LES ENCLAVES BANANIERES EN AMERIQUE CENTRALE

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TD GEO C02 "Espaces ruraux et sociétés rurales Nord-Sud" / Ludivine Eloy
1. Depuis l’époque coloniale, l’économie de l’Amérique Centrale et des pays de la Caraïbe dépend de
l’extérieur. Les grandes cultures d’exportation sont contrôlées par des sociétés nord-américaines,
l’industrie nationale reste embryonnaire, les importations de produits manufacturés pèsent sur les balances
commerciales déséquilibrées et le poids de la dette renforce une dépendance économique soigneusement
entretenue. […]. La canne à sucre est la première culture spéculative qui a façonné l’économie et les
paysages des pays de la région[…] A la fin du XIX e siècle, de nouvelles cultures d’exportation ont
concurrencé l’empire du sucre. Le café et la banane ont alors envahi l’Amérique centrale et plusieurs îles
des Antilles, sans pour autant éliminer la culture de la canne : on ne peut parler […] de « cycles »
économiques identiques à ceux du Brésil. Culture de plaine, la canne s’oppose au caféier qui a besoin de
plus de fraîcheur pour se développer et qui s’adapte parfaitement aux pentes fortes. On a donc un
étagement des productions agricoles selon les potentialités offertes par le milieu naturel. […]. Importé très
tôt en Amérique, le café est le plus souvent resté aux mains des oligarchies locales et de petits planteurs
locaux. Au Guatemala, les producteurs minifundistes représentaient en 1979 près de 27% des surfaces
cultivées en café, mais seulement 14,7% de la récolte, en raison de la faiblesse des investissements et des
apports d’engrais. En revanche, l’extension des cultures bananières est le fait d’un certain nombre de
grandes compagnies étrangères, principalement nord-américaines, qui se sont taillés de véritables empires
au détriment des états qui les ont accueillies. L’essor de la banane a pu se faire à un moment où les
changements technologiques (navigation à vapeur et réfrigération) ont permis le transport de ce fruit
tropical fragile vers des centres consommateurs d’Europe et surtout des Etats-Unis. A la fin du XIX e
siècle, la Jamaïque était devenue le premier exportateur de la région, mais elle a été rapidement
concurrencée par quatre Etats centramérincains : le Costa Rica, le Guatemala et le Honduras, qui sont
rapidement devenus le domaine réservé d’une grande transnationale, la United Fruit Company.
Source : Musset, A (1998)
2. L’Amérique centrale et les caraïbes
3. Les grands traits de l’économie salvadorienne et hondurienne (Musset, 1998)
4. Le modèle centraméricain
(Bataillon et al., 1991)
5. [Dans l’isthme américain] les ensembles de relief s’organisent en grandes masses grossièrement parallèles, orientées NO-SE. Les terres montagneuses
des cordillères centrales dominent au sud-ouest d’étroites plaines littorales, par des versants abrupts que soulignent les alignements des cônes volcaniques.
Au Nord-est s’étendent largement les terres basses caraïbes, domaine de la forêt tropicale humide. Ces trois zones se succèdent sur de courtes distances
[…]. Les hautes terres offrent les conditions climatiques idéales de la montagne tropicale […] Les sols fertiles d’origine volcanique couvrent également le
piémont et la plaine littorale pacifique, dont le climat chaud bénéficie encore de l’alternance entre la saison humide et la saison sèche. Dès la colonie, le
peuplement privilégié de ces deux espaces dont la mise en valeur s’opère au rythme des cycles agricoles des produits destinés à l’exportation. […] Malgré
l’explosion démographique des quatre dernières décennies, la population demeure très inégalement distribuée. […] Les centres de gravité du peuplement se
situent toujours sur les terres montagneuses, et plus encore sur la façade pacifique. Le versant pacifique de l’isthme reste peu attractif et très mal relié aux
autres régions. Dans toute la partie orientale de l’Amérique centrale, les pluies abondantes […] favorisent le développement de la forêt sempervirente,
parfois interrompe de savanes. Les groupes indigènes y sont dispersés. […] La nécessité d’assurer un débouché pour le café vers l’Atlantique et les marchés
occidentaux ouvre une brèche dans ces territoires craints ou ignorés. Ce sera l’œuvre des compagnies bananières. […] Proches du marché de consommation
des Etats-Unis, les plaines alluviales caraïbes réunissent les conditions écologiques favorables à la culture du bananier : pluies abondantes et réparties sur
toute l’année, températures élevées. Grâce à des contrats léonins passés avec les gouvernements, [les compagnies bananières nord-américaines] acquièrent
d’énormes concessions de terre et obtiennent l’exemption de toute taxe sur les intrants importés. […] Sur chaque régime exporté, elles doivent payer la ta
taxe dérisoire d’un centavo (centime de dollars). Source : Bataillon, Deler et Théry (1991)
Dès la fin du XIX e siècle, les compagnies bananières, et notamment la United Fruit Company, ont joué un rôle central dans l’organisation de l’espace
centraméricain. En mettant en valeur les terres chaudes de la côte caraïbe, elles ont fait basculer les pôles économiques hérités de l’époque coloniale. Pour
faciliter l’exportation de leurs produits, elles ont crée des infrastructures routières et ferroviaires qui ont renforcé les disparités régionales. Ainsi, au
Honduras, la valée de l’Ulua a largement bénéficié des investissements nord-américains. Sa ville principale, San Pedro Sula compte 500 000 habitants et
concentre l’essentiel des activités bancaires, commerciales et financières du pays. Directement reliée par la route et le rail aux ports bananiers de La Ceiba
et de Puerto Cortés, elle fait office de capitale économique, au détriment de la capitale politique, Tegucigalpa.
Source : Musset, A (1998)
6. En se taillant un véritable empire économique
et politique au cœur même de certains Etats,
considérés comme des « Républiques
bananières », la United Fruit Company (UFCO)
est devenue le symbole de l’ingérence des sociétés
américaines en Amérique centrale. Officiellement
constituée en 1889 […] elle a rapidement absorbé
les sociétés concurrentes pour accaparer
l’essentiel du marché. Déjà installée au Costa
Rica, à la Jamaïque, à Cuba et dans la république
Dominicaine, l’UFCO prit pied au Guatemala en
1901 et au Honduras en 1906. […] Comme
d’autres compagnies fruitières, l’UFCO a
participé à la construction de plusieurs lignes de
voies ferrée dans les pays qu’elle avait
littéralement colonisés, jusqu’à imposer la langue
anglaise et l’usage du dollar comme seule
monnaie valable dans ses plantations. Pour
réaliser son programme, elle faisait intervenir ses
propres compagnies de chemin de fer […]. En
1930, au sommet de sa puissance, elle possédait
4% de la superficie totale des quatre pays dans
lesquels elle était installée et dont elle représentait
une part importante du PIB : jusqu’à 40 % pour le
Honduras à la fin des années 1940. La
concentration horizontale et verticale des activités
liées à la banane lui a permis d’acquérir des terres,
mais aussi de transporter et de commercialiser ses
produits.[…] La crise économique de 1929 lui a
porté un rude coup en ralentissant la demande
internationale. […] L’UFCO a dû faire face, dans
les années 1940-1950, à une maladie qui attaquait
les plants de bananiers. En 1969, la United Fruit,
dont les activités ont été souvent dénoncées, est
devenue la United Brands. […] Quand aux
plantations, elles ont été peu à peu rétrocédées à
des producteurs nationaux, même si la compagnie
continue à monopoliser la transport et la
commercialisation des bananes. De cette manière,
si le nom a disparu, les structures subsistent, plus
discrètes mais tout aussi efficaces : le « pape
vert » a changé de visage mais il continue à régner
sur l’empire des fruits tropicaux.
Source : Musset, A (1998)
7. L’empire bananier de l’UFCO à son apogée (1920-1940), (Musset, 1998)
8. Indicateurs du développement de l’UFCO (1900-1940), (Musset, 1998)
9. Pendant un demi siècle, l’empire bananier s’identifie presque totalement à une seule société : la United Fruit Company […] A son apogée, en
1930, la « pieuvre » possède près d’un million et demi d’hectares de terres. Elle dispose également d’un patrimoine de 2 467 km de voies ferrées et
de 90 bateaux. […] Les principaux traits de la plantation comme système de production sont bien connus : monoculture d’un produit destiné à
l’exportation, fort investissement en capital, emploi de travailleurs salarié, absence de liens avec le marché intérieur. La forte intégration verticale
des différents stades de la production, du conditionnement et de la commercialisation s’appuie sur un réseau de transport dense et ramifié […] Ce
sont les seuls espaces où la population noire a quelque importance numérique,[en Amérique centrale] en raison du recrutement de la main-d’œuvre
antillaise. L’existence de vastes réserves foncières permet la migration constante des bananeraies, car les sols s’épuisent vite,[…] et la progression
inexorable des maladies affecte la plante et infeste durablement les sols (mal de Panamá, Sigatoka negra). On observe ainsi successivement
l’abandon, le transfert et la reconquête des zones plantées sur les plaines atlantiques puis pacifiques, ou encore d’un pays à l’autre […] Si l’enclave
bananière est un monde spatialement clos, le pouvoir de ses dirigeants s’exerce de manière multiforme et ne connaît guère de limites ![…] La
stratégie des firmes évolue rapidement à partir de 1960 face aux difficultés [sociales, économiques et politiques] et aux longues grèves de 1934 au
Costa Rica et de 1954 au Honduras. Grâce aux gains de productivité, les exploitations doublent tandis que la moitié environ de la main d’œuvre est
licenciée […] Une partie des réserves foncières est rétrocédée aux Etats ou rachetée par ceux-ci, ainsi que les installations ferroviaires et portuaires.
Source : Bataillon, Deler et Théry (1991)
10. La hausse des prix des produits pétroliers organisée à cette époque [1974] par l’OPEP a eu des répercussions directes sur les pays producteurs
de bananes, en accélérant la dégradation des termes de l’échange. En contrepartie, ce bouleversement leur a permis de se constituer en groupe de
pression, avec à leur tête trois Etats centraméricains, le Panamá, le Costa Rica et le Honduras, suivis par le Guatemala et la Colombie. Source :
Musset, A (1998).
Regroupés à partir de 1974 au sein de l’UPEB (Union des Pays Exportateurs de Bananes), ils tentent d’imposer une taxe d’un dollar sur chaque
caisse exportée et créer leur propre structure de commercialisation. La « guerre des bananes », aux résultats inégaux et limités, confirme toutefois la
puissance des trois firmes qui réalisent les deux tiers des exportations mondiales de bananes et son désormais intégrées au sein de conglomérats
puissants. La UnitedBrands, pour l’UFCO, Castle and Cooke pour la Standard Fruit et […] Del Monte ont développé un réseau très diversifié
d’agro-industries qui débordent largement de l’enclave primitive. Source : Bataillon, Deler et Théry (1991)
11. La production de bananes destinée à la consommation domestique ou
aux marchés locaux est une production à petite échelle, qui n'
utilise que
peu d'
intrants agricoles et qui nécessite beaucoup de main d'
œuvre. […] La
production tournée vers les marchés d'
exportation s'
appuie sur une
utilisation intensive d'
intrants agricoles et des technologies sophistiquées.
Même au sein de la production bananière destinée à l'
exportation, les
technologies peuvent varier considérablement; par exemple, le rendement
au sol dans de vastes bananeraies à vocation commerciale peut être jusqu'
à
6 fois plus élevé que celui obtenu dans une exploitation à petite échelle. Au
cours des années 90, la diffusion des pompes à eau pour l'
irrigation au
goutte à goutte, du matériel et des installations dévolus à l'
emballage, des
systèmes de drainage et des câbles de traction s'
est étendue.
Avec des exportations de bananes estimées à deux millions de tonnes en
2000, le Costa Rica se place au second rang des principaux pays
exportateurs, après l'
Équateur. Les bananes constituent la principale
exportation agricole de ce pays, suivie à une certaine distance par les
ananas et le café. Les bananes sont produites dans des plantations
relativement vastes par des producteurs indépendants et des compagnies
multinationales, qui contrôlent environ 50 pour cent la superficie des
cultures bananières. Les deux principaux importateurs traditionnels des
bananes costariciennes sont les États-Unis et la Communauté européenne,
mais depuis les années 90, les pays d'
Europe de l'
Est absorbent eux aussi
une part de ses exportations. Les principales sociétés exportatrices sont
Cobal (Chiquita), Bandeco (Del Monte) et Standard Fruit Co. (Dole). À
elles trois, ces sociétés concentrent plus de 80 pour cent des exportations de
bananes du pays. Depuis la fin des années 90, production et productivité
ont stagné car les prix en baisse de la banane et les attaques de
cercosporiose noire n'
ont guère encouragé une utilisation massive d'
intrants
ou une extension de la superficie cultivée. En dépit d'
une décennie marquée
par différentes phases de recul et de stagnation, la productivité du Costa
Rica demeure la plus élevée de tous les pays latino-américains. Les
perspectives à moyen terme sont incertaines pour les exportations de
bananes costariciennes. Une réduction des coûts paraît peu envisageable:
les experts signalent en effet que la cercosporiose noire a récemment
développé une résistance aux fongicides systémiques, et qu'
il va donc
falloir intensifier leur utilisation
Source : www.fao.org/docrep/007/y5102f/y5102f05.htm.
12. Costa Rica: Productivité du sol et de la main d'œuvre
dans le secteur bananier 1990 et 2000
1988-1990
Superficie
(ha)†
récoltée
1998-2000
26 238
47 959
18 800
33 800
1 471 353
2 390 000
sol
2 700
2 240
Productivité de la main
d'
œuvre (milliers de
tonnes/ouvrier)
78
72
Emploi Y
Production (milliers de
tonnes)†
Rendement au
(caisse/ha) ‡
† FAOSTAT; ‡ Ministerio de Agricultura y Ganadería, Secretaría Ejecutiva
de Planificación Sectorial Agropecuaria (2002); Y Calculé à partir de
données de la FAO (1999)
13. Monoculture de banane au Costa Rica
14. Quel que soit leur métier de départ, beaucoup de Nicaraguayens travaillent comme
peones dans les plantations costariciennes. Banane, café, ananas, sucre, orange : le pays
voisin a su diversifier avec succès un agrobusiness gourmand en main-d’œuvre. […]
Atypique en Amérique centrale, l’économie costaricienne a certes développé les secteurs
secondaire et tertiaire (notamment en se lançant avec succès dans l’écotourisme), mais
elle repose encore beaucoup sur sa production agricole. Le pays est le deuxième
exportateur mondial de bananes, excelle dans le café et a développé des cultures « de
niche », comme les fleurs ou les melons. Or les travailleurs nicaraguayens sont
indispensables ; dans la région bananière de Sarapiquí, ils représentent plus de 40 % de la
main-d’œuvre. […] Ils ont offert un avantage considérable aux grands exportateurs
agricoles dans la compétition internationale, en maintenant les coûts de production au
plus bas. Remplaçant les nationaux – désormais mieux qualifiés – dans les secteurs de
l’agriculture et de la construction, ils ont également accompagné l’arrivée des
Costariciennes sur le marché du travail, en proposant une armée d’employées de maison.
Source : Raphaëlle Bail/ le monde diplomatique decembre 2006
15. Les paysages de l’agriculture paysanne sont en général
marqués par la diversité des productions, l’association de
plusieurs cultures dans une même parcelle, voire, dans le cas
des arbres fruitiers, une très grande variété qui font
ressembler la parcelle à un jardin.[…] Le paysage de l’agroindustrie est très différent. […] Le calibrage des produits, la
précisions des manipulations à effectuer qu’elles supposent
[..] des emplacements réguliers. Les parcelles sont nettoyées
des herbes, l’association avec d’autres cultures n’est en
général pas pratiquée dans les exploitations les plus
technicisées. Les fruits qui tombent doivent être
immédiatement éliminés pour éviter les risques de
propagation des parasites. […] L’ordre et l’homogénéité sont
des caractéristiques communes à l’ensemble de l’agroindustrie. Source : Dureau et al, 2006
16. Entre Santo Domingo et Machala, sur les terres fertiles situées au pied des Andes équatoriennes, les bananeraies s’étirent des deux côtés de la route.
Des panneaux portant le nom de l’hacienda […] et la guérite d’un garde armé marquent l’entrée des plantations. Parfois, volant en rase-mottes, surgit
une avionnette qui laisse dans son sillage un nuage blanc de pesticides. Avec une moyenne de 4,3 millions de tonnes de bananes vendues par an au cours
des cinq dernières années, l’Equateur se classe au premier rang des pays exportateurs de ce fruit, pourvoyant à lui seul 25 % du marché mondial. A la
différence de la situation qui règne dans les autres pays producteurs de « bananes dollars » , où les trois grandes multinationales qui dominent le secteur
(Dole, Chiquita Brands et Del Monte) possèdent leurs propres cultures, les fruits équatoriens proviennent essentiellement de quelque six mille
producteurs nationaux. Numéro un mondial de l’agro-industrie, Dole a passé contrat avec un grand nombre d’entre eux et assure approximativement le
quart des exportations de bananes du pays. Majoritairement, [les exportateurs] s’opposent aux tentatives de régulation de ce secteur par l’Etat et
imposent des prix ridiculement bas aux producteurs, laissant à ceux-ci la tâche de gérer les conflits sociaux occasionnés par les salaires de misère et les
dures conditions de travail en vigueur dans les bananeraies. […]Les sanctions arbitraires – amendes, licenciements non motivés – sont monnaie
courante, et la précarisation de l’emploi est aggravée par le recours à la sous-traitance. […] M. Joaquin Orrantia, intervenant au nom des producteurs,
reconnaît avec une franchise brutale que la monoculture bananière a un impact négatif sur l’environnement. Mais la faute en est aux exportateurs, se
défend-il, qui imposent des prix insuffisants pour mettre en œuvre les mesures environnementales nécessaires. « Les grandes multinationales de l’agroindustrie et les supermarchés jouant un rôle déterminant dans les conditions de travail imposées aux salariés de l’industrie bananière, c’est sur eux, en
Europe ou aux Etats-Unis, qu’il faut faire pression. ». Source : Philippe Revelli, le Monde diplomatique, Mai 2006
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
DUREAU F., GOUËSET V, MESCLIER E. (EDS.). (2006). Géographies de l'Amérique latine. Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
MUSSET A. (1998). L’Amérique Centrale et les Antilles. Une approche géographique. Armand Colin.
BATAILLON C ; DELER JP ; THERY H.(1991). Géographie Universelle. Amérique Latine. Dir. R. Brunet. Hachette.
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