février-mars 1981 « en arrêtant des centaines de membres
232
Entretien avec Oloya cité par F. K. Byaruhanga (2006).
233
Dr. Akiiki B. Mujaju, The conquest Syndrome and constitutional Development
in Uganda, paper prepared for a conference on « constitutionalism and political
stability in eastern africa », held in Nairobi, Kenya, January 5-7, 1987 and organised by
African Association of Political Sciences (AAPS).
98
de partis politiques d'opposition »234 et d'autres personnes suspectées
de soutenir les groupes de guérilla, et en tuant arbitrairement des
habitants des régions où avaient lieu les attaques des guérillas. Sur le
campus de Makerere, des étudiants furent aussi arrêtés et
emprisonnés235. Amnesty International évaluait qu'au total, des milliers
de personnes (civiles ou politiques) avaient été arrêtées et détenues
en 1981, et considérait que beaucoup d'arrestations frappaient «
arbitrairement des opposants politiques au régime236». Il y avait
beaucoup de cas de « disparus » : des personnes qui disparaissaient
purement et simplement après avoir été arrêtées par des soldats, dont
on supposait généralement qu'elles avaient été tuées en détention. La
torture était couramment employée dans les casernes de l'armée237.
Sur le campus, depuis l'attaque du 6 février 1981, qui lançait le
début de la guérilla, les militants UPM étaient harcelés par les
mouvements de jeunesse du parti présidentiel, les « UPC Youth
Wingers ». Le commissaire de district de Kampala organisa une
campagne « panda gari » (« saute dans la camion » en kiswahili), une
façon notoire d'identifier les présumés « guérilleros » : Comme les
234
Pendant l'année 1981, une centaine de membres de partis politiques
d'oppostion ont éét arrêtés et fait prosonniers, la plupart du temps sans inculpation ni
jugements : Arrestations en février-mars 1981 de membres de l'UPM (le secrétaire
général du parti Bidandi-Ssali, Rhoda Kalema et Christopher Ojoth début février après
l'attaque de Kabamba, puis de Bakulu-Mpagi Wamala en mars et de dirigeants du DP
dont trois députés (Pr. Yoweri Kyesimira, E. Muzira et Henry Bwamable). Puis en juin
1981 a eu lieu une nouvelle vague d'arrestation de parlementaires de l'opposition.
Ceux qui étaient suspecté de collaborer avec les guérilleros ont souvent été torturé
(comme par exemple Yafesi Sabiti accusé de faire passer des armes clandestinement à
des guérilleros) Rapport Amnesty International 1981-1982 : pp. 85-86.
235
Rapport Amnesty International 1981-1982 : pp. 85-86.
236
Rapport Amnesty International 1981-1982 : pp. 87.
237
Dans les casernes militaires de Makindye et de Kireka, notamment, qui
étaient tristement connues pour les tortures infligées aux civils qui y étaient détenus.
Des centaines de prisonniers civils y ont été tués pendant l'année 1981.
forces de sécurité ne savaient pas qui arrêter, et qui était membres des
partis d’opposition, ils sélectionnaient des étudiants de façon
hasardeuse, les forçaient à monter dans des camions et les
emmenaient dans des « safes houses » de l'armée pour des
interrogatoires ou un nombre d'entre eux disparurent, alors que
d'autres revenaient meurtris et blessés par les actes de tortures238. En
1981, Beatrice Kyomugisha, enseignante à l'université de Makerere fut
arrêtée par les soldats et disparu; Bakulu-Mpigi Wamala, un
enseignant de Philosophie de Makerere fût aussi arrêté et emprisonné
dans la « Cellule de la mort » (Death Cell) des casernes de Makyindye
(il avait fuit le pays en 1976 pendant le régime d'Amin, et était revenu
en 1979 après la chute du dictateur et avait participé à la création du
nouveau parti de l'UPM. Emprisonné et torturé, il réussit à s'enfuir et
publia ensuite un témoignage glaçant de son expérience) 239.
En 1981, le gouvernement organisa la dissolution de la Guild en
utilisant l'armée et les partisans UPC armés de la UPC Youth Wing. La
manifestation, étudiante qui suivie fût réprimée militairement. Si la
presse d'état relaie la propagande du gouvernement en parlant d'une
dissolution de la présidence de la Guild par les étudiants eux-mêmes,
d'autres sources émanant du parti d'opposition DP nous offre un récit
plus proche de la réalité des évenements (Francis Bwengye, avocat,
qui était alors secrétaire général du DP pendant cette période a très
bien documenté ces événements dans un ouvrage pamphlétaire publié
en 1985, The agony of Uganda, from Idi Amin to Obote : repressive rule
238
John KAZOORA, Betrayed by my leader : the memoirs of Kohn Kazoora, s.n.,
2012, 241 p.
239
Témoignage republié par A.B.K KASOZI, The social origins of violence in
Uganda, 1964-1985, Kampala : Fountain Publishers, 1994, 347 p., p. 209-223.
99
and bloodshed240 ; et le président DP de la Guild, Opiyo-Oloya (qui
s'échappa en exil au Kenya pendant les évenements) raconta aussi sa
version dans un entretien publié par F. K. Byaruhanga241) : Le 20
février 1981, Obote invita les étudiants partisans de l'UPC de
Makerere, dirigé par George Kihuguru et certains leaders étudiants, à
le rencontrer à State House Entebbe. Cette rencontre avait pour but de
renverser la Guild présidée par Opiyo-Oloya. Le lendemain, les
étudiants UPC ont saccagé les bureaux de la Guild, et déclarèrent avoir
renverser sa présidence. Le soir du même jour, le ministre de
l’Éducation annonçait à la radio que les bureaux de gouvernement de
la guilde avait été dissout. Une manifestation fût organisée par les
leaders DP / UPM, à laquelle le gouvernement répondit en envoyant
des troupes qui commencèrent à tirer sur les étudiants. Les étudiants
partisans de l'UPC, armés, se sont livrés à la bastonnade des étudiants
de l'opposition, en saccageant leur chambre et en pillant leur affaires.
Cette répression violente des troupes gouvernementales appuyée par
les partisans de l'UPC sur le campus provoqua la fuite de nombreux
étudiants de l'opposition. Kazoora, le représentant UPC de la résidence
universitaire de Nkrumah témoigne :
Nous étions tellement harcelé que moi même et Karuhanga (le
représentant de Northcote hall) se réfugièrent dans l'appartement de
ma sœur à South street. Le président de la Guild Opiyo Oloya (DP) dû
partir en exil alors que Mwalimu Musheshe notre ancien délégué de
classe fut torturé et manqua un an d'études. Rita Musoke la
représentante de la résidence universitaire Africa fut emmené à un
endroit inconnu. Une professeur, Beatrice Bateyo Kemigisha fut capturée
240
Francis A. W. BWENGYE, The agony of Uganda, from Idi Amin to Obote :
repressive rule and bloodshed : causes, effects, and the cure, London ; New York :
Regency Press, 1985, pp. 138-139.
241
F. K. Byaruhanga (2006).
et on ne l'a jamais revu. Joshua Mugenyi échappa de peu à son
arrestation par des militaires venu assiéger son appartement sur le
campus, et s’enfuit en exil à Nairobi »242.
Les groupes de militants des partis d'opposition de l'UPM et du
DP furent complètement désintégrés. Et c'est à partir de ce moment là
que des étudiants décidèrent prendre le maquis : « And this was now
the time when people were running to the bush, like Major General
Mugisha-Muntu, and a number of people, like Brig Tumukunde, Col
Biraro, myself and a number of other colleagues who died243 »,
témoigne J. Kazoora.
LES « INTELLECTUELS » DANS LE MAQUIS
Lorsque les trois militants étudiants J. Kazoora, Benon Biraro
et Abel Karegyesa, fraîchement débarqués de la capitale, arrivèrent au
sein de l'unité maquisarde à laquelle ils avaient été affectés, les
paysans-combattants les reçurent avec excitation, en ne cessant de
répéter : « They have brought us intellectuals ! »244. Au sein de la NRA,
les étudiants diplômés de Makerere ayant rejoint le maquis étaient
surnommés les « intellectuels », dans un sens à la fois admiratif et
sarcastique. Dans le maquis, ils servirent d'abord d'instructeurs
d'éducation politique. L'éducation politique était un des piliers du
mouvement de résistance, et a joué un rôle fondamental pour le
soutien populaire et la victoire du mouvement de guérilla. Mais
l'arrivée de ces jeunes leaders urbains diplômés a aussi suscité des
problèmes internes de rapports de pouvoir au sein du mouvement.
242
243
244
J. Kazoora (2012) : p. 38-39.
idem
J. Kazoora (2012), p. 51.
100
Rejoindre le maquis : « C'est l'oppresseur qui définit la nature
de la lutte »
Pour les étudiants militants, la décision de rejoindre le maquis
fût imposé par la répression. Le militant UPC à Makerere, chairman de
la résidence universitaire « Nkrumah », raconte qu'« une des leçons
que j'ai apprise de tout cet harcèlement de l'UPC, est que c'est
l'oppresseur qui définit la nature de la lutte, et à la fin nous n'avions
pas d'autres alternative que de se résigner à la résistance armée245 ».
Mais concrètement, rejoindre le maquis n'était pas chose facile.
Pour les étudiants qui rejoignirent le maquis de la guérilla, le
ralliement fût un ralliement individuel ou par petit groupe. Il fallait
déjà faire partie des milieux militants pour avoir les informations et
les contacts, savoir où, comment et avec qui rejoindre le maquis. Le
départ pour le maquis était tenu secret, pour éviter des fuites et
dénonciations aux services secrets de l'UPC. A Kampala, la guérilla de
la NRA avait mis en place un réseau de « safe houses », par lesquelles
devaient séjourner les militants désireux de se rendre au maquis. Des
routes étaient établies pour emmener ceux qui voulaient rejoindre la
lutte dans les bases de la guérilla au Luwero246. J. Kazoora témoigne
dans ses mémoires :
Gradually some students left for the bush. Some had completed their
studies while others had not. Thay would not tell you that they were
going because there was a lot of mistrust ; you just heard that they were
in the bush. (¡K) Aronda Nyakairima, a close friend and coursemate told
245
J. Kazoora (2012), p. 44.
246
Eriya Tukahirwa KATEGAYA, Impassioned for freedom, Wavah Books, 2006,
132 p. :Eriya Tukahirwa KATEGAYA, Impassioned for freedom, Wavah Books, 2006,
132 p. p.75.
me he had got a job as teacher in Nairobi and we were shocked when we
later found him in the bush. Some of us decided to take a low profile.247
Le départ au maquis des militants étudiants et amis Henri
Tumukunde, Mugisha Muntu et Jet Mwebaze est renseigné dans la
presse locale248: Militants dans l'opposition à Makerere (UPM),
harcelés par les services de sécurité du gouvernement, ils décident de
rejoindre la lutte armée de la NRA en mars 1981. Les services de
sécurité d'Obote à l'époque furent renseignés sur leur départ
imminent pour le maquis et attaquèrent la « safe house », maison de
transit de la NRA, un magasin à Kampala. Les étudiants échappèrent
de peu à leur arrestation (et à la torture et à la mort), en se faisant
passer pour des commerçants249. John Kazoora, victime du
harcèlement et des menaces de morts de la part des étudiants du
mouvement de jeunesse du parti au pouvoir (UPC youth wing), décide
de prendre le maquis et de rejoindre le mouvement de guérilla de la
NRA en 1982. Il raconte la façon dont il a décidé de rejoindre le
maquis : Il a fait un pacte avec deux autres étudiants et amis militants
(Benon Biraro et Abel Karegyesa) se promettant rejoindre la lutte de
libération, et que si l'un d'eux se défile ou trahit les autres, ceux qui
survivrons s’occuperont de son cas par n'importe quel moyen250.
Les « intellectuels » affectés à l’Éducation politique
Au sein de la NRA, les étudiants de Makerere débarquant de la
capitale pour rejoindre le maquis furent d'abord affectés à l'éducation
politique de la branche politique du mouvement, en tant
247
J. Kazoora (2012) p. 41.
248
The citizen, 08/03/1981. (Le journal d'opposition The citizen, proche du DP,
est censuré au cours du même mois)
249
Entretien avec Salongo Massengere, ancien combattant de la NRA, Kampala,
25 septembre 2011.
250
J. Kazoora (2012) : p. 45-49.
101
qu'instructeurs (commissaires politiques) auprès des membres de la
NRA des branches militaires et politiques. Pecos Kutesa, commandant
de la NRA, explique la promotion des « intellectuels » au rang de
cadres pour l'éducation politique :
In order to introduce effective political education in the army, the CHC
(le Chairman of High Command, Y. Museveni) introduced the rank of
cadre. A cadre was a person who understood what that war was all
about, why it was being fought, how it would be won, and was able to
explain all this to anyone. A cadre was someone who understood the war
strategy and tactics and was able to defend the cause with his own life.
Hence, ideally a cadre had to be a good combatant with leadership
potential. The group best suited for this rank, according to the CHC, were
the intellectuals. The university students and graduates could easily
articulate the cause to the masses. Most of the elite civilians were made
cadres251.
L'éducation politique était organisée à différentes échelles : il y
avait d'une part l'éducation politique pour les combattants
(majoritairement des paysans baganda), donnée au sein des camps
d'entraînement. Cette éducation politique destinée aux combattants
consistait principalement à enseigner la stratégie et les tactiques de la
« Guerre Prolongée du Peuple » (Protracted people's war252 ), le type
de guérilla défini par Mao Tse Tung, qui a été pratiqué à maintes
reprises lors de guerres de libération nationale. Son contenu a été
reproduit dans l'organe de propagande clandestin du NRM pendant la
251
Pecos KUTESA, Uganda's Revolution 1979-1986 : How I saw it, Kampala :
Fountain Publishers, 2006, p. 122.
252
National Resistance Movement Secretariat, 1985, Selected articles on the
Uganda Resistance war, NRM Publications, Kampala, 87 p. ; National Resistance
Movement Secretariat, 1990, Mission to Freedom : Uganda Resistance News 1981-1985,
Directorate of Information and Mass Mobilisation, NRM Publications,Kampala, 344 p.
guerre civile, les Uganda Resistance News253 : dans le premier numéro
d’août 1981, un article de Y. Museveni « The Progress of the People's
War », sous forme de leçon, simplification directe des textes de Mao de
mai 1936, De la guerre prolongée254 y expliquait la « stratégie » choisie
pour la lutte. Museveni s'y révélait un instructeur méticuleux de la
méthode maoïste : « La stratégie de l'Armée de Résistance Nationale
(NRA) (¡K) est celle de la “guerre du peuple prolongée255” ». L'article
de Museveni d'août 1981 est un calquage en bonne et due forme des
textes de Mao256. Au cours de chaque phase de la guerre de 1981-1986,
Museveni s'efforça d'ailleurs scrupuleusement de justifier toutes les
évolutions pratiques de la guerre par rapport à la théorie maoïste257.
Pecos Kutesa, qui était alors commandant dans l'armée de la guérilla,
témoigne de cet apprentissage lors des cours d'éducation politique :
Political education proved very valuable to us in the long run although
some of us initially rejected it. It was during those political lessons that
253
Y. Museveni, août 1981, « The Progress of the People's War », Uganda
Resistance News Vol. 1, N°1, reproduit dans : Y. Museveni, 1985, Selected Articles on
the Uganda Resistance War, NRM Publications, pp. 8-23.
254
Mao, 1936, Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine
(Décembre 1936), in Chaliand G., 2002, Mao stratège révolutionnaire : Textes choisis,
pp. 52-56.
255
« Protracted People's War » : on peut aussi traduire par « guerre de partisans
prolongée ».
256
Mao l'avait divisée en trois phases : la guerre de guérilla, la guerre mobile, et
la guerre conventionnelle. Dans le même article, Museveni justifie la stratégies choisie,
la « guerre de peuple prolongée », dans la situation ougandaise : celle des « forces
populaires » car « supportées par les masses » contre un pouvoir « impopulaire »,
« local », commençant « avec de faibles unités militaires en termes de nombre,
armement et organisation ». Cette « guerre populaire prolongée » se fera en « trois
phases » : la « guérilla », la « guerre mobile », et finalement la « guerre conventionnelle
(ou régulière) ».
257
Passage de la « guerre de guérilla » à la « guerre mobile » lorsque la NRA
perdit le contrôle du Luwero, puis passage à la « guerre régulière » quand ses troupes
avançaient sur Kampala en 1986.
102
we learned of a new phenomenon called the people's protracted
war. This was very different from what we had been introduced to in our
recruitment and the military academies we had attended. This was a
war with no beginning and no end. It was a war which did not have
communication lins and a logistical chain-war with no defined duration
258.
En effet pour tous les anciens combattants que nous avons interrogés,
issus des milieux paysans et de faible niveau scolaire, la stratégie de la
« guerre du peuple prolongée » est un leitmotiv.
D'autre part, il y a avait les séminaires d'éducation politique
pour les cadres politiques de la NRA : ceux qui étaient en charge de
mobiliser la population et d'organiser les conseils de résistances259 de
civils dans les villages. Ces cadres politiques préalablement formés par
les cadres instructeurs politiques (majoritairement des étudiants de
Makerere) effectuaient la propagande politique destinée aux civils. Le
commissaire politique de la NRA, E. Kategaya, responsable du travail
de « politisation » explique que « l'éducation politique consistait à
expliquer à la population les raisons de la lutte, et la stratégie choisie.
Il s'agissait d'expliquer comment une armée hétéroclite faite de
groupes disparates espérait attaquer une armée conventionnelle et se
battre contre un gouvernement qui disposait d'une armée massive et
de nombreuse ressources »260.
258
P. Kutesa (2006), p. 123.
259
Sur les conseils de résistance, voir la thèse de doctorat de Tidemand P. J.
(1995), The resistance councils in Uganda: a study of rural politics and popular
democracy in Africa, Université de Roskilde , Danemark, 258 p.
260
Eriya Tukahirwa KATEGAYA, Impassioned for freedom, Wavah Books, 2006,
132 p.
Les étudiants de Makerere donc furent surtout affectés à la branche
politique du NRM (le Conseil National de Résistance, était organisé en
comités : comités des finances, du ravitaillement, politique,
diplomatique, de la propagande). La fonction de « Commissaire
politique » est un emprunt à la stratégie maoïste261. L’existence de ces
cadres et leur comportement était très important pendant la lutte ; car
d'eux dépendait le soutien des masses262. Les comités politiques
étaient chargés, au niveau local, de « politiser les masses », et de
recruter des volontaires. Eriya Kategaya (qui était commisaire
politique de la NRA) explique en quoi consistait le travail de
politisation au sein des comités politiques:
Explaining the strategy of the war, the strength of our enemy, our
strength, and so on. It was during this time that we started establishing
political committees to support the army. (...) We (would) go and do
political work, hold rallies, talk to wananchi (ordinary people) and
convince them about our struggle.(...) Our meeting were like any other
political rallies. We would have meetings and songs, followed by the
traditional hospitality of meals263.
261
La Chine révolutionnaire avait institué (à l’instar des bolcheviques) le corps
des commissaires politiques, qui veillaient à ce que les rapports de force entre les
forces armées et la population soient les plus harmonieux possible. Mais plus
directement, l'organisation en comités, et les fonctions de commissaire politique sont
d'abord une reproduction du modèle observé dans la guérilla du Frelimo
mozambicain, au sein de laquelle avait été formé Museveni et le groupe du Fronasa,
noyau de la NRA. Voir Munslow B., 1983, Mozambique: the revolution and its origins,
Longman, Londres, 195 p.
262
Sur les commissaires politiques dans la stratégie maoïste, voir Chaliand G.,
2002, Mao stratège révolutionnaire, Ed. Du Félin, Paris, 253 p.
263
Eriya Tukahirwa KATEGAYA, Impassioned for freedom, Wavah Books, 2006,
132 p. E., 2006, Impassioned For Freedom, Wawah Books Ltd, Kampala, 132 p.
103
Sur l'éducation politique, le Capitaine Sula, qui était leader de
la branche politique de la NRA en charge d'un conseil de résistance
local de la région de Semuto et du « food and uniforms comitee »
témoigne : « The first eduction seminar was in Bulumba in Kanyanda. I
went there. It was not residential. We used to go there, spend a day,
and come back. We got lectures. How to lead the people, the purpose
of our struggle, how to be patient, etc.. It was only for the leaders, not
the common fighters. [For the common fighter], military training and
political education was from their camp ».
much anyway »267. Car cela n'était pas la préoccupation principale
pour les leaders de la NRA, pour qui les empreints aux théories
progressistes, et particulièrement à Mao Tse Tung, représentaient
plutôt une boite à outil de stratégie militaire, qu'un véritable objectif
de construction d'un monde socialiste. Comme le révèle bien
l'utilisation de l'expression de Museveni « the proof of the puding in in
the eating268 », pour expliquer son choix de la guerre populaire
maoïste : c'est l'aboutissement final, la victoire militaire et la prise du
pouvoir, qui importait plus que les moyens pour y parvenir.
Si l'éducation politique avait donc pour but principal
d'apporter un cohésion tactique et idéologique à la guérilla et de
mobiliser les masses populaires, les séminaires d'éducation politique
comportaient aussi un niveau plus philosophique, sur la façon dont la
société devrait être gouvernée264. Il y a eu des tentatives d'initiation
aux théories marxistes de la part des instructeurs265, qui étaient des
jeunes panafricanistes aux idéologies progressistes (un bagage
idéologique syncrétique qui piochait parmi les lectures marxistes,
maoïstes et nkrumahistes) mais elles n'ont pas eu grand écho auprès
des paysans conservateurs et royalistes du Luwero266 comme en
témoigne un paysan-combattant vétéran de Makulibita: « They would
tell us communist ideas, but ¡K for exemple, land. For us, land which is
kabaka's land (terre du roi), it's already for everybody so... (laughts)
those things, we didn't really get convinced... But they did'nt insist
Les « intellectuels » de Makerere eurent donc un rôle signifiant
dans la réussite des activités de formation politique des combattants
et de mobilisation des masses, mais leur position de cadres politiques
suscita des conflits de pouvoir internes au mouvement.
264
Yoweri Kaguta MUSEVENI, Sowing the Mustard Seed : The Struggle for
Freedom and Democracy in Uganda, London : Macmillan, 1997, 224 p.
265
Entretien avec, El Hadj Abdul Nadduli, ancien membre de l'aile politique de la
NRA, Chairman NRM du district du Luwero et de la région du Buganda,Wobulenzi,
Luwero, 24 septembre 2011.
266
Entretien avec Salongo Massengere, ancien combattant de la NRA, Kampala,
25 septembre 2011.
267
Entretien avec Robert Kibuyo, ancien combattant de la NRA, Makulubita,
août 2011.
268
Yoweri Museveni à propos du choix de la stratégie maoïste de la « guerre du
peuple prolongée », en août 1981 (Uganda Resistance News) : Proverbe anglais
signifiant que la vraie valeur de quelque-chose peut être jugée uniquement à partir de
l'expérience pratique ou des résultats et non pas à partir de l'apparence ou de la
théorie (Museveni Y., 1985 : p. 22).
Le conflit entre les paysans-combattants et les « intellectuels »
au sein du maquis et l'idéologie de la NRA sur
l' « intellectualisme »
Il s'était développé au sein des combattants de l'armée rebelle
une hostilité envers les diplômés de Makerere. Les combattants
entraînés et expérimentés au combat voyaient d'un mauvais œil de
devoir être formés par des jeunes étudiants débarquant de la capitale
sans aucune expérience de combat sur le terrain : « The combattants
who were already soldiers had a low opinion of these Makerere
graduates. They thought that the graduate from Makerere (abasoma)
104
could not fight but were just trying to take over leadership » (E.
Kategaya, commissaire politique)269. Pecos Kutesa, qui était un cadre
militaire de la NRA aborde le conflits entre les « intellectuels » et les
« paysans-combattants » :
The most disturbing group was the university students who has deserted
the campus to join the bush fighters. Some former guild student leaders
assumed that because of their academic superiority, they would
automatically be the leaders of the rebel group. The intellectuals, as they
were called, could not imagine how a peasant who even had no shoes on
his feet could order them to fall in line. « We have led hundred of
university students » they reasoned. « How can we take orders from
people who cannot even write their own names ? » they wondered. The
bush corporals and sergeants just told them off : « You have been leading
people armed with plates and cups and at the worst books ! But here we
are armed with guns and bullets and bombs, so your qualifications are
imaterial 270.
Les étudiants arrivés après ce conflit ont fait l'expérience de cette
hostilité envers leur statut d'« intellectuels ». Des anecdotes racontées
dans les mémoires de Kazoora sont révélatrices : les premiers jours de
son arrivée dans le maquis, le commandant qui les accueille leur
rétorque qu'il est très déçu des « intellectuels », car un « intellectuel »
qui venait également de l'université de Makerere avait harcelé une fille
du village. Le jour suivant, lorsque Paul Kagame (qui était agent de
renseignement de la NRA) les appelle et leur prend leur carte
d'identité, quand les étudiants demandent quand pourront-il les
récupérer, il répond : « Why do you need ID ? Don't bring your
269
132 p.
270
Eriya Tukahirwa KATEGAYA, Impassioned for freedom, Wavah Books, 2006,
P. Kutesa (2006) : p. 117.
intellectualism here ». De son point de vue de commandant issu d'une
formation militaire, Kutesa évoque également la « guerre froide »
entre les « paysans entraînés » et les « intellectuels arrogants qui
n'avait jamais tiré une balle et ne s'étaient jamais fait tiré dessus par
l'ennemi »271 .
Il faut souligner l'origine sociale des étudiants ayant rejoint le
maquis. Les étudiants admis à Makerere, la seule et unique université
de pays (en 1981/1982, Makerere avait admis 1967 nouveaux
étudiants272), étaient ceux dont les familles avaient pu financer leur
scolarité dans les meilleurs écoles secondaires du pays. Et parmi eux,
la frange des militants prenant part aux activités politiques et élu
comme représentants, étaient destinés à devenir les futures élites
politiques du pays. Cette « arrogance » des diplômés de Makerere au
sein du maquis, et leur sentiment d'appartenir à une classe supérieure
n'était pas uniquement un fantasme, comme l'illustre une anecdote
racontée par l'un d'entre eux, John Kazoora dans ses mémoires :
« Nous étions insupporté par le régime alimentaire (dans le maquis).
La nourriture était servie dans un bidon coupé en deux et tout le
monde devait manger dedans (¡K) Donc un jour, Birari, Karegyesa,
Gariyo et moi-même (tous issus de Makerere) décidèrent d'avoir notre
propre bidon car nous ne voulions pas nous mélanger avec le « dirty
people ». Nous avions toujours cette « Makerereness » en nous »273.
Pour remédier à ce conflit qui minait la cohérence du mouvement,
les cadres de la NRA décidèrent que quiconque rejoindrait le maquis
devrait s'entraîner et apprendre comment combiner l'éducation
271
P. Kutesa (2006) : p. 122.
272
Carol SICHERMAN, Becoming an African university : Makerere, 19222000, Trenton N.J. : Africa World Press, 2005, 416 p.
273
J. Kazoora (2012), p. 53.
105
politique et l'expérience du combat : « We explained the importance of
political education. At the same time, the Makerere graduates started
participating in the combat exercises »274. Pour les étudiants
rejoignant le maquis à partir de l'année 1982, ils commençaient
immédiatement à leur arrivée l'entraînement commun à tous les
jeunes recrus de la guérilla indépendamment de leur origine sociale, et
qui était composé d'exercices militaires tel que démontage et
assemblage des fusils, les techniques de campagne, le maniement des
armes, le tir, la carte et de la boussole, l'entraînement physique et des
sessions politiques en swahili. Les « intellectuels » n'étaient plus
nommés directement cadres ou commissaires politiques sans s'être
entraînés ou avoir expérimenté le combat. Par exemple, dans les
premiers temps de la guerre, Henri Tumukunde, qui était militant UPM
à Makerere avant de rejoindre le maquis était un mitrailleur (machine
gunner). Il est finalement devenu ensuite l'un des officiers supérieurs
de l'armée rebelle. Le modèle à suivre pour les « intellectuels » de la
NRA, emprunté au langage révolutionnaire de Samora Machel, leader
du FRELIMO au Mozambique, était de commettre un « suicide
intellectuel »275, qui consiste à perdre son « arrogance »276 en oubliant
tout le confort passé et de vivre avec son peuple l'expérience de la
faim, de la maladie et de la souffrance nécessaire à la libération du
peuple277. Afin de « dés-intellectualiser » les diplômés de Makerere, on
leur fait subir à leur arrivée des brimades, ou des petites humiliations,
sorte de bizutage. Par exemple lorsque quatre étudiants débarqués au
maquis (Benon Barreau, Abel Karegyesa, John Kazoora et Keeth
Garoyo) rencontrent le Chairman of High Command Y. Museveni, après
274
E. Kategaya (2206), p. 90-91.
275
« commiting intellectual suicide » : P. Kutesa (2006), p. 122-123.
276
P. Kutesa (2006), p. 122-123.
277
J. Kazoora, pendant une session parlementaire en 2005, à propos de John
Garang en même temps « fighter » et « intellectual ».
un petit interrogatoire pour jauger de leur répartie, il ordonne à ses
hommes de les « punir ». Ils se font enlever leur chemise, plaquer au
sol, rouler dans la boue, asperger de cendres et d'eau, puis ordonner
de se tenir au garde à vous dans le froid toute la nuit, l'un d'entre eux
en concluant : « This was certainly part of initiation to remove the socalled intellectualism and face reallity especially obeying orders »278.
Ce positionnement vis a vis de l' « intellectualisme », rappelle
bien sûr le type maoïste de la guérilla, la NRA prônant comme modèle
dominant la figure populiste du paysan en arme du « combattant de la
liberté ». Mais cette attitude à moins favorisé une égalité réelle entre
les combattants issus d'origine sociale différentes, que, finalement,
l'affirmation de la primauté du militaire sur le politique. En 1989,
répondant à un journaliste qui lui demandait s'il se considérait comme
un soldat ou comme un politicien, Museveni répondait : « I'm a
freedom fighter. I would feel insulted if you called me a politician.
Politicians here in Africa do not have a good reputation279». Au sein du
syncrétisme idéologique original qui constitue l' « idéologie du
mouvement », domine un militarisme qui a perduré après la prise du
pouvoir, passant du militarisme non conventionnel (de guérilla) au
militarisme tout court.
Après la prise du pouvoir de la National Resistance Army en
1986, après cinq années de guérilla, s'est opérée la formalisation des
branches militaires et politiques du mouvement NRA/NRM en armée
régulière et parti de gouvernement. Les « dîplomés de Makerere »
survivants qui s'étaient engagés au service de la guérilla furent
promus politiquement et militairement, connaissant une ascenscion de
carrière fulgurante jusqu'à des postes de hauts-fonctionnaires au sein
278
279
J. Kazoora (2012) : p. 54-54.
Interview à State House, Entebbe. Time Magazine, 7-14 octobre 1989.
106
de l'état (ministres, généraux, représentants de l'armée au parlement,
etc.)280. Cela aboutit à la situation paradoxale pour le chercheur en
histoire sociale étudiant les mouvements étudiants (ou les rébellions
armées) de se retrouver finalement à faire de l'histoire des élites
étatiques. Pour contourner ce biais, ainsi que la difficulté d'accès aux
sources (réaliser des entretiens oraux auprès de ces hautsfonctionnaires), s'intérresser à ces acteurs dans le cadre des rapports
de pouvoir et antagonismes internes aux mouvements étudiants ou de
guérilla, en prenant en compte les sources issues des témoins
« subalternes » (les paysans, les vaincus « oubliés » de l'histoire
officielle, les femmes) nous paraît être une alternative pertinente.
MOHAMED DHIFALLAH. RADICALISATION DU MOUVEMENT ÉTUDIANT
TUNISIEN : DU GAUCHISME À L’ISLAMISME (1963-1980)
Université de la Manouba-Tunis, Institut Supérieur d’Histoire
Contemporaine de la Tunisie
La jeunesse a été considérée depuis toujours comme une tranche
d’âge de la vie favorable aux excès et à la radicalisation (281), c’est le
cas de la jeunesse estudiantine tunisienne qui, issue d’une société
sous-développée, elle se croit capable de générer des idées avantgardistes. En Tunisie, le processus de radicalisation du mouvement
étudiant s’est déclenché vers le début des années soixante, avec la
création de la première organisation de la nouvelle gauche ; il n’a
jamais fléchi au moins jusqu’à l’avènement, vers la fin des années
soixante-dix, d’un nouveau courant radical : la mouvance islamiste.
Entre temps, la nouvelle gauche estudiantine s’est transformée elle
aussi en adoptant de nouvelles positions plus radicales. Ce papier se
propose de répondre aux deux questions suivantes : Quels sont les
facteurs à l’origine de la radicalisation du mouvement étudiant et de
son évolution ? Y a-t-il continuité entre les radicaux de gauche qui ont
dominé la scène estudiantine pendant les années soixante et soixantedix et leurs successeurs islamistes?
NAISSANCE ET ÉVOLUTION DE LA RADICALISATION ESTUDIANTINE
Le contexte historique ayant favorisé la naissance de la gauche
estudiantine, se caractérisait par le désenchantement croissant de
l’Etat National après seulement quelques années d’indépendance de la
Tunisie (1956); le coup d’Etat avorté en 1962 en est la preuve : un
280
Sauf pour ceux qui sont passés à l'opposition dans les années 1990.
(281) Anne Muxel, "La tentation des partis extrémistes chez les jeunes", Birgitta Orfali
(Sous la dir.), in La banalisation de l’extrémisme à la veille de la présidentielle :
Radicalisation ou dé-radicalisation ?, Paris : Ed. L’Harmattan, 2012, p. 23.
107
groupe hétéroclite de chefs maquisards, de militants nationalistes de
tous bords et de hauts gradés de l’armée, envisageait en effet le
renversement du régime de Bourguiba. La découverte de cette
tentative de coup d’Etat, puis le procès intenté contre les comploteurs,
en janvier 1963, ont offert l’occasion au régime de serrer les rangs et à
Bourguiba de retrouver sa popularité d’antan (282) ; mais au lieu de
penser à une politique d’ouverture à l’élite et à l’opposition légale, le
gouvernement a décidé d’en finir avec les derniers signes du
pluralisme, procédant ainsi à la suppression de la presse et à
l’interdiction du Parti communiste tunisien (PCT) (283).
Parallèlement, le bureau exécutif de l’Union Générale des Etudiants
de Tunisie (UGET) inféodé au Néo-Destour, devenu désormais parti
unique, a décidé, en février 1963, de dissoudre la section de Paris
dirigée par les étudiants progressistes, de falsifier les élections des
délégués de Paris au 11e congrès de la centrale estudiantine et
d’adopter une nouvelle charte de l’étudiant qui scelle le lien organique
entre l’UGET et le parti au pouvoir (284). Cette série d’événements
reflète les difficultés qu’a rencontrées le gouvernement quant à
l’encadrement de ses étudiants des universités françaises et il ne lui
reste, dorénavant, que l’exclusion des plus actifs. Le parti au pouvoir a
du mal à les attirer ou même à les surveiller, vu leur nombre
important. En 1963-1964 il y avait 2434 étudiants en France contre
(282) Sur ce complot voir entre autres les mémoires de Moncef El Materi, lui-même
condamné à mort puis gracié, sous le titre: De Saint-Cyr au peloton d’exécution de
Bouguiba, T.1, Tunis : Arabesques 2014, pp. 45-194
(283) Sliman Ben Sliman, Souvenirs politiques, Tunis : Cérès Productions 1989, p.353 et
suiv.
(284) Mohamed Dhifallah, "Bourguiba et les étudiants : stratégie en mutation (19561971)", in, Michel Camau et Vincent Geisser (Dir.), Habib Bourguiba : La trace et
l’héritage, Karthala, 2004, p. 319 ; Abdeljelil Bouguerra, Chapitres de l’histoire de la
gauche tunisienne, Tunis : Dar Afaq-Perspectives de l’édition, 2012, pp. 198-199 (en
arabe).
3884 à l’Université de Tunis (285). Outre le nombre, les étudiants
tunisiens en France étaient au diapason des grands courants et des
idées nouvelles ; ils suivaient avec admiration la vie politique
française, alors que dans leur pays, on venait d’instaurer un régime à
parti unique qui étouffe les libertés démocratiques, monopolise la vie
politique et satellise les organisations de la société civile, y compris le
syndicat étudiant.
Après avoir été exclus de l’UGET, les étudiants progressistes
décident de créer, en octobre 1963, à Paris, un nouvel espace de
rencontre et de réflexion, appelé le Groupe d’Etudes et d’Action
Socialiste Tunisien (GEAST), communément connu sous le nom de son
journal Perspectives. Cette nouvelle organisation s’est fixé comme
objectifs : "la lutte pour la démocratie interne au sein de l’UGET, la
campagne de démystification des notions d’union nationale et
d’intérêt général, [et] la rénovation des méthodes d’action syndicale"
(286). Le champ d’action ne se limite plus à la scène estudiantine, il
s’étend à la scène nationale.
Il faut ajouter, qu’en dehors du fait que ses étudiants révoltés
étaient sensibles à la détérioration des conditions sociales des masses
populaires tunisiennes, ils ont été influencés par le contexte
international des années soixante : la révolution cubaine, la lutte antiimpérialiste que ce soit en Afrique, en Amérique latine ou ailleurs, et la
montée du tiers-mondisme. D’ailleurs, les fondateurs du GEAST étaient
des lecteurs assidus des intellectuels et essayistes défenseurs du Tiersmonde. Noureddine Ben Khader, principal chef perspectiviste, par
(285) Jean Perron, L’Enseignement en Tunisie, Paris : La Documentation Française,
1965, pp. 19-20.
(286) Perspectives, n° 1, déc. 1963, "Où en est l’U.G.E.T.", p. 9.
108
exemple, reconnaît que parmi ses lectures des intellectuels comme
Jean-Paul Sartre, René Dumont, Tibor Mende, Jean Despois… (287).
L’histoire de Perspectives pourrait être subdivisée en deux
périodes :
1- 1963 - 1966 : Pendant cette période, le GEAST se présente en
tant qu’avant-garde, c’est-à-dire qu’il met en valeur la dimension
intellectuelle et élitiste mais aussi militante de leur action. Sur le plan
idéologique, ce groupe réunit, au départ, des militants de tendances
différentes, gauchistes indépendants, trotskystes et socialistes arabes
d’obédience nassérienne. Cette diversité n’a pas duré longtemps, car il
semble que les discussions internes avaient abouti à une certaine
homogénéisation idéologique, ce qui a permis à Perspectives de noter
en février 1966 que "la gauche tunisienne est fondamentalement unie
quant à ce qui est de ses options idéologiques. Rares, pour ne pas dire
personne, sont ceux qui mettent en cause leur adhésion au marxisme"
(288). L’autre changement qu’a connu le GEAST, pendant cette même
période, consiste à passer à l’activisme sous l’influence de nouvelles
recrues parmi les étudiants de l’université de Tunis. En décembre
1966, une vague d’agitation frappe le campus universitaire et près de
deux cents étudiants furent arrêtés puis libérés, sauf neuf militants
perspectivistes qui ont été traduits devant la cour avant d’être enrôlés
de force dans l’armée nationale (289). Ce procès annonce une nouvelle
étape dans la radicalisation de Perspectives et du mouvement
étudiant.
(287)
"Nouredddine Ben Khader, entretien", in, M. Camau et V. Geisser (Dir.), Habib
Bourguiba..., op. cit., p. 538.
(288) Perspectives, n° 8, février 1966, "Editorial", p. 5.
(289) Comité International pour la sauvegarde des droits de l’Homme en Tunisie
(CISDHT), Liberté pour les condamnés de Tunis, Paris : Maspero 1969, p. 16.
2-A partir de 1967 : En 1967, la ligne idéologique de Perspectives
fut redéfinie et le GEAST fut réorganisé. Ainsi, les perspectivistes
embrassèrent l’idéologie maoïste, sous l’influence bien entendu de la
révolution culturelle chinoise. En même temps, ils franchirent un pas
vers la construction d’un parti révolutionnaire (290); ils se considèrent
désormais "comme les porteurs de l’idéologie prolétarienne, comme
les défenseurs des intérêts généraux du prolétariat, presque l’embryon
du futur Parti de Prolétariat" (291). C’est dans ce cadre qu’ils ne se
contentaient plus de contester la politique du gouvernement mais se
déclaraient, même, s’attaquer "au système bourgeois en tant que
système" (292). A l’université, ils passent à la mobilisation en réclamant
la libération de leur camarade Mohamed Ben Jennet condamné à vingt
ans de travaux forcés pour avoir participé aux événements de juin
1967. L’apogée de ce mouvement contestataire fut enregistrée en mars
1968. S’ensuivent des dizaines parmi les étudiants traduits par la suite
devant une cour d’exception, la cour de sûreté de l’Etat. Ce procès fut
le prélude d’une série de procès politiques intentés tout au long des
années soixante-dix contre la gauche étudiante. Cette répression
continue finit par affermir le processus de radicalisation du
mouvement étudiant, surtout en le faible impact de l’UGET, qui aurait
pu jouer son rôle d’intermédiaire entre étudiants et responsables
administratifs ou politiques.
UGET : CONTINUITÉ ET RUPTURE
(290) GEAST, Deux années de travail au sein de la classe ouvrière, un premier bilan, Pub.
« Perspectives Tunisiennes » n° 7, 1972, p. 5.
(291) GEAST, A la lumière du procès du GEAST : Les acquis et les perspectives de la lutte
révolutionnaire en Tunisie, Publication Perspectives tunisiennes, n°4, juin 1969, p. 6
(en arabe).
(292) Ibid, p. 6.
109
Bien que les fondateurs de Perspectives aient été déjà exclus de
l’UGET, avant même la fondation de leur nouvelle organisation, ils
étaient restés attachés à ce syndicat ; ils s’engageaient de "mener, au
sein de [leur] Centrale, pour y restaurer une vie et un bilan qui
commencent à lui faire défaut" (293). Parmi les principes fondamentaux
qu’ils ont tracés : "lutter pour réaliser l’autonomie effective du
mouvement étudiant", et "défendre les intérêts matériels et moraux de
tous les étudiants" (294). Mais compte tenu de leur nombre réduit par
rapport aux étudiants destourien, ils n’ont jamais accédé aux instances
dirigeantes de l’UGET dont la direction s’est toujours désolidarisée des
militants perspectivistes objets à arrestations durant les années 1966,
1967 et 1968 ; il y a eu même des dirigeants qui collaborèrent
étroitement avec la police pour arrêter leurs camarades (295). De ce
fait, les relations conflictuelles entre la majorité destourienne et la
minorité perspectiviste au sein de l’UGET, auraient incité cette
minorité à créer ses propres structures de lutte.
En effet, lors du mouvement de mars 1968, les étudiants tinrent au
campus universitaire des assemblées dites "libres" pour discuter et
désigner leurs représentants auprès de l’administration. L’UGET est
ainsi largement dépassée par les événements, même si ces assemblées
libres ne se transformèrent pas en structures permanentes.
18e
Pendant le
congrès de l’UGET tenu à Korba en août 1971, les
étudiants opposants furent à deux pas de la direction de la centrale
estudiantine, lorsque les étudiants destouriens décidèrent un coup de
force leur permettant d’en garder la direction. Un comité
d’information, de cinq étudiants, fut créé afin d’expliquer aux
(293) Perspectives, n° 1, déc. 1963, "Où en est l’U.G.E.T.", p. 7.
(294) Ibid, p. 10.
(295) CISDHT, Liberté pour les condamnés…, op. cit, p. 16.
étudiants et à l’opinion publique les péripéties dudit congrès
revendiquant l’annulation des résultats et la tenue d’un congrès
extraordinaire. En février 1972, un mouvement massif d’étudiants a
tenté la tenue du 18e congrès extraordinaire, avant d’être réprimé et
plusieurs étudiants ont été arrêtés (296). Depuis, l’UGET a perdu de sa
crédibilité de structure représentative des étudiants, lesquels la
qualifiaient de fantoche et sa direction destourienne illégitime.
En janvier 1973, les étudiants opposants ont élaboré ce qu’on
appelle le "programme de 1973" qui prévoit l’élection des structures
syndicales provisoires (SSP), chargées de l’organisation du congrès
extraordinaire de l’UGET (297). Dans un premier temps, le programme
fut approuvé par le gouvernement, et les élections se sont déroulées
avec l’aide de l’administration avant que le gouvernement ne revienne
sur sa position (298). Et pourtant les SSP élues sont devenues le
syndicat réel face à la structure syndicale légale, l’UGET, dont l’absence
enregistrait des répercussions néfastes sur le mouvement étudiant.
C’est dans ce contexte qu’est ainsi né le fameux slogan sur "la rupture
organisationnelle et politique avec le régime". Ce slogan, forgé par les
étudiants de l’extrême gauche, a été adopté par la suite par les
étudiants de la mouvance Islamique.
En effet, ce dernier arrivant sur la scène étudiant adoptait au
départ les mêmes slogans et positions de l’extrême gauche (299). Mais
après la révolution iranienne, il commença à forger sa propre
personnalité, son propre label qui continuait à aller tout de même sur
(296) GEAST, Mouvement de février 1972 en Tunisie : un nouveau bond dans le combat de
la jeunesse intellectuelle, Pub. "Perspectives Tunisiennes", n°8, 1972, p. 15.
(297) UGET, Comité de Section provisoire (Lyon), Documents du comité universitaire
provisoire, tract en 7 pages, s.d, p. 3.
(298) Ibid, p. 3.
(299) Adel Thabti, L’Union générale tunisienne des étudiants, Tunis : Imp. MIP 2011, pp.
67-68 (en arabe).
110
la voie de la radicalisation. En 1980, les étudiants islamistes
manifestaient une position plus radicale en ce qui concerne la crise
syndicale. Ils ont proposé une nouvelle lecture de l’histoire du
mouvement étudiant, selon laquelle l’UGET n’était, depuis sa création à
Paris en 1953, qu’une "cellule du Néo-Destour" dont l’objectif,
pensaient-ils, était de contrecarrer la centrale estudiantine
zitounienne, Sawt Ettalib, et de diviser le mouvement étudiant, ses
motions qui faisaient l’éloge du régime bourguibien en étant la
preuve ! Par conséquent, au lieu de s’attacher au 18e congrès
extraordinaire de l’UGET, les étudiants islamistes réclament désormais
la tenue d’un congrès constitutif d’une nouvelle organisation
estudiantine libre (300). Ainsi, avec la montée des islamistes vers la fin
des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt, le témoin
de la radicalisation passe de l’extrême gauche à l’islamisme. Le
radicalisme n’est plus l’apanage de la gauche estudiantine, qui se
trouve concurrencée dans le domaine par les étudiants islamistes,
même si les objectifs n’étaient pas les mêmes.
Par ailleurs, afin de mieux comprendre les changements qui sont
survenus sur la scène estudiantine, il nous semble plus judicieux de
creuser dans le social. Nous pensons que les origines sociales des
étudiants pourraient éclairer la radicalisation accrue du monde
étudiant pour plusieurs raisons. La première génération de
Perspectives était issue pour la plupart de familles aisées (aristocratie
terrienne, zitounienne…), lesquelles étaient capables d’envoyer leurs
fils poursuivre leurs études dans des universités françaises. Puis, vers
la fin des années soixante, avec l’extension de l’enseignement
supérieur, vint une deuxième génération d’étudiants qui ont
commencé leurs études primaires après l’indépendance et surtout
(300) Ibid, p. 74.
après l’application de la réforme de 1958 dont l’objectif était d’étendre
et de propager l’enseignement dans tous les coins du pays. Ainsi, les
nouvelles promotions qui ont gagné l’université à partir de la fin des
années soixante étaient issues pour une grande partie des régions
rurales. Déjà en 1963-1964, plus de 50% des étudiants de sexe
masculin étaient nés en milieu rural, contre 40% seulement en 19621963 (301). Quant à leurs origines socio-économiques, 27.2% des
étudiants, en 1963-1964, ont leurs pères agriculteurs ou pêcheurs
(302); ceux-ci se sentirent laissés pour compte par le gouvernement
après la mise en place de la politique des Coopératives. La troisième
génération d’étudiants a rejoint l’université à partir du milieu des
années soixante-dix : généralement, ils sont issus de milieux ruraux
modestes, leurs parents sont analphabètes sinon arabophones, et
généralement marginalisés par rapport aux notables locaux. Dans ces
milieux, on s’attache à l’au-delà, et à la langue du coran, l’arabe, d’où la
prédisposition de leurs enfants à rallier les rangs de l’islamisme et du
nationalisme arabe. Notons également, que les étudiants issus de ces
milieux, suivirent des filieres scientifiques et techniques, d’ou ce
phenomene de tropisme des scientifiques pour l’islamisme
phénomène déjà observé dans d’autres pays arabes tels que le Maroc
et l’Egypte (303), alors que les facultés des lettres et de droit étaient
généralement les fiefs des étudiants de gauche. Le conflit, qui opposera
plus tard islamistes et gauchistes dans les années quatre-vingts, est
donc à la fois d’ordre culturel et social. Un conflit qui présentait une
(301) Lilia Ben Salem, "Démocratisation de l’enseignement en Tunisie : essai d’analyse
du milieu d’origine des étudiants tunisiens", RTSS, n° 16, mars 1969, p. 102.
(302) Ibid, p. 110.
(303) Mohammed Boudarham, "Phénomène. Islamistes et scientifiques, pourquoi ils
s’aiment… ", in, Tel quel, n° 414. Disponible au lien suivant (date de visite 10 avril
2014) :
http://www.telquel-online.com/archives/414/actu_maroc1_414.shtml
111
gauche encore plus radicale, suite à la discorde qu’a connue ses rangs
entre nouvelle et ancienne gauche vers la fin des années soixante
RÉVISIONNISTES ET RÉVOLUTIONNAIRES
Au début, Perspectives était ouverte à tous les étudiants quelle que
soit leur idéologie, y compris les communistes. D’ailleurs, elle
entretenait des relations amicales avec eux, et la première grande
réunion du groupe en Tunisie, tenue dans un hameau du Sahel
(Chrahil) en août 1964, a été ménagée par un étudiant communiste de
l’Ecole normale Supérieure de Tunis (304). En 1967 et 1968, les
perspectivistes et les communistes siégeaient côte à côte dans le
comité pour le soutien au Vietnam et le comité pour la libération de
Mohamed Ben Jennet. Le changement commence avec l’adoption du
maoïsme par les perspectivistes, en 1967 ; les premières critiques qui
ont été exprimées concernaient jusqu’alors l’attitude du PCT pendant
les dernières années du protectorat, "les représentants d’alors de la
classe ouvrière, le Parti Communiste et le syndicat qu’il dominait, se
sont avérés incapables de comprendre la nécessité de la lutte antiimpérialiste… ils se contentèrent de petites luttes revendicatives, et ne
purent même songer à mobiliser la paysannerie" (305). Ces
observations peuvent-être partagées par les communistes eux-mêmes.
Les critiques les plus acerbes ont été formulées par la suite,
notamment après le procès des deux groupes en septembre 1968,
procès qui a "démasqué tous les ennemis, aussi bien les prétendus
révolutionnaires que l’ennemi déclaré du prolétariat : la bourgeoisie
(304) Sur cette réunion voir le témoignage d’Ahmed Ban Salah, in, Abdeljelil Temimi
(Sous la dir.), Le rôle politique et culturel des Perspectives et des perspectivistes dans la
Tunisie indépendante, Tunis : Pub. de la Fondation Temimi, 2008, pp. 62-69.
(305) GEAST, Les caractéristiques de la période actuelle du développement de la Tunisie
et les instruments de la révolution arabe, texte préparé pour le colloque d’Alger sur le
socialisme dans le monde arabe (22 mai 1967), p.14.
tunisienne" (306). En fait, les perspectivistes s’en prenaient désormais à
ces deux "ennemis", la bourgeoisie et son "auxiliaire utile", le PCT, qui
"n’a jamais mis en cause le pouvoir de la bourgeoisie, plus même
depuis son interdiction il s’est docilement soumis" ; et d’ajouter que sa
"fonction est de freiner la lutte révolutionnaire, de dénaturer le
marxisme-léninisme, idéologie du prolétariat, et de servir ainsi
objectivement les intérêts de la bourgeoisie"(307). Evidemment, ces
critiques étaient teintées d’une lecture maoïste des visions et
orientations idéologiques des communistes.
En 1970, le journal Perspectives taxe, et c’est pour la première fois,
le PCT de révisionniste et qu’il "n’est qu’un sous-produit du courant
révisionniste qui se développe à l’échelle internationale, contre lequel,
comme le montre la pratique révolutionnaire dans divers pays, il n’est
pas possible de ne pas lutter" (308). En fait, on reconnait ici que
l’attitude des Perspectivistes à l’égard des communistes reflète bien le
conflit entre les deux puissances socialistes de l’époque, l’URSS et la
Chine Populaire dont la rupture atteint, comme on le sait, son point
culminant en 1969 avec des incidents frontaliers entre les deux pays
(309). C’est à cette époque également que les perspectivistes publiaient
une brochure dont le titre est fort significatif : "La voie vers le
socialisme, réponse au révisionniste Harmel". Dans cette brochure, on
accuse le secrétaire général du PCT de "dénonciateur" et d’"agent de la
bourgeoisie" (310), et les communistes de révisionnistes dont il faut
(306) GEAST, A la lumière du procès du GEAST … op. cit, p. 9-10.
(307) Ibid, p. 9.
(308) Perspectives tunisiennes, n° 22, janvier 1970, "La théorie du contenu de l’état des
révisionnistes tunisiens", p. 7.
(309) Gérard Hervouet, "Le conflit frontalier sino-soviétique de 1969", in,
Études internationales, vol. 10, n° 1, 1979, pp. 53-89.
(310) GEAST, La voie vers le socialisme, réponse au révisionniste Harmel, Maspero 1970,
p. 38.
112
montrer "en premier lieu leur trahison et leur abandon du marxisme"
(311).
Les communistes sont également critiqués pour leur "soutien
critique" de la politique coopérativiste suivie par le gouvernement :
"depuis le début de l’année 1969, les révisionnistes tunisiens
entonnent un chant de gloire en l’honneur du gouvernement qui, par
ses ‘réformes progressistes’, tendant à la généralisation des
coopératives, va peut-être franchir une ‘étape irréversible dans la voie
du développement non-capitaliste’" (312). Sur la scène estudiantine, ce
discours condamnant tout avis favorable à la politique
gouvernementale, ne passera sans effet. Parmi les mots d’ordre
scandés ou figurant sur les murs des facultés on peut lire : (Parti
"communiste" destourien) (sic) (313) ; les étudiants communistes
étaient accusés d’avoir tenté de démobiliser les étudiants pendant le
mouvement de février 1972 (314), et de plus en plus marginalisés, voire
interdits d’intervenir dans les meetings.
Les mêmes attitudes envers les communistes ont été reprises, par
la suite par d’autres groupuscules de gauche, tel que Ech-Choola, créé
en 1973 ; leur journal s’en prenait "aux opportunistes droitiers,
révisionnistes et réformistes, qui croient que le mouvement étudiant
doit défendre uniquement les intérêts matériels des étudiants" (315).
On critiquait également leur attitude paisible envers le pouvoir, "ces
opportunistes qui se prétendent ‘communistes’ (en fait révisionnistes
et social-réformistes) ont déployé un zèle énorme au service du
(311) Ibid, p. 4.
(312) Ibid, p. 3.
(313) GEAST, Mouvement de février 1972 en Tunisie … op. cit., p. 8.
(314) Ibid, p. 9.
(315) Ech-Choola, février 1976, "Mouvement de jeunes et mouvement étudiant", p. 13
(en arabe).
pouvoir bourguibiste" (316). Ce discours très violent envers les
communistes reflète en réalité le degré de radicalisation du
mouvement étudiant envers le pouvoir. C’était l’époque où l’on
scandait le slogan de "rupture organisationnelle et politique avec le
régime".
LE POUVOIR COMME CAUSE DE LA RADICALISATION
En l’absence d’opposition politique légale et de presse libre en
Tunisie, les étudiants tunisiens de Paris se sont chargés de combler le
vide, sachant qu’ils ont été eux-mêmes exclus de la centrale
estudiantine. Loin de tout contrôle, leur journal Perspectives, édité à
Paris et diffusé même à Tunis, contribue par ses critiques acerbes
contre le régime à la création d’un climat favorable à la radicalisation.
Ce journal, publié jusqu’en 1972, a été relayé par d’autres journaux
clandestins édités en France, par des groupuscules étudiants, tels que
El-Amel Tounsi (Le travailleur tunisien), Ech-Choola (La flambée)…
La politique d’exclusion et de marginalisation que le pouvoir a
essayé d’imposer au pays, n’a abouti, en fin de compte, qu’à la
radicalisation de la jeunesse estudiantine. Cette radicalisation va en
recrudescence pour durer longtemps. Dès les débuts des années
soixante et surtout pendant les années soixante-dix et jusqu’après, la
scène estudiantine fut l’unique espace où l’on critiquait ouvertement le
pouvoir, ses choix et ses orientations.
D’une façon générale, les critiques formulées à l’encontre du
pouvoir dans les années soixante n’étaient pas les mêmes que celles
des années soixante-dix. Pendant la première période, les
perspectivistes critiquèrent la politique économique coopérativiste
(316) Ech-Choola, "Le mouvement de février, aube d’une ère nouvelle", ronéo, février
1974, 8 p.
113
menée en Tunisie de 1961 jusqu’en 1969, pour démontrer qu’elle n’est
pas socialiste, et que par conséquent ils étaient les seuls capables de
représenter le vrai socialisme.
Rappelons dans ce cadre qu’en octobre 1964, le parti au pouvoir, le
Néo-Destour, changea de nom pour devenir le Parti Socialiste
Destourien (PSD). Le socialisme destourien est désormais la doctrine
officielle de l’Etat tunisien. Dans leurs écrits, les perspectivistes
essayèrent de démontrer que ce socialisme n’est pas "authentique"
parce qu’il "veut ‘socialiser les revenus de la terre, non la terre ellemême’" (317) qu’il "préconise une collaboration entre les diverses
classes sociales…" (318), ce qui veut dire qu’il n’admet pas "la réalité
des luttes de classes" : pour eux, le socialisme destourien se veut
essentiellement empiriste (319).
Quant aux coopératives ou unités de productions agricoles créées
par l’Etat, elles s’insèrent "dans un contexte général de pseudocoopération" (320). Ils estiment que, "la coopérative agricole tunisienne
se soucie peu des égalités des conditions" de ses adhérents,
contrairement, disent-ils, à "la caractéristique fondamentale d’une
coopérative socialiste (qui) réside dans le fait qu’elle regroupe au départ
des adhérents de conditions sociales identiques" (321).
On critique également la politique de planification suivie par l’Etat
parce que "élaborée dans des bureaux, par des ‘technocrates’". Pour les
perspectivistes, "la véritable et unique planification est la planification
démocratique, la seule qui réponde aux aspirations et aux volontés des
(317) Perspectives, n° 4, juillet 1964, "Editorial", p. 2.
(318) Perspectives, n° 5, 1964, "L’U.G.T.T. : L’heure du choix", p. 7.
(319) GEAST, Les caractéristiques de la période actuelle op. cit., p. 7.
(320) Perspectives, n° 1, décembre 1963, " Les problèmes agraires en Tunisie", p. 12.
(321) Perspectives, n° 3, avril 1964, "La coopération agraire en Tunisie (3)", p. 27.
masses populaires" (322). Ces critiques d’ordre théorique et conceptuel
vont disparaître après l’abandon de l’expérience coopérativiste en
septembre 1969; les perspectivistes et les autres groupes de gauche
estudiantine, ne sont plus obligés de polémiquer sur les orientations
socialistes du pouvoir. Leurs critiques porteront désormais sur
d’autres thèmes majeurs tels que la répression qui s’abat sur le
mouvement étudiant, les conséquences négatives du libéralisme
économique, les luttes sociales, les relations extérieures du
régime…etc.
Au niveau politique, le journal Perspectives consacrait des numéros
entiers aux premiers procès intentés contre les membres du GEAST,
respectivement en décembre 1966, juillet 1967 et septembre 1969. A
chaque fois, il menait une campagne de solidarité pour la libération
des condamnés, lesquels furent présentés comme des résistants qui ne
firent aucune concession quant à leurs principes. Et en corollaire, on
condamne la politique répressive du pouvoir, la situation dans les
prisons tunisiennes, la torture, la police parallèle…
Dans les journaux d’El-Amel Tounsi (1969-1980) et Ech-Choola
(1974-1980), publiés en France et diffusés dans les milieux étudiants
tunisiens, les principaux mots-chefs et slogans sont les suivants: « les
grèves ouvrières, les luttes des travailleurs, la cherté de la vie, la lutte
contre la bourgeoisie, la répression fasciste, la montée du fascisme en
Tunisie, l’étouffement des syndicats et des organisations, le
bourguibisme en crise, la résistance des prisonniers politiques,
mobilisons-nous contre la répression, le fascisme dernière arme de la
réaction pour sortir de sa crise, le mythe de l’unité nationale,
Bourguiba valet de l’impérialisme… ». Ces titres montrent le niveau
(322) Perspectives, n° 2, février 1964, "Pour la véritable conversion de la forêt du
Sahel", p. 28.
114
élevé de la radicalisation du discours étudiant. A cette époque, les
étudiants n’étaient pas prêts à concevoir ou admettre une solution de
la crise syndicale, ils n’avaient plus confiance au pouvoir dont la
propagande ne cesse de provoquer et de compromettre les étudiants
aux yeux de l’opinion publique.
CONCLUSION
Née dans le milieu étudiant, la nouvelle gauche restait pendant
près de dix ans le mouvement d’opposition le plus important en
Tunisie ; c’est pourquoi, elle a subi la répression la plus dure et une
justice d’exception aux ordres du pouvoir. Mais si elle n’a pas réussi à
devenir, comme elle espérait, un parti révolutionnaire de masse, c’est
parce qu’elle restait accrochée au milieu étudiant, dirigée par des
étudiants éternels, ce qui lui a permis, par ailleurs, de contribuer
grandement à la radicalisation du mouvement étudiant. Tous les
groupuscules de gauche, nationalistes ou même islamistes, nés dans
les années soixante-dix, n’arrivaient pas à sortir de son sillage. Le
mouvement étudiant était à l’époque le berceau du futur échiquier
politique tunisien des décennies suivantes.
115
SOFIANE BOUDHIBA. DE L’UNIVERSITE A LA RUE : LE RÔLE DES ÉTUDIANTS
TUNISIENS DANS LA RÉVOLUTION DU JASMIN
Université de Tunis
INTRODUCTION
Le 14 janvier 2011 fera certainement date dans l’histoire
moderne du monde arabe et africain. Pour la première fois dans un
pays arabe et africain, un « Président-dinosaure » est chassé par son
propre peuple : c’est la Révolution du jasmin. Deux semaines plus tard,
l’Egypte engagera avec le même succès son propre mouvement
révolutionnaire. Depuis, de nombreux pays nord-africains ont été
secoués par un intense mouvement de rébellions populaires. Cet
article s’attache à explorer le rôle des étudiants dans ces mouvements
populaires. Il s’intéressera plus particulièrement au cas de la Tunisie.
La réflexion s’articulera autour de trois grandes parties. La
première montre dans quelle mesure les étudiants, en s’appropriant la
rue, ont effectivement largement contribué à initier, porter puis
achever la révolution en Tunisie. Il s’agira ensuite de comprendre
quelles étaient les besoins et les préoccupations majeurs des étudiants
dans les mouvements de contestation : avaient-ils une idéologie, ou
étaient-ils de simples « soixante-huitards » ? La troisième partie de
l’article se propose d’examiner le rôle des étudiants dans la phase de
transition démocratique et de construction d’un nouvel ordre
politique dans le pays. Ce sera également l’occasion de voir dans quelle
mesure les gouvernements de transition ont mis en place des
mécanismes pour mieux intégrer les étudiants tunisiens dans la
société postrévolutionnaire (changement des programmes à
l’Université, stratégies d’emploi pour les jeunes diplômés, consultation
des syndicats d’étudiants,…).
1. LES ÉTUDIANTS AU CŒUR DE LA RÉVOLUTION DU JASMIN
Il faut reconnaître aujourd’hui que les jeunes ont été les
premiers à descendre dans la rue, et ont de ce fait largement contribué
à initier, porter puis achever la révolution en Tunisie. Parmi ces
jeunes, on avait noté la présence de nombreux étudiants. Il est vrai que
les mouvements de contestation ont toujours existé au sein des
universités tunisiennes, dans lesquels les grèves étaient asses
courantes, pour dénoncer les dérives du régime de Ben Ali.
A. Les syndicats étudiants
Les universités étaient ainsi considérées comme des creusets de
contestation, les étudiants étant généralement affiliés à l’un des deux
syndicats étudiants, si fortement politisés qu’ils étaient davantage
assimilés à des partis politiques qu’à des syndicats : l’UGTE (Union
Générale Tunisienne des Etudiants), de tendance islamique, ou l’UGET
(Union Générale des Etudiants Tunisiens), de gauche. Certains
étudiants, plus rares étaient de mouvance marxiste-léniniste.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une police universitaire
avait été créée dans les années 1990, et ne sera démantelée qu’aux
lendemains de la révolution tunisienne. Cette police particulière était
officiellement chargée de maintenir l’ordre et éviter les crimes à
l’intérieur des enceintes universitaire. En réalité, cette force de police
particulière avait pour mission de renseigner les mouvements hostiles
au régime, et si besoin incarcérer les étudiants leaders des
mouvements de contestation.
116
B. Les étudiants dans la révolution
Les étudiants tunisiens sont assez discrets pendant les
premiers jours des troubles qui secouent le pays, car nous sommes en
pleine période de vacances scolaires. Les universités sont alors
fermées, et les étudiants dispersés dans leurs foyers respectifs. Mais
alors que les affrontements se poursuivent à l’intérieur du pays, à Sidi
Bouzid et Kasserine notamment, après deux semaines de vacances, la
rentrée scolaire du 3 janvier va donner un nouveau souffle au
mouvement de contestation populaire323. En effet, des milliers de
lycéens et d’étudiants vont spontanément rejoindre les manifestants,
dans les rues.
Le dimanche précédent la rentrée, des appels à manifester sont
relayés sur Facebook et Twitter auprès de la communauté des
étudiants, afin qu’ils manifestent leur solidarité avec le mouvement de
contestation. Des vidéos, des images et des témoignages sont partagés.
Les étudiants, qui maitrisent bien les réseaux sociaux, sont ainsi
mobilisés dès avant leur retour à l’université. Par ailleurs, une fois sur
place, ils vont discuter directement et s’encourager mutuellement,
créant un mouvement qui n’est pas sans rappeler mai 1968.
Désormais, les étudiants sont systématiquement présents dans
les manifestations qui secouent l’ensemble du pays. Leur présence est
d’autant plus encouragée par le fait qu’ils sont en vacances, et que de
plus les universités annoncent qu’elles n’ouvriront pas en ce débit de
janvier, étant donnée la situation alarmante du pays. Dans certaines
manifestations, ils sont même majoritaires, comme en ce 3 janvier
2011, lorsque 250 étudiants manifestent à Thala contre le chômage et
la hausse du coût de la vie. Ils défilent en soutien aux manifestants
de Sidi Bouzid, et sont violement dispersées par la police. Ils font ce
Lecomte Romain, Révolution tunisienne et Internet : le rôle des médias sociaux, in
L’année du Maghreb, VII, 2011
323
que personne d’autre n’vait osé faire auparavant : ils mettent le feu au
bureau régional du RCD (Rassemblement Constitutionnel
Démocratique), le parti unique au pouvoir. Le 10 janvier, les étudiants
de l’Université El Manar à Tunis manifestent, et la police anti-émeute
assiège l’université, où plusieurs centaines d'étudiants se sont
retranchés. Les cours sont suspendus, les universités ferment leurs
portes à peine ouvertes, et les examens du premier semestre sont
ajournés.
2. LES PRÉOCCUPATIONS DES ÉTUDIANTS
Après avoir constaté la forte implication des étudiants
tunisiens dans la révolution, et notamment dans sa deuxième phase,
nous allons tenter à présent de voir quels mobiles les poussaient à
risquer leurs vies dans les rues.
A. L’éducation
Les 300 000 étudiants tunisiens constituent une souspopulation fortement éduquée. Paradoxalement, ce niveau d’éducation
élevé va poser un sérieux problème au régime en place, et être à
l’origine de leur mouvement de contestation. En effet, les étudiants
sont capables d’émettre des raisonnements complexes, peuvent mener
une analyse cohérente des discours politiques, et d’une manière
général ont la capacité de comprendre que leurs dirigeants politiques
ont engagé le pays sur la mauvaise voie. Alors qu’une population
illettrée acclame le dictateur qui les affame, les intellectuels sont plus
aptes à réagir.
Par ailleurs, ce qui distingue l’étudiant des « anciens
étudiants », c’est-à-dire ceux qui, après avoir fréquenté l’université,
sont aujourd’hui employés, c’est précisément la fait qu’ils ont « envie
de révolutionner le monde ».
117
B. Internet
En Tunisie, Internet a connu un énorme succès, et la plupart
des foyers ont un accès direct ou indirect (via les cybercafés, très
populaires) à Internet. Le tunisien est un grand amateur de Facebook,
qui a joué un rôle central dans l’organisation des grands
rassemblements.
Les étudiants tunisiens, en particulier, sauront faire usage des
TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) pour faire
chuter le régime de Ben Ali. En effet, ils ont acquis - ou sont en train
d’acquérir - une bonne connaissance des techniques informatiques,
des réseaux sociaux, de la langue anglaise, autant de savoir-faire qui
lui permettra de participer pleinement à la révolution tunisienne, que
l’on a souvent qualifiée de « révolution 2.0 », pour le rôle majeur joué
par Internet, et en particulier facebook et twitter.
Or, les forces de police tunisiennes ont pris l’habitude de
contrôler les petits rassemblements publics dans les cafés et les
mosquées, avant qu’ils ne prennent de l’ampleur, mais ont eu
apparemment de grandes difficultés à déjouer les « e-rendez-vous ».
C. Les rassemblements
Les étudiants constituent un groupe social particulièrement
solidaire et cohérent, capable d’engager une action commune. A
l’image de certains insectes, tels que les fourmis ou les abeilles, ils
peuvent se concerter, prendre une décision commune, malgré la
diversité des avis, et surtout ils sont capable d’agir en commun. Les
étudiants tunisiens étaient donc un groupe qui avait le mérite de
mobiliser.
Par ailleurs, les étudiants sont par définition un groupe très
nombreux, et c’est dans ce contexte qu’ils ont assuré le « deuxième
souffle » de la révolution, à l’occasion de la rentrée universitaire. Le
Président Ben Ali l’avait bien compris, en décrétant la fermeture de
tous les établissements universitaires du pays.
D. L’emploi
Les étudiants ont été fortement mobilisés, car interpelés par le
suicide spectaculaire de Mohamed Bouazizi, jeune diplômé au
chômage. Il est vrai que, en 2009 le taux de chômage des diplômés de
l’enseignement supérieur a dépassé 36% au Kef, à Siliana, Kairouan et
Kasserine. Il a même atteint 42.4% à Jendouba, 44,4% à Sidi Bouzid,
44,8% à Gafsa et 47% à Kébili.
En Tunisie, le taux de chômage est aujourd’hui supérieur à
15%, et pourrait dépasser la barre des 20% si l’on prend en compte les
emplois précaires (femmes de ménage, ouvriers du bâtiment
travaillant à la journée, vendeurs à la sauvette,…). Comparée aux
autres pays du Sud, la Tunisie se distingue toutefois par un taux de
chômage particulièrement élevé parmi les diplômés du supérieur. Les
jeunes diplômés, qui viennent d’obtenir leur licence, sont ainsi tentés
de poursuivre leurs études, et d’entamer un troisième cycle (Master
recherche ou master professionnel), car ils n’ont pas trouvé d’emploi,
et préfèrent occuper leurs jours à étudier plutôt que de ne rien faire.
Une étude récente menée conjointement par la Banque
Mondiale et le Ministère de l’emploi tunisien324, avait abouti à une
conclusion alarmante : 46% des diplômés du supérieur en 2004
n’avaient toujours pas trouvé d’emploi, 18 mois après la fin de leurs
études. Les taux de chômage chez les diplômés de l’université varient
République Tunisienne, Dynamique de l’emploi et adéquation de la formation parmi
les diplômés universitaire, vol.1: Rapport sur l’insertion des diplômés de l’année 2004,
Banque Mondiale, Tunis, 2008
324
118
de 47.1% chez les licenciés en droit ou en économie, à 43.2% chez les
diplômés en sciences sociales, avec des pics de 68% chez les juristes.
En aval, l’emploi public a chuté de 25% à la fin des années
1980 à 21% en 2010. La Tunisie devrait atteindre un taux de
croissance économique de 10% pour être en mesure d’offrir
suffisamment d’emplois à ses jeunes et résorber la crise de l’emploi.
Or, on sait que malgré son statut de « pays émergent », la Tunisie
n’avait jamais dépassé le seuil de 5% de croissance annuelle du PIB,
même dans ses plus belles années.
Par ailleurs, l’émigration constituait autrefois une alternative
pour les jeunes les plus qualifiés. Or, depuis la fermeture des frontières
de l’Europe et les restrictions des accords Schengen, il y a eu une
véritable explosion de la migration clandestine vers l’Europe du Sud,
en particulier l’Italie et la France. Nous reviendrons infra vers ce point.
Une telle situation, qui s’inscrit dans la durée, va finalement
créer un sentiment de frustration chez les jeunes, mais également
leurs familles qui ont effectué de gros sacrifices pour achever leur
cycle universitaire. Cette déception va ainsi pousser les étudiants à
grossir les rangs des contestataires et participer d’une manière
particulièrement active à la révolution.
Contrairement à d’autres groupes de demandeurs d’emploi, les
étudiants tunisiens se caractérisent ainsi par des attentes exagérées,
liées au niveau d’éducation.
E. L’urbanisation
67% de la population tunisienne est urbanisée. Or, la
particularité de la révolution du jasmin est, précisément, la
concentration de tous les grands évènements dans les grandes places
des villes. La plupart des évènements de la révolution du jasmin
(immolation de Mohamed Bouazizi, incendie des postes de police,
assaut du ministère de l’intérieur, sit-in devant le premier
ministère,…), se sont produits devant les symboles du régime de Ben
Ali, et en particulier les sièges de gouvernorat, les hôtels de ville, ou les
sièges des entreprises du clan présidentiel. Il s’agit là d’espaces
urbains.
L’université est, précisément, un espace urbain, et en Tunisie
les campus sont proches des centres des villes. De ce fait, les grands
rassemblements estudiantins avaient lieu dans les facultés, puis dans
un deuxième temps, les groupes d’étudiants se dirigeaient vers les
grandes places des centres villes. L’avenue Habib Bourguiba, par
exemple, où se trouve le ministère de l’intérieur, et où se
concentraient les rassemblements populaires à veille de la fuite de Ben
Ali, est à quelques minutes de marche de l’université de Tunis.
F. L’émancipation des femmes
Des décennies d’éducation, une forte ouverture du pays sur le
monde extérieur, la mondialisation, sont autant de facteurs qui ont
fortement contribué à l’émancipation de la femme tunisienne. Or, les
femmes constituent environ 62% des étudiants. Les étudiants ont ainsi
été très présentes dans les rangs des manifestants contre le régime.
3. LES ÉTUDIANTS APRÈS LA RÉVOLUTION
Après avoir vérifié le rôle majeur joué par les étudiants dans la
révolution tunisienne, essayons à présent de voir dans quelle mesure
ils ont continué de participer à la vie post-révolutionnaire du pays.
A. Les acquis
119
Aujourd’hui, trois ans après l’avènement de la révolution, on
peut dresser un premier bilan, relativement positif, au niveau des
étudiants.
a / La démocratisation de l’université
Il est certain que l’acquis majeur de la révolution tunisienne a
été la démocratisation de la société et la liberté. Au niveau de
l’université tunisienne, les changements sont immédiats, tangibles :
liberté de penser, liberté d’expression, désormais plus aucin sujet n’est
tabou au sein de l’Université. De nombreux colloques ont ainsi été
organisés sur des thèmes autrefois tabous : le pluralisme politique, les
défaillances du gouvernement, la pauvreté, les inégaliutés sociales,...
Pou rffectuer leus stages, les étudiants ont maintenant accès aux lieux
les plus fermés: les prisons, les casernes, les centres de
désintoxication,...
b / La disparition de la police universitaire
En février 2011, lorsque la rentrée scolaire et universitaire a
enfin lieu, la police universitaire est supprimée. Cette unité de la police
nationale représentait la main mise du pouvoir sur l’Université. Sa
suppression signifie clairement que l’Université a gagné sa liberté, et
qu’elle enfin devenue un espace d’échanges scientifiques, libre de
toute ingérence extra-académique.
B. Les problèmes persistants
Malgré ces acquis, trois ans après la révolution, il faut
reconnaitre que le bolan reste mitigé au niveau de l’université. En
effet, les étudiants continuent de souffrir de nombreux maux. Voyons
cela de plus près.
a / Le chômage des diplômés
Bien que l’emploi et l’accès à une vie décente aient été les
principales revendications des étudiants tunisiens, bien peu de
progrès ont été réalisés en ce sens. Ainsi, le taux de chômage est
aujourd’hui supérieur à 17%325, et pourrait dépasser à terme la barre
des 20% si les effets de la crise économique que traverse le pays
depuis la révolution perdurent.
On l’a bien vu, le chômage des diplômés et la précarité de
l’emploi étaient à la base d’une partie des revendications de la
jeunesse. Pourtant, contrairement aux attentes, la révolution n’a guère
réglé la question de l’emploi en Tunisie. Elle aura, au contraire, rendu
la situation encore plus difficile.
Les taux de chômage ont ainsi explosé, passant de 15% en
2012 à plus de 20% aujourd’hui. Deux raisons majeures expliquent
cela. D’abord, on se rend compte aujourd’hui que le gouvernement du
Président Ben Ali manipulait les chiffres. En effet, la publication des
statistiques de l’emploi par l’INS (Institut National de Statistiques)
était sévèrement contrôlée par les autorités, et il n’était pas question
de publier des chiffres qui nuiraient à l’image de marque du pays et ses
dirigeants. On peut donc supposer qu’une partie de la hausse visible
du chômage n’est en fait rien moins qu’un réajustement des
statistiques, vers plus de réalisme.
Il faut reconnaître toutefois que, malgré la nébuleuse des
chiffres, la situation de l’emploi des jeunes diplômés s’est nettement
dégradée depuis l’avènement de la révolution du jasmin. En effet,
l’instabilité politique qui perdure encore à ce jour, la détérioration du
325
Ministère de l’emploi, Tunisie, 2012
120
système sécuritaire intérieur, les menaces de terrorisme extrémiste,
ont découragé les investisseurs étrangers, et ont même poussé, dans
certains cas, des firmes multinationales à quitter le pays, pour
s’implanter vers des pays offrant des coûts de main d’œuvre similaires
(le Maroc en particulier).
Par ailleurs, la démocratisation brutale du pays a entraîné le
renforcement du pouvoir syndical, ainsi que l’apparition de nouveaux
comportements dans le monde du travail. C’est ainsi que les
travailleurs ont pris conscience que, insatisfaits, ils pouvaient faire
pression sur leur employeur, au travers de grèves, sit-in ou autres
actions autrefois interdites. De telles pratiques nuisent toutefois à
image du pays, et réduisent notamment l’attraction qu’exerçait le tissu
économique tunisien sur les investisseurs européens.
La régression des IDE (Investissements Directs Etrangers), la
fermeture de centaines de manufactures, et le recul du secteur
touristique ont donc aggravé le chômage dans le pays, au travers du
gel des recrutements, des licenciements économiques, ainsi que du
recul de l’entreprenariat326.
Pour les mêmes raisons, de nombreux touristes ont décidé de
passer leurs vacances ailleurs qu’en Tunisie. Beaucoup d’annulation
sont été enregistrées au niveau des hôtels, ce qui a entraîné un
effondrement du secteur touristique327 et un gel des recrutements des
nombreux étudiants stagiaires des écoles de tourisme328. C’est ainsi
que, alors qu’il faudrait créer 140 000 emplois chaque année pour
répondre à la demande du marché, la Tunisie peine actuellement à
créer 40 000 emplois par an.
Ainsi, contrairement aux attentes, la révolution n’a guère réglé
la question de l’emploi des jeunes diplômés en Tunisie. Pourtant, on l’a
vu, le chômage et la précarité de l’emploi étaient à la base d’une partie
des revendications des étudiants.
Par ailleurs, comparée aux autres pays du Sud, la Tunisie se
distingue par un taux de chômage particulièrement élevé parmi les
diplômés du supérieur329.
Certaines filières universitaires des sciences humaines et
sociales sont désignées comme des « diplômes de chômeurs », et en
particulier l’Arabe, la Philosophie ou la Sociologie. Seules quelques
spécialités techniques semblent encore garantir à court terme un
emploi stable, comme par exemple l’informatique ou le génie.
Signalons toutefois que les taux de chômage de ces filières atteignent
tout de même 25%330.
En amont, cette situation dramatique semblerait due à une
trop forte démographie estudiantine, elle-même causée par la
démocratisation de l’enseignement supérieur. C’est ainsi que la quasi
gratuité de l’inscription dans une université publique331, ainsi que le
subventionnement des prestations para-universitaires (foyers
universitaires, cantines,…) ont favorisé une éducation supérieur de
masse. Aujourd’hui, on commence d’ailleurs à remettre en cause cette
Rappelons que Mohamed Bouazizi était chômeur, bien que titulaire d’un diplôme
universitaire
330 Banque Africaine de Développement, Révolution tunisienne : enjeux et perspectives
économique, BAD, Tunis, March 2011, p.2
331 De 30 Dinars Tunisiens (DT) pour l’inscription en Licence à 100 DT pour le
Doctorat, soit environ 15 à 50 Euros
329
La situation économique n’est pas favorable à la création de nouvelles PME
327 Il faut également prendre en compte les effets du mois de Ramadhan, qui a coïncidé
ces dernières années avec la haute saison touristique de juillet-août
328 Les étudiants de l’école de tourisme de Sidi Dhrif, en particulier, ont souffert de la
situation
326
121
assistance exagérée de l’étudiant tunisien, car on se rend compte
qu’elle tire l’enseignement supérieur vers le bas.
b / La mise a l’écart de la scène politique
L’autre problème dont ont eu à pâtir les étudiants a été leur
mise à l’écart systématique, peu de temps après la mise en place du
nouveau gouvernement. Trop imprévisibles, jugés insuffisamment
matures, et surtout n’ayant aucun expérience politique, les étudiants
ont été tenus à l’écart des prises de décision, une fois le régime
dictatorial tombé.
CONCLUSION
Les étudiants tunisiens n’ont toutefois pas abandonné la lutte,
puisqu’ils continuent de manifester leur insatisfaction, voir leur colère.
C’est ainsi, par exemple, qu’une «Journée de la colère des jeunes» vient
d’être décrétée à Tunis, au travers d’une grande manifestation
organisée par l'Union Générale des Etudiants de Tunis (UGET) et de
l'Union des Diplômés au Chômage (UDC), en collaboration avec le
mouvement Tamarrod. Dans le cadre de cette journée, plusieurs
centaines de jeunes étudiants, se sont d'abord rassemblés devant le
théâtre municipal de Tunis. Tous ont fait le même constat : un échec
cuisant des tentatives pour faire avancer le dialogue national entre les
différentes parties politiques enfonçant davantage la Tunisie dans la
crise.
Difficiles à contrôler, impétueux, éduqués et formés aux
nouvelles technologies de communication, les étudiants et étudiantes
tunisiens ont, assurément joué un rôle de premier plan dans la
Révolution du jasmin. Nous avons eu l’occasion de souligner que c’est
dans une deuxième phase, correspondant à la rentrée scolaire et au
retour massif des étudiants dans leurs universités respectives, que la
révolution a pris un deuxième souffle et a pu être achevée, par la fuit
du Président Ben Ali.
Au seuil de cette analyse, il convient de réfléchir sur les
lendemains de la révolution du jasmin, en ce qui concerne les
étudiants. Il semblerait que, bien qu’ils aient été des acteurs de
premier plan, peu de place leur a été réservée dans la Tunisie postrévolutionnaire. On déplore, par ailleurs, le fait que de nombreuses
revendications n’ont toujours pas été satisfaites aujourd’hui, et en
particulier ne ce qui concerne le chômage des jeunes diplômés du
supérieur.
122
BIBLIOGRAPHIE
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Banque Africaine de Développement, Révolution tunisienne : enjeux et
perspectives économique, BAD, Tunis, March 2011 ;
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14h-14h45 :
 La Fédération étudiante et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) : Assani
Adjagbe, Abdoulaye Bamba et André Dominique Yapi Yapi
 From Mobilization to institutionalization? Students political
activism in Mali and Kenya: Anna Deutschmann
 Les contestations estudiantines à l’Université de Lomé, de la
radicalisation à la négociation : enjeux et conséquence (2004-2011) :
Joseph Koffi Nutefé Tsigbe
123
ASSANI ADJAGBE, ABDOULAYE BAMBA ET ANDRÉ DOMINIQUE YAPI YAPI. LA
FÉDÉRATION ESTUDIANTINE ET SCOLAIRE DE CÔTE D’IVOIRE (FESCI) :
LABORATOIRE D’UNE ÉLITE POLITIQUE 1990-2010?
BAMBA Abdoulaye, Enseignant-Chercheur, Département d’Histoire,
Université Félix Houphouët Boigny (Côte d’Ivoire) ;
YAPI YAPI André Dominique, Enseignant-Chercheur, Département
d’Histoire, Université Félix Houphouët Boigny (Côte d’Ivoire) ;
Assani ADJAGBE, Doctorant en Histoire, IMAF/ Université Paris 1/
Université Félix Houphouët Boigny de Cocody.
RÉSUMÉ
L’avènement des mouvements étudiants en Afrique et ailleurs dans
le monde est très largement tributaire du contexte global de la période
dans laquelle ceux-ci émergent. Le vent de la démocratie du début des
années 90 atteint progressivement plusieurs pays africains dont la
Côte d’Ivoire, doublé en cela par un contexte de crispation idéologique
et politique exacerbée par les effets de la crise économique332.
L’effervescence socio-politique naissante est portée essentiellement
par des syndicats d’enseignants mais aussi d’étudiants.
Pour bon nombre d’observateurs politiques, la naissance de la
FESCI se présente comme un contrepoids à la toute-puissance des
mouvements étudiants333 inféodés au parti au pouvoir d’alors, le PDCIRDA. Cette nouvelle organisation, créée le 21 avril 1990, va occuper le
champ laissé libre par le MEECI.
Konaté (Y), « Les enfants de la balle. De la FESCI aux mouvements patriotiques »,
Politique Africaine, 2003/1 ? n°89, p. 49-70.
333 Il s’agit du Mouvement des Elèves et Etudiants de Côte d’Ivoire (MEECI), créé en
1968.
L’espace universitaire et scolaire devient un enjeu politique majeur,
dont le contrôle se fait par la maitrise des syndicats des élèves et des
étudiants. La FESCI, dans ce contexte devient le syndicat le plus
puissant, et la principale référence en matière de défense des droits
des élèves et des étudiants. Compte tenu de son influence dans les
milieux scolaire et universitaire, elle va être l’objet de tentatives de
récupération de la part de partis politiques334.
Le Syndicat National de la Recherche et de l’Enseignement
Supérieur (SYNARES) qui a aidé à la création de la FESCI est
naturellement bien vu par ce syndicat. Le SYNARES comptait alors en
son sein des leaders de partis d’opposition nouvellement constitués,
dont le Front Populaire Ivoirien (FPI). Dès lors la FESCI, avec cette
alliance obtient un solide soutien qui est prêt à la défendre. Au bout de
deux décennies, la FESCI génère plusieurs leaders dont Ahipeau
Martial, Soro Guillaume, Jean Blé Guirao, Blé Goudé Charles, Damanas
Pickass, Karamoko Yayoro qui vont se retrouver sur la scène politique
ivoirienne et devenir des acteurs incontournables. La communication
entend montrer le processus par lequel ces leaders de la FESCI ont
progressivement glissé sur le terrain politique. Et dans quelle mesure
ce syndicat peut être considéré comme le laboratoire d’une élite
politique.
332
334
Goin- Bi Zamblé (Th), "Déchaîner" les libertés académiques en Côte d’Ivoire, 11 p.
124
INTRODUCTION
Créée au début des années 90 dans le contexte du « vent de l’Est »
qui a insufflé la voie multipartite dans les pays africains, la Fédération
estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire s’est assignée une mission :
celle de contribuer à la chute du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire
(PDCI), parti unique au soir des indépendances. Dès cet instant, cette
organisation syndicale fut de tous les combats politiques.
Mais, l’un des faits marquants dans l’existence de ce syndicat, a été la
propension de ses Secrétaires généraux à vouloir investir coûte que
coûte le champ politique et à y laisser leurs empreintes. D’où la
question de savoir, si la FESCI est un laboratoire de formation de la
nouvelle élite politique de Côte d’Ivoire. Cet article se propose, à partir
de sources croisées de revisiter l’histoire de ce syndicat en deux axes
principaux : La lutte syndicale dans un contexte politique et social
tendu (I), le terrain politique comme prolongement de la lutte
syndicale (II).
I. LUTTE SYNDICALE DANS UN CONTEXTE POLITIQUE TENDU
L’histoire de la Côte d’Ivoire post-monopartite est
particulièrement marquée par des luttes syndicales qui ont
quelquefois eu des relents politiques. C’est dans cette atmosphère
qu’évolue la FESCI tiraillée par les enjeux de la lutte sociale et les
batailles que se livrent les partis politiques en Côte d’Ivoire.
1. Contexte politique de création la FESCI
La FESCI est née dans un contexte politique tendu qui a
contribué à forger son image de force qui joue le double rôle de
syndicat et d’organisation para-politique. Cette naissance s’inscrit
d’abord dans le vaste mouvement mondial et africain de changement
de valeurs qu’il importe de rappeler pour comprendre l’orientation de
la lutte sur le terrain.
A ce titre, la dégradation du modèle du parti unique dans le
monde à travers le « vent de l’Est », débuté avec la chute du mur de
Berlin, le 9 novembre 1989, va influer sur le déclenchement et
l’orientation des agitations sociopolitiques qui vont secouer certains
pays de l’Afrique subsaharienne. Dans la majeure partie des cas, la
contestation a pour point d’ancrage le milieu universitaire où
étudiants et enseignants syndicalistes pour la plupart exposent leurs
revendications dans une période économique jugée difficile.
Elle s’étend, par la suite, à l’ensemble du monde du travail, puis
à la population et en dernier ressort à des partis politiques clandestins
qui voyaient en ces mouvements d’humeur l’occasion toute trouvée
d’atteindre des objectifs inavoués. Ces mouvements, qui avaient lieu
un peu partout en Afrique, ont édifié les étudiants ivoiriens sur
l’efficacité des moyens et des méthodes utilisés par leurs homologues
africains dans leur lutte contre les régimes à parti unique. A cette
époque, malgré la censure orchestrée par les chaines de radio et
télévision locales ainsi que par la presse écrite, la parade trouvée par
les Ivoiriens était d’écouter les informations sur les chaines de radio
étrangères Africa N°1, La Voix de l’Amérique, BBC et Radio France
Internationale (RFI). Il suffisait, à cet effet, de se munir du plus banal
des postes transistors pour capter ces chaines en ondes courtes. C’est
ainsi qu’un événement qui se déroulait à des milliers de kilomètres
d’Abidjan était déjà connu dans ses moindres détails quelques heures
à peine après leur déclenchement.
A ce contexte international fort instructif, vient s’ajouter une
situation politique ivoirienne à rebondissements. Le régime politique
125
ivoirien, le monopartisme, qui depuis 1959 avait imposé l’unanimisme
comme mode de gestion au sein des associations avait commencé à
s’affaiblir depuis le début des années 1980. Les journées nationales du
dialogue de septembre 1989335 avaient donné l’occasion au Syndicat
National de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (SYNARES)
d’inviter une énième fois le régime à instaurer le multipartisme et la
démocratie dont le corollaire serait également la liberté syndicale. Les
mouvements de contestation consécutifs aux mesures d’austérité
décidées par le gouvernement ivoirien, en mars 1990, vont donner
l’occasion aux forces de l’opposition au régime d’Houphouët-Boigny de
s’engouffrer dans la brèche ouverte et réclamer, comme l’avait
souhaité le SYNARES en 1989, la réinstauration du multipartisme.
Dans ce vaste mouvement d’actions revendicatrices, on
retrouve aussi bien des organisations syndicales telles que le SYNARES
et le Syndicat National des Cadres Supérieurs de la Santé (SYNACASSCI) que des forces politiques en voie d’émergence telles que le Parti
Républicain de Côte d’Ivoire (PRCI), le Front Populaire Ivoirien (FPI),
le Parti Ouvrier Révolutionnaire de Côte d’Ivoire (PORCI) et le Parti
Ivoirien des Travailleurs (PIT). Les mois de mars et avril 1990 sont
donc marqués par la distribution de tracts et par l’organisation de
manifestations publiques telles que les marches pour faire aboutir
leurs revendications.
Ce qui est perceptible au plan local, durant cette période, c’est
également l’affaiblissement du Mouvement des Elèves et Etudiants de
Côte d’Ivoire (MEECI) ou du moins la perte de crédit de ce mouvement
Ces journées du dialogue, organisées par le gouvernement et présidées par le
président Felix Houphouët Boigny, avaient pour objectif de libérer la parole et laisser
ainsi toutes les couches socio-professionnelles se prononcer sur les questions
d’actualité et les problèmes liés à leurs conditions de vie.
335
auprès des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire. Depuis 1969, cette
organisation dont le statut est difficile à cerner, parce que agissant
tantôt en syndicat, tantôt en structure du genre des Komsomols en
Union Soviétique, avait le monopole sur le terrain de l’organisation des
élèves et étudiants. Il était devenu, en 1971, une section particulière
du PDCI-RDA et beaucoup plus tard une sous-section du parti unique.
Avec cette mutation, le MEECI passait du syndicalisme participatif à la
politique pure.
Vers la fin des années 1980, cette toute-puissance du MEECI
va s’effriter progressivement. D’abord parce qu’elle n’est plus à même
de canaliser une jeunesse de plus en plus inquiète de son avenir et
engagée dans les manifestations de février-mars 1990 et, ensuite
parce que l’Université nationale de Côte d’Ivoire et les différentes cités
universitaires d’Abidjan sont envahies par une multitude de syndicats
étudiants clandestins. Les signaux donnés par ces organisations
clandestines à travers la distribution des tracts et la production
d’organes d’information illégaux rompent avec le conformisme
entretenu par le MEECI.
L’une de ces organisations clandestines, l’Union Démocratique
des Elèves et Etudiants de Côte d’Ivoire (UDEECI) dont la création
remonte au 30 octobre 1988, avait à maintes reprises, à travers son
support d’information, L’Etudiant, dénoncé la caporalisation de la vie
politique et économique par le PDCI-RDA, la baisse de la qualité de
l’enseignement, le manque d’infrastructures …. L’Etudiant s’en prenait
également au MEECI dont il fustigeait le rôle dans le milieu étudiant en
tant qu’ « instrument du PDCI » et qu’il considérait comme responsable
dans la perversion de la jeunesse estudiantine, la tricherie, la
malhonnêteté, le sens de l’irresponsabilité. Mais, surtout, ces
rédacteurs dénonçaient l’inexistence de tout mouvement syndical
126
autonome et combatif, etc336. Cette diatribe contre le MEECI était le
signe annonciateur d’une prise de conscience réelle des étudiants par
rapport aux changements qui se profilaient à l’horizon.
C’est donc dans ce double contexte mondial et national
favorables au changement que la FESCI voit le jour, le 21 avril 1990,
dans une église dans le quartier de la Riviera II337 à Abidjan. Elle
s’engage dès lors dans une lutte pour l’amélioration des conditions de
vie et de travail des étudiants, avec le soutien bienveillant des partis de
l’opposition, tous de gauche.
2. La lutte sociale et les soutiens politiques
En tant qu’organisations ayant pour mission la défense des
intérêts matériels et moraux de ses membres, les syndicats d’étudiants
interviennent dans de nombreux domaines tels que le soutien aux
étudiants en difficulté que ce soit pour des questions de logement, de
bourses ou de conditions d’étude.
En Côte d’Ivoire, la FESCI se présente à partir de 1990 comme
la principale force à qui est dévolue ce rôle de défense des intérêts
matériels et moraux des élèves et étudiants. Au départ, les
revendications portent sur le surpeuplement des amphis, l’insuffisance
des cités universitaires et les mauvaises conditions de vie dans ces
enceintes, le nombre insuffisant de boursiers, etc. Mais au fil du temps,
d’autres récriminations portant toujours sur le quotidien des élèves et
étudiants viennent se greffer à ce vaste ensemble : la demande du
retour des cars de transports d’étudiants lorsqu’ils sont supprimés en
L’Etudiant, Journal des élèves et étudiants démocrates, n°7 de décembre 1988 &
n°12 de janvier 1989.
337 La RIVIERA II est un sous-quartier chic de la commune de Cocody, un quartier
huppé de la ville d’Abidjan.
336
1992 ou en guise d’alternative, un prix de la carte de bus conforme aux
moyens des étudiants, la libération des étudiants emprisonnés dans
les périodes de crise, la réhabilitation de la FESCI lorsqu’elle est
déclarée dissoute en 1991, etc. On pourrait multiplier, à l’infini, le lot
des revendications formulées par la FESCI depuis sa naissance.
Mais l’un des faits marquants durant cette période, c’est le
soutien dont elle a bénéficié de la part des partis de l’opposition non
pas parce qu’ils sont forcément solidaires de la misère des étudiants
ivoiriens, mais parce que cela leur permet de perturber et de
contrarier un peu plus le pouvoir. Cette attitude s’est observée
essentiellement de 1990 à 2000, période au cours de laquelle la
gauche ivoirienne, représentée principalement par le FPI et le PIT, se
trouve dans l’opposition au pouvoir PDCI. La période 2000-2010 est
beaucoup plus une période de collaboration, la FESCI jouant plutôt un
rôle de soutien au pouvoir de Laurent Gbagbo. A la vérité, cette
proximité prend racine dans la décennie précédente.
En effet, de 1990 à 2000, la FESCI et les partis de l’opposition
avaient en partage le même destin : leurs activités étaient
constamment réprimées par le pouvoir. Cette communauté de destin
explique la logique d’entraide que les deux parties se sont imposées
face au PDCI-RDA. Autant on retrouvait les syndicalistes de la FESCI
dans les partis politiques de l’opposition, autant ces derniers
s’imposaient un devoir de les secourir dans les moments difficiles.
Dans la lutte engagée par ce syndicat pour l’amélioration des
conditions de vie et d’étude des étudiants, hormis la distribution des
tracts et des meetings organisés sur le campus de Cocody et dans les
différentes cités universitaires, les canaux de diffusion des messages
étaient essentiellement les journaux proches du FPI que sont Le
Nouvel Horizon et La Voie devenue plus tard Notre Voie. Cette situation
127
était dictée par l’inaccessibilité ou la censure des activités de ce
syndicat imposée par la presse gouvernementale (RTI, Fraternité
Matin).
Mais, le soutien n’est pas que médiatique ; il prend également
la forme de solidarité, même si derrière ces gestes se trouvent en
réalité des visées politiques inavouées : affaiblir le régime. La crise
politique consécutive à la répression des étudiants logés à la cité
universitaire de Yopougon, le 17 mai 1991, en constitue l’exemple
parfait. Ce soutien prend d’abord la forme d’une dénonciation des
atrocités commises à la cité universitaire de Yopougon, et se poursuit,
ensuite, par la demande de la mise en place d’une Commission
d’enquête pour faire la lumière sur ces événements sanglants. Et
lorsque le gouvernement ivoirien refuse de prendre des sanctions
contre les fautifs clairement identifiés dans le rapport d’enquête et que
par la même occasion le Secrétaire général de la FESCI, Martial
Ahipeaud, se fait arrêter, le 11 février 1991, à la suite d’une marche de
protestation, une coalition de groupements divers dans laquelle l’on
retrouve la FESCI, des partis politiques de l’opposition et des
organisations de défense des droits de l’homme se met en place. C’est à
cette coalition que l’on doit l’organisation de la marche du 18 février
1992 qui prend une tournure dramatique avec l’arrestation de
nombreuses personnalités de l’opposition telles que Laurent Gbagbo
et son épouse Simone, le Président de Ligue ivoirienne des droits de
l’homme (LIDHO) René Degni Ségui, etc.
D’autres événements, par leurs caractères inédits, contribuent
à lever le doute sur la connexion entre les deux parties : le soutien
apporté par ces partis de gauche à la FESCI pour sa réhabilitation
lorsqu’elle fut déclarée dissoute, le 21 juin 1991, après le meurtre de
Thierry Zébié338 accusé par les étudiants d’être un loubard à la solde
du pouvoir ; le soutien que Guillaume Soro, secrétaire général de la
FESCI de 1996 à 1998, dit avoir reçu de Laurent Gbagbo lorsqu’il fut
emprisonné en 1997339. Pour ce dernier cas, au-delà de l’esprit de
solidarité et d’entraide entre la FESCI et les partis de l’opposition, la
dimension sentimentale entre Guillaume Soro et Laurent Gbagbo n’est
pas à ignorer ; elle en constitue est des ferrements. Les deux hommes
se fréquentaient régulièrement, comme l’indique Guillaume Soro dans
un témoignage sur son parcours syndical et politique :
« J’ai rencontré M. Laurent Gbagbo en 1994. Il me
trouvait très prometteur, j’avais un véritable respect
pour lui. Pour nous, il incarnait à cette époque le
changement. Nous étions très proches l’un de l’autre. Je
crois qu’il m’avait en quelque sorte adopté. Je me rendais
régulièrement chez lui, nous partagions le même
repas »340.
Leurs conversations n’avaient pas uniquement pour centre
d’intérêt le système éducatif ivoirien, mais elles portaient également
sur la politique ivoirienne et plus précisément le changement de
régime que le leader de la FESCI et le Secrétaire général du FPI
souhaitaient tous les deux. Mais, Laurent Gbagbo n’était pas le seul à
exercer une influence sur les militants de la FESCI qui, comme le dit
Guillaume Soro, étaient non seulement « très influencés par
Thierry Zébié était un étudiant au physique impressionnant et qui était à la solde
du pouvoir en place, le PDCI RDA. Il instaura avec ses amis, la terreur sur le campus et
dans les cités universitaires.
339 Guillaume SORO, Pourquoi je suis devenu un rebelle. La Côte d’Ivoire au bord du
gouffre, Paris, Hachette Littératures, 2005, 174 p ; p. 53.
340 Idem p.57.
338
128
l’émergence de la gauche » mais également par les « idées généreuses
du socialisme ». Au rang des autres leaders politiques que l’on pourrait
considérer comme les mentors et des « idéologues » de ce syndicat
étudiant, se trouvent Zadi Zaourou de l’USD, Francis Wodié du PIT,
Bamba Moriféré du PSI et l’ambassadeur Désiré Tanoé, un activiste de
l’Union Nationale des Etudiants et Elèves de Côte d’Ivoire (UNEECI),
adepte d’un syndicalisme politique, qui dans les années 1960 avait
maille à partir avec le régime d’Houphouët-Boigny341.
Les leaders du syndicalisme étudiant ont beaucoup appris de
ces périodes de parrainage, de relations particulières et même de
connivence avec l’opposition politique ivoirienne. Cela peut expliquer
le parcours qui est le leur lorsqu’on les retrouve presque tous à faire
leurs armes dans la politique quelques années après.
enseignants principalement de l’Université de Cocody. Dès cette date,
Ils s’instaurent des liens organiques et naturels entre la FESCI et ces
partis politiques. La création du Rassemblement Des Républicains
(RDR), en 1994, ne changera rien à cette donne, pas même après la
naissance du Front républicain343.
A sa création, la FESCI apparaissait comme un syndicat à la
solde du parti de Laurent GBAGBO pour combattre le régime du PDCI
RDA. Elle avait à la fois une position idéologique – discours
panafricaniste, anti-impérialiste, de gauche, démocratique, etc. – et
menait des interventions de plus en plus musclées qui ne laissaient
aucun doute sur sa proximité avec le FPI.
Au début des années 1990, au nom du principe de l’unité
d’action contre le PDCI RDA, qui était alors l’adversaire à abattre, la
FESCI devient l’alliée naturelle de l’opposition politique dont les
quatre grands partis (FPI-USD-PIT-PSI)342 étaient dirigés par des
A partir de 1998, quatre ans après la création du RDR, la
division au sein du mouvement laisse apparaitre une autre
configuration du syndicat. La rivalité politique entre Alassane Ouattara
et Gbagbo Laurent déteint naturellement sur le mouvement et les
questions idéologiques auront raison de sa cohésion. Laurent Gbagbo
ayant une mainmise totale sur la FESCI rejettent les réformes
démocratiques voulues par Soro pour accéder à la fonction de
Secrétaire Général (SG) de la FESCI. Face à ce revers, Soro décide de
changer de fusil d’épaule en 1998, année où il quitte la FESCI après un
second mandat. En effet, à part une brève apparition aux côtés de
Henriette Dagri Diabaté à Port-Bouët344, Secrétaire général du RDR, il
réapparaitra de façon fort inattendue , en 2002, à la tête de la branche
politique de la rébellion et plus tard aux côtés de Ouattara Alassane.
Guillaume SORO, op.cit, p.52.
342 Le Front Populaire Ivoirien (FPI) dirigé par Laurent Gbagbo (Chercheur en
Histoire), le Parti Ivoirien des Travailleurs (PIT) sous la direction de Francis Wodié (
Professeur de Droit ) , L’Union des Socio-Démocrates (USD) avec Zadi Zaourou (
professeur de stylistique), le Parti Socialiste Ivoirien (PSI) de Moriféré Bamba ( Doyen
de la faculté de pharmacie).
343 Le Front Républicain était une alliance politique entre le FPI et le RDR.
344 Soro Guillaume a été colistier de Henriette D. Diabaté pour le compte du RDR aux
élections législatives à Port-Bouet.
II. LA
POLITIQUE
COMME
PROLONGEMENT
DE
LA
LUTTE
SYNDICALE
L’arène politique semble être la destination finale des principaux
leaders syndicaux. Les partis politiques y puisent des militants qui, du
reste, nourrissaient leurs propres ambitions politiques.
1. La FESCI vivier des partis politiques ?
341
129
D’autres leaders de ce mouvement tels que Konaté Sidiki, Doumbia
Major, Karamoko Yayoro en font autant et se rangent dans le même
camp confirmant ainsi leur connivence avec Alassane Ouattara.
Tableau répartition des anciens membres du Bureau exécutif de
la FESCI au lendemain du déclenchement de la crise militaropolitique en fonction de leur choix politique.
En face, un autre bloc se forme autour de Blé Goudé. Avec lui,
Jean-Yves Digbopieu, Serges Koffi, Kuyo Serges et Mian Augustin, férus
de Gbagbo, ont été la branche des anciens « fescites »345 qui s’est
ralliée au parti politique de Laurent Gbagbo346. Même le PDCI RDA qui
avait longtemps combattu la FESCI ne put s’empêcher, une fois dans
l’opposition, de chercher à recruter des anciens de ce mouvement. A ce
titre, Louis Abounouan Kouakou, ancien syndicaliste et coordinateur
pour le centre de la FESCI devient vice-président de la Jeunesse du
PDCI RDA (JPDCI RDA). Lorsque la crise politico-militaire éclate en
2002, ce sont les mêmes leaders syndicaux qui se découpaient à la
machette, qui sont à l’avant-garde tant du côté rebelle que du camp
patriotique. En réalité, le syndicat était en proie à une cour assidue de
certaines formations politiques qui se sont convaincus de son poids
dans ce contexte de guerre. Durant cette période, deux camps
d’anciens responsables ou militants de la FESCI inféodés aux partis ou
groupements politiques et diamétralement opposés se font face et
étalent leurs divergences politiques et idéologiques (voir tableau). Les
choix politiques des leaders de ce syndicat répondaient aussi à des
ambitions personnelles.
Camp du parti de Laurent Gbagbo
C’est un néologisme qui dérive du sigle FESCI.
A ceux-là, on peut adjoindre Charles Groguhet et Moussa Touré dit Zeguen qui sont
les fondateurs du Groupement des patriotes pour la paix (GPP). D’autres resteront à
l’extérieur de la Côte d’Ivoire comme Appolos Dan Téhé qui a créé en Angleterre, le
Mouvement pour la Liberté Totale de la Côte d’Ivoire (MTCI). Attéby William a été
Député pour le compte du Parti Ivoirien des Travailleurs (PIT) et intègre par la suite le
FPI de Laurent Gbagbo.
Identité
Poste occupé à la FESCI
Charles BLE GOUDE
Secrétaire à l’organisation puis Secrétaire
général du syndicat (1998-2000)
Jean-Yves
Secrétaire général de la FESCI (2000-2002)
DIBOPIEU
Serges KUYO347
Secrétaire général de la FESCI (2003-2005)
Serge KOFFI-BI
Secrétaire général de la FESCI (2005-2008)
Eugène DJUE
Secrétaire général de la FESCI (1994-1995)
Augustin MIAN
Secrétaire général de la FESCI (depuis 2008)
345
346
Ce dernier a perdu la vie lors d’un accident de circulation en 2007 de retour d’une
cérémonie à Bouaké.
347
130
RDR, Henriette Diabaté aux élections législatives de 2000, devient par
2. Itinéraires et ambitions politiques des leaders syndicaux
Répondant à un journaliste à la veille de la fin de son mandat
relativement à son avenir post syndicaliste, Kuyo Serge, Secrétaire de
la FESCI en 2005, répond :
« Je m’évertuerai à poursuivre mes études car, je n’ai
pas eu le temps d’aller à l’école. Après, j’essaierai de
m’insérer dans la vie active. Pour l’instant, pas de
politique ».348
Voulait-il être l’exception de cette longue liste de Secrétaires
généraux de la FESCI qui avaient basculé dans la politique ? Pas si sûr,
car le terrain politique semblait en effet être la voie tracée pour la
plupart des dirigeants de ce syndicat. Un survol rapide de l’itinéraire
des principaux leaders invite à cette conclusion.
Ahipeaud Martial, premier secrétaire de la fesci (1990-1993)
après ses études en Londres, a d’abord été membre du secrétariat de
l’UDPCI du Général Guéi Robert. Il créa par la suite son parti politique,
l'Union pour le Développement et les Libertés (UDL) dont est le
président depuis 2006. Son successeur, Eugène Djué (1994-1995),
après avoir assuré la représentation du FPI en France, revient en Côte
d’Ivoire pour créer l’alliance pour le sursaut national dès le début de la
crise de 2002. Ensuite, vient Blé Guirao (1994-1995), intérimaire à la
tête du syndicat après le départ de Martial Ahipeaud, qui a assuré
jusqu’à une date récente la présidence de la jeunesse de l’UDPCI. Soro
Guillaume (1995-1998), qui a été le colistier du Secrétaire général du
Mayane Yapo, La FESCI, antichambre des partis politiques ? in fraternité matin du
11 mai 2005, p. 4.
348
Camp du parti d’Alassane Ouattara et de la coalition des
Houphouetistes
Identité
Poste occupé à la FESCI
Soro Guillaume
Secrétaire général de la FESCI (19951998)
Yayoro KARAMOKO
Secrétaire adjoint de la Fesci
(1995-1998)
DOUMBIA Soumaïla Major
Membre du Bureau Exécutif sous
Soro Guillaume
Siriki KONATE
Membre de la section Fesci
de la cité de Yopougon
DRIGONE-BI Faya
Membre du Bureeu exécutif sous
Soro Guillaume
Blé Guirao
Secrétaire général-adjoint sous
Eugène Djué
la suite le leader de la rébellion armée. Il occupe successivement les
postes de ministre de la Communication, de Premier ministre dès
2007 et devient Président de l’Assemblée Nationale après l’élection
d’Alassane Ouattara en 2010.
Son traditionnel ami et rival, Blé Goudé dirigea le mouvement de
1998-2000. Il part en Angleterre poursuivre ses études mais, en
revient précipitamment à la suite du déclenchement de la crise
militaro-politique. Il en profite pour créer l’Alliance des jeunes
patriotes, un mouvement proche de Laurent GBAGBO et un peu plus
tard, le Congrès de la jeunesse panafricaine et occupera le poste de
ministre de la Jeunesse dans le gouvernement nommé par GBAGBO en
pleine crise post-électorale. En 2001, Jean Yves Dibopieu assure la
destinée de la FESCI jusqu’en 2003 et créa ensuite Solidarité Ouestafricaine (SOAF), proche de la mouvance patriotique.
131
A ces principaux leaders, d’autres syndicalistes et non moins
charismatiques n’ont pas résisté à l’appel des sirènes. Ce sont Damana
Pikas, Doumbia Soumaïla Major349, Sidiki Konaté et Karamoko Yayoro.
Le premier cité fut le deuxième Secrétaire général adjoint sous Blé
Goudé et représentant de la Jeunesse du Front Populaire Ivoirien
(JFPI) en France. Le second fut le porte-parole de la rébellion en
France. Konaté Sidiki occupa, lui, le poste de porte-parole de la
rébellion à Bouaké avant de devenir pendant plusieurs années
ministres sous les régimes de Gbagbo et Ouattara. Enfin, Karamoko
Yayoro a été l’adjoint de Soro Guillaume à la tête de la FESCI. Il devient
le Secrétaire de la jeunesse du RDR et député à l’Assemblée Nationale
pour le compte de ce parti depuis 2012.
A la lecture de ce tableau qui révèle le parcours politique et de
militant de tous ces leaders sur l’échiquier politique ivoirien, on ne
peut s’empêcher de penser que la FESCI était un véritable laboratoire
de formation d’une élite politique. Sur ce point, le premier Secrétaire
de la FESCI, estime que la formation syndicale et toutes les exigences
inhérentes à cette activité ont créé un terreau fertile à l’éclosion de
cette élite politique. En effet pour lui,
« Le combat que nous menions au quotidien nous mettait
implicitement sur la scène politique. L’organisation
jouait le rôle de parti politique, 95% de nos camarades
ont été impliqués dans la chose politique. Ayant été
habitués à la prise de parole, à la gestion des
Ce dernier a créé, avec certains anciens de la FESCI, un parti politique en 2008 : Le
Congrès panafricain pour le renouveau (CPR) dont il est le président.
349
informations, ils étaient approchés par les partis
politiques. »350
Il estime que la formation syndicale ne diffère en rien de celle
politique d’autant plus qu’elle donne l’occasion d’affronter les
problèmes comme en politique, de gérer les hommes, de
s’opposer au pouvoir politique. De sorte qu’on a l’impression
que :
« La politique est la continuité du travail syndical et le
combat syndical te donne la carrure politique »351
Outre cette riche expérience syndicale, il ne faut pas occulter le
fait que les partis politiques avaient chacun sa chapelle en milieu
scolaire et universitaire. Ces jeunes dont la plupart n’ont pas de
véritables diplômes ne pouvaient que répondre favorablement aux
mains tendues de ces partis qui cherchaient à profiter de leur
expérience afin de redynamiser la jeunesse de leur parti.
Par ailleurs, l’insertion directe des ex-dirigeants de la FESCI
dans la vie professionnelle était difficile pour plusieurs raisons :
d’abord comme le reconnaît Serge Kuyo, la plupart n’ont pas eu le
temps de faire de véritables études sanctionnées par des diplômes à
l’Université de cocody. L’activisme syndical ne garantissait aucune
perspective sur ce plan. Ahipeaud Martial, Soro Guillaume, Blé Goudé
tous retournent à leurs études une fois leur mandat achevé. Des trois,
seul Ahipeaud part de l’Université de Cocody avec une maîtrise en
Histoire, il en revient avec un doctorat (PHD). Les deux autres se
rendront par la suite hors du pays pour obtenir diplômes et
350
351
Entretien avec Ahipeaud martial, le 27 mars 2014 à Abidjan.
Entretien avec Ahipeaud martial, le 27 mars 2014 à Abidjan.
132
qualifications. Ici également, ils n’achèvent pas leurs parcours et
reviennent au pays pour la même raison dans des camps différents.
Ensuite, la deuxième raison est liée à la mauvaise réputation du
mouvement dans l’opinion nationale. Les pratiques guerrières du
mouvement ont contribué à le décrédibiliser auprès de la population.
Les casses, les destructions de biens matériels, la violence sur les
enseignants, les crises internes au mouvement avec pour corollaire
des tueries, le ‘’machettage’’352, et autres pratiques barbares ont vite
fait de créer un clivage entre ce mouvement et la société ivoirienne.
Les « ex-fescites » sont conscients de leurs atouts politiques (de
véritables mobilisateurs et leaders d’opinion) mais surtout de leurs
handicaps professionnels. La politique est un débouché pour s’assurer
un bien-être social, mais insuffisant jouer les premiers rôles dans la
hiérarchie sociale. Soro Guillaume, recevant ses anciens amis de la
FESCI en 2004 dira à propos :
« Comprenez que nous jeunes des années 1990 n’avons
pas les mêmes projets politiques que les GBAGBO, BEDIE,
OUATTARA, rapprochons nous davantage pour nous aider
les uns les autres. »353
Les ambitions politiques étaient réelles et manifestes. La
convergence des intérêts des partis politiques et des ambitions
individuelles des différents leaders de la FESCI expliquent que ces
jeunes syndicalistes occupent plus tard des postes de responsabilité
dans tous les partis politiques, du moins les plus représentatifs. Ils ont
Yacouba KONATE, ‘’ Les enfants de la balle. De la FESCI aux mouvements
patriotiques’’, politique africaine, n°89, mars 2003, p52.
353 Ahmed KOUADIO, ‘’Côte d’Ivoire, OPA de la FESCI’’, in jeune Afrique économique,
n°353, p 77.
352
noyauté le landau politique de la Côte d’Ivoire. Même la presse
n’échappe pas à cette mainmise354 où ils occupent des postes de
direction à, l’effet de relayer leur vision politique. Ainsi la FESCI, telle
une pieuvre, a déployé ses tentacules dans toute la Côte d’Ivoire et
principalement dans toutes les officines politiques.
CONCLUSION
Le contexte politique et social qui prévaut en Côte d’Ivoire en
1990, au moment de la création de la FESCI, a fortement orienté les
actions et prises de position de ce mouvement et par ricochet ses
leaders. Si l’amélioration de conditions de vies et de travail des élèves
et étudiants a été la ligne de conduite de ce syndicat dans sa
trajectoire, son incursion dans la vie politique a été fortement
remarquée. Sa connivence avec les partis politiques opposés au PDCI
RDA, sa participation à de nombreuses activités de l’opposition
ivoirienne et le rôle de « conseillers occultes » joués par les
enseignants de l’Université auprès du Bureau exécutif de ce syndicat,
sont le signe irréfutable de la dimension politique que la FESCI a
revêtue.
Le déclenchement de la crise militaro-politique en Côte
d’Ivoire dès 2002 et ses prolongements a achevé de convaincre les
plus sceptiques sur cette nouvelle destiné des leaders de la FESCI. Leur
appartenance respective aux deux camps opposés durant la gestion de
Méité Sindou a dirigé le journal, Le patriote pendant plusieurs années avant de
fonder avec d’autres journalistes, transfuges de Le Patriote, un nouveau quotidien :
Nord-Sud. Journal proche de RDR d’Alassane Ouattara, il est aujourd’hui Secrétaire
National à la bonne gouvernance. Jean Marie Kouassi Ahoussou, fut Directeur de
publication du quotidien l’inter, Sylvain konin est le directeur de publication de Le
Courrier d’Abidjan, Assalé Alafé est le fondateur et ancien rédacteur en chef de
l’Intelligent d’Abidjan. Ils sont tous des anciens de la FESCI.
354
133
cette crise doublée de leur activisme notoire démontre que le pas
entre le syndicalisme et la politique a été bien franchie.
Au total, après plusieurs années de vie syndicale marquée, les
principaux leaders de la FESCI n’ont pu échapper au venin de la
politique. Les relations avec les partis politiques et leurs expériences
syndicales ont contribué à aiguiser leur appétit politique. Sur ce
terrain, ils affichent une fois de plus leur détermination à jouer les
premiers rôles. La conquête du pouvoir d’Etat dont chacun d’entre eux
a goûté les délices reste désormais le défi à relever.
Bibliographie
Entretien avec Ahipeaud Martial, premier Secrétaire Général de la
FESCI le 27 mars 2014 à Abidjan.
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gouffre, Paris, Hachette Littératures, 2005, 174 p.
Civil society agency appears to be having an impact in several
Northern African countries in the context of social change. At the
beginning of 2011 there were massive demonstrations and protests
not only in Algeria and Tunisia, but also in various other African
countries. Protests initially came from young people who went out
onto the streets and organized mass demonstrations. A wave of
protests motivated by poor living conditions arose and imposed
pressure on the authoritarian regimes.
VANGA (A. F) et al, « La violence à l’école en Côte d’Ivoire : quelle
implication des syndicats d’étudiants et élèves ?, Colloque international
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YAPO (M), La FESCI, antichambre des partis politiques ?, Fraternité
matin du 11 mai 2005, p.4.
Draft.
For students and young people especially the motivations stemmed
from the particular precarious education and employment situation
with gloomy future prospects. The unrests grew and were supported
by other parts of the population and later by the international
community. Protests often come from young mobilized people, and
students in particular serve as an easily mobilized group. Students
sometimes fixate on central social and political questions and the
medium of protesting and mass demonstrations is an especially strong
one for students seeking to place pressure on public figures, and
governments must sometimes accord students relevant political
influence (Altbach 1984). Many authoritarian regimes have acted
repressively against students (e.g., in Togo, Benin, Zaire, and Kenya),
but some political transformations, such as the Ethiopian revolution in
1974, did have student political activism as an important starting
point (Marx 2004: 320).
135
From 1989 onward Africa experienced a wave of liberalization
(Wiedner 1997), and students were one force in the civil societies
demanding democratic systems and political transformations. But
students also comprise part of the (future) political elite (Lipset 1966).
In the literature about the transformation and democratic process
there is usually only a short remark referring to the importance of civil
society and the influence of intellectuals, students and member of
several associations and organizations. But there is little research
about these groups and their impact in detail and especially about
current transformations of those groups (there are some exceptions
such as Altbach 1970,1998; Balsvik 1998; Zeilig/Ansell 2008)
Students have been actively involved in the struggle for independence
and have played a significant role in the liberalization and
democratization of various African countries. But how do the
movements themselves change after their goals have been achieved?
How do the motives of student activists interact with the mobilization
of student movements and their organizational structures?
To answer these questions I will use empirical data from two selected
complementary cases: Mali and Kenya. I will first provide a short
overview of the theoretical benchmarks for the mobilization and
organization of students’ political activism (1). I will outline the
central historical issues, the context of mobilization of student
activism, the organizational structures, and the motivations of student
leaders using interviews with former and current student activists
conducted between 2007 and 2013 in Mali (2) and Kenya (3). I will
close the paper with the comparison of these two cases (4).
1. MOBILIZATION AND ORGANIZATION OF ACTIVISM
The definitions of social movements are often open and sometimes
vague. The core of most definitions is that a social movement or social
movement organization (cf. Burstein1998:41) is a social actor aiming
for social change. The degree of organization and other features are
diverse. Dieter Rucht, for example, sees a social movement as “an
effort by mobilized networks of groups or organizations to initiate,
prevent or reverse social change” (Rucht 1994:22). Raschke (1985:76)
defines it as a collective actor who influences social or political change.
Tilly (1998:469) underlines that social movements involve collective
claims on authorities and consist of a sustained challenge to power
holders. Rammstedt describes social movements as representing a
process supported by members of groups that do not have to be
formally organized (1978:130). He classified the process into phases
with the final stage marking the institutionalization and integration of
the movement into the social structure (ebd.167ff.). This
institutionalization is not necessarily the end of a social movement; it
can also mean the stabilization of the social movement as an
institution (Eder 1994: 49).
Movements are initially very loosely organized, and the end or
transformation of the movement can also mean its transformation into
another civil society or political actor, such as interest groups, NGOs,
or political parties. This depends on whether the movements are
capable of being socially and politically integrated and on whether its
aims have been achieved. The change of social or political structures
can be reflected in modified organizational structures (such as the
foundation of a political party) or in the disorganization,
disappearance, or fragmentation of the movement. In order to
understand the process of institutionalization it is important to
136
consider the connection between the personal motives of the
movement's actors and organizations, and of the social and political
opportunity structures.
Following McAdam and the theoretical approach of political
opportunity structures in short, there are relevant dimensions for the
rise and success of social movements, such as openness of political
institutions, consensus of elites, existence of allies, and the degree of
repression of the State (cf. Meyer 2004). The state and its relation to
social movements, between state elites and the movement's actors, are
central in this case (Amenta et al. 2002). In distinguishing between
two types of success for social actors as challengers to the State,
Amenta et al. refer to Gamson. First, to win new benefits and, second,
to win some form of acceptance from the target of collective action
(ibid.:69). Guigni (1998:383) refers to Amenta et al., defining three
levels of success in an attempt to elaborate on Gamson's typology: cooptation of or recognition by opponents or the State, gains in policies
that aid the group, and the transformation of challengers into
members of the polity. Even though Amenta et al. distinguish between
State and social movements as challengers, it might be helpful to
distinguish between two parties to underline the interdependency
between the social movement and the State.
Mali and Kenya. These countries differ in terms of their political past,
their geo-political situation, and their social structure. Both countries
experienced democratization processes at the end of the 1980s and
student movements took part as civil society actors promoting
democratic rights. In both countries the first democratic elections took
place in 1992.
2. M ALI
Opportunity structures serve as the framework of the action of social
movements, and the success and outcome of these movements depend
on these structures (Tarrow 1994).
Since the second wave of democratization (Huntington 1991) Mali has
served as an important example of a relatively successful democratic
process activated and supported by the civil society. Students have
been an important political force since Mali’s liberation. Following
independence in 1960 the first president, Modibo Keita, attempted to
reorganize the subsistence-oriented country into a socialist
community. A coup brought Moussa Traoré to power in 1968, and Mali
was then ruled by a single-party authoritarian regime. In March 1991
mass pro-democracy rallies and nationwide strikes were held in both
urban and rural communities. In the capital, Bamako, the military
opened fire on participants in demonstrations organized by university
students joined by trade unionists and others (cf. Marx 2004). In 1991
the regime was overthrown by a military coup d’état and the first
democratic elections took place soon after. The transitional
government of Moussa Touré was replaced following these elections.
Until the military coup in March 2012 Mali served as an example of a
successful democratic process in Africa (cf. Poulton/ag Youssouf 1998;
Sissoko 2004).
The interaction between political actors and social movements differs
from case to case. How these processes of organization and
institutionalization proceed in countries with different social and
political structures will be described by the empirical case studies of
The development of universities began relatively late in Mali and the
university in its current form has existed since 1996 in the capital
Bamako. Older educational institutions have been integrated into the
university structure. Since the 1990s decentralization programs have
137
aimed to change the centralistic political structure not only in the
educational sector.
because you cannot find employment. You feel as if you were not a
part of the society. Excluded, in one word.ʺ
The Union Nationale des Etudiants et des Elèves du Mali (UNEEM) was
founded in 1979 as a student movement but was banned by the
government. The student leader Abdul Karim Camara was imprisoned
and died in custody (Imperato/Imperato 2008: 298). Oumar Mariko
became the general secretary of the UNEEM organization, and in 1991
became the cofounder of the student organization of all pupils and
students in Mali, the Association des Elèves et Etudiants du Mali
(AEEM). In the transitional government students had an
institutionalized voice until the first democratic elections in 1992.
The activities and members of the AEEM as an advocacy group have
been met with ambivalent responses (Smith 1997). Activists are
sometimes described as troublemakers aiming to privilege
themselves. One student in Bamako who was not a member of the
AEEM remarked that, “there is no real student organization to represent
the students' interests.” Instead the AEEM is “based on the personal
interests” of their members.
Former student activists (such as Oumar Mariko) function as role
models for current AEEM members. The current AEEM is a nationwide
student organization. On the university level there are representatives
of all faculties. The AEEM also has a central office for nationwide
coordination. Student strikes and protests sometimes lead to the
closure of the university as well as to so-called années blanches: school
years without instruction. The relation between state and students is
contentious. Reasons for protest often relate to problems with public
scholarships, a difficult educational situation, and precarious
employment opportunities for graduates (Diakité 2000: 28f). Students
often feel marginalized:
“If I had a chance to live abroad I would like that. Yes, it is true,
Mali is our country where we are born and raised. But there is no
support for us, for the intellectuals. There are so many like me,
educated, graduated, with the capacity to do so many things, to do
research. But you graduate, you sit down and you are waiting,
Current student activists see themselves as part of a tradition of
influential student activism. The former role of students as civil society
actors in Mali’s democratization process is an important benchmark
for the perception of the socio-political meaning of the student
organization and for the role of current activities. On a personal level
active AEEM members underline social motives as reason for their
engagement, as well as the aim to fight for a better education and
social situation for students. When asked for their motivations for
being engaged in the association they almost always first gave
narratives about social and idealistic motivations: to fight for student
rights, to solve social problems and to work for Mali’s development.
One student answered: “To demand student rights! All the important
men came though the AEEM. If you want to go into politics, you have to
be in the AEEM. We, we’ve got one ambition, and it’s not in the AEEM, it’s
in the future.” Or another activist described that the activities of the
AEEM are essential. He said: “There’s too much injustice in this country,
like in any African country. As student leaders we often have to confront
certain situations.”
138
Many members of the AEEM argued that their participation was first
due to social motives such as “wanting to help others” and “developing
the nation”. Such engagement also forms strong networks helpful in
building a future career. There are multiple reasons for getting
involved in student activism. Privileges such as receiving the best
rooms in the dormitory (the AEEM is responsible for the
administration of the halls of residence on campus) can also play a
role. The political meaning of the student organization and the fact
that many former student activists play a role in national politics is an
important aspect for current student leaders. An AEEM-member
describes the motivation for his participation in student political
activism:
“What motivated me is that I’m someone who’s always shared
people’s problems. Someone else’s problem is my problem. That’s
what made me join the AEEM. Apart from that: for political
reasons. Because AEEM is really an important platform for getting
a political career started. Look at our professional people, they all
came through the AEEM. Even if at the beginning it wasn’t the
same name, AEEM, they’re the people who came through the
student association. So it’s preparation for the future, and what’s
more, it’s to be useful and to serve.”
Former student activists have been actively involved in the
democratization process and some of the former activists still play a
role in the civil society or in national politics. The motivation of
current activists is multiple and influenced by the achievements of the
former movement. Student leaders are politically active and they often
intend to work on a future (political) career. This relates also to the
opportunity structures. The organizational structure of mobilized
students began with spontaneous meetings and then developed more
institutionalized structures. Important objectives of the student
movement such as the realization of a multi-party system and
democratic elections were achieved in 1992.
The AEEM as central student organization has established itself as an
institutionalized structure to represent the student body. This
structure can also be useful for members in terms of preparation for a
future career.
3. KENYA
Kenya became independent from Great Britain in 1963. Under Jomo
Kenyatta the Kenya African Union (KANU) became the State party and
Kenyatta extended the power of the presidential chair. Since 1967
Kenya was a de facto one-party state. But with the takeover through
Moi after Kenyatta died in 1982, an article was legislated and Kenya
became an one-party state de jure (Mair 1998: 239). Ethnic
fragmentation and fundamental conflicts of interest in the context of
land rights, as well as a clientelistic political culture, are key issues in
Kenyan politics (Mair 1998: 245). An attempted coup in 1982 failed
and the repression grew (Mair 1998: 247).
Kenya has a relatively old and differentiated civil society structure
shaped by numerous NGOs (Neubert 1994). In the middle of the 1980s
civil society forces emerged, among them journalists, the law society,
churches, and students. But external pressure also forced the
government to reform. In 1992 the election legitimated the governing
party KANU with Moi as president (Mair 1998: 239).
The oldest university, the University of Nairobi, was founded in 1956
as part of the University of East Africa and became independent in
139
1970. Kenyatta was the first president355. There are presently
universities and institutions for higher education in all parts of Kenya.
Students in the 1960s benefited from public financial support and had
positive career prospects. There has not been as much political
activism. After 1970 political activism grew and led to confrontations
with Moi’s government. The government closed the university for
several months and brutally repressed any kind of demonstration
(Amutabi 2002). Between the mid-1970s and mid-1990s there have
occasionally been student protests that were accompanied by claims
for democratic reforms. Students fought against structural adjustment
programs (SAP), unemployment, and reductions in the public sector.
“The students have also fought against corruption, tribalism, the
grabbing of public land and police brutality. They have participated in
popular protests, street demonstrations, rallies, and strikes to assert
their position” (Amutabi 2002: 159).
Kenyatta and Moi recognized the meaning of student political activism
and attempted to control and weaken it through restrictive policy
(Amutabi 2002: 159f.; Marx 2004: 320ff).
interviews about their experience and about how activism influenced
their life course. Some discontinued their studies and some never
graduated from university.
As in Mali student politics in Kenya is strongly formalized. Each
university has a representation structure for students, such as the
Students Organization of Nairobi (SONU)356. The structure of student
politics is similar to the national parliament and there are professional
election campaigns every year. Candidates and student
representatives are often sponsored by national politicians. In return
student leaders can be mobilized for the politician's election
campaigns or for various political issues.
Many students actively involved in student politics intend a future
political career and name current politicians as role models and
mentors who also began their political activism on campus.
The campuses in Kenya (and in Mali as well) are used to develop
personal skills and to build networks. One SONU-member explained,
In the 1990s students of the University of Nairobi demonstrated and
used different forms of civil resistance to bring Moi and the KANU
under pressure (Amutabi 2002). External interventions such as those
by the World Bank led to political and economic reforms (Mair 1998:
248).
“…it’s good [to be a student leader] you can have opportunities
to meet very influential people in the country, you know. For example
when there is a workshop where they want student leaders to come for a
government workshop on leadership trainings, you know you can have
connections. You can get connections there that can help you in your
career or maybe to get a job.”
In the course of the protests students have been killed and activists
have been arrested or have gone into exile. Former activists spoke in
The possibility to create and develop networks is a central motivating
factor for students and a reason to confront the difficulties on the way
355
Vgl. http://www.uonbi.ac.ke/ [24.04.2014]
356
Vgl. http://sonu.uonbi.ac.ke/?page_id=50 [24.4.2014]
140
to becoming a student leader. Some students are sponsored by
politicians, and clientelistic structures connect student and national
politics. A former student leader explains that “Politicians want to have
a foot in the university.” because “Student leaders are useful for
mobilization.” It demonstrates that student activism is still an
important factor. The structure of student activism has changed and
student politics are formalized. The development of (student)
mobilization and subsequent organization is related to national
development. In Nairobi student politics emerged from a political
movement against the repressive regime and changed over time into a
professionalized and institutionalized structure of student politics.
4. FROM MOBILIZATION TO INSTITUTIONALIZATION
Altbach ascribes students the role of a social and political barometer
for their societies (1998:112). This is also true for Mali and Kenya.
Phases of mobilization and organizational structures are influenced by
national and international political processes. There are
interconnections between national politics and student political
activism in both cases. Political mobilization and organization is
rooted in the political opportunity structure and connected to the
motives of activists.
Although the historical trajectories and social structures in Mali and
Kenya are very different, in both countries the student movement has
been mobilized out of political interests and to change the
authoritarian political structures. They established student activism
on campus and institutionalized representative structures in modified
political opportunity structures.
In Mali students were a strong civil society force and have been
actively involved in the interim government. In Kenya students
comprised one civil society actor among others, such as the law society
and organized journalists. Cooperation with other civil society actors
existed in both cases (with different organizations such as trade
unions and churches).
With political liberalization the movements institutionalized and
student politics professionalized. Former student activists became
politically involved on a national level and serve as role models for
current student leaders. Relationships between students and the elite
are an important part of student politics that offers many
opportunities. Student leaders describe this relationship as one that
introduces e.g. the possibility of affiliating oneself with political
parties. Other options are the employment in NGOs or the foundation
of NGOs as possible career options.
The pursuit of representative and social objectives in addition to
personal motives lead to engagement in student politics. An important
part of Kenyan student politics is forming a network and attaining
sponsorship by politicians. Patronage between student leaders and
politicians is often influenced by ethnic structures. One student leader
in Nairobi remarks “mostly it takes tribal lines you know, it is very hard
to access leaders from other communities if you are not from their
community.”
But clientelistic structures exist in both countries. Networks between
former and current student leaders also exist in Mali and social
networks between the members of student organizations is one of the
most important reasons for active members to participate.
The movements in both countries have been transformed in terms of
their social and political meaning and in terms of their organizational
141
structure in the transforming opportunity structures. Organizational
structures of the student movements have changed in the political
democratization process that was influenced by civil society actors
such as student movements. The movements have been
institutionalized and professionalized and the entanglement of student
and national politics enables possibilities for students but it can also
lead to the instrumentalization of the structures. The influence and
meaning of student activism has changed but is still an important
aspect within the modified opportunity structures.
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143
JOSEPH KOFFI NUTEFÉ TSIGBE. LES CONTESTATIONS ÉTUDIANTES À
L’UNIVERSITÉ DE LOMÉ : ENTRE POLITISATION, RADICALISATION ET
NÉGOCIATION (1990-2010)
Docteur, Maître-assistant en Histoire contemporaine, Département
d’Histoire et d’Archéologie/ Université de Lomé, [email protected]
INTRODUCTION
De nos jours, on assiste à la récurrence des mouvements
sociaux à travers le monde. Que ce soit aux Etats-Unis, en Europe, en
Asie ou en Afrique, les citoyens choisissent de plus en plus les
manifestations protestataires à caractère social, pour dénoncer la
violation de leurs droits et surtout, pour obtenir de meilleures
conditions de vie et de travail. C’est pour cette raison que Jean-Guy
Vaillancourt (1991) définit un mouvement social comme étant une
« action collective voulue et organisée à travers laquelle un acteur de
classe, conscient de son identité et de ses intérêts propres, lutte avec
un adversaire identifié et ciblé pour la direction sociale de l'historicité,
dans une situation historique bien concrète ».
Ces mouvements n’épargnent pas le monde universitaire qui,
depuis les événements de mai 1968 en France, est rentré dans un cycle
de contestations étudiantes que les pouvoirs publics résolvent soit par
la répression, soit par la négociation.
Au Togo, les étudiants ont bénéficié des bonnes grâces du
pouvoir en place, de la création de l’Université du Bénin en 1970357
jusqu’en 1990. En effet, pendant cette période de parti unique358, les
Depuis 2001, elle a changé de nom pour devenir Université de Lomé.
Arrivé au pouvoir en avril 1967 à la faveur d’un coup d’Etat militaire, le président
Eyadema a créé, en novembre 1969, un mouvement qui va devenir le parti unique : le
357
358
étudiants togolais étaient considérés comme les protégés du pouvoir
aussi bien à Lomé qu’à l’intérieur du pays (Kpodo, 1993 : 77), étant
donné que le président de la République d’alors faisait preuve de
générosité à leur égard, en leur octroyant des dons en espèces, lors des
congrès, séminaires et des marches de soutien (Batchana, 2013 : 2346). Mais l’explosion populaire dont Lomé a été témoin, le 5 octobre
1990 (Agboyibo, 1999), à la faveur des mutations intervenues dans la
politique internationale au tournant des années 1980 (Eshetu et
Jibrinn, 1995), n’a pas épargné le campus universitaire. Des étudiants
togolais, regroupés dans des associations concurrentes au Mouvement
national des étudiants et stagiaires du Togo (MONESTO) proche du
pouvoir, réclamèrent par le biais de tracts, de graffitis, de grèves et de
marches de protestations, la démocratie (Batchana, 2013 : 23-46).
Depuis lors, les années académiques furent perturbées : cours
interrompus par des étudiants en colère, affrontements entre
apprenants ou entre eux et les forces de l’ordre, etc. Ces violences ont
atteint leur paroxysme en 2004, année au cours de laquelle, plus que
jamais auparavant, l’Université de Lomé s’est présentée comme un
champ de tir dont la cible était les étudiants. On a assisté à la
radicalisation aussi bien dans le rang des étudiants que dans celui des
pouvoirs publics (Danioué, 2010 : 224). Mais à partir de 2005, avec le
décès du président Eyadéma qui a opté pour la méthode forte vis-à-vis
des étudiants, les nouvelles autorités ont choisi le dialogue, ce qui a
conduit au retour de la sérénité sur le campus, jusqu’en 2010. Mais il
Rassemblement du peuple togolais (RPT). Ce dernier a tenu en laisse les Togolais
jusqu’en 1990, où il a été balayé par le vent de démocratisation qui a soufflé sur le
Togo (lire Tsigbé, 2012 : 67-99). Pendant toute la période d’existence du parti unique,
les seules manifestations ouvertes qu’on pouvait noter dans ce pays étaient des
marches de soutien au pouvoir en place. Les associations estudiantines y ont joué un
rôle de premier plan. C’est qui explique l’attention particulière que le pouvoir a porté à
ces étudiants (Batchana, 2013 : 23-46).
144
est évident que les étudiants togolais, tout comme ceux du Niger et du
Burkina Faso (Sory, 2012 : 171-194) ont, malgré tout, payé un lourd
tribut dans le bras de fer qui les a opposés au pouvoir. Au regard de
cette réalité, il se pose la question suivante : en quoi peut-on dire que
les mouvements étudiants à l’Université de Lomé ont allié, entre 1990
et 2010, politisation, radicalisation et négociation ? Quelles sont les
raisons de la politisation du mouvement étudiant à l’Université de
Lomé et comment s’est-elle manifestée ? Comment expliquer la
radicalisation de la contestation étudiante en 2004? Comment est-on
passé de la radicalisation à la négociation à partir de 2005? Quels sont
les enjeux de ces mouvements pour les acteurs aussi bien du monde
universitaire que de la sphère politique ?
La présente contribution qui s’appuie sur les travaux
scientifiques existants ainsi que sur la presse et les témoignages des
acteurs de l’époque étudiée, a pour but d’analyser l’évolution des
mouvements étudiants à l’Université de Lomé, de 1990 à 2010, afin de
tirer les leçons qui s’imposent.
1. LES MOUVEMENTS ÉTUDIANTS À L ’UNIVERSITÉ
1990 À 2003 : QUELLE GRILLE DE LECTURE ?
DE
LOMÉ
DE
Pour mieux comprendre les raisons de la politisation du
mouvement étudiant à l’Université de Lomé entre 1990 et 2003, il
n’est pas superflu de présenter un bref aperçu historique de la
situation ayant précédé les manifestations de l’ère de la
démocratisation.
1.1.
L’Université de Lomé et les mouvements étudiants
avant 1990
Dans cette section, il sera question de présenter d’abord le
cadre géographique et humain de l’étude avant de se pencher sur les
mouvements étudiants proprement dits.
1.1.1.
De l’Université du Bénin à l’Université de Lomé : les étudiants
et leur cadre d’études
Anciennement Université du Bénin, l’Université de Lomé (ainsi
dénommée depuis 2001) est créée en 1970 par décret présidentiel n°
70-156/PR du 14 septembre 1970359. Il s’agit d’un établissement
public à caractère scientifique et culturel, doté de la personnalité
morale. Il dispense un enseignement laïc et indépendant de toute
emprise politique.
A son ouverture, l’établissement comptait cinq écoles. Il s’agit
des écoles de lettres, droit, techniques économiques et de gestion,
sciences et médecine. En 1988, ces écoles sont devenues des facultés
et ont pris les dénominations suivantes : Faculté mixte de médecine et
de pharmacie (actuellement Faculté des sciences de la santé) (FMMP
devenue FSS depuis 2010), Faculté de droit (FDD), Faculté des
sciences économiques et de gestion (FASEG), Faculté des lettres et
sciences humaines (FLESH). L’Université de Lomé compte, par ailleurs,
cinq écoles, à savoir, l'Ecole des assistants médicaux (EAM), l'Ecole
supérieure d'agronomie (ESA), l'Ecole nationale supérieure
d'ingénieurs (ENSI), l'Ecole supérieure de secrétariat de direction
(ESSD), l'Ecole supérieure des techniques biologiques et alimentaires
Lire les Textes fondamentaux de l’Université de Lomé, 3ème édition revue et
augmentée, Lomé, Presses de l’UL, 2002.
359
145
(ESTBA). Elle dispose également de trois instituts : l'Institut national
des sciences de l'éducation (INSE), l'Institut universitaire des
technologies de gestion (IUT-Gestion), l'Institut des sciences de
l'information, de la communication et des arts (ISICA). Enfin, elle
compte un centre : le Centre informatique et de calcul (CIC)360.
Carte montrant les structures de l’Université de Lomé
D’une superficie totale actuelle de 270 ha, l’Université de Lomé,
répartie sur deux campus (campus nord et campus sud), compte, en
dehors des amphithéâtres et des salles de cours, des structures comme
la bibliothèque universitaire, le restaurant, les aires de jeux, la ferme
d’expérimentation agropastorale, le jardin botanique, etc. Elle loge, par
ailleurs, d’autres structures de formation ne relevant pas de
l’enseignement supérieur, notamment l’Ecole nationale de formation
sociale (ENFS), la Direction des formations (DF), le Centre
international de recherches et d’études de langue communément
appelé (CIREL) Village du Bénin (VB). Enfin, on trouve sur le domaine
de l’Université de Lomé, une mosquée, le Centre catholique
universitaire (CCU), le Centre hospitalier universitaire (CHU) et
certaines structures bancaires. La carte suivante présente toutes ces
structures.
Source : Tsigbé, 2014.
Les structures pédagogiques représentées sur cette carte
accueillent des étudiants dont le nombre ne cesse d’augmenter
d’année en année.
Campus Actualités, journal d’information de l’Université de Lomé, n° 012 de mai
2005, p. 3.
360
Lorsqu’elle ouvrait ses portes en 1970, l’Université de Lomé
avait un effectif total de 845 étudiants. Au début des années 1980, le
nombre d’inscrits est passé à 4 447. Au cours de l’année académique
1991-1992, l’effectif fut porté à 10 001. Dix ans plus tard, les inscrits
146
ont atteint le chiffre de 14 711 étudiants361. A la rentrée universitaire
2013-2014, le nombre d’étudiants inscrits à l’Université de Lomé était
estimé à 50 000. En se basant sur les chiffres de 2004-2005 et de
2011-2012, on se rend à l’évidence que l’accroissement annuel moyen
des étudiants qu’accueille l’institution est de 18,01 %.
Parmi les établissements d’accueil des étudiants, les Facultés
sont les plus sollicitées, comme l’illustre le graphique suivant.
Source : Tsigbé, à partir des données statistiques du
rapport annuel 2011 de l’Université de Lomé.
Selon les données de ce graphique qui présente, à titre
illustratif, l’état des inscriptions enregistrées au cours de l’année
académique 2010-2011, l’ordre de sollicitation des facultés est le
suivant : FLESH (18 140 étudiants), FASEG (10 566), la FDD (5 464), la
Les données statistiques utilisées dans cette partie sont tirées du rapport annuel
2011 de l’Université de Lomé.
361
FDS (5 189), FMMP (1042). La situation dans les autres établissements
se présente comme suit : CIC : 122 inscrits ; EAM : 691 ; ENSI : 344 ;
ESA : 647 ; ESSD : 259 ; ESTBA : 596 ; INSE : 566 ; ISICA : 271 ; IUTGestion : 190.
La forte affluence des étudiants vers les facultés s’explique par
le fait que les Facultés (excepté la FMMP) sont des établissements où
les conditions d’accès ne sont pas aussi restrictives que ce qui est en
vigueur dans les autres établissements. De ce fait, les problèmes de
gestion des flux se posent avec plus d’acuité dans les Facultés que dans
les Ecoles, Instituts et Centre.
Comme on peut le constater, les effectifs des étudiants à
encadrer ont atteint des proportions écrasantes. En conséquence,
l’encadrement est loin d’être efficace. L’Université de Lomé est ainsi
loin de remplir les normes internationales d’encadrement en vigueur.
Car, selon les dispositions de l’Unesco pour les pays en voie de
développement, le ratio jugé acceptable est de 30 étudiants par
enseignant. Or, à l’Université de Lomé, en 2010-2011, ce ratio était de
l’ordre de 92 étudiants par enseignant. Ce taux doit avoir franchi
actuellement (2014) le cap de 100 étudiants par enseignant, au regard
de l’évolution des effectifs. Ceux-ci, ont du mal à se loger dans les salles
de cours qui leur sont attribuées.
En effet, à sa création en 1970, quelques salles de cours ont été
construites. Progressivement, des amphithéâtres ont été érigés pour
gérer les grands groupes. C’est l’exemple des amphis 20 ans, 600, FDS,
FMMP, 500 et, récemment, les amphis 1000, 1500 ainsi que l’amphi
polyvalent en construction. En dehors de ces grands amphis, il en
existe de petits (dans chaque établissement) ainsi que des salles de
147
cours et quelques agoras362. Mais il est clair que ces infrastructures
pédagogiques restent toujours insuffisantes ce qui pose le problème
de programmation des cours et même des examens. Ce cadre de
travail et les problèmes y afférents, ainsi que la massification dans
l’enseignement supérieur vont amener les étudiants à s’organiser en
associations et à faire des mouvements pour réclamer soit, les
meilleures conditions de travail (rarement), soit les meilleures
conditions de vie (le plus souvent). Ces mouvements étudiants ne
datent pas d’aujourd’hui.
1.1.2.
Bref aperçu historique des mouvements étudiants à
l’Université de Lomé avant 1990
Les mouvements étudiants à l’Université de Lomé avant 1990
et même après, sont généralement portés par des associations
estudiantines qui, pour avoir une existence légale, sont appelées à se
déclarer, à l’instar de toutes autres associations, au ministère chargé
de l’administration territoriale, selon les dispositions de la loi du 1er
juillet 1901363. Après leur enregistrement auprès des pouvoirs publics,
ces associations, pour opérer sur le campus, devront se déclarer
auprès des autorités universitaires364.
Au cours de la période allant de 1970 à 1990, le Togo ayant
évolué sous le parti unique, des dispositions ont été prises pour
dissuader toutes velléités de contestation étudiantes. Les autorités
universitaires étaient mises en alerte par le régime en place pour
362Ce
sont des espaces couverts (en forme d’apatam) servant de lieux d’enseignement
Journal officiel de la République togolaise (JORT), du 16 avril 1946, p. 328. Il s’agit
des titres I et II du décret n°46-432 du 13 mars 1946.
364 Il arrive souvent que des associations étudiantes non enregistrées auprès des
pouvoirs publics opèrent contre sur le campus universitaire contre le gré des autorités
universitaire.
363
étouffer tout mouvement étudiant. Ainsi, de 1970 à 1975, cette
stratégie a fait que l’Université du Bénin n’a été le théâtre d’aucune
manifestation étudiante.
En 1976, le Mouvement national des étudiants et stagiaires
togolais (MONESTO) fut créé. De mèche avec l’Association des
étudiants togolais de l’Université du Bénin (AETB) qui, créé en 1970,
était devenue son antenne locale en 1976, le MONESTO s’est arrangé à
ne jamais organiser d’actions protestataires pour exiger les meilleures
conditions de vie et de travail des étudiants, en dépit du fait qu’il avait
pour objectif principal la défense des intérêts matériels et moraux de
ses membres (Batchana, 2013 : 24). Les seuls mouvements qu’elle a pu
organiser sont des marches de soutien au régime en place. En
conséquence, même mécontents de leur sort, les étudiants de
l’Université du Bénin n’ont pas réussi à mener, entre 1976 et 1990, des
mouvements ouverts et violents comme ce fut le cas ailleurs en
Afrique. Face à cette situation, ils ont dû recourir, de façon épisodique
et clandestine, à la diffusion des tracts sur le campus et ailleurs365
(Danioué, 2010 : 205).
Ainsi, le MONESTO et sa branche locale l’AETB, soutenus par
d’autres structures étudiantes officielles (comme les amicales de
Même cette forme de contestation n’est pas laissée impunie par les pouvoirs
publics. En 1977, par exemple, dans une affaire de tract intitulé « Dix ans ça suffit »
(faisant allusion aux dix ans de gouvernance du Togo par Gnassingbé Eyadema, depuis
sa prise de pouvoir, en 1967, à la faveur d’un coup d’Etat) et en 1985 et 1986 dans une
autre affaire dite « des professeurs égarés », des étudiants furent appréhendés pour
« diffusion de tracts mensongers » (Agboyibo 1999 : 63). On peut citer, comme autre
exemple, le cas de l’année 1988 où, dès janvier, des étudiants ont distribué des tracts
pour dénoncer le retard accusé dans le paiement de leur bourse d’études. Par ces
mêmes tracts, ils ont réclamé le paiement immédiat de leur bourse et la prise en
compte de tous les étudiants nécessiteux par le programme d’aides scolaires (Danioué,
2010 : 207).
365
148
préfectures) ou non (allusion faite à l’Amicale des élèves et étudiants
du nord-Togo –AMENTO-) ainsi que les autorités universitaires se sont
organisés, de la création de l’Université du Bénin à 1990, à quadriller
la population estudiantine afin de la mettre hors des agitations et des
contestations, même pour des revendications légales. De même, sur le
plan international, en vue de mieux surveiller les mouvements
étudiants togolais de l’étranger, le MONESTO a dû créer des sections
affiliées qui, en 1987, atteignirent le nombre de douze. Il s’agit de
l’Association des étudiants et stagiaires du Togo au Mali (ASESTOMA),
de l’Association des étudiants et stagiaires du Togo en Tunisie
(AESTOT), de l’Union des étudiants et stagiaires du Togo en Algérie
(UESTA), de l’Union des étudiants et stagiaires du Togo en URSS
(UESTO-URSS), de l’Union des étudiants et stagiaires du Togo en Chine
populaire (UESTOC), de l’Union des étudiants et stagiaires du Togo au
Ghana (UESTOG), de l’Union des étudiants et stagiaires du Togo en
France (UESTOF), de l’Association des étudiants et stagiaires du Togo
en Côte d’Ivoire (AESTOCI), de l’Union des étudiants et stagiaires du
Togo au Niger (UESTON), de l’Association des étudiants et stagiaires
du Togo en Roumanie (AESTRO), de l’Association des étudiants et
stagiaires du Togo au Canada (l’AESTOCA), de l’Union des étudiants et
stagiaires du Togo au Sénégal (UESTS)366. Mais à partir de 1990, la
situation va changer.
1.2.
Les mouvements étudiants de 1990 à 2003 : de la
politisation à la « normalisation »
A la faveur des mutations intervenues sur la scène
internationale au tournant des années 1980 ayant occasionné, au
Togo, le mouvement du 5 octobre 1990, journée au cours de laquelle
les Togolais ont osé critiquer vertement le régime en place et réclamer
sa dissolution, le pouvoir, incarné par le parti unique (RPT), ainsi que
le MONESTO et ses affiliés officiels ou non, furent publiquement
désavoués par des étudiants. Très vite, ceux-ci ont créé des
associations concurrentes au MONESTO. C’est le cas du Mouvement
estudiantin de lutte pour la démocratie (MELD), dont les actions ont
conduit au mouvement du 5 octobre 1990 sus-mentionnés367. Présidé
par Têko D. Yovodevi, ce mouvement s’est assigné pour mission de
militer pour l’avènement d’une démocratie multipartite et remettait
publiquement en cause le caractère tribaliste des amicales
préfectorales d’étudiants. Les actions du MELD étaient soutenues par
d’autres mouvements estudiantins qui en étaient idéologiquement
proches. Il s’agit, entre autres, du Groupe de réflexion et d’action des
jeunes pour la démocratie (GRAD) présidé par Noviti Spéro Houmey,
l’Organisation universitaire de lutte pour la démocratie (OULD) de
Komla Aboli. Le 20 février 1991, ces trois associations se constituèrent
en Collectif des mouvements de lutte pour la démocratie (Batchana,
2013 : 31).
A travers sa dénomination, ce collectif s’est affiché clairement
comme mouvement politique, ayant revendiqué son appartenance à la
mouvance de l’opposition dite démocratique. Une fois constitué, le
Le 23 août 1990, neuf étudiants sympathisants du MELD (Karakoro Bitchinidji,
Ouyi Nabine, Djobo Adjae Baolé, Lossou Sassou, Ahadji Ablam, Yovodevi Têko Djolé,
Alfa Boda Rehim, Efoui Kossi, Kalefe Kwadzo Ketomagna) et quatre autres personnes
taxées de « fabriquer et de diffuser des tracts mensongers, diffamatoires incitant
l’armée à la révolte » furent arrêtés (Lire Les Echos, n° 6 Août-septembre 1990). C’est
le verdict du jugement des inculpés qui a conduit à l’explosion populaire du 5 octobre
1990 (Massina, 1997 : 14).
367
L’Etudiant togolais, n° spécial 10ème anniversaire du MONESTO, 1987, p. 4. A ces
douze structures, on ajoute l’AETB, l’Union des étudiants de l’école nationale
d’administration (UENA) et l’Association des étudiants de l’école nationale supérieure
d’Atakpamé (AEENSA) qui sont des branches locales du MONESTO. Parmi ces trois
structures, seule l’AETB exerçait sur le campus universitaire de Lomé.
366
149
collectif adressa une lettre ouverte au chef de l’Etat dans laquelle il
précisa ses objectifs formulés en six points : i) une amnistie générale
sans discrimination aucune et avec des garanties ; ii) la dissolution du
RPT et l’annulation de son projet de constitution ; iii) l’autorisation
immédiate de la création des partis politiques et des syndicats
autonomes ; iv) la libéralisation des mass média officiels à tous les
acteurs de la vie publique ; v) la convocation d’une Conférence
nationale souveraine ; vi) des élections en présence d’observateurs
des Nations-Unies, d’Amnesty International, de la Presse
Internationale368.
Le 12 mars 1991, considérant que le chef de l’Etat était resté
sourd à leurs revendications contenues dans la lettre ouverte, le
Collectif en a formulé d’autres composées de huit points. i) libération
immédiate et sans condition de l’étudiant Nayone arrêté depuis le 27
avril 1990 pour ses supposées prises de position contre le régime en
place ; ii) autonomie de l’Université du Bénin ; iii) amélioration des
conditions de vie des enseignants (augmentation des salaires) ; iv)
reconsidération des critères d’attribution des bourses et augmentation
de celles-ci ; v) allocation d’une aide substantielle à tous les étudiants
non boursiers ; vi) augmentation de l’aide scolaire annuelle des élèves
bénéficiaires ; vii) équipement matériel des établissements scolaires
de tous les degrés ; viii) allocation d’une indemnité de chômage à tous
les diplômés sans emploi369.
Pour amener les autorités gouvernementales à cesser de « les
considérer comme "des moins que rien" en donnant satisfaction à leurs
réclamations 370», le Collectif enjoint aux étudiants de boycotter les
cours jusqu’à nouvel ordre. Les étudiants et des enseignants n’ayant
pas respecté ce mot d’ordre de grève ont été amenés de force à
évacuer les amphis (Batchana, 2013 : 35).
Face à cet usage de la force pour déloger enseignants et
étudiants non grévistes, les étudiants du MONESTO et de l’AETB ont
déclenché ce qui fut appelé à l’époque, l’opération « tempête du
trou371 » afin de « libérer le Koweit ». Voici comment le journal Atopani
Express décrit les événements : « Les étudiants réfugiés à la
bibliothèque [universitaire] et qui furent délogés par leurs assaillants
reçurent l’ordre de se déshabiller. Ils furent ensuite gratifiés d’une
première ration de bastonnade, furent contraints de passer entre une
haie d’assaillants où, sous l’œil bienveillant du second groupe de
militaires, ils furent encore copieusement passés à tabac avant d’atterrir
en catastrophe dans un trou à l’entrée Est de la bibliothèque. Là, les
tortionnaires continuaient de les battre à coup de ceinture militaires, de
gourdins, de chaînes de vélo, les aspergeaient d’acide, leur lançaient des
cailloux et leur versaient du sable dessus. Du sang coulait. Le rebord du
trou en était couvert372 ».
Ces manifestations violentes n’ont pas laissé le corps
enseignant indifférent. En effet, le Syndicat des enseignants du
supérieur du Togo (SEST), après avoir condamné fermement cette
escalade de la violence sur le campus universitaire qu’il a attribuée aux
deux groupes d’étudiants, a appelé à la suspension des cours373 jusqu’à
Forum hebdo, n° 30 du 15 mars 1991, pp. 1-4.
En référence à l’opération « tempête du désert » déclenchée par l’OTAN afin de
libérer le Koweït envahi par les troupes irakiennes de Saddam Hussein.
372 Atopani express, n° 87 du 12 août 1991, p. 5.
373 L’Etincelle, n° 20 du 20 mars 1991, p. 5.
370
371
Forum Hebdo, n° 27 du 22 février 1991, p. 8. Lire aussi L’Etincelle, n° 17 du 27
février 1991, pp. 1-2.
369 Forum hebdo, n° 30 du 15 mars 1991, pp. 1-4.
368
150
ce que la sérénité ne revienne sur le campus. Malgré cet appel,
l’affrontement inter-étudiant ne baissa pas d’intensité. Au contraire, il
s’est étendu aux élèves du secondaire. D’ailleurs, le 14 mars 1991, le
Collectif s’est consolidé en s’alliant à sept associations politiques pour
créer le Front des associations pour le renouveau (FAR). C’est ce front
qui, pendant cette période, portait toutes les revendications, même
celles afférentes aux questions matérielles et académiques des
étudiants.
La situation était telle que le gouvernement ne pouvait rester
inactif. Déjà, le 18 mars 1991, le président de la République a
rencontré les responsables du FAR. Leurs discussions ont débouché
sur la mise en place d’une commission mixte paritaire chargée
d’étudier, entre autres, les revendications estudiantines. Présidée par
Maître Joseph Kokou Koffigoh, alors président de la Ligue togolaise des
droits de l’homme, cette commission se réunit le 31 mars suivant et fit
les recommandations suivantes au chef de l’Etat : reconnaissance des
associations d’étudiants et d’élèves ; dissolution et l’interdiction de
toutes les amicales d’étudiants et d’élèves à caractère tribal et
régional ; interdiction du port d’armes et d’instruments de violence
sur le campus universitaire et dans les établissements scolaires ;
respect de l’autonomie de l’Université vis-à-vis du pouvoir politique ;
respect de l’autonomie administrative et financière de l’Université ;
respect total des franchises universitaires ; obligation pour les agents
de sécurité (policiers, gendarmes ou militaires) régulièrement inscrits
à l’Université du Bénin d’aller au cours en uniforme afin de lever
toutes équivoque et suspicion ; création, pour la sécurité interne des
étudiants, d’un corps de vigils indépendant de tous autres corps de
sécurité de l’Etat et placé sous les ordres et le contrôle exclusifs des
autorités universitaires ; attribution des bourses d’études
universitaires non sur la base de considérations régionales mais plutôt
sur le fondement de critère ci-après : conditions socio-économiques,
mérite, âge ; octroi des bourses de 3è cycle sur la seule base des
critères de mérite et d’âge ; restructuration de la commission
d’attribution des bourses de manière à y inclure des représentants
élus des étudiants, des représentants élus des enseignants et des
représentants de l’Assemblée nationale374.
Malgré le fait que les recommandations demandent clairement
la création d’un corps chargé de la sécurité qui échapperait totalement
à son contrôle et la suppression des associations estudiantines comme
l’AMENTO, le MONESTO, l’AETB, ce qui le priverait de son soutien sur
le campus, le président de la République dit avoir accepté le principe
dans l’intérêt de la paix et de la concorde de tous les fils de la
nation375 ».
D’autres recommandations furent faites concernant les
conditions matérielles des étudiants. La synthèse de ces
recommandations sont ainsi présentées par Batchana (2013 : 40) : « la
suppression des 2 000 francs de prélèvement annuel obligatoire sur la
bourse des étudiants pour le compte de l’AETB, l’accès au restaurant
universitaire à tous les étudiants boursiers et non boursiers376, le
renforcement du fond documentaire de la Bibliothèque centrale de l’UB,
l’augmentation de la capacité du parc auto et la création de nouvelles
lignes de desserte, l’encouragement de la construction de cités
universitaires et de locaux pédagogiques, la formation pédagogique des
enseignants, l’accélération de l’extension des Facultés de Médecine et des
L’Etincelle, n° 22 du 3 avril 1991, pp. 1-3.
La Nouvelle Marche, n°3465 du 9 avril 1991, pp. 1-3.
376 Les étudiants fonctionnaires pourront également accéder au restaurant
universitaire sous réserve d’un tarif spécial (Kadanga, 2007 : 49).
374
375
151
Sciences, de l’ESA, de l’ENSI et la construction de la Faculté des Lettres,
l’équipement de laboratoires et bibliothèques dans les Lycées et Collèges,
etc. […] » Par ailleurs, il a été retenu « qu’une demi-bourse soit accordée
aux étudiants nécessiteux et méritants de la 1ère année, que le taux de
bourse de 21 600 soit maintenu pour les étudiants de la 2e année. Quant
aux étudiants des 3e et 4e années, le relèvement de 50 % de la bourse, soit
à 32 400 F CFA. L’aide aux étudiants non boursiers passerait de 40 000 F
CFA à 80 000 F CFA377 , etc. ».
Ces accords ont été dénoncés par certaines associations
étudiantes, les qualifiant d’injustes vis-à-vis des 2 200 étudiants
boursiers de 1ère année sur les 4 100 que comptait toute l’Université.
En conséquence, elles réclamèrent 50 % d’augmentation pour tous les
étudiants sans distinction aucune (Kadanga, 2007 : 49). Pour se faire
entendre, elles exigèrent la suspension des cours jusqu’à nouvel ordre.
Eu égard à l’ampleur de ce nouveau mouvement, le
gouvernement décide, le 5 avril 1991, la fermeture de l’université et de
tous les établissements d’enseignement public et privé sur toute
l’étendue du territoire. La réouverture ne sera faite que le 6 mai
suivant378.
Cette mesure ne calma pas les ardeurs sur le campus
universitaire, car en juin 1991, une nouvelle donne se présenta. Il
s’agit du Conseil national extraordinaire tenu par le MONESTO à Lomé,
le 5 juin 1991 sous le thème « Multipartisme et syndicalisme étudiant :
L’Etincelle, n° 22 du 3 avril 1991, pp. 1-3.
Komi M. Viagbo, Crise de la société et mouvements sociaux: étude des mouvements
estudiantins
à
l'Université
de
Lomé,
disponible
sur
http://www.memoireonline.com/11/07/668/m_crise-societe-mouvements-sociauxestudiantins-universite-lome1.html, consulté le 27 mai 2014 à 21h04 min.
377
378
la place du MONESTO dans le renouveau démocratique ». A ce congrès,
les dissensions internes au sein du MONESTO sont apparues au grand
jour. Celles-ci ont conduit à la création du Haut conseil de coordination
des associations et mouvements estudiantins (HaCAME). Bien que
s’étant déclaré apolitique, ce nouveau mouvement, conduit par des
étudiants du nord-Togo comme Akadé, Bodjona, Bamnante, etc.
(devenus plus tard des figures de proue du régime en place) se dit se
réserver le droit de se prononcer sur les questions d’ordre politique379.
Cette dernière précision montre clairement que cette structure n’était
pas aussi apolitique que cela puisse paraître. D’ailleurs, elle s’est
illustrée par ses prises de position en faveur du pouvoir et par la
traque des « étudiants du Collectif » (Danioué, 2010).
Le HaCAME devint ainsi le soutien du parti au pouvoir ayant
contrecarré toutes les actions du Collectif et du FAR. Ce dernier, très
politisé, a mené des actions ayant conduit à la tenue de la conférence
nationale dite souveraine, du 26 juillet au 28 août 1991. La transition
politique qui en a découlé à fini par faire régner une accalmie sur le
campus de Lomé pour un temps. Les contestations n’ont repris qu’en
1999.
En effet, de 1999 à 2003, les mouvements étudiants ont repris
vie à l’Université de Lomé. La principale cause fut la non application
d’un certain nombre de recommandations issues des accords de marsavril 1991.
En 1999, des associations étudiantes entre temps
restructurées, se proclamant désormais apolitiques et regroupées
dans le Conseil de étudiants de l’Université du Bénin (CEUB)
379
Lire, l’article 2 des statuts du HaCAME, p. 2.
152
s’organisèrent pour exiger du gouvernement l’application de toutes les
recommandations
sus-citées.
Ils
dénonçaient
également
l’accumulation des arriérés de bourse, le non-respect des franchises
universitaires et le manque de structures adéquates.
Confronté à la rupture de la coopération internationale
intervenue depuis 1993 pour insuffisance démocratique, le
gouvernement togolais, était resté sourd à l’appel des étudiants. Face à
cette situation, ces derniers organisèrent des sit-in, des boycotts
réguliers des cours et des manifestations de rue, souvent réprimées
par les forces de l’ordre. Face au durcissement de ces mouvements, le
président de la République s’est résolu à se rendre personnellement
sur le campus en février 2001, afin d’inviter les étudiants à laisser de
côté les agitations et à contribuer au déroulement paisible de l’année
universitaire. Mais ce rendez-vous tourna mal puisque les étudiants
ont réservé au chef de l’état le pire des accueils. Pour Danioué (2010 :
208), « les étudiants considérèrent cette visite comme une pure
provocation d’autant que le chef de l’Etat ne fit aucune proposition
tendant à l’amélioration des conditions de vie et d’études des étudiants.
Le chef de l’Etat versa plutôt dans les récriminations, ne voyant dans le
mouvement estudiantin qu’une simple manipulation politique […].
Furieux d’être chahuté par les étudiants, le chef de l’Etat répondit par
des décisions très dures ».
Ces mesures draconiennes ont consisté à la prise d’un décret
invalidant l’année académique dans la plupart des facultés, étant
donné que les étudiants ont décidé de boycotter les cours d’avril à
août, au relèvement des frais d’inscription de 4 500 FCFA (environ 7
€) à 50 000 FCFA (76 €), à l’augmentation des frais de restauration de
90 FCFA (environ 0,14 €) à 500 FCFA (0,76 €) et à la réévaluation des
frais de transport de 10 FCFA (1 centime) à 150 FCFA (0,22 €)380.
Face à cette situation, des associations d’étudiants proches du
pouvoir, ont décidé de mobiliser les étudiants pour aller demander
« pardon » au président de la République. Après beaucoup
d’hésitations les étudiants ont accepté de prendre part à une marche
organisée par le HaCAME et ses affiliés ayant vu le jour au tournant
des années 1990, notamment la Fédération des étudiants et scolaires
du Togo (FESTO), la Ligue togolaise des étudiants et scolaires pour le
soutien à l’éducation (LITESSE), l’Union des étudiants du Togo (UETO).
A l’issue de cette marche tenue au quatrième trimestre 2001, tous les
frais sus-cités ont été diminué de moitié. Ces acquis ont conduit, une
fois encore, à une accalmie sur le campus universitaire en 2002 et en
2003. Mais à partir de l’année suivante, les mouvements vont encore
reprendre vie avec une certaine ardeur.
Comme on peut le constater, les mouvements étudiants à
l’Université de Lomé entre 1990 et 2003 ont connu deux phases : l’une
politique et l’autre sociale. La première qui s’inscrit dans le début du
processus de démocratisation du Togo (1990-1992) a vu les étudiants
s’affilier ouvertement à des partis politiques, soit de la mouvance
présidentielle, soit de l’opposition. Ces partis ont servi de base arrière
pour les mouvements étudiants et ont transplanté sur le terrain
universitaire, les dissensions que connaissait la classe politique
togolaise à l’époque. La conséquence a été l’exacerbation de la violence
Komi M. Viagbo, Crise de la société et mouvements sociaux: étude des mouvements
estudiantins
à
l'Université
de
Lomé,
disponible
sur
http://www.memoireonline.com/11/07/668/m_crise-societe-mouvements-sociauxestudiantins-universite-lome1.html, consulté le 27 mai 2014 à 21h04 min.
380
153
sur le campus universitaire. Pour calmer le jeu, le pouvoir en place,
après avoir usé la méthode forte surtout vis-à-vis des étudiants
proches de l’opposition, a fait preuve d’une certaine ouverture en
acceptant de négocier. Les recommandations issues de ces
négociations ont été partiellement honorées, le reste, renvoyées aux
calendes grecques, ce qui va être le ferment des mouvements à
caractère social dans la seconde phase (1999-2003) 381.
Pendant cette période, les étudiants étaient réellement
confrontés à des problèmes existentiels que les gouvernants, à en
croire les responsables d’associations étudiantes, n’avaient pas voulu
prendre au sérieux. Ils ont alors décidé de recourir aux manifestations
qui, cette fois, ont un caractère social. C’est ce que nous désignons par
« normalisation » des mouvements étudiants. Mais doit-on conclure
que le gouvernement avait refusé d’accéder aux demandes des
étudiants par pure manque de volonté politique ? N’y a-t-il pas
d’autres raisons qui expliqueraient cette attitude des pouvoirs
publics ?
En réalité, depuis les années 1980, le Togo a connu une
récession économique ayant considérablement influé sur la
production de la richesse nationale. A titre d’exemple, de 1980 à 1990,
le Produit intérieur bruit (PIB) a chuté de 1136,30 à 762,36 millions
de dollars. Au même moment, le budget national a décru de 254,14
millions de dollars à 99,50 millions de dollars (Vule 2010 : 130). En
conséquence, l’Etat eut du mal à financer l’enseignement supérieur qui
faisait partie des secteurs sociaux dont le FMI et la Banque mondiale
ont recommandé la révision à la baisse des provisions étatiques. Ainsi,
Kondi Gnandi, Délégué général des étudiants de l’Université de Lomé, 2001-2002,
entretien du 22 avril 2001 à l’Université de Lomé.
381
de 1 755 millions à la rentrée 1981-1982, la subvention de l’Etat à
l’Université du Bénin n’a pu être que de 2700 millions, dix ans après
(1989-1990), alors que les effectifs doublèrent, passant de 4 447
étudiants en 1981, à 8 755 en 1990, soit une augmentation de 4308
étudiants en une décennie. C’est donc avec une certaine raison ( ?) que
le taux de boursiers de l’Université du Bénin baissa : 89,49 % des
étudiants togolais étaient boursiers en 1980-1981, contre 42,90% en
1987382.
Cette situation se trouve aggravée par la rupture de la
coopération entre le Togo et ses partenaires en développement en
1993 pour insuffisance démocratique et, l’année suivante, par la
dévaluation à 100% du franc CFA. Ces réalités ont eu pour effet la
détérioration des conditions de vie et d’études des étudiants : places
assises à la bibliothèque universitaire de plus en plus insuffisantes,
matériel roulant pour le transport des étudiants en désuétude, exiguïté
et insuffisance des amphithéâtres, des salles de cours, des logements
universitaires face à l’accroissement permanent de la population
étudiante, dégradation de la qualité de la restauration, etc. (Batchana,
2013).
Visiblement, le pouvoir était au bout du souffle, eu égard à la
situation financière exsangue du pays. Il ne pouvait pas, en toute
logique, se permettre d’accéder, sans conséquences sur le train de vie
de l’Etat, aux exigences de la communauté universitaire. Mais en lieu et
place de la méthode forte utilisée contre ces mouvements, le dialogue
permanent entre les groupes d’acteurs aurait permis de diminuer la
tension, ce qui n’a pas été le cas. Taxés d’être manipulés par
Lire les données de la Direction générale de la planification de l’éducation, années
1980 à 1987.
382
154
l’opposition, les étudiants non proches du pouvoir ont dû raidir leur
position ce qui plomba à nouveau l’accalmie observée sur le campus
dès 2004.
2. DE
LA RADICALISATION À LA NÉGOCIATION
POUR QUELS RÉSULTATS
:
devant la communauté internationale et faire reprendre la
coopération avec ses partenaires, le gouvernement togolais après
moult discussions avec l’Union européenne (UE) a souscrit à 22
engagements, le 14 avril 2004, à Bruxelles.
QUELS ENJEUX
? (2004-2010)
Parler des mouvements étudiants à l’Université de Lomé
pendant la période allant de 2004 à 2010 revient à aborder la question
en deux périodes : 2004 et de 2005 à 2010. La présente section a pour
but de rendre compte des particularités de chacune de ces périodes.
2.1.
Les mouvements de 2004, une radicalisation sans
résultat : pourquoi?
Pour mieux comprendre l’ampleur de la radicalisation du
mouvement étudiant au Togo en 2004, il est important de rappeler le
contexte sociopolitique qui en a été le terreau.
En effet, depuis 1993, le Togo, accusé de ne pas promouvoir la
démocratie, a été mis au ban de la communauté internationale. Cette
situation a été renforcée en 1998 où, suite aux élections
présidentielles de juin dont les résultats ont été récusés par les
observateurs étrangers, les partenaires en développement ont décidé
de geler davantage leurs aides vis-à-vis de ce pays. On parlait alors de
la seconde rupture de la coopération entre le Togo et ses partenaires
traditionnels (Kodjo, 1999 : 63-76). Les élections législatives
anticipées de 2002 boycottées et surtout, les présidentielles de 2003
ayant donné lieu à d’énormes violations des droits de l’homme n’ont
fait qu’aggraver la situation383. Dans le souci de redorer son blason
Des 22, l’engagement 3.3. portant « Libertés Publiques »
dispose : « Engagement de garantir, sans délai, à tous les acteurs
politiques et de la société civile et à tout citoyen, le droit à la libre
expression, à participer aux réunions et aux manifestations pacifiques,
en public et sur tout le territoire national, en l’absence de tout
harcèlement, censure et intimidation. »384
La souscription à ces engagements par le gouvernement
togolais était considérée non seulement par la classe politique, mais
aussi par la société civile comme un acte de bonne foi devant conduire
à la promotion de la démocratie et des libertés fondamentales au Togo.
C’est dans cet ordre d’idée que les associations estudiantines,
considérant la dégradation sans cesse grandissante de leurs conditions
de vie et d’études ont voulu s’appuyer sur l’engagement 3.3. non
seulement pour manifester leur mécontentements, mais aussi pour
amener le gouvernement à les écouter. Pour le délégué général des
étudiants d’alors Jean-Paul Oumolou, « l’heure est grave pour les
étudiants et la période est plus que jamais propice pour se faire
entendre »385.
Lire Évaluation de l’application des 22 engagements pris par le Gouvernement par
l’Union des forces du changement (UFC), publié le 7 juin 2004, disponible sur le site
http://www.ufctogo.com.
384
Entretien du 1er mai 2004 à son domicile à Avenou (Lomé). En fait, il s’agit d’un
camarade d’amphi (année de licence en Histoire). A ce titre, il n’hésitait pas à répondre
aux questions que nous lui posions à l’époque.
385
Cf. Rapport d’Amnesty international sur le Togo, 2004, sur le site :
http://web.amnesty.org/report2004/index-fra, consulté, le 30 mai 2014 à 15h30.
383
155
C’est donc fort de ce contexte, pour eux propice, que les
étudiants ont décidé de faire des mouvements le mercredi 28 et le
vendredi 30 avril 2004, sur le campus universitaire de Lomé.
L’origine de ces mouvements remonte à la lettre que le collège
des délégués de l’Université de Lomé coordonné par Jean-Paul
Oumolou a adressée au ministre de l’enseignement supérieur de
l’époque, le Professeur Charles Kondi Agba, réclamant de meilleures
conditions de vie et d’études, dont, entre autres, le versement
immédiatement de quatre tranches des aides accordées par l'Etat à
tous les étudiants togolais, soit environ 300 millions de francs CFA
(environ 457 000 euros) pour les 15 000 étudiants inscrits dans les
deux universités publiques du Togo (Lomé et Kara au nord-Togo
ouverte en cette année 2004). Dans cette lettre, les délégués des
étudiants exigeaient la satisfaction de toutes les doléances énumérées
dans un délai d’une semaine. Au soir du 27 avril 2004, date à laquelle
arrivait à échéance l’ultimatum des responsables des étudiants, le
ministre de l’enseignement supérieur fit une sortie sur les médias
publics traitant de « réclamations fantaisistes »386 les revendications
des étudiants, car, selon lui, tous les étudiants savent que le montant
des aides dont ils parlent s’élève à 20 000 FCFA (environ 31 €) et
qu’elles se payent en trois tranches au cours de l’année universitaire.
Suite à cette intervention de leur ministre de tutelle considérée par les
étudiants de méprisante à leur égard, synonyme du refus du dialogue,
ils décidèrent de se mobiliser387.
Comme à l’accoutumée, le collège des délégués a convoqué les
étudiants pour une Assemblée générale qui, selon les autorités
universitaires était interdite. Malgré l’interdiction, la mobilisation a
été grande devant l’Amphi 600 (cf. carte n°1), les étudiants réticents
ayant été contraints à se joindre au mouvement, fredonnant leur
fameux hymne : « Nous irons jusqu’au bout du monde, l’étudiant
togolais ne fléchira pas ». Munis de cailloux, de bâtons et de tout autre
objet de défense, les étudiants, mieux organisés que les fois
précédentes et visiblement entraînés aux techniques de guérilla, ont
réussi à renvoyer de leur campus, les contingents de policiers et
gendarmes venus les réprimer (voir images 1&2). Ce fut pour eux une
victoire historique. Mais très rapidement, des unités d’élite de l’armée
(issues de la garde présidentielle) ont été mises à contribution. Ce
n’est qu’avec leur concours que cette contestation étudiante a été
maîtrisée.
La tribune du peuple, n° 111, 2004, p. 4.
Lorsque nous menions nos enquêtes le 28 avril 2004 sur le site de la manifestation,
nous avions interrogé 5 étudiants dont les propos convergent vers cette conclusion. Il
s’agit de : Apollinaire Amedodji, Segla Kodjo Toublou; Jérôme Tchandama, Ameyo
Zozo et Abalo Panassa. Tous ces étudiants étaient à la FLESH.
386
387
156
Images n°1&2 : vues partielles des policiers campés en faction devant
les manifestants
Le 2 mai, le gouvernement a déclaré la fermeture de l’UL
jusqu’à nouvel ordre. De mai à décembre 2004, le pouvoir s’est inscrit
dans la traque des responsables des associations étudiantes dont
plusieurs furent arrêtés, jugés et condamnés à de lourdes peines de
prison (Danioué, 2010 : 209). Ce n’est qu’avec l’intervention des
organisations de défense des droits de l’homme qu’ils furent relâchés.
Selon les observateurs de la situation, ce fut, de mémoire, la
première fois que les mouvements étudiants ont pris une telle
ampleur. Si cela a pu avoir cette intensité, c’est parce qu’il y avait eu,
selon le président de l'Université de Lomé d’alors, Nicoué Lodjou
Gayibor, « la présence d'individus manifestement étrangers au campus
aux côtés des étudiants contestataires »388. Pour le gouvernement, ce
sont les partis politiques de l’opposition dite radicale, notamment
l’Union des force du changement (UFC), le Comité d’action pour le
renouveau (CAR) et la Convention démocratique des peuples africains
(CDPA) qui ont téléguidé ces mouvements en manipulant les
étudiants, dans le seul but de faire échec aux négociations en cours
entre l’UE et le Togo389.
Toutes ces déclarations n’ont pas été acceptées ni par les
étudiants, ni par les partis politiques cités. Toutefois, elles méritent
analyse.
Sources : photos Tsigbé, 2004.
Les conséquences étaient lourdes : plusieurs blessés graves
aussi bien du côté des étudiants que des policiers et gendarmes ; des
arrestations et des dégâts matériels importants dont deux
fourgonnettes de la gendarmerie incendiées par les étudiants.
En effet, jusqu’à aujourd’hui, malgré les travaux de clôture du
domaine de l’Université entamés depuis fort, toute l’entrée ouest
Intervention reprise par le site http://www.icilome.com/nouvelles/news.asp,
consulté le 30 mai 2014 à 16h10.
389 Considérées comme fantaisistes, ces accusations ont été rejetées par l’UFC dans
une Déclaration qu’elle a publié sur son site sur les événements des 28 et 30 avril
2004 sur le campus de l’Université de Lomé (www.ufctogo.com), consulté le 30 mai
2014 à 16h15.
388
157
jouxtant les rails du centre (voir carte) reste à clôturer. Par ailleurs, le
campus étant traversé par plusieurs voies, nombreux sont les
individus étrangers au milieu universitaire qui s’y baladent ou qui le
traversent. Aussi récemment, en 2013, la police universitaire a arrêté
deux individus peu scrupuleux avec des sachets de cannabis dans un
bosquet non loin des rails sur le domaine de l’université. Passés aux
aveux, ces individus qui affirment s’y être installés depuis une
décennie déjà, déclarent vendre la drogue aux jeunes de la ville et à
certains étudiants, surtout lors des mouvements étudiants390.
Si l’on s’en tient à ces réalités, on peut donner raison au
président de l’UL lorsqu’il affirme qu’il y a eu la présence d’individus
étrangers au milieu universitaire. Toutefois, on peu nuancer à partir
du moment où les étudiants eux-mêmes, jugeant le contexte favorable,
n’ont ménagé aucun effort pour que leur lutte aboutisse. Leur
détermination peut donc justifier l’ampleur de la violence constatée en
2004. Mais cela n’exclut pas qu’ils aient bénéficié d’un soutien
« extérieur », notamment des jeunes de la ville.
S’agissant de la manipulation des étudiants par les politiques,
plusieurs étudiants interrogés ont nié cette éventualité391. Mais a
posteriori, lorsqu’on y voit de près, une fois libérés de prison,
quelques-uns des leaders des mouvements étudiants de 2004 ont été
soutenus par les partis politiques, notamment le CAR pour
s’expatrier392. Dans ces conditions, il serait difficile d’affirmer que ces
mouvements n’ont pas bénéficié d’une manière ou d’une autre, du
Entretien du 22 août 2013 avec un agent de la police universitaire ayant requis
l’anonymat.
391 Koffikuma Dotsè, un des meneurs a même qualifié ces déclarations d’affabulations.
Entretien du 20 mai 2004 au quartier de Gbossimé, Lomé.
392 L’un des meneurs, Konan Binafame, est actuellement l’un des piliers du CAR.
390
soutien des partis politiques mis en cause, surtout quand on sait que
ces partis s’activaient à montrer la mauvaise foi du parti au pouvoir
par rapport aux engagements pris avec l’UE.
Dans tous les cas, même si des responsables des mouvements
étudiants de 2004 ont été soutenus par des politiques, tous ne l’ont
pas été. En plus, ce soutien, s’il y en a eu, a été clandestin,
contrairement à la donne des années 1990-1992, étant donné
qu’officiellement, les revendications portées par ces responsables
étaient purement sociales. Pendant cette période, les associations qui
servaient de bras pour le régime en place sur le campus, bien que
n’étant pas très actifs, ont tout de même travaillé de mèche avec les
autorités universitaires et les forces de l’ordre dans la traque des
étudiants contestataires.
En cette année 2004, les revendications n’ont pas abouti, les
responsables des mouvements étant expulsés de l’Université et
traqués devant les tribunaux. La radicalisation retenue comme mode
opératoire n’a donc pas permis aux étudiants d’avoir satisfactions à
leurs revendications. Cette situation a rendues tendues les relations
entre étudiants, autorités universitaires et gouvernants. C’est dans
cette atmosphère que décède le président Eyadema. Dès lors va
s’ouvrir une nouvelle phase dans les relations étudiants-pouvoirs
publics.
2.2.
Le père mort, vive le fils ou l’ère des négociations
à l’Université de Lomé (2005-2010)
Le 5 février 2005, le général Eyadema tire sa révérence. Son
fils Faure Gnassingbé lui succède sur fond de crise sociopolitique
suscitée par la tentative de son imposition au peuple par l’armée et
158
son élection contestée. Cette double situation provoque de vives
tensions sociales.
A l’Université de Lomé, cette situation a été diversement
appréciée. Pour certains, le Togo n’est pas une monarchie pour que la
succession se fasse de père en fils. Cette catégorie d’étudiants s’est
jointe aux acteurs politiques de l’opposition pour manifester contre ce
qu’ils appelaient « la prise en otage du Togo par le clan Gnassingbé »
qui, selon eux, va perpétuer la misère des Togolais en général et des
étudiants en particulier393. Pour d’autres, visiblement neutres, « on
attend de voir jusqu’où ira ce bras de fer entre l’opposition et le
RPT394 ». Il existe une troisième catégorie d’étudiants, alliés
traditionnels du parti au pouvoir (organisés autour du HaCAME), qui
voyait dans l’avènement au pouvoir de Faure Gnassingbé, la
pérennisation des bonnes grâces dont ils avaient bénéficié sous le
père395. Enfin, la dernière catégorie nourrit un certain espoir quant au
changement intervenu à la tête de l’exécutif togolais.
En dehors des points de vue recueillis auprès de ces étudiants,
l’expression de ces opinions s’est faite à l’époque, non par des
mouvements ouverts, mais par ce que Toulabor (1986) appelle la
contestation occulte. Celle-ci a consisté, pour les étudiants de
l’Université de Lomé, à utiliser des graffitis sur les murs ou les tablesbancs des amphis pour rendre publiques leurs positions.
Informations recueillies à Gbadago (Lomé), le 28 avril 2005 auprès de trois
étudiants de la FASEG ayant requis l’anonymat.
394 Informations recueillies le 28 avril 2005 auprès d’un groupe d’étudiants composé
de 10 personnes dont 2 de l’ESA, 4 de la FDD, deux de la FDS et 2 de la FLESH. Compte
tenu de l’ambiance électrique qui prévalait à l’époque, tous ces étudiants ont requis
l’anonymat. L’entretien a eu lieu à Bè-Klikamé, non loin du campus.
395 Entretien du 18 juin 2005 au siège du HaCAME à Lomé. Ces informations ont été
livrés par deux responsables du HaCAME ayant requis l’anonymat.
393
Voici quelques exemples collectés sur les bancs de l’amphi 20
ans en juin 2005 : « Satan a tant aimé le Togo qu'il a envoyé son
fils unique Gnass pour que les Togolais souffrent jusqu'au
05/02/05. Amen !!! ». Réplique : « Car Gnass a tant aimé la
souffrance des Togolais qu'il a légué le Togo à son fils adoré
FAURE afin que quiconque le votera souffre davantage. »
« Gnassingbe I est parti, Gnassingbe II prend le
trône ». Réplique : « Et alors où est le problème. Si tu ne cesses de
parler de GNASS et de son fils sur cette table, tu regretteras pour
ta vie. Un malheureux comme ça. » 2e réplique : « Imbécile. Toi
aussi tu es manipulé. Repent toi vite ».
« Nos Z 396? FAURE. Nous sommes tous jeunes. Ne sois pas
comme ton père. Ok ! » Réplique : « tu as raison mon frère. Son
père est un voleur qui a rendu riche les caciques du pouvoir ».
Le premier graffiti et sa réplique s’inscrivent dans la logique du
premier groupe d’étudiants pour qui, la misère des Togolais va se
perpétuer sous Faure. Le deuxième et sa réplique illustrent
respectivement la deuxième (les neutres) et la troisième catégorie
d’étudiants (Fidèles à la pérennité des acquis obtenus sous le père). Le
dernier graffiti et sa réplique expriment le point de vue de ceux qui
espèrent que sous Faure Gnassingbé, les choses iraient mieux.
Dans tous les cas, ce qu’on peut dire avec certitude est que les
conditions de succession du fils au père ont fait que, voulant éviter un
autre front social à l’Université (en dehors de ceux déjà ouverts par les
politiques et la société civile) le nouveau président de la République a
396
Allusion faite aux aides scolaires.
159
décidé de privilégier la négociation dans la résolution des crises
sociopolitiques. C’est ainsi qu’au même moment que s’ouvrait le
dialogue social en 2006, des recommandations ont été données aux
autorités universitaires d’ouvrir le dialogue interuniversitaire pour
écouter les étudiants et se pencher sur leurs problèmes réels.
A ce dialogue, étaient représentées toutes les associations
étudiantes, des membres du gouvernement ainsi que les acteurs du
monde universitaire. L’objectif était d’étudier les problèmes des
universités publiques du Togo et de proposer des solutions qui
s’étendront sur le court, le moyen et le long terme.
Les revendications des étudiants soumises aux autorités
étaient plus sociales qu’académiques. Les discussions ont débouché
sur la mise en place d’un cadre permanent de concertation pour la
gestion des problèmes pédagogiques et académiques et sur la mise en
place par le gouvernement et les autorités universitaires, d’un plan
d’action.
A cette occasion, les étudiants ont réussi à arracher au
gouvernement, quelques promesses. En effet, il leur a été promis, par
l’entremise des autorités universitaires, à compter de l’année 20062007, un fonds spécial de 911 100 738 FCFA (soit 1 390 993 €) et une
dotation complémentaire de 275 millions (soit 419 847 €) devant
servir à la rénovation de laboratoires. En conséquence, les étudiants
purent ainsi bénéficier du relèvement du montant de leur aide qui
passe de trois à quatre tranches, soit un total de 80 000 FCFA (122 €).
A partir de 2008, les ils recevaient une dotation spéciale de 15 000
FCFA (environ 23 €) pour l’équipement, dans le cadre de la mise en
œuvre du système LMD au Togo397. Ce montant était payé en même
temps que la première tranche398. Par ailleurs, ils bénéficièrent, entre
autres, du rétablissement des primes de soutenance, entre temps
supprimées : 50 000 FCFA (environ 77 €) pour la maîtrise et le DUT,
100 000 FCFA (environ 153 €) pour le DEA et le DESS et 150 000 FCFA
(environ 230 €) pour le doctorat. Aussi, ont-ils bénéficié de la
réduction des frais de restauration qui passent de 500 FCFA (0,76 €) à
300 FCFA (0,45 €)399.
Sur le plan matériel, cette dotation financière du
gouvernement a permis la construction de blocs administratifs,
pédagogiques, d’ateliers et de labos, la construction et la réhabilitation
des amphis et salles de cours, de cités universitaires, de toilettes, de
bacs avec eau courante aux abords de certains amphis, etc.
Avec ces acquis, l’Université de Lomé a connu une sérénité
ayant permis aux activités pédagogiques de se dérouler dans de
meilleures conditions. Lorsque, les 2 et 3 avril 2008, s’est tenue une
réunion pour faire un bilan à mi-parcours des recommandations du
dialogue interuniversitaire de 2006, les étudiants n’ont pas hésité à
avouer que les autorités universitaires et gouvernementales ont fait
des avancées notoires par rapport au respect desdites
recommandations. Toutefois, ils ont estimé que des efforts restent à
Bien que commencée en 2005, la mise en œuvre du système LMD au Togo remonte
officiellement à 2008.
398 Selon Maman Halourou, cette prime a été supprimée en 2012 avec l’arrivée du
ministre Nicoué Broohm à la tête du ministère de l’enseignement supérieur et de la
recherche. Entretien du 1er juin 2014 à Lomé.
399 Komi M. Viagbo, Crise de la société et mouvements sociaux: étude des mouvements
estudiantins
à
l'Université
de
Lomé,
disponible
sur
http://www.memoireonline.com/11/07/668/m_crise-societe-mouvements-sociauxestudiantins-universite-lome1.html, consulté le 27 mai 2014 à 21h04 min.
397
160
faire en ce qui concerne leurs conditions sociales. Ils ont exhorté les
autorités à s’y pencher pour éviter que la sérénité qui prévaut sur le
campus jusque-là ne soit rompue.
Comme on peut le constater, le dialogue et la concertation
initiés par les autorités ont amené les étudiants à mettre en sourdine
leurs mouvements, contrairement à la logique frontale et répressive
qui a prévalu de 1991 à 2004. Mais ce nouveau climat paisible constaté
sur le campus et qui a duré de 2006 à 2010 va être rompu en 2011
pour des raisons relatives aux problèmes académiques engendrés par
l’application du système LMD pour lequel le gouvernement togolais a
opté officiellement dans les universités publiques du Togo, à partir de
2008. Là encore, malgré l’intensité des manifestations, le dialogue a
fini par prévaloir désamorçant ainsi la crise.
Les réalités ci-dessus décrites permettent de questionner les
enjeux des mouvements étudiants à l’université de Lomé. D’abord il
est réel que les contestations étudiantes, lorsqu’elles ne sont pas
politiques, s’intéressent a fortiori aux questions de survie, rarement
aux questions académiques. C’est ainsi que pour la plupart des cas, les
plateformes revendicatives des étudiants accordent une place
importante au relèvement du montant de l’aide, à la diminution des
frais de logement, de transport et de restauration, à l’amélioration des
prestations de l’infirmerie et de la pharmacie du Centre de œuvres
universitaires de Lomé (COUL), à la clôture du domaine universitaire,
au respect des franchises universitaires, etc. Pour les rares fois où ils
intègrent à leurs doléances des questions académiques, les étudiants
réclament l’augmentation du nombre des enseignants de sorte que le
ratio enseignant/étudiants respecte les normes internationales en
vigueur, la vulgarisation des cours d’informatique dans tous les
établissements, l’adaptation des programmes d’enseignement au
marché du travail et de l’emploi, la construction et la réhabilitation des
amphithéâtres surpeuplés comme le montre l’image suivante.
Image n°3 : Des étudiants du département d’anglais
débordant l’amphi 20 ans
Source : www.letogolais.com, consulté le 1er mai 2014 à 22h30.
Cette propension des mouvements étudiants vers les
revendications sociales montre clairement que pour ces apprenants de
l’Université de Lomé, les questions académiques sont secondaires. En
2004, par exemple, on a observé que malgré l’exiguïté des amphis face
au nombre pléthorique d’étudiants, nulle part dans leur plateforme
revendicative, les manifestants n’ont demandé la construction de
nouvelles salles de classe, encore moins, le recrutement de nouveaux
enseignants pour mieux les encadrer. Au regard de ces réalités, il est
clair que pour les étudiants, les enjeux de leurs mouvements sont
d’abord sociaux. Pour ces enjeux, ils sont prêts à perdre une année
universitaire, comme ce fut le cas pour l’année 2000-2001 invalidée.
161
C’est qu’en réalité, les étudiants considèrent l’aide de l’Etat
comme un droit social. Car pour eux, à partir du moment où leurs
parents payent des impôts et taxes diverses, il n’ ya pas de raison pour
que l’Etat refuse de leur payer des allocations. Il ne s’agit là que d’une
mauvaise lecture de l’aide sociale de l’Etat, surtout dans un pays en
développement comme le Togo.
Ensuite, les enjeux sont aussi politiques. De façon officielle ou
non, le campus de Lomé se trouve divisé en deux grands groupes
d’étudiants séparés par un groupe de neutres. L’un milite pour le
régime en place qu’il informe de tout ce qui se trame sur le campus,
l’autre, défendant les intérêts de l’opposition. Cette situation explique
le fait que très souvent, les étudiants s’affrontent entre eux en
s’accusant mutuellement de « vendus », de « corrompus », etc. Au-delà,
ces prises de position ont contribué à l’émergence politique de
certains anciens leaders des associations étudiantes proches du
pouvoir. C’est l’exemple de Komi Sélom Klassou, Pascal Bodjona, pour
ne citer que ceux-là. Ceux-ci sont devenus, par la suite, de grandes
personnalités du régime en place. Ils sont considérés ainsi comme des
références que beaucoup veulent imiter en étant très engagé dans la
dénonciation, la traque et le sabotage des leaders des mouvements
étudiants supposés proches de l’opposition. Ces derniers aussi ont
bénéficié, pour certains, des bonnes grâces de ces partis d’opposition
qui leur ont trouvé des bourses d’études à l’étranger ou les ont aidés à
s’exiler pour se mettre à l’abri des poursuites du pouvoir en place.
Mais comme ils ne sont pas sur place, il est difficile de les identifier et
d’en faire un modèle. C’est donc avec raison que l’ancien président de
l’Université de Lomé Nicoué Gayibor, dans un entretien à bâton
rompu, nous a confié que les mouvements étudiants ont des dessins
inavoués, surtout en ce qui concerne les meneurs400.
Ces différents enjeux, qu’ils soient sociaux ou politiques
plombent souvent les mouvements étudiants, surtout s’ils se
radicalisent. En conséquence, les étudiants, pour la grande majorité,
s’en sortent souvent perdants, même s’ils arrivent toujours à infliger
des pertes à leurs « adversaires » que sont les forces de l’ordre.
CONCLUSION
Au terme de cette étude qui décrit et analyse la situation
contestataire des étudiants à l’Université de Lomé, on peut tenir pour
vrai, le fait que ces mouvements ont, de façon globale, rythmé avec
l’évolution sociopolitique du Togo. De 1990 à 2003, l’actualité
nationale ayant été dominée par des questions politiques, on a assisté
à une certaine politisation du mouvement étudiant. Cette politisation a
atteint son comble entre 1990-1992, avec le processus démocratique
qu’amorçait le Togo à l’époque. Par la suite, la transition démocratique
et ses conséquences ont rendu moins ardus et moins politisés ces
mouvements. La radicalisation des mouvements constatée en 2004,
rythme avec le refus du pouvoir de négocier avec l’opposition dite
démocratique, alors même que le gouvernement avait pris, pendant
cette période, 22 engagements pour favoriser une certaine ouverture
démocratique. Enfin, le dégel observé à partir de 2005 dénote d’une
certaine volonté de négocier, affichée par ceux qui sont au pouvoir.
Au-delà des dégâts matériels et humains auxquels ont conduit
ces manifestations, une chose est certaine, c’est que ni la politisation,
Entretien du 24 mars 2014 à la salle des professeurs d’histoire de l’Université de
Lomé.
400
162
ni la radicalisation, encore moins la répression aveugle n’ont pas pu
régler les problèmes du monde étudiant. Seule la concertation et la
négociation ont permis au campus universitaire de Lomé de trouver sa
sérénité, ne fut-ce que pendant une durée relativement courte.
Il est vrai que parfois, les étudiants préfèrent eux-mêmes la
répression : « Les manifestations ne sont intéressantes que quand les
forces de l’ordre viennent lancer contre nous, des gaz lacrymogène » a
déclaré une étudiante. Mais étant donné les limites de la répression et
de la radicalisation, les acteurs du monde universitaire gagneraient à
privilégier la négociation, seul gage de la tranquillité sur le campus. Là
encore, les autorités doivent apprendre à tenir leurs engagements visà-vis des étudiants après les concertations.
SOURCES & BIBLIOGRAPHIE
1. Sources
1.1. Sources orales401
 Amedodji Apollinaire, étudiant à l’Université de Lomé, FLESH,
entretien du 28 avril 2004 à l’Université de Lomé.
 Dotsè Koffikuma, responsable des mouvements étudiants, 20032004, entretien du 20 mai 2004 au quartier de Gbossimé, Lomé.
 Gayibor Nicoué, ancien président de l’Université de Lomé, entretien
du 24 mars 2014 à la salle des professeurs d’histoire de l’Université
de Lomé.
 Gnandi Kondi, ancien délégué général des étudiants de l’Université
de Lomé, 2001-2002, entretien du 22 avril 2001 à l’Université de
Lomé.
 Maman Halourou, étudiant en Master 2 Histoire, entretien du 1er
juin 2014 à Lomé.
 Oumolou Jean-Paul, ancien délégué général des étudiants de
l’Université de Lomé, 2003-2004, entretien du 1er mai 2004 à son
domicile à Avenou (Lomé).
 Panasa Abalo, étudiant à l’Université de Lomé, FLESH, entretien du
28 avril 2004 à l’Université de Lomé.
 Tchandama Abalo, étudiant à l’Université de Lomé, FLESH,
entretien du 28 avril 2004 à l’Université de Lomé.
 Toublou Kodjo Segla, étudiant à l’Université de Lomé, FLESH,
entretien du 28 avril 2004 à l’Université de Lomé.
 Zozo Ameyo Jeannette, étudiante à l’Université de Lomé, FLESH,
entretien du 28 avril 2004 à l’Université de Lomé.
1.2. Sources écrites et périodiques
 Atopani express, n° 87 du 12 août 1991, p. 5.
 Campus Actualités, journal d’information de l’Université de Lomé,
n° 012 de mai 2005.
 Forum Hebdo, n° 27 du 22 février 1991.
Cette liste n’a pas pris en compte les étudiants qui n’ont pas voulu déclarer leur
identité.
401
163
 L’Etincelle, n° 28 du 27 février 1991.
 Forum hebdo, n° 30 du 15 mars 1991.
 Journal officiel de la République togolaise (JORT), du 16 avril 1946.
 L’Etincelle, n° 20 du 20 mars 1991.
 L’Etincelle, n° 22 du 3 avril 1991.
 La Nouvelle Marche, n°3465 du 9 avril 1991.
 La tribune du peuple, n° 111, 2004.
 Les Echos, n° 6 août-septembre 1990.
 Rapport annuel de l’Université de Lomé, 2011.
 Statistiques de la Direction générale de la planification de
l’éducation, années 1980 à 1987.
 Textes fondamentaux de l’Université de Lomé, 3ème édition revue et
augmentée, Lomé, Presses de l’UL, 2002.
1.3. Sources électroniques
 Statuts du HaCAME, sans date.
 Rapport d’Amnesty international sur le Togo, 2004, sur le site :
http://web.amnesty.org/report2004/index-fra.

Vaillancourt J-C., 1991, « Mouvement ouvrier et nouveaux
mouvements sociaux : l'approche d'Alain Touraine »,
http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/classique_des_sciences_soci
ales/contemporains/vaillancourt_jean_guy/mouvement_ouvrier/
mouvement_ouvrier.html
 Viagbo Komi M., Crise de la société et mouvements sociaux: étude des
mouvements estudiantins à l'Université de Lomé, disponible sur
http://www.memoireonline.com/11/07/668/m_crise-societemouvements-sociaux-estudiantins-universite-lome1.html.
 www.icilome.com/nouvelles/news.asp.
 www.ufctogo.com
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Vulé K. S. 2010, Gestion des bourses d’études supérieures au Togo (19601990), mémoire de maîtrise en Histoire, Université de Lomé.
Atelier 6 : Que faire ? Désillusions, basculements et adaptations du
syndicalisme étudiant
15h30-16h30 :
 Les étudiants burkinabè au tournant du XXIe siècle. Entre luttes et
compromissions, réussir sa vie : Jacinthe Mazzochetti
 Becoming a true Activist: Student- Activism in Burkina Faso : Hanna
Cleaver
 Dans la boîte noire d’un mouvement contestataire : Claude Mbowou
 Entre syndicalisme alimentaire et stratégie protestataire. Abdoulaye
Wade et les étudiants sénégalais : Mamadou Dimé
JACINTHE MAZZOCHETTI. LES ÉTUDIANTS BURKINABÈ AU TOURNANT DU XXIE
SIÈCLE. ENTRE LUTTES ET COMPROMISSIONS, RÉUSSIR SA VIE
Jacinthe
Mazzocchetti,
Université
avec la
Tasséré Ouédraogo et de Xavier Ruelle
Proposition de communication
[email protected],
de
Louvain,
collaboration de
Prenant appui sur des enquêtes ethnographiques réalisées en
milieu estudiantin ouagalais entre 1998 et 2007 (17 terrains, 25 mois
passés sur place) et un terrain de mise à jour des données (janvier
2014), cette communication aura pour objet d’analyse l’interrelation
entre espoirs et injonctions scolaires, contexte socio-économique et
politique, et, types de luttes estudiantines. Au niveau du corpus, outre
de nombreuses observations sur les campus, en cités universitaires,
dans le quartier de Zogona…, j’ai récolté une trentaine de récits de
leaders des mouvements syndicaux, mais aussi de partis politiques
(cellules jeunesse) et d’associations, environ 150 récits d’étudiants
(leurs parcours, leurs vécus et aspirations), environ 50 récits de jeunes
diplômés, auxquels s’ajoute ma participation à de très nombreux
débats lors de grins de thé, en cités, dans les maquis…
165
Pour les étudiants et les diplômés de l’Université de
Ouagadougou (UO), la période actuelle est celle d’une cristallisation
des rancœurs du fait de la conscience de plus en plus claire des
inégalités et des vécus de précarité (Abbink et Van Kessel, 2005). Cette
période est celle d’une mise au ban des sphères de réussite
économique et de pouvoir d’une grande partie d’entre eux en
contraste de la persistance des espoirs d’ascensions sociales portés
par le projet scolaire et de la constitution de « cultures globales de la
jeunesse » (Comaroff, 2000 : 94). En outre, l’histoire sociopolitique
singulière du Burkina Faso, interdépendante des mouvements
économiques et politiques mondiaux, joue un rôle clef quant aux
questions de réussite des étudiants et des diplômés de l’Université de
Ouagadougou. Pour les jeunes avec lesquels j’ai travaillé, étudiants ou
récemment sortis de l’université durant les années 1998-2007, quatre
événements historiques étaient particulièrement mobilisés dans les
récits :
-La révolution sankariste (1984-1987). Bien que tous les
étudiants et jeunes diplômés rencontrés, en fonction de leur âge et de
leur lieu de provenance, notamment la Côte d’Ivoire, n’aient pas vécu
cette période, la révolution sankariste est pour une part importante de
la jeunesse universitaire au Burkina une sorte de « légende » des
possibles, « temps mythique et déchu de la société du mérite ».
-Tandis que les effectifs de l’Université de Ouagadougou
passaient de 523 étudiants pour l’année 1974-75 (création de
l’université) à 32.623 pour l’année 2008-2009, les Programmes
d’Ajustement Structurel (1991) marquaient un tournant dans la vie
des étudiants. Suite à l’application des PAS, les étudiants et les
diplômés de l’Université de Ouagadougou ont connu une dégradation
croissante de leurs conditions de vie et d’études.
-Les luttes de 1998-2001 suite à l’assassinat du journaliste
Norbert Zongo le 13 décembre 1998.
-La démonstration de pouvoir du gouvernement en place dans
la gestion de ces luttes (Mazzocchetti, 2010). Chouli analyse les
réactions autoritaires du gouvernement burkinabè face aux
manifestations étudiantes de 2008 comme le parachèvement de la
« domestication des étudiants » entamée lors de la gestion de la crise
des années 1997-2001 (Chouli, 2009).
Dans cette communication, il s’agira, d’une part, de revenir sur
la période charnière au Burkina des années 1997-2002, qui voit les
luttes suite aux politiques d’ajustement structurels et à la réduction
drastique des bourses des années 1991 prendre une ampleur
singulière. En effet, c’est en cette fin de siècle que se croisent les
premiers effectifs conséquents d’étudiants non boursiers, l’assassinat
de Norbert Zongo et les mobilisations conséquentes de la société
civile, la génération des anciens pionniers sur le campus, mais aussi le
retour progressif et de plus en plus massif d’une jeunesse née en Côte
d’Ivoire, désillusionnée et cherchant à trouver place au Burkina.
Années de basculement surtout suite à l’échec de ces luttes avec effet
de désespérance et de conversion à la société de consommation et au
chacun pour soi, même si la colère gronde (Mazzocchetti, 2009).
D’autre part, au vu du contexte de tension actuel, les élections
présidentielles de 2015 approchant, il s’agira en guise d’ouverture
d’entendre les types de revendications des étudiants actuellement sur
le campus. Il s’agit en effet d’une tout autre cohorte (Sankara n’est
cette fois réellement plus que mythe, la situation en Côte d’Ivoire reste
problématique, mais nous ne sommes plus dans le contexte des
violences de la période des années 2000…). Ces étudiants vivent une
massification de l’enseignement universitaire en vis-à-vis des moyens
alloués bien plus grande encore : ils sont « nés trouvés » un campus
aux bourses presque absentes, aux amphis sur-bondés. Ils sont « nés
trouvés » les portes de la fonction publique presque fermées, mais ils
ont également grandis portés par les rêves de consumérisme et
d’ostentation, avec un accès bien plus important aux médias, leur
permettant d’entendre le monde, mais aussi peut-être de s’y faire
entendre…
166
ELÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
Abbink J., Van Kessel I. (eds.), 2005, Vanguard or Vandals, Youth,
Politics and Conflict in Africa, Leiden, Brill.
Chouli L., 2009, « La domestication des étudiants du campus de
Ouagadougou : la crise de juin 2008 », JHEA/RESA, Vol. 7, No. 3, 2009,
pp. 1–28
Comaroff J. et J., 2000, « Réflexions sur la jeunesse. Du passé à la
postcolonie », Politique Africaine, n°80, pp. 90-110.
Mazzocchetti J., 2009, Etre étudiant à Ouagadougou. Itinérances,
imaginaire et précarité, Paris, Karthala, coll. « Hommes et sociétés ».
Mazzocchetti J., 2010, « Entre espoirs et désillusions, représentations
politiques des étudiants burkinabè » in Hilgers M. et Mazzocchetti J.
(dir.), Révoltes et oppositions dans un régime semi-autoritaire. Le cas du
Burkina Faso, Paris, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », pp. 205222.
HANNA CLEAVER. ‘BECOMING A TRUE ACTIVIST’ STUDENT ACTIVISM IN
BURKINA FASO
MSc Anthropology. Department of Anthropology, University of
Copenhagen
ABSTRACT
This article investigates the social, political and personal struggles of
university students in Burkina Faso’s largest student union. Drawing
on ethnographic material from fieldwork among its activists, I show
how they create small-scale spaces of autonomy by collectively
establishing social and political alternatives to official structures. On
this background, I argue, activists can enhance their social position
and possibilities and embark on a process of becoming responsible
and agentive youth, acting upon and against a system perceived as
unjust. By combining the concept of social becoming with a focus on
submission, I argue that students’ ability to carve out autonomous
spaces is predicated upon an ability to submit to the union and
become one with it. In this way, the case of Burkinabè student activism
illuminates how processes of social becoming can encompass struggles
to become autonomous and submissive simultaneously.
All quotes are translated from French by the author.
INTRODUCTION
Students are the light of our nation. The intellectuals! But it has
become so difficult to get a student grant. Look around you on
campus: teachers are old! Who will replace them without grants?
Right now, there are no possibilities.
167
The quote above was uttered by 25-year old Martine402 when she was
in her third year of economics at the University of Ouagadougou in
Burkina Faso. Martine has been a dedicated activist in the country’s
largest student union, the National Association of Burkinabè Students,
ANEB403 since her first year of university. In her words, she was struck
by overcrowded lecture halls, lack of resources and arrogant
professors and university administration. In Martine’s view, their
arrogance is symptomatic of Burkinabè society, which she believes is
dominated by a small group of powerful elders that cling to power by
ignoring young people’s voices and needs. As her statement above
indicates, student activists struggle to obtain better conditions and
possibilities in order to be able to assume the desired role of the
nation’s bright future.
In this article, I analyze ways in which Burkinabè student activists
struggle to enhance their social positions and possibilities by
collectively establishing small-scale spaces of autonomy that reduce
their dependency on little trusted authorities. By combining the
concepts of social becoming and submission, I analyze students’
desires to become true activists and submit fully to the union, arguing
that their ability to create autonomous spaces is enabled by their
ability to become one.
All names used in this article are pseudonyms.
The acronym ANEB is short for the French title ‘Association Nationale des
Etudiants Burkinabé’. ANEB is the local Ouagadougou branch of a larger union, UGEB
(in French ‘Union Générale des Etudiants Burkinabè’), comprising five national and
two international branches in France and Senegal respectively. Since the vast majority
of my empirical material is from the Ouagadougou branch, which is the biggest and
most well-known, I use the title ANEB.
402
403
The analysis is based on 3 months of ethnographic fieldwork in
Burkina Faso, primarily in the capital Ouagadougou, from February to
May 2012. Research was centered on participant observation in
activists’ daily lives on campus, homes, leisure clubs and more. In
addition, I conducted 21 recorded interviews and focus groups with
students, experts, university actors and former activists in Burkina
Faso, Paris and Copenhagen404.
Theoretical frame
Young Africans have emerged demographically and politically as
central actors, ambiguously portrayed as both the continent’s chief
hope for a brighter future, marginal victims and criminal threats
(Diouf, 2003: 4; Lamble, 2012). A prominent approach in scholarly
literature on African youth has been to highlight their capacity to
move within confining structures. Researchers have shown ways in
which young Africans maneuver situations of marginality and
dependence in innovative, flexible and opportunistic ways,
contributing to a redefinition of social spaces often marked by
generational, economic and societal inequalities (se Burgess, 2005;
Diouf, 2003; Durham, 2000; Honwana and De Boeck, 2005). I inscribe
my analysis within this literature, arguing that Burkinabè student
activists actively renegotiate young people’s position and possibilities
in society through collective practices.
Many Nordic studies on youth in Africa revolve around the concept of
social becoming, denoting the on-going processes in which people
continuously attempt to shape, redefine and escape social positions
(Christiansen et al., 2006: 12). While becoming refers to a social
Besides staying in Ouagadougou, I spent one week in Burkina Faso’s third largest
city, Koudougou, among members of ANEB’s Koudougou branch. The interviews in
Paris and Copenhagen were conducted in August 2012 and May 2013 respectively.
404
168
process, the related concept of social being denotes the social
positions that a group holds or aspires to hold (ibid.: 11). In an
influential study, Danish anthropologist Henrik Vigh argues that youth
is both a part of a social whole and a point of acquisition, continuation
and reinterpretation of social norms. Youth is both being and
becoming, as young people are positioned within generational
categories and continuously position themselves in new ways (Vigh,
2006: 93).
Below, I employ the concept of becoming to explore ways in which a
group of urban, West African youth attempts to shape and reinterpret
their social position within a socio-political landscape through
collective efforts. Inspired by anthropologist Stine Krøijer, I use the
concept of autonomy to describe activists’ ability to define and enact
alternative structures and solutions independently of dominant social
and political structures (Krøijer, 2011: 94-97). Finally, drawing on
anthropologist Saba Mahmood’s ideas about agency and submission, I
show that one way of realizing a desired social being can be by actively
submitting to a socio-political community. My analysis of the young
Burkinabè activists thus attempts to build on the literature on social
becoming of African youth by combining the concept with a focus on
submission and autonomy. Showing how active submission to a sociopolitical community can enable youth to negotiate autonomous spaces
collectively, the case of Burkinabè activists illuminates how processes
of social becoming can encompass struggles to become autonomous
and submissive simultaneously.
Burkinabè Students and ANEB
Burkina Faso is a landlocked nation of 17 million inhabitants situated
south of the Sahara desert in West Africa (World Bank, 2013). The
country has officially been democratic since 1991 and has a
longstanding national tradition of trade unions and active civil society
organizations, including the student movement (Hagberg, 2001: 19).
However, the political landscape is also characterized by
generationally and socially asymmetric access to influence, resources
and justice (Hilgers and Mazzocchetti, 2010).
In a nation where more than three out of four adults are illiterate
(UNDP, 2013), university students are in many ways part of a
privileged, urban elite. Nonetheless, in line with general trends across
Africa, the prestige and privilege of students in Burkina Faso’s public
universities have deteriorated considerably following recent decades’
substantial reductions of state support to education (Mazzocchetti,
2009: 85-86). Study conditions are harsh with high dropout and
unemployment rates (ibid.: 103-133). Although activists in ANEB
come from a wide variety of backgrounds, many are among the less
economically privileged (Korbéogo, 2009: 90-94). They see
themselves as marginalized actors, ignored and neglected by
authorities.
The National Association of Burkinabè Students, ANEB, was founded
inn 1960 just before national independence and has become the
biggest national student union (Sory, 2012: 191). It officially welcomes
all political affiliations though most members unite around a shared
dissatisfaction with the government. The union is estimated at more
than a thousand members, comprising students across all five national
universities, disciplines and religious and ethnic backgrounds. This
169
study has focused on ‘delegates’ who see themselves as the most
committed representatives.
ANEB’s purpose is defined as ‘the defense of students’ material and
moral interests’, comprising everything from student housing,
scholarships to basic rights to security and justice. The union is also
defined as part of a larger ‘patriotic and revolutionary’ struggle for
national justice, aiming to support popular movements across the
country, raise general awareness and stage protests against power
abuses.
Across Africa, youth’s defiance to political, economic and social
institutions has resulted in tense relations between state actors and
youth organizations (Diouf, 2003: 8). ANEB is part of such tendencies.
Since the movement has often managed to mobilize large popular
protests, state officials have periodically attempted to control or
repress its activities (Mazzocchetti, 2009: 89). This article takes its
point of departure in activists’ tensional relations with national
authorities. Analyzing the various social and political alternatives
activists create, I argue that ANEB becomes a platform for redefining
and improving students’ social position and possibilities in a sociopolitical landscape where they often feel excluded.
CREATING SMALL-SCALE ALTERNATIVES
The Struggle
If I go to the administration right now and ask them for help,
they will laugh at me. When we go there together, as delegates,
speaking on behalf of all students, they suddenly respect us.
They know what ANEB is capable of! (Moussa)
ANEB’s activism is centered on the concept of ‘struggle’. The concept
refers to active efforts to obtain something and is used by Burkinabè
across the political spectrum in order to stress that one must work
hard to get by in a country marked by poverty and scarcity. When
delegates in ANEB talk about struggle, it has a conflictual character
and refers to the union’s battles with authorities to obtain rights and
privileges. Authorities are widely understood as both members of the
university administration and the government; the former often
perceived as the latter’s direct ally on campus. In line with Federici’s
argument that African student protests have become endemic
(Federici, 2000: 56), ANEB seems to be permanently engaged in some
sort of struggle across its different branches.
Many activists, such as Moussa above, emphasize that a student has no
chance of being taken seriously by authorities, since individual
concerns are most often patronized or ignored. They hold that the
collective struggle is the only means of achieving improvements for
students. Acting within the organized community of ANEB, activists
come to constitute a potent political body capable of disrupting
stability within and outside campus. As Moussa explains, his activism
becomes a means of improving his social role and possibilities for
action, forcing authorities to take his demands seriously. In this sense,
the engagement within ANEB enables Moussa and fellow delegates to
embark on processes of social becoming, allowing them to become
relatively powerful political actors rather than excluded or dependent
youth.
Since a struggle can continue for several months, putting classes on
hold, the consequences can be devastating for students’ education.
Nonetheless, delegates stress that the struggle is absolutely necessary.
They proudly emphasize the many social and political achievements
the union has secured for students, such as state subsidized student
canteen and housing.
170
As Vigh argues, we all live our lives along multiple paths of transition
(Vigh, 2006: 96). For Moussa and others, political activism provides
transitional capacities to transcend a state of marginality and gain a
sense of importance and action. As in other youth movements in
Africa, activists are repositioning themselves from being ignored
youth to agentive political actors by creating a collective platform from
which they can speak (cf. Rasmussen, 2010: 312).
A Social Safety Net
Since its creation in 1974, the University of Ouagadougou has been
home to intense conflicts between students and authorities. In several
instances, the government has closed dormitories for longer periods in
attempts to disburse students, who are thereby left without housing
(Sory, 2012: 172,187). During one such moment in 2008, ANEB
collected funds from family members across the country to provide
provisional housing and food for displaced students.
According to Eric, a delegate and student of history, moments such as
the one in 2008 testify to the union’s unrelenting solidarity. Even in an
unjust society, he explained, ANEB strives to attain justice:
Time and again, we show our authorities that we students
remain solidary, even though they have given up on us. When
they close dormitories, they try to break us up. But ANEB
keeps fighting. Although our leaders have no dignity, we
students cannot be manipulated!
Juxtaposing the student community with the national leadership, Eric
presents ANEB as a crucial alternative for students who cannot always
expect the state to live up to its social responsibilities. Portraying
delegates as unmanipulable actors in the face of repression, he
repositions students as responsible youth who are able to make
autonomous judgments and act accordingly. By underlining the fact
that they continuously ‘show’ authorities how solidary they are, he is
situating students within the on-going social processes of negotiating
roles across generations. Their activism provides an opportunity of
social becoming, as students can make claim to be responsible actors
in front of authorities.
In Eric’s belief, the solidary acts of support that delegates continuously
engage in are crucial alternatives to increasing egoism in society.
ANEB is often called ‘a big family’, underlining the many social
responsibilities and duties that follow from union membership.
Delegates are expected to support each other, whether on a financial,
educational or personal level. If someone suffers from sickness or loss,
their unit will collect money and pay a collective visit to hospitals or
funerals to show support. They share notes from classes, tickets for
the canteen and help each other out unquestioningly in numerous
ways. Since most delegates only have few economic and social
resources, often living far away from families, such support can be
crucial.
ANEB’s various acts of solidarity can be seen as means of establishing
a social safety net in a society where basic welfare services cannot be
taken for granted. Clearly outlining each member’s rights, privileges
and duties, students create their own economy of affection rather than
relying solely on official structures (cf. Vigh, 2006: 104). As students in
public universities, they are dependent on the government’s financial
and political support405 and many aspire to be employed in the public
Students in Burkina Faso’s public universities are entitled to some public support.
While fewer than 10% of students receive a scholarship (Sory, 2012: 175), the
majority has access to a student loan of an annual 165,000 FCFA (approximately 331
405
171
sector. They thus do not attempt to distance themselves completely
from the official system. At the same time, activists establish
alternative social structures that help reduce their dependence on a
government they hold no confidence in. In this way, they create a
small-scale space of autonomy where they can act independently of a
system perceived as uncaring, expanding an otherwise narrow range
of possibilities through collective efforts. As seen in Eric’s comment,
the ability to create small-scale social alternatives enables students to
gain a sense of acting upon the world, reacting to and against
perceived injustices rather than being pacified by them.
A Controlling Body
Just as authorities have often surveyed ANEB closely, ANEB delegates
emphasize their responsibility to keep a close watch on the
government. In order to avoid authorities’ espionage they have
developed a range of security measures. During meetings, they
consistently place two delegates at each entry to keep track of
everyone present. Rather than a protector of citizens and a purveyor
of security, the government is thus regarded as something students
must protect themselves from. As for other contemporary youth in
unstable democracies, distrust in state institutions results in the image
of the state as a dangerous other (cf. Chavez and Nuñez, 2012: 360).
Situated within an uncertain social environment, students attempt to
gain a social space of their own (cf. Vigh, 2006: 105), which becomes
located within the secured confines of the union. By explicitly
demarcating and securing this space during social events, they liberate
‘a territory or an aspect of life’ (cf. Krøijer, 2011: 243), where they are
in charge, free from government surveillance or repression. In other
words, they carve out a small-scale space of autonomy where they can
act in accordance with their own rules and agendas.
One of delegates’ central political concerns is the high level of
impunity in Burkina Faso (cf. Amnesty, 2012: 10). As many of her
fellow delegates, English student, Florence, was hesitant to
acknowledge recently observed improvements. ‘We hope that our
authorities have good faith and really intent to make things change,
but we have to wait and see,’ she explained. ‘In the meantime, we will
stay vigilant. We will keep controlling them.’ Referring to ANEB’s
constant and critical attention to state actors’ behavior, Florence
articulated a potent agency among students. As seen in her statements,
her hope for a just society does not imply passive waiting. Rather, it
orients her struggle toward the fulfillment of such hopes, transformed
into effective desires that she can act upon as an activist (cf.
Crapanzano, 2003: 6).
Across different eras and continents, students have often been
perceived as unruly subjects that threaten the current order (cf. Boren,
2001: 3). By presenting authorities as unreliable and unruly figures,
activists flip the picture so that students, not the state, come to
represent order and morality. Like Eric, Florence is reinterpreting
students’ social position, constructing them as caretakers of order and
rejecting the role of deviant youth. Presented as a crucial body of
control, ANEB allows students to embark on the process of becoming
responsible and agentive youth.
USD) (FONER, 2010). The annual cost of studying at the University of Ouagadougou is
between 300,000 and 500,000 FCFA (approximately 600 and 1,000 USD) (UO 2013).
172
A School
Often, you have to abandon a class in order to carry out a task.
Many students deny that. They must attend all classes and do
all their homework. In ANEB, we tell ourselves that we learn
something you will never learn in class. It’s a different type of
training, much more practical. We know we are lucky; this
training is cultivating us. You learn to comprehend political
issues with clarity and see beyond your private needs. (Aida)
Aida is a feminist and former ANEB delegate, now employed as a
researcher in a private think tank in Ouagadougou. In keeping with her
ideas, ANEB is often referred to as a school. Delegates perceive the
union as a medium for acquiring crucial knowledge that they do not
gain access to in public universities. Many delegates stressed that few
professors would teach them the important concepts of revolutionary
theory. They gain access to such alternative curricula in internal
seminars and meetings.
For many students, high failure rates imbue the university experience
with a rather acute sense of uncertainty. By creating alternative
channels and forms of education, delegates establish a supplement to
university classes and reduce their dependency on the university
system, broadly perceived as poorly functioning, unpredictable and
inattentive to students’ interests. As a school, ANEB becomes a smallscale space of autonomy where students can pursue educational goals,
which they themselves have defined as important. Aida’s comment
shows how this allows them to realize a desired social being, becoming
enlightened and solidary actors in accordance with their own criteria
for enlightenment.
The educational form that ANEB offers is generally considered more
engaging than university classes. Many professors are perceived as
arrogant, lecturing for hours without including students. In a society
where gerontocratic structures of power are prevalent, young
Burkinabè are often expected to listen silently to elders (Mazzocchetti,
2009: 82; Thorsen, 2006: 94). To Jacques, a 29-year old master
student of geography, the union is a radical alternative to this:
ANEB teaches you to express yourself. At the meeting
yesterday, we didn’t have a lot to say. But in order to allow
students to express themselves, we gave the word to everyone.
Even though what you had to say was not so important, at least
you expressed yourself.
Anthropologist Michael Jackson has argued that the process and action
of being free to voice one’s concerns and be listened to enables one to
restore a sense of agency (Jackson, 2009: 245). As Jacques explains,
ANEB constitutes a social forum where everyone’s voice is
acknowledged. In this way, it enables otherwise pacified youth to
become equal participators and contributors, expanding possibilities
for meaningful action.
A Democracy
People do not trust us to hold political posts. All these negative
prejudices relate to young students: anti-conformist, too
energetic, violent, making frequent mistakes... But to Marxists,
youth is progressive – with both rights and responsibilities.
(Yaya)
Many ANEB delegates declare themselves proponents of Marxism.
Yaya, a PhD scholar at the University of Ouagadougou, is a member of
ANEB’s Executive Committee. He stated the above during an internal
173
training seminar on the importance of youth in national politics. In his
view, Marxist ideology could show the way to a true democracy,
focusing on the majority’s needs. Delegates in ANEB were generally
highly skeptical of the current democracy and often called for general
boycotts of national elections. They perceived national governance as
undemocratic, controlled by a small, powerful elite. Although the
Burkinabè state is structured on democratic principles with
multiparty elections, associative freedom and free press, it is
simultaneously marked by impunity, authoritarianism and a
consistently low electoral participation (ACSS, 2011: 6; IDEA, 2011).
For such reasons, many Burkinabè do not perceive democratic
elections to be a channel of change or influence (Hilgers and
Mazzocchetti, 2010).
Like other West African student movements, ANEB claims to be
organized on truly democratic values (cf. Smith, 1997: 250). One of its
guiding principles is ‘democratic centralism’. Before a decision is
made, the union’s Executive Committee will present a proposal to
delegates in a general assembly. The proposal is discussed at length
and either rejected or approved by majoritarian vote. Everyone can
thereby have a say in the process before a decision is passed.
Interestingly, the assembly rarely rejects the summit’s proposals in
practice. Nonetheless, assemblies are democratic in form and
delegates frequently engage in heated discussions, voicing diverging
viewpoints.
ANEB activists present their inclusive decision-making processes as
radically different from national forms of governance. They proudly
emphasize the consistently massive participation rates during general
assemblies, contrasting them to low national elections turnouts. They
hold that ANEB decisions truly represent the majority of students’
interests. ‘Democratic centralism’ can be seen as a small-scale
alternative to national modes of governance, enabling students to
make decisions independently of state bureaucracy. When national
mechanisms of ensuring citizens’ representation are perceived to have
failed, ANEB presents itself as an alternative social and political
structure that opens up new possibilities for democratic action. It
becomes a platform that enables students to position themselves as
proper democratic actors in an un-democratic society.
Through various examples, I have argued that student activists
collectively carve out small-scale spaces of autonomy. Importantly,
these spaces do not function in isolation. Each of them is tied to a
multitude of other social networks and nodes of power in ways that
clearly transcend the local and student campus and go beyond the
scope of this article.
As Yaya reminds us above, being young in Burkina Faso is often
connected to negative prejudices of incivility. I have argued that
student activism becomes a channel for improving students’ social
positions and possibilities in a landscape characterized by unequal
access to rights and privileges. Yaya’s comment aptly demonstrates
how students’ political engagement allows them to embark on
processes of social becoming, positioning themselves as responsible
and agentive rather than unruly and pacified youth.
Below, I unfold the inherently collective aspect of this process. Since
the small-scale alternatives students create are only made possible
through collective efforts, I argue, the activist agency is inextricably
linked to the common struggle they dedicate themselves to. Rather
than an accumulated sum of individual strategies, I have shown that
delegates’ activism should be seen as an inherently collective
174
endeavor, transcending individual interests and capacities. For this
reason, students’ ability to carve out autonomous spaces is enabled by
an ability to become one and submit to the common project. I unfold
this argument by introducing a focus on submission, analyzing
Burkinabè students’ aspirations to become true activists by becoming
one.
Comparing the religious and activist communities to which she
belongs, Florence underlines the fact that a delegate must hold the
same faith in ANEB that Protestants hold in God. Being an activist
becomes an identity that one is fully consumed by. In order to become
a true activist, she has to submit to the common political project with
her entire person or, in other words, become one with it.
BECOMING ONE
Becoming a True Activist
Sociologist Sidney Tarrow has argued that successful coordination of
collective action depends on the trust and cooperation generated
among participants by shared understandings and identities (Tarrow,
1998). In this light, ANEB has been rather successful in assuring
necessary cooperation among delegates. Within the union, principles
of unity and solidarity are regarded as the highest values and
promoted actively every day. The oft-cited dictum ‘Unity is Strength’
refers to the common belief that the union derives its political leverage
from its ability to coordinate collective action closely.
Saba Mahmood has argued that a liberal imaginary of freedom, in
which the individual is only empowered if her actions are the result of
her ‘own’ free will, is not always useful for understanding social fields
where people aspire to realize themselves through other socially
ascribed ideals for behavior. Active submission to and embodiment of
collective norms can also become empowering (Mahmood, 2005: 1415). By expressing a desire to become ‘a true activist’, recurrent
among activists, Florence expresses a desire to realize herself by
submitting to the teleology of ANEB’s social demands406. The union’s
socially authorized definition of the true activist is not an imposition
on Florence but constitutes the very substance through which she
wishes to develop. Her means of realizing a desired social being is
directly related to her ability to form herself in accordance with
common criteria.
Since its creation, ANEB has developed its own organizational culture
with specific values and obligations that members are expected to
internalize. According to Florence, who is both a committed delegate
and a committed Protestant, being an activist in ANEB requires a
complete personal submission to the collective project:
If you want to do something, you have to do it with your entire
heart. In Church, we talk about God’s commandment: Love God
with all your heart and all your force. And within ANEB, it’s the
same thing! You have to be in it all the way. You cannot declare
yourself an activist and then abandon the others when they go
into march. That’s not a true activist.
In order to understand a social movement that stresses unity and
solidarity as prime values, one should not automatically attempt to
separate individual aspirations from socially prescribed ideals (cf.
ibid.: 319). Delegates generally agree that their activism has enabled
them to become better, more enlightened persons. Ali, a 24-year old
With this observation, I do not wish to employ a sociological model of causality in
which a social movement such as ANEB is a reflex response to hardship (cf. Crossley,
2002: 11). Merely, I wish to direct attention to the way in which political and social
dissatisfaction can be transformed into action.
406
175
English student, is a highly enthusiastic ANEB activist. In his view, his
submission to the union, and its political training, has radically
transformed his ideas:
Before ANEB I didn’t understand anything. I was in darkness.
In 2005, I even voted! If people told me ‘a coup d’état is the
right solution’, I would agree. If they told me to vote, I would
agree. Now I know the truth! I have reached the light.
With his narrative of personal transformation, Ali depicts a clear
temporal distinction between earlier times’ blindness and his present
insight, gained in ANEB. Earlier, he explains, he did not take an active
stand on political issues but followed advice passively. Now, however,
he believes he is informed and no longer easily manipulated, being
able to make independent choices based on objective analysis.
Importantly, however, Ali does not see his present insight as a result of
his own individual research. He ascribes it to the training he has
received in ANEB. Thus, he has not realized himself as an enlightened
actor in separation from social ideals but rather through the specific
logics of ANEB. While he is therefore in a sense still relying on other
people’s interpretations, he is now relying on a union that he has
actively chosen to commit himself to.
Sacrificing Individuality
The training that ANEB offers revolves around a range of personal
qualities, which good delegates should possess. These include
discipline, solidarity and, not least, the ability to sacrifice individual
desires for the common struggle407. The highly valued ‘spirit of
sacrifice’ should be manifest in delegates’ daily acts. They therefore
participate in numerous time-consuming activities at the expense of
private schedules, abandoning classes and family duties to go to
meetings, plan campaign activities, hand out information or other
union related tasks. Whenever a strike or collective action has been
decided upon by vote, everyone should sacrifice their own projects in
support of it. As Martine explains below, the act of ‘betraying the
struggle’ by pursuing individual interests is considered a sin:
That is what sacrifice is all about! If we have decided to go into
strike, you cannot go against the instructions – even if you were
supposed to go to an important exam! If I went to the exam, would
I ever be able to go back to the other delegates and sit with them?
No, they would chase me away: ‘You are a traitor!’
Employing a rhetoric of betrayal well-known within ANEB, Martine
stresses each member’s duty to submit to ANEB’s call for action, even
if this means sacrificing your own studies. As she explains, they risk
being excluded from the social community if they fail to align
themselves with the common project. When delegates engage in
struggle, they should act as one activist body with one set of priorities.
Vigh argues that agents concurrently plot trajectories, plan strategy and actually
move toward a telos, an anticipated goal, in relation to current and imagined social
positions and possibilities (Vigh, 2006: 13). As seen above, the active submission to
ANEB’s socially defined telos for the ‘true activist’ can become a way of realizing a
desired social being.
407
176
Students in Burkina Faso, like other West African youth, deplore the
current prevalence of ‘individualism’ and egoism that they believe has
come about with increased modernization and liberalization408 (cf.
Mazzochetti, 2009: 75; Waage, 2006). According to Eric, the history
student, ANEB is an important alternative to what he sees as rampant
moral decay. ‘Instead of focusing on the individual, as in the capitalist
society, we focus on the group,’ he said. The emphasis on the collective
recurred among delegates who often juxtaposed Western, capitalist
values of individuality with ANEB’s emphasis on solidarity, sacrifice
and unity. When I asked Eric whether he believed he had made a
difference through his ANEB engagement, he replied: ‘The individual is
not… It’s a group effort. Nobody can brag or toot his own horn like
that. It’s us! We sacrifice together.’ In his view, his own importance as
activist should not be distinguished from the collective activist body
he had submitted to.
I will argue, inspired by Krøijer, that Burkinabè students’ autonomous
potentials do not derive from processes of individual emancipation in
which they are the sole authors of their actions. Rather, empowerment
emerges as a result of collective action and projects in which activists
gain a sense of agency together (cf. Krøijer, 2011: 95-97). Following
their expressed desires to become truly solidary and sacrificing
persons, I have attempted to make my analysis reflect the importance
of the group by stressing the centrality of social demands and
submission to processes of social becoming. As I have shown, the act of
sacrificing certain individual freedoms and projects is a necessary
The emphasis on sacrifice is not unique to Burkinabè political youth activism. In his
analysis of Marxist youth in Nepal, anthropologist Dan Hirslund analyses the value of
sacrifice as one of their most important values (cf. Hirslund, 2012).
408
requirement for students’ ability to become activists and position
themselves as agentive youth collectively.
Hesitations
Although delegates agree that everyone should submit to the common
struggle, they also experience obstacles when it comes to practicing
submission in daily life. In moments of trust, I saw glimpses of doubt
and hesitation, even among the most committed delegates. At the end
of an interview with Jacques, whom I came to know as a passionate
proponent of revolutionary ideas, I told him that I was on my way to
the local gym. He promptly replied that it was bourgeois to go to the
gym. “If you want to run, you can run here. If you want to ride a bike,
you can do it in the streets – along with the people,” he exclaimed.
When I asked him, guiltily, if he really thought I was bourgeoise he fell
silent. Then, to my surprise, he mumbled: “I am just saying these
things. In reality, we want to do all that stuff too.”
Stripped of his revolutionary paroles, I saw Jacques admitting to more
pragmatic material desires, which could not always be expressed
openly. Such ambiguous attitudes were perhaps more common than
what appeared at first glance. While defending the union’s political
visions with pride and dedication, Florence told me she sometimes
worried whether these were actually unrealistic. Much like she could
experience doubts and temptations as a Protestant, her faith in ANEB’s
political project could be frail. In a private interview, Florence silently
said: ‘True, those are beautiful ideas. But I admit; I have a hard time
imagining how this total change of system should come about. I’m
afraid the revolution is only an ideal’. In addition, she worried about
her own ability to remain solidary at all costs:
177
I’m often anxious. I see certain contradictions between what
we preach and what we can do. If I get a grant to go to a
country that we define as imperialist, France perhaps, I’m
afraid that they the donors will withdraw my grant if I
continue my activism in ANEB. You see? Because of our socioeconomic situation, we don’t have much room to maneuver.
Although Florence holds a university degree, she enrolled herself as a
student again after months of unemployment. Pointing to the scarcity
of resources that most students at the University of Ouagadougou
struggle with, she stressed the fact that they are often left with few
possibilities. Obtaining a grant to study in Europe is widely considered
an immense achievement, also among ANEB delegates who generally
critique Europe, especially France, for continued imperialistic
domination. Florence worried about her ability to uphold her
revolutionary engagement and loyalty to ANEB if it could jeopardize
her own possibilities to go abroad and ensure a better future for
herself409.
Together with Jacques’ mumbling comment, Florence’s statement
testifies to the fact that delegates’ commitment to ANEB’s cause cannot
be taken for granted, as it is mixed with ambiguous desires for
personal success and material comfort. Importantly, however,
In his ethnographic study of urban youth in Ngaoundéré, Cameroon, Trond Waage
argues that young people perceive the social landscape as marked by ‘frenetic
individualism’ and selfishness (Waage, 2006: 67).
ix Florence’s concern about her ability to resist promises of individual success is
grounded in certain political realities. Across Africa, the provision of scholarships to
foreign universities has been a prevalent state tactic in order to control and co-opt
members of student resistance movements (Smith, 1997: 254; Zeilig and Dawson,
2008: 21).
409
Florence’s anxiety also indicates a genuine aspiration to become one
with the union and her constant struggle to realize herself as a true,
unselfish activist.
As argued by Mahmood, processes of submission imply that people are
summoned to cultivate socially valued abilities within themselves in
order to realize themselves as subjects (Mahmood, 2005: 32,120).
Florence’s often read articles about historical struggles in order to be
convinced of the necessity of collective action. In addition, numerous
ANEB seminars teach members to become good delegates, giving
advice, for instance, on how to avoid prevalent vices of opportunism
and political indifference. As Aida explained in the first part of this
article, delegates feel lucky to have this training since it is cultivating
them. The various social activities enable delegates to internalize the
union’s specific logic through repeated and targeted training. They
provide a form through which the highly solidary and sacrificing
subject can develop, cultivating the ideal spirit of sacrifice.
I have shown delegates’ desires to become true activists by aligning
convictions and actions with the social body of ANEB. Although
individual and collective struggles appear conflicting, I have argued,
they should rather be seen as complementary. Active submission to
the union’s demands can be a means for students to reposition
themselves collectively within a social environment that often leaves
youth with few possibilities. In other words, it provides a channel for
realizing a meaningful social being, becoming agentive youth by
becoming one.
Conclusion
The article has investigated the social, political and personal struggles
of activists in Burkina Faso’s largest student movement. Analyzing the
178
small-scale spaces of autonomy created through various social and
political alternatives, I have argued, they manage collectively to
improve their social positions and possibilities for meaningful action.
The article approaches ANEB as a social and political platform that
enables youth to articulate and pursue agendas independently of
official structures, thereby acting upon and against them.
Importantly, students’ aspirations for autonomy should not be seen as
processes of individualized emancipation. Combining the concept of
social becoming with one of submission, I have shown how active
submission to a social community can enable youth to negotiate
autonomous spaces collectively, thereby embarking upon the process
of becoming responsible and agentive youth together. As seen,
students aspire to realize themselves as true activists by aligning
individual projects with common goals. In this way, the case of
Burkinabè student activism illuminates how processes of social
becoming can encompass struggles to become autonomous and
submissive simultaneously.
My point in presenting students’ collective efforts is not to evaluate
whether these constitute a better alternative to current solutions.
Rather, I have investigated the possible social effects of student
activism for one group of West African youth. The Burkinabè student
union exists because of the students’ own efforts. By engaging within a
structure in which their voices and actions are crucial contributions,
students gain a sense of importance and agency as they aspire to
realize themselves as true activists. In this manner, student activism
allows this group of Burkinabè students to embark on a process of
social becoming that they delineate and value themselves.
NOTES
All names used in this article are pseudonyms.
The acronym ANEB is short for the French title ‘Association
Nationale des Etudiants Burkinabé’. ANEB is the local Ouagadougou
branch of a larger union, UGEB (in French ‘Union Générale des
Etudiants Burkinabè’), comprising five national and two international
branches in France and Senegal respectively. Since the vast majority of
my empirical material is from the Ouagadougou branch, which is the
biggest and most well-known, I use the title ANEB.
iii Besides staying in Ouagadougou, I spent one week in Burkina Faso’s
third largest city, Koudougou, among members of ANEB’s Koudougou
branch. The interviews in Paris and Copenhagen were conducted in
August 2012 and May 2013 respectively.
iv Students in Burkina Faso’s public universities are entitled to some
public support. While fewer than 10% of students receive a
scholarship (Sory, 2012: 175), the majority has access to a student
loan of an annual 165,000 FCFA (approximately 331 USD) (FONER,
2010). The annual cost of studying at the University of Ouagadougou is
between 300,000 and 500,000 FCFA (approximately 600 and 1,000
USD) (UO 2013).
i
ii
With this observation, I do not wish to employ a sociological model of
causality in which a social movement such as ANEB is a reflex
response to hardship (cf. Crossley, 2002: 11). Merely, I wish to direct
attention to the way in which political and social dissatisfaction can be
transformed into action.
vi Vigh argues that agents concurrently plot trajectories, plan strategy
and actually move toward a telos, an anticipated goal, in relation to
current and imagined social positions and possibilities (Vigh, 2006:
13). As seen above, the active submission to ANEB’s socially defined
telos for the ‘true activist’ can become a way of realizing a desired
social being.
v
179
The emphasis on sacrifice is not unique to Burkinabè political youth
activism. In his analysis of Marxist youth in Nepal, anthropologist Dan
Hirslund analyses the value of sacrifice as one of their most important
values (cf. Hirslund, 2012).
viii In his ethnographic study of urban youth in Ngaoundéré, Cameroon,
Trond Waage argues that young people perceive the social landscape
as marked by ‘frenetic individualism’ and selfishness (Waage, 2006:
67).
ix Florence’s concern about her ability to resist promises of individual
success is grounded in certain political realities. Across Africa, the
provision of scholarships to foreign universities has been a prevalent
state tactic in order to control and co-opt members of student
resistance movements (Smith, 1997: 254; Zeilig and Dawson, 2008:
21).
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Université Paris 1, [email protected]
L’objet de ce papier est de tenter, à partir d’un cas concret, de
répondre aux questions suivantes : Quels sont les problèmes et les
contraintes auxquels s’exposent des étudiants qui entreprennent
d’initier et d’organiser un mouvement contestataire en milieu
universitaire africain et en contexte autoritaire et comment négocientils leurs rapports à ces contraintes ? Dans quelle mesure un regard
interne ou indigène à cette expérience, coupler aux outils de la
sociologie des mobilisations et des organisations peut contribuer à
éclairer des logiques d’action qui émergent au croisement de telles
initiatives et de telles contraintes? Le mouvement étudiant dont il sera
question ici est l’Association pour la Défense des Droits des étudiants
du Cameroun, dont nous avons eu l’occasion d’en être un acteur de
premier plan, et donc d’en fréquenter les cales, d’être intimement mêlé
à diverses étapes de sa construction pour prétendre aujourd’hui tenter
d’en décoder analytiquement la boîte noire. Celle où se manufacturait
au quotidien, cette entreprise de dissidence assumée, au delà des
produits visibles offerts au public, des éclats de lutte, des postures
convenues, constituant la façade officielle du mouvement.
En clair, lorsqu’en 2004, des étudiants camerounais décident
de briser un « tabou politique » et de défier le régime en créant
l’Association pour la Défense des Droits des Etudiants du Cameroun,
ils vont très vite se rendre compte que initier et organiser un
183
mouvement revendicatif en contexte autoritaire ne va pas de soi. Il
faut en effet adapter les stratégies de toutes les phases d’action à un
ensemble de contraintes : Les restrictions légales, les mécanismes
diffus de répression politique sur fond de très forte asymétrie du
rapport de puissance entre les appareils du régime et le groupe
contestataire qui tente d’émerger et de se constituer, les pressions
sociales issues de la famille ou des réseaux de socialisation divers ou
d’interconnaissance auxquels les meneurs appartiennent. Il faut en
outre prendre en compte le fait que dans un tel contexte de répression,
le mouvement social est très atomisé. De sorte que, non seulement les
pratiques militantes sont faiblement ancrées, mais les occasions de
socialisation aux pratiques contestataires sont également rares, les
héritages trop diffus pour servir de creuset. De très fortes
discontinuités apparaissent entre générations de militants, faute de
possibilités de connexion permanente ou de transmission
intergénérationnelle. Les formules charismatiques de mobilisation ont
tendance à dominer dans l’espace social, au détriment de la
constitution de véritables appareils contestataires permettant de
formaliser, d’objectiver, de diffuser etde routiniser des savoirs-faire en
la matière. De façon à « professionnaliser » en quelque sorte des
générations de recrues, qui auront ainsi pu acquérir ou incorporer des
dispositions pertinentes pour ce type de mobilisation et d’action. Et de
sorte que de cette coagulation d’expérience commune, émerge une
espèce de capital collectif de savoir-faire qui prédétermine à son tour
les logiques d’action des acteurs.
Confronté à ces réalités, le mouvement naissant, dont le
discours s’auréole de résonances dissidentes, va gérer sa survie en
négociant au quotidien un ensemble d’enjeux. D’abord identitaires,
dans un contexte de restriction légale et de répression diffuse de toute
initiative syndicale en milieu étudiant: Comment nommer la nouvelle
organisation sans la désigner explicitement comme syndicat, tout en
suggérant suffisamment son identité ou son projet syndical?
(Association pour la défense des droits des étudiants) C’est quoi au
juste un syndicat et c’est quoi organiser un syndicat lorsqu’on n’a pas
appris à « faire syndicat »? De quels modèles s’inspirer pour rompre
avec les pratiques associatives existantes ? En clair, comment définir
un modèle associatif en cohérence avec une démarche de critique
sociale et politique revendiqué par le mouvement et donc en rupture
avec le modèle charismatique, autoritaire et communautariste
dominant ? Fallait-il donner priorité au politique sur le corporatif et le
fait de coller aux préoccupations du monde étudiant était-ce
nécessairement incompatible avec la politisation de la parole du
mouvement?
Questions qui embrayent sur celles entre autres, du contenu de
la critique à formuler, de sa traduction pratique et de la maîtrise des
outils d’action adaptés pour exprimer cette critique : Comment parle ton lorsqu’on parle au nom d’un syndicat? Comment écrit-on une
pétition, qu’est ce qui la distingue d’un communiqué de presse, d’une
déclaration, d’une lettre ouverte ? Comment organiser une grève ?
Comment financer un mouvement en opposition au régime? Quelles
relations avoir avec les partis politiques établis? Aucune école
disponible pour apprendre tout cela. Sinon qu’à l’épreuve des
situations concrètes; parfois par des improvisations. Ou en retrouvant
l’inspiration dans la littérature produite par et sur le moment
nationaliste camerounais et africain afin de retrouver des modèles
indigènes emblématiques. Ou encore auprès des modèles forgés dans
les luttes d’ailleurs. Si ce n’était à travers internet, dont l’apport aura
été ici déterminant par exemple pour les statuts, exemple association
internationale des étudiants, statuts du PS français avec un premier
secrétaire, proche des communistes : UPC et son SG qui incarne
184
l’exécutif plus que le prési, souci de la rupture constant dans notre
volonté de fair, inspiré de modèle. Apport de l’ordinateur pour
contourner les renseignements, il a souvent saisi un texte rapidement
et diffusé largement sans avoir besoin de grandes ressources, pas
accessibles à ceux de 1990, rapidement, on prenait de cours la
surveillance. Un mouvement pour importer des thèmes de
mobilisation, et apprendre à concevoir des outils de lutte. L’ordinateur
et la reprographie auront à cet égard joué un rôle clef qu’il convient de
documenter. Toutes ces contraintes ont forgé des rôles, des divisions
internes du travail, handicapant les uns ou favorisant les autres,
discriminant les compétences nécessaires pour diriger, pour parler au
nom de l’organisation, construisant des pratiques initiatiques internes,
et créant un équilibre entre dispositions charismatiques et
dispositions bureaucratiques. Telles sont entre autres les aspects que
se proposent d’explorer analytiquement notre papier.
BIBLIOGRAPHIE
Banégas Richard, « Les transitions démocratiques: mobilisations
collectives et fluidité politique », Cultures et conflits, n° 12, 1993, p.
105-140
Pommerolle Marie-Emmanuelle, « Routines autoritaires et innovations
militantes » Le cas d'un mouvement étudiant au Cameroun, Politique
africaine, 2007/4 N° 108, p. 155-172.
Mbembe Achille, « L’État-historien », in R. Um Nyobé, Écrits sous
maquis, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 9-42
Fillieule Olivier, Sociologie de la protestation, Paris, L’Harmattan, 1993,
p. 33. équilibrant le pouvoir interne entre pôle de charisme et pôle
de compétence?
MAMADOU DIMÉ. ENTRE SYNDICALISME ALIMENTAIRE ET STRATÉGIE
PROTESTATAIRE. ABDOULAYE WADE ET LES ÉTUDIANTS : DU HÉROS ADULÉ
AU PATRIARCHE DÉCHU
Enseignant-chercheur, Département de Sociologie, UFR des Lettres et
Sciences
Humaines,
Université
Gaston
Berger
[email protected]
RÉSUMÉ
Cette communication explore les fondements de la relation
qu’Abdoulaye Wade, comme homme politique, figure emblématique de
l’opposition durant plusieurs années, puis comme président de la
république du Sénégal, a pu établir avec la jeunesse de son pays et plus
particulièrement, les étudiants. Nous démontrons d’abord les
fondements et les différentes péripéties de cette relation « quasifusionnelle ». Nous montrons ensuite comment Wade a su mobiliser et
instrumentaliser la jeunesse dans ses combats politiques en insistant
particulièrement sur les espoirs que son élection a suscités chez les
étudiants. Nous proposons enfin une évaluation des réponses
apportées par le président aux attentes de ce groupe réputé pour son
esprit frondeur et revendicateur.
Malgré les efforts consentis en termes d’amélioration des conditions
d’étude et de vie des étudiants ainsi que dans le développement du
réseau universitaire, Wade a globalement déçu les étudiants et, plus
généralement, les jeunes. Ceux-ci estiment pourtant avoir contribué,
de manière active à son arrivée au pouvoir après en avoir payé le prix
fort (violence, perturbations scolaires, etc.). Une partie importante de
notre analyse revient sur les raisons de cette désillusion de même que
sur ses modalités et temporalités d’expression. Sa défaite électorale,
185
après une contestation violente de sa candidature, est un indicateur de
son rejet même parmi les franges qui lui ont été longtemps fidèles,
comme les étudiants. Plus de 2 ans après son départ de la présidence,
un sentiment de nostalgie de l’ère Wade et des « acquis » obtenus
grâce à lui (bourses d’étude notamment) est perceptible dans les
campus démontrant ainsi la complexité, la profondeur et l’ampleur des
problèmes des universités publiques sénégalaises.
INTRODUCTION
Pendant son parcours d’opposant (1978-2000), Abdoulaye
Wade s’est toujours présenté comme le candidat « des jeunes, des
chômeurs et des étudiants ». Ces derniers ont, d’ailleurs, occupé une
place spéciale au sein de la catégorie éclatée des jeunes notamment en
étant à l’avant-garde de ses combats et en se mobilisant au fil des
différentes élections qui ont culminé avec son élection à la présidence
de la République du Sénégal le 19 mars 2000, à la faveur de la
première alternance démocratique connue par le pays. Avec
l’accession de Wade au pouvoir, la jeunesse dans son ensemble, mais
surtout, les étudiants, ont baigné dans une euphorie grisante. Ils
pensaient avoir placé à la tête de l’État un homme politique sensible à
leur sort et qui aurait à cœur la résolution des maux contre lesquels ils
se sont longtemps battus, y compris par des formes violentes et en en
payant un lourd tribut (perturbations récurrentes du système scolaire
avec leur lot d’année blanche, d’année invalide, répression policière,
emprisonnements, exclusions, échecs, etc.). Dans sa stratégie de
conquête du pouvoir, Wade s’est fortement appuyé sur les étudiants
en se plaçant dans une posture de « noyautage » de leurs organisations
syndicales, d’instrumentalisation de leurs revendications et de
récupération, voire de « détournement » de leurs luttes. Il a su mettre
en place des organisations de jeunesse, notamment dans l’espace
fortement convoité du campus, au cours de sa longue marche vers le
pouvoir. Il s’agit du Mouvement des élèves et étudiants
libéraux (MEEL) transformés à l’occasion en bras armés ou en « chairs
à lacrymogènes » lors des émeutes urbaines et des grèves étudiantes
et, plus tard, à son arrivée à la tête de l’État, en viviers de fidélisation et
de « récompense » d’une clientèle électorale et de renouvellement de
son personnel politique.
Mieux que tout autre opposant, Wade a su capter les
frustrations des étudiants ainsi que leurs luttes qui ont toujours oscillé
entre syndicalisme alimentaire (plus de bourses et de chambres, des
restaurants universitaires à faible coût, etc.) et stratégie protestataire
(dissidence et rébellion sociopolitiques, alliances avec d’autres acteurs
et figures de la contestation comme les syndicats, les associations et
les partis politiques). Une des forces de Wade est d’avoir su mettre
cette colère étudiante au service de ses objectifs de conquête du
pouvoir. Il n’est donc pas surprenant que la puissante vague de colère
ayant été à l’origine du « déracinement du baobab socialiste »410 ait été
alimentée par les étudiants pour qui, le règne du « président de la
jeunesse » devait déboucher sur une réelle prise en charge de leurs
revendications. Élu par les jeunes et les étudiants, s’étant toujours
proclamé « président des jeunes et des étudiants », ce sont, pourtant,
les jeunes qui contribueront, de manière active et violente, à chasser
Wade du pouvoir après plus d’une décennie à la tête de l’État.
Néanmoins, 2 ans plus tard, surfant sur la vague de mécontentent et de
désillusion à l’égard du régime de Macky Sall, Wade a vu son bilan
Chute du Parti socialiste ayant dirigé le Sénégal pendant depuis l’indépendance
avec les présidences de Léopold Sedar Senghor et d’Abdou Diouf.
410
186
magnifié et son passage regretté par ceux-là même qui l’avaient voué
aux gémonies, notamment les étudiants.
« trahis » s’installe dans les îlots de contestation et de dissidence
qu’ont toujours été les campus sénégalais (Dimé, 2014).
Malgré les efforts mis dans la matérialisation des promesses
mirobolantes faites aux étudiants (bourses, emploi, fin des grèves,
règlement rapide de la crise universitaire, etc.) au moment de ses
batailles pour conquérir le pouvoir, la désillusion des étudiants à
l’égard du régime de Wade a pris une grande ampleur, vite passées les
années d’état de grâce du lendemain de l’alternance. Ce
désenchantement des étudiants, surtout ceux ayant humé l’acre fumée
des gaz lacrymogènes et enduré les bastonnades des forces policières,
hypothéqué leurs études au moment des années d’opposition de Wade
(année blanche en 1988, année invalide en 1993, grèves à répétition
que le pouvoir d’alors imputait systématiquement à Wade brocardé
dans l’imaginaire populaire en fauteur de trouble, en manipulateur
d’étudiants) s’est vite installé dans les campus de Dakar et de SaintLouis dès les premiers mois de Wade au pouvoir. Une cassure s’est vite
opérée entre Wade et ses fidèles alliés étudiants dès l’année 2011.
Malgré les efforts mis par Wade et son régime pour résoudre les
lancinants problèmes des universités et ainsi satisfaire les
revendications des étudiants en posant des actes budgétaires en
rupture par rapport au régime socialiste (notamment le principe de
généralisation de la bourse et des aides scolaires, la densification de la
carte universitaire avec la création de nouvelles universités à Bambey,
Thiès et Ziguinchor411), le sentiment d’avoir été « floués », voire
L’incapacité à saisir le travestissement des espoirs placés en
l’alternance, la dure réalité de l’exercice du pouvoir et des arbitrages
qu’elle impose et les faibles capacités de manœuvre des pouvoirs
publics dans un contexte d’accentuation des périls et de
renchérissement du coût de la vie, apparaissent comme d’autant
d’éléments de la césure entre Wade et des étudiants qui l’ont
accompagné dans ses combats pour conquérir le pouvoir et pour le
conserver. Les dernières années de présidence de Wade ont permis
ainsi de mesurer l’ampleur du désespoir des jeunes qui s’est exprimé
dans la dimension la plus tragique à travers l’émigration clandestine.
Le mouvement Y’en a marre parviendra à capter la rancœur des jeunes
urbains et des étudiants et à la canaliser vers une contestation très
prononcée du pouvoir de Wade. Les jeunes de Y’en a marre, parmi
lesquels de nombreux étudiants, se sont arrogés une responsabilité
déterminante dans la chute de Wade pour avoir joué un rôle majeur
dans les manifestations violentes en opposition à sa participation à
l’élection présidentielle, puis celles qui ont rythmé la campagne
électorale et, de ce fait, avoir contribué par leur mobilisation, leur vote,
leurs pressions, leur maillage du territoire, à l’éviction du « président
des jeunes ».
Ces universités régionales étaient, à leur création, des collèges universitaires
régionaux (CUR) pour favoriser des formations à cycle court et des offres de formation
articulées aux besoins du marché du travail. Mais, sous la pression de divers lobbys
(régionaux et du personnel lui-même) ainsi que des étudiants qui dénoncent une
formation au rabais et la difficulté de l’insertion professionnelle, ces CUR ont été
transformés en universités dans la précipitation, l’improvisation et le manque de
411
S’appuyant sur des données qualitatives collectées auprès en
2013 et en 2014 d’étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
et l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, cette recherche se
moyens. Il convient aussi de souligner le rôle crucial joué par les premiers dirigeants
de ces établissements dans leur transformation afin de jouir des mêmes avantages et
traitements que les recteurs de l’UCAD et de l’UGB. Wade finira par accéder à leur
demande et, ainsi, mettre dans son bilan la création de 3 nouvelles universités.
187
propose de documenter les relations complexes entre Wade et les
étudiants
(identification,
instrumentalisation,
clientélisme,
désabusement, contestation, etc.). Elle s’interrogera d’abord sur les
fondements de la relation « quasi-fusionnelle » que Wade a su créer
avec les étudiants dans sa dynamique de conquête du pouvoir. Elle
fera ensuite le point sur le processus de transformation de cette
relation à la faveur des premières années de Wade au pouvoir. Sitôt
l’alternance réalisée, les étudiants tombent vite dans la désillusion à
l’égard d’un président qu’ils disent avoir contribué à élire et sur qui ils
fondaient des espoirs immenses en termes d’amélioration notable de
leurs conditions d’études et de vie, de rupture d’avec les répressions
policières et d’émergence d’un meilleur système universitaire. Nous
proposerons, ici, une analyse du bilan des politiques et programmes
du gouvernement de Wade à l’égard des étudiants. Enfin, nous nous
tenterons de démontrer comment l’aura, le magnétisme et la
popularité de Wade auprès des étudiants ont pu s’estomper et
déboucher sur son rejet massif lors des élections de 2012. Ce qui
débouchera sur une analyse de l’implication politique et de la
participation citoyenne des étudiants sénégalais. Nous prêterons
attention notamment à leur rôle dans l’arrivée au pouvoir de Macky
Sall. Ils comptaient d’ailleurs beaucoup sur lui pour résoudre les
problèmes des universités. Mais, aujourd’hui après deux ans au
pouvoir marqués par une accentuation de la crise universitaire et la
violence des affrontements dans les campus, le président Sall a, lui
aussi, globalement beaucoup déçus les étudiants au point de susciter
un sentiment de nostalgie de la présidence Wade. Ceci, parce que les
réformes mises en œuvre par les pouvoirs publics actuels ont été
déroutantes, brutales et violentes aux yeux des étudiants (hausse
substantielle des frais d’inscription, suppression « d’acquis »
chèrement arrachés sous Wade comme le principe de la généralisation
des bourses et des aides scolaires, etc.).
LES
ÉTUDIANTS , FIDÈLE BATAILLON D ’ABDOULAYE
WADE
DANS SA
CONQUÊTE DU POUVOIR
Le 3 avril 2000, à l’issue d’une cérémonie de prestation de
serment riche en couleurs mais aussi longue que désorganisée,
Abdoulaye Wade prenait officiellement le pouvoir dans un stade de
l’Amitié412 occupé en majorité par des jeunes euphoriques à l’allure
triomphale. La lutte de ces jeunes pour chasser le régime honni du
Parti socialiste venait de connaître son épilogue. Place pouvait être
alors faite à la réalisation des multiples et prodigieuses promesses de
Wade à l’endroit des différentes composantes de la jeunesse l’ayant
porté au pouvoir : étudiants, jeunes actifs dans le secteur informel,
chômeurs, diplômés au chômage, migrants, marchands ambulants, etc.
Le Sopi (le changement en langue wolof), slogan mobilisateur de Wade
pendant sa longue trajectoire d’opposant à Léopold Sedar Senghor
puis à Abdou Diouf, a été, pendant toute cette période, le cri de
ralliement des élèves et des étudiants lors de leurs grèves et de leurs
confrontations régulières avec les forces de sécurité (Sy, 2013). C’est
dire que l’une des forces de Wade a été de s’appuyer notamment sur
son fidèle bataillon des étudiants dans ses différents combats
politiques et dans sa dynamique de conquête du pouvoir.
Plus que tout autre homme politique, il a su cristalliser et
capturer la colère des étudiants, l’instrumentaliser, l’utiliser à
l’occasion comme « monnaie d’échange » pour assouvir ses ambitions
politiques malgré la forte distance générationnelle et la dissonance des
412
Devenu, sous le magistère d’Abdoulaye Wade, Stade Léopold Sédar Senghor.
188
schèmes référentiels. Aussi n’est-il pas surprenant que le « pape du
Sopi » soit (auto)baptisé « prophète » de la jeunesse, porte-drapeau
des étudiants. Cette jeunesse brocardée de rebelle jouera
naturellement un rôle-clef dans l’arrivée au pouvoir de Wade. La
jeunesse urbaine, surtout sa frange scolarisée (élèves et étudiants), a
été à l’avant-garde de l’opposition contre le régime socialiste. Celle-ci a
pris la forme de longues grèves scolaires et de violentes
manifestations urbaines qui ont ponctué la campagne électorale de
1988, surtout lors d’un meeting à la veille de la clôture de la campagne
électorale dans la ville de Thiès du candidat Abdou Diouf. Ce dernier,
face aux attaques à coups de pierre de son cortège et de tentatives de
perturbation de son meeting fustigea cette « jeunesse malsaine »
formée de « bandits de grand chemin » (Diop et Diouf, 1990). Cette
déclaration faite sous le coup de l’indignation et de l’énervement
traduit plus que tout autre acte l’ampleur de la fracture entre le
pouvoir socialiste et les jeunes au cours de cette période très
tourmentée de l’histoire politique sénégalaise. Cette fracture a culminé
avec l’instauration de l’état d’urgence à Dakar et l’emprisonnement
des leaders politiques de l’opposition, Wade en premier, suite aux
troubles postélectoraux qui ont fait fortement vaciller le régime de
Diouf, vainqueur contesté de cette élection413 qui a constitué une étape
marquante dans l’irruption des jeunes dans le champ politique.
L’intrusion des jeunes dans l’espace politique ne s’est pas
traduite par des gains électoraux importants pour leur candidat car, en
réalité, la majorité d’entre eux ne pouvaient participer à l’élection car
non-inscrits sur les listes électorales car n’ayant, pour la plupart, l’âge
Abdou Diouf a obtenu 73,2% des voix contre 25,8% pour Abdoulaye Wade. Ce
dernier ne reconnut pas les résultats et contesta vigoureusement la réélection de
Diouf qu’il attribua à d’importantes fraudes électorales.
413
requis. Cependant, elle représentait un premier coup de hache sur le
baobab socialiste qui a beaucoup chancelé pendant toute la décennie
90 du fait de l’ampleur de la contestation étudiante, syndicale et
politique. Ce baobab que les jeunes avaient réussi à secouer
vigoureusement finira finalement par être terrassé à l’élection 2000
qui consacre la première alternance politique dans le pays après une
décennie de lutte et de mobilisation dans un contexte de vogue du
phénomène bul faale (t’en fais pas, t’en occupe pas). Le bul faale qui
s’exprime à travers un discours de dissidence et de dénonciation des
conditions de vie des jeunes est principalement animé par les
rappeurs dont les plus en vue ont été le Positive Black Soul. Ce dernier
et la multitude de groupes de rap (parmi lesquels de nombreux exétudiants) se donnent la responsabilité d’éveil des consciences,
d’exutoire des frustrations et d’expression, sur le plan politique, du
sentiment de ras-le-bol généralisé de la jeunesse à l’égard du régime
de Diouf et des effets néfastes des politiques d’ajustement sur ses
conditions d’existence (Diop et Faye, 2002). L’alternance de 2000 peut
ainsi être lue comme la consécration de ce travail inlassable de
critique politique et sociale du mouvement rap.
Le « fiel » des rappeurs de l’époque bul faale se déverse en
général sur le régime socialiste que les textes dénonciateurs du rap
tiennent pour responsable de la galère des jeunes et de la dureté des
conditions de vie (Dimé, 2007). Les actes de défiance politique
s’exprimèrent avec virulence à l’occasion de l’élection de 2000
caractérisée par un niveau de mobilisation exceptionnelle des
étudiants. Certains ont organisé des caravanes pour sensibiliser leurs
familles dans les régions de l’intérieur. D’autres ont effectué des appels
téléphoniques pour inciter leurs parents à voter pour le départ de
Diouf ou bien se sont impliqués à travers une surveillance des bureaux
189
de vote et une sécurisation des résultats relayés en direct par les
radios FM qui ont également joué un rôle-clef dans cette élection
(Dahou et Foucher, 2004 ; Diop, Diouf et Diaw, 2000). Le travail de
sape des jeunes s’est accompagné d’un soutien sans faille à Abdoulaye
Wade qui, par son charisme et le pouvoir de ses slogans mobilisateurs,
a réussi ainsi à capter la colère et le désenchantement des jeunes et à
les instrumentaliser dans son objectif de conquête du pouvoir
politique.
190
PAA BI414 ET LES JEUNES :
« QUASI-FUSIONNELLE »
ANCRAGE ET DIMENSIONS D ’UNE RELATION
Le rapport de Abdoulaye Wade d’avec la jeunesse sénégalaise
procède d'un long cheminement qu'il serait facile de décortiquer et de
comprendre s'il fallait exclusivement le limiter à l'objectif de prise du
pouvoir. Il en est de même de ses rapports aux femmes, l'autre socle
sur lequel Wade a construit son opposition, plus tard sa gouvernance
et plus généralement ses rapports à la population sénégalaise. En effet,
Abdoulaye Wade est probablement l'acteur politique qui a le premier
ou le mieux compris le rôle stratégique qu'il pouvait faire jouer aux
jeunes et aux femmes. En effet, pendant que les autres partis
politiques, engagés dans la quête du pouvoir en étaient à mobiliser,
organiser et convaincre les classes moyennes, Abdoulaye Wade
mettait l'accent sur les jeunes, allant jusqu'à revendiquer une sorte
d'exclusivité les concernant.
Ce parti-pris pour les jeunes, Abdoulaye Wade ne l'a pas choisi
par hasard. Il faut dire qu'à ses débuts, il avait mis l'accent sur le
monde rural, notamment celui du Bassin arachidier parce qu'en effet,
se trouvait-là le poumon économique du pays, la majeure partie de la
population rurale mais aussi les populations les plus structurées (par
les coopératives rurales). Mais il s’est vite rendu compte que le monde
rural était surtout le vivier électoral du Parti socialiste en plus d’être
l’espace des consignes de vote. C’est ainsi qu’après la campagne
électorale de 1978, on notera un changement dans la posture
stratégique de Wade, le monde rural disparaissant progressivement au
profit d'entités sociales moins organisées et sans identités
professionnelles reconnues. On peut supposer qu'une telle mutation
stratégique était fondée sur une fine analyse de la société sénégalaise,
de sa structure démographique et de son évolution. Aussi avait-il
compris en le faisant que, d'une part, la conquête du pouvoir
nécessitait un véritable ancrage territorial, aussi bien rural qu'urbain,
et que, d'autre part, elle allait être longue.
Dans cette combinaison des facteurs temps et espace pour la
quête du pouvoir, les jeunes – les étudiants – étaient probablement la
frange de la population chez qui une telle stratégie pouvait se réaliser
efficacement et durablement. En effet, par leur nombre et leur
répartition spatiale, ils lui offraient la résonnance et le maillage en plus
d'une permanence dynamique dans tous les coins du pays. Il s'agit là
d'une exploitation stratégique de cette composante de la population
dont le nombre et l'évolution assurent à celui qui bénéficie de son
adhésion d'une place de choix dans le jeu politique. Mais encore fallaitil, à l'endroit de cette jeunesse, trouver le discours et le véhicule qui,
en plus des attentes d'ordre socioéconomique (travail, école, sport,
etc.) soit capable de la mobiliser. A ce sujet, Abdoulaye Wade est
probablement l'homme politique sénégalais qui a su le mieux parler
aux jeunes. Très tôt, il a pris la jeunesse sous son aile, allant même
jusqu'à en être caricaturé. Au fil des ans, ce parti-pris lui a valu une
sorte de reconnaissance aussi bien des jeunes que ses pairs politiques
qui, d'ailleurs, lui concèdent une exceptionnelle capacité de
mobilisation des jeunes et une faculté à leur parler. Cependant, la
relation d’Abdoulaye Wade avec les jeunes, c'était également, une
façon particulière de faire de la politique. A un certain populisme,
Diminutif de papa, formule d’affection pour désigner le père, le patriarche, bref une
personne âgée en langue wolof.
414
191
voire machiavélisme, il ajoutait une bonne dose de ruse415, de ténacité,
de volonté et d’abnégation, des valeurs auxquelles les jeunes étaient
sensibles.
Le tempérament frondeur de Wade, sa personnalité et ses
talents oratoires (redoutable tribun en français comme en wolof)
associés à son épaisseur intellectuelle (figure du professeur-connaittout ») ont fonctionné comme autant d’aimants à la base de la relation
d’identification et de fusion qu’il a su établir avec la jeunesse dans ses
composantes les plus diverses. Au fil des années, s'est alors construite
entre Wade et les jeunes une sorte de pacte de confiance et d'affection,
le tout solidifié par ses longues années de conquête du pouvoir mais
aussi et surtout par son âge. En effet, de l'opposant des années 80 et
90, Wade était devenu dans ses années de présidence une sorte de
patriarche (figure de Gorgui et de Paa bi416) pour les jeunes des années
2000 mais également pour les jeunes devenus adultes des décennies
plus tard.
Cette
relation
affective
qu'on
pourrait
qualifier
d'extraordinaire tellement elle était exclusive et singulière ne peut
être saisie et comprise que lorsqu'on tient compte de la complexité de
l'homme Wade. Certes, son opposition à Senghor, puis à Diouf, ses
invites à la contestation, son accès facile ainsi que son refus d'abdiquer
Le sobriquet de Ndiombor (lièvre en langue wolof) qui a été tout le temps accolé à
Wade et dont la paternité revient au Président Senghor dépeint bien cette qualité qu’il
a su toujours mobiliser au gré des vicissitudes de son long combat politique.
416 Le style vestimentaire de Wade a reflété ce passage à la figure du Paa bi. Au fil du
temps, Wade, a troqué les bretelles, chemise blanche, cravate rouge et veston sombre
contre le grand-boubou bleu-or avec une écharpe blanche autour du cou et coiffé d’un
bonnet. Son fils Karim Wade, au sommet de son pouvoir, a fini par adopter ce style
pour mettre de l’avant son identité de Sénégalais que ses détracteurs lui récusaient.
Pendant tout la campagne électorale 2007, pas une seule fois, Wade n’a pas porté de
costume lors de ses tournées et meetings de campagne.
415
avaient fait de lui celui qui incarnait le courage et la témérité.
Cependant, il s'agit là de l'expression d'une certaine altérité dans
laquelle la communication tenait une place centrale mais qui ne doit
pas occulter l'autre versant du personnage. En effet, chez cet homme,
cohabitaient le scientifique et le politique, ce politique bien imprégné
de l'histoire et des dynamiques sociales de ses concitoyens. C'est
pourquoi, comme nul autre homme politique de son époque, Wade est
probablement celui qui a le mieux intégré et usé des outils de la
science démographique et sociologique dans le champ politique. Il a su
interpréter très tôt, saisir les tendances profondes de la société
sénégalaise, y déceler les jeunes et les femmes comme des piliers
d'accession au pouvoir.
La capacité de Wade à captiver les jeunes s’est également
toujours appuyée sur une stratégie fondée sur le fait de toujours
s’adjoindre d’une figure représentative de cette frange de son fidèle
électorat. C’est comme si, pour gommer l’effet de la différence d’âge, de
l’écart générationnel et de la divergence des schèmes de référence, il
lui devenait indispensable de s’entourer de collaborateurs pouvant
permettre d’établir les « connexions » avec les jeunes. Cette tactique
politique a été bâtie sur la promotion de jeunes leaders politiques
recrutés (Serigne Diop en 1978 comme plus jeune député, Idrissa Seck
comme directeur de campagne lors des élections de 1988), la
nomination de hauts niveaux de responsabilité d’étudiants-militants
« à peine sortis de l’adolescence » (Aliou Sow nommé ministre alors
qu’il était encore étudiant), l’adoubement de « jeunes loups » issus du
vivier du mouvement des étudiants libéraux et/ou des jeunesses
libérales (Modou Diagne Fada, Mamadou Lamine Keita, etc.) et la
« récompense » de nombreux autres responsables de l’Union des
jeunesses travaillistes libérales (UJTL) et du Mouvement des élèves et
192
étudiants libéraux (MEEL) par des postes de directeurs de société et
d’agences nationales et par l’accès à des postes prestigieux dans les
ministères, les sociétés nationales, l’administration publique et les
ambassades.
« PERSONNE NE PEUT CONNAÎTRE VOS PROBLÈMES MIEUX QUE MOI ! »
WADE FACE AUX ÉTUDIANTS : ENTRE PATERNALISME , STRATÉGIE
ALIMENTAIRE ET POURSUITE DE LA RÉPRESSION
Wade a été élu dans un contexte où les attentes des étudiants
étaient particulièrement élevées après plusieurs années de politiques
d’ajustement structurel ayant eu pour cette catégorie un coût social
dramatique. Les étudiants l’attendaient particulièrement sur la
question de leurs conditions d’étude et vie qu’ils estiment s’être
beaucoup détériorées ainsi que sur l’épineux problème de l’emploi.
Pendant ses deux mandats, il s’est évertué à lancer une kyrielle
d’initiatives dans le domaine de l’éducation (« généralisation » de la
bourse et des aides de l’État pour les étudiants, ouverture de collèges
universitaires régionaux transformés en universités par la suite,
construction de nombreux lycées et collèges y compris dans des zones
enclavées).
Wade n’a d’ailleurs cessé, pendant ses deux mandats, mais,
surtout à l’occasion des campagnes électorales, d’utiliser ses
investissements massifs dans le secteur éducatif comme un de ses
arguments-chocs, notamment le fait de lui consacrer 40% du budget
national comme il l’a souligné dans une interview dans le journal Le
Soleil : « dans le domaine de l’enseignement, une grande réussite est
également à mettre au compte de l’alternance. C’est le fait que nous
ayons pu accorder à tout étudiant une bourse, ou au moins, une aide
équivalente à une bourse. C’est la prévision de l’importance que nous
accordions à l’éducation417 ». Face aux revendications des étudiants
Wade a su mettre en avant sa bonne connaissance du champ
universitaire à titre d’ancien étudiant, ancien professeur et ancien
doyen.
Même si Wade a toujours déclamé sa forte ambition de
prendre à bras le corps la question du chômage, à la fin de son mandat,
il devient aisé de reconnaître son échec à ce niveau. Mais résoudre
cette question, dans un contexte d’accroissement démographique
toujours important, exige des moyens colossaux que les pouvoirs
publics, au Sénégal comme ailleurs en Afrique, ont du mal à mobiliser.
Comme ses prédécesseurs, les efforts de Wade ont été en quelque
sorte « noyés » dans l’océan de la demande sociale qui n’a cessé de
s’amplifier, effet direct du poids démographique des jeunes et d’une
croissance rapide de la population avec tout ce que cela induit comme
ampleur des besoins à combler (Tandian, 2013).
On peut donc
mettre à l’actif de Wade une certaine sensibilité aux questions ayant
des incidences sur le quotidien des jeunes (emploi, formation, loisirs,
etc.). Malgré les efforts mis dans la satisfaction de la demande sociale,
dans la matérialisation des engagements pris lors des moments de
conquête du pouvoir, la désillusion des jeunes à l’égard du régime
libéral a pris une grande ampleur lors des trois dernières années de
son mandat et au fur et à mesure de l’éclatement des multiples
scandales financiers qui ont jalonné l’ère Wade (Coulibaly, 2003).
417
Le Soleil, édition du 19 mars 2004.
193
« UN MAÎTRE ET SES DISCIPLES ». FONDEMENTS
L ’ADULATION DE P AA BI PUIS DE SON DÉSAVEU
ET PÉRIPÉTIES DE
Les dernières années de présidence de Wade ont permis ainsi
de mesurer l’ampleur du désespoir des jeunes qui s’est exprimé dans
la dimension la plus tragique à travers l’émigration clandestine en
direction de l’Espagne à bord de pirogues de fortune (Dimé, 2010). Au
cours de la décennie 2000, la production musicale des rappeurs n’a
cessé de vitupérer les dérives de « l’alternoce » et la faillite de Wade
qui peut être appréhendée à travers la « gestion catastrophique des
délestages électriques, des inondations, des finances » (Xuman de la
première génération bul faale et qui a rallié par la suite le mouvement
Y’en a marre). Même si cette contestation s’est émoussée au début des
années 2000 dans un contexte d’état de grâce, d’euphorie de
lendemains enchanteurs et d’enthousiasme généré par l’épopée de
l’équipe nationale de football à la Coupe du monde de 2002.
Les critiques sur la déception et la trahison se sont réamorcées
dès le milieu des années 2000 dans les albums des rappeurs. Le
groupe Pee Froiss s’est distingué dans ce registre de dénonciation des
espoirs trahis à travers deux titres « Luy ndeyu li » = qu’est-ce qui
explique ceci ? et « Kany » = piment. De même, Xuman s’est illustré
dans cette posture à travers une satire du régime de Wade dans un
morceau intitulé « Gorgui » où il se livre à une attaque féroce, dans un
style allégorique, contre la méthode Wade. Ces critiques ont pris plus
de vigueur devant le constat d’une gestion patrimoniale plus marquée
de l’État et l’intention affichée par Wade de briguer un troisième
mandat et possiblement de paver la voie à son fils au cœur désormais
du dispositif de gestion du pouvoir. C’est le mouvement Y’en a marre
qui réussira à capter la rancœur des jeunes urbains et à la diriger vers
une contestation très prononcée du pouvoir de Wade.
Chronologie d’un désenchantement et d’une défiance juvéniles
Les premiers signes de la défiance des jeunes à l’égard de Paa
bi peuvent être perçus dès l’année 2001 avant même que Wade n’ait
fini de faire l’état des lieux de quatre décennies de gestion socialiste.
C’est chez les étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop, bastion de
contestation longtemps contrôlé par Wade opposant que s’amorcent
les premières mobilisations contre son nouveau régime vite accusé de
trahir les aspirations des jeunes et de manquer de matérialiser les
engagements pris en matière d’emploi, d’éducation, d’habitat et
surtout de bonne gouvernance. Le délai de grâce accordé au nouveau
pouvoir a été de courte durée car les premières années de Wade ne
voient nullement l’arrêt des mouvements de grève à l’université. La
répression policière qu’il a toujours vigoureusement dénoncée ne s’est
point estompée à son accession à la tête de l’État.
On n’a qu’à se rappeler de la virulence des réactions de Wade
lors de ses meetings à l’endroit des forces de l’ordre et au cours
desquels il ordonnait aux jeunes de s’opposer physiquement aux
policiers et aux gendarmes418.
Le groupe de rap Keur Gui, parmi les fondateurs de Y’en a marre, propose un titre
intitulé La loi du talion dans l’album Nos connes doléances. Ce titre est en fait un extrait
d’un discours de Wade lors d’un meeting à Dakar. Après s’en être pris avec véhémence
aux policiers, il intime les jeunes d’adopter la loi du talion face aux forces policières.
Voici une transcription de son discours : « Vous les forces de l’ordre….je ne sais pas si
vous m’écoutez ou pas, je n’ai pas encore fini. Je ne sais pas si vous êtes des policiers,
des gendarmes ou je ne sais quoi d’autre. Les policiers ne doivent pas vous faire peur.
Ce sont juste des personnes. Je vais ajouter quelque chose…Je vous ai demandé de ne
418
194
La mort de l’étudiant Balla Gaye à l’intérieur du campus lors
d’une manifestation étudiante durement réprimée en 2001 achève de
convaincre les étudiants d’une continuité dans les pratiques policières
et dans les réponses politiques à l’endroit de leurs revendications
(bourses, chambres, désengorgement des universités). Les étudiants
déchantent vite à l’endroit de Wade auprès de qui ils espéraient une
attitude plus sensible à leur situation et dont l’élection devait signer la
fin de la féroce répression des grèves étudiantes. Même si à cette
époque, les critiques ne visent pas directement la personne de Wade,
ses collaborateurs sont vite indexés comme responsables de la
trahison des nombreux espoirs portés sur Wade. Les critiques ont
atteint leur paroxysme lors de la catastrophe du bateau Le Joola419 le
26 septembre 2002. On assiste ainsi au début du désabusement des
populations surtout juvéniles que et du sentiment entre le PS et le PDS,
« c’est du pareil au même » même si une bonne frange de la population
pas vous enfuir lorsqu’on vous balance une grenade lacrymogène. Mettez-vous aux
côtés du policier qui vous a lancé cette grenade et s’il respire son odeur, c’est que toimême tu es capable de le faire. C’est une personne comme toi. Tant que tu prends la
fuite lorsqu’il lance sa grenade, ça n’ira pas…Ça n’ira pas. …Je l’ai moi-même fait à la
Place de l’OUA. Ne l’acceptez plus ! Surtout les jeunes. De la même manière qu’ailleurs,
on se bat pour libérer son peuple, vous devez vous battre pour libérer le peuple
sénégalais. Retenez bien cela. Si 10 ou 20 d’entre vous sont assez courageux et se
mêlent aux policiers, le problème est résolu et c’est terminé ! Tu t’agrippes à son lancegrenade, tu te saisis de sa matraque ou tu te défends avec une chaîne de vélo. Je
l’affirme haut et fort. Vous avez le droit de faire « œil pour œil, dent pour dent ». Il
n’est nulle part écrit dans les lois du Sénégal ou dans sa Constitution que les flics ont le
droit de bastonner. Moi, je réponds à la violence par la violence. Vous aussi, faites de
même ! Que les choses soient très claires ! ».
419 Ce bateau qui assurait la liaison maritime entre Dakar et Ziguinchor a sombré au
large des eaux maritimes gambiennes le 26 septembre avec près de 2000 personnes à
bord alors qu’il n’était conçu que pour en transporter 550. Le bilan officiel fait état de
1863 victimes. Cette catastrophe a mis à nu une série de dysfonctionnements, de
carences et d’irresponsabilités des pouvoirs publics dans la gestion du bateau, la
conduite des secours et la prise en charge des victimes.
persiste dans ses convictions qu’il « faut laisser du temps au Vieux
pour qu’il démontre ses capacités à redresser le pays ».
Le premier mandat de Wade (2000-2007) peut être considéré
comme celui de l’investissement dans le béton puisqu’il a donné lieu
au lancement tous azimuts d’une multitude de chantiers dans la ville
de Dakar devant permettre à la ville de résorber plusieurs années de
retard dans la construction d’infrastructures routières notamment.
Malgré les critiques, il a été marqué par une euphorie et un
enthousiasme chez les jeunes auquel la participation de l’équipe
nationale de football au mondial de 2002 a grandement contribué.
L’on se souvient des balades du président dans les rues de Dakar après
les matchs victorieux des Lions en Corée du Sud et au Japon. La
popularité de Wade est à son zénith pendant cette période d’allégresse
qui a permis aux Sénégalais, pendant plus de deux semaines, d’oublier
les rigueurs du quotidien : embouteillages monstres créés par les
chantiers de l’agrandissement de l’autoroute, délestages, cherté du
coût de la vie, manque d’emploi, multiples scandales financiers
(rénovation de l’avion présidentiel notamment). Wade a beaucoup
surfé sur une vague de popularité en vue notamment du
renouvellement du mandat présidentiel.
En février 2007, les Sénégalais retournent aux urnes.
L’opposition mise sur une séduction des nombreux déçus de la
« gouvernance libérale des institutions et des politiques publiques »
(Diouf, 2013a), en particulier les jeunes électeurs. Malgré la virulence
des discours à l’encontre de son régime et l’ampleur de la désillusion
des masses urbaines et rurales, Wade est réélu au premier tour avec
55,9% des voix, à la surprise de nombreux analystes du champ
politique sénégalais (Magrin, 2007). Les accusations de fraude
électorale ont été brandies par les opposants pour expliquer la victoire
195
de Wade qui a en quelque sorte déjoué les pronostics de vote-sanction
chez les jeunes et qui rendaient inéluctable un deuxième tour du fait
de la colère sourde ayant saisi de nombreux Sénégalais pour qui, les
premières années de Wade n’ont pas suscité les changements espérés
notamment dans le domaine de la bonne gouvernance et des réponses
à la demande sociale. Au contraire, elles ont vu l’arrivée d’une caste de
nouveaux riches arrogants et avides de consommation et d’exhibition
de leur fortune aussi subite que suspecte.
De nombreux jeunes ont encore porté leur choix sur Gorgui
pour lui donner « le temps d’achever ses chantiers »420 comme en
atteste le slogan de campagne du PDS « Continuons de bâtir le Sénégal
avec Abdoulaye Wade ». Les infrastructures en construction
(échangeurs, routes, aéroport, etc.) constituent à leurs yeux les signes
évidents que le « Vieux » est en train de travailler malgré les nombreux
scandales ayant émaillé son premier mandat mis sur le compte de
collaborateurs inefficaces et cupides. Le « vote alimentaire » a été
même pointé du doigt pour expliquer le choix de certains jeunes « pris
dans le jeu de la captation des ressources financières mobilisées par le
PDS lors de la campagne électorale » (Dalberto, 2011). Toujours est-il
que la défiance juvénile qui s’est exprimée chez les rappeurs et lisible à
travers les nombreux mouvements étudiants ayant ponctué le premier
mandat de Wade n’ont pas suffi à le faire chuter en 2007. Par contre,
ils ont réussi à commencer à dénouer un peu la relation fusionnelle
entre Wade et les jeunes. Celle-ci se brise inexorablement lors de son
quinquennat de 2007 à 2012.
L’alternance est ainsi qualifiée « d’alternoce » par les rappeurs
pour mettre à nu les nombreux scandales financiers, le train de vie
opulent des « enrichis grâce au système Wade » et où on retrouve de
nombreux militants des jeunesses libérales ayant profité de leurs
positions politiques et de leurs nominations pour accumuler un
patrimoine faisant quotidiennement les choux gras de la presse. Les
délestages électriques et l’incapacité de Wade de venir à bout de ce
problème malgré l’ampleur des moyens mobilisés vont fournir aux
Sénégalais et aux jeunes un point de cristallisation d’un ras-le-bol
généralisé. Les élections locales de 2009 offriront aux urbains un
cadre d’expression de leur mécontentement envers Wade et d’un
premier rejet massif de son fils candidat à la mairie de la capitale. Son
parti perd ainsi le contrôle de Dakar et d’autres grands centres urbains
(Saint-Louis, Rufisque, Guédiawaye, Pikine, etc.) au profit d’une
opposition désormais dans une dynamique de coalition de ses forces.
Conjuguée à l’usure du pouvoir, la désaffection des jeunes à l’endroit
de Wade s’est exprimée avec virulence lors des dernières années de
son second mandat. À partir de 2009, on peut soutenir que le divorce
est consommé entre Wade et les jeunes notamment dans les grandes
villes où s’exprime un malaise protestataire. Celui-ci a débordé même
les rangs des jeunes pour toucher d’autres catégories naguère plus
fidèles au parti au pouvoir comme en atteste le mouvement de
protestation des imams de Guédiawaye421 en réaction aux coupures
d’électricité.
Au cours de la campagne électorale de 2000, l’apothéose des
« marches bleues » se produisait lorsque Wade demandait aux jeunes
Collectif des résidents et des Imams de Guédiawaye dirigé par Youssoupha Sarr. Ce
collectif s’est rendu populaire à travers la contestation des factures d’électricité jugées
abusives de la SENELEC, puis des nombreux délestages.
421
Comme en rend compte l’expression récurrente : « baayileen gorgui mu liggey »
(laissez le Vieux travailler).
420
196
n’ayant pas de travail de lever leur main. En une image, il arrivait à
désigner la revendication primordiale des jeunes et à polariser leur
colère envers le régime de Diouf. Après une décennie à la tête de l’État,
malgré son activisme et les moyens mobilisés, Wade n’est pas parvenu
à juguler ce problème. Celui-ci est au cœur de son divorce d’avec les
jeunes à qui il avait promis un emploi et une baisse du coût de la vie,
bref des raisons de ne pas désespérer. Le chômage des jeunes, les
nombreux scandales ayant émaillé sa gestion des affaires, l’ampleur de
la demande sociale (habitat, transport, éducation, santé, sécurité, etc.)
mais surtout l’intention qui lui a été prêtée de se faire succéder par
son fils déjà dès le début de son deuxième mandat ont beaucoup
contribué à la chute de Wade et à son rejet par les jeunes. Le
mouvement Y’en a marre constitue non seulement le révélateur de
cette exaspération juvénile mais il y jouera un rôle crucial.
Y’en a marre, catalyseur de la contestation juvénile du régime
de Wade
Le 23 juin 2011 constitue une date marquante dans la jeune et
tumultueuse histoire sociopolitique sénégalaise. Ce jour-là, de
violentes émeutes urbaines ont embrasé Dakar ainsi que des villes de
l’intérieur comme Thiès, Mbour, Saint-Louis, Kaolack ou Louga. Elles
ont forcé le pouvoir en place à reculer sur un projet de réforme
constitutionnelle rejeté par ses détracteurs car conçu pour paver la
voie à ce que les médias, les partis d’opposition et une frange de la
société civile ont qualifié de « schéma de dévolution monarchique » du
pouvoir. À l’avant-scène de cette contestation qui a surpris, par sa
soudaineté et son organisation (beaucoup fondée sur les TIC :
Facebook, SMS, Twitter et les virulents débats à travers les
commentaires des internautes sur les sites Web dédiés à l’actualité
sénégalaise tels que Seneweb, Dakaractu, Nettali, Xibar (Ly et Seck,
2012) mais également par son audace et sa radicalité, se trouve un
groupe de jeunes, rappeurs pour la plupart, qui se sont auto-baptisés
Y’en a marre (Kassé, 2011a, 2011b). Ce dernier constitue un collectif
de jeunes rappeurs pour la plupart à la fondation du mouvement qui
s’était donné pour mandat d’être le catalyseur de la révolte juvénile
contre le pouvoir d’Abdoulaye Wade et à terme son départ du pouvoir
car étant, de leur avis, constitutionnellement disqualifié pour
participer à l’élection présidentielle de février 2012.
Un puissant cri de colère et de révolte s’est ainsi élevé au sein
de cette jeunesse urbaine pour décliner sa désillusion à l’endroit du
président Wade sur qui elle avait porté beaucoup d’espoirs au moment
de son élection après plusieurs décennies de gestion socialiste du
pouvoir. Ce sentiment juvénile de « ras-le-bol » a été aussi émis pour
197
extérioriser la frustration d’être astreint à une galère perpétuelle mais
également pour déclamer leur combat en vue de la naissance de ce que
les rappeurs de Keur gui, Fou Malade et Simon, porte-drapeaux du
mouvement, appellent le nouveau type de Sénégalais (NTS), le nouvel
ordre national (NON), bref de l’émergence d’une nouvelle et forte
conscience citoyenne chez les jeunes Sénégalais. Les émeutes se sont
répétées une semaine plus tard en réaction aux insupportables
coupures d’électricité dans ce que furent baptisées dans la presse
dakaroise « d’émeutes de l’électricité ». Ces soulèvements populaires
qui ont fait craindre le pire au cours de la fin du mois de juin 2011
n’étaient que le début d’une contestation sociopolitique dont le
caractère violent ne s’est estompé qu’après la proclamation des
résultats du premier tour. Celui-ci rendait inéluctable la tenue d’un
second tour entre le président Wade dont le rejet de la candidature a
nourri l’exaspération et la colère de la société civile et d’une frange des
candidats à l’élection présidentielle qui lui déniaient toute légitimité et
toute légalité à prendre part au scrutin. Au sein de la société civile,
c’est surtout le collectif autoproclamé Mouvement du 23 juin ou M23 au
sein duquel les jeunes de Y’en a marre ont joué un rôle de premier plan
en vue de l’invalidation de la candidature du président Wade sortant
qui s’est le plus distingué dans ce combat qui a vite débordé son
champ habituel d’expression (médiatique notamment) pour revêtir les
oripeaux d’une insurrection urbaine.
Les semaines d’avant-campagne et de campagne électorale ont
d’ailleurs été marquées par des scènes de guérilla urbaine quotidienne
dans le cadre de manifestations violemment réprimées à la Place de
l’indépendance, dans les campus de Dakar et de Saint-Louis et à la
Pace de l’Obélisque surnommée place Tahrir en référence au célèbre
lieu de rassemblement des milliers d’opposants au régime de
Moubarak lors du printemps égyptien. Un climat de tension extrême
ayant nourri les craintes d’un basculement du pays dans une phase de
chaos et d’instabilité a ainsi plombé l’atmosphère politique. La
violence de la répression (plusieurs morts ont été dénombrés autant à
Dakar qu’à l’intérieur du pays) a ainsi semblé contribuer à accréditer
l’idée d’un « printemps sénégalais » dont le point d’orgue a été la
défaite électorale du « Vieux ».
Les jeunes de Y’en a marre se sont arrogés une responsabilité
décisive dans la survenue de cette deuxième alternance au Sénégal
même si on peut d’ores et déjà souligner « l’absence d’atomes
crochus » entre eux et le nouveau président Macky Sall. Force est de
constater que l’intrusion de Y’en a marre dans le jeu politique et son
désir d’y jouer un rôle majeur, symbolisent pour la jeunesse
sénégalaise actuelle son désir d’être le catalyseur de changements
sociaux, politiques, générationnels et surtout dans le mode de
gouvernance notamment dans un contexte de double faillite des élites
traditionnelles – politiques et maraboutiques (Diouf,1999) – et de
l’inefficacité des programmes de développement à venir à bout des
nombreux défis auxquels font face les jeunes. Ces problèmes ont, entre
autres noms, le lancinant problème du chômage, les perturbations
récurrentes dans le système éducatif, en particulier dans les
universités (nombreuses grèves, violence étudiante, etc.), le manque
de qualifications professionnelles, la dépendance sociale, le report des
aspirations en matière d’autonomie économique, résidentielle et dans
le domaine matrimonial, etc.
Ces périls sont d’autant plus graves et urgents qu’ils se posent
dans un contexte où l’émigration, de préférence en Occident, qui
pouvait contribuer à entretenir l’espoir des jeunes d’un futur moins
ardu est devenu aujourd’hui extrêmement contraignante du fait du
198
resserrement draconien des conditions de départ (coût, ampleur de la
demande, etc.), de l’acuité de la crise sévissant dans les principaux
pays d’accueil des Sénégalais en Europe et du quasi-arrêt du
phénomène « barça ou barsakh » (émigration clandestine vers
l’Espagne à bord de pirogues qui ont atteint leur point culminant au
cours des années 2007 à 2008). Si les émeutes du 23 juin 2011 ont
donné à Y’en a marre une forte visibilité médiatique et ont placé les
fondateurs du collectif à l’avant-scène dans le combat contre le régime
de Wade, il faut cependant reconnaître que le processus de naissance
du collectif date de plus longtemps.
DU
HÉROS ADULÉ AU PATRIARCHE DÉCHU .
REBELLE
WADE
ET SA
« JEUNESSE
»
Y’en a marre est une réaction née d’une prise de conscience qui
s’est faite dans un contexte urbain marqué par des coupures
d’électricité et une série de scandales fonciers et financiers (conditions
opaques dans lequel le monument de la renaissance a été érigé et son
coût dispendieux et son opportunité dans un contexte où l’État peine à
résoudre les problèmes d’éducation, de santé et de transport devenus
plus aigus). Les fondateurs du collectif mettent en avant ces éléments
lorsqu’ils retracent les péripéties de sa naissance. Fadel Barro,
journaliste de profession et un des membres fondateurs de Y’en a
marre raconte les conditions, à première vue banales, dans lesquelles
le collectif a été fondé :
« Une soirée du mois de janvier 2011, je reçois les rappeurs
du groupe Keur Gui de Kaolack qui sont des amis
d’enfance. Ils sont connus pour leur engagement et leur
esprit anticonformiste, voire rebelle ….Quand Diouf était
au pouvoir, ils ont été emprisonnés pour une dénonciation
virulente de la gestion de la ville de Kaolack. À cette
époque, feu Abdoulaye Diack, un des barons influents du
PS en était le maire. J’étais avec Thiat et Kilifeu, les
rappeurs de Keur Gui avec d’autres amis à boire du thé et à
discuter de choses de la vie…quand soudain nous sommes
retrouvés dans le noir car l’électricité venait encore d’être
coupée. C’était encore un de ces nombreux délestages de la
SENELEC. Personne ne pouvait plus travailler à Dakar.
Tout le monde en avait ras-le-bol. Même les imams, des
personnes âgées, se sont mobilisés contre ces coupures.
Nos débats ont vite porté sur les coupures et sur qu’il y
avait à faire pour y mettre fin. J’ai ainsi reproché aux
rappeurs de rien faire si ce n’est des chansons et de ne pas
s’impliquer pour que les choses changent. Mes amis
rappeurs se sont défendus et la discussion a été très
passionnée. Nous sommes arrivés au constat que c’est le
pouvoir en place qui est le responsable de cette situation et
qu’il fallait faire quelque chose pour faire changer les
choses. Nous nous sommes dits qu’on en avait marre de
rester les bras croisés. C’est ainsi qu’est né Y’en a marre.
Quand l’électricité est revenue vers 4 heures du matin,
nous avons envoyé notre premier communiqué par email
comme collectif Y en a marre. Je savais comment les choses
marchaient avec les médias. »
À la suite de sa naissance au mois de janvier 2011, ce sont les
émeutes urbaines de juin qui vont fournir au collectif Y’en a marre
l’occasion de se faire connaître des Sénégalais, de se poser en
« opposants intrépides au régime de Wade et à l’intention qui lui est
alors prêtée de transférer le pouvoir à son fils, Karim Wade mais
199
également la possibilité d’élargir ses bases de recrutement de leur
mouvement et de décliner la « nouvelle conscience citoyenne » dont ils
se disent être les porteurs. Le collectif est à sa naissance structuré
autour de rappeurs et du journaliste Barro. Les rappeurs à la fondation
du mouvement sont ceux de Keur Gui (Kilifeu et Thiat422), Simon et
Fou Malade. À la suite de la renommée plus grande du collectif,
d’autres rappeurs s’y joindront surtout après les émeutes de juin 2011
qui ont conféré à ses initiateurs un leadership dans la contestation
juvénile et citoyenne contre le pouvoir en place.
Les conditions de naissance de Y’en a marre et les objectifs
clairs de revendications politique et citoyenne que ses fondateurs se
sont donnés, le mettent nettement en position de rupture par rapport
à la génération bul faale au sein de laquelle les rappeurs qui lui sont
associés étaient plus dans une posture de critique sociale et de
sensibilisation des jeunes à travers leurs textes. Avec Y’en marre, on
est en face d’initiatives organisées de revendication politique qui, très
vite, trouvent des alliés en certains démembrements de la société
civile dakaroise mobilisée contre une troisième candidature
d’Abdoulaye Wade. Alors qu’il a affirmé n’avoir pas l’intention de se
présenter à un troisième mandat au cours d’un entretien sur la chaine
TV5, à l’approche des élections, le discours du président est alors aux
antipodes de son interview que les médias dakarois ont passée en
boucle au cours de l’année 2011. Cette décision fondée sur une logique
de waxon waxet (dire et se dédire en wolof) a surtout eu pour
conséquence de servir de déclic dans les dynamiques de mobilisation
de la société civile autour de Alioune Tine, responsable de l’ONG des
Ce sont les noms de scène de ces rappeurs. En wolof, Kilifeu signifie le patriarche ;
Thiat, le dernier de la famille, le cadet ; keur gui, nom du groupe signifiant la maison.
Le troisième membre du groupe Mollah Morgun qui a participé au dernier album du
groupe intitulé Nos connes doléances sorti en 2008 a, par la suite, quitté le groupe.
422
droits de l’homme RADDHO423 et des membres de Y’en marre. Ils vont
ainsi former une espèce de « sainte alliance » avec les partis
d’opposition politique dans un collectif baptisé « Mouvement du 23
juin ou M23 » en référence à cette date au cours de laquelle le pouvoir,
face à la mobilisation populaire dans sa volonté de faire avaliser par
l’assemblée nationale un projet de loi devant instaurer l’idée d’un
« ticket présidentiel » à l’américaine (élection d’un président et d’un
vice-président) avec seulement 25% des votants.
Après les émeutes de juin, les responsables de Y’en a marre se
sont lancés dans une phase active de mobilisation politique, plutôt
citoyenne car c’est le qualitatif qu’ils préfèrent pour caractériser leur
mouvement pour ainsi marquer leur distance d’avec les politiciens et
« les manières de dire et de faire » la politique. Cette mobilisation a
pris la forme d’appels et de tournées en vue d’une inscription massive
des jeunes sur les listes électorales dans le cadre d’une campagne
baptisée dass fananal (aiguiser et attendre) à travers des slogans
comme « ma carte, mon arme ». La mobilisation citoyenne a pris la
forme de compilations rap dont la plus connue est celle de Y’en a
marre. Dans cette production qui a permis de constater l’arrivée de
nouveaux rappeurs dans le collectif, le titre phare est « Faux pas
forcer », message adressé au président pour l’inviter de ne pas forcer
ce puissant « barrage juvénile » opposé à sa candidature.
Le pouvoir de Wade, conscient de la menace que représente
Y’en a marre a essayé de le contrecarrer très tôt par des tentatives de
récupération non abouties (tentatives de corruption), par la stratégie
de l’intimidation (arrestation, bastonnade de leaders dans les locaux
de la police, accusations de trouble à l’ordre public, etc.) mais surtout
423
RADDHO : Rencontre Africaine de Défense des Droits de l’Homme.
200
par la création d’un mouvement de jeunes favorables au président
dénommé Y en a envie et la promotion de rappeurs tels que Pacotille
pour contrer le discours de protestation de Y’en a marre. Les actes
d’infiltration de Y’en a marre et les stratégies pour le discréditer n’ont
pas donné les résultats escomptés : Y en a envie n’a jamais réussi à
susciter un réel impact mobilisateur malgré les moyens financiers
alloués aux jeunes, aux rappeurs et musiciens choisi pour porter ce
discours de brouillage des Y’en a marristes. Au contraire, le contexte de
tension de l’élection présidentielle va lui fournir l’occasion de le
radicaliser et de susciter une adhésion plus importante auprès de la
jeunesse urbaine.
DES ÉTUDIANTS DEVENUS NOSTALGIQUES DE WADE ?
Comme au moment de l’arrivée au pouvoir d’Abdoulaye Wade,
les étudiants à l’instar des autres franges de la jeunesse, ont fondé
beaucoup d’espoirs sur la seconde alternance à laquelle ils affirment
avoir grandement contribué pour des changements qualitatifs dans
leurs conditions de vie et d’étude dans les universités. Non seulement
les acquis qu’ils ont pu obtenir sous le régime de Wade devaient être
sauvegardés mais d’autres conquêtes restaient à faire dans le domaine
ultrasensible et prioritaire des bourses mais aussi pour des
améliorations notables dans les conditions de séjour (plus de
résidences universitaires, orientation du nombre de bacheliers de plus
en plus nombreux chaque année). L’espoir des étudiants quant aux
capacités du président nouvellement élu Macky Sall à faire face aux
problèmes de l’université était d’autant plus fondé que ce dernier est
un produit de l’UCAD pour avoir étudié à l’Institut des sciences de la
terre. Après plus de 2 ans au pouvoir de Macky Sall, grand est
aujourd’hui le désabusement des étudiants face aux nombreuses
incidences que la série de réformes initiées dans le secteur
universitaire ont eu sur leur quotidien.
Restant fidèle à un style de gouvernance qualifiée de sobre et
de vertueuse, le régime actuel a lancé, dès son installation, une
Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur
(CNAES) dirigée par le Professeur Souleymane Bachir Diagne,
aujourd’hui enseignant à l’Université Columbia et ancien du
département de philosophie de l’UCAD. La mission de cette
concertation était de proposer un diagnostic sans complaisance de
l’ensemble des maux du système universitaire sénégalais et
d’identifier des pistes de solution face aux problèmes récurrents
comme les effectifs pléthoriques, la violence endémique, les
nombreuses grèves, le gaspillage des ressources publiques, les taux
d’échec élevés, l’ampleur du chômage postdiplôme, etc. À l’issue d’un
dialogue qui a impliqué beaucoup d’acteurs du monde académique et
extra-universitaire (étudiants, syndicats, professeurs, entreprises,
société civile, etc.), une batterie de recommandations a été faite en vue
d’améliorer la gouvernance des universités, la réorientation de leurs
missions (priorités aux sciences, mathématiques, ingénierie au
détriment des lettres et des sciences humaines), la pacification de
l’espace universitaire, une meilleure allocation des ressources
publiques attribuées à l’enseignement supérieur, etc.
Dans cette série de recommandations censées améliorer la
compétitivité des universités publiques, deux mesures-phares
continuent de cristalliser la colère des étudiants et de nourrir leur
sentiment d’avoir été floués par un régime qu’ils disent avoir
contribué à élire. Il s’agit de l’augmentation des frais d’inscription
passés d’environ 4 800FCFA à 25 000CFA pour la 1ère année, 30
000FCFA pour la 2ème année, 35 000 pour la 3ème année ; 50 000 pour
201
le master 1, 60 000CFA pour le master 2 et enfin 75 000 pour les
étudiants au doctorat. L’autre changement qui a alimenté la colère des
étudiants est la remise en cause du principe de la généralisation des
bourses et des aides acquis sous Wade et qui permettait à chaque
étudiant, s’il n’est pas bénéficiaire d’une bourse (moitié ou entière),
d’obtenir une aide annuelle de 60 000CFA et d’être attributaire d’une
bourse s’il réussit à passer en 2ème année sans compter la
prépondérance des critères sociaux dans l’attribution des bourses.
La hausse substantielle des frais de scolarité peut être
assimilée à un « choc traumatique » pour les étudiants habitués
pendant presque 50 années à un taux resté inchangé. Elle a nourri une
vague de contestation et de violence au cours de l’année 2013 chez des
étudiants qui ont tout tenté pour faire avorter l’application de cette
mesure considérée comme contribuant à une paupérisation plus
prononcée des étudiants d’autant plus que les efforts financiers qui
leur sont demandés ne sont pas accompagnés d’amélioration dans les
conditions d’étude. Au contraire, les difficultés se sont accentuées. Par
exemple, les étudiants de l’Université Gaston Berger disent trouver
dans la dégradation de leurs conditions de vie dans le campus
(promiscuité dans des chambres pouvant accueillir 8 étudiants
maintenant alors que prévue pour 2, longues files pour accéder aux
restaurants universitaires, etc.) et dans les difficultés nouvelles qu’ils
découvrent au plan pédagogique (des salles bondées, manque de salles
de cours, cours annulés faute de salle, etc.) les preuves tangibles d’une
dégradation des conditions sociales et pédagogiques dans cette
université424 qui a été toujours caractérisée par les conditions
Surnommée « l’Université d’excellence », l’UGB est devenue, de l’avis des étudiants,
une "université en décadence". Ce qui était sa réputation et expliquait les excellents
résultats de ses étudiants, à savoir la sélection sur la base du mérite des étudiants
admis et les effectifs réduits (des salles de cours de 50 étudiants en première année
avantageuses d’étude et de vie dans le campus comparé à leurs
collègues de l’UCAD habitués à faire face aux problèmes auxquels ils
sont aujourd’hui exposés.
Dans les 5 universités publiques, l’année 2013 a été ponctuée
par des grèves et des épisodes de violence pour contester la mise en
œuvre de la hausse des frais d’inscription et la révision des critères et
du nombre des boursiers. Ces perturbations continuent de peser sur le
déroulement normal de l’année universitaire 2014 qui n’a démarré par
exemple à l’UGB qu’au mois de février 2014 au lieu d’octobre 2013. À
l’UCAD, les années académiques se chevauchent à tel point que dans
certains départements, les enseignements de l’année en cours ne
commencent qu’au mois de mai, effet direct des grèves à répétition.
Dans les universités régionales de Thiès, Bambey et Ziguinchor, en
2013 comme en 2014, les étudiants ont multiplié les arrêts de cours,
les affrontements avec les forces policières et les campagnes
médiatiques pour alerter et protester contre la dégradation de leur
situation et les nombreux problèmes vécus au quotidien.
Globalement aujourd’hui un sentiment de ras-le-bol s’est
installé chez la plupart des étudiants. Leur désabusement est de taille
par rapport aux réponses que le régime actuel a apportées à leurs
attentes au moment du combat pour le départ de Wade qui a mobilisé
leur énergie en 2012 et conféré un caractère politique aux grèves et
mouvements de protestation menés au cours de cette année. Face aux
nombreux fronts dans lesquels ils doivent concomitamment se battre
actuellement (bourses, conditions pédagogiques, orientation des
nouveaux bacheliers, etc.), la plupart des étudiants se mettent à
424
comparé aux amphithéâtres bondés de l’UCAD) sont choses du passé. Aujourd’hui le
quotidien est fait de pénurie d’eau chronique dans les résidences universitaires, de
montée en flèche des effectifs, de problèmes d’hébergement, etc.
202
regretter la période de la présidence de Wade et surtout
l’empressement avec lequel il pouvait répondre des fois à certaines de
leurs doléances. Les discours que nous avons recueillis à l’UCAD et à
l’UGB auprès d’étudiants de 1ère année et de Licence 3 et de Master
s’accordent sur un point : une critique implacable des mesures
adoptées par le gouvernement actuel et, d’une manière générale, la
gestion actuelle du secteur de l’enseignement supérieur et un regard
nostalgique de la période Wade qu’un répondant qualifie comme « le
président ayant le mieux fait pour les étudiants et les professeurs ».
Le président actuel et son ministre de l’enseignement
supérieur sont au contraire voués aux gémonies et brocardés comme
des « pingres », des « sans-cœur » et obsédés par la volonté de mettre
au pas les espaces de dissidences et de rébellion que sont les campus,
y compris en comptant davantage sur l’arme classique de la répression
policière et de l’intimidation. Certains étudiants jugent même que la
répression est montée de plus d’un cran depuis le début de la seconde
alternance avec la mise en place d’une police universitaire et
l’installation permanente des policiers à l’intérieur du campus
pédagogique425 et le degré plus féroce de répression de leurs grèves426.
Les policiers n’hésitant plus, à leur avis, à pénétrer jusque dans les
Les étudiants disent qu’avec la création de cette police et l’installation des policiers
près des amphithéâtres, la loi sur les franchises universitaires est vidée de sa
substance alors que du côté du ministère de l’Enseignement supérieur, il s’agit d’une
réponse justifiée par le niveau de violence observé dans les universités.
426 Un niveau de violence inhabituel a été atteint le jeudi 22 mai au campus de l’UCAD
entre policiers et étudiants. Les locaux du COUD ont été saccagés par les étudiants et
qui ont bloqué l’avenue Cheikh Anta Diop, pendant des heures. Les policiers sont
accusés d’avoir défoncé des portes et tabassé des étudiants jusque dans leurs
chambres. Des accusations de vol d’ordinateurs, voire d’agression sexuelle ont été
même proférées contre eux. Les étudiants ont fini par déserter le campus à l’UCAD
comme à l’UGB après avoir décidé d’un mot d’ordre de grève illimitée plongeant le
système universitaire dans une crise lourde de dangers pour son avenir et sa viabilité.
425
salles de cours au moment des « fronts427 ». Le président Wade, que les
étudiants, à l’image d’une bonne partie de la jeunesse sénégalaise, ont
rejeté à la fin de son mandat est aujourd’hui réhabilité, voire paré de la
vertu de « grand bienfaiteur pour les étudiants » (répondant de
l’UCAD). Cette nostalgie de la décennie Wade n’est pas spécifique aux
étudiants, elle a saisi une bonne frange de la population sénégalaise
comme en atteste l’ampleur des foules428 ayant accueilli l’ancien
président à son retour au pays après près de 2 ans d’absence.
En dernier ressort, cette nostalgie n’est que le révélateur de
l’ampleur des problèmes qui continuent de frapper les universités et
de la difficulté de mettre en place des mesures de réforme en
profondeur dans un contexte où les pouvoirs publics sont pris en
tenaille entre l’obligation d’assainir les universités, souvent sous
l’injonction de leurs partenaires financiers (le couple FMI-Banque
mondiale) et la volonté farouche des acteurs de sauvegarder des
privilèges (ou d’en obtenir) sur la base d’une culture de la
revendication et de l’arme de la violence. Wade a su manœuvrer face à
ce dilemme sur la base d’une stratégie populiste et clientéliste tout en
étant servi par sa bonne lecture et connaissance du leadership dans les
mouvements étudiants. Il a su ruser avec les étudiants en oscillant au
moment des crises entre « fermeté » et « gâteries » à l’image d’un
patriarche (Paa bi) vis-à-vis de ses petits-enfants. La relation de Wade
d’avec les étudiants ne peut esquiver ce type de lecture et explique la
Surnom donné aux manifestations étudiantes consistant à bloquer une artère
principale (route nationale pour l’UGB par exemple, l’avenue Cheikh Anta Diop et le
boulevard de la Corniche pour l’UCAD, et qui donne lieu à un affrontement entre
étudiants armés de pierres et forces policières recourant aux grenades lacrymogènes,
aux matraques, aux arrestations massives, etc.
428 La chanson entonnée par les foules s’étant massées sur le long parcours emprunté
par Wade en dit long sur ce sentiment de regret : Gorgui, balniou dano dioum « Père,
pardonne-nous, nous nous sommes trompés ».
427
203
popularité de l’homme politique chez les étudiants. Il s’agit d’une
popularité exceptionnelle qui a traversé les générations d’étudiants.
Elle a été instrumentalisée et bien entretenue par Wade pendant ses
années d’opposition. Elle s’est infléchie, dès les premières années de sa
présidence. Elle a beaucoup décliné au moment de la forte
contestation de sa candidature à un 3ème mandat et de sa défaite
électorale en 2012. Mais, elle semble aujourd’hui avoir rebondi à la
faveur du sentiment de désabusement et de déception animant les
étudiants vis-à-vis des réponses du gouvernement Macky Sall aux
multiples problèmes des universités.
CONCLUSION
Au-delà d’une analyse des rapports entre le président
Abdoulaye Wade et les étudiants, cette recherche a proposé une
lecture de l’ancrage de la tradition de contestation sociopolitique et de
mobilisation de la jeunesse sénégalaise dans son ensemble. Elle a
proposé du même coup une brève radioscopie des crises récurrentes
dans lesquelles est inlassablement plongé le système universitaire et
qui contribuent à le fragiliser d’année en année et ainsi à miner ses
performances. Les vicissitudes des relations entre Wade, l’opposant
puis le président et la catégorie éclatée et revendicative des étudiants
illustrent les paradoxes du contrat social sénégalais (Cruise O’Brien,
1992), notamment à travers ses dimensions liées aux permanences et
ruptures dans les rapports entre « aînés » et « cadets » sociaux. Nous
avons passé en revue les configurations et les réinventions de ces
rapports entre ces groupes illustrés à merveille par les figures du
« patriarche » (Paa bi, Gorgui) et des étudiants. Nous sommes remonté
jusqu’aux bases affectives de la relation quasi-fusionnelle entre Wade
et les étudiants, voire des jeunes dans leur ensemble. Gorgui, mieux
que tout homme politique, a su capturer l’électorat jeune et en faire
l’acteur majeur de ses combats politiques.
Malgré les efforts accomplis et l’ampleur des moyens mobilisés
pour répondre aux attentes colossales des étudiants, en dépit des
mesures prises pour « chouchouter » cette frange rebelle de la
jeunesse, nonobstant sa promesse de régler la crise universitaire par
sa connaissance des universités, Wade a globalement déçu les
étudiants. Certes, on ne peut faire l’impasse sur les efforts qu’il a
déployés pour densifier la carte universitaire et à sa sensibilité aux
conditions de vie des étudiants qui l’ont poussé à satisfaire leurs
revendications souvent dans l’empressement et l’improvisation
comme l’a été le principe de la « généralisation de la bourse ». Ce
dernier est aujourd’hui le souvenir le plus vivace que les étudiants
retiennent des années Wade qui alimentent leur nostalgie actuelle à
son endroit surtout dans un contexte où cette mesure est fortement
remise en question par les pouvoirs publics actuels. Cependant, Wade
a laissé à son successeur des universités en crise, plombées par des
problèmes structurels relevant d’une faiblesse de leur budget,
d’effectifs pléthoriques, de déficits infrastructurels, d’une gestion peu
efficace sans compter une orientation et des missions à redéfinir.
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SAMEDI 5 JUILLET
Matinée sous la Présidence de Matinée sous la Présidence de
Mamadou Diouf
Atelier 7 : Contributions des étudiants aux reconfigurations de
l’action publique
9h30-10h30 :
 Registres contestataires estudiantins et inflexion du socle politique
post-autoritaire au Cameroun : Hughes Morell Meliki
 Comment la contestation des élèves et des étudiants au Niger
alimente l’agenda de l’enseignement supérieur : entre promotion des
valeurs « démocratiques » et héritages des régimes autoritaires :
Tatiana Smirnova
 L’étude des mouvements étudiants comme grille de l’action
publique : le cas des mouvements étudiants de l’université du
Burundi mis en comparaison avec les universités de Daar-Es-Salaam
et de Nairobi : Olivier Provini
HUGHES MORELL MELIKI. REGISTRES CONTESTATAIRES ESTUDIANTINS ET
INFLEXION DU SOCLE POLITIQUE POST-AUTORITAIRE AU CAMEROUN
Département de sociologie, Université de Yaoundé I, Cameroun.
La mise en vedette du refrain « la politique aux politiciens et l’école
aux écoliers », tel que formulé par le président de la république durant
les années de braise, augurait d’une volonté de dépolitisation et
d’exclusion des affaires publiques des masses estudiantines. Car, le
poids et la jeunesse de son armature démographique doublée de son
esprit critique constituent une menace pour la stabilité du pouvoir.
Cette réticence du Renouveau, à considérer la voix étudiante, s’est
206
exprimée par l’utilisation des appareils répressifs d’Etat comme
modèle relationnel avec toute mobilisation irrévérencieuse. Aussi, le
radicalisme contestataire des premières mobilisations estudiantines
qui s’accompagnaient jusqu’ici de violences protéiformes, telles que
des casses, des barrages, des incendies et l’indiscipline sociale, a-t-il
justifié ce recours à la force et le refus à toute concession de la part du
pouvoir qui s’appuyait sur un lexique incriminant à l’encontre des
mobilisés.
Toutefois, ce réflexe autoritariste, parce qu’entretenu par la nature
violente du registre contestataire alors emprunté par le corps social,
connaît une mutation liée aux innovations des pratiques de
contestation mises en œuvre lors des manifestations de 2005 à
Yaoundé I. Aussi, sur la base de données issue d’observation directe,
de l’auto-narration contrôlée de quelques acteurs clé, des traces
archivistiques et des extraits du site social camerounais, Camer Be, le
tout en relation avec l’irrédentisme estudiantin de 1992 et 2005, pour
des besoins comparatifs, afin de relever les différentes technologies
contestataires mobilisées et les effets produits sur le Renouveau, la
réflexion montre que le registre religieux duquel se nourrissent les
modalités de la grève de 2005 et l’instrumentation de l’idéologie de
paix liée au pouvoir, ont agi en acte réformateur des pratiques de
gestion des mouvements contestataires au sein du régime.
MOBILISATION
ÉTUDIANTE
ET
VIOLENCE
:
UNE
COLLUSION
HISTORIQUE
A l’observation, on décèle une forte complicité entre les mouvements
irrédentistes étudiants antérieurs et la violence. Il est ainsi question de
voir les manifestations empiriques de cette violence après
considération de l’histoire syndicale étudiante.
Une disqualification sempiternelle du syndicalisme étudiant
Exception faite de l’expérience métropolitaine, avec l’Union Nationale
des Etudiants du Cameroun (UNEK), l’université camerounaise n’offre
pas, jusqu’en 1990, de prises réelles à un syndicalisme corporatiste
estudiantin. La création de la Fédération nationale des étudiants
camerounais (Fenec) dans les années 60 et la consécration des
associations de facultés en 1982, ne changent rien à la donne. Car, la
première est caporalisée par le parti unique (Union Nationale
Camerounaise) qui a consacré sa naissance429, alors que les secondes
sont strictement des organes émanant de l’administration
universitaire.
Cette virginité syndicale des étudiants tient d’un Etat rétif face à
l’intelligence critique étudiante et sa prétention à constituer une pièce
de rechange face à des hommes politiques médiocres. Seuls les
mouvements de fronde liés à l’ouverture démocratique de 1990
permettent l’apparition éphémère d’un premier mouvement étudiant.
Le 15 Août 1990, le « Parlement » des étudiants voit le jour avec Senfo
Tonkam comme leader. Toutefois, la complicité du Parlement,
officiellement consacré apolitique, avec l’opposition partisane, lui
vaudra une interdiction de fonctionnement en 1991 de même que
d’autres associations. Le pouvoir rappellera que ces groupes, par leurs
actes, laissent voir un penchant qui se situe aux antipodes de
l’apolitisme déclaré430. L’existence parallèle de « l’auto-défense »,
supposé être un organe à structure ethnique proche du pouvoir431 et
Marie-Emmanuelle POMMEROLLE, « Routines autoritaires et innovations
militantes » Le cas d'un mouvement étudiant au Cameroun, Politique africaine, Vol. 4,
n° 108, 2007, p. 157
430 Cameroon Tribune, n0 4927, dimanche 14 et lundi 15 juillet1991, p. 5
431 Cf. Piet KONINGS, « University students’ revolt, ethnic militia, and violence during
political liberalization in Cameroon», African Studies Review, vol. 45, n° 2, 2002
429
207
qui nie une légitimité au Parlement, ainsi que les tensions liées aux
revendications de l’opposition, le tout ajouté à la dégradation des
conditions d’étude constituaient un tout explosif augurant des
flambées de violence au sein du Campus de Yaoundé I, à titre principal.
La scénographie de la violence dans les premières mobilisations
La libéralisation politique des années 90, constitue un marqueur
historique des premières expériences de mobilisation étudiantes. La
gémellité temporelle dans l’érection des premiers moments de
convulsion sociopolitique au sein de la « société civile », poussée par
l’opposition partisane et la virginité en termes d’expériences
contestataires estudiantines, ont préformé le cadre d’une osmose du
répertoire d’actions contestataires de la société des deux premières
composantes pour le milieu estudiantin. Cette osmose est d’autant
plus facilitée que le Parlement, organe de coordination du mouvement
étudiant, exprime un soutien explicite à la Coordination des partis
d’opposition en appelant à une Conférence nationale souveraine432.
Ces éléments, dans un contexte de triomphalisme des villes-mortes433,
inocule l’exemplarité de la violence comme modèle de revendication à
une composante étudiante néophyte dans la mobilisation.
Les premières éruptions de violence sont alors enregistrées au campus
de l’université de Yaoundé I, sous le prétexte de la faiblesse des notes
attribuées aux étudiants en facultés de droit et de sciences
économiques434. La violence va crescendo transitant des figures
Zacharie NGNIMAN, Cameroun : la démocratie emballée, Yaoundé, Clé, 1993, p. 91 et
Le Messager, n0 233, 11 avril 1991, p. 6
433 Martin Dieudonné EBOLO, « De la "société civile" mythique à la "société civile"
impure : entre assujettissement, émancipation et collusion », in La révolution passive
au Cameroun : Etat, société et changement, Luc SINDJOUN (éd), Dakar, CODESRIA,
1999, p. 79
434 Idem, p. 77
mineures aux figures d’ordre criminel. Les figures mineures sont
reprises par un internaute sur la question : « les manifestations
n'étaient pas pacifiques, car la paix ne détruit pas la bibliothèque, elle
ne détruit pas les murs du campus, elle ne saccage pas l'assemblée
nationale, elle n'envoie pas des lettres d'insulte au chef de l'état »435.
Destruction du matériel public et atteinte à l’intégrité morale des
individus rentrent dans ce registre. Si ces éléments sont considérés
comme mineurs, c’est parce que l’on a assisté à des incendies
meurtriers. L’étudiant Ndam Souley est brûlé vif dans une chambre
incendiée par le Parlement dans sa chasse aux indics de la police436.
« Djongoué Kamga Collins, mort brulé dans sa chambre »437 par des
Parlementaires reprochant à l’auto-défense, auquel il appartenait,
d’être une structure-relais du pouvoir, démontre le caractère violent
des premiers mouvements estudiantins auxquels le pouvoir a opposé
sa force militaire brute.
VIOLENCE D’É TAT VERSUS VIOLENCE ESTUDIANTINE
L’expression de régime post-autoritaire, désigne les caractéristiques
du pouvoir en acte dans sa relation avec les composantes sociales
inscrites en discordance explicite avec son schème de
gouvernementalité ; il relève la pérennité paradoxale, malgré le
contexte démocratique, de pratiques juridiquement exorbitées qui
permettent d’ « inculquer » l’ordre d’État et inscrire ainsi dans la
conscience des mobilisés l’idée de la toute puissance et de
432
Gabson, réaction du 8 avril 2014; url : http://camer.be/32880/30:27/usacameroun-temoignage-de-corantin-talla-leader-du-parlement-sur-ateba-eyene.html
436 Zacharie NGNIMAN, La démocratie…ouvr. cité, p. 91 et Martin Dieudonné EBOLO,
« De la "société civile" mythique…art. cité, p. 96
437 Vérokoua, réaction du 7 avril 2014; url : http://camer.be/32880/30:27/usacameroun-temoignage-de-corantin-talla-leader-du-parlement-sur-ateba-eyene.html
435
208
l’exceptionnalité du pouvoir438. Il est à présent question de saisir les
types de pratiques constitutifs des réponses d’un régime autoritaire
face à des mouvements violents.
L’étudiant mobilisé, un
incrimination ante facto
ante-citoyen :
lexicologie
d’une
Pour l’Etat, les périodes de mobilisation donnent cours à une forte
activité discursive dont la fonction est de catégoriser les étudiants
irrévérencieux. Le champ lexical de la stigmatisation est l’horizon à
partir duquel le mobilisé est appréhendé. Les expressions font florès.
Des catégories telles que « apprenti sorcier », « fauteur de trouble »,
« force négative », « ennemi d’État », « ennemi du développement »,
« bonimenteur » ou « apôtre du chaos », constituent l’identité imputée
aux mis en cause. Cette communication, de coloration incriminante,
apparait comme une arme qui permet au pouvoir d’agir en se
prévalant de motifs relevant de l’aspect sécuritaire, tels que la lutte
contre le désordre public, la préservation de la sécurité de l’Etat :
prérogatives au nom desquelles des abus peuvent revêtir un pseudo
aspect légitime.
L’utilisation répétitive de ce lexique préfigure du refus d’accorder
toute importance aux revendications des étudiants considérées
comme polarisant négativement les énergies. En outre, par le
caractère incriminant des catégories employées, il sert de base
d’autojustification à l’utilisation démesurée de la force militaire
comme moyen magistral de contenir les individus ainsi rangés. Pris
sous cet angle, l’étudiant mobilisé constitue une composante
« pathologique » sur laquelle des mesures d’exception doivent être
appliquées afin de limiter les conséquences préjudiciables de ses actes.
Mobilisation violente et légitimation de la politique de la
violence
Le monopole de la violence légitime, caractéristique de l’État, constitue
une réalité instrumentalisée par le Renouveau qui demeure rétif à
toute logique oppositionnelle publique. Dans son désir d’inculquer un
certain ordre politique à la masse, un usage systématique, et souvent
illégitime, de la violence est fait à travers des répressions brutales des
mobilisations irrévérencieuses. En réalité, le paradigme de la violence
des contestations antérieures justifie alors le lexique incriminant
d’Etat sur les mobilisés et l’usage de la répression militaire.
Les acteurs de la mobilisation de 2005 agréent que « les revendications
étudiantes telles qu’elles étaient pratiquées avant étaient
systématiquement stoppées par la violente répression de l'État via la
police ou les forces militaires »439 : cette confession admet tacitement la
légitimité de la violence d’Etat à cause de la violence des mobilisations.
Sur ces bases, le pouvoir a facilement recours à des procédures
d’exception ne s’encombrant d’aucun juridisme pour « liquider » les
foyers de production de l’indocilité440. Le lexique élaboré et les
prérogatives juridictionnelles, permettent au Renouveau d’édicter des
décrets express et de se saisir des appareils répressifs sous une façade
de légitimité afin de neutraliser les foyers contestataires qui menacent
l’équilibre du pouvoir et la paix sociale.
Herrick Mouafo, étudiant manifestant proche du bureau de l’ADDEC.
http://blog.modop.org/post/2013/01/M%C3%A9thodes-d-actions-non-violentesdans-les-mouvements-%C3%A9tudiants-de-protestation-au-Cameroun
440 Achille MBEMBE, « Nécropolitique », Raisons politiques, n0 21, 2006, P.F.N.S.P p. 30
439
438Voir
la terminologie
autoritaires…art. cité
de
Marie-Emmanuelle
POMMEROLLE,
« Routines
209
Durant les mouvements de 1990 et suite à la vitalité de l’opération
villes-mortes formulée en mai 1991 par la Coordination de
l’opposition441 à laquelle était inféodée de fait le Parlement, le pouvoir,
grâce à ses prérogatives juridictionnelles, crée, dès le même mois, le
« Commandement Opérationnel ». Comme forces d’exception jouissant
d’une autonomie formelle s’accompagnant du permis de tuer, il est
spécialisé dans des opérations de répression du banditisme442. Son
modèle opératoire comprend des exécutions sommaires, des chasses à
l’homme et des emprisonnements express. Cette parade de la violence
est adoptée par le corps militaire durant les mouvements étudiants de
1991, 1993, 1997 et 1999 pour rappeler aux étudiants qui amplifient
l’action de l’opposition, que l’on ne contrarie pas le monarque
présidentiel. La permanence militaire au campus de Yaoundé I, les
fessées administrées aux étudiants, les « manœuvres militaires »
infligées à d’autres, les séances publiques d’humiliation, ont pour rôle
de répondre à la violence de la mobilisation par la violence d’Etat.
Pour l’humiliation comme représailles, l’étudiante Ange Guiadem,
Parlementaire, fut publiquement mise nue. « Elle était toute nue parce
que la milice tribale […] et des gendarmes l'avaient arrêté au niveau de
Bonamoussadi distribuant des tracts que j'avais remis […] Ils
déchirèrent les habits de Guiadem et coupèrent son slip avec des ciseaux
alors même qu'elle était en pleine période de menstruation. Par la suite,
ils la traînèrent en tenue d'Adam et Ève »443.
Luc SINDJOUN, « Ce que s’opposer veut dire : l’économie des échanges politiques »,
in Luc SINDJOUN (éd.), Comment peut-on être opposant au Cameroun ? Politique
parlementaire et politique autoritaire, Dakar, CODESRIA, 2004, p. 23
442 Martin Dieudonné EBOLO, « De la "société civile" mythique…art. cité, p. 84
443
Corentin Talla, http://camer.be/32880/30:27/usa-cameroun-temoignage-decorantin-talla-leader-du-parlement-sur-ateba-eyene.html
441
Dans le même registre, l’emprisonnement des leaders du Parlement,
tels Senfo Tonkam, en juillet 1991, lequel écopa d’une peine de six
mois de prison ferme et Corentin Talla qui indique qu’ils furent
« emmenés à la légion de gendarmerie et enfermés dans une cellule avec
des bandits de grand chemin »444, parachève la mise en demeure du
spectre de la violence comme schème de gestion des mobilisés et, par
extension, indique le refus à tout dialogue du pouvoir. Ainsi, toute
mobilisation violente renforce-t-elle le réflexe violent du Renouveau et
en appelle à une réplique violente des appareils répressifs d’État.
Toutefois, si la violence physique domine les relations entre mobilisés
et État, la boîte à outil des répressions comprend des pratiques comme
le « fichage » de leaders qui conduit systématiquement à l’échec à tout
concours public445 ; des politiques de révision des notes requises pour
accéder ou avancer en cycle de recherche, utilisées contre Mouafo
Djontu, leader de 2005 qui s’érigeait contre la dégradation globale de
la « condition estudiantine ».
CONTEXTE ET PRÉTEXTES DE LA MOBILISATION DE 2005
La mobilisation de 2005 est occasionnée par un ensemble de griefs
dont le dénominateur commun est la clochardisation de l’étudiant et
un enseignement au rabais. Il convient donc d’explorer à grand trait le
contexte des revendications de 2005.
Dégradation des conditions d’étude et misérabilisme du statut
étudiant
Avant la décennie 1990, l’école constituait l’investissement d’avenir.
Le statut d’étudiant était garant de l’accès à un emploi de qualité. Les
444
Idem
445Marie-Emmanuelle
POMMEROLLE,
« La
démobilisation
collective
au
Cameroun :entre régime postautoritaire et militantisme extraverti », Critique
internationale, Vol. 3, n° 40, 2008
210
représentations alors développées autour des « longs crayons »
étaient associées à la haute strate politico-administrative. De fait, le
titre d’étudiant auréolait son propriétaire de prestige, ce d’autant plus
que la bourse permettait de mener un train de vie précurseur de celui
que réservait l’emploi accroché à la fin du cursus446. Précisément, dès
la fondation de l’université jusqu’à la grève de 1992, « les étudiants
bénéficiaient alors de respect dans la société. […] ils étaient jalousés car
ils représentaient un danger potentiel pour les travailleurs et
fonctionnaires moins qualifiés […] être étudiant, c'était avoir un emploi
garanti, un grand poste »447.
Toutefois, à partir de 1992, l’étudiant sombre dans l’insignifiance avec
la fin de la bourse, l’instauration du paiement des 50 000 fcfa de droit
universitaire et surtout, par l’impossibilité de l’État à employer une
masse de diplômés en contexte de dégraissage de la fonction publique.
C’est donc d’une dévaluation totale du statut de l’étudiant à laquelle on
assiste. C’est « en termes d'identité que cette dévaluation touche leur
sensibilité: l'étudiant, c'est qui? C’est quoi? Dans une société [qui] les
traite […] de malheureux »448. Cette dévaluation se teinte d’humiliation
quand « de respectueux, le rapport a l'étudiant s'est teinté de
condescendance, car ils constituent des ratés qui vont aller grossir les
rangs des chômeurs »449. Ce ravalement à la sphère de l’insignifiance
est renforcé par le misérabilisme ambiant de sa vie : « la chose qui
hante le plus l'étudiant au quotidien, ce n'est pas la validation de ses UV,
c'est bien plutôt le rendez-vous avec le bailleur, l'échéance pour les
Paul N’DA, Les intellectuels et le pouvoir en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1987,
p. 74
447 Jacqueline MOUTOME EKAMBI, « Les étudiants : la vie, l’amour et les études »,
African studies association, vol. 46, n0 2, 2003, p. 43
448Idem
449Ibid.
droits universitaires et la torture de certaines journées entières de jeûne
forcé »450.
Ce sombre tableau est rendu insoutenable en 2004 avec des conditions
d’étude qui découragent les plus studieux. Absence de supports
didactiques, manque de matériels dans les laboratoires, dégradation
des infrastructures universitaires, rançonnement des étudiants par les
enseignants, amphithéâtres inconséquents face aux effectifs
pléthoriques, absence d’appui des étudiants en cycles de recherche,
constituent la face hideuse d’une université dont la gouvernance est
par trop politisée.
UNE GOUVERNANCE UNIVERSITAIRE POLITISÉE
La gouvernance universitaire camerounaise brille par sa réticence à
associer activement les étudiants aux structures délibératives. Les
associations de facultés, comme courroie de transmission de la
hiérarchie, ne jouent aucun rôle clé. Par ailleurs, l’absence de
mécanismes de contrôle, de la part des étudiants, du staff dirigeant de
l’université, redouble la distance hiérarchique entre étudiants et
responsables. Ceux-ci s’illustrent par l’arrogance et la condescendance
vis-à-vis de ceux-là, car ne privilégiant que les lignes du pouvoir
duquel ils tiennent leur nomination. La gouvernance universitaire est
donc étroitement liée aux calculs stratégiques du Renouveau.
L’étudiant apparait ainsi démuni de tout moyen de pression formel et
de tout canal pour prendre part à la gouvernance universitaire afin de
446
450MUSEEC,
« Le cri de l’Etudiant », Yaoundé, 2001, p. 2
211
s’assurer de la prise en compte de ses vues : c’est un agent passif
cantonné dans le pôle de l’exécution451.
Tels sont les griefs qui, en avril 2004, font naître l’Association de
défense des étudiants camerounais (Addec) dont l’une des singularités
est d’introduire des ruptures dans l’héritage contestataire de 90 afin
de provoquer une dynamique de groupe critique crédible face au «
pouvoir de l'Etat et à l'internalisation de la peur [qui] empêchait toute
confrontation directe […] avec le gouvernement »452.
REGISTRE RELIGIEUX ET RENOUVEAU CONTESTATAIRE
La décrépitude de la conjoncture socioéconomique, héritée de la
décennie 1990, a instauré un esprit d’opportunisme. Dans l’opposition
et au milieu de la « société civile », tout comme dans les campus, la
contestation s’est transformée en levier permettant de marchander
avec l’État pour accéder à une fonction stratégique ou pour se faire
offrir un chèque conséquent. L’« exil doré », l’entrée et l’ascension
soudaine au sein des instances dirigeantes, voire l’enrichissement
rapide et inexpliqué de plusieurs figures des leaders estudiantins,
pointent du doigt l’instrumentation des mobilisations pour des fins
matérielles personnelles. Aussi, les « manœuvres récurrentes de
cooptation et de scission [rencontrent un] écho favorable […] auprès des
acteurs engagés […] des mobilisations »453. Aussi, une indifférence
doublée d’une méfiance accentuée face aux mouvements étudiants se
sont sédimentées dans la conscience estudiantine de façon à annihiler
les chances d’une mobilisation. Dans ce contexte, le leadership de 2005
Piet KONINGS, « University students’ revolt…art. cité; Gam NKWI, Piet KONINGS et
Francis NYAMNJOH, University Crisis and Student Protests in Africa. The 2005 -2006
University Students’ Strike in Cameroon, Oxford, African Books Collective Limited, 2012
452 Herrick Mouafo, interview citée.
453Marie-Emmanuelle
POMMEROLLE,
« La
démobilisation
collective
au
Cameroun…art. cité
451
devait trouver la corde de sensibilité collective par laquelle regagner la
confiance des étudiants et fédérer les différentes forces nécessaires à
la mobilisation. Cette partie voudrait donc explorer les éléments de
rupture introduits dans l’héritage contestataire, en tant qu’ils fédèrent
les étudiants tout en reconfigurent le schème gestionnaire des
mobilisations du régime.
Instrumentation du religieux et charisme du leadership
estudiantin
Contrairement à la morosité du champ économique, le pays connait
une vitalité religieuse marquée. Les nouvelles religiosités de
coloration pentecôtiste marquent le quotidien d’une population qui
impute aux forces mystiques, la conjoncture de précarité qui les
accule. Avec une liturgie d’orientation exorciste contre le « satanisme »
ambiant de la société, ces églises construisent une atmosphère du
soupçon mutuel d’appartenance aux « ordres du monde », c’est-à-dire
la compromission avec les forces mystiques antichrétiennes. Dans ce
contexte, les ouailles des différentes tendances nourrissent de la
confiance pour les seules personnes démontrant une certaine dévotion
religieuse. Du côté des obédiences chrétiennes classiques, dans la
mesure où la société a sombré dans la cupidité et l’incrédulité, l’une
des manières de rassurer consiste à prendre à témoin Dieu dans ses
actes : manière suprême de jurer au Cameroun, d’où la religion comme
nouveau ciment dans la relation à autrui.
On peut alors saisir l’intelligibilité de la présentation de soi et de la
coloration des discours du principal leader dans son ingénierie de
création d’un contrat d’engagement avec les étudiants. Dès la première
apparition à l’esplanade de l’amphithéâtre 300, rebaptisé Jérusalem
pour mettre en relief le recours à Dieu, l’imagerie de la paix, de la
212
vérité et de l’intégrité, Mouafo Djontu travaille à son image. Il se
présentera dans une vêture des plus simplistes et, par cet acte de
création d’un égalitarisme apparent, tire sur les premières cordes de
sensibilité : le partage de la même condition de précarité. Outre ces
vêtements simplistes, il arbore un chapelet autour du cou et tient une
bible à la main. Insignes tangibles de son respect et engagement pour
le Très-Haut. Dès cet instant, la mobilisation s’auréolait d’une dévotion
religieuse et d’un engagement de chacun, devant l’Éternel, pour les
autres et sans contrepartie. C’est pourquoi le leader s’exprimera
toujours main sur le cœur pour brandir sa sincérité et montrer que sa
vie est divinement gagée s’il lui arrivait de mentir. Cette attitude va
créer un capital confiance pour les leaders.
La manipulation de cette sensibilité fondamentale, dans une société
qui connait les scandales et déviances des milieux cléricaux où les
insignes de la foi sont instrumentalisés par des gourous et autres
individus en mal de richesses et de positionnement sociopolitique,
imposait au leadership de consolider cette carte religieuse de
l’engagement désintéressé en attestant de son indifférence face au
marchandage étatique systématiquement mis en branle par le
Renouveau pour l’achat des consciences durant les mobilisations.
Religion et jeu
l’incorruptibilité
d’intégrité :
rumeurs
et
fabrique
de
Bien qu’étant du domaine où on ne peut avoir de preuve, l’ingénierie
du leadership avait aussi pour mission de dénoncer et de divulguer
des informations relatives au refus des propositions financières du
pouvoir. Parce que non vérifiées, ces éléments tombent dans l’ordre de
la rumeur, laquelle apparait « dans des situations où des évènements
d’une importance vitale pour les intérêts des gens arrivent alors
qu’aucune information fiable n’est disponible »454. On fera savoir, par ce
canal, aux étudiants que, durant l’hospitalisation qui devait tirer
Mouafo Djontu et Lindjuom Mbowou de la menace de mort à laquelle
l’inanition prolongée les soumis, cinquante millions de fcfa en espèce
avaient été proposés pour obtenir leur désertion.
Si on peut interroger l’effectivité du montant de cinquante millions de
fcfa en espèce, pour chacun des leaders, il reste que l’on peut
difficilement rejeter l’hypothèse de la tentative de « transaction ». En
fait, le récit sur la tentative de déstabilisation de l’Addec atteste de
cette manie. Un étudiant que le pouvoir approcha pour saper la
cohésion de l’Addec et détruire son crédit moral résume : « une fois
dans le bureau de mon beau, 5.000.000 en espèces, des statuts de
l’association, un agrément de fonctionnement signé du recteur et une
feuille de route me furent proposés. C’est après mon refus qu’il alla voir
xxx le lendemain pour qu’il devienne le président de la nouvelle Addec »
455. Ce récit vient confirmer au moins la tentative du pouvoir, mais
aussi sa facilité à se pavaner avec des « mallettes d’argent »456.
Le recours à la propagation de la rumeur sur l’incorruptibilité de
l’Addec est inféodé à une opération de création d’une base de
légitimité et de crédibilité dont l’effet escompté est de doper la côte de
popularité en redoublant le crédit de loyalisme et d’engagement sans
calcul des leaders457. Ainsi, la rumeur, comme forme de
communication en situation d’opacité, et intégrée dans cette logique
de création d’une aura d’incorruptible, devient, au sens d’Elderman, un
454James
SCOTT, La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours
subalterne, Paris, Amsterdam, 2008, p. 161
455L’anonymat est utilisé a dessein pour l’enquêté et le président par défaut de la
« pseudo Addec ».
456 Fanny PIGEAUD, Au Cameroun de Paul Biya, Paris, Karthala, 2011, p. 145
457 Herrick Mouafo, entretien cité.
213
« mode de fabrication majeure » 458 d’étiquettes. L’effet indirect est
l’adhésion sans réserve de la masse estudiantine qui perçoit un
leadership agissant par conviction.
Le même registre religieux du désintéressement, trouvait encore un
grand écho avec la transparence et le suivi en temps réel, par les
étudiants, des communications échangées avec la sphère dirigeante.
Une telle attitude procédait d’une logique confrontationnelle. C’est en
ce sens qu’un poste radio fut installé à Jérusalem afin d’attirer
l’attention des cop’s sur la désinformation effectuée par la Cameroon
Radio and Television (CRTV) acquise au Renouveau. C’est ainsi que,
durant un compte-rendu entamé vers 12H 30 minutes, le leader fit
remarquer le caractère vain, jusque-là, de l’entreprise visant à
rencontrer le ministre de l’enseignement supérieur. A 13 heures, le
titre à la une du journal « le ministre de l’enseignement supérieur a reçu
les leaders estudiantins qui ont convenu de mettre fin à la grève »
provoque des clameurs de désapprobation face à cette désinformation.
En tout, les représentations sur l’incorruptibilité, la transparence et
l’anticipation sur les mensonges d’Etat, apportèrent une dimension
mythique au charisme du principal leader.
holocauste livré pour le rachat des étudiants. Ce sacrifice vise à
focaliser l’attention de la sphère politique sur les revendications,
donner la mesure de la gravité de la situation et matérialiser l’indice
d’engagement total des étudiants.
En fait, la grève de la faim reste jusqu’alors la figure d’un modèle
d’auto privation extrême aussi bien pour les acteurs qui en usent que
pour les personnes contre lesquelles elle est employée. L’hibernation
destructrice de l’organisme et le danger de mort auxquels expose
l’inanition prolongée transforment en martyr ceux qui choisissent la
grève de la faim comme paradigme de revendication. C’est à partir de
cette figure extrême de l’auto-flagellation, démonstrative de
l’engagement absolue des leaders et leur acceptation des pires sévices,
que Jérusalem prit le second nom de Golgotha : place paradoxale
mêlant les figures du supplice accepté et du rachat de la multitude par
la souffrance. Cet engagement et le sacrifice de soi remobilisèrent les
étudiants, et amenèrent l’Etat à requestionner sa stratégie de gestion
de la mobilisation.
JOUER
AVEC ET CONTRE LE
RENOUVEAU :
LE POUVOIR PRIS À SON
PIÈGE IDÉOLOGIQUE
Grève de la faim et figure du martyr biblique
La figure mythique d’un leadership qui mobilise dans un consensus
total, toutes les sensibilités du monde estudiantin, puise une autre part
de son charisme dans le don de soi : c’est la dimension sacrificielle du
modèle d’action des leaders de 2005, à travers la grève de la faim
choisie comme sacrifice de soi et engagée dès septembre 2004 et miavril 2005. Il y a investissement du corps des leaders comme
Murray ELDERMAN, Pièces et règles du jeu politique, Paris, Seuil, 1994, p. 24. Voir
aussi James SCOTT, La domination et les arts… ouvr. cité, p. 161
458
Il s’agit d’examiner maintenant les modalités pratiques de la
mobilisation dans leur capacité à acculer l’Etat à l’abandon de la
violence militaire et à l’adoption de la négociation, dans un contexte où
le registre religieux emprunté par le leadership de 2005 définissait la
coloration du paradigme contestataire observé: le refoulement de
toute forme de violence. Une telle entreprise produisait trois ordres de
faits. D’abord, elle rendait inopérant le lexique incriminant d’État
habituel sur les mobilisés. Ensuite, par le caractère obsolète du
lexique, elle désarmait la violence militaire comme schème
gestionnaire de la mobilisation. Enfin, elle reproduisait la rhétorique
214
sur l’idéologie de la paix adoptée par le Renouveau qui ne pouvait
alors que négocier par respect de son propre discours.
Paix et consensus social : la récupération de la matrice
idéologique du Renouveau
La mobilisation étudiante de 2005 rend inopérant le lexique
incriminant du pouvoir sur les mobilisés. Le mot d’ordre de la
mobilisation, la non-violence, a désarçonné les catégories langagières
habituelles par les modalités de la grève qui ne donnaient aucune
aspérité à une réplique violente justifiée chez l’État. Contrairement à
l’irrédentisme étudiant de 1991, 1992, 1993 et 1996 qui épousa la
violence comme schème, la particularité de la grève de 2005 réside
dans un consensus total du refoulement de la violence. Les variantes
de la mobilisation sont connues : la grève de la faim, la marche dans le
campus ou vers le MINESUP sans obstruction de la voie publique,
l’arrêt des cours par désertion des amphithéâtres et les
rassemblements à Jérusalem/Golgotha. Le succès du mot d’ordre de la
mobilisation procédait aussi de l’érection des étudiants, eux-mêmes,
en gendarme de proximité chargé de dissuader ou d’exclure des rangs
des mobilisés tout camarade malavisé qui s’armerait de projectiles ou
déciderait de ne respecter l’ordonnance du meneur de troupe. En fait,
l’une des innovations est constitutive de l’encadrement de chaque
section de mobilisés par une sorte de meneur de troupe qui devait
appliquer la ligne de conduite formulée par l’Addec. Il y avait donc
simultanément une coordination entre les différentes fractions des
mobilisés.
On peut à ce stade déduire que le raffinement continu des méthodes
répressives employées, et les éruptions de violences militaires sur des
mobilisés commandées par le Renouveau, ont en retour suscités des
modalités de contestation plus élaborées portées au-delà des
pratiques de résistance usuelles empruntées par les générations
passées459. Grâce à cette rupture dans le répertoire d’actions460, l’État
ne pouvait assimiler les mobilisés au « pathologique » à exciper.
En effet, l’une des fonctions du lexique d’État étant d’enfanter la figure
de l’ennemi du pouvoir, afin de justifier la brutalité de l’intervention
des forces militaires, la caducité de ce répertoire langagier face aux
nouveaux modes d’actions contestataires neutralisait les ardeurs des
contingents militaires dans les campus. Ce désarçonnement des
appareils répressifs reposait aussi sur la reproduction, instrumentée,
de l’idéologie mobilisatrice du Renouveau par les leaders estudiantins.
La longévité au pouvoir de Paul BIYA, 32 ans, se justifie par la
rhétorique officielle qui fait de lui « l’homme de la paix », « l’homme de
la stabilité », c’est-à-dire celui sans lequel le pays sombrerait dans le
chaos, d’où la nécessité de le maintenir à cor et à cris au pouvoir. Tout
devient alors justifié par ces conceptions. Aussi, dans un système où
seuls les griots sont écoutés, les leaders étudiants recouvraient leurs
actions de non-violence pour reproduire le maître-mot de paix sociale
afin de mettre la masse étudiante hors de la force militaire brute : « les
méthodes d'actions non-violentes apparaissent comme un moyen de
prévention contre l'internalisation de la peur et un moyen de
contournement de la répression violente couramment utilisée par
l'État »461. Si la mobilisation étudiante a « gagné une certaine
réputation de subtilité […] c’est probablement parce que leur [les
étudiants] vulnérabilité leur a rarement offert le luxe d’un affrontement
James SCOTT, La domination et les art…ouvr cité, p. 133
Voir le sens adopté par Marie-Emmanuelle POMMEROLLE, « Routines
autoritaires…art. cité, p. 156
461 Herrick Mouafo, interview citée.
459
460
215
direct [victorieux] »462, d’une part, et surtout pour manipuler la
sensibilité du régime afin de provoquer la négociation, d’autre part.
Innovation
Renouveau
contestataire
et
civilisation
du
régime
du
La notion de civilisation du pouvoir est prise comme processus de
remplacement de la violence physique d’émanation militaire,
habituellement empruntée par l’Etat post-autoritaire comme schème
gestionnaire des mouvements de contestation, par des procédures
policées qui privilégient la concertation, laquelle met en œuvre un
débat contradictoire qui aboutit à des clauses relativement
consensuelles463. L’idée de civilisation du Renouveau est à inféoder à la
perspective eliassienne de la parlementarisation et du respect de
l’adversaire comme aboutissant à la mise en rebut de la violence
physique dans ses rapports avec les mobilisés464. La civilisation opère
alors autour de deux variables, d’abord une gestion non violente de la
mobilisation étudiante, ensuite une volonté de négociation avec les
mobilisés.
Cela étant, la retranscription explicite du registre de la paix, dérivant
des options religieuse et sacrificielle de soi et du mot d’ordre de nonviolence, produisait un ordre contraignant pour le pouvoir qui devait
effectuer un choix : se dédire en écrasant des mobilisés qui usent
pourtant de son registre idéologique et montrer au peuple qu’elle n’est
qu’un instrument de manipulation politique ou négocier avec les
leaders et miroiter le sérieux de ses piliers idéologiques. Dès lors, le
choix de la non-violence et donc de l’affiliation à la paix sociale,
James SCOTT, La domination et les arts…ouvr. Cité, p. 153
Cf. Achille MBEMBE, Du gouvernement privé indirect, Dakar, CODESRIA, 1999, pp.
25-31
464 Norbert ELIAS, Sport et civilisation, Paris, Fayard, 1994
découlait aussi d’une tactique visant à placer le pouvoir devant un
dilemme né de l’utilisation de son idéologie. Il faut alors admettre que,
des « mouvements peuvent ne disposer que des termes propres à un
ordre établi, et manifester déjà pourtant son bouleversement. Un
déplacement s’effectue qui n’est pas lisible comme tel dans ses
expressions puisqu’il emploi le vocabulaire et jusqu’à la syntaxe d’un
langage connu, mais il le transpose au sens où l’organiciste change la
partition qui lui est donnée quand il l’affecte d’une tonalité autre »465.
Tel est le but des leaders : « l'Addec a décidé d'utiliser des méthodes
non-violentes telles que les grèves de la faim, afin de surprendre l'État et
le forcer à négocier »466. On comprend alors que, dans un régime où
l’on sacrifie plus aux apparences, la retranscription et la manipulation
de pratiques concourant explicitement à la préservation de la paix
sociale, en plein contexte pré-électoral de 2004, constituaient une
trappe pour le pouvoir qui sut toutefois s’en dégager pour redorer son
blason, d’où son choix pour la négociation. Fait peu étonnant, car
Elderman rappelle que « Les dirigeants politiques comme tous les autres
sujets, agissent et parlent en tant que reflets des situations auxquelles ils
sont périodiquement confrontés […] car le genre de stabilité dans
l’action qui pourrait permettre de transcender les situations en mettant
en jeu des motivations politiques variables n’a jamais existé »467.
C’est dans ce cadre qu’il faut apprécier, en dépit de quelques violences
militaires enregistrées au début du mouvement, les différentes
entrevues entre leaders et ministre de l’enseignement supérieur, entre
premier ministre et leaders estudiantins et les descentes du ministre
de l’enseignement supérieur sur le campus principal de Yaoundé I. À
462
465
463
52
466
467
Michel de CERTAU, La prise de parole et autres écrits politiques, Paris, Seuil, 1994, p.
Herrick Mouafo, entretien cité.
Murray ELDERMAN, Pièces et règles…ouvr. cité
216
partir de ce moment, la présence militaire visait non plus à démontrer
l’exceptionnalité du pouvoir, dans le sens que nous lui avons trouvé au
début de ce travail, mais à encadrer la foule et à veiller simplement à
tout débordement. La civilisation du pouvoir prend des aspects plus
tangibles. La promptitude des instances judiciaires, profondément
caporalisées par le Renouveau, à rendre le verdict sur l’affaire
« université de Yaoundé I- Mouafo Djontu et compagnie » en leur
rendant la liberté, bien qu’usant du stratagème intimidant de
l’emprisonnement avec sursis, doit être prise dans ce sens. En fait, le
caractère expéditif de la procédure qui aboutit à la libération des
leaders, arrêtés en début décembre 2004 puis immédiatement
relâchés en l’espace d’une semaine, constituait un signe palpable du
pouvoir à renoncer à ses vieilles méthodes autoritaires.
L’autre versant de la civilité du régime c’est sa volonté feinte (?), à
s’asseoir sur la table des négociations afin d’examiner l’essentiel des
doléances des étudiants. Alors que durant les grèves de la décennie 90,
toute légitimité était refusée aux leaders, d’où le rejet des pourparlers
chez le pouvoir, l’ingénierie contestataire de 2004, a amené les
autorités à accepter le principe de la négociation. Sur les
revendications formulées, la mobilisation pu donc obtenir des
discussions, l’acceptation du principe de paiement en deux tranches de
la pension représentant les droits universitaires ; l’équipement, bien
que médiocre, des laboratoires et l’amélioration du service de la
restauration. C’est aussi dans ce même registre que, durant les deux
années consécutives à la grève de 2004, les doctorants purent recevoir
une allocation de recherche de 125 000 fcfa.
Toutefois, et comme toujours en politique, le listing des éléments
obtenus durant les négociations laisse voir que l’essentiel des
demandes ne reçu pas de réponse favorable immédiate. Ainsi en est-il
du désir d’une révision des modalités d’accès aux positions de recteur
et de doyen, notamment à travers une procédure électorale des
candidats à ce poste afin de barrer la route à toute politisation. De
même, dans un pays où les trafics d’influence et le marchandage, tout
comme le parrainage constitue la voie magistrale de réussite à un
concours, le mouvement estudiantin n’a pu obtenir la création d’un
observatoire indépendant des examens et concours publics.
La variation du registre contestataire estudiantin, du modèle violent
hérité des années 90, pour le paradigme de la non violence, drapé de
l’auréole de paix sociale, moteur idéologique du régime, et assumée
par des leaders bien identifiés, a participé d’une civilisation de l’Etat
pour ce qui est de ses pratiques gestionnaires des contestations. La
non violence et l’option sacrificielle de soi ont désarçonné le lexique
d’Etat incriminant qui permet souvent de stigmatiser les mobilisés et
légitimer l’emploi de la violence militaire. Ainsi, sans tomber dans le
piège de l’absolutisation de la rupture et de l’illusion d’une continuité
inébranlable468 dans la gestion, par l’Etat, des mouvements
contestataires, on peut assumer, au moins, que le répertoire d’action
engagé par les cop’s en 2005 a infléchi l’héritage autoritaire de l’Etat
en l’emmenant à marginaliser la violence physique, à dialoguer, à faire
des compromis et à céder, même partiellement, aux demandes
formulées par les mobilisés de Ngoa-Ekellé.
BIBLIOGRAPHIE
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L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AU NIGER : ENTRE LA PROMOTION DES VALEURS
“DÉMOCRATIQUES” ET HÉRITAGE DU MODE OPÉRATOIRE DES RÉGIMES
mobilisations, et des luttes pour le contrôle du Centre Nationale des
Œuvres Universitaires dans les années 2000-2007, menacé par la
privatisation.
AUTORITAIRES
Nous montrerons que dans un contexte des revendications
permanentes de paiement des bourses, le choix politique de
distribution des ressources provenant des fonds « extérieurs » au
profit de la valorisation du statut des enseignants-chercheurs
contribue, paradoxalement, à stabiliser temporairement la tension sur
le campus universitaire au lieu de l’exacerber. Cette stabilisation
s’explique également par la reprise du contrôle sur le Centre Nationale
des Œuvres Universitaire par les enseignants-chercheurs, l’un d’entre
eux devient son directeur, après un échec gouvernemental de
privatisation.
Doctorante Centre Norbert Elias/Ehess-Marseille,
Proposition de communication
A partir de début des années 2000 l’enseignement supérieur au Niger
se transforme: l’Université de Niamey, l’unique établissement
d’enseignement supérieur public important d’abord en termes de
nombre d’étudiants, mène une réforme Licence-Master-Doctorat qui
permet son intégration formelle dans le système international
d’enseignement supérieur. Son budget augmente considérablement,
les conditions de la recherche pour les enseignants s’améliorent.
Toutes ses réformes surviennent très rapidement, après presqu’une
vingtaine d’années de stagnation et s’inscrivent dans les
transformations des systèmes d’enseignement un peu partout dans le
monde, souvent dans un contexte des idées de la « nouvelle gestion
publique » 469. Cette communication a pour objectif de montrer
comment les arrangements institutionnels d’ordre macro se
transforment sur le niveau micro lorsque ces réformes épousent le
contexte national marqué depuis quelques décennies par la
contestation dans le milieu scolaire et universitaire.
Cependant, il semble qu’à long terme l’héritage des régimes militaires,
notamment, la façon de gérer les mobilisations estudiantines,
contribue de renforcer la composante policière de l’action publique
même dans un contexte « démocratique ». Nous nous inspirons ici de
l’idée de Ritta Abrahamsen (2000) qui montre sur les exemples de
Côte-d’Ivoire, Ghana, Kenya et Zambia que dans une situation de la
dépendance à l’aide extérieure les gouvernements tendent à courtiser
les bailleurs de fonds plutôt que leurs citoyens ce qui crée une
situation ironique dans laquelle la promotion de la démocratie
provoque une crise de cette même « démocratie ».
Nous partons de l’analyse des différentes phases de mobilisation
estudiantine autour de la question de la révision du montant de
l’enveloppe des bourses en janvier 2001, l’intensité de la réponse à ces
Christopher Hood était le premier à définir un idéal-type de la nouvelle gestion
publique. Hood, C. (1991), « A Public Management for all Seasons? », Public
Administration, 69 (1), 3-19.
469
219
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directeur du CNOU
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Presse nigérienne : « Le Démocrate », « l’Alternative »,
Républicain », « le Sahel Hebdo », « le Sahel Dimanche »
« Le
OLIVIER PROVINI. L’ÉTUDE DES MOUVEMENTS ÉTUDIANTS COMME GRILLE DE
LECTURE DE L’ACTION PUBLIQUE : APPRÉHENDER LE NON-CHANGEMENT PAR
L’ACTION COLLECTIVE. LE CAS DES MOUVEMENTS ÉTUDIANTS DES
UNIVERSITÉS DU BURUNDI ET DE DAR ES SALAAM
Les Afriques dans le Monde, Université de Pau et des Pays de
l'Adour470
RÉSUMÉ
A travers une comparaison entre les mouvements étudiants des
universités du Burundi et de Dar es Salaam, cette communication met
en relation les approches théoriques de la sociologie des mouvements
étudiants et de l’action publique. En s’intéressant aux réformes
universitaires, il est heuristique de souligner le rôle des mouvements
étudiants dans les processus de négociation et de non-changement.
Ou, pour le dire autrement, comment une analyse attentive de l’action
collective étudiante peut fournir une grille d’analyse pour
appréhender les processus incrémentaux et les situations de blocage.
La politique de « partage des coûts », érigée comme la matrice de la
bonne réforme par les organisations internationales, n’a pourtant pas
aboutie à l’université du Burundi et seulement de manière partielle à
l’université de Dar es Salaam. Je postule que ces deux configurations
peuvent s’expliquer par le rôle des mouvements étudiants qui
démontrent que cette réforme structure et cristallise un ensemble
Olivier Provini est doctorant en science politique à l’UPPA (Université de Pau et des
Pays de l’Adour), rattaché au centre de recherche de LAM (Les Afriques dans le
Monde) et ancien allocataire (septembre 2011-mai 2013) de recherche à l’IFRA
(Institut Français de Recherche en Afrique) basé à Nairobi. A travers une approche
comparative, ses travaux, entamés en 2010 dans le cadre de son master, portent sur la
recomposition des espaces universitaires est-africains à travers l’étude des universités
publiques de Makerere (Ouganda), de Nairobi (Kenya), de Dar es Salaam (Tanzanie) et
du Burundi (Burundi).
470
220
d’enjeux politiques autour des pratiques et des représentations au sein
de l’université.
Mots clés
Mouvements étudiants ; action publique ; sociologie de l’Etat ;
université du Burundi ; université de Dar es Salaam.
INTRODUCTION
Au moment des indépendances, les rapports entre l’Etat et l’université
publique se sont avérés complexes dans de nombreux pays du
continent. D’une part, l’université est l’un des symboles de la nouvelle
souveraineté nationale et l’une des figures tutélaires de l’émancipation
vis-à-vis de l’Etat colonial, dont la formation des élites pérennisait le
nouveau système politique. L’université était investie d’une double
mission : il s’agissait de produire une élite intellectuelle nationale
vouée à assumer le développement économique et politique du
pays471. L’université devait également se réapproprier l’histoire pré- et
coloniale en construisant les ressorts de la culture africaine et
nationale472. D’autre part, l’héritage des institutions métropolitaines
s’est greffé à l’université africaine, porteuse de l'histoire européenne
dont elle a repris certaines pratiques. La consécration des titres
universitaires dans les institutions est-africaines anglo-saxonnes en
CHARTON, Hélène et OWUOR, Samuel, « De l'intellectuel à l'expert. Les
sciences sociales africaines dans la tourmente : le cas du Kenya », Revue
Internationale d'éducation Sèvres, 2008, n° 49, p. 108-109.
471
UNESCO, « Rapport final. Réunion des ministres de l’éducation des pays
d’Afrique participant à l’exécution du plan d’Addis-Abéba », UNESCO, 26-30
mars 1962 (notamment le chapitre 2 et l’annexe 9).
472
est un exemple saillant473. Les universités africaines sont donc
porteuses d’un registre historique hybride qui associe au symbole de
l’émancipation des jeunes Etats africains une attache forte à l’ancien
empire colonial474. Mais cette articulation Etat postcolonial/université
s’est également structurée autour de rapports conflictuels. L’université
demeure l’un des symboles de la contestation politique, c’est-à-dire un
espace où se jouent les luttes mais également une institution où l’on
discute du politique et de l’action publique. Les années 1990 ont par
exemple été rythmées par de multiples interventions armées de la
police sur les campus, de nombreuses arrestations d’étudiants et de
professeurs débouchant sur des « années blanches ». Aussi, le contrôle
politique de l’université publique, par des dynamiques de cooptation,
de marchandage ou de financement souterrain, a toujours été l’un des
ressorts de la stabilité d’un régime, a fortiori en situation autoritaire.
L’objectif de ma communication est de mettre en relation les apports
théoriques de la sociologie de l’action collective et de l’action publique,
rapprochement trop souvent effectué. Dans leur célèbre ouvrage
Voir les photos dans les ouvrages des anciens vice-chanceliers des
universités de Dar es Salaam et de Nairobi, respectivement dans LUHANGA,
Matthew L., The Courage for Change. Re-Engineering the University of Dar es
Salaam, Dar es Salaam, Dar es Salaam University Press, 2009, p. 113-124 et
GICHAGA, Francis John, Surviving the Academic Arena. My Complex Journey to
the Apex, Nairobi, University of Nairobi, 2011, p. 1, 194-210 et 262-268.
473
BUGWABARI, Nicodème, CAZENAVE-PIARROT, Alain, PROVINI, Olivier et
THIBON, Christian (éd.), Universités, universitaires en Afrique de l’Est, Paris,
Karthala, 2012.
474
221
L’acteur et le système475, les sociologues Michel Crozier et Erhard
Friedberg posent pourtant une question cruciale pour l’étude des
politiques publiques et qui structure en filigrane l’articulation entre les
différents acteurs dans le processus de politiques publiques : « à
quelles conditions et au prix de quelles contraintes l’action collective,
c’est-à-dire l’action organisée, des hommes est-elle possible ? »476. Cette
question des conditions nécessaires à l’action collective interroge en
réalité l’intervention des publics dans le processus d’action publique et
permet de comprendre certains phénomènes de (non)changement, en
prenant en compte les limites de l’action collective477 et l’importance
des contraintes de mobilisation. Pour répondre à cette interrogation
des conditions et contraintes de l’action collective, Gilles Massardier
propose d’insister sur la relation entre les acteurs de l’autorité et ceux
de l’action collective en soulignant le caractère fondamental de la
nature du pouvoir politique sur les structures sociales et donc sur la
capacité de mobilisation478.
En effet, en s’intéressant aux réformes universitaires, il semble
essentiel de souligner le rôle des mouvements étudiants dans les
processus de négociation et de non-changement. Et plus exactement,
CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, L’acteur et le système. Les
contraintes de l’action collective, Paris, Seuil, 1992 (1977).
475
476
CROZIER, Michel et FRIEDBERG, Erhard, L’acteur et le système…, op. cit., p.
15.
OLSON, Mancur, Logique de l’action collective, Paris, Presses universitaires
de France, 1978.
477
MASSARDIER, Gilles, Politiques et action publiques, Paris, Armand Colin,
2003, p. 7-9.
478
comment une analyse attentive des mouvements étudiants sur les
campus peut fournir une grille d’analyse heuristique pour
appréhender les transformations universitaires ? Je défends
l’hypothèse que les mouvements étudiants dans les universités du
Burundi (UB) et de Dar es Salaam (UDSM) ont engagé des
changements limités et négociés et, qu’à ce titre, l’action collective
participe à la fabrique de l’action publique. Pour démontrer mon
hypothèse, je m’intéresse aux mouvements de contestations
étudiantes des années 1990-2000 sur les campus des universités
publiques du Burundi et de Dar es Salaam479. Je soutiens qu’il est
stimulant de comprendre ces mobilisations étudiantes à travers une
sociologie historique de l’Etat en action c’est-à-dire d’articuler la
sociologie des mouvements étudiants avec la sociologie de l’action
publique. Ce qui m’intéresse, au-delà des registres et des vecteurs de la
mobilisation, ce sont les cadres contextuels et les résultats de l’action
collective pour redéfinir les configurations de pouvoir et les rapports
de forces entre les différents acteurs de ces mobilisations. Pour
Cette communication est le résultat de mes recherches entreprises en
master et de plusieurs terrains entre 2010 et 2013. J’ai effectué deux terrains
en Tanzanie à Dar es Salaam (quatre mois) et un terrain à l’université du
Burundi (deux mois). Mes recherches doctorales ont été facilitées par une
bourse de recherche de deux ans (2011-2013) allouée par l’IFRA. Outre de
nombreuses collectes de données quantitatives, j’ai effectué 60 entretiens
semi-directifs avec différents profils d’acteurs : étudiants, enseignants,
membres du personnel administratif, responsables des associations
étudiantes et enseignantes, dirigeants politiques nationaux et régionaux. J’ai
également pu procéder à la compilation de différentes revues de presse pour
repérer et historiciser les transformations des espaces universitaires et
répertorier tout un corpus sur les mouvements étudiants entre le milieu des
années 1980 et le début des années 2010.
479
222
comprendre le rôle et le poids des mouvements étudiants dans le
policy process480, que ces transformations soient inscrites dans des
transformations impulsées par des stratégies nationales ou des
adaptations locales à un contexte singulier, je propose d’adopter une
lecture en terme d’action publique pour repérer les acteurs qui
interviennent dans les réformes universitaires en contexte de
mobilisations étudiantes.
L’analyse des politiques publiques a connu de nombreuses évolutions
et le passage d’une analyse classique des politiques publiques à une
sociologie de l’action publique a permis de repenser le rôle et les
interactions des différents acteurs qui peuvent intervenir dans le
processus de politique publique. Les politiques publiques, que l’on
peut définir comme un programme d’action négocié dans un secteur
de la société ou un espace géographique481, sont essentiellement
analysées avant les années 1990 comme l’« action des autorités
publiques »482, construites de manière linéaire où différentes phases
distinctes s’enchaînent mécaniquement. Les politiques publiques sont
alors essentiellement pensées comme étant stato-centré puisqu’il
s’agissait essentiellement de saisir les évolutions des fonctions et des
actions de l’Etat483. Progressivement et fortes de nouvelles
SABATIER Paul A. (éd.), Theories of the Policy Process, Cambridge,
Westview Press, 2007.
480
MENY, Yves et THOENIG, Jean-Claude, Politiques publiques, Paris, Presses
universitaires de France, 1989, p. 130.
481
482
MENY, Yves et THOENIG, Jean-Claude, Politiques publiques, op. cit., p. 30.
THOENIG, Jean-Claude, « Politiques publiques et action publique », Revue
internationale de politique comparée, 1998, vol. 5, n° 2, p. 298.
483
reconfigurations, de nouveaux cadres d’interprétation apparaissent et
mettent l’accent sur le caractère moins hiérarchisé et de la perte de
capacité de l’action autonome de l’Etat484. Je situe ma réflexion
théorique au sein d’une approche en terme de sociologie de l’action
publique pour mieux souligner « le poids accordé aux interactions
d’acteurs au sein de l’analyse des politiques publiques […]. La sociologie
politique de l’action publique repose sur l’analyse contextualisée
d’interactions d’acteurs multiples et enchevêtrés à plusieurs niveaux […],
permettant de penser les transformations des Etats contemporains »485.
L’objectif théorique est donc de construire une analyse contextualisée
des interactions entre les acteurs étudiants, administratifs et
gouvernementaux pour souligner les jeux de pouvoir qui s’articulent à
différents niveaux (département, administration, université, Etat).
Cette approche considère donc l’action publique comme une
construction collective structurée par des acteurs en constantes
interactions et négociations.
Pour démontrer comment la sociologie des mouvements étudiants est
une grille de lecture heuristique pour appréhender les réformes
universitaires, que ce soit dans des processus incrémentaux486 et des
HASSENTEUFEL, Patrick, Sociologie politique : l’action publique, Paris,
Armand Colin, 2011 (2ème édition), p. 289.
484
485
HASSENTEUFEL, Patrick, Sociologie politique …, op. cit., p. 25.
La notion d’incrémentalisme a été développée par Charles E. Lindblom en
réponse aux modèles de la rationalité. Il insiste sur l’idée que les décisions
politiques provoquent des transformations purement marginales des
politiques publiques qui évoluent le plus souvent de manière graduelle et par
un mécanisme de « petits pas ». LINDBLOM, Charles E., « The Science of
Muddling Through », Public Administration Review, 1959, vol. 19, n° 2, p. 79486
223
situations de blocage, je m’appuie sur deux études de cas comparés.
Cette démarche permet de me détacher de la singularité des processus
et spécificités domestiques pour identifier le rôle spécifique de chaque
mouvement étudiant dans les transformations qui ont rythmé les
universités en Afrique de l’Est487. L’intérêt majeur de la comparaison
réside dans sa capacité à isoler des variables explicatives, pour
appréhender les dynamiques similaires ou différentielles, et d’en
évaluer le poids respectif488. Cette stratégie de recherche s’inscrit plus
généralement dans la multiplication des travaux comparatifs en
science politique où de nombreux manuels et méthodologies ont été
développés489.
88 ; LINDBLOM, Charles E., « Still Muddling Through », Public Administration
Review, 1979, vol. 39, n° 6, p. 517-526. Voir également BAILEY, John et
O’CONNOR, Robert, « Operationalizing Incrementalism : Measuring the
Muddle », Public Administration Review, 1975, vol. 35, n° 1, p. 60-66 et
JONSSON, Alexandra, « Incrémentalisme. L’incrémentalisme ou la mise en
lumière des changements à petits pas » in BOUSSAGUET, Laurie, JACQUOT,
Sophie et RAVINET, Pauline, Dictionnaire des politiques publiques, Paris,
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BALSVIK, Randi Ronning, « Student protest. University and State in Africa
1960-1995 », Forum for Development Studies, 1998, no 2, p. 305.
487
PASQUIER, Romain, « Comparer les espaces régionaux : stratégie de
recherche et mise à distance du nationalisme méthodologique », Revue
internationale de politique comparée, 2012, vol. 19, n° 2, p. 58.
488
SEILER, Daniel-Louis, La méthode comparative en science politique, Paris,
Armand Colin, 2004 et LALLEMENT, Michel et SPURK, Jan (dir.), Stratégies de
la comparaison internationale, Paris, CNRS, 2003.
489
J’ai choisi de m’intéresser aux mouvements étudiants entre les années
1990-2000 car ils correspondent à la période d’une
marchandisation progressive de l’enseignement supérieur sur le
continent490. Cette dynamique a été stimulée par la politique de
AKKARI, Abdeljalil et PAYET, Jean-Paul (éd.), Transformations des systèmes
éducatifs dans les pays du Sud. Entre globalisation et diversification, Bruxelles,
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en Afrique subsaharienne », Working paper, UNESCO, 1993 et ZELEZA, Paul
Tiyambe et OLUKOSHI, Adebayo (éd.), African Universities in the Twenty-First
490
224
« partage des coûts » qui a été érigée comme la matrice de la bonne
réforme par les organisations internationales, les bailleurs et leurs
relais491. Cette politique qui consiste à mettre en place des frais
d’inscriptions payables par les étudiants492 n’a néanmoins pas aboutie
à l’université du Burundi et seulement de manière partielle à
l’université de Dar es Salaam. Les organisations internationales et les
bailleurs étaient pourtant a priori en position favorable pour orienter
et recommander, sous forme de conditionnalités493, les politiques
éducatives des Etats. Je postule que ces deux configurations peuvent
s’expliquer par le rôle des mouvements étudiants qui démontrent que
cette réforme structure et cristallise un ensemble d’enjeux politiques
autour des pratiques et des représentations au sein de l’université. Les
policy-makers doivent composer avec une histoire politique et sociale
singulière et un tissu d’acteurs qui sont autant de contraintes à
l’application de recommandations extérieures494. Les réformes
Voir une synthèse dans WILLIAMS, Gavin, « Les contradictions de la
Banque mondiale et la crise de l’Etat en Afrique », in TERRAY, Emmanuel
(dir.), L’Etat contemporain en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 359-382.
493
Century. Volume I : Liberalisation and Internationalisation, Sénégal, CODESRIA,
2004.
Voir par exemple les différents rapports de la Banque mondiale :
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Contribution of Economic Thinking to Debate and Policy Development »,
Working paper, The World Bank, 2007.
491
Cette politique consiste plus exactement à faire participer partiellement ou
intégralement financièrement les étudiants par l’instauration de frais
d’inscriptions. Les étudiants peuvent trouver des financements avec l’aide de
leurs parents, famille, par un emploi subsidiaire ou encore un mécène. Cette
pratique s’est notamment développée par l’instauration de cours du soir
destiné aux étudiants salariés.
492
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circulatoire. Retour sur un leitmotiv académique », Critique internationale,
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494
225
universitaires sont le résultat de processus de négociations, de
« compromis »495 et de médiations.
L’UNIVERSITÉ DU BURUNDI : EXPLIQUER LE NON -CHANGEMENT PAR LA
attentive du budget de l’université montre que l’Etat est très
majoritairement le principal bailleur de l’UB, très loin par exemple des
modèles privatisés des universités de Nairobi et de Makerere499.
MOBILISATION DES ÉTUDIANTS ET LES CONFIGURATIONS DE POUVOIR
« Le secteur de l’enseignement supérieur c’est plutôt une merde.
Une merde de grèves systématiques, de coûts énormes »
Un ancien ministre de l’enseignement supérieur
et de la recherche scientifique496
L’Université du Burundi (UB) est un cas très singulier dans la région497
et sur le continent pour deux raisons concomitantes : le gouvernement
finance la très grande majorité du budget de l’université et la quasitotalité des étudiants par le versement d’une bourse498. Une étude
NAY, Olivier et SMITH, Andy (dir.), Le gouvernement du compromis.
Courtiers et généralistes dans l’action publique, Paris, Economica, 2002.
495
496
Entretien réalisé le 9 mars 2013 à Bujumbura.
MARCUCCI, Pamela, JOHNSTONE, D. Bruce et NGOLOVOI, Mary, « Higher
Educational Cost-Sharing, Dual-Track Tuition Fees and Higher Educational
Access : The East African Experience », Peabody Journal of Education, 2008,
vol. 83, n° 1, p. 101-116.
497
L’étudiant peut néanmoins perdre sa bourse si il redouble deux années
d’un même cycle. Les étudiants internes, qui possèdent un logement
universitaire et peuvent se restaurer gratuitement, reçoivent une bourse de 9
000 Fbu (Francs burundais) par mois (soit environ 6 US$) alors que les
étudiants externes reçoivent une bourse de 31 000 Fbu par mois (soit environ
20 US$). 18 500 étudiants des universités publiques et privées, dont le
nombre fortement augmenté depuis l'élection du président Pierre
Nkurunziza en 2005, ont bénéficié de cette bourse en 2013. Or, à Bujumbura,
498
une chambre dans les quartiers populaires (Bwiza, Buyenzi, Kamenge…) est
louée à partir de 50 000 Fbu. Les étudiants doivent donc s’y entasser pour se
loger. Beaucoup d’étudiants sont mêmes serveurs dans différents bars de la
capitale, vigiles ou aident les enfants à faire leurs devoirs à domicile pour
subvenir à leurs besoins. NDABASHINZE, Rénovat, « Bourses des étudiants : la
reculade du ministère de l’Enseignement supérieur ? », Iwacu, 9 janvier 2014,
http://www.iwacu-burundi.org/bourses-des-etudiants-ministere-rassurant/,
consulté
le
09/01/2014 ;
http://www.bbc.co.uk/afrique/region/2014/03/140314_burundi_universite
_fermees.shtml, consulté le 15/03/2014 et HAKIZIMANA, Dieudonné, « Le
recteur de l’Université du Burundi : « Les étudiants doivent faire une
compétition » »,
Iwacu,
19
mars
2014,
http://www.iwacuburundi.org/recteur-de-universite-burundi-les-etudiants-doivent-faire-unecompetition/.
CHARTON, Hélène et OWUOR, Samuel, « De l'intellectuel à l'expert …, op.
cit. ; MAUPEU, Hervé, « Les réformes néolibérales des universités estafricaines : éléments d’analyses à partir du cas kenyan », in BUGWABARI,
Nicodème, CAZENAVE-PIARROT, Alain, PROVINI, Olivier et THIBON, Christian
(éd.), Universités, universitaires …, op. cit., p. 195-211 et COURT, David,
Financing Higher Education in Africa : Makerere, the Quiet Revolution, Banque
mondiale et fondation Rockefeller, 1999.
499
226
Budget de l’université du Burundi (1994-2012)500
Montant
Revenus
alloué par
générés
Budget de
le
par
l'université
gouvernem l'universit
(US $)
ent (US $)
é (US $)
2004
2 479 265
300 264
2 779 529
89
Part du budget
alloué par le
gouvernement
dans le budget
global de
l'université (%)
2005
2 620 347
130 995
2 751 342
95
2006
3 265 378
473 606
3 738 984
87
2007
4 309 833
491 596
4 801 429
90
2008
4 897 823
428 523
5 326 346
92
1994
3 769 075
223 728
3 992 803
94
2009
5 766 870
377 558
6 144 428
94
1995
3 935 546 1 145 842
5 081 388
77
2010
8 557 065
300 654
8 857 719
97
1996
3 267 385
885 177
4 152 562
79
2011
7 796 836
538 407
8 335 243
94
1997
3 057 423
203 163
3 260 587
94
2012 13 521 021
101 379 13 622 400
99
1998
2 812 924
55 789
2 868 713
98
1999
2 417 221
497 662
2 914 882
83
2000
2 424 288
285 298
2 709 586
89
2001
2 054 649
297 409
2 352 057
87
2002
2 317 131
261 445
2 578 576
90
2003
2 032 889
75 062
2 107 951
96
Hors budget de la Régie des Œuvres Universitaires (ROU). Données récoltés via le
Bureau de la planification et des statistiques, université du Burundi, 2013 et
MUGABONIHERA, Rénovat, « La problématique du financement de l’enseignement
supérieur au Burundi », mémoire de licence de sciences économiques et
administratives option économie politique, université du Burundi, avril 2000, p. 59.
500
L’UB est encore aujourd’hui la seule université publique du pays, fait
unique en Afrique de l’Est, renforçant son singularisme. Alors que la
littérature scientifique sur les transformations universitaires adopte
généralement une lecture qui se concentre sur les dynamiques de
privatisation de l’enseignement supérieur, suggérant un retrait
croissant du rôle de l’Etat, le cas burundais contraint à s’orienter
plutôt sur les configurations de pouvoir qui structurent cette
singularité. Cette « anomalie budgétaire » est un point de départ
intéressant pour questionner les rapports entre la mobilisation des
étudiants et l’action publique. Comme expliquer que cette réforme du
financement de l’université, et plus particulièrement la révision du
227
système de bourse, n’a jamais abouti au Burundi501, à contrario des
autres universités de la région et du continent, malgré la pression des
bailleurs et des organisations internationales502 ? D’un point de vue
théorique, comment explique-t-on cette absence de réforme, ce nonchangement503 ? Je propose d’expliquer cette spécificité burundaise à
travers l’instrumentalisation politique de la jeunesse qui a entrainée
progressivement une instrumentalisation de la politique par la
jeunesse.
Mouvements étudiants et non-changement : l’exemple de l’épisode du
réaménagement du versement de la bourse en 2014
Le projet de loi budgétaire 2014, adopté par le Parlement, prévoit un
réaménagement de l’attribution de la bourse et sa suppression
Cette réforme du statut de la bourse a pourtant été plusieurs fois évoquée
au Burundi, notamment sous la 2ème république (1976-1987) où un système
de prêt avait été envisagé.
501
Un dernier rapport de la Banque mondiale suggère par exemple au
gouvernement burundais de réduire fortement le poids de sa masse salariale
dans son budget pour améliorer le recouvrement des recettes. BANQUE
MONDIALE, « Revue des dépenses publiques du Burundi. Renforcer
l’efficacité des pouvoirs publics : le rôle de la politique budgétaire », Working
paper, Poverty Reducation and Economic Management Network/Great Lakes
Unit, 2013 et NKENGURUTSE, Nadine, « Banque mondiale : Les salaires
prennent 60% des recettes internes du budget national », Iwacu, 21 décembre
2013,
http://www.iwacu-burundi.org/rapport-banque-mondiale-salairesbudget-burundi/, consulté le 24/12/2013.
progressive. Le 2 janvier 2014, Vénant Ndimurirwo, porte-parole du
ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique,
affirme que « le Burundi est un des rares pays pauvres qui continuent à
donner cette bourse à ses étudiants. Ceux-ci, ainsi que leurs parents,
doivent savoir que ce ne sera bientôt plus le cas et se préparer en
conséquence » 504. Le 14 janvier 2014, un décret présidentiel est adopté
en ce sens. La situation reste confuse sur le campus mais les activités
enseignantes ne sont pas perturbées. Le 28 février, le ministre de
l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique confirme que
les futurs étudiants boursiers seront désormais de trois catégories : les
étudiants qui recevront la bourse classique, les étudiants qui seront
gratuitement inscrits sans appui supplémentaire et les lauréats qui
recevront un faible appui financier mais qui devront payer les frais
d’inscription505. Le 12 mars 2014, les étudiants des universités publics
et privées entament une grève illimitée pour protester contre cette
réforme qui change les conditions d’octroi de la bourse. D’après ces
étudiants, accepter cette décision du gouvernement, « ce serait
502
FONTAINE, Joseph et HASSENTEUFEL, Patrick (dir.), To Change or not to
Change ? Les changements de l’action publique à l’épreuve du terrain, Rennes,
Presses universitaires de Rennes, 2002.
503
NKENGURUTSE, Nadine et SAHABO, Nadine, « Bientôt, les étudiants
n’auront plus de bourse », Iwacu, 2 janvier 2014, http://www.iwacuburundi.org/bientot-plus-de-bourse-pour-etudiants-budget/, consulté le
04/01/2014.
504
SAHABO, Nadine, « Université du Burundi : seuls les méritants seront
boursiers », Iwacu, 4 mars 2014, http://www.iwacu-burundi.org/universiteburundi-meritants-bourse/, consulté le 15/03/2014 et NKURUNZIZA, Lyse,
HAKIZIMANA, Dieudonné, NDABASHINZE, Rénovat et NGENDAKUMANA,
Philippe, « Réorganisation de l’octroi de la bourse : les étudiants rejettent la
décision »,
Iwacu,
25
mars
2014,
http://www.iwacuburundi.org/reorganisation-de-loctroi-de-la-bourse-les-etudiants-rejettentla-decision/, consulté le 30/03/2014.
505
228
condamner les nouveaux étudiants […] à vivre une vie de chien »506.
La réponse du ministre de l’enseignement supérieur est radicale : via
une ordonnance signée entre la nuit du 13 et 14 mars, il ferme les
universités publiques, annule l’année académique en cours, exclu
pour deux ans les représentants des étudiants et donne deux semaines
aux étudiants pour se faire réinscrire, moyennant la signature d’un
acte d’engagement à arrêter leur grève et à ne plus rien revendiquer.
Le gouvernement a décidé de « trancher dans le vif, pour casser tout de
suite ce mouvement de grève », explique un haut cadre du ministère de
l'enseignement supérieur507. Après deux semaines, le ministre fait le
bilan de cette campagne de réinscription : 650 étudiants sur 17 000
ont repris le chemin des amphithéâtres508. Le bras de fer entamé par le
gouvernement avec les étudiants autour de la question du niveau des
bourses n’est pas concluant : les étudiants maintiennent leur grève,
malgré l’ultimatum lancé par le ministre. Joseph Butore, ministre
burundais de l’enseignement supérieur, décide de leur accorder un
premier délai supplémentaire de cinq jours pour cette campagne de
NKURUNZIZA, Lyse, HAKIZIMANA, Dieudonné, NDABASHINZE, Rénovat et
NGENDAKUMANA, Philippe, « Réorganisation de l’octroi de la bourse …, op.
cit.
506
507
http://www.bbc.co.uk/afrique/region/2014/03/140314_burundi_universite
_fermees.shtml, consulté le 15/03/2014.
NKURUNZIZA, Lyse, « Université du Burundi : les étudiants refusent de
reprendre le chemin des auditoires », Iwacu, 25 mars 2014,
http://www.iwacu-burundi.org/universite-du-burundi-etudiants-refusentreprendre-le-chemin-des-auditoires/, consulté le 30/03/214.
508
réinscription509. Une semaine après l’expiration de l’ultimatum, le vicerecteur de l’université, Paul Banderembako, affirme : « nous sommes
conscients que les étudiants n’ont pas répondu à l’appel. Alors qu’est-ce
qui va se passer ? Il est assez difficile de négocier avec quelqu’un que
vous ne voyez pas. Il faut absolument que, d’abord, les étudiants
regagnent le chemin des amphithéâtres »510. Le ministre de
l’enseignement supérieur décide de prolonger, pour la deuxième
fois511, le délai de réinscription jusqu’au 11 avril512, puis une troisième
http://www.rfi.fr/afrique/20140325-burundi-etudiants-cedent-pasdemandes-gouvernement/, consulté le 30/03/2014.
509
http://www.afrik.com/greve-au-burundi-les-etudiants-tiennent-tete-augouvernement, consulté le 05/04/2014.
510
Un deuxième délai supplémentaire avait été fixé au 1 er avril.
NDABASHINZE, Rénovat, « Enseignement supérieur public : prolongation de
la période de réinscription des étudiants », Iwacu, 28 mars 2014,
http://www.iwacu-burundi.org/enseignement-superieur-publicprolongation-de-la-periode-de-reinscription-des-etudiants/,
consulté
le
13/04/2014.
511
Des étudiants proches du pouvoir auraient même été menacé pour se
réinscrire. Le gouverneur et le président du parti Cndd-Fdd en province
Cankuzo ont organisé une réunion le 23 mars, à l’intention des étudiants en
grève des universités publiques. Un étudiant de l’université du Burundi,
originaire de la province Cankuzo, affirme : « je suis un Imbonerakure mais je
ne peux pas cautionner ça. Notre question est nationale, ce n’est pas seulement
une affaire du parti Cndd-Fdd […]. Je ne comprends pas l’attitude du parti CnddFdd qui veut nous obliger à nous réinscrire par force. Ils nous ont menacé en
nous informant que des mesures sévères vont être prises à l’endroit des
récalcitrants […]. Certains [étudiants] commencent à recevoir des menaces par
coups de fil ». MANIRAKIZA, Fabrice, « Les étudiants de l’UB de Cankuzo se
512
229
fois jusqu’au 25 avril513. Le 14 avril, deux partenaires belges de la
coopération universitaire (Académie de Recherche et d’Enseignement
Supérieur et Flemish Interuniversity council) suspendent leurs
accords avec l’UB jusqu’à la réouverture officielle des activités au sein
de l’UB et de l’ENS514. Le deuxième vice-président burundais, Gervais
Rufyikiri, prend le dossier en main le 15 avril en rencontrant
l’ensemble des intervenants du secteur pendant cinq heures. Aucun
communiqué n’a été publié à la fin des discussions, mais cette
intervention est un signe que « le gouvernement burundais [est]
désormais prêt à lâcher du lest »515. Le 16 avril le président de la
République, « en réponse aux doléances que les étudiants lui ont
adressées en demandant de prendre en main lui-même la question »516
annule les mesures de révision d’attribution de la bourse dans
disent menacés, l’administration dément », Iwacu, 26 mars 2014,
http://www.iwacu-burundi.org/etudiants-ub-se-disent-menaces-a-cankuzoadministration-dement/, consulté le 30/03/2014.
http://www.afriquinfos.com/articles/2014/4/15/burundi-etudiants-lublens-refusent-faire-reinscrire-251330.asp, consulté le 16/04/2014.
513
http://fr.igihe.com/education-culture/education/deux-institutionsbelges-ont-suspendu-leurs.html, consulté le 17/04/2014.
514
http://www.rfi.fr/afrique/20140415-burundi-le-conflit-entre-legouvernement-etudiants-s-enlise/, consulté le 16/04/2014.
515
MBAZUMUTIMA, Abbas, « Attribution de la bourse universitaire : le
président Nkurunziza annule les décisions ministérielles », Iwacu, 17 avril
2014,
http://www.iwacu-burundi.org/attribution-de-la-bourseuniversitaire-le-president-nkurunziza-annule-les-decisions-ministerielles/,
consulté le 17/04/2014.
l’enseignement supérieur. Les cinq étudiants exclus à l’UB sont
réintégrés dans l’institution. Pourtant les étudiants ne retournent pas
sur les campus de l’UB517. Le 18 avril les leaders étudiants affirment
que la totalité de leurs revendications n’a pas été respectée et
notamment l’article 24 du décret présidentiel qui stipule que le
redoublant n’aura plus droit à la bourse : « si on veut qu’on reprenne les
études, il faut abroger cet article. Ainsi, nous continuerons à dialoguer
pour d’autres doléances »518. Le 1er mai 2014, le chef de l’Etat lance un
message aux étudiants pour qu’ils reprennent le chemin des
auditoires : « nous profitons de cette fête [internationale du travail]
pour faire un clin d’œil aux étudiants en grève. Nous leur sollicitons de
faire un pas en avant, de regagner les auditoires pour que nous puissions
débattre de toutes les questions encore en suspens tout en étant dans les
campus en train d'étudier »519. Le 6 mai 2014, les étudiants des
NGENDAKUMANA, Philippe, « Les étudiants boudent toujours les
campus », Iwacu, 23 avril 2014, http://www.iwacu-burundi.org/lesetudiants-boudent-toujours-les-campus/, consulté le 26/04/2014 et
http://www.rfi.fr/afrique/20140423-burundi-etudiants-desertent-toujoursuniversites/, consulté le 23/04/2014.
517
NKURUNZIZA, Lyse, « universités publiques du Burundi : la crise est loin
d’être
finie »,
Iwacu,
18
avril
2014,
http://www.iwacuburundi.org/universites-publiques-du-burundi-la-crise-est-loin-detre-finie/,
consulté le 22/04/2014.
518
516
http://www.afriquinfos.com/articles/2014/5/2/burundi-gouvernementappelle-etudiants-greve-reprendre-cours-252292.asp,
consulté
le
06/05/2014 et IWACU, « Grève des étudiants : le président Nkurunziza
réitère l’appel pour la reprise des cours », Iwacu, 2 mai 2014,
http://www.iwacu-burundi.org/greve-des-etudiants-le-president519
230
universités publiques du Burundi reprennent finalement le chemin des
cours, près de deux mois (12 mars-6 mai) après le lancement de la
grève : « nous proclamons la fin de notre grève et la reprise des cours
dès aujourd'hui […] car nous avons eu satisfaction sur certaines de nos
revendications »520, a déclaré à la presse Arsène Arakaza, un des
leaders étudiants. Ils resteront néanmoins attentifs à l'annulation du
décret présidentiel, au versement de leur bourse des mois d'avril et de
mai 2014 et à la mise en application des recommandations faites lors
des dernières rencontres. « Faute de cela, nous pouvons retourner en
grève », a averti Omer Nahimana, un leader étudiant521.
Cet épisode symbolise le rapport de force qui s’instaure en faveur des
étudiants à l’encontre du rectorat et du gouvernement. Mais le poids
des mouvements étudiants et son succès ne doivent pas se lire
uniquement dans la capacité des étudiants à se mobiliser sur une
longue période. Il faut comprendre que les étudiants à l’UB constituent
nkurunziza-reitere-lappel-pour-la-reprise-des-cours/,
02/05/2014.
consulté
Jeunesse et politique : une instrumentalisation à double sens
Cette réforme du mode de fonctionnement de la bourse est une
mesure très impopulaire chez les étudiants et une crainte pour le
gouvernement au pouvoir depuis 2005 de se voir déstabiliser. Il paraît
difficile pour le gouvernement actuel du CNDD-FDD (Conseil National
pour la Défense de la Démocratie-Forces de Défense de la Démocratie),
issu de la rébellion, de réformer cette spécificité burundaise, alors que
les étudiants sont un relais important du pouvoir et de sa légitimité.
Depuis l’alternance politique en 2005 et la victoire de l’ancien leader
le
520
http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20140507.AFP6575/burundiles-etudiants-reprennent-les-cours-apres-deux-mois-de-greve.html, consulté
le 10/05/2014 et NIGIRIMANA, Christian, « Les étudiants de l’Université du
Burundi et de l’ENS suspendent la grève », Iwacu, 6 mai 2014,
http://www.iwacu-burundi.org/greve-a-luniversite-du-burundi-et-a-lensles-professeurs-appellent-les-etudiants-a-regagner-les-auditoires/, consulté
le 06/05/2014.
http://www.afriquinfos.com/articles/2014/5/6/burundi-etudiantsuniversites-publiques-suspendent-leur-greve-252478.asp,
consulté
le
06/05/2014.
521
une force politique en négociation avec le pouvoir mais également une
force de soutien pour la majorité gouvernementale. Plus largement,
cette configuration provient de l’instrumentalisation politique de la
jeunesse qui a entrainée progressivement une instrumentalisation de
la politique par la jeunesse522.
Lors de cette grève, la gouvernance étudiante a évolué fin avril. Certains
leaders étaient en effet accusés de travailler pour les intérêts du
gouvernement et de l’administration de l’université en exigeant des étudiants
qu’ils regagnent les campus alors que les négociations n’avaient pas abouties.
David Muhayimana, membre de la nouvelle équipe, déclarait ainsi qu’« après
leur appel aux étudiants de regagner les auditoires, le constat a été qu’ils ne
travaillent plus pour notre intérêt ». Arsène Arakaza, leader de l’ancienne
équipe, précisait que trois étudiants de l’ancienne équipe étaient en effet
proche du gouvernement : « Ils étaient pour les intérêts de l’Etat au détriment
des étudiants qu’ils étaient censés représenter ». NDABASHINZE, Rénovat, « UB
& ENS : cacophonie dans la représentation des étudiants », Iwacu, 3 mai 2014,
http://www.iwacu-burundi.org/ub-ens-une-cacophonie-dans-larepresentation-des-etudiants/, consulté le 06/05/2014.
522
231
rebelle hutu Pierre Nkurunziza523, le CNDD-FDD a tenté de modifier
l’image d’une université affiliée à l’élite tutsi524 et a encouragé la
massification de l’enseignement supérieur où, pour des raisons
démographiques, les étudiants sont désormais majoritairement hutu.
L’université avait en 2005 un peu plus de 8 000 étudiants alors qu’elle
CURTIS, Devon, « The International Peacebuilding Paradox : Power
Sharing and Post-Conflict Governance in Burundi », African Affairs, 2013, vol.
112, n° 146, p. 72-91 ; LEMARCHAND, René, « Consociationalism and
Powersharing in Africa : Rwanda, Burundi, and the Democratic Republic of
the Congo », African Affairs, 2007, vol. 106, n° 422, p. 1-20 ; NAKIMANA,
Liberate et MUNTUNUTWIWE, Jean-Salathiel, « Situations socio-politique du
Burundi, 10 ans après la signature de l’accord d’Arusha : quelles
perspectives ? », Observatoire des Grands Lacs en Afrique, 2012, n° 4 ;
REYNTJENS, Filip, « Briefing : Burundi : a Peaceful Transition After a Decade
of Civil War ? », African Affairs, 2006, vol. 105, n° 418, p. 117-135 ;
VANDEGINSTE, Stef, « Power-Sharing as a Fragile Safety Valve in Times of
Electoral Turmoil : the Costs and Benefits of Burundi’s 2010 Elections »,
Journal of Modern African Studies, 2011, vol. 49, n° 2, p. 315-335.
523
Les accords d’Arusha signés le 28 août 2000, qui prévoient un équilibre
ethnique des dirigeants politiques, s’appliquent à l’université dans l’octroie
des postes administratifs et enseignants. Par exemple, la procédure du choix
du doyen pour un département organise une compétition entre trois
candidats. Mais le vote des enseignants est seulement consultatifs puisque
c’est l’administration centrale qui détient l’attribution finale du poste en
veillant à cet équilibrage : « le conseil d’administration se garde la latitude de
désigner qui sera doyen à partir de ces trois noms, sans considération des votes,
mais en considération ethnique et régionale. Pour dire, on commence à politiser
l’université. Donc tu peux avoir une seule voix sur cinquante mais, parce que
vous êtes hutu, on va vous élire ». Un maitre de conférence en science politique,
entretien réalisé le 25 février 2013 à Bujumbura.
524
en attendait environ 18 000 pour la nouvelle année universitaire525.
Les étudiants ont conscience d’être désormais en position de force
pour entretenir le statut quo de la bourse étudiante, comme me
l’expliquait un maitre de conférence en géographie : « Une fois en
classe j’ai abordé la question […]. J’ai dit […] « Alors chers étudiants, estce que vous savez que la bourse n’a pas une longue vie devant elles ? ». Ils
ont répondu « Non, non, non on doit continuer à la payer ». J’ai demandé
« Pourquoi ? Vous vous rendez compte que l’Etat n’a plus les moyens de
le faire ». Ils ont dit « Non, l’Etat va toujours chercher les moyens parce
que nous sommes une force politique très importante ». Ils disent qu’ils
vont toujours faire en sorte que la bourse soit la. « Parce qu’imaginez, si
on coupe la bourse, qui va faire l’université ? Seule les enfants des gens
qui sont dans la capitale ». Ce qui est vrai. Alors le gouvernement, peut-il
prendre ce risque de faire de l’enseignement uniquement pour les
enfants des riches ? Les étudiants disent « Non, il ne le prendra pas.
Parce que la force politique c’est nous, ce ne sont pas les centaines de
gens qui sont dans la capitale ». Ils ont cette conviction qu’on ne pourra
jamais coupé cette bourse, qu’on ne pourra jamais arrêté ce système,
Bureau de la planification et des statistiques, université du Burundi, 2013 ;
MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA CULTURE et PROJET
D’APPUI AU RENFORCEMENT DE L’ENSEIGENEMENT SUPERIEUR, Etudes
préparatoires à la mission d’audit de l’enseignement supérieur au Burundi.
Etude sur l’université du Burundi, Bujumbura, février 2008, p. 15 ;
MUGABONIHERA, Rénovat, « La problématique du financement de
l’enseignement supérieur au Burundi », mémoire de licence de sciences
économiques et administratives option économie politique, université du
Burundi, avril 2000, p. 22 et NDABASHINZE, Rénovat, « Les étudiants
appellent la CNIDH à la rescousse sur la question de la bourse », Iwacu, 1er
avril
2014,
http://www.iwacu-burundi.org/universite-burundi-ensetudiants-appellent-cnidh-bourse/, consulté le 05/04/2014.
525
232
qu’on ne pourra pas faire comme les pays voisins. Les étudiants le savent.
Ils sont au courant de ces politiques voisines, ils sont informés. Mais ils ne
veulent pas y croire. Bref les politiques n’osent pas vraiment l’aborder,
on ne sait pas comment l’aborder, parce que c’est une décision politique
avant tout. Ce n’est pas vraiment une question économique, cette bourse
est d’abord avant tout une question politique »526.
Ces enjeux de financement structurent plus largement tout un
ensemble de lutte d’influence autour de la jeunesse entre les
principales forces politiques du pays. Par exemple la massification de
l’enseignement supérieur est très critiquée par les partis d’opposition.
Cette dynamique d’expansion des effectifs est présentée comme une
décision essentiellement électorale. Comme l’affirme Charles Nditije,
un des leaders du parti d’opposition de l’Uprona, « il est insensé que le
gouvernement ait osé retenir plus de 18 000 lauréats pour l’année
prochaine à l’université du Burundi, alors que durant les autres années,
les effectifs variaient entre 6 000 et 8 000 étudiants. Pire encore, le
gouvernement n’a pas prévu de budget pour eux […]. Le parti CNDD-FDD
veut ouvrir les portes à un grand nombre de lauréats pour la campagne
électorale de 2015 »527. Cette compétition politique des étudiants s’est
structurée autour d’une fracture ethnique qui fait désormais partie
intégrante de l’atmosphère politique à l’université. Elle se matérialise
par des socialisations via l’établissement d’organisations de la société
civile : de nombreux étudiants tutsi ont par exemple adhérer à la
526
Entretien réalisé le 15 février 2013 à Bujumbura.
NDABASHINZE, Rénovat, « Les étudiants appellent la CNIDH à la rescousse
sur la question de la bourse », Iwacu, 1er avril 2014, http://www.iwacuburundi.org/universite-burundi-ens-etudiants-appellent-cnidh-bourse/,
consulté le 05/04/2014.
527
Solidarité Jeunesse pour la Défense des Minorités (SOJEDEM) alors
que de nombreux étudiants hutu se sont rapprochés du parti
Sahwanya FRODEBU (Front pour la Démocratie du Burundi). Ces
dernières années l’UB est également marquée par des affrontements
entre les jeunesses Imbonerakure, favorables au gouvernement
actuel528, et les jeunesses des partis d’opposition, notamment de l’ADCIkibiri (Alliance des démocrates pour le changement)529. Par exemple,
En avril 2014, les Nations unies ont fait circuler l’information faisant état
d’un armement et d'un entrainement de la jeunesse du CNDD-FDD. Des
armes, des machettes et des uniformes auraient été distribués en janvier et en
février. C'est le sous-secrétaire général chargé des affaires politiques, Jeffrey
Feltman, qui a informé le Conseil de sécurité, le 8 avril, évoquant des rapports
récents faisant état de « l'armement et de l'entrainement de la jeunesse du
parti au pouvoir, Imbonerakure ». L'ONU s'inquiétait également de la diffusion
de messages à la radio, appelant la population à se tenir « prête ». Le porteparole, Willy Nyamitwe, adjoint du président a démenti ces accusations : «
c’est faux et archi faux. Le pouvoir de Bujumbura ne peut pas cautionner une
distribution d’armes dans le pays parce que l’heure est au désarmement et il y a
environ 100 000 armes qui ont été récupérées de la population. Et la population
les remet par sa propre volonté. On ne peut pas, en même temps, retirer les
armes de la population civile et, par une autre porte, les renvoyer à la
population. Cela n’est pas possible ». http://www.rfi.fr/afrique/20140410burundi-onu-possibles-livraisons-armes-jeunesse-parti-pouvoir-cndd-fdd/,
consulté le 12/04/2014 ; IWACU, « Nkurunziza : « Il n’y aura pas de
référendum et il n’y a pas de distributions d’armes », Iwacu, 9 avril 2014,
http://www.iwacu-burundi.org/nkurunziza-il-ny-aura-pas-de-referendumet-il-ny-a-pas-de-distributions-darmes/, consulté le 12/04/2014 et
http://www.rfi.fr/afrique/20140420-burundi-pierre-nkurunziza-rencontrejeunes-imbonerakure/, consulté le 22/04/2014.
528
HUMAN RIGHTS WATCH, « Pursuit of Power : Political Violence and
Repression in Burundi », Working paper, 2009 et HUMAN RIGHTS WATCH,
529
233
pendant le mouvement de grève de juillet 2013, qui avait trait à un
retard dans le versement de la bourse, certains affrontements se sont
déroulés530.
Ces mouvements, affiliés et instrumentés par les partis politiques,
soulignent le chevauchement des logiques politiques et ethniques531 et
génèrent des divisions au sein de l’association étudiante FER532,
comme lors de la dernière élection des responsables étudiants533.
Cette fracture au sein des campus de l’UB provient d’un long processus
d’instrumentalisation et d’encadrement de la jeunesse entamé sous la
première république (1966-1976) et la création de la Jeunesse
Révolutionnaire Rwagasore (JRR) qui s’est cristallisé au début des
années 1990. Avec le multipartisme, l’ensemble des nouvelles
formations politiques a investit l’UB pour y construire des relais
« You Will Not Have Peace While You Are Living : the Escalation of Political
Violence in Burundi, Working paper, 2012.
NGABIRE, Elyse, « Campus Mutanga : chasse aux Imbonerakure ? », Iwacu,
22 juillet 2013, http://www.iwacu-burundi.org/index.php/campus-mutangauniversite-du-burundi-chasse-aux-imbonerakure-greve/,
consulté
le
26/07/2013.
530
Un maitre de conférence en science politique, entretien réalisé le 15
février 2013 à Bujumbura.
531
532
Un professeur d’histoire, entretien réalisé le 18 février 2013 à Bujumbura.
NTAHIMPERA, Jean-Marie, « Tensions ethniques à l’Université du Burundi
sur fond d’élections des nouveaux représentants des étudiants », Iwacu, 29
octobre
2013,
http://www.iwacu-burundi.org/index.php/tensionsethniques-universite-du-burundi/, consulté le 01/11/2013.
533
politiques : « avec le multipartisme, chaque parti a voulu avoir des
représentants au sein de la jeunesse […] au niveau de l’université […].
L’ensemble des partis au moment des élections vont s’intéresser aux
étudiants comme pour les capter, pour qu’ils puissent, quelque part,
devenir une sorte de porte-parole »534. Ces formations politiques ont
mobilisé les étudiants de l’UB entrainant de multiples confrontations
physiques sur les campus entre les étudiants-militants. Dans cette
dynamique de politisation accélérée, les universitaires sont devenus
un enjeu politique considérable et un objet de convoitise de toutes les
formations politiques. Les représentants des étudiants sont en contact
permanents avec les présidents des partis politiques dont ils servent
les intérêts moyennant quelques promesses et récompense.
L’université est un espace de compétition politique où se multiplient
les signes visuels d’affiliations politiques (badges, insignes…) et
l’organisation de réunions politiques plus ou moins informelles sur les
campus.
On peut expliquer l’absence de changement du statut de la bourse au
Burundi par la récurrence des mouvements étudiants où, depuis
plusieurs années, chaque début de mois est marqué le retard de son
paiement, ce qui entraine mensuellement un mouvement de grèves
d’une à deux semaines par les étudiants pour réclamer son versement.
Surtout le poids des mouvements étudiants doit se lire dans
l’instrumentalisation politique de la jeunesse burundaise qui constitue
un enjeu considérable, dynamique qui s’est intensifiée au début des
années 1990 avec l’instauration du multipartisme. Alors que le parti
au pouvoir a massifié l’enseignement supérieur depuis sa prise de
pouvoir en 2005, offrant de nouvelles perspectives aux familles des
534
Un professeur d’histoire, entretien réalisé le 13 mars 2013 à Bujumbura.
234
régions isolées, sa remise en cause paraît pour le moment improbable,
a fortiori à la veille des prochaines échéances électorales de 2015.
L’UNIVERSITÉ DE DAR ES SALAAM : POST-SOCIALISME, SENTIER DE
DÉPENDANCE ET RÉFORME COSMÉTIQUE
L’exemple de l’Université de Dar es Salaam (UDSM) permet également
de questionner la dynamique de privatisation des universités qui
circule sur le continent. La trajectoire de l’UDSM propose une
configuration singulière qui permet de repenser la diffusion de modèle
appliqué à l’identique. Les gouvernements tanzanien et les
administrateurs de l’UDSM ont entrepris tout un ensemble de
réformes qui vont dans le sens d’une marchandisation progressive de
l’université, notamment en se désengagement du financement de la
recherche. Mais ils ont également préservé un statut ambigu dans la
participation financière des étudiants. L’un des arts de la réforme
consiste en effet dans le déploiement de registres hybrides
d’internationalisation et de nationalisation des contenus et des
apparences535. L’équilibre du changement et de son acceptation
consistent à se positionner par rapport à des discours et exigences
internationaux tout en préservant l’histoire, la mémoire et les
pratiques nationales. L’héritage socialiste du président J. K. Nyerere ne
se donne pas seulement à voir dans les nombreux portraits qui
jalonnent les bureaux administratifs, mais plutôt dans tout un
ensemble d’héritage qui ont construit un espace universitaire
néolibéral cosmétique.
Sociologie de l’Etat et action publique en Tanzanie
Au début des années 1990, la Tanzanie a réintroduit dans
l’enseignement supérieur une politique de participation aux coûts qui
n’est pas nouvelle puisqu’elle existait déjà sous la période coloniale.
Pourtant, le taux d’inscription d’étudiants privés est resté faible par
rapport aux universités voisines : les étudiants privés étaient moins de
15% au début des années 2000, moins de 20% au milieu des années
2000 et représenteraient actuellement entre 20% et 25% des
effectifs536, très loin des standards kenyans et ougandais où plus de
60% des effectifs sont des étudiants privés. La plupart des étudiants
publics à l’UDSM sont en réalité financés par un système de prêt
universitaire, géré par la HESLB (Commission de Prêt pour les
Étudiants de l’Enseignement Supérieur), qui reste moins avantageux
qu’un système de bourse classique puisqu’à la fin de leurs études les
étudiants doivent rembourser cette somme avec échelonnement.
Néanmoins, sur les quinze dernières années et les 48 000 étudiants
qui ont contracté un prêt étudiant, ils seraient environ 30 000 à ne pas
avoir remboursé leurs prêts, soit un préjudice estimé à 32 millions $
pour le ministère537. L’enjeu principal de cette politique réside donc
dans le suivi des étudiants pour le remboursement. La grande majorité
des étudiants ne rembourse pas leurs prêts à la sortie de l’université,
Un responsable administratif, entretien réalisé le 30 avril 2013 à Dar es
Salaam.
536
MGWABATI, Faraja, « Bunge Team Snubs Loan Board », Daily News, 16
janvier 2010, n° 1552, p. 1 ; RUGONZIBWA, Pius, « Loans Board Targets
Defaulters », Daily News, 24 décembre 2009, n° 9969, p. 1 ; RUGONZIBWA,
Pius, « Ex-Students Owe Govt 49 bn/- », Daily News, 25 décembre 2009, n°
9970, p. 1 et RUGONZIBWA, Pius, « Board Readies Hot Pursuit of Student
Debtors », Daily News, 23 janvier 2010, n° 1553, p. 1.
537
Expressions reprises de BRUNO, Isabelle, CLEMENT, Pierre et LAVAL,
Christian, La grande mutation. Néolibéralisme et éducation en Europe, Paris,
Syllepse, 2010, p. 104.
535
235
ce qui constitue une perte considérable pour le gouvernement. Cette
politique de partage des coûts, via le système de prêt étudiant, est
donc défaillante par la difficulté et l’absence de volonté politique
d’établir une véritable « traçabilité » des étudiants, notamment quand
ils intègrent le secteur privé.
En réalité, les différents gouvernements tanzaniens ont adopté une
marchandisation partielle de l’université : désengagement budgétaire
dans le secteur de la recherche, mise en place de la politique de
« partage des coûts », instauration d’un prêt étudiant. Mais
parallèlement, le système de prêt étudiant reste très largement
défaillant et s’apparente encore au final à une bourse étudiante
classique puisque la très grande majorité des étudiants ne rembourse
par leur prêt. Surtout l’Etat reste le principal bailleur du
fonctionnement général de l’université. Une étude attentive de
l’évolution du budget de l’UDSM démontre une hausse quasi-constante
du montant des différents gouvernements alloué dans le budget de
l’UDSM, même si cet investissement reste insuffisant en rapport à la
forte croissance des étudiants. On passe d’un budget en 1996 de 10
778 142 US$ à 28 128 372 US$ en 2007 alors que, par exemple, à
l’université de Makerere le budget alloué par le gouvernement est
resté quasiment identique entre 1995 et 2005. Je postule que ce
fonctionnement de marchandisation hybride est une configuration
politique issue de la négociation entre les différents acteurs
universitaires.
Budget alloué par le gouvernement à l’université de Dar es Salaam
(1985-2007)538
Budget alloué par
le gouvernement
à l’UDSM (US$)
1997
9 685 495
1998
11 493 644
1987
7 797 373
1999
12 427 426
1988
8 070 521
2000
16 754 605
1989
9 161 054
2001
13 935 690
1990
10 436 304
2002
15 391 693
1991
15 025 497
2003
16 689 547
1992
10 930 898
2004
16 544 895
1993
8 336 914
2005
25 823 511
1994
7 810 904
2006
26 468 208
1995
8 356 847
2007
28 128 372
1996
10 778 142
PROVINI, Olivier, « Reforms in the University of Dar es Salaam : Facts and Figures »,
Les cahiers d’Afrique de l’Est, n° 45, 2012, p. 77-86 ; PROVINI, Olivier, « Les réformes à
l’Université de Dar es Salaam : l’établissement d’un nouveau marché de
l’enseignement supérieur » in BUGWABARI, Nicodème, CAZENAVE-PIARROT, Alain,
PROVINI, Olivier et THIBON, Christian (éd.), Universités, universitaires …, op. cit., p.
275-298 ; MKUDE Daniel, « State of Higher Education Transformation in Tanzania »,
Working paper, Trust Africa Higher Education Project/Carnegie Foundation, 2011, p.
92-93.
538
236
Budget alloué par le gouvernement à l’université de Makerere
(1995-2005)539
Budget alloué par le
gouvernement
(en US$)
1995
19 786 481
1996
19 813 610
1997
19 612 939
1998
19 023 730
1999
17 210 572
2000
14 336 748
2001
15 831 974
2002
15 912 704
2003
14 449 973
2004
20 282 740
2005
19 779 135
Pour comprendre l’avènement de ce catéchisme néolibéral
cosmétique, eu égard aux universités voisines, je propose de
m’intéresser à la sociologie de l’Etat tanzanien à travers le rôle des
mouvements étudiants. Je soutiens la thèse qu’il faut analyser cette
configuration à travers la matrice du post-socialisme et des apports
théoriques néo-institutionnalistes540 en terme de « sentier de
dépendance ». Cette notion de post-socialisme traduit la juxtaposition
de modèles a priori antagonistes541. Le préfix « post- » ne signifie pas
que la matrice socialiste a complètement été abandonnée mais
souligne plutôt que les institutions, les structures symboliques et les
stratégies individuelles, comme collectives, sont structurées par ce
socialisme passé542. La présence du passé dans le présent explique
pourquoi il est nécessaire d’adopter une perspective historique pour
comprendre les réformes tanzaniennes de l’enseignement supérieur.
Ce paradigme du post-socialisme peut être lié à la notion de « sentier
de dépendance » généralement utilisée en théorie de l’action publique.
Ce concept est heuristique pour appréhender ces espaces où
cohabitent des dynamiques qui paraissent contradictoires et pour
comprendre les réformes limitées des structures politiques et
Voir la synthèse dans LECOURS, André, « L’approche néo-institutionnaliste
en science politique : unité ou diversité ? », Politique et Sociétés, 2002, vol. 21,
n° 3, p. 3-19.
540
PITCHER, Anne M. et ASKEW, Kelly M., « African Socialisms and
Postsocialisms », Africa : Journal of the International Africa Institute, 2006, vol.
76, n° 1, p. 1-14.
541
COURT, David, Financing Higher Education in Africa..., op. cit., p. 5-7 ; KASOZI, A. B.
K., Financing Uganda’s Public Universities. An obstacle to Serving the Public Good,
Kampala, Fountain Publishers, 2009,
p. 164 ; MAKERERE UNIVERSITY, Fact Book
2009/2010, Kampala, Makerere University Press, 2010, p. 5.
539
FOUERE, Marie-Aude, « La nation tanzanienne à l’épreuve du
postsocialisme », Politique Africaine, 2011, n° 121, p. 69-86.
542
237
institutionnelles. Cette approche propose une analyse dynamique des
phénomènes politiques et s’appuie sur l’idée que les configurations
institutionnelles caractéristiques de l’espace politique évoluent de
façon marginale et selon un sentier tout tracé. Pour Paul Pierson543,
l’importance des mécanismes institutionnels dans les régimes
contemporains rend probable des effets de résistance et de
sédimentation dans la vie politique. Appliquant cette notion à l’étude
des réformes des Etats entreprises aux Etats-Unis et au Royaume-Uni
dans les années 1980, Paul Pierson montre que les changements
furent en définitif beaucoup moins importants que ceux qui avaient
été annoncés par Ronald Reagan et Margaret Thatcher544. Les
principaux éléments explicatifs utilisés par Paul Pierson sont la
complexité des schémas institutionnels propres aux politiques
sociales, le caractère mécanique des dispositifs de protection sociale
mais également la mobilisation des ayants droits soucieux de ne pas
perdre leurs acquis et de défendre une certaine conception de la
solidarité545. Cette approche souligne l’importance des origines dans le
PIERSON, Paul, « When Effects Become Cause. Policy Feedback and
Political Change », World Politics, 1993, vol. 45, n° 4, p. 595-628 et PIERSON,
Paul, « Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics », The
American Political Science Review, 2000, vol. 94, n° 2, p. 251-267.
543
PIERSON, Paul, Dismantling the Welfare State ? Reagan, Thatcher, and the
Politics of Retrenchment, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
544
Voir également BONOLI, Giuliano et PALIER, Bruno, « Phénomènes de Path
Dependence et réformes des systèmes de protection sociale », Revue française
de science politique, 1999, vol. 49, n° 3, p. 399-420 ; PALIER, Bruno, La
réforme des retraites, Paris, Presses universitaires de France, 2003 ; PALIER,
Bruno, « Ambigous Agreement, Cumulative Change : French Social Policy in
the 1990s » in STREECK, Wolfgang et THELEN, Kathleen Ann (éd.), Beyond
545
développement de l’action publique tout en soulignant la permanence
des structures, des arrangements institutionnels et de l’action
collective. Cette conception des transitions propose donc une lecture
des réformes limitées et marginales. Les réformateurs font face à des
résistances (routines bureaucratiques, culture politique, action
collective) qui peuvent conduire à un changement négocié546.
Mouvements étudiants et changement négocié
Les différents gouvernements en Tanzanie, à l’inverse de leurs voisins,
n’ont jamais voulu franchir totalement le pas vers le modèle de
l’université publique privatisée. Dans le cas des réformes de l’UDSM, je
propose de lire cette configuration inédite à travers le rôle joué par
l’organisation étudiante DARUSO (Association Etudiante de
l’Université de Dar es Salaam) qui a su ajuster le changement. En effet
l’association a joué un rôle central dans le processus de médiation
enclenché par l’administration centrale et le gouvernement en
participant aux différentes réunions internes dans les années 1990
mais également en organisant une pression continue sur les
responsables politiques. Depuis la mise en place de cette politique, les
années universitaires sont rythmées par des mouvements de
Continuity. Institutional Change in Advanced Political Economies, Oxford,
Oxford University Press, 2005, p. 127-144 ; MAHONEY, James, « Path
Dependence in Historical Sociology », Theory and Society, 2000, vol. 29, n° 4,
p. 507-548 et DOBRY, Michel, « Les voies incertaines de la transitologie : choix
stratégiques, séquences historiques, bifurcations et processus de path
dependence », Revue française de science politique, 2000, vol. 50, n° 4-5, p.
585-614.
546
NAY, Olivier et SMITH, Andy (dir.), Le gouvernement du compromis…, op.
cit.
238
protestations sur le campus qui réclament le plus souvent une prise en
charge totale des frais étudiants par le gouvernement.
Dès 1992, plusieurs épisodes ponctuent les discussions sur la mise en
place de la politique de partage des coûts qui renvoie au fait que les
parents et étudiants doivent s’acquitter d’une partie des frais
universitaires (droits d’inscription, logement, bibliothèque, nourriture
…)547. En février 1992, un communiqué rédigé par deux leaders
étudiants demande le retrait de cette réforme et engendre un boycott
général des cours548. Plus généralement, depuis le début des années
2000 et le lancement de la troisième phase de la réforme549 les années
ISHENGOMA, Johnson, « Cost-Sharing in Higher Education in Tanzania :
Fact or Fiction ? », JHEA/RESA, 2004, vol. 2, n° 2, p. 104.
547
DAILY NEWS REPORTER, « Students Threaten Action Against
Government », Daily News, 5 février 1992, p. 1 ; DAILY NEWS REPORTER, « Go
Back to Classes, Senate Tells Students », Daily News, 13 février 1992, p. 1 ;
DAILY NEWS REPORTER, « Students End Class Boycott », Daily News, 18
février 1992, p. 1.
548
Cette politique de « partage des coûts » n’est pas nouvelle en Tanzanie
puisqu’elle existait déjà sous la période coloniale jusqu’en 1967, année de
l’adoption d’une nouvelle « culture politique », l’Ujamaa. Voir MARTIN, DenisConstant, Tanzanie. L'invention d'une culture politique, Paris, Presses de la
fondation nationale des sciences politiques et Karthala, 1988. La
réintroduction de cette politique à l’UDSM a eu lieu en trois temps. La
première phase (1992-1993) concernait la prise en charge par les étudiants
des frais de transport, de dossiers et ceux relatifs à l’organisation étudiante.
La seconde phase (1993-1994) prenait en compte les frais engendrés par le
logement et la nourriture sur le campus. Enfin, la dernière phase (2004-2005)
concernait une prise en charge des frais d’inscriptions et d’examens, des
livres, du stationnement des véhicules et des services médicaux. ISHENGOMA,
549
universitaires sont ponctuées par des manifestations et des grèves,
souvent brèves, sur l’ensemble des campus qui forment l’UDSM550.
Dans ce processus complexe de négociation-protestation, l’héritage et
la figure de l’ancien président J. K. Nyerere, tutelle de cette période
socialiste où l’université était gratuite, est fréquemment mobilisée par
Johnson, « Cost-Sharing in Higher Education in Tanzania… », op. cit., p. 105106.
Voir par exemple COSATO, Chumi, « Government Allays Fears to D’Salaam
University Freshers », The Guardian, 28 septembre 2002, p. 4 ; DAILY NEWS
REPORTER, « Dar Varsity Students Want More Boom », Daily News, 29 avril
2006, p. 2 ; MWASUMBI, Jonas, « Students Implore Full Govt Sponsorship »,
Daily News, 15 août 2006, p. 3 ; KASIBA, Sabato, MAMBO, David, « UCLAS
Students Boycott Still on », The Guardian, 24 février 2007, p. 3 ; NAVURI,
Angel, « UDSM Explodes Again Over Studies Stipend », The Guardian, 17 avril
2007, p. 1-2 ; JOSEPH, Hillary, « Varsity Student Boycott Smacks of Political
Undertones », The Guardian, 24 avril 2007, p. 9 ; KITABU, Gerald, « Dialogue
at the Hill Should Take Centre Stage to Resolve Boycotts », The Guardian, 29
avril 2008, p. 11 ; MUSHI, Deogratias, « Planned Students Strike Illegal, Says
Prof. Maghembe », Daily News, 4 novembre 2008, p. 3 ; SAIBOKO, Abdulwakil,
« UDSM Students Boycott Classes », Daily News, 11 novembre 2008, p. 2 ;
DAILY NEWS REPORTER, « UDSM Students Sent Packing », Daily News, 13
novembre 2008, p. 1 ; DAILY NEWS REPORTER, « UDSM College Students Go
Home Too », Daily News, 14 novembre 2008, p. 1; MBASHIRU, Katare, « Calm
Returns to UDSM After Failed Demonstrations », 5 février 2011 ; WA
SIMBEYE, Finningan, « UDSM Students Defiant as Govt Pledges Allowance
Review », Daily News, 7 février 2011 ; KAGASHE, Beatus, « UDSM Students
Protest, Clash with Police in Dar », The Citizen, 4 février 2011 ; DAILY NEWS
REPORTER, « Demonstration Another Strike Looms at UDSM », The Citizen, 10
janvier 2011 ; MCHOME, Erick, « Taking a Hard-Line on Student Protests »,
The Citizen, 17 janvier 2012.
550
239
les leaders étudiants. Par exemple en janvier 2007, « students from all
constituents of the University of Dar es Salaam had assembled at the
Nkrumah Hall of the University of Dar es Salaam at 9.00 am yesterday
from where they marched to Jangwani grounds. Once at Jangwani, they
listened to their leaders, who said that the government should emulate
Mwalimu Nyerere’s example of prioritizing education for all eligible
students, rather than making it a privilege of the well-to-do lots »551. Les
leaders étudiants utilisent cette référence comme un argument
politique pour légitimer leurs revendications en espérant obtenir un
plus large consensus en leur faveur.
Photo d’étudiants en grève en 2007. Leurs messages sont souvent des
attaques directes contre l’administration centrale et le président actuel. Sur la
GUARDIAN REPORTERS, « Students March Against Loan Scheme », The
Guardian, 29 janvier 2007, p. 1.
gauche on peut lire : « L’enseignement supérieur est obligatoire. Les voyages
à l’étranger, les voitures ostentatoires sont un luxe et une honte ». Et sur la
droite « le problème n’est pas le système de prêt étudiant. C’est avec les potes
du gouvernement de Kikwete ». The Guardian, 17 avril 2007, p. 1.
Le gouvernement lui-même utilise, avec habileté, cet héritage
socialiste, jonglant entre un discours de marchandisation de
l’enseignement supérieur et le maintien nécessaire des principes
Nyereristes. Par exemple, en 2002, quand le gouvernement assure aux
étudiants qu’il continuera à être le principal bailleur des bourses et
prêts étudiants alors même que le processus de la réforme de
« partage des coûts » va entamer sa dernière phase. L’ancienne
secrétaire permanente du ministère des sciences, de la technologie et
de l’enseignement supérieur, Ruth Mollel, affirmant même ses craintes
d’un désengagement de l’Etat : « I would like to allay fears expressed by
many that by introducing cost-sharing in higher education the
government intends to abdicate its responsibility as the main provider of
this constitutional rights to every Tanzanian (…) Due to economic
disparities, the Government recognised that not all students could raise
enough funds for their studies »552. Cette situation d’entre-deux satisfait
l’ensemble des acteurs. D’une part, le syndicat étudiant puisque la lutte
contre la privatisation de l’université est un enjeu majeur de sa
légitimité sur le campus. D’autre part, le gouvernement tanzanien qui
se positionne localement pour satisfaire les étudiants et éviter de trop
longues grèves qui pourraient déstabiliser le pouvoir, et
internationalement en adoptant, avec parcimonie, l’agenda
international.
551
552
COSATO, Chumi, « Government Allays Fears … », op. cit.
240
CONCLUSION
La fabrique de l’action publique n’est pas faite que de convergence ou
de mimétisme. Même dans la configuration d’une dépendance
importante, par exemple en termes technique et financier, elle
demeure un processus dynamique de coproduction553. Les politiques
publiques sont le résultat de compromis et de reformulations de
solutions préexistantes qui s’inscrivent dans une historicité propre554,
dans des systèmes de croyances et de représentations555. Pour
appréhender l’articulation complexe des transformations des espaces
universitaires, il convient d’adopter une analyse multi-niveaux pour
comprendre comment, au final, les espaces récipiendaires absorbent,
filtrent et se réapproprient des solutions extérieures. A travers
l’exemple de la dynamique de la marchandisation des universités sur
le continent, les mobilisations étudiantes des universités du Burundi et
de Dar es Salaam illustrent des configurations différentes sur le rôle
que peuvent jouer les étudiants, par leurs mouvements de
NAKANABO DIALLO, Rozenn, « Politiques de la nature et nature de l’Etat.
(Re)déploiement de la souveraineté de l’Etat et action publique
transnationale au Mozambique », thèse pour le doctorat en science politique,
Université de Bordeaux, 2013, p. 84.
553
LASCOUMES, Pierre, « Rendre gouvernable : de la « traduction » au
« transcodage ». L’analyse des processus de changement dans les réseaux
d’action publique », La Gouvernabilité, CURAPP, Paris, Presses universitaires
de France, 1996, p. 334.
554
DARBON, Dominique, « Peut-on relire le politique en Afriques via les
politiques publiques ? » in TRIULZI, Alessandro et ERCOLESSI, Cristina (éd.),
State, Power, and New Political Actors in Postcolonial Africa, Milan, Fondazione
Giangiacomo Feltrinelli Milano, 2004, p. 191.
555
protestations, dans la négociation d’une réforme et la mise en place
d’un changement négocié. En étudiant la structure et l’issue des
mobilisations et les négociations entre les différents acteurs qui
interviennent dans le processus pour résoudre le conflit, on
questionne les rapports entre la sociologie de l’action collective et de
l’action publique. On peut ainsi expliquer l’absence de changement du
statut de la bourse au Burundi par la récurrence des mouvements
étudiants où, depuis plusieurs années, chaque début de mois est
marqué le retard de son paiement. Surtout le poids des mouvements
étudiants doit se lire dans l’instrumentalisation de la jeunesse
burundaise qui constitue un enjeu politique considérable. L’exemple
de l’UDSM illustre plutôt le rôle de l’organisation étudiante dans la
mise en place d’une configuration hybride, jouant ainsi avec l’héritage,
la mémoire et les représentations de la période Nyerere qui conforte la
position ambiguë des gouvernements tanzaniens sur la
marchandisation de l’enseignement supérieur.
Ces deux exemples démontrent comment une analyse attentive de
l’action collective étudiante peut fournir une grille d’analyse pour
appréhender les processus incrémentaux (Tanzanie) et les situations
de blocage (Burundi). Mais l’analyse des mouvements étudiants peut
également fournir des clés de compréhension pour comprendre les
contextes qui peuvent faciliter le changement. Par exemple, la
privatisation progressive de l’université de Nairobi est le résultat de la
démobilisation du mouvement étudiant kényan, fortement marqué par
l’importance de la répression, au début des années 1990 sous le
régime de D. a. Moi, puis de sa fragmentation instrumentalisée par les
partis politiques. C’est la faiblesse de la mobilisation étudiante qui a,
241
entre autre, permis la mise en place de politiques publiques pourtant
contraires aux intérêts étudiants556.
Surtout, la sociologie de l’action collective est une bonne grille de
lecture pour faire le lien entre les sociologies de l’Etat et sociologie de
l’action publique pour s’intéresser à la (dé)mobilisation de certains
acteurs, par exemple de la mobilisation du public ciblé par un projet de
politique publique. On peut alors supposer que la nature du régime,
comme la mémoire de l’action collective, vont être des vecteurs
Sur les mouvements étudiants au Kenya voir AMUTABI, Maurice N.,
« Crisis and Student Protest in Universities in Kenya : Examining the Role of
Students in National Leadership and the Democratization Process », African
Studies Review, 2002, vol. 45, n° 2, p. 157-177 ; CHEPCHIENG, Micah C.,
KIBOSS, Joel K., SINDABI, Aggrey, KARIUKI, Mary W. et MBUGUA, Stephen N.,
« Students Attitudes Toward Campus Environment : a Comparative Study of
Public and Private Universities in Kenya », Educational Research and Review,
2006, vol. 1, n° 6, p. 174-179 ; KIAI, Maina, « Haven of Repression : a Report
on the University of Nairobi and Academic Freedom in Kenya », Working
paper, The Kenya Human Rights Commission, 1992 ; KLOPP, Jacqueline et
ORINA, Janai R., « University Crisis, Student Activism and the Contemporary
Struggle for Democracy in Kenya », African Studies Review, 2002, vol. 45, n° 1,
p. 43-76 ; LAFARGUE, Jérôme, Contestations démocratiques en Afrique.
Sociologie de la protestation au Kenya et en Zambie, Paris, Karthala, 1996 ;
MAUPEU, Hervé, « Mobilisations politiques à Nairobi, violences et résilience
des autoritarismes kenyans » in CHARTON-BIGOT, Hélène et RODRIGUEZTORRES, Deyssi (dir.), Nairobi contemporain. Les paradoxes d’une ville
fragmentée, Nairobi-Paris, IFRA-Karthala, 2006, p. 479-511 ; MAUPEU, Hervé
et LAFARGUE, Jérôme, « La société civile kényane : entre résilience et
résistance », Politique africaine, 1998, n° 70, p. 61-73 et SAVAGE, Donald C. et
TAYLOR, Cameron, « Academic Freedom in Kenya », Canadian Journal of
African Sudies, 1991, vol. 25, n° 2, p. 308-321.
importants pour appréhender le poids de ces acteurs dans la
négociation. Bruno Jobert et Pierre Muller rappellent d’ailleurs qu’« il
s’agit de savoir si la forme générale du système politique engendre des
contraintes spécifiques dans la conduite de l’action publique dans
certaines conjonctures déterminées »557.
556
JOBERT, Bruno et MULLER, Pierre, L’Etat en action : politiques publiques et
corporatismes, Paris, Presses universitaires de France, 1987, p. 702.
557
242
EN GUISE DE CONCLUSION.
PASCAL BIANCHINI. LES TROIS ÂGES DU MOUVEMENT ÉTUDIANT DANS LES
PAYS D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE
Chercheur associé au CESSMA-Paris VII
Il existe une interaction particulière entre l’histoire des
mobilisations et des organisations étudiantes et la genèse et
l’évolution des champs politiques en Afrique subsaharienne558. C’est
une thèse que j’ai essayé de développer dans des écrits antérieurs
(Bianchini, 2004) mais cette intuition qui a guidé mes recherches
depuis longtemps ne semble pas partagée par un très grand nombre
d’auteurs « africanistes ». Cette histoire croisée reste dans une large
mesure encore à écrire. Aussi, il peut sembler prématuré de proposer
dès maintenant une vision synthétique qui embrasserait cette
dernière alors que bien des matériaux empiriques restent à exhumer
au sein d’archives écrites et orales encore inutilisées, voire inédites.
Néanmoins, cette histoire s’inscrit dans un contexte politique
au sens large et prend la forme de trajectoires que l’on peut tenter de
modéliser. J’utilise dans cette contribution une grille d’analyse en
termes de « structure des opportunités politiques » (Tarrow, 1994 ;
558Un
constat plus global a été fait pour les pays du Sud où, à la différence des pays
occidentaux, l’action des mouvements étudiants aurait plus d’impact sur le système
politique, en allant même jusqu’à provoquer la chute de certains gouvernements
(Altbach, 1989 : 107-108). Cependant, une relation plus spécifique encore apparaît en
Afrique subsaharienne où les crises éducatives sont plus enracinées historiquement
du fait de l’enjeu primordial constitué par le « capital scolaire » dans l’accès aux
différentes positions au sein de la structure sociale qui a émergé avec l’Etat
postcolonial.
Mc Adam, Mc Carthy & Zald, 1996). Partant de l’idée que les
mouvements sociaux évoluent dans un contexte socio-politique qui
détermine leurs possibilités d’action, il s’agit d’identifier les traits
pertinents du cadre au sein duquel se situent les trajectoires des
mouvements étudiants des différents pays de cette aire géographique
qui existe en tant qu’espace géopolitique hérité de la domination
coloniale559. Il serait toutefois hasardeux de ma part de prétendre à
autre chose qu’une première ébauche susceptible d’être affinée, voire
réagencée. Par ailleurs, le modèle en lui-même, utilisé ici dans le cadre
d’une démarche uniquement heuristique, peut être critiqué du fait de
son « objectivisme » (Mathieu, 2010). En particulier, l’analyse en
termes de « structure des opportunités politiques » n’apporte pas
forcément de réponse à la question essentielle qui est la suivante :
pourquoi cet acteur particulier qu’est le mouvement étudiant dans un
pays donné n’a pas suivi la même trajectoire que cet autre
mouvement étudiant dans un pays voisin pourtant placé dans des
conditions semblables ?
Pour ne pas oublier cet autre aspect important à examiner
dans l’analyse des mobilisations collectives, c’est-à-dire la capacité
propre des acteurs à agir sur le réel et à modifier les rapports de force
en leur faveur (« agency » versus « structure »560), il me semble plus
pertinent de quitter le cadre globalisant d’un modèle synthétique en
559Les
études utilisées pour rédiger cette communication concernent quasiexclusivement les territoires colonisés par la France : le cas du Zaïre qui est abordé
peut sembler une exception mais constitue aussi une situation-limite qui peut être en
partie rapprochée de cet espace géopolitique du fait de la « francophonie
linguistique » mais surtout « politique » voire « militaire ».
560Cependant, dans l’exposé des opportunités structurelles, il est difficile de ne pas
évoquer les conséquences sur le plan du jeu des acteurs et donc de faire apparaître en
filigrane leurs capacités d’action.
243
me référant plus explicitement à des cas historiques concrets561. C’est
pourquoi en guise de conclusion, pour montrer que l’histoire est tout
sauf une suite de déterminismes qui réduirait le jeu des acteurs à
néant, j’esquisserai une comparaison entre les cas du Sénégal et du
Burkina Faso (ex-Haute Volta) que j’ai pu approcher, non seulement à
travers la lecture de travaux d’autres chercheurs mais aussi pour y
avoir effectué des recherches par le passé (en 1984, 1985 et 1987
puis 1994-95 et 1998-99).
considérés mais aussi des décalages éventuels du fait que ces
mobilisations collectives inscrites dans des espaces nationaux en voie
de formation se déroulent aussi selon des temporalités particulières.
En outre, ce qui permet de situer approximativement ces différents
« âges » sur un axe chronologique, c’est le fait qu’on y observe des
moments critiques que l’on peut aussi qualifier de « conjonctures
politiques fluides » (Dobry, 1986) dont le surgissement et le
déroulement ne s'effectuent pas d’une manière mécanique.
Un autre effort de clarification peut s’avérer nécessaire. Ma
réflexion s’est nourrie au fil des années de travaux d’historiens qui ont
davantage fait preuve de curiosité pour s’intéresser à cette question
délaissée par d’autres disciplines562. Néanmoins, n’étant pas historien
de formation, je n’ai pas les mêmes réflexes disciplinaires, quant aux
méthodes de recherche mais aussi en ce qui concerne la définition des
objets étudiés, sur le plan de leur contenu et de leurs limites. C’est
pourquoi, je n’ai pas procédé à un découpage séquentiel précis qui
risquait d'être arbitraire et discutable selon les pays considérés au
sein de l’ensemble africain francophone. J’ai préféré laisser subsister
dans mon propos un certain flou chronologique en distinguant trois
« âges » au sein de cette histoire contemporaine des mobilisations
étudiantes. Il ne s’agit évidemment pas de revenir à une « philosophie
de l’histoire » où les « âges » se succéderaient d’une manière
téléologique. Il s’agit de prendre en compte les phénomènes de
convergence des mobilisations à l’échelle des pays africains
Pour clore cette brève discussion liminaire, se pose aussi la
question de la définition sociologique de l’objet « mouvement
étudiant » dans le cas des pays de colonisation française en Afrique
subsaharienne. On peut se référer ici à la notion générique d’ « action
collective », caractérisée par un « agir-ensemble intentionnel » « dans
une logique de revendication » (Neveu, 1996 : 10-11). Du coup,
l’adoption de cette définition sociologique « standard », même
comprise dans une acception large conduit à une conception moins
extensive (sur le plan de la chronologie) de l’histoire du mouvement
étudiant africain, telle qu’elle apparaît dans certains travaux (cf. par
ex. Boahen & alii, 1993 ou Bathily, Diouf & Mbodj, in : d’AlmeidaTopor, Coquery-Vidrovitch, Goerg & Guitard, 1992 : 282-310).
561L'intérêt
particulier porté à cette « structure des opportunités politiques » ne
m'empêchera pas d'évoquer au préalable dans cette tentative de modélisation le
contenu des revendications les plus importantes ou encore du répertoire d'action le
plus fréquemment utilisé.
562A côté des études historiques, on trouve une autre catégorie d’écrits sur le sujet, les
ouvrages écrits par d’anciens acteurs de ces mouvements, notamment pour la première
période, sur la FEANF.
Cet exposé comprend trois parties :
- la succession des différents « âges » du mouvement étudiant
africain francophone vue essentiellement à travers les contenus
revendicatifs et les répertoires d’action ;
- l’analyse de ces différents « âges » en termes de « structure des
opportunités politiques » ;
244
- l’exposé de quelques éléments de comparaison entre la trajectoire
du mouvement sénégalais et celle du mouvement burkinabé.
UN APERÇU DES TROIS « ÂGES »
AFRIQUE FRANCOPHONE
DU MOUVEMENT ÉTUDIANT EN
L’âge anticolonialiste (des années 1950 au début des années
1960)
On peut identifier quelques premières tentatives de
regroupements d’étudiants africains avant la Seconde Guerre
mondiale. Cependant, les effectifs étaient réduits à quelques
personnes et la dimension revendicative n’apparaissait pas
clairement dans ces premières tentatives qui ne visaient pas à
remettre en cause l’ordre colonial, mais plutôt à « réhabiliter la
culture de l’Afrique noire » (Dieng, 2011a : 82-83). C’est après la
guerre que l’on peut parler véritablement de la naissance d’un
mouvement d’étudiants africains. Après l’apparition en 1946 d’une
organisation d’étudiants liée au Rassemblement démocratique
africain (RDA) ainsi que d’une Association des étudiants africains de
Paris, la création de la Fédération des étudiants d’Afrique noire
(FEANF) en 1950 peut être considérée comme le point de départ de
cette histoire sociale et politique. Pourtant, les statuts de la FEANF
exprimaient alors des objectifs classiques, pour ne pas dire
« corporatistes ». Cela tient peut-être aux orientations « modérées »
de ses fondateurs (notamment de sa première présidente Solange
Faladé ou encore d'Amadou Mahtar M’Bow) mais aussi au souci
tactique de ne pas risquer un refus de légalisation de la part des
autorités françaises (Diané, 1990 : 42 ; Aduayom, in : D’AlmeidaTopor & alii, 1992, t. II : 125-126). Cependant, s’amorce dès 1952-53,
un processus de radicalisation politique qui conduit la FEANF à nouer
des relations privilégiées avec l’Union internationale des étudiants
(UIE)dont le siège est à Varsovie et à revendiquer l’indépendance
pour les territoires colonisés par la France dans un cadre panafricain
et non à travers un processus de « balkanisation » tel qu’il résultera
de la loi-cadre de 1956 qui met en place une « autonomie interne ».
Deux ans après l’autonomie interne, la FEANF fait campagne contre
l’adhésion à la Communauté franco-africaine (De Benoist, in : Boahen,
1993 : 120-125 ) ce qui n'empêche pas la large victoire du « oui » dans
la plupart de territoires sauf en Guinée qui accède à l’indépendance en
1958. La proclamation des indépendances en 1960 ne modifie pas
cette attitude « contre-hégémonique » vis-à-vis de la classe politique
qui accède au pouvoir, avec le soutien proclamé aux mouvements
nationalistes radicaux qui ont choisi la voie de la lutte armée (FLN en
Algérie, UPC au Cameroun) ou aux régimes qui affichent leur
orientation anticolonialiste et panafricaniste comme la Guinée de
SékouTouré ou le Ghana de Nkrumah (Traoré, 1973 : 153-164 ;
Aduayom, in : op.cit, 1992 : 127-134). Par ailleurs, en liaison avec la
FEANF se créent et se développent des associations territoriales
(Dieng, 2009 : 37-57). Elles deviendront pour la plupart les noyaux
fondateurs des organisations étudiantes dans les Etats africains en
formation transmettant ainsi l’héritage anticolonialiste de la FEANF à
ces dernières.
La FEANF n’a pas formulé seulement des revendications sur le
terrain politique. Elle a défendu le droit aux bourses ou encore au
logement face à l’administration française, notamment l’Office des
étudiants d’outre-mer devenu après les indépendances l’Office de
coopération et d’accueil universitaire (OCAU) (Guimont, 1997 ; Dieng,
2009 : 82-86).
245
Il faut aussi souligner l’activité déployée dans le domaine
culturel : la question de l’écriture d’une histoire africaine par les
Africains eux-mêmes ou de l’utilisation des langues africaines est
posée, notamment à travers les prises de position de Cheikh Anta
Diop ou de Joseph Ki-Zerbo qui ont figuré parmi les intellectuels les
plus notoirement connus ayant participé à la FEANF (Kotchy, in :
Boahen, 1993 : 106-112). La critique de l’enseignement colonial a été
menée et l’ébauche de réformes éducatives prenant en compte la
question cardinale de l’utilisation des langues nationales préfigure les
tentatives qui seront menées et soutenues par l’UNESCO dans les
années 1970 (Moumouni, 1998 (1962)).
En ce qui concerne le répertoire d’action, on peut constater
que la FEANF n’a pas eu recours aux moyens classiques utilisés par les
mouvements sociaux contemporains, à savoir la grève et la
manifestation563. On pourrait dire qu’elle a surtout agi à travers des
« mobilisations de papier » mais une telle qualification ne doit pas
conduire à sous-évaluer son rôle historique. Dans le même sens, on
peut noter le caractère intellectuel et pédagogique de ces modes
d’action tournés le plus souvent vers le groupe des étudiants africains
eux-mêmes davantage que vers l’extérieur. On peut citer ici le rôle des
journaux et des brochures saisis à plusieurs reprises lorsqu’ils
dénonçaient les exactions coloniales et affichaient leur soutien aux
mouvements armés de libération (Dieng, 2009 : 129-144)564 ou
encore celui des conférences qui étaient l’occasion de « vulgariser »
certains écrits théoriques mais aussi de s’affronter avec des
563Un
mode d’action classique auquel la FEANF a eu plus souvent recours est celui des
meetings.
564La brochure « Le sang de Bandoeng » publiée en 1958 consacrée à la guerre d’Algérie
a entraîné de nombreuses perquisitions chez les militants de la FEANF (Diané,1990 : 8284)
adversaires ou des rivaux idéologiques (Dieng 2011b : 43-46). On
peut aussi évoquer dans la même lignée, les camps de vacances ou
encore les universités populaires qui seront par la suite reprises par
l’Union générale des étudiants d’Afrique de l’Ouest (UGEAO) (Thioub,
in : d’Almeida-Topor & alii, 1992 : 273).
A travers ces différentes activités, on peut voir que la FEANF a
joué le rôle d’un « intellectuel collectif » radicalisé au contact des
luttes pour la décolonisation qu’elle a soutenues, contrairement à la
classe politique africaine naissante, domestiquée dans le giron de la
IVe République française ainsi que d’un lieu de formation pour toute
une génération politico-intellectuelle qui souhaitait défier l’ordre
politique qui était en train de se mettre en place entre l’Etat français
et la classe politique africaine sur le point d’accéder à l’indépendance
sans l’ayant jamais revendiquée565. Une autre dimension de cette
action qui apparaît remarquable est l’envergure internationale : alors
que la stratégie de domestication des élites coloniales a toujours
procédé par le biais d’une assignation de ces élites au terroir ou à
l’ethnie dont ils sont issus, ainsi qu’au maintien d’une relation
exclusive et paternaliste entre la colonie et la métropole, les militants
de la FEANF ont entretenu des contacts « d’égal à égal » – avec parfois
quelques contradictions découlant des différences de position dans le
soutien au mouvements de libération armés – avec des organisations
politiques comme le PCF ou syndicales comme l’UNEF et au-delà, ont
assisté à des événements d’une portée mondiale comme le
« Bandoung culturel » qu’a été le premier Congrès des écrivains et
565Le
processus de « formation d’une intelligentsia africaine » au cours des années 1950
s’est déroulée à travers la radicalisation de la FEANF sur le plan politique mais aussi sur
un plan intellectuel, à travers l’évolution des positions de la revue « Présence africaine »
avec une présence accrue et une prise de parole de plus en plus autonome des Africains
au sein du comité de rédaction (Guèye, 2001 : 55-57).
246
artistes noirs en septembre 1956 (Dieng, 2009 : 164) ou encore ont
été invités dans des pays étrangers, de surcroit situés à l’extérieur de
l’orbite géopolitique occidentale. On peut citer en particulier le
Festival mondial de la jeunesse et des étudiants à Moscou au cours de
l’été 1958, la Conférence des peuples africains à Accra en décembre
1958 ou encore l’envoi d’une délégation de la FEANF au cours de l’été
1959 en Chine (Dieng, 2009 : 92-108).
L’âge anti-impérialiste
Durant les années qui suivent l’indépendance, le cadre de la
FEANF devient un lieu de circulation (et d’affrontement) entre des
courants idéologiques rivaux se réclamant du marxisme. Cette
situation de « suridéologisation » se reflète dans la proclamation de
mots d’ordre, tels celui de l’« intégration aux masses » adopté lors du
XIXe congrès tenu en décembre 1966. Ainsi, il n’est sans doute pas
faux de considérer que l’année 1960 marque l’apogée de cette
organisation panafricaine qui, après avoir vécu ses « grandes heures »
durant la décennie 1950, connaît ensuite une période de déclin dont
elle ne sortira pas (Dieng, 2009 : 11 ; Diané, 1990 : 166-167).
Cependant, le cadre de la FEANF a survécu durant les deux décennies
suivantes et a pu influencer (de manière inégale) les différentes
sections territoriales devenues des composantes des organisations
nationales apparues avec les indépendances. Le centre de gravité de
l’activité contestataire des étudiants africains s’est progressivement
déplacé vers les universités africaines déjà crées ou en voie de
création mais le militantisme diasporique a continué à jouer un
certain rôle même s’il n’a pas eu la même importance que celui des
années 1950.
Les mouvements de protestation collective ont été rares et
d’ampleur limitée durant les premières années566. C’est surtout autour
de l’année 1968 que l’on assiste à l’émergence d’une nouvelle vague
de mobilisations. Après les étudiants de l’université de Dakar, l’année
suivante, ce sont ceux d’Abidjan et de Kinshasa qui se révoltent contre
les régimes en place. Puis d’autres vont suivre dans d’autres pays,
notamment Madagascar et le Dahomey en 1972. Si la contestation
étudiante ébranle et parfois contribue à renverser des régimes prooccidentaux, comme dans les deux cas qui précèdent, ils incarnent
aussi une dissidence de gauche face à des régimes qui se proclament
« progressistes » ou « révolutionnaires » comme on le voit durant les
années 1970 au Congo-Brazzaville ou un peu plus tard au Bénin (exDahomey) avec des grèves qui surviennent en 1979 et en 1985 ou au
début des années 1980 au Burkina Faso (ex-Haute-Volta ). Cette
vague de contestation se prolonge en fait dans certains pays où elle
culmine parfois au tournant de la décennie 1980, dans le cas du Mali
avec les manifestations de l’Union nationale des étudiants et élèves
maliens (UNEEM). Au Niger, un climat similaire de « contestation
éduquée » se développe à partir de 1970 avec la montée en puissance
de l’Union des scolaires nigériens (USN) qui contribue à la chute du
régime de Hamani Diori en 1973-74 mais c’est seulement en 1983
qu’éclate la première grande grève à l’université de Niamey sous le
régime de Seyni Kountché.
La liste des revendications réunit souvent des doléances
internes à l’espace universitaire (bourses, modalités des examens,
etc.) et des griefs plus politiques qui concernent la classe dirigeante
jugée corrompue, vivant dans une opulence insolente et inféodée aux
566En
1964, a eu lieu une grève à Kinshasa où les étudiants réclamaient notamment une
« cogestion » de l’université (Verhaegen, 1978 ; Lututala, 2012 : 29)
247
puissances impérialistes. La thématique de l’africanisation de
l’université (déclinée sur plusieurs modes : les contenus
d’enseignement, la composition des personnels enseignants, les
relations entre l’Université et la métropole sur le plan formel, etc.) a
permis de relier ces deux niveaux, ce qui montre qu’encore une fois, il
n’est guère pertinent d’opposer les revendications catégorielles et les
revendications politiques lorsqu’on analyse les mouvements
étudiants en Afrique subsaharienne567.
L’héritage de la FEANF est souvent visible sur le plan des
références idéologiques et de certains éléments du répertoire d’action
(par exemple les activités de vacances). On peut aussi souligner la
dimension internationaliste du militantisme étudiant qui perdure et
parfois se renouvelle avec les influences réciproques entre des
567A
Abidjan, la grève de 1969 a été précédée d’une première marche pacifique deux ans
auparavant pour protester contre la création du Mouvement des étudiants de
l’Organisation commune africaine et malgache (MEOCAM) institué pour s’opposer à la
FEANF. Selon la même logique les étudiants entrent en grève pour refuser
l’ « embrigadement » dans le Mouvement des élèves et des étudiants de Cote d’Ivoire
(MEECI) en mai 1969. En 1971, c’est la tentative de créer une organisation non inféodée
au parti unique l’Union syndicale des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (USEECI)
(N’Da : 104-105).
En juin 1969, les étudiants zaïrois ont entamé un mouvement de protestation autour des
thèmes suivants :
« 1) les mauvaises conditions de vie estudiantine ;
2) l’orientation politique de plus en plus totalitaire et anti-démocratique du nouveau
régime de Mobutu;
3) l’inféodation de plus en plus manifeste du gouvernement aux intérêts économiques
et financiers étrangers. » (Lututala, 2012 : 29)
A Tananarive, la grève étudiante a débuté en 1971 à la faculté de médecine pour
réclamer la mise en place d’un examen au lieu du concours qui était très sélectif à la fin
du premier cycle. Par ailleurs les étudiants ont réclamé le départ du recteur et du
secrétaire général de l’Université et leur remplacement par des Malgaches (Goguel,
2006 : 322-323) Ils ont réclamé plus généralement une réforme de l’enseignement
allant dans le sens de la malgachisation et une révision des accords de coopération
franco-malgaches (Traoré, 1973 : 67-69)
traditions de lutte développées dans différents pays. Les nouveautés
dans ce répertoire d’action, ce sont les grèves étudiantes et les
marches qu’elles soient pacifiques ou violentes qui constituent les
formes les plus expressives de l’action collective entreprise par les
mouvements étudiants. A de nombreuses reprises, les manifestations
concernent de manière explicite la situation internationale avec la
dénonciation du rôle (supposé ou réel) de certaines puissances
occidentales dans le renversement (ou les tentatives) de certains
régimes « progressistes » comme celui de N’Krumah en 1966 ou de
Sekou Touré en 1970. Cette sensibilité anti-impérialiste s’exprime de
manière ostensible à l’occasion de visites de certains chefs d’Etat,
accueillis par des projectiles divers lancés en direction de leurs
cortèges officiels568. En marge de ces manifestations, les tracts rédigés
dans la clandestinité jouent un rôle particulier dont l’impact peut être
dévastateur dans un contexte où l’information écrite est relativement
rare et monopolisée le plus souvent par le régime en place et où la
diffusion de tels écrits constitue déjà un acte de subversion. En même
temps, les étudiants, de manière formelle à travers leurs
organisations lorsqu’elles peuvent exister ou, de manière plus
informelle, à travers des pratiques diverses (modes d’occupation des
lieux, inventions lexicales et toponymiques, etc.) s’approprient les
espaces du campus et la cité universitaire qui originellement ont été
conçus par l’autorité politique en fonction d’une certaine conception
de l’ordre académique. Les campus peuvent ainsi devenir des foyers
propices à une résistance idéologique et symbolique et à la
568Le
5 février 1971 à Dakar, le cortège de Georges Pompidou a été la cible d’une attaque
(manquée) avec des cocktails Molotov. En mai 1971, des jets de pierre ont accueilli la
visite d’Houphouët-Boigny à Ouagadougou au cours de la seule visite officielle du chef
d’Etat ivoirien ait rendu à son homologue voltaïque. En janvier 1972, c’est encore
Georges Pompidou qui est visé à Niamey par les scolaires en grève… et atteint par le jet
d’une tomate ( !)
248
constitution de réseaux militants qui peuvent, en période favorable à
la contestation servir d’armature à l’extension du mouvement social
au delà du champ universitaire.
L’âge des luttes
monopartisme
contre
l’ajustement
structurel
et
le
La vague précédente se prolonge en fait au-delà des années
1970 mais à partir de la deuxième moitié des années 1980, les mesures
d’ajustement structurel affectent de plus en plus les universités et la
condition étudiante. A cela, s’ajoute l’usure des régimes autocratiques et
monopartisans qu’ils soient des alliés traditionnels de l’Occident
(notamment de la France) ou des régimes se proclamant
« révolutionnaires ». Le cas du Bénin est emblématique de cette vague
démocratique dont il donne le signal de départ et au sein de laquelle les
mouvements étudiants ont joué un rôle moteur avec d’autres forces
sociales. Les grèves d’étudiants et d’enseignants motivées par le retard
dans le paiement des bourses et des salaires ont évolué au cours de l’année
1989 vers une contestation généralisée du régime et ont contraint le
pouvoir à convoquer une conférence nationale au début de l’année 1990
(Eboussi Boulaga, 1993 : 59-68 ; Bierschenk, 2009 : 339-343)569. Un
scenario similaire, s’est produit au Niger en février 1990 où la grève des
étudiants opposés à l’ajustement structurel a entraîné un mouvement de
contestation généralisé (Ibrahim, in Diop & Diouf, 1999 : 193-194)
Les années 1990 ont permis l’apparition de nouvelles organisations
étudiantes qui ont pris une part active dans le « renouveau démocratique »
qu’ont connu différents pays après la renonciation des gouvernants
africains au cadre du parti unique et des organisations satellites qui avaient
le monopole de la représentation de la jeunesse étudiante et scolaire. C’est
notamment le cas en Côte d’Ivoire, avec la Fédération estudiantine et
scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) (Konate, 2003 ; Théodore, 2011) ou
encore au Cameroun avec les étudiants réunis dans le « Parlement »
(Konings, 2002).
Le répertoire d’action s’est élargi parfois à des formes plus
spectaculaires (aux « casses » visant les symboles du pouvoir ou dans un
sens diamétralement opposé, aux grèves de la faim) avec parfois des
tentatives de contrôle de l’espace universitaire et de monopolisation de la
représentation étudiante de la part de ces organisations ou de différentes
factions qui s’en réclament. La question de la signification politique de ces
mobilisations revient à l’ordre du jour : à la thèse d’une avant-garde
étudiante à la pointe des luttes pour la démocratisation comprise dans un
sens socio-politique et non strictement institutionnel s’oppose une
perception plus négative de ces mouvements considérant, peu ou prou, que
l’action politique non conventionnelle de ces derniers constitue un
obstacle à la démocratisation entendue au sens d’une consolidation des
institutions mises en place par la « transition démocratique », voire à
l’exercice non biaisé des « libertés académiques »570.
570Ce
569La
grève qui a affecté durant de nombreux mois l’université de Tananarive en 198687, inspirée par le rejet d’un projet de réforme inspirée par le contexte d’ajustement
visant à faire disparaître les « éternels étudiants » a aussi de manière similaire évolué
vers une dénonciation générale du régime Ratsiraka (Nkinyangi, 1991 : 167-68). Le cas
du Bénin a été précédé donc de crises similaires même si elles n’ont pas évolué vers le
scenario de la « transition démocratique » du début des années 1990 qui d’ailleurs a
connu des fortunes variables selon les pays.
débat est largement évoqué dans un article qui propose une synthèse très
documentée sur cette troisième vague de mobilisation mais plutôt orientée vers les pays
anglophones (Zeilig, 2009). Le point de vue en faveur de la thèse d’une démocratisation
favorisée par l’action prolongée des mouvements étudiants domine cette dernière
contribution ainsi que d’autres écrits, notamment ceux des « édu-activistes » du
Commitee for Academic Freedom in Africa (CAFA) (Alidou, Caffentzis & Federici, 2008 :
61-75). A l’inverse, l’ouvrage de référence sur la situation des « libertés académiques »
révèle un point de vue plus circonspect (Diouf & Mamdani, 1993). Voir aussi dans le
249
Mais cette intrusion des étudiants dans la vie politique, quelle que soit
l’appréciation que l’on puisse en faire, ne s’effectue pas seulement selon
des liens de causalité synchroniques. Un des effets les plus importants de
l’action des mouvements étudiants sur le champ politique en Afrique se
produit à plus long terme. C’est cet aspect de leur influence que j’ai appelé
la « fonction générative » du mouvement étudiant par rapport au champ
politique (Bianchini, 2004 : 246-247)571. Cette « fonction générative » se
traduit d’abord par le fait qu’un certain nombre de leaders politiques qui
ont été au devant de la scène, notamment lors de la phase de transition
vers le multipartisme, étaient en fait d’anciens leaders étudiants572. On
peut citer le cas de la Côte d’Ivoire avec Laurent Gbagbo qui était à la tête
de la contestation étudiante en 1971 et qui est devenu la principale figure
de l’opposition ivoirienne au cours des années 1980 ou encore les
différents leaders de la FESCI des années 1990 comme Charles Blé Goudé
même sens, le point de vue qui consiste à considérer que la définition des libertés
académiques étendues à tous les acteurs universitaires (y compris les étudiants) est trop
extensive :
« There are far too many people who are presently exploiting or abusing the ‘cloudiness’
over academic freedom and university autonomy to further their own ends.” (Ajayi, Goma
& Johnson, 1996 : 175-176)
571J’utilise le terme « fonction » pour rendre compte d’une relation récurrente entre
deux phénomènes dont l’un me semble être le produit de l’autre, sans pour autant me
situer dans la perspective théorique du « fonctionnalisme ». La lecture de travaux d’un
politiste américain, d’inspiration parsonienne, sur l’ « activisme individuel » des
étudiants africains (Hanna,1975 : 257-296) montre bien la différence de perspective : le
processus de politisation y est étudié en réalité sous un angle psychosociologique alors
que mes analyses s’inscrivent dans le cadre d’une sociologie historique du politique.
572Pour avoir une vue plus complète de ces générations politiques issues du
militantisme estudiantin, plus particulièrement de la FEANF, il faudrait aussi
mentionner les trajectoires des rebelles, voire des martyrs de l’ordre politique
postcolonial françafricain, avec des figures emblématiques comme Osende Afana
capturé et exécuté sommairement en 1966 alors qu’il combattait dans les maquis de
l’Union des populations du Cameroun (UPC) ou Outel Bono sur le point d’annoncer la
formation d’un parti politique d’opposition au dictateur tchadien, François
Tombalbaye, abattu en plein Paris en 1973, vraisemblablement par un agent des
services français (cf.Aduayom, in : D’Almeida-Topor & alii, op.cit. p. 140).
ou Guillaume Soro qui ont joué des rôles de premier plan lors de la
décennie 2000 (Koné, 2003). En outre, si les mouvements étudiants
ivoiriens ont été des pépinières particulièrement fertiles pour différentes
générations de dirigeants politiques, il ne faut pas oublier (entre autres) le
cas de la Guinée avec Alpha Condé qui a dirigé la FEANF et
l’Association des étudiants guinéens en France (AEGF) dans les années
1960 ou encore du Niger dont le président actuel, Mahamadou Issoufou
est aussi un ancien leader scolaire et estudiantin des années 1970. Mais à
côté de cet aspect le plus visible - quoique passé sous silence ou ignoré par
les travaux des politistes sur les « transitions démocratiques » -, il existe
une autre dimension qui est celle de la transformation d’organisations
(voire de groupuscules) politiques nées dans le sillage du mouvement
estudiantin en partis politiques. C’est encore un domaine où il reste encore
à investiguer mais on dispose déjà de quelques études qui permettent de
documenter cette deuxième modalité d’influence de la « politique
étudiante » sur la politique au sens plus général573.
Après avoir exposé la succession de ces trois âges des mouvements
étudiants en Afrique francophone et des phénomènes générationnels qu’ils
ont engendré, voici comment on peut essayer de les soumettre à une
analyse en termes de « structure des opportunités politiques »
L’ÉVOLUTION DE LA STRUCTURE DES OPPORTUNITÉS POLITIQUES
Le modèle sera présenté sous la forme d’un tableau auquel sera adjoint
un commentaire explicatif.
573Une
étude détaillée concerne le Mali (Koné, 1998). On trouve des informations
intéressantes dans des travaux moins spécifiques (par ex. Ibrahim, in : Diop & Diouf,
1999)
250
Contexte
géopolitique et
influences
idéologiques
extérieures
Age
anticolonialiste
(1950-60)
Age des luttes
Age
antianti-ajustement et
impérialiste
anti-parti unique
(1960-70)
(1980-90)
Emergence
du
tiers-mondisme et
affirmation
du
panafricanisme en
opposition à la
« balkanisation »
mise en place par
la
puissance
coloniale.
Pays
socialistes
considérés comme
des soutiens à la
décolonisation et
comme
des
modèles
alternatifs
pour
l’indépendance
(influence
émergente
du
marxisme
en
Afrique considéré
comme
une
pensée
de
référence)
Climat
de
contestation dans
différents pays
du
monde
notamment au
sein
des
universités avec
le mouvement
planétaire de 68.
Fragmentation
du
« camp
socialiste » avec
notamment
le
clivage
sinosoviétique, qui
sert de trame
idéologique aux
contradictions
internes
aux
mouvements
étudiants
Mise en place
d'une
nouvelle
forme
de
gouvernance
internationale
avec l'ajustement
structurel qui tend
à déclasser le
système
de
domination
« françafricain »
mis en place par
l'ancienne
métropole. Fin du
clivage Est-Ouest
du fait de la
disparition
du
« camp
socialiste ».
Déclin
voire
effacement
du
tiers-mondisme et
du marxisme.
251
Conditions
spatiales
et
géographiques
des
mobilisations
Créations
d'universités
en
Afrique
mais
envoi de la plus
grande partie des
étudiants africains
dans
les
universités
métropolitaines,
d'où
la
prépondérance
d'un militantisme
diasporique
(FEANF)
Persistance mais
déclin
du
militantisme
diasporique.
Rôle-phare
de
certaines
universités ayant
un rôle régional
(notamment
Dakar)
mais
aussi
nationalisation
rapide
des
enjeux
des
mobilisations
avec la création
d'universités
nationales dans
tous les pays qui
n'en avaient pas
encore.
Enjeux
des
mobilisations
situés dans une
« arène »
entièrement
nationalisée.
Création
d'universités
privées
et
d'universités
secondaires
(souvent à l'écart
de l'espace urbain)
mais
sans
réellement
parvenir
à
décongestionner
les
universités
« historiques »
dont les effectifs
deviennent de plus
en
plus
pléthoriques.
Naissance d'arènes
Degré
d’ouverture du politiques dans les
territoires
sous
système
administration
politique
française
après
1945 et possibilité
d'action
en
métropole
mais
fermeture à partir
de
1960
notamment avec la
mise en place de
dictatures
« françafricaines »
Situations
de
monopartisme
qui place la
contestation
étudiante
en
position
de
figure de proue
d'une opposition
radicale
au
régime en place.
Fin du système de
parti unique mais
le
pluralisme
désormais acquis
ne signifie pas
nécessairement
l'alternance
en
termes
de
personnel
politique
(sans
parler
des
contenus
programmatiques
dans
les
cas
éventuels
d’alternance).
252
Situation
clivages
politiques
(notamment
sein
l’opposition
régime)
des Clivage politique
majeur entre les
forces politiques
au acceptant le cadre
et
de (néo)colonial
qui
le
au celles
rejettent ; au sein
de ces dernières
des
clivages
secondaires (par
ex. entre PAI et
MLN)
Emprise du parti
unique plus ou
moins effective
sur
l'arène
politique au sens
large, au nom
des idéologies de
la « construction
nationale » et du
« développement
». Persistance
d'une opposition
clandestine (ou
semiclandestine) qui
dénonce
l'inféodation de
ces
régimes
« néocoloniaux »
aux puissances
occidentales
mais qui se
divise
en
différentes
obédiences
(souvent liées à la
Tendance à la
perte des repères
et
à
la
fragmentation du
champ politique
qui
affecte
souvent les forces
politiques
qui
s'étaient
développées
en
lien
avec
le
mouvement
étudiant.
Néanmoins
au
niveau
du
personnel
politique
qui
émerge
durant
cette
transition,
présence d'anciens
leaders étudiants
voire
de
formations
politiques issues
de l'âge antiimpérialiste
du
fragmentation de mouvement
la
gauche
se étudiant.
réclamant
marxismeléninisme).
Degré
d’hégémonie et
d'usage de la
coercition par le
régime en place
Faiblesse
hégémonique des
régimes en place
qui
n'ont
pas
mobilisé
leurs
peuples
pour
conquérir
l'indépendance et
qui se reposent
donc
davantage
sur le recours à la
coercition,
notamment
garantie par la
présence militaire
française
(contexte
des
guerres liées à la
décolonisation en
Algérie
au
Cameroun)
Recours à la
coercition avec
des dispositifs
spécifiques
à
l'université vue
comme
un
bastion de la
contestation, ce
qui révèle aussi
la faiblesse de la
« construction
hégémonique »
et qui, parfois,
ouvre
sur
l' « hypothèque
militaire ».
Situation
de
faiblesse
des
régimes en place
qui conduit parfois
à
leur
renversement mais
aussi capacité de
certains à utiliser
la violence pour
« mater »
la
révolte étudiante,
ce qui génère en
retour
des
pratiques
de
contre-violence,
du
côté
des
étudiants,
voire
une
« inculturation »
de la violence sur
les campus (par
ex.
en
Côte
d'Ivoire ou au
Zaïre).
du
253
Position
des
étudiants entant
que
groupe
social
et
possibilité
d’alliances
et
d’extension des
mobilisations à
d’autres secteurs
de la société
Possibilités
réduites
de
mobilisation
en
Afrique du fait du
faible
poids
numérique
des
étudiants et de
leur
position
élitaire
(mais
paradoxalement
statut prestigieux
et
perspective
d'ascension
sociale
individuelle)
Développement
d'une
« base
sociale » de la
contestation
étudiante avec
une
certaine
extension vers
les élèves plus
jeunes et les
salariés urbains.
Dans
certains
cas, influence du
militantisme
étudiant
sur
certaines
fractions
de
l'armée (jeunes
officiers
plus
récemment
formés et plus
réceptifs
aux
idées
« progressistes »
voire
« révolutionnaire
s »)
Rôle d'avant-garde
dans
les
mobilisations
socio-politiques
des années 198090.
« Prolétarisation »
de la condition
étudiante
qui
s'avère
ambivalente : soit
débouchant
une
alliance avec les
classes populaires
touchées par la
rigueur
de
l'
« ajustement »,
soit sur un repli au
sein d'une aire de
mobilisation
restreinte
à
l’Université
en
voie
de
déclassement
puisque les élites
futures vont se
former
à
l'extérieur du pays
ou
dans
des
établissements privés.
Le contexte géopolitique et les influences idéologiques
extérieures
La décennie 1950 est celle de l’émergence politique du Tiers-Monde
symbolisée par la conférence afro-asiatique de Bandoung de 1955, vécue
comme un événement majeur par les étudiants de la FEANF574. L’année
suivante marquée par la crise de Suez est aussi celle où la politique
étrangère de l’URSS s’oriente vers un soutien explicite aux revendications
indépendantistes africaines (Katsiakoris, 2006). Dans une relation faite de
synergies mais aussi de contradictions avec le panafricanisme575, cette
nouvelle donne idéologique et géopolitique va déterminer le cadre
d’action global dans lequel évolue le militantisme étudiant africain du
premier âge, celui de l’anticolonialisme. En retour, le positionnement en
faveur de l’indépendance immédiate dès 1953 a donné une forte légitimité
symbolique ainsi qu’une visibilité internationale à la FEANF, à rebours de
la posture de soumission assimilationniste des élites politiques africaines
au sein de l’Union française, désavouées quelques années plus tard par le
cours de l’histoire576. Sur un autre plan, le désenchantement vis-à-vis du
574«
La conférence de Bandoung a été pour nous un événement sans précédent et de
portée internationale : pour la première fois dans l’histoire,l’Asie et l’Afrique, terre de
prédilection de l’impérialisme, se sont rencontrées pourse retrouver sur un terrain de lutte
commune, au-delà des divergences philosophiques, religieuses, raciales et idéologiques,
etc. »
Déclaration de la FEANF et de l’UGEAO à la deuxième conférence de solidarité afroasiatique tenue en avril 1960 à Conakry (cité en annexe, in : Dieng, 2009 : 256).
575« En conclusion nous pouvons dire que nous sommes pour le panafricanisme dans la
mesure où il signifie lutte conséquente contre le colonialisme et l’impérialisme et dans la
mesure où il signifie unité africaine assise sur des principes conformes aux intérêts des
différents peuples de l’Afrique. Mais nous sommes résolument contre tout panafricanisme
qui signifierait racisme, chauvinisme et isolement car nous entendons contracter des
alliances avec toutes les forces démocratiques fermement décidées à lutter contre le
colonialisme et l’impérialisme. »
Les étudiants africains et l’unité africaine (cité en annexe, in : ibidem : p. 216)
576Voir en ce sens le propos désabusé et révélateur de Sourou Migan Apithy, qui siégeait
pour le Dahomey au Palais Bourbon : «Les élus autochtones africains que vous voyiez
siéger dans cette assemblée y siègent sans doute pour la dernière fois. Nous avons des
254
modèle du « socialisme réel » incarné par l’URSS, n’existait pas encore au
sein de cette intelligentsia africaine en formation, comme c’est le cas en
Europe notamment depuis la crise hongroise de 1956. Le marxisme qui
imprègne les étudiants de la FEANF notamment ceux qui militent au Parti
africain de l’indépendance (PAI) est un marxisme orthodoxe, aligné sur
une géopolitique Est/Ouest davantage que sur la question classique au sein
du mouvement ouvrier européen de la dialectique entre organisation et
spontanéité. Les débats et les ruptures intellectuelles et politiques en
gestation ont eu lieu sur d’autres questions plus proches des
préoccupations tiers-mondistes et africaines, notamment les thèses de
Cheikh Anta Diop ou de Frantz Fanon (Dieng, 2011b : 70-77 ; ibidem :
184-196) ou encore le bilan des régimes révolutionnaires qui ont incarné
le choix de l’indépendance immédiate prôné par la FEANF, notamment la
Guinée de Sekou Touré, avec lequel la rupture s’opère dès le « complot
des enseignants » à la fin de l’année 1961 (ibid : 25).
Au cours des années 1960, deux évolutions majeures modifient le
cadre d’action géopolitique et idéologique des militants étudiants
d’Afrique francophone :
d’une part, on assiste, pas seulement dans les pays occidentaux à la
montée d’une contestation qui s’exprime notamment sur les campus qui
s’effectue selon deux orientations principales : l’une qui remet en cause le
conservatisme des institutions (politiques, familiales, universitaires etc.) et
l’autre qui dénonce les interventions des puissances occidentales dans les
Etats du Tiers-monde.
d’autre part, le camp des pays se réclamant du marxisme-léninisme
se fracture de manière ouverte, essentiellement avec la rupture sinojeunes formés ici dans nos universités, qui estiment déjà que ceux des Africains qui siègent
dans cette assemblée métropolitaine sont des « vendus », sont des « gouvernementaux ».
Demain, c’est cette jeunesse qui sera appelée à prendre la relève. Il faut tenir compte de la
mentalité, de l’état d’esprit de cette jeunesse. » cité, in : Bénot, 1989 : 154)
soviétique, puis de manière secondaire notamment avec la rupture en 1974
entre la Chine maoïste et l’Albanie d’Enver Hodja.
Les mobilisations étudiantes en Afrique francophone qui
ressurgissent dès 1968-69 sont influencées par cette structure des
opportunités politiques plutôt favorable à la contestation au niveau
planétaire mais parviennent à l’adapter en fonction d’un contexte
particulier, à travers la thématique de l’africanisation qui remet en cause le
statu quo « néocolonial » dans le cas des Etats francophones demeurés
dans une situation de dépendance étroite vis-à-vis de l’ancienne métropole
à travers les accords de coopération. Par ailleurs, comme on va le voir, les
schismes au sein du communisme international, vont se refléter dans des
scissions internes aux organisations étudiantes anti-impérialistes.
Au cours de la décennie 1980, avant même la chute du mur de
Berlin et la « mondialisation », la mise sous tutelle des économies
africaines par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale a
constitué la nouvelle donne émergente, tendant à déclasser les modalités
de domination de l’impérialisme français, du moins sur le plan
économique et financier577. Par ailleurs, la chute du mur a exercé des
effets paradoxaux sur la contestation étudiante. D’une part, l’effet de
résonance de la fin du parti unique dans les régimes du bloc de l’Est a
conduit à abandonner au bout de quelques mois un système que d’aucuns
pensaient bien plus « légitime » (au sens wébérien). La contestation
populaire qui a déferlé au début de la décennie 1990 a donc suivi la voie
tracée par les mouvements sociaux « contre-hégémoniques » au premier
rang desquels on trouve les étudiants. Mais, à l’inverse, sur le plan
577Le
moment critique de ce processus a eu lieu avec la dévaluation du franc CFA le 1 er
janvier 1994 que l’on peut relier à un autre événement symbolique survenu quelques
semaines plus tôt : le décès d’Houphouët-Boigny qui était la figure la plus emblématique
de cette relation françafricaine.
255
idéologique, la disparition des pays socialistes en tant que modèles de
référence a laissé orphelins les militants de la gauche marxiste-léniniste
qui encadraient encore les premières manifestations contre les régimes de
parti unique578.
d’origine. En retour, ces expulsions parfois massives, ont accéléré la mise
en place des universités nationales dans les pays qui n’en possédaient pas
encore. Ainsi, la fin de la décennie 1970, la nationalisation des
mouvements étudiants africains francophones est un processus achevé580.
Les conditions spatiales et géographiques des mobilisations
La troisième vague des mobilisations d’étudiants en Afrique
francophone survient dans un espace universitaire inséré dans le tissu
urbain de la capitale et jamais très éloigné des lieux stratégiques du
pouvoir581. Au-delà des arrière-pensées politiques liées à cet aspect
particulier, la surcharge des effectifs et les perturbations de la scolarité
liées aux grèves ont pu favoriser ou accélérer les projets de
décentralisation du système universitaire avec la création d’universités
dans les autres grands centres urbains582.
Au regard du rôle historique qui a été le leur, les militants de la
FEANF ont occupé une situation paradoxale, que l’on peut qualifier de
« cosmopolites enracinés » (Tarrow, 2007). Leur situation en France au
sein d’une diaspora panafricaine les a mis en relation avec des réseaux et
des modèles politiques et intellectuels qu’ils n’auraient pas pu connaître
s’ils étaient restés dans leurs pays. Mais par ailleurs, la noria des arrivées
des nouveaux et des retours des anciens (voire des allers et retours de
certains) a permis de garder le contact avec les réalités des pays africains.
Ce panafricanisme, vécu au quotidien au sein des diasporas
africaines étudiantes579 et non seulement rêvé comme dans les écrits des
pères fondateurs, s’est perpétué encore au cours de la première décennie
des indépendances voire partiellement pour la deuxième, avec la présence
d’étudiants venus de différents territoires, notamment à l’université de
Dakar ou d’Abidjan. Ces derniers ont participé aux mobilisations mais ont
parfois payé au prix fort leur engagement, en étant expulsés vers leur pays
578On
pense évidemment ici au rôle joué par le Parti communiste dahoméen (PCD) se
réclamant du modèle albanais dans la chute du régime Kérékou au Bénin en 1989-90.
579Au sein de la FEANF il y a cependant toujours eu un certain risque de contradiction
entre l’orientation initiale panafricaniste et la prise en compte des spécificités propres à
chaque territoire. Ainsi lors de la constitution de la FEANF, les étudiants ivoiriens étaient
réticents à entrer dans une fédération panafricaine (Dieng, 2003 : 199-206). La
contradiction sera encore plus nette au niveau du Mouvement des étudiants du Parti
africain de l’indépendance (PAI) qui avec la création de nouveaux Etats issus de l’ex-AOF
a mis en place des « groupes nationaux d’étude » qui étaient censés « pas se replier sur
eux-mêmes » mais rapidement des divergences sont apparues entre ces groupes
nationaux notamment en 1964 avec celui du Dahomey (Dieng, 2011b : 122-125)
580La
dissolution de la FEANF en 1980 par le gouvernement a été l’événement qui a
parachevé ce processus.
581Une étude récente sur les mobilisations d’étudiants à l’Université de Ouagadougou a
mis en relief cette dimension spatiale (Sory, 2012)
582Au Sénégal, l’Université Gaston Berger de Saint Louis, construite au cours des années
1980 à plus d’une dizaine de kilomètres de la ville historique, sur la route de Rosso vers
la Mauritanie, a accueilli ses premiers étudiants en 1990. Au Burkina Faso, l’Université
de Bobo Dioulasso a ouvert ses portes en 1995 sur un site distant d’une vingtaine de
kilomètres par rapport à l’agglomération.
256
Le degré d’ouverture du système politique
L’histoire de la FEANF se déroule dans un contexte où le système
politique colonial n’est plus « verrouillé » comme il a pu l’être avant la
Seconde Guerre mondiale. De surcroit, la position en métropole permet
d’user des droits politiques plus étendus que dans les territoires euxmêmes. Cependant, l’action de la FEANF se déroule sous une constante
surveillance policière avec des saisies répétées des publications jugées les
plus subversives (Guimont, 1997 ; De Benoist, in : Boahen & alii, 1993 :
115-127). Avec l’avènement des régimes de parti unique qui s’opère dans
les années voire les mois qui suivent la proclamation des indépendances
au sein du « pré carré » francophone, le système politique se referme sur
les militants passés par la FEANF : d’un côté, ils peuvent être expulsés par
les autorités françaises ; de l’autre, lorsqu’ils arrivent au pays, ils peuvent
être soit arrêtés et jetés en prison, soit sommés d’intégrer le parti au
pouvoir, en tant que « jeunes cadres » un peu remuants mais qu’on espère
voir rapidement rentrer dans le rang583.
Dans la plupart des pays, les organisations étudiantes, quand elles
subsistent, sont contraintes à la clandestinité et survivent aussi pour une
bonne part avec leurs sections établies à l’étranger. Mais paradoxalement,
malgré la fermeture du système politique, les grèves étudiantes qui
éclatent malgré le dispositif de contention mis en place dans le cadre du
militants de l’Union nationale des étudiants du Kamerun (UNEK) ont été la cible
dès autorités françaises qui ont expulsé certains d’entre eux vers leur pays au cours de
l’année 1960 (Guimont, 1997 : 195) ; un scenario similaire s’est produit avec les deux
dirigeants de l’Association générale des étudiants gabonais (AGEG), Ondo-Nze et NdongObiang livrés menottés aux policiers gabonais venus les chercher à l’aéroport du
Bourget en décembre 1961 (L’Etudiant d’Afrique noire, 41, 1964-65) ; en Côte d’Ivoire,
dès 1959, l’arrestation et le procès d’Harris Memel Foté, le président de l’Association des
étudiants de Côte d’Ivoire (Dieng, 1959 : 222-238) préfigure l’ère des « complots » et la
répression de certains cadres du parti issus de la Jeunesse du Rassemblement africain de
Côte d’Ivoire (JRDACI).
monopartisme plutôt défaillant sur les campus584 et l’écho souvent
favorable qu’elles suscitent, ont apporté un démenti cinglant aux
prétentions hégémoniques des « pères de la nation » et ont démontré que
la réalité de leur pouvoir reposait essentiellement sur la coercition et la
crainte inspirée aux populations.
Après avoir tergiversé, les dictateurs françafricains ont du se
rendre à l’évidence : c’était bien la fin de l’ére des partis uniques, d’autant
plus que le « discours de La Baule » est venu signifier qu’il fallait mettre
un terme officiel à ce système. Mais une fois le principe du multipartisme
acquis, dans un certain nombre de pays, le système politique est resté aux
mains des anciens détenteurs du pouvoir, bénéficiant parfois d’un appui
officiel et/ou officieux mais décisif de la part de l’Etat français. Dans un
certain nombre de cas, l’ouverture politique s’est avéré un trompe-l’œil
car il est clairement apparu que le départ des autocrates reconvertis au
multipartisme, ne pouvait se faire, d’une manière non faussée, par la voie
des urnes, d’où des situations critiques (répression sanglante de
l’opposition, coups d’Etat, guerres civiles…) auxquelles on a pu assister
dans les années 1990 au Togo, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Cameroun,
au Zaïre, au Niger.
583Les
584Il
faut mentionner ici la mise sur pied d’organisations « fantoches » à la solde des
pouvoirs en place : en 1965, les gouvernements africains du pré carré francophones
réunis dans l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM) décidèrent de lancer
un « mouvement étudiant » (MEOCAM) chargé de contrecarrer l’influence de la FEANF
(L’Etudiant d’Afrique noire, 48, 1967) ; au bout de quelques années d’existence, les
parrains du MEOCAM durent se rendre à l’évidence : les moyens mis dans l’opération
n’avaient servi qu’à entretrenir le train de vie des « militants » qui présidaient aux
destinées de cette organisation (N’Da,1987 : 74-78)
257
La situation des clivages politiques
A la suite du désapparentement du RDA (du parti communiste),
était apparue l’opposition des étudiants aux représentants politiques
africains élus au Parlement français et aux assemblées des territoires
(Dieng, 2009 : 185-186). Ce décalage entre les positions de la classe
politique africaine naissante et la FEANF n’avait fait que s’agrandir
jusqu’à se cristalliser avec la création du PAI en 1957 (Bénot, 1989 : 153154). Dès sa création, cette formation a exercé une influence
déterminante, pour ne pas dire un contrôle sur la plupart des organes de la
Fédération, à peine contesté par une autre force politique ayant aussi opté
pour l’indépendance immédiate en 1958, le mouvement de libération
nationale (MLN) dont les leaders étaient inspiré par un christianisme
progressiste comme Joseph Ki Zerbo et Albert Tevoedjré (Diané : 115123 ; Dieng : 2009 : 72).
Le contrôle du PAI sur les organes de la FEANF et sur la plupart
des sections nationales s’est prolongé durant quelques années. Mais à
partir du XIXe congrès en1966, ce sont les maoïstes qui vont déborder les
militants du PAI avec l’adoption du mot d’ordre de « l’intégration aux
masses ». L’affrontement entre les prosoviétiques et les prochinois se
poursuit dans les années qui suivent au niveau des organisations
nationales. Ensuite, au sein de ce deuxième courant devenu majoritaire
dans la plupart de ces dernières, surgissent d’autres clivages internes.
C’est le cas durant la seconde moitié de la décennie 1970 où apparaissent
des tendances pro-albanaises qui ont pris la direction des organisations
étudiantes notamment chez les Voltaïques et des Dahoméens. Néanmoins,
l’affrontement principal avec les pouvoirs en place et la situation de
clandestinité des formations qui se disputaient le contrôle du mouvement
étudiant ont globalement atténué l’effet de démobilisation qui aurait pu
découler de ces « luttes de ligne ».
Les mobilisations des étudiants contre les régimes de parti unique
ont d’abord eu un effet initial unificateur. Cependant, avec la nouvelle
donne politique, d’autres clivages vont se cristalliser au sein des étudiants
en fonction des allégeances aux formations politiques qui se disputent le
pouvoir dans le cadre de la transition, comme cela s’est produit pour la
FESCI (Konaté, 2003) ou encore selon des critères ethno-régionaux dans
les pays où l’histoire politique contemporaine, voire le jeu du pouvoir, y
ont contribué, comme dans le cas du Cameroun (Konings, 2002). Parfois,
la multiplication des formations politiques observée tend paradoxalement
à un affaiblissement des repères politiques chez les étudiants et peut
contribuer à une certaine dépolitisation.
Le degré d’hégémonie et d’usage de la coercition par le régime
en place
Même si le projet colonial visait aussi la « conquête morale »,
selon les termes de l’inspecteur général Georges Hardy, promoteur et
idéologue du système d’enseignement au sein de l’AOF, c’est d’abord par
la coercition qu’il s’est imposé. Cette dimension coercitive qui semblait
passer désormais au second plan avec le projet assimilationniste de
rénovation de la domination coloniale (avec la fin du travail forcé
notamment) issu de la conférence de Brazzaville de 1944, est revenue en
force au cours du processus de décolonisation dans les territoires sous
domination française, marqué par des guerres coloniales (celles
d’Indochine, puis d’Algérie ainsi que celle du Cameroun avec les maquis
de l’UPC). Ce dispositif de « contention » n’a pas disparu avec les
indépendances formelles en 1960. La coopération militaire et policière
s’est mise en place entre l’Etat français et les dirigeants des nouveaux
Etats dont la dépendance à l’égard de l’ancienne puissance coloniale était
évidente. En outre, ces nouveaux dirigeants n’avaient jamais tenu de
discours nationaliste jusqu’à l’avènement de ces indépendances et ne
disposaient pas vraiment d’ « intellectuels organiques » capables
258
d’articuler de tels discours de manière crédible. C’est pourquoi les
tentatives de « recherche » ou de « construction hégémonique » que
certains ont cru voir se dessiner ne pouvaient être que fragiles, voire
vouées à l’échec quand bien même certains de ces gouvernants n’ont pas
lésiné sur les moyens pour essayer de se bâtir une légitimité585.
La vague de contestation menée par les scolaires et les étudiants
qui déferle à partir de la fin des années 1960 a bien montré les limites de
ces prétentions hégémoniques586. Face à cette vague qui les a pris de court
et a démontré la fragilité structurelle de ces projets de « construction »
d’une légitimité gouvernementale face aux menées contre-hégémoniques
dont les étudiants étaient les hérauts, les dirigeants africains ont eu recours
à différentes techniques de répression et de pacification. Mais parfois,
notamment dans les régimes les moins bien arrimés au socle françafricain,
des militaires ont été jusqu’à déposer les titulaires du pouvoir. Lorsqu’il
s’est produit, ce scenario de confiscation du pouvoir par des militaires (ce
qu’on peut appeler l’« hypothèque militaire ») n’a pu mettre qu’un terme
provisoire à l’activité contre-hégémonique des étudiants qui s’est
poursuivie malgré l’autoritarisme ambiant.
Le volet répressif, celui qui a été le plus immédiatement utilisé a
consisté à intervenir par la force sur les campus, à arrêter les supposés
585L’exemple
que l’on peut citer est la politique suivie dans les années 1960 par Mobutu
lors de son accession au pouvoir qui a consisté à coopter des dirigeants de l’Union
générale des étudiants congolais (UGEC), qui se réclamaient pourtant de l’option
nationale et anti-impérialiste incarnée par Lumumba, puis ensuite dans la décennie
suivante, la mise en scène idéologique bien connue de l’ « authenticité ».
586L’anecdote rapportée pour le cas du Sénégal, lors de la crise de 1968 par un proche de
Senghor, résume cette faiblesse du dispositif hégémonique dans de tels moments de
vérité : « Où sont les militants de votre parti ? » aurait demandé le général Jean Alfred
Diallo lorsque le chef de l’Etat faisait appel à lui pour endiguer la contestation ; à cette
question « embarrassante », Senghor aurait répondu : « Mon général prenez le pouvoir
si vous le voulez ! » (Lo, 1987 : 37).
responsables des actions menées, à les exclure de l’Université, voire à en
enrôler certains dans l’armée (Sénégal) ou à organiser des cérémonies où
ils devaient solliciter le pardon du chef de l’Etat (Côte d’Ivoire). Ensuite,
le pouvoir a souvent cherché à désamorcer et à déconnecter l’action des
étudiants de celle des autres forces mobilisées en accordant des
concessions catégorielles aux uns et aux autres. Dès cette époque, la
revendication du « respect des franchises universitaires » a émergé et
figure en bonne place dans les plateformes des étudiants, y compris
jusqu’au « troisième âge » du mouvement.
Les étudiants ont payé un lourd tribut dans les mobilisations qui
ont conduit à l’instauration du multipartisme comme en témoignent les
massacres qui ont eu lieu sur les campus de Yopougon en Côte d’Ivoire et
de Lubumbashi au Zaïre en 1990. Ils ont réussi cependant à mener au
cours de cette dernière décennie du XXe siècle, des luttes d’une ampleur et
d’une longueur inégalée qui ont contribué à la transition politique dans les
pays où elle s’est effectivement produite. Mais on a constaté aussi la
résilience de plusieurs régimes françafricains, notamment à cause de leur
expérience acquise en matière répressive et au soutien que ne leur a pas
ménagé la politique africaine de la France, pourtant officiellement orientée
en faveur de la « démocratisation ». Les choses étant ainsi, il n’est pas
surprenant qu’une certaine lassitude ait gagné les rangs des étudiants avec
la multiplication des « années blanches » génératrices de démobilisation,
voire de comportements de fuite vers les établissements privés ou encore
les universités à l’étranger pour ceux qui en avaient les moyens587.
587A
cela s’est ajouté la poursuite de l’agenda des réformes de l’enseignement supérieur
toujours appuyé par la Banque mondiale.
259
La position des étudiants en tant que groupe social et la
possibilité d’alliances et d’extension des mobilisations à
d’autres secteurs de la société
Le faible nombre des étudiants africains dans les années 1950
contraste avec le rôle historique joué par la FEANF. Cependant, à cette
époque, ils ne pouvaient prétendre à un rôle d’avant-garde autrement que
sur le plan des idées. Les alliances nouées avec d’autres forces se sont
ainsi situées sur le plan politico-idéologique, soit avec d’autres
organisations d’étudiants en France réunies dans un même objectif
anticolonialiste, comme celle des Algériens ou des Antillais ou encore des
Réunionnais, soit avec d’autres forces politiques françaises (notamment le
PCF auquel un certain nombre d’étudiants africains ont appartenu), voire
au-delà avec les organisations implantées dans les pays se réclamant du
socialisme d’obédience marxiste-léniniste.
Avec le second âge du mouvement étudiant africain francophone,
les militants inspirés par la FEANF ont parfois essayé d’expérimenter le
mot d’ordre de « l’intégration aux masses » mais pas toujours avec un
succès évident588. Si les crises de 1968-69 ont révélé que la révolte
étudiante et sa dénonciation du « néocolonialisme » rencontrait un écho
certain avec l’expression concomitante du mécontentement social des
salariés, frustrés des promesses de l’indépendance, la mobilisation est
demeurée uniquement urbaine, notamment dans le cas du Sénégal (Blum,
2012 : 172-173). C’est surtout par le biais du mouvement syndical
(notamment les syndicats d’enseignants) que se sont concrétisées des
588Ils
étaient sans doute considérés encore comme faisant partie d’une certaine élite par
l’opinion commune au sein des « masses » en question ce qui pouvait induire des
réactions de recul vis-à-vis des tentatives d’implantation d’une avant-garde
révolutionnaire issue du mouvement étudiant . Cette proximité supposée avec les élites
au pouvoir est invoquée par certaines analyses pour expliquer leur capacité à
s’organiser voire à éviter des mesures de répression plus sévères que s’il s’était agi
d’autres catégories de la société (Hanna, 1971 : 175).
possibilités d’alliance au cours des « conjonctures politiques fluides » qui
ont ébranlé le statu quo issu des indépendances concédées par la puissance
colonial589. A plus long terme, la « fonction générative » du mouvement
étudiant, étendue au champ syndical, a permis le développement de
réseaux militants (parfois développés dans la clandestinité) voire d’un
système d’organisations (lorsque les conditions politico-juridiques le
permettaient) susceptibles d’être en synergie avec l’action du mouvement
étudiant.
Dans les années 1990, les étudiants africains ont été les premiers à
se mobiliser et ont donné une vigueur particulière à la contestation qui
s’est généralisée dans le cadre de « mobilisations multisectorielles » - pour
reprendre un terme utilisé par Dobry - d’une ampleur inédite. La
« massification » et le poids des mesures d’ajustement structurel avec la
réduction voire la suppression des bourses ont rapproché les étudiants sur
le plan des conditions matérielles d’existence de la masse de la population.
Il est devenu de plus en plus difficile de les accuser d’être des « enfants
gâtés » se comportant comme des « ingrats » comme le faisait les chefs
d’Etat africains des décennies 1960 et 1970. Cependant, la dévalorisation
du statut des étudiants et le déclassement relatif des universités africaines
en crise, finissent par être associées à la chronicité des mouvements de
contestation. Apparues d’abord comme le révélateur d’une situation de
crise socio-politique dont le pouvoir politique semblait le principal
responsable , les grèves étudiantes lorsqu’elles se répètent sont alors
montrées du doigt comme étant à l’origine de la paralysie des institutions
universitaires. Un des symptômes les plus tangibles de cette évolution vers
589Les
mouvements d’élèves du secondaire ont aussi constitué des alliés toujours
présents aux côté des étudiants dans ces conjonctures fluides : lorsque les universités
nationales sont apparues, ils ont ainsi relayé les mobilisations d’étudiants à travers
l’étendue du territoire national après avoir précédé l’action de leurs aînés dans
l’histoire des mobilisations au sein des établissements d’enseignement que l’on peut
faire remonter à la période coloniale, notamment les années 1950.
260
un risque d’isolement et de discrédit de l’action revendicative des
étudiants se manifeste à travers les contradictions apparues parfois avec
les autres acteurs syndicaux de l’enseignement supérieur, notamment les
universitaires, qui ne mettent plus seulement en cause la responsabilité des
acteurs gouvernementaux dans l’enlisement des conflits entre le
gouvernement et les étudiants mais aussi l’action de certains d’entre eux.
Le moment critique pour apprécier la vigueur de la poussée
contre-hégémonique des étudiants au Sénégal est sans conteste celui de
mai-juin 1968591, avec une réplique de ce séisme contestataire survenue
l’année suivante. L’alerte a été chaude pour le régime senghorien qui a été
sérieusement ébranlé par la crise mais qui y a survécu, notamment grâce
au soutien de l’armée et des confréries religieuses.
ESQUISSE
Du côté voltaïque, si l’on doit chercher un point de comparaison,
c’est la date du 3 janvier 1966 (restée dans les mèmoires comme celle du
« soulèvement populaire ») qui voit le renversement du régime de Maurice
Yameogo par une coalition formée principalement de scolaires et de
salariés emmenés par les syndicats. La capacité contre-hégémonique des
syndicats voltaïques se vérifie encore plus tard lorsque le général
Lamizana doit faire marche arrière en 1975 et renoncer à son projet de
« gouvernement de renouveau national (GRN) » perçu comme une
tentative d’instauration du parti unique.
D ’UNE
COMPARAISON
ENTRE
LA
TRAJECTOIRE
MOUVEMENT ÉTUDIANT SÉNÉGALAIS ET BURKINABÉ
(EN
DU
GUISE DE
CONCLUSION PROVISOIRE)
Les étudiants sénégalais ont joué un rôle déterminant dans la
création de la FEANF en1950 et durant les années suivantes, ils dominent
encore les instances de direction de cette organisation. La présidence d’
Amadi Aly Dieng (1960-61) constitue l’épilogue de cette période.
Du côté des étudiants voltaïques, même si la création de
l’Association des étudiants voltaïques en France (AEVF) marque le début
du mouvement étudiant sous la forme organisationnelle, c’est plutôt la
création de l’Association des scolaires voltaïques (ASV) en 1956 qui
coïncide avec le début d’une participation à des luttes étudiantes en liaison
avec l’UGEAO. Par la suite, à partir de 1966 à Dakar, et durant la
décennie 1970, les étudiants voltaïques se sont montrés très actifs dans les
mobilisations sur des campus dans des pays voisins ce qui leur a valu de
subir à plusieurs reprises des mesures massives d’expulsions590.
590Des
centaines d’étudiants voltaïques ont été expulsés durant ces années de pays tels
que le Sénégal en 1968, la Côte d’Ivoire en 1970, au Niger en 1979 et au Togo en 1981
(Sanou, 1981 : 201). Trois militants de l’AEVF sont même expulsés en 1976 depuis la
France après avoir mené des luttes de résidents dans les cités universitaires où ils étaient
logés.
Si l’on s’intéresse aussi aux forces politiques qui se sont
développées en liaison étroite avec les mouvements étudiants, on peut
établir une comparaison intéressante.
Au Sénégal, c’est le PAI qui a joué un rôle historique essentiel
dans le premier âge du mouvement étudiant au sein de la FEANF et de
591Lorsque
j’utilise l’expression « étudiants au Sénégal » c’est pour ne pas réduire la
mobilisation aux seuls Sénégalais. Néanmoins, les recherches historiques les plus
récentes font de l'Union démocratique des étudiants du Sénégal, l'acteur essentiel à
l'origine de la mobilisation sur le campus de Fann (Gueye, 2014 : 10-15) . En outre, la
gestion de la crise par le gouvernement a consisté à « nationaliser » le conflit en
renvoyant d'abord les militants non sénégalais de l’UED dans leur pays d’origine
(Bathily, 1992 : 106-107 ; Guèye, 2014 : 47) et en entamant ensuite des négociations
dans un cadre strictement national avec l'UDES seulement, ce qui a causé un certain
malaise entre cette dernière et l'UED qui regroupait les autres nationalités (ibidem : 90100).
261
l’UGEAO. Le PAI était à l’origine un parti fédéral mais il s’est vite
nationalisé avec la création des Etats issus de l’ex-AOF. C’est
essentiellement au Sénégal et en Haute Volta (à partir de 1963) que cette
formation a joué un rôle dans l’histoire politique post-coloniale. Or, dès le
début des années 1960, le PAI d’abord interdit en 1960 par le
gouvernement sénégalais après des incidents lors des municipales de
1960, choisit de se lancer dans la création d’un maquis au Sénégal oriental
en 1963-64. Cette entreprise qui a tourné au fiasco, et l’éloignement entre
les militants restés au pays et la direction de Majmouth Diop en exil, ont
généré une crise interne qui s’est manifestée par une première scission en
1967. Les événements de 1968 ont donc eu lieu dans un contexte où le
PAI n’était plus capable d’assumer le rôle d’avant-garde qu’il prétendait
jouer même si dans la mobilisation à la tête de l’UED ou de l’UDES on
trouvait des militants du MEEPAI (Bathily, 1992 ; Blum, 2012 ; Gueye :
2014 : 112-113).
A la suite de 1968, sont apparus au sein de la gauche se réclament
du marxisme, de nouveaux clivages consécutifs à cette phase critique qui
correspond au deuxième âge du mouvement étudiant pour le Sénégal. Les
étudiants du MEEPAI qui avaient conduit la mobilisation qui avait fait
chanceler le régime ont voulu créer leur propre organisation (la Ligue
démocratique) se réclamant toujours de l’héritage du PAI. Formée à partir
de l’AESF, avec à sa tête Landing Savané, une autre force politique (les
maoïstes connus ensuite sous l’étiquette de And Jëf) va se développer en
milieu étudiant et dominer le mouvement de la fin des années 1970
jusqu’au début de la décennie suivante avec la création de l’Union
nationale patriotique des étudiants du Sénégal (UNAPES). Ensuite, on
assiste à nouveau à un éclatement organisationnel entre les diverses
« unions nationales » se réclamant des différentes fractions marxistesléninistes. La création de la Coordination des étudiants de Dakar (CED)
marque une nouvelle tentative en 1987 pour mettre fin à cette situation.
L’ « année blanche » de 1988 marque sans doute l’entrée dans le troisième
âge du mouvement étudiant sénégalais ce qui montre encore une fois sa
tendance à être « en avance » sur son époque. Cependant, au plan
politique, on constate que les étudiants sénégalais sont désormais
influencés par le principal parti d’opposition, le Parti démocratique
sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade, les maoïstes de Ande Jëf jouant
désormais un rôle de second plan.
Dans le cas des Voltaïques, on assiste durant les années 1970 à un
processus de radicalisation qui se manifeste par des changements de ligne
au cours des congrés de l’Union générale des étudiants voltaïques
(UGEV) résultant des prises de contrôle successives par des formations
politiques de plus en plus « révolutionnaires »592 : en 1971, le MLN perd
le contrôle de la direction au profit du PAI, puis en 1975, c’est au tour du
PAI de laisser la place à des militants que l’on peut associer au maoïsme.
En 1978-79, éclate une crise qui aboutit provisoirement à la scission de
l’UGEV entre deux tendances, l’une dite M21 dirigée par Valère Somé et
son groupe politique l’Union des luttes communistes (ULC) va prendre
part quelques années plus tard au processus révolutionnaire au côté du
capitaine Sankara. L’autre qui est restée finalement à la tête de
l’organisation sous le contrôle de militants du Parti communiste
révolutionnaire voltaïque créé en 1978 (Sissao in : D’Almeida, 1992 :
189-192 ; Diallo in : ibidem : 314-318).
Cette situation sur le plan des affiliations politiques est restée
fondamentalement inchangée jusque durant l’âge des luttes contre
l’ajustement et contre la fermeture du système politique, notamment avec
592Avec
le recul, l’analyse que l’on pouvait faire de cette radicalisation en termes de
« carriérisme » générationnel, interne à la bureaucratie (Sanou, 1981 : 94-97) peut
apparaître étroite …
262
le mois de mai 1990 qui marque le réveil du mouvement étudiant
burkinabé toujours conduit par l’UGEB et L’ANEB.
B) en 1988 qui est devenu dès les années 1990 la principale centrale
syndicale en termes de capacités de mobilisation593 .
Le dernier point de comparaison qui semble significatif pour clore
cette perspective comparative est celui des objectifs vers lesquels s’est
tournée la capacité d’action (agency) des deux mouvements étudiants.
Dans les deux cas, on a bien assisté à des manifestations de la
« fonction générative » des mouvements étudiants mais on peut voir que
cela s’est effectué selon des orientations différentes et, aussi à terme, avec
des conséquences différentes.
Jusqu’au début des années 1970, on peut voir que dans les deux
cas, les questions internationales avec la dénonciation d’évènements
associés à l’impérialisme occidental ont été des thèmes récurrents de
mobilisation (Thioub, in D’Almeida & alii, 1992 : 275 ; Touré, 2001 : 4654).
Par la suite, on a assisté à des stratégies d’enracinement du
militantisme contre-hégémonique mais qui a emprunté des voies
différentes selon les pays. Sous l’impulsion notamment des militants
maoïstes de And Jëf qui se situaient aussi dans la filiation du nationalisme
anticolonialiste de Cheikh Anta Diop et de Majmouth Diop, un travail a
été mené en faveur de la réhabilitation des héros de la lutte anticoloniale
(Lamine Senghor, Aliin Sittoé…) oubliés par l’idéologie universalisante
promue par Senghor ou encore en faveur de l’apprentissage et de la
revalorisation des langues nationales par rapport au français ayant toujours
le statut de langue officielle (AESF,1979 ; Diop, in : Diop,1992 : 445446).
Du côté du mouvement voltaïque devenu burkinabé au cours des
années 1980, c’est l’investissement au sein de ce qui n’était pas encore
appelé la « société civile » qui a mobilisé les militants issus de l’UGEV,
notamment au sein du mouvement syndical avec la création du Syndicat
des travailleurs de l’enseignement et de la recherche (SYNTER) en 1981
et la constitution de la confédération générale du travail du Burkina (CGT-
Dans les deux cas, des mobilisations étudiantes se produisent
chaque année depuis des décennies mais elles n’ont pas le même impact
sur le système politique.
Dans le cas du Sénégal, du fait notamment des deux alternances
électorales (2000 et 2012), le jeu politique ne donne plus autant de prise à
l’action contre-hégémonique des étudiants. La faible durée de vie des
organisations étudiantes sénégalaises que l’on peut observer est un autre
élément d’explication mais cette variable historique doit être reliée à
d’autres éléments contextuels tels que la crise et le déclin des
organisations issues de la gauche marxiste qui, depuis les années 1990, se
sont laisser intégrer, en tant que forces d’appoint, au jeu des combinaisons
gouvernementales ou encore le factionalisme et le leaderisme qui
caractérise la vie politique au Sénégal depuis sa naissance au sein de
« quatre communes ». Il n’est pas surprenant que, dans une telle
conjoncture historique, le flambeau de l’action contre-hégémonique porté
par les étudiants en 1968, soit repris de nos jours par d’autres figures plus
« médiatiques » tels que les rappeurs de Y’en a marre en 2011.
Dans le cas du Burkina Faso, les luttes étudiantes qui ont culminé
en 1998-99 avec le mouvement « Trop c’est trop » en réaction à
593On
peut aussi mentionner, dans la même logique de construction de contre-pouvoirs,
le Mouvement Burkinabé des droits de l’homme et des peuples (MBDHP).
263
l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, se sont prolongées dans les
années 2000 - dans un cadre organisationnel non remis en cause avec
l’ANEB qui est demeuré l’organisation qui détient un quasi-monopole de
la représentation des étudiants - en ayant conservé une résonance plus
politique et en parvenant à résister au projet de « domestication » mené
par le pouvoir (Chouli, 2009). L’absence d’alternance politique et la faible
place laissée par le régime Compaoré à l’opposition politique
parlementaire ont indirectement favorisé une certaine unité de la « société
civile » qui a été construite par des militants issus souvent de la matrice de
l’UGEV. Le mouvement social total de 2011 (Chouli, 2011) est venu
s’inscrire dans ce processus de long terme qui est celui d’une lutte entre
l’un des plus anciens pouvoirs « françafricains » et son opposition sociopolitique issue historiquement de l’action contre-hégémonique des
étudiants.
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267
TABLE DES MATIÈRES
Sommaire des pré-actes du colloque ........................................................ 2
Didier Monciaud. Les étudiants sont revenus (‫ »)رجعوا ذةال ت الم‬: le
“68” égyptien, année de protestation et de rupture............................... 32
Bibliographie sommaire ............................................................................... 33
Programme ........................................................................................................ 4
Irène Rabenoro. De l’espoir d’une “Ecole nouvelle” en Mai-1972 à
Madagascar au désespoir actuel des étudiants ........................................ 33
Liste des 27 communications par ordre alphabétique ...................... 7
La toile de fond de l’objet ............................................................................. 34
Comité scientifique et d’organisation....................................................... 8
Du corpus et de la démarche méthodologique ................................... 36
JEUDI 3 JUILLET ................................................................................................ 9
L’école : détruire et construire .................................................................. 43
I – ANNÉES 1960-1980 : LE TEMPS DES RÉVOLUTIONS ? ................... 9
Bibliographie sélective.................................................................................. 49
Atelier 1 : Les années 68 au prisme des étudiants africains.
Subjectivation et transformations sociales .............................................. 9
Sources ................................................................................................................ 50
Burleigh Hendrickson. Student Activism and the Birth of the
Tunisian Human Rights Movement ................................................................. 9
Tunisian Student Activism ........................................................................... 10
Human Rights as a Response to Repression ........................................ 13
"Black Thursday": January 1978 and The Workers Movement ... 15
Morgan Corriou. Cinéphilie et engagement estudiantin en Tunisie
sous Bourguiba ...................................................................................................... 50
Bibliographie .......................................................................................................... 51
Atelier 2 : Autonomisation des mouvements étudiants ? Entre
engagement syndical et partisan ............................................................. 52
Conclusion .......................................................................................................... 20
Héloïse Kiriakou. L’engagement politique des jeunes congolais à
l’aube de la révolution d’août 1963 .............................................................. 52
Ophélie Rillon. Révolution dans le genre au Mali. L’émergence de la
figure de l’étudiante contestataire dans les mouvements de la fin
des années 1970 .................................................................................................... 21
I. Les organisations politiques des jeunes : embryonnaires mais
portées par une poignée de militants connectés à l’international
................................................................................................................................. 53
L’étudiante contestataire : une nouvelle figure de la lutte ............. 22
II. Des loisirs aux organisations confessionnelles : des formes
d’opposition alternatives ? .......................................................................... 57
Devenir une militante : trajectoires personnelles, expériences
collectives ........................................................................................................... 25
La timide émergence d’une identité collective féminine ................ 28
III. L’éclosion d’un mouvement contestataire unitaire pendant la
révolution ........................................................................................................... 60
Conclusion .......................................................................................................... 63
268
Matt Swagler. Qui définit « la jeunesse »? Les étudiants et la
politique des organisations de jeunesse au Congo-Brazzaville, 1963
à 1968 ........................................................................................................................ 64
Françoise Blum. De la FEANF et du mouvement étudiant en
diaspora .................................................................................................................... 82
I. Introduction: Students and the "Youth" ............................................. 64
Redéfinitions idéologiques .......................................................................... 85
II. The Student Radicals ................................................................................ 65
Redéfinitions stratégiques........................................................................... 86
III. Organizing the Youth............................................................................... 66
Redéfinitions des rapports avec les états africains ........................... 88
IV. Defining Youth Politics ........................................................................... 68
Bibliographie sélective.................................................................................. 90
V. The Militarization of the Youth ............................................................. 70
Quelques Sources ............................................................................................ 90
VI. Conclusion.................................................................................................... 72
Pedro Monaville. Lumumba, Mobutu, et Mao: Une “histoire globale”
du mouvement étudiant congolais ................................................................ 91
Malika Rahal. 1968-1971 en Algérie. Contestation étudiante, parti
unique et enthousiasme révolutionnaire.................................................... 73
Bibliography ...................................................................................................... 82
Éléments bibliographiques ......................................................................... 92
Atelier 3 : Connexions, circulations .......................................................... 74
VENDREDI 4 JUILLET.................................................................................... 93
Nicolas Bancel et Thomas Riot. Une étude comparée de la
mobilisation des jeunesses catholiques scolarisées dans les
décolonisations africaines : les cas du Rwanda et de l’ancienne AOF
entre 1945 et 1970............................................................................................... 74
Atelier 4 : Les voies de la radicalisation ................................................. 93
Sociologie du recrutement ........................................................................... 76
Références .......................................................................................................... 94
Trajectoires politiques des mouvements .............................................. 77
Pauline Bernard. De l'université au maquis : les militants étudiants
engagés dans la guérilla pendant la guerre civile de 1981-1986 en
Ouganda.................................................................................................................... 95
Pratiques et africanisation des mouvements....................................... 78
Racialisation de l’émancipation ................................................................. 79
Pierre Guidi. « Éradiquons les voleurs ! » : les élèves de l'école
secondaire du Wolaita contre les élites locales (Éthiopie, 1970)..... 93
Transferts culturels et indépendance relative des membres........ 79
Être étudiant militant à Makerere au sortir du régime autoritaire
d'Idi Amin ........................................................................................................... 95
Conclusion .......................................................................................................... 80
Les « intellectuels » dans le maquis ...................................................... 100
Klaas van Walraven. The Struggle of Sawaba in Niger and its
Students in Eastern Europe, 1958-1969 ..................................................... 81
Mohamed Dhifallah. Radicalisation du mouvement étudiant
tunisien : Du gauchisme à l’islamisme (1963-1980) .......................... 107
269
Naissance et évolution de la radicalisation estudiantine............. 107
1. Mobilization and organization of activism.................................... 136
UGET : continuité et rupture.................................................................... 109
2. Mali ................................................................................................................ 137
Révisionnistes et révolutionnaires ....................................................... 112
3. Kenya ............................................................................................................ 139
Le pouvoir comme cause de la radicalisation ................................... 113
4. From mobilization to institutionalization ..................................... 141
Conclusion ....................................................................................................... 115
References ....................................................................................................... 142
Sofiane Boudhiba. De l’universite a la rue : le rôle des étudiants
tunisiens dans la révolution du jasmin ..................................................... 116
Introduction .................................................................................................... 116
Joseph Koffi Nutefé Tsigbe. Les contestations étudiantes à
l’université de Lomé : entre politisation, radicalisation et
négociation (1990-2010) ............................................................................... 144
1. Les étudiants au cœur de la révolution du jasmin ..................... 116
Introduction ................................................................................................... 144
2. Les préoccupations des étudiants..................................................... 117
1. Les mouvements étudiants à l’Université de Lomé de 1990 à
2003 : quelle grille de lecture ? .............................................................. 145
3. Les étudiants après la révolution ...................................................... 119
CONCLUSION .................................................................................................. 122
2. De la radicalisation à la négociation : quels enjeux pour quels
résultats ? (2004-2010) ............................................................................. 155
Atelier 5 : Le syndicalisme étudiant comme outil de légitimation
...........................................................................................................................123
Conclusion ....................................................................................................... 162
Assani Adjagbe, Abdoulaye Bamba et André Dominique Yapi Yapi.
La Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) :
laboratoire d’une élite politique 1990-2010? ........................................ 124
Bibliographie .................................................................................................. 164
Résumé ............................................................................................................. 124
Introduction .................................................................................................... 125
I.
II.
Lutte syndicale dans un contexte politique tendu ................. 125
La politique comme prolongement de la lutte syndicale 129
Sources & bibliographie ............................................................................ 163
Atelier 6 : Que faire ? Désillusions, basculements et adaptations du
syndicalisme étudiant ............................................................................... 165
Jacinthe Mazzochetti. Les étudiants burkinabè au tournant du XXIe
siècle. Entre luttes et compromissions, réussir sa vie ........................ 165
Eléments bibliographiques ...................................................................... 167
Conclusion ....................................................................................................... 133
Hanna Cleaver. ‘Becoming a True Activist’ Student Activism in
Burkina Faso ........................................................................................................ 167
Anna Deutschmann. From mobilization to institutionalization?
Students’ political activism in Mali and Kenya ...................................... 135
Abstract ............................................................................................................ 167
270
Introduction .................................................................................................... 167
Des étudiants devenus nostalgiques de Wade ? .............................. 201
Creating Small-Scale Alternatives.......................................................... 170
Conclusion ....................................................................................................... 204
Becoming One ................................................................................................ 175
Références bibliographiques ................................................................... 204
Notes .................................................................................................................. 179
SAMEDI 5 JUILLET ...................................................................................... 206
References ....................................................................................................... 180
Atelier 7 : Contributions des étudiants aux reconfigurations de
l’action publique.......................................................................................... 206
Claude Mbowou. Dans la boîte noire d’un mouvement étudiant en
contexte autoritaire. L’apprentissage contestataire au sein d’un
mouvement étudiant au Cameroun............................................................ 183
Hughes Morell Meliki. Registres contestataires estudiantins et
inflexion du socle politique post-autoritaire au Cameroun ............. 206
Bibliographie .................................................................................................. 185
Mobilisation étudiante et violence : une collusion historique... 207
Mamadou Dimé. Entre syndicalisme alimentaire et stratégie
protestataire. Abdoulaye Wade et les étudiants : du héros adulé au
patriarche déchu ................................................................................................ 185
Violence d’État versus violence estudiantine ................................... 208
Résumé ............................................................................................................. 185
Introduction .................................................................................................... 186
Les étudiants, fidèle bataillon d’Abdoulaye Wade dans sa
conquête du pouvoir ................................................................................... 188
Paa bi et les jeunes: ancrage et dimensions d’une relation « quasifusionnelle ».................................................................................................... 191
« Personne ne peut connaître vos problèmes mieux que moi ! »
Wade face aux étudiants : entre paternalisme, stratégie
alimentaire et poursuite de la répression .......................................... 193
« Un Maître et ses disciples ». Fondements et péripéties de
l’adulation de Paa bi puis de son désaveu .......................................... 194
Du héros adulé au patriarche déchu. Wade et sa « jeunesse
rebelle » ............................................................................................................ 199
Contexte et prétextes de la mobilisation de 2005 .......................... 210
Une gouvernance universitaire politisée ........................................... 211
Registre religieux et renouveau contestataire ................................. 212
Jouer avec et contre le Renouveau : le pouvoir pris à son piège
idéologique ..................................................................................................... 214
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................ 217
Tatiana Smirnova. Idées de la “nouvelle gestion publique” dans
l’enseignement supérieur au Niger : entre la promotion des valeurs
“démocratiques” et héritage du mode opératoire des régimes
autoritaires........................................................................................................... 219
Références ....................................................................................................... 220
Sources ............................................................................................................. 220
Olivier Provini. L’étude des mouvements étudiants comme grille de
lecture de l’action publique : appréhender le non-changement par
271
l’action collective. Le cas des mouvements étudiants des universités
du Burundi et de Dar es Salaam................................................................... 220
Les Afriques dans le Monde,.......................................................................... 220
Résumé ............................................................................................................. 220
Introduction .................................................................................................... 221
L’université du Burundi : expliquer le non-changement par la
mobilisation des étudiants et les configurations de pouvoir ..... 226
L’université de Dar es Salaam : post-socialisme, sentier de
dépendance et réforme cosmétique ..................................................... 235
Conclusion ....................................................................................................... 241
En guise de conclusion. .............................................................................243
Pascal Bianchini. Les trois âges du mouvement étudiant dans les
pays d’Afrique subsaharienne francophone ........................................... 243
Un aperçu des trois « âges » du mouvement étudiant en Afrique
francophone .................................................................................................... 245
L’évolution de la structure des opportunités politiques .............. 250
Esquisse d’une comparaison entre la trajectoire du mouvement
étudiant sénégalais et burkinabé (en guise de conclusion
provisoire) ....................................................................................................... 261
Bibliographie .................................................................................................. 264
Table des matières .....................................................................................268
272
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