Sclérose Latérale Amyotrophique : prise en charge de la phase terminale et ses questions éthiques Dr Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, Service de Neurologie et Pathologies du mouvement, CHRU LILLE [email protected] Les progrès techniques biomédicaux modifient le rapport à la mort… • La SLA est une maladie, létale et incurable, marquée par une succession sans rémission de pertes définitives : un handicap croissant, devenant majeur, privant le malade d’autonomie d’action. • La mort est annoncée par l’atteinte progressive des muscles respiratoires (dès le diagnostic de la maladie dans près de 90 % des cas) et/ou les difficultés à s’alimenter. • La valeur pronostique excellente des explorations permet de prédire le moment de la phase terminale et d’anticiper le traitement palliatif des symptômes pénibles. Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE 2 … et conduit à poser la question de la valeur de la vie. • La mort peut être différée par la technique biomédicale. La ventilation par masque ou par sonde de trachéotomie et/ou la nutrition artificielle par sondage digestif permettent d’ajouter du temps de vie. • Cependant, survivre par assistance technique dans un contexte de handicap sévère ne peut pas se faire seul et a un coût. La survie engage ainsi la famille et la société dans sa solidarité (allocations des ressources, aides techniques, aides humaines). Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE 3 Une nouvelle normativité apparaît. Par respect du principe d’autonomie -sauf si le malade a refusé d’en être informé-, il est recommandé d’anticiper et de discuter avec la personne malade et avant toute menace vitale l’intérêt ou non d’une assistance vitale visant à allonger la durée de sa vie. (texte long de la conférence de consensus sur la prise en charge des personnes atteintes de sclérose latérale Amyotrophique, disponible sur le site de la Haute Autorité de la Santé http://www.anaes.fr) Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE 4 Une nouvelle normativité apparaît. La Loi relative au droit des malades et à la fin de la vie du 22 avril 2005 • reconnaît un droit aux malades au moment particulier qu’est la fin de la vie qu’elle définie comme étant la « phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause » : « les actes de soins ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable » définie par des critères d’inutilité et de disproportion, • offre la possibilité « de suspendre ou de ne pas entreprendre des soins n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie », – à la condition d’assurer des soins de confort tels que définis par l’article L.1110-10 du Code de la Santé Publique, • et donne une valeurVéronique aux directives anticipées. DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE 5 Les malades sont indécis et préfèrent ne pas anticiper. C’est une décision parfois impossible car : – Poser la question de la limite au delà de laquelle le traitement palliatif devient acharnement thérapeutique revient à questionner sur le sens de cette vie ajoutée. Comment savoir sans l’avoir éprouvée ? – Comment gérer le fait que l’évolution de la maladie ne permettra pas toujours de faire valoir un renoncement à une suppléance vitale : jusqu’où anticiper ? – Accepter ou refuser une technique biomédicale de survie donne l’illusion d’une maîtrise de la vie mais ne donne aucune maîtrise et comment protéger les malades d’une autodétermination fondée sur une illusion de maîtrise? – Elle s’oppose à la complexité de l’homme malade dans « son rapport à l’existence : la manière d’habiter son corps, le relation au temps et le Véronique DANEL-BRUNAUD 6 rapport à autrui » (D. Mallet). Centre SLA, CHRU LILLE Autonomie ??? Autonomie liée au contexte familial, économique et social de la personne. • La personne malade ne peut s’affranchir de ses liens d’« être social ». • un projet de survie prolongée par trachéotomie implique un engagement de la famille et peut mettre à jour des conflits d’intérêt. L’entourage familial ne peut pas être écarté de la délibération, tel un élément extérieur à la personne. • Le dispositif sanitaire et social a aussi des limites qui conduisent à poser la question de la répartition des ressources. Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE 7 • Les défenses psychologiques et l’ambivalence des désirs montrent que c’est sur une certaine distorsion de la réalité que vont se prendre les décisions : – négation « je vais bien », – évitement « je vis un jour à la fois », – pensée magique « il y a un nouveau traitement qui va arriver», – refus « je ne veux pas en parler», – ou « … » impossibilité de parler. • Les troubles cognitifs concernent les fonctions exécutives : – conceptualisation, théorie de l’esprit, … – Particularité des troubles cognitifs et valeurs des directives avancées : comment se protéger d’une altération de son jugement et de la conscience de son Véronique DANEL-BRUNAUD 8 altération ? Centre SLA, CHRU LILLE La décision est fondée sur la délibération. • L’objectif est de tenir les 3 niveaux (Ricœur) – Le sujet sait ce qu’il lui faut, selon ses désirs et ses valeurs morales. – La situation appelle à une action morale et donne une certaine normativité. • Le lien avec l’impératif catégorique kantien rétablit l’autonomie dans sa juste place « avec et pour les autres , dans des institutions justes » – la situation s’inscrit dans un monde régit par des règles, ordonné… • Et d’être capable de répondre à la singularité des situations et à celles en marge des normes. – Dilemmes et apories sont nombreux dans la SLA – Personne âgée ou isolée – Ressources insuffisantes… • la Sagesse pratique (disposition à agir de façon délibérée) repose sur la prudencia ou disposition acquise d’un jugement juste dans les situations concrètes mais singulières. Une relation médecin-malade basée sur la délibération n’ignore pas qu’une décision puisse être impossible (dilemme, aporie). • Délibération interdisciplinaire Véronique : temps,DANEL-BRUNAUD espace, maturation des acteurs de soins.9 Centre SLA, CHRU LILLE Une éthique de responsabilité. • Le principe anglo-saxon d’autonomie fonde le « consentement libre et éclairé » mais écarte les questions fondamentales et singulières. • Seule une réflexion basée sur les vertus de prudencia et de responsabilité permet de répondre à et de cet autre qui confie au médecin sa vulnérabilité, sa fragilité, sa versatilité, toute la complexité de son être souffrant et bouleversé. maturité, entraînement, expérience, séniorisation…. • Par la délibération qu’elle suscite, l’information n’est pas une fin en soi mais moyen d’une relation qui n’occulte pas que le questionnement puisse aboutir à un dilemme. • Les médecin doivent prendre une décision et doivent toujours agir. • La décision ne lève pas l’incertitude. • Le médecin par son engagement à autrui est « ontologiquement » Véronique DANEL-BRUNAUD responsable. Centre SLA, CHRU LILLE 10 Les soins Nature objectif curatif guérison Peut être élevée Palliatif actif Contrôle encore élevée en fonction des bénéfices attendus Palliatif symptomatique Qualité de vie Peut-être basse Le meilleur confort possible non aucune terminal effet sur la survie Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE « charge » 11 Principe de proportionnalité des traitements • Tout ce qui est techniquement faisable (trachéotomie) n’est pas forcément souhaitable pour ce malade (survie prolongée) dans ce contexte (celui de la maladie évolutive et incurable) • Rapport bénéfice / « charge » du traitement (lourdeur, contrainte, effets nocifs) en proportion de l’état du patient et de ses ressources soulager les symptômes renoncer aux actes disproportionnés Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE 12 exemple d’une conduite à tenir pratique vis-à-vis d’une polypnée en phase terminale respiratoire de SLA accès polypnéique: 10 mg d’équivalent morphine per os chez les patients ne recevant pas de morphine au préalable Ou 1/6 de la dose quotidienne chez les patients déjà sous morphine polypnée permanente: 60 mg d’équivalent morphine per os par 24 h chez les patients ne recevant pas de morphine au préalable ou majoration de 25 % de la dose quotidienne chez les patients déjà sous morphine Titration en fonction de la fréquence respiratoire confortable pour le patient Si patient âgé ou insuffisant rénal: mi–dose, voire quart de dose (Equivalent morphine : SC = PO/ 2 IV = PO/ 3) Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE 13 exemple d’une conduite à tenir pratique vis-à-vis d’une angoisse en phase terminale respiratoire de SLA anticiper la crainte de mourir étouffé Accompagnement pluridisciplinaire du patient dans la complexité de ce qu’il vit, notamment son rapport à la mort Accompagnement de la famille Représentants du culte Traitement symptomatique anxiolytique • PO: Atarax, Xanax … • SC: Midazolam (Hypnovel* ou Versed* en ville): – Bolus initial: 0,05 mg/kg (poids, dénutrition, effet recherché) – Perfusion continue: 0,5 mg/h, avec adaptation Véroniqueou DANEL-BRUNAUD 14 – Possibilité de doubler tripler la dose la nuit pour obtenir le sommeil Centre SLA, CHRU LILLE Sédation en phase terminale pour détresse aiguë : une réponse médicale à une situation exceptionnelle. « Recherche par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance qui peut aller jusqu’à une perte de la conscience pour diminuer ou faire disparaître la perception d’une situation jugée insupportable par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés ont pu lui être proposés et/ou mis en œuvre sans permettre d’obtenir le soulagement escompté » « La sédation pour détresse en phase terminale »: Recommandations de la Société Véronique DANEL-BRUNAUD 15 Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs, juin 2002 (www.sfap.org) Centre SLA, CHRU LILLE Sédation en phase terminale pour détresse aiguë : une réponse médicale à une situation exceptionnelle. C’est un ultime recours Les doses de médicament sédatif sont recherchées par titration pour permettre de les proportionner à l’objectif de soulager et non de mettre fin à la vie du patient Score de Rudkin: 1/ patient complètement réveillé et orienté 2/patient somnolent 3/patient les yeux fermés répondant à l’appel 4/ patient les yeux fermés répondant à une stimulation tactile légère (traction du lobe de l’oreille) 5/ patient les yeux fermés ne répondant pas à une stimulation tactile légère Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE 16 ≠ de l’Euthanasie – Volontaire: à la demande du patient Non volontaire: à l’insu du patient ou contre sa volonté - Critères de l’euthanasie: - Intention délibérée de provoquer la mort de la personne soignée (intentionnalité) - Lien direct de cause à effet entre l’acte et le décès du patient (causalité) - Acte conduit dans le but d’abréger les souffrances d’une personne atteinte de maladie incurable et évolutive - Interdite en France Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE 17 Sédation en phase terminale pour détresse aiguë : une réponse médicale à une situation exceptionnelle. Agir sans abandonner ni les traitements symptomatiques, ni les soins, ni l’accompagnement des proches. Agir avec l’accord d’un confrère. N’agir qu’avec le consentement du malade (si possible). Informer les proches de l’induction du sommeil, de la perte de la communication orale, des risques encourus (double effet). Consigner les délibérations et les posologies dans le dossier. Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE 18 Les principes du traitement des symptômes pénibles en phase terminale par des médicaments sédatifs qui ont un double effet dont celui le risque de précipiter la mort. • Évaluation au cas par cas par une analyse clinique initiale et des ré-évaluations rigoureuses : grande disponibilité !!!! • Cf les recommandations des sociétés savantes (SFASP, SRLF, SPLF, coordination des centres SLA et conférence de consensus) issues de groupes de travail. • Notion de symptôme terminal et non toléré par le malade. • Notion de double effet des médicaments. • Collégialité de la discussion mais décision médicale. Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE 19 exemple d’une conduite à tenir pratique vis-à-vis d’une détresse aigue en phase terminale respiratoire de SLA nécessitant une sédation en situation de dyspnée aiguë insupportable pour le patient : Voie veineuse en place (délai d’action immédiat) Diluer 5 mg de midazolam dans 10 CC Injecter en IV, cc par cc, jusqu’à l’occlusion des paupières, pour score de Rudkin à 4 – – Soit renouveler les injections si réveil Soit entretenir la sédation en SAP (dose horaire égale à 50 % de la dose d’induction) En l’absence de voie veineuse (délai d’action SC 10-15 mn) Voie SC: 0,05mg à 1mg/kg soit 2,5 à 5mg pour patient de 50 kg Titrer la dose nécessaire (de 15 mn en 15mn) pour score de Rudkin de 2 à 4 – – Soit renouveler les injections discontinues en fonction de résultat clinique Soit entretenir la sédation en SAP (dose horaire égale à 50 % DANEL-BRUNAUD 20 de la doseVéronique d’induction) Centre SLA, CHRU LILLE Conclusions 1/3 • DEFINITION : la maladie étant incurable et aucun traitement n’ayant un effet de stabilisation, il est important de rappeler que le traitement est – – soit « palliatif symptomatique » visant à ajouter du temps de survie mais qui sera du temps d’évolution de la SLA (maladie qui ne permettra pas toujours à la personne de faire valoir un renoncement à une trachéotomie devenue non supportée) avec effet aggravant de la trachéotomie sur la phonation et la déglutition. soit « palliatif terminal » visant un confort optimal plus qu’une survie et refusant toute thérapeutique symptomatique qui comporterait une charge lourde pour le patient et son entourage en terme d’effets secondaires difficiles ou pénibles . Véronique DANEL-BRUNAUD 21 Centre SLA, CHRU LILLE Conclusions 2/3 • EQUIPE et COLLEGIALITE : ne pas envisager le symptôme dominant (anxiété, polypnée, ou dyspnée) en tant que tel seul mais l’intégrer dans une prise en charge globale de la personne et si un questionnement sur le caractère proportionnel ou déraisonnable d’un traitement apparaît, il doit comprendre tous les traitements. Ceci nécessite un travail en équipe et la collégialité dans la décision à prendre. Véronique DANEL-BRUNAUD 22 Centre SLA, CHRU LILLE Conclusions 3/3 • prendre le TEMPS de bien individualiser le contexte cognitif, psychique, social, et familial du malade. • PATIENT au CENTRE de la délibération : réfléchir avec le patient autant que possible pour que ceci ait un SENS : délibérer avec lui sur les options thérapeutiques, si possible, sinon avec sa personne de confiance sinon sa famille en respectant le fait qu’elle ne doit pas avoir de responsabilité dans le choix qui sera fait. • RESPONSABILITE : le choix thérapeutique est de la responsabilité du médecin. Véronique DANEL-BRUNAUD Centre SLA, CHRU LILLE 23