Modules de torsion de type fini sur un anneau principal 1. L’annulateur d’un module Soient A un anneau et M un A-module. L’annulateur d’un sous-ensemble S de M , noté Ann(S), est l’idéal de A formé par les éléments a ∈ A tels que am = 0 pour tout m ∈ S. Si N désigne le sous-A-module engendré par S, on a l’identité Ann(N ) = Ann(S). De plus, si T est un second sous-ensemble de M , on a la relation Ann(S ∪T ) = Ann(S)∩Ann(T ). Cette dernière identité se traduit par la relation Ann(N1 + N2 ) = Ann(N1 ) ∩ Ann(N2 ), où N1 et N2 sont deux sous-A-modules de A. Un élément m ∈ M est de torsion si son annulateur est non nul. Le A-module M est lui-même de torsion si tous ses éléments le sont. Nous dirons que M est sans torsion s’il ne possède pas d’éléments de torsion non nuls, ce qui revient à affirmer que, quels que soient a ∈ A et m ∈ M , l’identité am = 0 entraîne a = 0 ou m = 0. Pour tout A-module M , notons M tors le sous-ensemble de ses éléments de torsion. Lemme 1. — Si A est intègre, l’ensemble M tors est un sous-module de M et le quotient M/M tors est sans torsion. Démonstration. — Étant donnés a ∈ A et m ∈ M tors , l’inclusion Ann(m) ⊂ Ann(am) implique que am appartient à M tors . Afin de montrer que M tors est un sous-module de M , il reste donc à montrer que pour m, n ∈ M tors , on a m−n ∈ M tors . Soient a ∈ Ann(m) et b ∈ Ann(n) non nuls. L’anneau A étant intègre, l’élément ab ∈ Ann(m − n) est non nul, ce qui montre que m − n est de torsion. Finalement, en notant π la projection canonique M → M/M tors , supposons que x = π(m) est un élément de torsion. Il existe donc un élément non nul a ∈ A tel que ax = 0, ce qui revient à affirmer que n = am est de torsion, soit bn = 0 avec b ∈ A non nul. Dans ce cas, en posant c = ab 6= 0, on obtient cm = bn = 0 et m est également de torsion, d’où x = 0, ce qui conclut la démonstration. Remarque. — Si M est de torsion, l’idéal Ann(M ) n’est pas nécessairement non nul. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre A = Z et M = Q/Z. 2 Exercice. — Montrer que le sous-module engendré par un élément m d’un A-module M est isomorphe au quotient A/ Ann(m). Lemme 2. — Soient N1 et N2 deux sous-modules d’un A-module M . Si les idéaux Ann(N1 ) et Ann(N2 ) sont étrangers alors N1 ∩ N2 = 0. Démonstration. — Soient a ∈ Ann(N1 ) et b ∈ Ann(N2 ) tels que a + b = 1. Pour tout n ∈ N1 ∩ N2 , on a alors les identités n = n − an = (1 − a)n = bn = 0. Lemme 3. — Soient n et m éléments d’un A-module M . Si les idéaux Ann(n) et Ann(m) sont étrangers alors on a l’identité Ann(n + m) = Ann(n) ∩ Ann(m). Démonstration. — L’inclusion Ann(n) ∩ Ann(m) ⊂ Ann(n + m) est immédiate. Réciproquement, en notant N1 et N2 les sous-modules de M engendrés respectivement par n et m, si a ∈ A annule n + m, on obtient les relations N1 3 an = −am ∈ N2 . Le lemme précédent amène alors aux identités an = am = 0 et donc Ann(n + m) est contenu dans Ann(n) ∩ Ann(m). Lemme 4. — Étant donnés deux éléments non nuls a et b d’un anneau principal A, il existe un diviseur a0 de a et un diviseur b0 de b tels que a0 et b0 soient premiers entre eux et leur produit soit un ppcm de a et b. Démonstration. — Il existe des éléments irréductible p1 , . . . , pn ∈ A deux à deux non Q Q associés et une unité c ∈ A× tels que a = i pei i et b = c i pfi i . En posant e si e ≥ f , f si e < f , i i i i i i e0i = et fi0 = 0 sinon 0 sinon, les éléments a0 = Q e0 i pi i et b0 = Q f0 i pi i vérifient les propriétés voulues. Proposition 5. — Étant donnés deux éléments de torsion non nuls x et y d’un module M sur un anneau principal A, il existe un élément z ∈ M tel que Ann(z) coïncide avec Ann(x) ∩ Ann(y). Démonstration. — Posons Ann(x) = aA et Ann(y) = bA. Si a0 et b0 vérifient les conditions du lemme précédent, on a la relation Ann(x) ∩ Ann(y) = a0 b0 A. En posant a = ua0 , b = vb0 , x0 = ux et y 0 = vy, on a les identités Ann(x0 ) = a0 A et Ann(y 0 ) = b0 A. Les éléments a0 et b0 étant premiers entre eux, le lemme 3 permet de conclure. Un A-module M est de type fini s’il est engendré par un nombre fini d’éléments. Exercice. — Supposons A intègre. Montrer que si M est un A-module de torsion de type fini alors Ann(M ) est non nul. 3 Corollaire 6. — Soit M un module de torsion sur un anneau principal A. Si M est de type fini alors il existe un élément m ∈ M tel que Ann(m) = Ann(M ). Démonstration. — Si m1 , . . . , mr sont des générateurs de M , l’idéal Ann(M ) coïncide T avec i Ann(mi ). Il suffit alors d’itérer la proposition 5. 2. Classification des modules de torsion de type fini sur un anneau principal Lemme 7. — Soit N un sous-module d’un A-module M . S’il existe un homomorphisme f : M → N tel que f |N = idN alors M est isomorphe à la somme directe N ⊕ M/N . Démonstration. — Notons π : M → M/N la projection canonique et considérons l’homomorphisme ϕ : M → N × M/N défini par ϕ(m) = (f (m), π(m)). Un élément m ∈ M appartient au noyau de ϕ si et seulement si f (m) = 0 et π(m) = 0. Cette dernière identité impique que m appartient à N , ce qui donne alors les relations m = f (m) = 0. On en déduit que ϕ est injectif. De plus, étant donnés n ∈ N et x = π(m) ∈ M/N , en posant m0 = m − f (m) + n ∈ M , on obtient les identités ϕ(m0 ) = (f (m0 ), π(m0 )) = (f (m) − f (f (m)) + f (n), π(m) − π(f (m)) + π(n)) = = (f (m) − f (m) + n, π(m)) = (n, x), ce qui implique que ϕ est également surjectif. Lemme 8. — Soit M un A-module de torsion de type fini sur un anneau principal A. Tout homomorphisme d’un sous-module de M dans A/ Ann(M ) se prolonge en un homomorphisme de M . Démonstration. — Supposons qu’il existe un homomorphisme f : N → A/ Ann(M ), où N est un sous-module propre de M . Il suffit de montrer que, étant donné un élément m ∈ M n’appartenant pas à N , l’homomorphisme f se prolonge au sous-module N 0 = N + Am. En posant Ann(M ) = aA, il existe b ∈ A divisant a, soit a = ub, tel que le sous-module Am ∩ N soit engendré par n = bm. Soit c ∈ A un représentant de f (n). Les identités uf (n) = f (un) = f (ubm) = f (am) = f (0) = 0 impliquent alors que c est divisible par b. En posant f (m) = x, où x est l’image de c/b dans A/ Ann(M ), on vérifie facilement que l’on définit un prolongement de f à N . Théorème 9. — Soit M un module de torsion de type fini sur un anneau principal A. Si n désigne le nombre minimal de générateurs de M , il existe des éléments d1 , . . . , dn ∈ A tels que di+1 divise di et que M soit soit isomorphe à la somme directe A/d1 A ⊕ · · · ⊕ A/dn A. 4 Démonstration. — Supposons M non nul et posons Ann(M ) = d1 A. D’après le corollaire 6, il existe un élément m ∈ M tel que Ann(m) = Ann(M ). L’homomorphisme π : A → mA défini par π(a) = am induit alors un isomorphisme ρ : A/d1 A → mA. D’après le lemme 8, sa réciproque se prolonge en un homomorphisme g : M → A/d1 A et l’homomorphisme composé f = ρ ◦ g vérifie les hypothèses du lemme 7. En posant M1 = M/Am, on a donc un isomorphisme entre M et A/d1 A ⊕ M1 . On remarquera que l’idéal Ann(M1 ) contient Ann(M ). En itérant ce procédé, on obtient des éléments d1 , . . . , di vérifiant les conditions de l’énoncé, un A-module Mi et un isomorphisme entre M et A/d1 A ⊕ · · · ⊕ A/di A ⊕ Mi . Si l’on avait Mi = 0 pour i < n, le A-module M serait engendré par i éléments, ce qui est exclu. Finalement, si Mn était non nul, son annulateur serait contenu dans un idéal maximal m de corps résiduel K = A/m et ce même procédé amènerait à un homomorphisme surjectif M → A/d1 A ⊕ · · · ⊕ A/dn+1 A, avec d1 , . . . , dn+1 ∈ m. Les homomorphismes canoniques A/di A → K étant surjectifs, on obtiendrait un homomorphisme surjectif de A-modules M → K n+1 . En particulier, le K-espace vectoriel K n+1 serait engendré par n éléments, ce qui est exclu. On a donc Mn = 0, d’où le résultat.