Introduction
L’estimation du risque de cancer du sein a reposé jusqu’au début des années quatre-
vingt-dix sur la présence d’une histoire familiale de cancer du sein, sur la présence
de certaines mastopathies (hyperplasie atypique, carcinome lobulaire in situ) ou sur
l’exposition aux estrogènes, qu’ils soient d’origine endogène ou exogène. La pré-
sence d’antécédents familiaux de cancer du sein, surtout si plus de deux femmes
apparentées sont atteintes et si les âges au diagnostic sont jeunes, est cependant le
facteur qui augmente le plus le risque de cancer du sein. En effet, les facteurs hor-
monaux multiplient seulement par un facteur 1 à 2 le risque tumoral, le facteur his-
tologique (mastopathies) multiplie le risque par 4 à 8, mais seulement pendant une
période de dix ans après le diagnostic, alors que la présence d’antécédents familiaux
de cancer du sein peut multiplier jusqu’à 10 le risque cumulé au cours de la vie (1).
L’identification des gènes BRCA1 et BRCA2 (BReast CAncer) a été une avancée
majeure dans la compréhension des facteurs familiaux de cancer du sein.
Néanmoins, si les tests génétiques commencent à entrer dans la pratique médicale,
ils ne permettent pas d’identifier toutes les femmes qui ont un risque élevé de cancer
du sein, car d’autres facteurs génétiques jouent un rôle dans le développement
d’une tumeur mammaire et ne sont pas encore identifiés.
Nous proposons dans cet article de faire le point sur les gènes de prédisposition
aux cancers du sein, ou plus précisément sur les gènes dont les altérations ou les
variations sont à l’origine d’une augmentation du risque de cancer du sein. Nous
ferons une très large part aux gènes BRCA1 et BRCA2. Nous verrons quelles sont
aujourd’hui les situations familiales ou individuelles qui conduisent à l’indication
d’un test génétique et selon quelles modalités. Nous discuterons des modalités des
tests génétiques et en particulier de l’existence de deux types de test : le test chez le
Diagnostic des patientes à risque
de cancer du sein1
D. Stoppa-Lyonnet, M. Gauthier-Villars, I. Coupier, P. This
et N. Andrieu
1. Cet article a déjà fait l’objet d’une publication dans le n° Hors série de Références en gynécologie obstétrique intitulé
Cancer du sein : nouvelles approches diagnostiques et thérapeutiques. (RGO-2005, Vol 11, n° Hors série Cancer du
sein).
cas index (ou proposant) et le test chez les apparentées indemnes, réalisable lors-
qu’une mutation a été identifiée au préalable chez le cas index. Nous ferons le point
également sur les risques tumoraux associés aux mutations des gènes BRCA.En
effet, une estimation précise de ces risques est cruciale pour la prise en charge des
femmes à risque, prise en charge qui sera discutée dans l’article de François Eisinger.
Enfin, nous discuterons des risques tumoraux estimés à partir de l’histoire fami-
liale, histoire qui reste la seule mesure disponible lorsque aucune altération des
gènes BRCA n’a été identifiée.
Les gènes de prédisposition aux cancers du sein
identifiés en 2003
En 2003, moins d’une dizaine de gènes sont à l’origine d’une augmentation du
risque de cancers du sein. Les modalités de leur identification et leur prise en
compte dans la pratique médicale sont très variables et sont étroitement dépen-
dantes de la valeur du risque tumoral associé. Distinguons les gènes identifiés à
partir de l’étude des formes familiales de cancers du sein seul ou de cancers du sein
et de l’ovaire, et qui ont conduit à l’identification des gènes BRCA1 et BRCA2,
impliqués dans moins de 5 % des cas de cancer du sein, et ceux identifiés à partir
des familles présentant un syndrome bien particulier. Citons la maladie de Cowden
ou maladie des hamartomes multiples ; le syndrome de Li et Fraumeni, caractérisé
par des formes familiales de sarcomes, de cancer du sein, de tumeurs cérébrales ; la
maladie de Peutz-Jeghers ou lentiginose peri-orificielle, dominée par la présence de
polypes digestifs hamartomateux. Le risque de cancer du sein dans ces dernières
situations est en général secondaire par rapport aux autres manifestations du syn-
drome. L’ensemble de ces syndromes est impliqué dans moins de 1 % de l’ensemble
des cas de cancer du sein. Distinguons enfin les gènes identifiés à partir d’études de
populations (études cas-témoins ou de cohorte), comparant la fréquence d’un
variant donné dans une population de cancer du sein à celle de la population géné-
rale. Il s’agit aujourd’hui essentiellement de gènes impliqués dans la détoxication
des mutagènes, dans le métabolisme des stéroïdes ou dans les gènes de réparation
de l’ADN. Les risques tumoraux associés à tel ou tel variant sont en général faibles
et souvent controversés. Ils ne sont pas aujourd’hui pris en compte dans la préven-
tion.
Les gènes
BRCA1
et
BRCA2
Localisation et identification des gènes BRCA1 et BRCA2
Les études d’épidémiologie génétique, ou études de ségrégation, qui ont pour
objectif de déterminer le mode de transmission de la prédisposition à une maladie
donnée, ont estimé que 5 % des cas de cancers du sein sont liés à la présence d’un
facteur génétique transmis selon le mode autosomique dominant (c’est-à-dire
16 Cancer du sein
transmis par l’un des deux parents, que celui-ci soit la mère ou le père), et associé à
un risque cumulé de cancer du sein de 67 % à l’âge de 70 ans, soit un risque multi-
plié par 10 par rapport à celui de la population générale (tableau 1, CASH study)
(2). Ces études n’ont pas pris en compte les facteurs de risque hormonaux dont les
effets sur le risque de cancer du sein sont plus ou moins consensuels. Enfin, ces
études ne permettent pas d’exclure une hétérogénéité génétique, c’est-à-dire que les
gènes conférant une prédisposition au cancer du sein diffèrent d’une famille à
l’autre.
Tableau 1 - Risques de cancer du sein et mutations BRCA, estimés par différentes études ; ()
intervalle de confiance.
Étude de
BRCA1 BRCA2 BRCA1 BRCA2
ségrégation Familles Familles Méta-analyse Méta-analyse
(2)
BCLC
(38)
BCLC
(10) de 22 études de 22 études
de population de population
(18) (18)
Risque
cumulé
à 50 ans 38 % 73 % (49-87) 28 % (9-44) 38 % (30-50) 16 % (11-21)
Risque
cumulé
à 70 ans 67 % 87 % (72-95) 84 % (43-95) 65 % (IC : 51-75) 45 % (33-54)
Cependant ces études ont été capitales pour l’identification des gènes BRCA1 et
BRCA2. En effet, les paramètres du modèle génétique (fréquence allélique, risque
tumoral), estimés par ses études, sont déterminants dans la mise en évidence d’une
liaison génétique. Mettant à contribution des familles réunissant plusieurs cas de
cancer du sein, en général au moins trois cas appartenant à la même branche paren-
tale et dont l’âge moyen au diagnostic était de moins de 50 ans, Mary-Claire King a
localisé par étude de liaison génétique un premier locus sur le bras long du chromo-
some 17 (en 17q21) (3). Très brièvement, les études de liaison génétique reposent
sur la recherche de la co-transmission de la maladie étudiée, ici le cancer du sein, et
de marqueurs génétiques multi-alléliques, c’est-à-dire variables dans la population
et dont la localisation chromosomique est connue. En règle générale, deux à trois
cents marqueurs, dispersés sur l’ensemble du génome, sont étudiés. L’observation
de la co-transmission de la maladie et d’un marqueur donné – c’est-à-dire que ce
marqueur est plus souvent associé à la maladie qu’il ne devrait l’être si leur co-trans-
mission se faisait au hasard – conduit à retenir que le gène qui prédispose à la
maladie est « lié », c’est-à-dire physiquement proche du marqueur étudié. La détec-
tion sur l’un des gènes localisés dans la région de liaison d’une mutation inactiva-
trice, c’est-à-dire à l’origine d’une protéine ayant perdu sa fonction biologique, est
l’élément clé qui permet de retenir que le gène recherché est bien celui étudié. C’est
ainsi qu’après avoir été finement localisé dans une région d’un million de paires de
Diagnostic des patientes à risque de cancer du sein 17
18 Cancer du sein
bases par un consortium international de laboratoires – le Breast Cancer Linkage
Consortium (BCLC) – le gène BRCA1 a été identifié par l’équipe de Mark Skolnick
(Myriad Genetics) (4). Dès la localisation du locus BRCA1, il a été montré par le
groupe de Gilbert Lenoir et de Jean Feunteun que les familles réunissant des cas de
cancers du sein et de l’ovaire étaient préférentiellement liées à BRCA1, montrant
ainsi que les mutations de BRCA1 sont également associées à un risque de cancer de
l’ovaire (5). Reprenant l’analyse systématique des marqueurs dans les familles iden-
tifiées non liées à BRCA1, un deuxième locus a été localisé sur le bras long du chro-
mosome 13, BRCA2 (6). Le gène BRCA2 a été identifié en 1995 (7). Les gènes
BRCA1 et BRCA2 ont une partie codante de très grande taille, respectivement de
5592 et 10254 nucléotides, rendant complexe leur analyse.
Ainsi, au niveau constitutionnel, il existe une mutation inactivatrice de l’un des
deux allèles, maternel ou paternel. Au cours du processus tumoral, il existe une inac-
tivation du second allèle, en général secondaire à la délétion d’une grande région
chromosomique encadrant le gène impliqué (8). L’inactivation complète de l’un ou
l’autre de ces gènes a conduit certains à retenir qu’il s’agit donc de gènes suppres-
seurs de tumeur ou gènes anti-oncogènes. Leur rôle dans la réparation de l’ADN
(voir ci-dessous) nous conduit à retenir qu’il s’agit plutôt de gènes « caretaker » que
de gènes suppresseurs de tumeur.
Fonctions des protéines BRCA1 et BRCA2
Les gènes BRCA1 et BRCA2 codent pour des protéines impliquées physiologique-
ment dans la réparation des lésions de l’ADN. BRCA1 est une protéine clé dans la
détection de lésions de différentes natures : cassures simple et double-brin, anoma-
lies nucléotidiques. Au-delà de la détection de ces lésions, BRCA1 a un rôle clé dans
l’adaptation du cycle cellulaire à la phase de réparation et dans la mobilisation des
protéines de réparation proprement dites comme RAD51 (protéine-clé de la répa-
ration des cassures double-brin par recombinaison homologue). BRCA2 apparaît
avoir un rôle plus spécifique dans la recombinaison homologue. En effet, cette
macromolécule semble contrôler la localisation de RAD51 sur les sites de cassure
double-brin de l’ADN. Alors que BRCA1 et BRCA2 ont une expression ubiquitaire,
le risque tumoral, secondaire à l’inactivation de l’une ou l’autre de ces protéines, est
principalement mammaire, et dans une moindre mesure ovarien. Il n’y a pas
aujourd’hui d’explication claire qui rende compte de ce paradoxe. L’hypothèse la
plus communément admise repose sur le rôle des estrogènes. En effet, les estro-
gènes, par leur effet mutagène direct et leur effet prolifératif indirect, favoriseraient
l’émergence du processus tumoral. Leur effet mutagène serait renforcé par l’absence
de protéine BRCA1 qui n’exercerait alors plus d’effet de contrôle négatif sur la syn-
thèse de récepteurs aux estrogènes, augmentant alors leur action de proliféra-
tion (9).
Pathologie moléculaire des gènes BRCA
Les mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 sont de type inactivateur. Il s’agit dans la
majorité des cas de mutations conduisant à une protéine tronquée : mutations stop,
Diagnostic des patientes à risque de cancer du sein 19
délétions ou insertions de quelques nucléotides rompant le cadre de lecture, anoma-
lies d’épissage ou, enfin, réarrangements de grande taille observés aujourd’hui
essentiellement pour le gène BRCA1. Des mutations faux-sens, mutations substi-
tuant un acide aminé à un autre, ont été rapportées. Mis à part quelques cas de
mutations faux-sens siégeant dans des domaines fonctionnels très particuliers (cys-
téine du domaine RING de BRCA1 ; domaine BRCT de BRCA1), et en l’absence, à
l’heure actuelle, de test fonctionnel in vitro, la conséquence de ces faux-sens sur la
fonction de la protéine reste inconnue. Ces mutations faux-sens sont difficilement
interprétables en terme de risque tumoral et doivent rendre le conseil génétique
prudent.
En 2003, près de 1 000 mutations différentes des gènes BRCA1 et BRCA2 étaient
enregistrées dans la base de données du National Institute of Health
(http://www.nhgri.nih.gov/Intramural_research/Lab_transfer/Bic/). Il existe cepen-
dant, dans certaines populations, une faible diversité de mutations qui est le résultat
d’effets fondateurs. Il s’agit en général de populations isolées dont le nombre d’an-
cêtres communs est faible. Ainsi, certaines populations insulaires comme l’Islande,
ou des populations dont la barrière est culturelle comme la population ashkénaze,
présentent un petit nombre de mutations différentes. La connaissance de l’origine
ethnique de la personne testée peut ainsi modifier la stratégie d’analyse moléculaire.
Ainsi, la diversité des mutations et leur distribution sur une séquence codante de
très grande taille compliquent singulièrement la première recherche de mutation
réalisée dans une famille donnée. La recherche de mutations par des techniques
classiques (SSCP, DGGE, HA) dans des familles dont les analyses de liaison ont
montré qu’elles étaient liées à BRCA1 ou BRCA2 ont permis d’estimer que la sensi-
bilité de détection de mutation par ces méthodes est de l’ordre de 70 % (10)
(Easton, non publié). La recherche de délétions ou duplications partielles ou com-
plètes du gène BRCA1 par des techniques complémentaires, représentant 10 à 20 %
de l’ensemble des mutations de BRCA1, conduit à la caractérisation de 80 à 90 %
des mutations attendues (11, 12). Très peu (deux cas) de délétions du gène BRCA2
ont été rapportées jusque-là. Celles-ci ne sont donc pas recherchées dans la pratique
diagnostique.
La lourdeur des investigations, la signification limitée d’un résultat négatif à
l’issue d’une première étude familiale, conduisent à distinguer deux types de test
génétique :
– celui qui est réalisé pour la première fois dans la famille et qui a pour objectif de
repérer l’altération génétique responsable ;
– celui qui est proposé aux apparentées après qu’une mutation a été identifiée dans
la famille.
Le premier test est conduit chez la personne la plus susceptible d’être prédis-
posée compte tenu de son histoire personnelle et de sa position sur l’arbre généalo-
gique : le cas index. Il est donc en général proposé à une femme qui a été déjà
atteinte d’un cancer du sein ou de l’ovaire. Le délai d’obtention des résultats est long
(de six à douze mois à l’heure actuelle). Si l’analyse ne conduit pas à la détection
d’une mutation, cela n’élimine pas le diagnostic de prédisposition. Le second test,
effectué chez les apparentés après identification de la mutation, à l’inverse, est
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