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JEUDI 19 AVRIL 2012 LES ECHOSL’ENQUÊTE
S
i un patient applique à la let-
tre la prescription de son
médecin, mais qu’il ne
paraît pas pouvoir se guérir
aussi rapidement que prévu,
peut-on réellement incrimi-
ner lemalade ?Nefaut-il pas
plutôt blâmer la méthode du praticien ?
C’estlemessage implicite quenvoielePor-
tugal, en appliquant avec un zèle et une
rigueur implacables le programme d’aus-
rité et de réformes négocié avec ses
créanciers en échange d’un prêt de 78 mil-
liards deuros, mais dont les sacrifices sont
menacés par la récession économique.
« On fait tout, absolument tout ce qu’ils
demandent. Ça peut paraître idiot, mais
c’est la seule façon de sauver le pays », sou-
pire une source gouvernementale. Jus-
qu’ici,lezèlefonctionne.Achacundeleurs
passages, les représentants de la troïka
Union européenne (UE), Banque cen-
trale européenne (BCE) et Fonds moné-
taire international (FMI) – adressent un
satisfecit à Lisbonne et débloquent sans
encombre une nouvelle tranche du plan
daide. « Lajustement budgétaire en 2011-
2012 a été remarquable à tout point de
vue », loue ainsi le dernier rapport de la
Commission européenne sur le Portugal,
publié au début du mois.
Fort d’un soutien politique et social tou-
jours très solide, le gouvernement de cen-
tre droit de Pedro Passos Coelho, arrivé au
pouvoirenjuindernier,neménage passes
efforts pour respecter les objectifs fixés
dans le programme : élimination, pour
l’instant temporaire, de deux mois de
salaire pour les fonctionnaires, réforme du
marchédutravailsupprimantseptjoursde
congés et réduisant les indemnités de
licenciement, hausse de la TVA ou encore
abandon définitif du projet de TGV entre
Madrid et Lisbonne.
« Restaurer la crédibilité et la confiance »
« Ils ne pourraient pas faire mieux dans leur
façon d’appliquer le plan », confirme un
représentant permanent de la trka à Lis-
bonne. « Mes collègues, qui sarrachent les
cheveuxenGrèce,nemecroientpasquandje
leurdiscommentçasepasseici ! »,plaisante-
t-il. Une cellule spéciale, directement ratta-
chée au Premier ministre et plae sous la
responsabilité du secrétaire d’Etat Carlos
Moedas, est lavéritable chevilleouvrièrede
la mise en œuvre du programme.« Ils sont
très bien organis, très transparents,pour-
suitlamêmesourcedelatroïka.Lacommu-
nication est très facile : nous navons aucun
mal à penser de leur fon et ils nont aucun
mal à penser de la nôtre. »
Leprofilinternational deleursinterlocu-
teurs portugais y est certainement pour
quelque chose. Le ministre des Finances,
Vitor Gaspar, a passé six ans à la BCE et
trois ans à la Commission européenne.
Germanophone,« il connaît tous ceux qui
sontaux affaires enEurope encemoment »,
confie un proche. Cette carte de visite lui
est très utile à l’heure de rencontrer les
investisseurs du monde entier. Suite à la
troisième visite des inspecteurs de la
troïka, le ministre a réalisé un véritable
« road show », se rendant tour à tour à
Bruxelles, à Londres, à Francfort et à
Washington avec un seul but, inscrit blanc
sur bleusurlapremière pagede saprésen-
tation PowerPoint : « Restaurer la crédibi-
lité et la confiance ».
« Nous devons aborder directement les
marcs pour leur fournir l’information la
plusconcrèteetlaplusprécisepossible :siles
résultats sont positifs, il n’y a aucune raison
pour qu’ils ne soient pas reconnus »,expli-
que une source proche du Premier minis-
tre.Leseffortsdupayscoupsàcettecom-
munication judicieuse commencent à
porter leurs fruits. Aps avoir dépassé les
16 % en début dannée, les taux obligatai-
res portugais à dix ans sont bien redescen-
dus. Autre signe encourageant : le pays a
réussi, le 4 avril, ladjudication de bons à
18 mois, la maturité la plus longue émise
depuisl’appelàlaidefinancièreexrieure.
Le symbole est d’autant plus fort que ces
titres arriveront à échéance après le
23 septembre 2013. Date à laquelle le Por-
tugal est censé rembourser – à hauteur de
10 milliards d’euros – sa première
écance non entrement couverte par le
programme daide (celui-ci court jusqu’en
juin 2014 avec des sommes de plus en plus
petites à chaque versement).« Ça montre
pour la première fois que le Portugal est
capable de se financer quand il nest pas
totalement protégé », sest félicité le minis-
tre portugais des Finances. Mais ce retour
surlesmarchésslami-2013estjupré-
maturé par les investisseurs.« Il faudra
sans aucun doute un deuxième plan daide
d’environ 50 milliards deuros, pour tenir
jusquen 2016 », juge le responsable de la
division dette publique dune grande ban-
que du pays, interlocuteur privilégié des
acheteurs de dette portugaise.
Le taux de chômage a atteint 14 %
Cette hypothèse commenceàêtre évoqe
officiellement par les responsables euro-
péens et par les Portugais eux-mêmes.« De
lavis de l’UE, il serait sage de préparer une
sorte de soutien, lorsque le Portugal retour-
nera sur les marchés », a ainsi déclaré Olli
Rehn, le commissaire européen aux Affai-
res économiques et monétaires, le 4 avril,
sur la chaîne de télévision finlandaise
MTV3.
Lui emboîtant le pas quelques jours
après, le Premier ministre portugais a
déclaré« ne pas savoir si le Portugal revien-
dra sur lemarché enseptembre 2013ouplus
tard », dans un entretien au quotidien alle-
mand « DieWelt ».« Celane veut pas ces-
sairement dire un deuxième programme
daide »,a-t-il poursuivi,évoquantun« pro-
longement » du soutien financier appor
par l’UE et le FMI. Létiquette « deuxième
plan » établirait un paralle désagréable et
malvenu avec la situation grecque, dont le
Portugal veut se démarquer à tout prix.
L’ie que le programme est« trop court
ettroppeudoté »est,depuislongtemps,lar-
gement partagéeàLisbonne.« Quandnous
avons demandé laide, nos besoins se
situaient autour de 105 milliards deuros
selon les calculs du gouvernement et de la
Banque du Portugal et nous avons obtenu
78 milliards », explique Antonio Saraiva, le
patron des patrons portugais, disant tout
haut ce que certains officiels pensent tout
bas. Le calendrier de réduction du déficit
public (4,5 % en 2012, puis 3 % en 2013)
part aussi trop serré, comme le défend le
leader de l’opposition socialiste, Antonio
José Seguro.
« Dedeuxchosesl’une,prévientceluidont
le parti a négocié le plan d’aide au prin-
temps dernier,ou bien nous ne parvenons
pas à 3 % en 2013 ou bien nous y parvenons
avec un coût énorme en termes économique
etsocial,c’est-direavec encoreplusdec-
meurs. » Le taux de cmage a déjà atteint
un maximum historique de 14 %. Cette
fois-ci, c’est le docteur FMI qui a ouvert la
porte à un assouplissement.« Le principal
risque est que la récession soit plus profonde
queprévu »,aexpliqbutavrillechefde
la mission du FMI pour le Portugal, Abebe
Selassie.« Nous pourrions alors devoir révi-
ser les objectifs budtaires », a-t-il admis.
Lexpérience grecque hante les esprits.
« Notre plus grande peur est que le Portugal
entredansuncerclevicieux,commecela sest
vu en Gce », reconnaît un représentant
des créanciers internationaux. Les derniè-
res évolutions de léconomie portugaise ne
permettent pas dêtre ts optimiste. Fin
mars,laBanqueduPortugalarévisélespré-
visions de croissance du pays à – 3,4 % en
2012etunecroissance nulleen2013 contre
3,3 % et 0,3 % auparavant. La conjonction
du désendettement public et privé – les
entreprises et les ménages sont respective-
ment endettés à hauteur de 177,5 % et
102,5 % du PIB, soit 280 % au total contre
227 % en Espagne à titre de comparaison –
alimentelarécession.Presséesdesesen-
detter, les banques ont réduit leur ratio cré-
dits sur dépôts de 160 % à 140 % en un an
avant de lever le pied à la demande des
créanciersdupays,quicraignaientun« cre-
dit crunch ».
Pourtant, les entreprises crient à la pénu-
rie de prêts. « Jose dire qu’il y a un “credit
crunch, affirme Antonio Saraiva.Il faut
absolumentinjecter des liquiditésdansl’éco-
nomie. » Le patron des patrons doute que
les sommes colossales déversées par la
BCE, qui ont réglé les problèmes de liqui-
dité des banques portugaises, parviennent
jusquà léconomie réelle.« Il y a peuttre
un “credit crunch” pour certains secteurs qui
sont dirigés vers le marché domestique », a
récemmentreconnuledirecteurnéralde
Banco Espirito Santo (BES).
Financer l’économie du pays
La trka et le gouvernent veillent en effet à
ce que le secteur exportateur, véritable
planche de salut pour le pays, ne soit pas
coupé du crédit. En progression de 7,4 %
lane dernière, les exportations portugai-
ses ont notamment permis une forte cor-
rection du déficit de la balance des paie-
ments courants, signe encourageant de la
correction des déséquilibres de léconomie
portugaise.
Maisle dangerguetteunsecteurexporta-
teur qui dirige les deux tiers de sa produc-
tion vers une Europe en manque de crois-
sance. Selon la banque centrale portugaise,
les exportations ne devraient progresser
que de 2,7 % cette année contre une prévi-
sion initiale de 4,1 %. Le gouvernement est
actuellement en pleine négociation avec la
Banque européenne d’investissement
(BEI) pour obtenir une ligne de crédit dun
montant maximal de 5 milliards d’euros
pourfinancerléconomiedupays. Une per-
fusion qui pourrait savérer salutaire pour le
patient portugais.
JESSICA BERTHEREAU
ENVOYÉE SPÉCIALE À LISBONNE
Malgré la rigueur avec laquelle le gouvernement portugais applique la potion amère prescrite par les créanciers internationaux
du pays, la récession menace l’atteinte des objectifs budgétaires. Et rend hautement probable l’allongement du programme d’aide.
PORTUGAL : LÉLÈVE ZÉLÉ
DE LA ZONE EURO
Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et le Premier ministre, Pedro Passos Coelho, lors de la réunion du Sommet européen à Bruxelles, le 30 janvier 2012.
Les entreprises
et les ménages sont
respectivement endettés
à hauteur de 177,5 %
et 102,5 % du PIB,
soit 280 % au total
contre 227 % en Espagne.
« De l’avis de l’UE, il serait
sage de préparer une sorte
de soutien, lorsque
le Portugal retournera
sur les marchés. »
OLLI REHN LE COMMISSAIRE EUROPÉEN
AUX AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET MONÉTAIRES
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