LA BATAILLE DE L'ATLANTIQUE (1939-1945) Collection CAMPAGNES 8c STRATEGIES dirigée par Philippe RICALENS îgi ¿ffHituleti &&atai/le$ Guy MALBOSC LA BATAILLE DE L'ATLANTIQUE (1939-1945) La victoire logistique et celle du renseignement clés de la victoire des armes Préface de la seconde édition Hervé Coutau-Bégarie 2 édition e € 3 ECONOMICA 49, rue Héricart, 75015 Paris Illustration de la couverture : Convois de navires marchands, protégés par l'aviation et la marine de guerre pendant la guerre de 1939-1945. © Keystone. © Ed. ECONOMICA, 2011 Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution réservés pour tous les pays. TABLE DES MATIÈRES Préface de la seconde édition Préface de la première édition Avant-propos de la première édition Avant-propos de la seconde édition XV XIX XXIII XXVI CHAPITRE 1. - LES FORCES EN PRÉSENCE ET LEURS PRÉPARATIFS 1. Le contexte historique 2. Les forces navales en septembre 1939 La conférence de Washington et ses suites Les années trente La balance des forces 2.1. Les marines alliées La marine britannique La marine française 2.2. Les marines de l'Axe La marine italienne La marine allemande 2.3. La marine soviétique 3. L'organisation des forces et les préparatifs 3.1. La préparation et les premières mesures alliées Le renseignement naval Les convois Les lacunes 3.2. La préparation et les premières mesures allemandes L'arme sous-marine Les meutes Le ravitaillement en mer Les télécommunications Les lacunes allemandes 4. Lafinde la bataille 1 1 3 4 4 5 6 6 9 13 13 15 18 20 20 21 26 27 30 30 32 32 33 33 34 Vili / Table des matières CHAPITRE 2. - LA BATAILLE DE SEPTEMBRE 1939 À MARS 1941 1. Les opérations de septembre 1939 à juin 1940 Les premières mesures et les premiers combats Le raid sur Scapa-Flow La fin du Graf Spee Les corvettes L'offensive des U-Boote et des corsaires L'invasion de la Norvège La campagne de France et ses conséquences Le début des « temps heureux » et la crise des torpilles Le renseignement naval 2. Les opérations de juillet 1940 à mars 1941 Les U-Boote dans les ports français Le drame de Mars-El-Kébir Le début de la coopération américano-britannique Les U-Boote reviennent dans l'Atlantique Les meutes L'opération politico-militaire contre Dakar L ' aide américaine La victoire de Tarente Le bilan de 1940 Le commandant Winn Les corsaires cuirassés Les Alliés s'organisent La bataille du cap Matapan 39 39 39 42 43 44 45 46 47 51 51 53 53 54 56 57 60 62 63 64 65 66 66 68 71 CHAPITRE 3.- LES U-BOOTE ET LEURS PRÉDATEURS 1. L'arme sous-marine allemande 1.1. Les sous-marins Description La navigation en plongée et le schnorchel La technique de torpillage Alberich Les types de U-Boot 1.2. L'amiral K. Dônitz 1.2.1. Biographie sommaire La première guerre mondiale La seconde guerre mondiale La stratégie sous-marine 1.2.2. Le style de commandement, le moral et la politique État-major réduit Le moral et la politique 75 75 75 75 78 79 82 83 88 89 89 90 91 94 94 97 Table des matières /VII 1.3. Les hommes et les bases La formation des sous-mariniers Les sous-mariniers La vie à bord Les bases sous-marines 2. Les prédateurs des U-Boote La comptabilité des pertes 2.1. Les navires d'escorte Les corvettes Les avisos Les frégates Les porte-avions d'escorte 2.2. Le commandant Walker Un début de carrière difficile Le commandant Walker prend la mer La méthode s'affine Le Second groupe de soutien La croisière la plus dévastatrice de la guerre La dernière mission 99 99 101 105 106 108 108 109 110 111 111 112 114 114 115 118 120 122 124 CHAPITRE 4. - LES LIBERTY SHIPS 1. L'organisation industrielle La Commission Maritime et les chantiers Le chantier de Marinship 2. Les navires et les techniques de production Les navires-types La standardisation Les coûts 3. Les équipages Le métier et ses risques Le canot numéro sept 127 127 127 129 130 130 131 135 136 136 138 CHAPITRE 5. - LA BATAILLE D'AVRIL À DÉCEMBRE 1941 1. Les combattants sur le théâtre méditerranéen 1.1. Les opérations du printemps 1941 Rommel attaque L'évacuation de la Grèce Le ravitaillement de Malte L'évacuation de la Crète 1.2. Les opérations du second semestre 1941 L'affirmation de la stratégie britannique La préparation des offensives d'automne 145 147 148 149 150 150 151 152 152 153 Vili / Table des matières L'avantage naval britannique Lariposteallemande 2. Les opérations dans l'Atlantique 2.1. Les différents aspects de la bataille L'escadre allemande de Brest La bataille contre le Bismarck La lutte contre les autres grandes unités de surface Les convois arctiques Les convois côtiers britanniques 2.2. Les mesures d'organisation alliées L'amélioration de a situation des escortes La neutralité engagée des USA L'amélioration de la couverture des convois Le progrès des décryptages alliés Le renseignement naval britannique WATU et la formation tactique 2.3. Les opérations de la fin de l'année La menace des U-Boote se déplace Apparition du porte-avions d'escorte Pearl Harbour et ses conséquences CHAPITRE 6.- L'/i TLANTIS, CORSAIRES MARCHANDS ET FORCEURS DE BLOCUS.... 1. ISAtlantis et les corsaires marchands 1.1. Les préparatifs La stratégie allemande L'Atlantis se prépare 1.2. La croisière de l'Atlantis Les premières prises L'alerte est donnée L'activité des corsaires Les derniers mois de VAtlantis 1.3. Le combat contre les corsaires marchands Le difficile apprentissage Lafinde YAtlantis Le sauvetage des naufragés 1.4. Les corsaires cuirassés 1.5. La seconde vague de corsaires marchands Les croisières de la seconde vague 1.6. Bilanfinalde la guerre de course 2. Les forceurs de blocus La première vague La seconde vague de forceurs de blocus Le bilan final 155 156 158 158 158 160 164 165 165 166 166 166 167 169 172 175 176 176 178 179 181 182 182 183 185 186 186 187 189 192 194 194 195 198 200 203 204 206 207 208 209 212 Table des matières /IX CHAPITRE 7. - LA BATAILLE DE L'ATLANTIQUE, DE JANVIER 1942 À MAI 1943 1. Les opérations de janvier à juillet 1942 La stratégie allemande La situation des escortes La faiblesse du Coastal Command La coopération entre la marine et l'aviation allemandes 1.1. Les opérations dans l'Atlantique L'imprégnation américaine Le renseignement naval américain L'opération « Paukenschlag » sur les côtes américaines.... La bataille des convois Le renseignement naval allié en panne L'évasion des croiseurs allemands Le raid sur Saint Nazaire La catastrophe duPQ17 1.2. Les opérations en Méditerranée 1.3. Madagascar et l'océan Indien 215 216 217 218 219 219 220 220 221 222 226 228 230 232 233 238 241 2. Les opérations d'août à décembre 1942 2.1. La bataille dans l'Atlantique Les opérations en août et septembre L'affaire du Laconia Les paquebots transports de troupes La relance de la construction des U-Boote Les opérations d'octobre à décembre L'amiral Horton 2.2. La bataille en Méditerranée L'opération « Pedestal » El Alamein L'opération « Torch » Le sabordage de la flotte française La reconstitution d'une marine française Les convois arctiques 2.3. Le bilan de 1942 3. Les opérations de janvier à mai 1943 3.1. La situation des états-majors en début de période La reprise des décryptages britanniques L'amiral Dônitz commande la Rriegsmarine 3.2. Les opérations en Méditerranée La marche vers la victoire L'exploitation de la victoire 3.3. Les opérations dans l'Atlantique Les principales orientations alliées La bataille en janvier et février 242 242 243 244 245 245 246 248 249 250 251 252 258 259 260 262 263 263 263 266 268 268 270 271 272 275 1.4. Bilan du premier semestre 1942 241 Vili / Table des matières Le tournant de mars 1943 La bataille en avril et mai Les raisons de la victoire alliée CHAPITRE 8. - DEUX BATAILLES DE CONVOIS 1. La bataille des convois HX 229 et SC 122 du 16 au 22 mars 1943 L ' appareillage La bataille 2. La bataille de la mer de Barents : 31 décembre 1942 L'appareillage Les premières difficultés La bataille Hitler est furieux CHAPITRE 9.- LA BATAILLE DE JUIN 1943 À LA 1945.. 1. La bataille de juin à décembre 1943 1.1. Les facteurs clés pour la victoire Les navires de débarquement Les réservistes de la Royal Navy La X flotte US et le commandement interallié 1.2. Les opérations dans l'Atlantique L'offensive aérienne contre les U-Boote L'offensive contre les U-Boote ravitailleurs Les U-Boote des mers lointaines L'offensive d'automne La surveillance du Tirpitz Lafindu Scharnhorst L'efficacité de l'équipe du commandant Winn Les Açores 1.4. Les opérations en Méditerranée Le débarquement en Sicile Le débarquement en Italie et ses conséquences La reconquête de la Corse Les combats en Méditerranée orientale Le raid aérien sur Bari 1.5. Le bilan de 1943 2. La bataille de janvier à juin 1944 2.1. Les opérations dans l'Atlantique Un crime de guerre Le passage de Gibraltar Le retour des U-Boote dans les Western Approaches L'apparition du schnorchel La dernière meute Les S-Boote e 278 281 284 287 287 288 290 292 292 294 296 299 301 302 302 302 303 304 308 308 312 314 315 317 319 322 324 325 325 329 331 332 333 334 334 335 335 335 336 337 338 340 Table des matières /XI La réorganisation des convois Le commandant Gallery Le débarquement en Normandie 2.2. Les opérations en Méditerranée Le débarquement d'Anzio La bataille des convois 3. La bataille de juillet 1944 à mai 1945 3.1. La fin des opérations en Méditerranée Les controverses stratégiques alliées Le débarquement en Provence Le bilan final 3.2. Les opérations dans l'Atlantique au second semestre 1944 Les nouveaux U-Boote La zone d'action des U-Boote Les opérations dans les eaux côtières jusqu'en décembre 1944 L'Arctique et lafindu Tirpitz Le bilan de 1944 3.3. La fin des opérations dans l'Atlantique Les perspectives au début de 1945 Lafindes opérations dans l'Arctique Lafindes opérations côtières Lafindes combats dans l'Atlantique Bilanfinalde la bataille de l'Atlantique CHAPITRE 10.- LA GUERRE DES CODES ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS 1. Le cadre général 1.1. Z 'évolution des techniques de chiffrement Le camouflage des messages L'ère de la radio Codes et chiffres L'expérience de la première guerre mondiale Le progrès du chiffrement et ses contraintes 1.2. L'attaque des télécommunications adverses Techniques de localisation de l'adversaire Le décryptage et la protection du trafic radio L'organisation britannique du décryptage L'exploitation du renseignement L'organisation allemande du décryptage Les succès des décrypteurs allemands 1.3. Le trafic radio des U-Boote La radio, talon d'Achille des U-Boote Le danger du repérage radiogoniométrique Le danger du décryptage du trafic radio 341 341 343 349 349 351 354 355 355 356 358 359 359 360 362 364 367 368 368 369 370 372 375 377 377 377 378 379 380 381 382 386 386 388 389 391 393 395 396 396 398 402 Vili / Table des matières 2. La lutte des Alliés contre Enigma 2.1. Description de la machine Enigma 2.2. Les travaux polonais, français et britanniques Les premiers travaux polonais L'apport des services français aux travaux polonais La coopération entre Anglais, Français et Polonais 2.3. La percée d'Ultra dans le domaine maritime La complexité des procédures La percée et les difficultés britanniques Les principaux réseaux décryptés L'importance relative des décryptages 3. Le chiffrement des messages transmis par la Résistance 3.1. La clé 3.2. Le carré de Vigenère Le principe Le « One time pad system » 3.3. Méthode de la double transposition 4. Conclusion ANNEXE 1. - La bataille du convoi ONS5 28 avril-6 mai 1943 Les options stratégiques L'apport du radar et du Huff-Duff Des équipages surmenés Le bilan ANNEXE 2. - La marine marchande norvégienne ANNEXE 3. - Le commandant Winn Un héros méconnu (1903-1972) ANNEXE 4. - Les convois et la guerre froide La troisième guerre mondiale La flotte sous-marine soviétique L'aéronautique navale Les études disponibles La bataille selon Sir John Hackett Tempête rouge Les clés du roman Les coups d'ouverture Les premiers combats dans l'Atlantique Les adversaires neutralisent La course contre la montre Conclusion provisoire 404 404 407 408 408 411 415 415 416 423 424 425 426 427 428 428 429 431 433 434 445 447 448 451 453 459 459 460 462 462 463 465 466 467 468 471 472 473 Table des matières /XIII ANNEXE 5. - La guerre des mines Les champs de mines défensifs Les mines La coopération marine-aviation dans la guerre des mines Le minage offensif des Allemands Les contre-mesures britanniques Temps gagné, temps perdu Le minage offensif des Britanniques La mine magnétique allemande LMB 477 478 481 484 486 488 492 493 500 ANNEXE 6. - Les chiffres clés de la bataille 1. Tonnage mensuel allié coulé par les forces allemandes 2. Tonnage mensuel coulé par les U-Boote 3. Tonnage coulé par les U-Boote par jour de mer 4. Bilan simplifié de la bataille de l'Atlantique 5. Pertes mensuelles des Allés en tonnes et pertes mensuelles des U-Boote 6. Croissance de la flotte des U-Boote 7. Détail des pertes alliées, en tonnage et nombre d'unités coulées, par cause de perte 8. Délai des pertes alliées, en tonnage et nombre d'unités coulées, par zone géographique 9. Détail des pertes des U-Boote par cause et par théâtre 10. Détail des pertes des U-Boote par cause 11. Partage des pertes des U-Boote entre les escorteurs et l'aviation 12. Pertes comparées des navires marchands et des U-Boote par théâtre 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 Bibliographie et sites internet 521 Index - des noms de personnes - des noms de vaisseaux - des noms de lieux - des noms de convois - des noms propres 523 527 533 535 537 Table des cartes et des graphiques 543 PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITION La guerre, on le sait depuis Clemenceau, est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls militaires. De la même manière, l'histoire militaire est une chose trop complexe pour être laissée aux seuls historiens de profession. Le livre de Guy Malbosc sur la bataille de l'Atlantique en apporte une preuve éclatante. L'auteur n'est pas un historien universitaire et cela se remarque d'emblée à l'absence totale de notes. Cela ne l'empêche pas d'avoir beaucoup lu et de maîtriser une information abondante et sûre. Mais il est d'abord un opérationnel, à la fois officier de réserve et consultant pour l'industrie et, comme tel, habitué à aller directement à l'essentiel, sans s'encombrer de détours méthodologiques ou d'appareil critique. Le résultat est un livre très pédagogique, d'une remarquable clarté et d'une quasi-exhaustivité. Quand on évoque la bataille de l'Atlantique, l'image qui surgit spontanément est celle des U-Boote de l'amiral Dônitz. Mais l'action des raiders de surface, si elle ne peut rivaliser avec celle des sous-marins par les succès enregistrés, a quand même eu des effets indirects importants, en perturbant de manière sensible la navigation alliée pendant de longues périodes durant les deux premières années du conflit. Il y a eu aussi les opérations côtières, trop souvent oubliées ou négligées malgré leur importante cruciale. En fait, la bataille de l'Atlantique a été la combinaison d'un ensemble d'armes : les sous-marins, mais aussi les avions, les navires de surface et les mines. Guy Malbosc établit le bilan final dans des annexes très détaillées : on arrive à 21,5 millions de tonnes coulées pour l'ensemble de la guerre, dont plus des 2/3 (68 %) par les sous-marins. Vient ensuite l'aviation, dont le rôle est souvent minimisé en raison de la polarisation sur le bombardement stratégique ou l'intervention dans la bataille terrestre, les opérations aéronavales étant identifiées aux seules XVI / Préface de la seconde édition opérations des porte-avions. Or, il n'y a pas eu de grandes batailles de porte-avions dans l'Atlantique. Mais l'aviation basée à terre a quand même représenté 13,5 % des pertes alliées et une part importante des destructions de U-Boote. Il faut aussi signaler le rôle des mines, l'arme du pauvre mais qui a coulé presque autant de navires marchands que les unités de surface. C'est un avertissement à retenir aujourd'hui, alors que plus de 50 pays dans le monde possèdent des mines et que leur fabrication ne présente pas de difficultés techniques considérables. En 1991, lors de la guerre contre l'Irak, deux grandes unités de l'US Navy ont été mises hors de combat par des mines du type E, dont la première version date de 1908. On parle couramment de guerre du Pacifique, mais seulement de bataille de l'Atlantique. Il y a là une déformation doublement malheureuse. D'abord, parce qu'elle donne au concept de bataille une extension démesurée, qui l'éloigné de son essence originelle : il vaudrait mieux parler de campagne pour rendre compte d'un événement qui a duré plus de cinq ans, avec de multiples séquences et sur un théâtre d'opérations démesuré. Ensuite, parce qu'elle tend à réduire cette composante majeure de la seconde guerre mondiale à sa seule dimension militaire alors qu'il s'agit d'un phénomène beaucoup plus complexe, mettant en œuvre tous les éléments de la puissance des belligérants. Le grand mérite de Guy Malbosc est de dépasser cette vision traditionnelle trop étroite, centrée sur les seules opérations, pour bien faire ressortir les différentes facettes de cette soi-disant bataille. Spécialiste d'optimisation des flux industriels, il met, à juste titre, l'accent sur le problème capital de l'organisation : une meilleure rotation des convois, un meilleur accueil dans les ports, procurent des millions de tonnes supplémentaires pour le fret, avec des résultats équivalents à ceux d'un énorme effort de production des chantiers ou, à l'inverse, de destruction des navires marchands par l'Allemagne. Il y a aussi le problème capital du renseignement, auquel Guy Malbosc consacre tout un chapitre. Ce fut une véritable bombe, dans les années 1970, lorsque le mieux gardé des secrets de la seconde guerre mondiale a enfin été révélé : les Britanniques étaient parvenus à déchiffrer la quasitotalité des codes allemands et ce fut l'une des clés de leur victoire. La bataille de l'Atlantique n'a nullement été, comme l'a trop longtemps répété la vulgate stratégique, une nouvelle version de la guerre de course contre la puissance maritime dominante, guerre des corsaires toujours condamnée à l'échec d'après la Préface de la seconde édition /XVII doctrine. Ce fut une guerre des communications d'un genre nouveau avec, non plus des corsaires isolés, mais bien une véritable force organisée, entièrement sous-marine et commandée par un quartier-général (à terre) qui déterminait les objectifs et conduisait directement la bataille. L'amiral Dônitz avait théorisé sa tactique des meutes dans un ouvrage paru en 1939, Die U-boote Waffe, que, naturellement, pratiquement personne n'avait lu. Désormais encadrés et commandés, les sous-marins avaient une action démultipliée et ils auraient pu gagner la bataille de l'Atlantique si Hitler n'avait mis si longtemps à comprendre que l'Allemagne n'avait aucune chance de rivaliser avec la Royal Navy pour les unités de surface, donc pour l'acquisition de la maîtrise de la mer, et qu'elle devait concentrer tous ses efforts sur la guerre des communications par les sous-marins, en vue de l'interdiction de la mer à son adversaire. L'amiral Castex, le plus grand nom de la pensée stratégique navale française, a été l'un des tout premiers, en 1942, à reconnaître cette évolution de la maîtrise de la mer, entrevue par l'amiral Daveluy dès 1919 dans Les enseignements maritimes de la guerre anti-germanique, cette dissociation entre ce que les auteurs anglo-saxons à partir de Bernard Brodie, allaient ultérieurement appeler sea control et sea déniai, distinction fondamentale et, aujourd'hui encore, souvent incomprise. La prépondérance industrielle des alliés devait logiquement leur donner la victoire, mais les choses auraient pu connaître un tour différent si les Allemands avaient su saisir la fenêtre d'opportunité qui s'offrait à eux en 1940-1941. Mais alors, le nombre de U-boote à la mer était ridiculement faible, insuffisant pour obtenir des résultats décisifs. Quand Hitler se décidera enfin, en 1943, à accorder la priorité absolue à l'arme sous-marine, il sera trop tard : les performances incroyables des chantiers allemands ne suffiront pas face à la toute puissance industrielle américaine. L'amiral Dônitz comprendra très tôt qu'il a perdu la bataille de l'Atlantique mais il continuera néanmoins, non par fanatisme comme on l'a souvent prétendu, mais en raison des effets indirects, là encore si souvent incompris : en 1944, un U-boot à la mer représentait l'immobilisation, à des tâches défensives, de 25 navires de surface et 100 avions alliés. L'autre grand mérite du livre de Guy Malbosc est de nous rappeler qu'un système n'est jamais indépendant des hommes qui le font fonctionner. On voit très bien l'opposition entre la routine d'un grand nombre de décideurs, restés prisonniers de leurs idées préconçues d'avant-guerre, et la capacité d'innovation d'esprits XVIII / Préface de la seconde édition d'exception qui vont modifier le cours des choses par leur sens stratégique ou tactique et par l'élan qu'ils seront capables d'insuffler aux exécutants. Au sommet, l'amiral Pound chez les Britanniques, le grand amiral Raeder chez les Allemands, en restent à des schémas périmés, ils sont incapables de comprendre la nouveauté et le caractère décisif de cette guerre sous-marine. En dessous d'eux, au niveau que l'on appelle maintenant opératif, à l'inverse, on trouve des chefs exceptionnels : Dônitz bien sûr, mais aussi son adversaire britannique l'amiral Horton, qui va stimuler la défense des convois. Et, à l'échelon tactique, il y a de grandes figures : du côté allemand, les as que sont Prien, Kretschmer, Schepke ou Brandi ; du côté britannique, le commodore Walker, l'instigateur de nouvelles tactiques de lutte anti-sous-marine. Il ne faut pas oublier non plus le rôle des scientifiques. Le livre met bien en lumière la part décisive du commandant Winn, le grand as de l'exploitation des décryptements, non seulement par ses talents d'organisateur, mais aussi par son tact diplomatique qui lui permet de faire comprendre à ses supérieurs la difficulté de ce travail de renseignement qui ne peut être traité par un état-major opérationnel ordinaire. Il y a aussi de véritables savants, non seulement ceux qui mettent au point des moyens nouveaux comme le radar ou le schnorchel, mais aussi les premiers tenants de ce que l'on appelle aujourd'hui l'évaluation opérationnelle : un groupe de savants britanniques dirigé par PMS Blackett démontre ainsi mathématiquement qu'en raison de l'immensité de l'océan, la navigation groupée en convois est d'un rendement très supérieur à la navigation isolée. Ce livre est une magnifique synthèse .de tous les aspects d'une campagne extraordinairement complexe. Pour les maîtriser tous, il fallait quelqu'un animé par la passion de l'histoire, par une parfaite connaissance des rouages de l'institution militaire et plus généralement, des organisations complexes. Guy Malbosc réunit toutes ces qualités. C'est ce qui lui permet de présenter ce livre qui, dès sa première édition, s'est imposé comme une référence obligée en langue française et qui est appelé, avec cette deuxième édition, revue et augmentée, à rester longtemps la lecture de base sur le sujet. Hervé COUTAU-BÉGARIE Directeur du cours de stratégie au Collège Interarmées de Défense Président de l'Institut de Stratégie et des Conflits Commission Française d'Histoire Militaire