Utilisation des produits iodés 259 L’ALLERGIE A L’IODE EXISTE-T-ELLE ? F. Leynadier, Hôpital Tenon, 4 rue de la Chine - 75970 Paris Cedex 20 INTRODUCTION Les produits de contraste iodés (PCI) sont constitués de 3 atomes d’iode fixés sur 1 ou 2 cycles benzéniques. On en distingue aujourd’hui 2 types en fonction de leur osmolalité (Tableau I) : Le Lipiodol® (esters d’acides gras iodés) ne peut être inclus dans cette liste. Tableau I Produits de contraste iodés commercialisés en France (GNP, 12ème éd., 2000, Editions du Vidal) Caractéristiques DCI Nom commercial Amidotrizoate Angiographine® Gastrographine® Ioniques hyperosmolaires (1530 à 1860 mosm.kg-1) Ionique basse osmolalité (≈ 600 mosm.kg-1) Non ioniques basse osmolalité (≈ 600 mosm.kg-1) Radioselectan® Ioxitalamate Telebrix® Ioxaglate Hexabrix® Iobitridol Xenetix® Iohexol Omnipaque® Ioméprol Iomeron® Iopamidol Iopamiron® Iopentol Ivepaque® Iopromide Ultravist® Ioversol Optiject® Optiray® Non ionique iso-osmolaire (≈ 300 mosm.kg-1) Iodixanol Visipaque® 260 MAPAR 2001 • Les PCI classiques sont des monomères (1 seul cycle benzénique) ioniques, c’est-àdire associés à un cation sodium ou méglumine (sucre). En milieu aqueux, ces PCI se dissocient en deux particules, le cycle benzénique d’une part et, d’autre part, le cation, ce qui double leur osmolalité. Pour atteindre une quantité d’iode suffisante pour l’opacification radiologique, environ 300 mg d’iode.mL-1, ils doivent avoir une hyperosmolarité d’environ 5 à 6 fois supérieure (1530 mosm.kg-1 à 1860 mosm.kg-1) à celle du sang circulant (environ 300 mosm.kg-1) [17]. Il en résulte des effets secondaires comme une douleur au point d’injection, une sensation de chaleur, des complications cardiovasculaires (hypotension, angor, etc) ou rénales, pour ces dernières en raison d’un effet toxique direct sur les cellules épithéliales tubulaires. • La nouvelle génération de PCI a une osmolalité identique ou au plus 2 fois supérieure à celle du sang. Il peut s’agir de monomères non ioniques, ne nécessitant plus la présence de cation, ou de dimères ioniques (2 cycles benzéniques reliés ensemble, chacun portant 3 atomes d’iode) ce qui double la quantité d’iode par molécule. Ces PCI entraînent moins d’effet secondaire dépendant de l’osmolalité par rapport aux PCI classiques [6, 17] Cependant les 2 types de PCI sont capables de provoquer des effets secondaires dont l’expression clinique ressemble aux accidents d’allergie immédiate, c’est-à-dire dans la forme la plus sévère au choc anaphylactique classique, lequel cependant est provoqué par la présence d’immunoglobulines E (IgE) spécifiques d’allergènes comme par exemple des aliments, des venins d’hyménoptères, etc. Il n’en est pas de même pour les PCI, puisqu’à quelques exceptions près, la présence d’IgE spécifiques n’a jamais pu être établie in vivo par tests cutanés à lecture immédiate ou, in vitro, par dosage des IgE spécifiques ou par test d’histamino-libération. Par convention, ces accidents sont nommés anaphylactoïdes afin de les distinguer de l’anaphylaxie classique dépendante des IgE. Il convient d’exclure de ce cadre le malaise ou la syncope vagale ainsi que l’attaque de panique, ces incidents ou accidents survenant plus volontiers chez des sujets ayant des antécédents identiques dans d’autres circonstances comme les prélèvements sanguins, l’anesthésie locale, les douleurs ou émotions vives, etc. 1. REACTIONS DE TYPE ANAPHYLACTOIDE On admet que sont considérés comme réactions anaphylactoïdes les tableaux comportant au moins un des symptômes suivants : urticaire, angio-œdème (œdème de Quincke), sensation de striction laryngée avec ou sans stridor, gêne respiratoire ou sibilance, hypotension (d’au moins 30 mmHg pour la pression systolique), syncope à l’orthostatisme, troubles du rythme ou arrêt cardiaque associés à une urticaire et/ou à un œdème de Quincke. Ces symptômes doivent apparaître moins de 20 minutes après le début de la perfusion et leur gravité est considérée comme : • Bénigne : s’il s’agit d’une urticaire et/ou d’un œdème de Quincke ne nécessitant pas de traitement ; • Modérée : si un traitement s’impose ; • Sévère : en cas d’œdème laryngé, de bronchospasme ou d’hypotension rendant ou non l’hospitalisation indispensable. L’incidence est diversement appréciée dans la littérature. Le tableau II montre la synthèse des données les plus récentes (Lieberman et Seigle, 1999) (Tableau II) [17]. Utilisation des produits iodés 261 Tableau II Incidences des effets secondaires des PCI Réactions Toutes confondues Sévères Urticaire Hyperosmolaires 12,7% 0,22% 3,16% Nouveaux produits 3,1% 0,044% 0,47% L’étude de Lang et coll [13] est sans doute la plus intéressante car elle porte sur une série consécutive de 5393 patients ayant un scanner avec PCI. Il s’agit d’hommes dans 51 % des cas et de femmes dans 49 % (NS). On note 73 (1,39 %) incidents ou accidents de type anaphylactoïde, plus souvent chez les femmes (70 %). En particulier, les réactions les plus sévères touchent 21 fois sur 22 des femmes, le risque relatif («odd ratio») atteignant 21,77 (IC 95 % : 3,13 - 435,12). Les facteurs de risques sont assez bien déterminés : la notion d’allergie et d’asthme est classique bien qu’elle ne repose que sur une seule étude contrôlée [6, 17] qui compare 50 sujets ayant eu une réaction anaphylactoïde à 50 témoins. Les allergiques, définis par des tests cutanés positifs et/ou la présence d’IgE spécifiques pour les pneumallergènes, sont, dans cette étude, 2 fois plus nombreux dans le groupe des sujets ayant eu une réaction. Les traitements par bêta-bloquant ou les insuffisances cardiaques sévères représentent aussi un risque assez bien démontré, comme l’est aussi un antécédent de réaction anaphylactoïde à un PCI. Dans ce cas d’ailleurs, la récidive n’apparaît que chez 35 % des patients au maximum. 2. HYPOTHESES PHYSIOPATHOLOGIQUES Dès les premières descriptions des chocs aux PCI, l’hypothèse d’une allergie dépendante des IgE a été évoquée. Comme elle ne pouvait être clairement démontrée, d’autres mécanismes ont été envisagés incriminant l’hyperosmolarité des PCI. Cependant la persistance de ces accidents, bien que moins fréquents mais parfois plus graves, avec les nouveaux PCI remettait en cause le rôle de l’hyperosmolarité [17]. Il est démontré que tous les PCI provoquent une libération d’histamine et de tryptase par les mastocytes et les basophiles mais sans libération de médiateurs néoformés (dérivés de l’acide arachidonique). Cet effet est d’ailleurs sans relation avec la présence d’iode puisqu’il persiste de façon identique avec le diatrizoate non iodé. Les atopiques, c’est à dire les malades ayant une allergie de type immédiat avec rhinite, asthme, dermatite atopique, etc, ont un effet histaminolibérateur plus marqué, sans doute en raison de l’état de «pré-activation» de leurs cellules par l’interleukine 3. Parmi les hypothèses, on a imaginé un rôle direct avec un récepteur membranaire ou encore l’activation du complément avec génèse d’anaphylatoxines. En fait, la plus vraisemblable fait intervenir la facilité des PCI de s’agréger et ainsi de se fixer sur des immunoglobulines membranaires comme les IgG ou les IgE par exemple. Le travail de Lasser [14] montre que chez des rats, l’injection de monomère provoque en 1 à 2 minutes une chute tensionnelle importante qui se corrige ensuite en quelques minutes. En revanche, des dimères ne déterminent pas cette chute tensionnelle. Cet auteur explique l’histaminolibération par la présence d’agrégats de PCI : lors d’une injection rapide, ces agrégats, en trop grande quantité, ne seraient pas capables de se fixer (liaison non spécifique) de façon satisfaisante sur les IgE membranaires alors qu’une injection plus lente faciliterait au contraire cette fixation. Cet auteur assimile les PCI à des «pseudo- 262 MAPAR 2001 antigènes». Il est établi que dans les réactions anticorps/antigènes, en particulier dans l’histaminolibération, un excès d’antigènes ou au contraire une quantité très insuffisante, n’induit aucune réaction, laquelle ne survient que pour des taux d’antigènes à peu près équivalents à ceux des anticorps (classique courbe en «cloche» des réactions antigènes/anticorps). Pour intéressante que soit cette hypothèse, qui bien entendu ne fait pas intervenir des IgE spécifiques des PCI, il reste à expliquer l’absence de libération de médiateurs néoformés, qui sont pourtant libérés en grande quantité lors de l’activation des mastocytes et des basophiles par des antigènes classiques. L’allergie immédiate aux PCI dépendante des IgE n’a fait l’objet que de quelques rares publications sur des séries insuffisantes. Une étude récente de Mita et coll [21] a cependant inclus 55 patients qui avaient présenté une réaction anaphylactoïde lors de l’utilisation d’ioxaglate (Hexabrix®) et 31 témoins ayant reçu le même PCI sans effet secondaire. Par Elisa et radio-immunologie, ces auteurs ne trouvent des IgE spécifiques de l’ioxaglate que chez 47,1 % des malades ayant eu une réaction anaphylactoïde et chez aucun des 31 témoins. Par radio-immuno-essai, ces auteurs montrent que la pré-incubation du sérum contenant des IgE spécifiques avec 1 mg.mL-1 d’ioxaglate, fait disparaître 81 % de ces IgE spécifiques (liaison IgE/ioxaglate). En revanche, avec la même technique, aucune «consommation» des IgE spécifiques n’est observée si le sérum est incubé avec un autre PCI, l’iohexol (Omnipaque®), dont la structure principale est différente de celle de l’ioxaglate, mais qui comporte comme tous les PCI des atomes d’iode dans cette structure. Ainsi, il est possible de conclure que les IgE spécifiques reconnaissent la structure globale de la molécule et non l’iode fixée sur cette structure. Ce résultat correspond aux données déjà établies pour un modèle plus classique qu’est l’allergie immédiate aux bêta-lactamines ou aux curares : par exemple, les tests cutanés à lecture immédiate positifs après un choc anaphylactique au suxamethonium (Célocurine®) sont souvent négatifs pour des curares comme le pancuronium (Pavulon®) dont la structure globale est différente mais qui porte, comme la Célocurine®, 2 fonctions ammonium quaternaire [15, 16]. De même, est-il habituel d’avoir une excellente tolérance des céphalosporines chez des sujets ayant eu une anaphylaxie à la pénicilline G, bien que ces deux types d’antibiotiques aient le même noyau bêtalactame. On peut là aussi conclure qu’un anticorps reconnaît très spécifiquement un épitope antigénique au sein d’une molécule et qu’entre deux structures chimiques paraissant proches, le site épitopique peut être totalement différent. 4. REACTIONS TARDIVES AUX PCI En 1986, Panto [23] rapportait le premier cas de toxidermie survenant plusieurs heures après injection de PCI. Le tableau clinique avec lésions cutanées maculo-papuleuses ou morbiliformes est proche de celui si souvent observé avec les amino-pénicillines (amoxicilline, etc) pour lesquelles le diagnostic repose sur des tests épicutanés (patchtests) [18, 25]. Lorsque des biopsies pratiquées sur des tests cutanés positifs aux amino-pénicillines sont effectuées, on observe un infiltrat inflammatoire dermique avec lymphocytes et éosinophiles associé à une spongiose intradermique et une acanthose [26]. Des travaux récents confirment qu’il s’agit bien d’une réaction immunologique puisque dans le sang périphérique le taux de lymphocytes T activés (HLA DR+) exprimant le Cutaneous Lymphocyte-Associated Antigen s’accroit pendant la phase aiguë de la toxidermie à l’amino-pénicilline [3, 4, 7]. Bien que rares, les réactions tardives aux PCI sont très instructives car elles montrent que l’iode n’intervient nullement dans la réaction allergique. Par exemple, Utilisation des produits iodés 263 Courvoisier et Bircher [9] montrent que des tests épicutanés sont très positifs pour l’iopamidol (Iomapiron®) chez un malade ayant eu une toxidermie à 2 reprises après utilisation de ce PCI. Les tests épicutanés étaient aussi très positifs pour deux autres PCI, l’iohexol (Omnipaque®) et l’ioversol (Optiject®), qui n’avaient jamais été utilisés chez ce patient. Par contre, ces tests étaient négatifs avec l’amidotrizoate (Radioselectan®), différent des précédents par sa structure, notamment par les chaines latérales. Ce même travail montre que les tests épicutanés à la povidone iodée (Bétadine® au 1/10ème), au Lugol, à la teinture d’iode et au triiodométhane (Iodoform) sont négatifs chez ce patient. La publication de Gall et coll [10] rapporte l’observation d’un patient ayant eu une toxidermie les deux fois où il avait reçu de l’iopamidol (Iomapiron®). Là encore les tests épicutanés étaient positifs pour ce PCI mais aussi pour l’ioméprol (Iomeron®) et l’iopromid (Ultravist®) mais négatifs pour deux autres PCI dont l’un a pu être réadministré sans effet secondaire. Les tests étaient aussi négatifs avec l’iodure de potassium. Ainsi, ces observations confortent le rôle potentiellement immunologique des PCI et disculpent clairement la responsabilité de l’iode. 4. ALIMENTS IODES En dehors des médicaments, l’iode se retrouve dans de nombreux aliments (poissons, fruits de mer, etc) mais plus encore dans certains additifs alimentaires provenant d’algues marines comme les alginates ou les carraghénates [5, 9]. Les chocs anaphylactique aux aliments sont dus à des IgE spécifiques d’une ou de plusieurs protéines, et plus spécifiquement d’épitopes linéaires ou conformationnels constitués de 10 à 20 d’acides aminés de ces protéines [27]. Il faut noter que certaines protéines comme la parvalbumine de la morue est un allergène fréquent dont la présence dans d’autres espèces de poissons, explique nombre d’allergies croisées entre poissons [27]. Pour les crustacés, dont la crevette, la protéine allergisante la plus habituelle est la tropomyosine trouvée dans d’autres espèces de crustacés mais aussi dans les acariens domestiques (Dermatophagoïdes pteronyssinus, etc) expliquant la relative fréquence (environ 8 %) de tests cutanés positifs à la crevette chez des sujets souffrant d’allergie aux acariens. Ces données n’ont évidemment aucune relation avec la présence d’iode. D’ailleurs, les Japonais, grands consommateurs d’iode, n’ont pas plus fréquemment d’accident aux PCI [12]. Inversement aucune donnée de la littérature ne montre de complications de type allergique liées à l’iode alimentaire chez des sujets ayant eu un choc anaphylactoïde à un PCI, alors même qu’ils consomment des crèmes glacées très riches en alginate ou en carraghénate. 5. MEDICAMENTS IODES Les halogénides (bromides, iodides) sont exceptionnels : cette pathologie cutanée chronique comporte des placards marrons ou violacés, végétants et pustuleux survenant lors de traitements par des médicaments comme l’amiodarone par exemple. Un mécanisme allergique n’est pas en cause. La physiopathologie en demeure très obscure [1, 8, 20]. Presque aussi rares sont les observations d’allergie immédiate impliquant des antiseptiques comme la polyvidone iodée (Bétadine®) [22, 28] : dans ces cas, la polyvidone non iodée elle-même, paraît directement en cause avec positivité des tests cutanés à cette substance [11, 19], mais négativité avec le Lugol, l’iodure de potassium ou l’iopamidol. 264 MAPAR 2001 D’ailleurs, on a rapporté 2 observations de choc anaphylactique à la polyvidone non iodée, celle-ci servant d’excipient dans un corticoïde injecté par voie intra-articulaire [2, 11]. Là encore, seul le test cutané à la polyvidone était positif. Les observations d’eczéma de contact à la Bétadine® sont rares et imputables probablement à la polyvidone elle-même. CONCLUSION Les arguments disculpant l’iode lors des accidents des PCI sont nombreux et tous convergents. Il paraît urgent de mettre un terme à cette erreur qui conduit injustement à interdire certains aliments dits «riches en iode» (mais par les alginates et les carraghénates !) aux patients qui ont présenté un quelconque effet secondaire après une opacification radiologique. Inversement, les patients allergiques à un aliment «riche en iode», comme les poissons et crustacés, doivent être considérés comme les allergiques à d’autres aliments. L’utilisation d’antiseptiques iodés ne leur est pas interdite. En revanche, leur atopie doit les faire classer dans les sujets à risque lors de l’emploi d’un PCI. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Alpay K, Kurkcuoglu N. Iododerma: an unusual side effect of iodide ingestion. Pediatr Dermatol 1996;1:51-53 [2] Azofra Garcia J, Carbajo Serrano MP. Hipersensibilidad frente a un excipiente: polivinilpirrolidona. Rev Esp Alergol Immunol Clin 1996;11:243-245 [3] Barbaud AM, Béné MC, Schmutz JL, Ehlinger A, Weber M, Faure GC. 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