Cet adjectif fut d'abord appliqué à l'Égypte qu'on appela «ptolémaïque», «lagide» ou
«hellénistique» pour désigner une même réalité dans l'espace et dans le temps, mais avec des
connotations particulières. L'Égypte lagide porte le nom de l'obscur général Lagos, père de
Ptolémée Ier et par là même fondateur de la dynastie qui devait régner trois siècles sur la vallée du
Nil, de la mer à la deuxième cataracte et sur les pays qui furent rattachés par conquête à ce
territoire, depuis la mort d'Alexandre le Grand en 323 av.J.-C. et l'arrivée comme gouverneur du
capitaine macédonien Ptolémée Ier Sôter, fils de Lagos, dont le nom ne signifie pas «lièvre»,
comme certains l'ont cru, mais «conducteur de peuple» ce qui est plus flatteur. Les descendants
de ce Lagos régnèrent en Égypte, jusqu'à la conquête de ce pays par Auguste. Les Ptolémées,
auxquels les historiens modernes donnent un numéro d'ordre, mais que les documents anciens
désignent par leur nom, leur patronyme et leur surnom, firent de cette affaire de famille qu'était
l'exploitation de l'Égypte, un royaume doté d'institutions originales, exploité selon des plans
nouveaux et nettement différencié de la Grèce classique.
L'Égypte ptolémaïque résulte du morcellement de l'empire d'Alexandre le Grand. Dès 321
av.J.-C., l'assassinat du régent Perdiccas, avec le partage dit de Triparadisos avait attribué la
Macédoine à Antipatros, l'Égypte à Ptolemaios, la Thrace à Lysimachos, l'Asie Mineure à
Antigonos, la Babylonie à Séleucos. Dès 306-305, ces successeurs d'Alexandre, appelés
diadoques, avaient pris le titre de rois. Des luttes les opposèrent durant une quarantaine d'années
et la situation ne se stabilisa que le jour où trois grands royaumes furent constitués: celui de
Macédoine, qui revint à Antigonos Gonatas, petit-fils d'Antigonos le Borgne, celui d'Asie qui fut
dévolu à Antiochos Ier, fils de Séleucos, celui d'Égypte enfin qui resta propriété de Ptolémée, fils
de Ptolémée, c'est-à-dire Ptolémée II Philadelphe, fils de Ptolémée Ier Sôter. Ainsi se constitua
non pas seulement une Égypte hellénistique, mais des mondes hellénistiques, royaumes qui eurent
des destinées complexes, souvent conflictuelles et toujours compliquées.
Un retour aux sources du monde hellénistique
Pour comprendre ce monde hellénistique, il faut remonter au passage de la Grèce des cités à la
Grèce des royaumes ou, si l'on préfère, de la Grèce de la démocratie à la Grèce de la royauté. C'est
la victoire de Philippe II de Macédoine (382-336 av. J.-C.), père d'Alexandre, sur les Athéniens et
les Thébains à Chéronée en Béotie, en 338 av.J.-C., qui a fait passer la Grèce d'un régime
démocratique à un régime monarchique.
La Grèce des cités n'avait pas pour devise celle de notre république: «Liberté,égalité,
fraternité», mais un idéal qu'on peut résumer ainsi: isonomia «égalité», dikaiosynè «justice»,
autarkia «indépendance». L'égalité des droits était apparue en plusieurs endroits du monde grec,
depuis la seconde moitié du VIesiècle av.J.-C., à Argos, à Corinthe, dans l'Athènes de Clisthène.
C'était une démocratie directe, sans députés. De cet exercice du pouvoir par chaque citoyen était
née une morale politique, qui se voulait respectueuse de la justice, chaque cité gardant son
indépendance. On ne peut utiliser le terme galvaudé de cité-État, car il implique aujourd'hui une
centralisation, une hiérarchie des pouvoirs, une orientation imposée. Or, la démocratie grecque
n'était pas centralisée, chaque cité gardant son indépendance et chaque citoyen son libre arbitre.
Cet extraordinaire équilibre démocratique réalisé par la cité grecque fut remplacé par ces
monarchies qui, happées par l'esprit de conquête et l'appât du gain, utilisèrent parfois les pires
moyens pour maintenir leur souveraineté.
La Grèce des royaumes inaugura donc une organisation et une philosophie politique entièrement
nouvelles. Démosthène, grand patriote mais esprit borné, pour ne pas dire buté, n'avait pas
compris qu'après cette défaite une page de l'histoire grecque était tournée: la domination de
Philippe II inaugurait une ère nouvelle. Il fallait se résigner à subir la tutelle du roi de Macédoine
pour conserver l'héritage grec. Un nonagénaire d'avant-garde, Isocrate, qui décéda à 97 ans, peu
après Chéronée, avait bien compris l'orientation nouvelle des pays grecs. Quand, en 339eune
homme courageux ressentit à la lecture des pages où, comparant Philippe II à Agamemnon,
Isocrate trace le portrait du nouvel Héraklès que doit être le roi de Macédoine. Les leçons
d'Aristote, qui était le tuteur d'Alexandre, ne purent que renforcer l'idéal de royauté éclairée qui fut
celui de ce jeune homme hors du commun.