L`économie solidaire au féminin, quel apport spécifique pour l

L’économie solidaire au féminin, quel apport spécifique pour
l’empoderamiento des femmes et la lutte contre la vulnérabilité!?
Sophie Charlier
Institut d’études du développement,
Université catholique de Louvain-la-Neuve
Sessions genre et développement
de l'école doctorale en études du développement
de l’IUED
Sophie Charlier, Institut d’Etudes du Développement/UCL
L’économie solidaire au féminin, quel apport spécifique pour l’empoderamiento des femmes ?
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Mai 2005
Sophie Charlier, Institut d’Etudes du Développement/UCL
L’économie solidaire au féminin, quel apport spécifique pour l’empoderamiento des femmes ?
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L’économie solidaire au féminin, quel apport spécifique pour
l’empoderamiento des femmes et la lutte contre la vulnérabilité ?*
Sophie Charlier, Institut d’Etudes du Développement/UCL1
1- Présentation de la thèse
La thèse s’intéresse à l’impact de la participation des femmes à l’économie solidaire à partir d’une étude de
cas en Bolivie. Elle veut comprendre à quelles conditions la participation à un réseau d’économie solidaire
permet aux femmes d’augmenter leur « empoderamiento » (pouvoir social, économique et politique) et ainsi
de lutter contre la vulnérabilité. Nous utilisons le terme espagnol « empoderamiento » car nous n’avons pas
trouvé de traduction française qui recouvre l’approche concept telle qu’elle est utilisée en Amérique latine et
par notre recherche.
La notion d’empoderamiento est récente : elle fait référence à l’individu, au pouvoir qu’il peut avoir sur sa
propre vie mais également au collectif, au pouvoir de l’individu au sein du groupe dans une vision collective
de gestion de la société, de la politique. En Amérique Latine, les pratiques d’économie solidaire s’expliquent à
la lumière des enjeux sociaux et politiques du continent : lutte contre la pauvreté, recherche de protection
sociale, égalité des chances entre hommes et femmes… En Bolivie, l’économie solidaire s’inscrit dans le
prolongement de dynamiques sociales et est incluse dans des contextes historiques cohabitent différentes
formes d’organisations à forte connotation culturelle, économique (monétaire et non monétaire) et politique.
Les femmes participent à ces dynamiques économiques tout en ayant des intérêts qui dépassent largement les
possibilités d’augmentation de revenus.
La recherche se situe dans les Andes Boliviennes, une région qui présente différents étages écologiques allant
des hauts plateaux situés à ± 4000-4500m d’altitude à la région des Yungas qui décend vers la vallée jusqu’à ±
2500-3000m. Elle se base sur plusieurs années de travail en Bolivie. En 2004, nous avons spécifiquement
orienté notre action de terrain sur l’empoderamiento des femmes. Nous avons rencontré des associations
d’artisans-nes aussi bien en milieu rural qu’urbain. A travers cette recherche nous avons découvert un secteur
très différent du secteur paysan, notamment en ce qui concerne la possibilité d’empoderamiento des femmes.
2- Les questions et les hypothèses de la recherche
Nous sommes partis de la question suivante : A quelles conditions la participation à un réseau d’économie
solidaire permet-elle aux femmes d’augmenter leur « empowerment » (pouvoir social, économique et
politique) et ainsi de lutter contre la vulnérabilité ?
De celle-ci découle une hypothèse générale : L’empoderamiento des femmes, est un processus qui doit être
soutenu pour lutter contre la vulnérabilité et permettre de revoir les relations hommes/femmes dans une
perspective de développement. Et, une hypothèse spécifique qui fait le lien entre la participation à l’économie
solidaire et l’empoderamiento : En participant à des pratiques d’économie solidaire, les femmes augmentent
leur « empoderamiento », ce qui les rend moins vulnérables. Tout en considérant également l’hypothèse
inverse qui serait qu’en participant à des pratiques d’économie solidaire, les femmes sont moins vulnérables,
ce qui leur permet d’augmenter leur empoderamiento.
Pour confirmer notre hypothèse nous allons chercher à répondre aux questions suivantes :
* Les idées présentées dans ce document ne reflètent pas forcément celles du Pôle genre et développement de l’IUED.
1 Sophie Charlier est Ingénieur Agronome, elle réalise actuellement une thèse dont l’état d’avancement a été présenté lors
de la session « genre et développement » de l’école doctorale en études du développement de l’IUED, le 3 mai 2005. Le
promoteur de la thèse est le Pr. Isabel Yépez del Castillo de l’Institut d’Etudes du Développement à l’Université
Catholique de Louvain-la-Neuve (UCL).
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! Quels sont les motivations et intérêts qui poussent les femmes à participer à une association
d’économie solidaire ?
! En quoi la participation à des pratiques d’économie solidaire permet-elle aux femmes d’augmenter
leur empoderamiento ?
! A partir de quel moment les femmes et/ou les associations vont-elles s’intéresser à la participation au
développement local de leur communauté ?
3- Les femmes de la région andine en Bolivie
La société andine est très complexe, historiquement très riche, mais difficile d’accès que ce soit à la
barrière des langues (aymara et quetchua) ou à l’interprétation de l’évolution des pratiques et des règles
culturelles. Certains anthropologues continuent à chercher à comprendre le monde andin et notamment les
relations de genre à partir des cadres théoriques mais surtout à travers la parole des hommes et des femmes et
l’analyse des dictons2.
En Bolivie, le pourcentage de la population indienne est élevé (70%), c’est un pays avec une très grande
diversité géographique, culturelle et linguistique. Ce qui rend le pays socialement très hétérogène.
Hétérogénéité que l’on retrouve dans les différentes situations vécues par les femmes. Le niveau de pauvreté3
est élevé surtout en milieu rural, ce qui a provoqué des phénomènes de migration (le recensement de 1992 en
Bolivie a montré une très grande migration de la campagne vers les villes). Il existe de grandes différences
entre les situations des femmes rurales et urbaines.
Vu les liens permanents entre son rôle de reproduction social et la quotidienneté, la femme, surtout en milieu
rural, est vue comme la responsable de la préservation de la culture andine. Et ce, soit à travers la préservation
de certaines valeurs ou encore certaines pratiques : la langue, la manière de se vêtir, la préservation des
semences ou encore par rapport au maintien de la culture à travers l’artisanat, etc. Situation qui selon certains
auteurs, la maintient dans une situation de pauvreté. Mais qui d’un autre point de vue, ces dernières années, a
permis une certaine revalorisation du rôle de la femme dans le développement communautaire en mettant en
évidence l’importance de la reproduction culturelle ancestrale (M. Esther Pozo et Z. Vega, 2001 :17). Il reste
cependant des inégalités importantes autour de l’accès aux ressources naturelles et aux revenus (en milieu
rural la journée de travail de la femme est comptabilisée pour moitié de celle de l’homme (Charlier, Yépez,
Andia (2000) ; M. Esther Pozo et Z. Vega, (2001)). Leurs conditions de travail sont lourdes et les journées
parfois très longues.
Chercher à comprendre l’évolution de l’autonomie et de la participation des femmes andines demande de
placer notre cadre d’analyse dans la réalité culturelle locale et de prendre en considération les principes à la
base de la cosmovision andine tels que : « l’échange », « la réciprocité » et « la complémentarité ».
4- Méthodologie de la recherche
Nous proposons d’appréhender l’impact de l’économie solidaire sur l’empoderamiento des femmes à partir de
la perspective des acteurs, plus spécifiquement à partir des femmes qui participent aux organisations
paysannes (de type mixte : hommes et femmes) et à des associations d’artisanes majorité de femmes) qui
commercialisent notamment à travers le commerce équitable4.
2 Pour en savoir plus sur le thème nous conseillons de lire Isbell, Canessa, Spedding, in Denise Y. Arnold (compiladora)
(1977). Ainsi que Silverblatt, I. (1990), Malengreau J. (1995).
3 Selon le rapport de la CEPAL (2004 : 52.), en 2002 on parle d’un niveau de pauvreté de 56%, soit 45% en milieu urbain
et 73% en milieu rural. Le pourcentage de pauvreté correspond au pourcentage des foyers pour lesquels les revenus sont
inférieurs au double du coût du panier de la ménagère pour l’alimentation. Sont inclus les foyers d’indigents.
4 Notre travail de terrain se base sur une première recherche réalisée en 1999, principalement avec des associations
paysannes, recherche qui a fait l’objet d’une publication (Charlier S. & co. (2000). Nous avons ensuite fait une seconde
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Nous partons de notre travail de terrain, dans les Andes boliviennes, basé principalement sur des entretiens
individuels de femmes, mais également sur une réflexion collective réalisée à travers des ateliers (mixtes et/ou
de femmes) qui portaient sur l’impact de l’économie solidaire par rapport au processus d’empoderamiento des
femmes et la lutte contre la vulnérabilité.
Nous privilégions une méthodologie qualitative plus que quantitative, basée sur le point de vue de femmes
ayant différents postes de responsabilité ou non au sein des associations. Privilégier le point de vue des
femmes nous permet de comprendre les stratégies mises en place par celles-ci pour changer les rapports de
pouvoir, mais permet également de mettre en évidence certaines dimensions de la vie sociale auxquelles leur
position les rend plus sensibles, mais dont la portée concerne toute la société, hommes et femmes confondus.
Les entretiens sont traités selon une approche méthodologique de l’empoderamiento basée sur la
décomposition du pouvoir. A partir d’un travail en ateliers nous avons identifié plusieurs dimensions et
indicateurs nous permettant de mesurer le processus d’acquisition d’autonomie des femmes qui participent à
une organisation économique et sociale soit, essayer de mieux cerner les changements d’ordre individuel et
collectif. (La méthodologie d’analyse des entretiens est expliquée au point 6).
5- Notre approche théorique du concept d’empoderamiento5
Actuellement, la question du pouvoir est de plus en plus à l’ordre du jour que ce soit le pouvoir au niveau des
institutions ou le pouvoir individuel sur les choix de vie. Le concept d’empoderamiento semble être une
évidence et pourtant il est l’objet de multiples interprétations (parfois contradictoires) et critiquées.
A la base du terme empoderamiento se trouve la notion de « poder » : « pouvoir », ce qui exprime bien
l’importance de reconsidérer les rapports hommes/femmes en terme de pouvoir, de domination. La notion de
« pouvoir » fait référence à la « prise de pouvoir » ou au « non-pouvoir ». Pour aborder la notion de
« pouvoir » nous nous sommes notamment basés sur l’approche de M. Foucault qui parle de pouvoirs
multiples à tous les niveaux : « comparables à une constellation d’étoiles ». Approche à mettre en perspective
avec l’approche patriarcale et la domination masculine.
Plusieurs auteurs s’accordent pour dire que l’empoderamiento tel que défendu par les mouvements de femmes
du Sud prend ses racines dans les années 60, notamment dans le travail communautaire développé par Paolo
Freire. En faisant référence spécialement à son œuvre La pédagogie des opprimés (1970)6, il fait appel à une
discussion centrale sur comment transformer les consciences. Fondement indispensable dans la
compréhension du comment, les opprimés de l’époque, aujourd’hui appelés exclus, se libèrent des structures
qui limitent leur participation sociale, intellectuelle et politique en développant ce qu’il va appeler la
« conscience critique ». Les études féministes ont directement fait le lien entre le processus d’acquisition
d’une conscience critique et l’empoderamiento des femmes. De son côté, Freire fera peu de relation entre sa
théorie et celle du genre.
Si les rapports d’empoderamiento se situent au niveau des relations hommes-femmes, les conflits entre acteurs
(classes sociales, intergénérationnels, ethniques etc.) entrent également en ligne de compte. Plusieurs auteurs
vont alors définir la notion « d’empoderamiento et pouvoir » comme la capacité des individus ou d’une
communauté à prévoir, contrôler et participer au développement de son propre environnement, le processus
par lequel des individus et/ou des communautés acquièrent la capacité, les conditions de prendre un tel
recherche en 2004 en Bolivie nous avons travaillé principalement avec des associations d’artisans-nes. Nous sommes
cependant retournés dans deux associations agricoles (producteurs de cacao et de café).
5 Une description plus détaillée de l’approche théorique et méthodologique pour mesurer l’empoderamiento des femmes
qui participent à l’économie solidaire en Bolivie est en cours de publication (In, IUED/DVLP).
6 L’œuvre de Paolo Freire, « Pedagogy of the Oppressed », écrite en 1970 est basée sur d’autres essais importants tels
que « Education as the practice of Freedom (1969) et « Extension of Communication » (1969), publié en anglais comme
« Education for Critical Consciousness »(1973).
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