Asthme, obésité et diabète de type 2 – mécanismes, gestion et

Pratique clinique
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Juin 2009 | Volume 54 | Numéro 2
Autrefois considérés comme des maux affectant les pays dévelop-
pés, le surpoids et l'obésité ont aujourd'hui rejoint la malnutrition
et l'infection au rang des probmes de sanpublique majeurs des
pays en développement. D'après les estimations, l'obésité repsen-
terait aujourd'hui jusqu'à 16 % du fardeau mondial des maladies,
exprimé en pourcentage d'années de vie corrigées en fonction des
invalidités. Plus d'un milliard d'adultes à travers le monde sont en
surpoids dont 312 millions sont obèses. En outre, l'existence de
155 millions d'enfants en surpoids ou obèses devrait continuer
d'accroître le coût déjà significatif des maladies liées à l'obésité
en terme d'années de vie corrigées en fonction des invalidités.1
Asthme, obésité et diabète
de type 2 mécanismes,
gestion et prévention
Kyle Enfield, Michael Shim, Gulshan Sharma
L'obésité, devenue une épidémie mondiale, est associée à une série de conditions, dont
des maladies coronariennes, des anomalies lipidiques, des calculs biliaires, le cancer, le
diabète de type 2, l'apnée obstructive du sommeil et le syndrome obésité-hypoventilation.
Des études récentes ont montré que l'asthme pouvait également être lié à l'obésité, voire
aggravé par cette condition. Des recherches en cours laissent entendre que le diabète de
type 2 et l'asthme pourraient être liés à l'obéside par l'inflammation systémique chronique.
Dans cet article, les auteurs mettent l'accent sur les mécanismes sous-jacents possibles
reliant les différentes conditions et examinent les options de gestion et de prévention.
L'obésité et le diabète de type 2 ont connu une augmentation
similaire. D'après les estimations, jusqu'à 90 % de tous les cas
de diabète de type 2 sont attribués à l'obésité et au surpoids. La
surcharge pondérale favorise également le développement d'une
tolérance abaissée au glucose et du syndrome métabolique
lequel se caractérise par une constellation de facteurs de risque
du diabète de type 2 et est un précurseur de la condition.1 La
distribution de la masse adipeuse est aussi importante que le
poids corporel ; si une augmentation de l'IMC est associée aux
maladies cardiovasculaires et au diabète de type 2, le risque
de développer ces maladies est étroitement lié au tour de taille.2
Obésité et asthme
À l'instar du diabète de type 2, l'incidence de l'asthme augmente
parallèlement au nombre de personnes souffrant d'obésité. On
ignore toutefois avec certitude si ce phénomène est à un lien de
causalité ou à une simple association.
3
L'étude américaine Nurses'
Health Study II s'est penchée sur le lien entre le poids corporel
et l'asthme chez 116 678 participants. Les chercheurs ont mis
en évidence une augmentation du risque de développement de
l'asthme chez les personnes obèses après correction en fonction
de facteurs tels que le tabagisme, l'activité physique et la consom-
mation totale de calories. Ils ont par ailleurs montré qu'un gain de
poids de plus de 5 kg sur une période de 4 ans était associé à une
augmentation du risque de développement de l'asthme plus le
gain de poids étant élevé plus le risque augmentant.4 Si d'autres
études prospectives ont mis en lumière la me association, aucune
étude sur l'homme n'a cependant permis d'établir un lien clair entre
l'obésité et l'asthme, ce qui laisse entendre que le tableau serait
plus complexe que décrit ci-dessus.3,5
Au cours des deux dernières décennies,
une hausse notable du pourcentage
d'asthme, d'obésité et de diabète
de type 2 a été constatée.
Le recours à des services et ressources de soins est plus impor-
tant chez les personnes obèses asthmatiques que chez les non
obèses. Les personnes obèses asthmatiques ont 2,5 fois plus de
risques de souffrir d'essoufflement (dyspnée), d'utiliser davantage
d'inhalateurs et de médicaments pour accroître le débit d'air
(bronchodilatateurs), et de faire des séjours plus longs dans des
services hospitaliers d'urgence que les personnes asthmatiques
non obèses. Cependant, bien que l'incidence de l'asthme et
le recours à des soins de santé soient plus importants chez les
personnes obèses asthmatiques, l'obésité ne semble pas affecter
la gravité de l'asthme.3
Diabète de type 2 et asthme
Le lien entre l'asthme et le diabète de type 2 est complexe et re-
quiert des études complémentaires. Des études épidémiologiques
ont fait apparaître des résultats contradictoires et ont été entravées
par les habituelles limitations associées à l'utilisation de bases de
données administratives.3 Une étude de petite échelle qui s'est
penchée sur l'insensibilité à l'insuline chez les enfants obèses
avec et sans asthme a permis de recueillir des données probantes
quant à l'existence d'une association entre l'asthme, l'obésité et
Les personnes obèses
asthmatiques ont plus
de risques de souffrir
d'essoufflement, d'utiliser
des inhalateurs et de
faire des séjours plus
longs dans des services
hospitaliers d'urgence.
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le diabète de type 2. Une augmentation de 1,5 fois du degré
d'insensibilité à l'insuline a en effet été constatée chez les enfants
obèses asthmatiques par rapport aux enfants non asthmatiques.6
Des résultats similaires ont récemment été mis en évidence chez
des adultes, ce qui laisse entendre l'existence d'un lien entre
l'inflammation des voies aériennes et l'insensibilité à l'insuline. 7
Ces résultats doivent cependant être validés par d'autres études
en vue d'établir une corrélation claire.
Mécanismes possibles
Si l'épidémiologie de l'obésité et de l'asthme laisse entendre
l'existence d'un lien, le mécanisme de celui-ci n'est cependant
pas clair. Des données recueillies lors d'études sur l'homme et
des animaux donnent à penser que divers processus mécaniques
et inflammatoires contribuent au développement de l'asthme et
du diabète de type 2.3,5
Obésité et inflammation
L'inflammation systémique pourrait expliquer le lien de causalité
entre l'obésité et le diabète de type 2. Ce modèle laisse entendre
que la surconsommation d'aliments et de boissons riches en lipides
et en sucres entraînerait la croissance des adipocytes les cellules
qui composent le tissu adipeux, lequel assure le stockage d'éner-
gie sous forme de graisse. À mesure que la taille des adipocytes
augmente, ceux-ci développent une hypoxie localisée (privation
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d'oxygène) et libèrent des médiateurs inflammatoires, dont des
intermédiaires réactifs de l'oxygène et de l'azote, qui renforcent
l'insensibilité à l'insuline, avec pour conséquence finale une aug-
mentation des acides gras libres et de la glycémie.
8
L'augmentation
de l'insensibilité à l'insuline et du dysfonctionnement des cellules
bêta expliquerait donc le lien entre l'inflammation induite par
l'obésité et le diabète de type 2.5
De la même manière, l'obésité peut influencer l'asthme au tra-
vers d'une inflammation systémique. Il est apparu que l'obésité
des souris, induite par des altérations génétiques ou un régime
alimentaire riche en lipides, augmentait les spasmes bronchiaux
(hyperréactivité des voies aériennes), la limitation du débit d'air et
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la charge mécanique sur le système pul-
monaire.
4
Si les études sur l'homme ont
mis en évidence une augmentation du
nombre de neutrophiles, un autre type
de globules blancs, et de certains mar-
queurs inflammatoires, tels que l'oxyde
nitrique exhalé, elles ont également fait
apparaître une diminution du nombre
de cellules généralement associées à
l'asthme allergique, telles que les éosi-
nophiles.9 L'obésité semble également
réprimer l'inflammation allergique de
globules blancs appelés cellules Th2,
qui jouent un rôle important dans le
fonctionnement du système immunitaire.
Cette situation a clairement été asso-
ciée à l'asthme allergique atopique.3
Les conséquences peuvent également
être indirectes ; les personnes obèses
affichent également un taux plus élevé
de reflux gastro-œsophagien, lequel
pourrait contribuer à l'inflammation des
voies aériennes et aggraver l'asthme.10
Obésité, mécanisme pulmonaire et asthme
L'augmentation de la taille des adipocytes entraîne également
des modifications mécaniques au niveau du système respiratoire.
L'obésité a un impact mécanique spécifique sur la physiologie
des poumons, en provoquant des altérations du mécanisme de
la respiration, de la résistance des voies aériennes, des schémas
respiratoires, de la pulsion respiratoire et de l'échange gazeux.
Ces changements seraient dus à l'augmentation de la charge
élastique entraînée par l'excès de poids sur le thorax et l'abdomen,
à l'augmentation du volume sanguin pulmonaire et à une discor-
dance au niveau du rapport ventilation/perfusion (déséquilibre
entre l'air et le sang qui atteignent les poumons).3
Il est apparu que le gain
de poids était associé
à une augmentation du
risque d'asthme.
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Kyle Enfield, Michael Shim, Gulshan Sharma
Kyle Enfield est moniteur principal au sein de la division des
soins pulmonaires et critiques du département de médecine
de l'université du système de santé de Virginie, États-Unis.
Michael Shim est professeur assistant au sein de la division
des soins pulmonaires et critiques du département de médecine
de l'université du système de santé de Virginie, États-Unis.
Gulshan Sharma est professeur assistant au sein de la division
des soins pulmonaires, allergiques et critiques du département
de médecine interne de l'université de la branche médicale
du Texas, à Galveston, États-Unis.
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L'obésité réduisant le volume des poumons et le diamètre des voies
aériennes périphériques, ces effets mécaniques pourraient être
responsables de la limitation accrue du débit d'air. En outre, ainsi
que mentionné précédemment, l'obésité augmente l'hyperréactivité
des voies aériennes. Il a été démontré que le surpoids multipliait
par deux le risque d'hyperréactivides voies aériennes, tandis que
l'obésité l'augmentait de 2,7 fois, quel que soit l'âge ou le sexe.
11
La perte de poids réduit considérablement
les symptômes de l'asthme et le
besoin de médicaments.
Ces changements mécaniques sont liés tant à l'indice de masse
corporelle qu'à la graisse abdominale. Une récente étude trans-
versale réalisée en France a établi que le syndrome métabolique
était lié à un dysfonctionnement pulmonaire, après contrôle de
l'indice de masse corporelle, de l'âge, du sexe, du tabagisme, de
la consommation d'alcool, de l'activité physique pendant les loisirs
et des antédents cardiovasculaires. Ces résultats ont été principa-
lement associés à l'obésité abdominale, même après contrôle du
tabagisme.12 Ces changements caniques pourraient entraîner
une augmentation de l'hypoxie systémique et une aggravation de
l'hypoxie des adipocytes et contribuer à l'inflammation systématique,
aggravant ainsi des états maladifs déjà présents.5
Implications pour la gestion
La perte de poids, qu'elle soit due à un régime ou à une interven-
tion chirurgicale, pourrait améliorer la gravité et les symptômes
de l'asthme et du diabète de type 2.9,10 La perte de poids réduit
en effet considérablement les symptômes de l'asthme et le besoin
de médicaments, de même qu'elle améliore le débit d'air, chez
les personnes en surpoids ou obèses souffrant d'asthme.13
Prise en charge du dénominateur commun
Une hausse notable des taux d'asthme, d'obésité et de diabète de
type 2 a été constatée au cours des vingt dernières années. Des
preuves émergentes laissent entendre que ces conditions pourraient
être liées par des mécanismes anatomiques, inflammatoires et/ou
combinés. Mais quels que soient les mécanismes en jeu, le dia-
bète ou l'asthme dont souffrent les personnes obèses augmentent
le recours aux soins de santé et la complexité du traitement. D'où
l'importance pour les prestataires de soins de reconnaître que ces
conditions, lorsqu'elles sont réunies, peuvent agir en synergie. Le
traitement se doit donc de cibler l'obésité, en tant que dénominateur
commun, si l'on veut améliorer à la fois le diabète et l'asthme.
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