Le pas du cheval suspendu à un gène

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Le pas du cheval suspendu à un gène
Article paru dans l'édition du 01.09.12
l y a bien des façons de marcher, surtout quand on a quatre pattes. Chez le cheval lambda, on distingue, par
ordre de vitesse, le pas, le trot et le galop. Mais certaines races équines sont capables - à l'instar du chameau ou
de l'éléphant - d'aller l'amble : les deux pattes d'un même côté avancent simultanément, et non alternativement
comme dans les autres allures.
C'est le cas du cheval islandais qui, en plus, adopte naturellement le tölt, une forme d'amble rompu, à quatre
temps, où l'animal conserve toujours un pied au sol. Le « tricotage » de ces petits chevaux peut sembler comique,
mais il est particulièrement confortable, disent les cavaliers, et permet de voyager loin.
Les Vikings qui ont peuplé l'Islande ont très tôt chéri cette spécificité de leur noble conquête : il y a plus de mille
ans, un édit de l'Althing, plus vieux Parlement européen, interdisait l'importation d'autres races de chevaux pour
ne pas diluer son caractère unique. Depuis lors, il a subi les famines et les éruptions qui ont régulièrement frappé
l'île. Sélections naturelle et artificielle lui ont donné une robustesse enviable et ont conservé amble et tölt.
Ailleurs dans le monde, ces deux allures sont diversement appréciées. Aux Etats-Unis, on distingue deux types de
courses attelées, celles où on trotte et celles où on amble. Mais pas question de passer d'une allure à l'autre, ou au
galop, lors d'une course, sous peine de disqualification. En Europe, notamment en France, seul le trot est admis.
Les éleveurs et les sélectionneurs veillent à éliminer les indisciplinés en scrutant, de génération en génération, le
pedigree des reproducteurs. Mais c'est à chaque fois un pari.
La génétique pourrait le rendre moins risqué, grâce aux valeureux petits chevaux islandais. Une équipe
internationale dirigée par des chercheurs de l'université d'Uppsala, en Suède, a procédé à l'étude de l'ADN de 70
d'entre eux, dont 30 maîtrisaient quatre allures (pas, tölt, trot et galop) et 40 pouvaient en plus aller l'amble. Cette
analyse, publiée dans la revue Nature le 30 août, les a guidés vers le chromosome 23, sur une forme mutante du
gène DMRT3. Ils ont ensuite constaté que, sur 352 chevaux islandais, 95 % de ceux qui maîtrisaient les cinq
allures possédaient deux copies (on les qualifie d'homozygote) de la forme mutée du gène, alors que seuls 31 % des
chevaux à quatre allures étaient homozygotes.
Les chercheurs ont ensuite élargi leur comparaison à d'autres races, européennes et américaines, qui vont ou non
l'amble. Ils ont constaté là encore le caractère nécessaire, mais pas forcément suffisant, du gène DMRT3 muté. Il
semblait aussi caractériser les bons trotteurs, alors que des chevaux ayant tendance à prendre le galop étaient
hétérozygotes (possédant une copie) pour cette mutation.
Tout cela ne pourrait être que coïncidence. Aussi l'équipe a-t-elle pris le soin d'étudier l'effet de la mutation de
l'équivalent de DMRT3 chez la souris : le développement du réseau nerveux responsable de la locomotion dans la
moelle épinière du rongeur se trouvait altéré. CQFD. « Ils sont partis d'un effet statistique pour aller jusqu'à
l'explication biologique : c'est de la bonne science », commente Anne Ricard (Haras nationaux, INRA Toulouse).
Elle note que l'équipe suédoise a déjà développé un kit d'analyse génétique ciblant DMRT3, proposé aux éleveurs.
En France, ceux-ci ont jusqu'à récemment renâclé devant ces nouveaux outils. Peut-être devront-ils changer
d'allure pour rester dans la course...
Hervé Morin
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