Rapport au Parlement FRANCHE-COMTE 177 sur 448 Rapport au Parlement FRANCHE-COMTE L’ARCHEOLOGIE URBAINE, GRANDE BENEFICIAIRE DE L’ARCHEOLOGIE PREVENTIVE… L'archéologie urbaine est la principale bénéficiaire de l'archéologie préventive et l’exemple de Besançon est révélateur. La ville de Besançon connaît depuis une quinzaine d'années une activité archéologique particulièrement intense. Celle-ci devrait se poursuivre et s’intensifier compte tenu d’autres projets de construction ou d’aménagement arrêtés par la Ville et d’autres aménageurs. De 1995 à aujourd’hui se sont succédé les chantiers du lycée Condé (près de l’amphithéâtre), de la place Bacchus, du Palais Granvelle, du Refuge (rue Lecourbe), du palais de Justice, de la ZAC du Marché. Ainsi, Besançon présente une situation toute particulière. Jamais les possibilités d’accéder aux niveaux modernes, médiévaux, et surtout antiques et gaulois n’auront été aussi importantes. Jamais, la mobilisation des archéologues n’aura été aussi forte et jamais les résultats n’auront été aussi nombreux et aussi variés. Ces fouilles préventives, auxquelles il faut ajouter les études archéologiques du bâti (Granvelle, rue de la Convention, ZAC du Marché…) livrent une masse considérable d’informations inédites sur l’origine et l’évolution de la ville. Entre 1999 et 2002 par exemple, pas moins de 6 000 m² en surface cumulée, et sur une épaisseur moyenne de 5 à 6 mètres, ont pu être investis. C'est dire que nous les rapports des principales opérations préventives réalisées, notamment de la ZAC du marché des Beaux-Arts, « Ilot Paris » et « Parking des Remparts dérasés ». Des avancées importantes sur la connaissance de l'occupation antérieure à l'époque romaine, sur l'urbanisme antique, sur le développement de l'agglomération à l'intérieur et en dehors de la boucle du Doubs ont été obtenues, mais les découvertes les plus spectaculaires restent très certainement celles concernant l'époque gauloise à laquelle est attribué un premier aménagement des berges du Doubs avec le repérage d'un murus gallicus* du tout début du Ier siècle av. J.-C., témoin de l'oppidum* évoqué par César dans la Guerre des Gaules. Au pied de ce rempart, a été observée une petite nécropole à inhumations dont certaines sépultures présentaient un traitement tout à fait particulier, des aménagements en bois parfaitement conservés dans ce milieu humide. Ces opérations ont livré des segments de voiries et plusieurs bâtiments gaulois. Outre les habitats et leurs annexes, ont été identifiés plusieurs secteurs artisanaux avec des témoignages d'une activité métallurgique du fer et du bronze, poterie et tabletterie. Ces fouilles et leur étendue permettent aujourd'hui d'appréhender plus clairement l'oppidum, sa création et son évolution jusqu'à sa transformation en capitale de cité gallo-romaine. Les données sont aujourd'hui particulièrement intéressantes. Aussi, pouvons-nous noter entre le milieu du Ier siècle av. et le Ier siècle apr. J.-C., une transformation progressive du cadre urbain et de l'habitat privé. La ville semble n'acquérir un « faciès » pleinement gallo-romain que vers la fin du règne de Tibère*. A cette époque des bâtiments en bois et terre, hérités de l'architecture gauloise, sont remplacés par des constructions en pierre aux volumes parfois imposants. Dans le secteur nord de la boucle (secteur du marché des Beaux-Arts), les artisans poursuivent leurs activités. De riches et vastes villae* urbaines s'implantent dans le sud de la boucle 179 sur 448 Archéologie préventive (secteur du « Palais de Justice »). Dans le même temps, les rues sont parées de portiques, trottoirs couverts à colonnades. L'enceinte gauloise qui bordait le Doubs est abattue au profit d'un mur de quai en glacis. Le déclin s'amorce au début du IIIe siècle. Si l'on observe encore à cette époque, dans la riche demeure mise au jour au « Palais de Justice », les témoins des prestigieuses réalisations (mosaïques), on remarque que, parallèlement, de grands espaces du quartier artisanal sont laissés à l'abandon. La description de la ville par l'empereur Julien l'Apostat dans la seconde moitié du IVe siècle nous livre la vision d'une cité au stade de la récession. Au Moyen Âge, l'essentiel de la boucle est inoccupé entre les deux pôles d'habitat que sont la citadelle et le secteur Battant. Au « Palais de Justice », comme « aux Remparts Dérasés », le terrain semble être vierge, ou presque, de construction jusqu'à l'époque moderne avec la réalisation de l'arsenal et les fortifications de Vauban. Pour Mandeure, un diagnostic portant sur 6 000 m² « Rue de la Récille », a révélé une série d'habitations couplant une fonction agricole (silos maçonnés) et artisanale (four de potier) installées dans le prolongement d'une voie antique, démontrant qu'en direction de l'est, la ville antique dépasse largement l'emprise à l'intérieur de laquelle on cherchait, jusqu'à ce jour, à la circonscrire. QU’EN EST-IL PAR AILLEURS POUR LES GRANDES PERIODES CHRONOLOGIQUES ? La longue période paléolithique n'a pas été concernée jusqu'ici par les opérations préventives. A moins de tomber sur des gisements de surface non répertoriés, les lieux d'implantation privilégiés sont soit rarement atteints par les travaux, soit difficilement accessibles compte tenu de leur niveau d'apparition. Les témoignages intéressant la période néolithique restent anecdotiques, ce qui ne manque pas de nous surprendre (nous attendions beaucoup par exemple des diagnostics mis en place le long du futur tracé de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône). Les données sur la Protohistoire fournies par les diagnostics sont dispersées, généralement partielles, mais non moins intéressantes. Il est vrai que les caractéristiques de l'habitat protohistorique et de ses annexes plaident en faveur de vastes décapages et nécessitent la gestion de terrassements le plus souvent incompatibles avec les projets déposés. Cela a pour principale conséquence la « mise en réserve » de sites intéressants comme à Valentigney ou Blussangeaux, dans le Doubs, où les projets de constructions ou d'aménagements ont été modifiés ou tout simplement abandonnés. Le diagnostic réalisé sur la vaste ZAC des Champins (65 hectares) à Choisey et Damparis, dans le Jura, a mis au jour de nombreuses occupations, du Néolithique à la période gallo-romaine, et tout particulièrement une riche documentation illustrant les différentes phases de l’âge du Bronze*, ce qui en fait un site majeur : • pour le Bronze ancien : la présence d’un habitat vraisemblable attesté par un épandage de mobilier, deux inhumations dont l’une a pu déjà être datée par la méthode du carbone 14 (-1878 /-1687) ; • pour le Bronze moyen : un puits, des épandages, des inhumations (-1615/-1415) ; • pour le Bronze final I/IIa : épandage, nécropole avec inhumations et incinérations, mobilier céramique de qualité, mobilier métallique… ; • pour le Bronze final IIb/IIIa (culture du Rhin-Suisse-France orientale) : occupations, fours à pierres chauffantes, céramiques. Pour le Bronze final IIIb, bien représenté par deux niveaux d’occupation, des fosses, fours à pierres chauffantes, nécropole à enclos. 180 sur 448 Rapport au Parlement Nous retiendrons tout particulièrement les fouilles de Pratz/Lavans-les-Saint-Claude qui ont livré une documentation inédite dans un secteur sous documenté du sud du Jura. La mise au jour d’un site d’artisanat métallurgique du VIIe siècle, composé d’un grand bâtiment de 10 m sur 4 avec foyer intérieur, six autres foyers à l’extérieur et à proximité du bâtiment, une zone de rejet de déchets permettent aujourd’hui de reconstituer la chaîne opératoire des activités artisanales. Ces fouilles font actuellement l’objet d’un projet de publication. Les suites susceptibles d'être données aux découvertes majeures mises au jour lors des diagnostics engagés en Haute-Saône dans la cour de l'Usine Peugeot à Vesoul, ou encore dans le centre ville de Luxeuil, permettraient d'étudier une occupation pratiquement continue de l'antiquité au XVIIIe siècle. A Vesoul, un ensemble cultuel et funéraire important illustré par la mise au jour d'une église primitive du haut Moyen Âge* et ses multiples réaménagements. A Luxeuil, un espace funéraire lié à l'église Saint-Martin dont a été repérée l'église monastique du haut Moyen Âge avec son lot de sarcophages in situ, éléments très bien conservés sous le bitume de la place de la République où l'on ne peut écarter la présence d'une crypte mérovingienne* connue par les textes. Ces dernières découvertes, intéressant l'un des plus importants centres monastiques d'Occident, peuvent sans conteste être qualifiées de tout à fait exceptionnelles. La nécropole du haut Moyen Âge* repérée il y a quelques années au niveau de la carrière de Largillay, dans le Jura, et qui a nécessité la reprise d'un sauvetage des sépultures menacées par l'instabilité du front de taille. Cette nouvelle intervention a permis de confirmer la qualité des tombes et des dépôts funéraires, sans pouvoir faire face à l'exploitation de l'ensemble des sépultures nouvellement mises au jour. Le remblaiement qui a été réalisé ne peut qu'être, de toute évidence, une solution d'attente. Pour les périodes médiévale et moderne, on ne saurait oublier une opération majeure et portant sur l'ancien palais abbatial de Saint-Claude, Jura, qui a bénéficié d'ailleurs d'une situation tout à fait particulière. Il s'agit là du programme de recherches le plus important engagé sur un site religieux médiéval en Franche-Comté, allant de la fondation de l'abbaye au Ve siècle jusqu'au départ de l'évêque au début du XIXe siècle. Entre le XVe et le XVIIe siècle, la fonction résidentielle vient s'ajouter à la fonction religieuse du lieu. Près de 1 350 ans de vie religieuse sont retracés grâce aux opérations sur le terrain, fouilles, sondages, études sur le bâti, croisées par le dépouillement des sources anciennes; offrant là un regard sur l'architecture et la topographie monastique médiévale. Ce travail entamé grâce à un programme de recherche relevant de l'archéologie programmée s'est poursuivi par une vaste opération préventive induite par la transformation des bâtiments en un musée des beaux-arts. Direction régionale des affaires culturelles Service régional de l’archéologie de Franche-Comté 181 sur 448 Rapport au Parlement DOUBS BESANÇON (PARKING DES REMPARTS DERASES) VESTIGES DE LA CITE GAULOISE ET ANTIQUE Cette fouille dirigée par L. Vaxelaire (AFAN), engagée en mai 2001 préalablement à la réalisation d’un parking (projet ZAC du Marché), a porté sur une surface de 1 200 m2 et concerne plusieurs niveaux archéologiques, d’une puissance totale de plus de cinq mètres. Quatre niveaux principaux ont été mis à jour. L’Époque moderne* est représentée par les vestiges de l’enceinte de la ville construite par Vauban et dérasée en 1895. Cette enceinte était associée à une série de remblais très épais qui a assuré de fait une protection contre les travaux d’urbanisme contemporains. L’époque médiévale n’a livré que des vestiges très ténus : des jardins, une ruelle et un four à chaux daté de l’An Mil. L’essentiel des vestiges appartient à l’Antiquité, principalement les Ier et IIe siècles de notre ère. Ils concernent l’aménagement en pierres des berges du Doubs, une voie en cailloutis bordée de trottoirs et d’un portique, des bâtiments de type « halle » donnant sur cette rue et occupée par des artisans, notamment des verriers. Trois fours au moins, dans un excellent état de conservation ont pu être dégagés ; ils témoignent d’une production de pâte de verre (et pas seulement des produits finis) inconnue jusqu’à présent dans l’espace gallo-romain. L’aménagement des berges apparaît comme un ensemble très important : la qualité du mur, édifié en glacis de petites dalles, n’avait semble-t-il encore été observé nulle part dans le monde romain. La mise au jour très récente d’un nouvel aménagement s’apparentant à une darse augmente encore son intérêt puisqu’il pourrait éventuellement annoncer la présence d’un port. Ces structures antiques succèdent à une occupation gauloise, elle aussi marqué par un aménagement de berge, une voie et des habitats. La fouille a porté principalement sur la fortification gauloise, mur reconnu sur plusieurs dizaines de mètres, construit selon le principe du murus gallicus*. Large de près de 7 m, elle comprend au moins une tour (ou un élément de porte ?). D’autres découvertes tout aussi spectaculaires – vraisemblablement les plus importantes – est la quinzaine d’ensembles de squelettes humains selon une organisation qui témoigne d’un dépôt volontaire, au pied et au long de ce mur, dans les sédiments naturels du Doubs. Les premières observations font état de femmes, de très jeunes enfants, de périnataux et de quelques adultes, déposés sur le dos, le ventre ou le côté et, pour certains, recouverts de planche de bois. L’ensemble – murs et reste humains – semble fonctionner entre les années 100-120 avant J.-C. et le règne de Tibère (vers 15 apr. J.-C.). Cette découverte est sans conteste exceptionnelle. C'est la première fois, en effet, qu’est localisé un élément structurant de la ville gauloise décrite par Jules César comme une cité importante. Attendue au sommet de la Citadelle – où elle se trouvait en tout état de cause –, l’enceinte protégeait ainsi l’habitat organisé dans la boucle du Doubs. Le lieu même de la découverte (dans le milieu alluvial, propre à assurer la conservation des matériaux organiques et à offrir des possibilités de 183 sur 448 Archéologie préventive datations), l’état de conservation, l’association de l’enceinte et de restes humains, confèrent à ce chantier une importance tout à fait particulière. Direction régionale des affaires culturelles Service régional de l’archéologie de Franche-Comté 184 sur 448 Rapport au Parlement JURA PRATZ (LE CURTILLET) UN ETABLISSEMENT RURAL MEROVINGIEN Localisé dans les hautes terres jurassiennes près de Saint-Claude, l’établissement mérovingien de Pratz « Le Curtillet » a été découvert lors d’un diagnostic archéologique en 1999 sur un projet de ZAC. Depuis cette date, deux fouilles préventives ont été réalisées en 2000 et 2002 suivant le calendrier d’implantation des bâtiments industriels. L’extension du projet a conduit à un nouveau diagnostic en 2004, aboutissant à une nouvelle fouille réalisée en 2005, sur la commune de Lavans-lès-Saint-Claude, portant la reconnaissance de ce site sur près de 11 hectares. Cet établissement du haut Moyen Âge* s’insère entre deux monastères parmi les plus précoces de Gaule, non loin d’un itinéraire de franchissement du massif jurassien. Un premier édifice rectangulaire, de 10 m x 4 m, construit en pierre, est flanqué d’une annexe en terre et bois abritant un atelier métallurgique. Des foyers de forge complètent ce dispositif. Pas moins de quatre cent soixante quinze objets en fer ont été découverts, essentiellement des clous et des morceaux de métal pliés, torsadés, découpés, aplatis correspondant, en partie, aux chutes de façonnage sur l’enclume, associés à des scories en forme de calotte. Des gouttelettes et des fragments de tôles en bronze et du plomb attestent que le fer n’a pas été le seul métal travaillé dans cet atelier. Atelier de forge. © D. Billoin, INRAP. Un imposant bâtiment en pierre, de 16 m sur 13 m, correspond à la partie résidentielle du site. Une annexe de 6 m sur 5 m, placée à l’un des angle de ce bâtiment, abrite également des activités artisanales. La taille de cet édifice et son élévation en pierre est assez rarissime pour la période (VIIe siècle). Des vestiges de portes, d’accès et divers aménagements intérieurs sont conservés et permettent, en association avec la répartition spatiale du mobilier, de distinguer une cuisine, une pièce secondaire munie d’un puits central et des espaces dévolus à l’engrangement et aux bétail. 185 sur 448 Archéologie préventive L’ensemble, composé de deux travées n’est, somme toute, pas si éloigné des constructions rurales traditionnelles composées d’une partie habitation et d’une grange et écurie. Deux batteries de cinq fours domestiques, installés en creux dans des anomalies karstiques aménagées, complètent l’équipement de cet habitat. Constituées à l’origine de voûtes en pierre, ces structures, de morphologie diverse, correspondent au type « four à pain » et suggèrent une organisation collective. Abondant et diversifié, le mobilier laissé par les occupants permet d’aborder de multiples aspects de la vie quotidienne, à commencer par le corpus de vaisselle composé de céramiques, de récipients en verre et en pierre ollaire. Cette dernière catégorie de vaisselle et le matériel de mouture révèlent des échanges à longues distances (Alpes, Massif Central). Fours domestiques. © D. Billoin, INRAP. Les restes de faune et les tests d’analyses effectués sur les graines et les charbons de bois complètent l’étude des activités domestiques et renvoient à l’impact de l’homme sur son environnement (cultures, défrichements…). Encore largement tributaire du domaine funéraire, la Franche-Comté compte désormais un rare site domestique susceptible d’offrir des références très attendues pour le haut Moyen Âge*. L’ensemble des données recueillies constitue, à n’en pas douter, un site exceptionnel qui renouvelle le regard que l’on portait jusqu’alors sur l’habitat mérovingien. Un dossier d’aide à la préparation de publication a donc été déposé et a reçu un accueil favorable à la Commission interrégionale de la recherche archéologique. David Billoin Responsable de la fouille, INRAP 186 sur 448 Rapport au Parlement HAUTE-SAONE LUXEUIL-LES-BAINS (PLACE DE LA REPUBLIQUE) L’EGLISE SAINT-MARTIN AU HAUT MOYEN ÂGE Dans le cadre d’un projet global de restructuration du centre ville de Luxeuil (ancienne agglomération secondaire antique et ville médiévale) plusieurs secteurs de la ville sont concernés, notamment les places du centre historique (place de l’Abbaye, place Saint-Pierre, place de la République, place de la Baille…) le secteur des thermes, les entrées de ville, de même que l’artère principale de Luxeuil (travaux d’assainissement). Un premier diagnostic anticipé (tranche 1) a été réalisé du 5 au 23 septembre 2005, place de la République (ancienne place Saint-Martin ; responsable d’opération : S. Bully). Parmi les aménagements projetés pour cette place on retiendra principalement : • • • • • l’abaissement du niveau de circulation d’une cinquantaine de centimètres, l’installation d’une série de jets secs, rappelant le thème de l’eau dans cette ville thermale, le creusement d’une large fontaine dans la partie nord de la place, l’installation de deux rangées d’arbres de part et d’autre de la ligne de jets secs, une reprise des réseaux, notamment d’assainissement. Les sources écrites L’historiographie luxovienne accorde une large place à cet espace situé au cœur du centre historique. Des découvertes de sarcophages à l’occasion de travaux divers – comme des creusements de fossés pour les fontaines – sont mentionnées depuis le XVIIIe siècle. Le nivellement de la place au XIXe siècle est également à l’origine de la mise au jour de sarcophages qui sont alors généralement datés des IXe-Xe siècles. On considère que la place de la République est le centre d’une vaste nécropole utilisée depuis l’Antiquité et désignée comme le « Champ Noir ». Selon des sources anciennes, des stèles funéraires antiques étaient en effet remployées comme couvercles de sarcophages. D’autres éléments lapidaires architecturaux antiques auraient été découverts à l’occasion de travaux de voirie ; certains auteurs ont donc émis l’hypothèse de l’existence d’un temple gallo-romain dédié à Mars à l’emplacement de la place de la République. En revanche, les travaux anciens comme les recherches les plus récentes localisent le castrum* du IVe siècle dans ce quartier de la ville, en bordure septentrionale de l’abbaye. Au sein de l’ancien castrum, abandonné au moment de la fondation de l’abbaye de Luxeuil par Colomban vers 590, une église placée sous le vocable de saint Martin aurait été fondée au VIIe siècle. Elle est citée pour la première fois dans les Vies des abbés Valbert et Ansègise écrites entre les IXe et Xe siècles. Saint Valbert, troisième abbé de Luxeuil, est inhumé en 670 dans une crypte « d’un travail remarquable » derrière l’autel de l’église Saint-Martin. Au début du IXe siècle, Ansègise, restaure quant à lui une longue galerie reliant les églises Saint-Pierre et Saint-Martin. En 1434, à la suite d’un incendie, on reconstruit Saint-Martin. L’église, menaçant ruine, sera détruite en 1796 afin de libérer l’espace pour accueillir le marché. 187 sur 448 Archéologie préventive Les premiers résultats archéologiques Une occupation du site durant l’Antiquité et l’Antiquité tardive est avérée dans le sondage nord, avec la mise au jour de trois ou quatre phases de constructions : la première phase, non encore datée, est reconnue à travers différents niveaux de sols rubéfiés* ; la deuxième phase est marquée par une maçonnerie appartenant à une construction (habitat ?) dont l’abandon peut être proposé au IVe siècle ; sur la couche d’abandon de cette construction est aménagée une structure foyère de belle facture, mais dont on ne sait si elle est isolée ou si elle appartient à un aménagement plus vaste ; enfin, un dernier niveau de construction nous est donné par une couche de démolition d’une cloison en clayonnage et un trou de poteau. Dans les deux derniers cas, et en l’absence actuelle d’éléments de datations, on n’exclura pas d’être en présence de structures datant de l’Antiquité tardive* ou du très haut Moyen Âge*. Groupe de sarcophages derrière le chœur de l’ancienne église Saint-Martin. © S. Bully, INRAP. Ces vestiges pourraient être un premier élément de réponse à la question des conditions d’implantation du monastère dans une agglomération antique qui aurait été alors totalement désertée selon les sources écrites, ainsi qu’en ce qui concerne l’aspect du monastère au moment de sa fondation. Des nappes d’inhumations viennent ensuite sceller les niveaux d’occupation, marquant l’évolution de ce secteur en espace funéraire lié à l’église Saint-Martin. La plus ancienne tombe est un coffre mixte (bois et pierre) pour laquelle il est possible de proposer, avec cependant beaucoup de réserves, une datation entre les IXe et XIIe siècles. Cinq autres sépultures appartenant à un contexte stratigraphique différent pourraient dater du Moyen Âge ou de l’Époque moderne (monnaies en attente de datation). Le faible niveau d’affleurement des inhumations sous le bitume atteste bien d’un ancien écrêtement du niveau de la place d’au moins un mètre. La grande tranchée de sondage sur le flanc sud de la place a livré d’autres résultats. Elle a notamment permis de localiser les vestiges de l’église et de maisons médiévales tels qu’ils étaient représentés sur différents plans des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. En revanche, et contrairement à toute attente, les vestiges de l’église ne sont pas ceux d’un édifice du XVe siècle, mais d’une construction du haut Moyen Âge* présentant plusieurs phases de reprises. Sur la place, la découverte fortuite et ancienne d’éléments sculptés des IXe et XIe siècles pourrait donner les premiers éléments de datation pour ces reprises. 188 sur 448 Rapport au Parlement Détails des sarcophage du haut Moyen Âge. © S. Bully, INRAP. Les sondages ont permis de mettre au jour le mur sud d’un chœur à chevet plat duquel émerge le bras sud d’un transept ou d’une annexe, ainsi que des maçonneries à l’articulation entre les espaces du chœur, de la nef centrale et du collatéral sud ( ?). Les maçonneries sont exceptionnellement bien préservées puisqu’elles peuvent présenter jusqu’à 1,50 m d’élévation. Les arases sont affleurantes sous le bitume. Des sarcophages, au nombre de dix-sept à ce jour, ont également été découverts. La plupart peuvent être datés du VIIe siècle. Les sarcophages sont présents à la fois à l’extérieur de l’édifice, derrière le chœur, et à l’intérieur, annexe sud, chœur, « collatéral ». À l'instar des maçonneries, la première nappe de sarcophages est immédiatement sous le sol actuel de la place. L’église Saint-Martin remplirait la fonction d’église funéraire du monastère au haut Moyen Âge. En l’état actuel de nos connaissances, on ne peut pas exclure que la crypte mérovingienne* érigée par saint Valbert soit encore préservée sous la place. La découverte d’une église funéraire monastique du haut Moyen Âge aussi bien préservée, avec son lot de sarcophages in situ et une potentielle crypte mérovingienne, dans ce qui fut l’un des plus importants centres monastiques d’Occident, en fait une découverte que l’on peut qualifier d’exceptionnelle. Sébastien Bully Responsable de la fouille, INRAP 189 sur 448 Archéologie préventive TERRITOIRE-DE-BELFORT DELLE (LA QUEUE AU LOUP) UN ETABLISSEMENT ANTIQUE Des reconnaissances archéologiques menées en 2001 sur le tracé du projet routier de la RN 19, entre Morvillars et Delle, ont révélé la présence d’un établissement gallo-romain du type villa* au lieu-dit « La queue au Loup ». Cette découverte, qui a débouché sur une fouille préventive en 2003, est une première en archéologie préventive sur le Territoire de Belfort. Cofinancées par l’État, le Conseil régional de Franche-Comté et le Conseil général du Territoire de Belfort, les fouilles ont été réalisées, sur prescription du service régional de l’archéologie de Franche-Comté et en partenariat avec la Direction départementale de l’Équipement du Territoire de Belfort, maître d’ouvrage, par une équipe de l’INRAP sous la responsabilité de S. Cantrelle. La fouille a ainsi permis la mise au jour, de part et d’autre du ruisseau la Batte, de deux ensembles antiques distants de 300 m. Sur la rive gauche, les vestiges d’une villa*, composée d’un bâtiment principal et de ses annexes, ont été dégagés à proximité d’une de ses résurgences. Le bâtiment principal, orienté nordest/sud-ouest et installé sur une pente, présente des maçonneries bien conservées grâce aux colluvions accumulées. Cette vaste demeure rectangulaire de 265 m² comprenait à l’origine six pièces ; elle était dotée d’une galerie sur ses façades est et ouest et d’une cave desservie par un escalier intérieur. Puis, elle subit maintes réfections pour atteindre 595 m² dans son état final, daté de la fin du IIe-début du IIIe siècle de notre ère. L’habitation se composait alors de treize pièces ou unités, parfois pavées ; l’une d’elles possédait un hypocauste*, système de chauffage par le sol utilisant un plancher suspendu. Vue générale de la villa dans son état final. © INRAP. 190 sur 448 Rapport au Parlement Au sud de la villa*, les archéologues ont reconnu un grand bâtiment de 184 m², dont seuls subsistent vingt-six empreintes de poteaux de bois, qui constituaient son soutènement, mais aussi leurs calages de pierre agencés en couronnes. Cette structure, à laquelle était accolé un appentis, avait probablement une vocation d’aire de stockage. Détail de la pièce à hypocauste*. © INRAP. En contrebas, non loin de la résurgence, a été identifiée la maçonnerie d’un dernier bâtiment rectangulaire de 215 m². Ces trois bâtiments pourraient être ceux d’un important domaine agricole, comprenant résidence et structures d’exploitation. L’intérêt suscité par la bonne conservation des maçonneries du corps de logis de la villa a donné lieu à la préservation de ces vestiges qui ont été recouverts d’un géotextile et d’un remblai de sable de 1 mètre d’épaisseur. Annick Richard Direction régionale des affaires culturelles Service régional de l’archéologie de Franche-Comté D’après Sylvie Cantrelle INRAP 191 sur 448