ACTUALITÉ
enquête
16
AVRIL 2012
707
a mauvaise surprise est arrivée par
La Poste, le 14 août 2011, au domi-
cile des parents de Sarah, une jeune
fille atteinte dune cardiopathie. Lobjet de la
lettre « refus total » donnait le ton, tout en
préservant le suspense. Refus de quoi ? « Mon-
sieur, j’ai le regret de vous informer que la Caisse
primaire dassurance maladie ne peut vous rem-
bourser les frais de transport du 10 juin 2011
au 12 juillet 2011, en voiture particulière pour
le ficiaire ci-dessus désig. » Jusqualors,
pourtant, ses parents avaient toujours obtenu
sans difficulté lindemnisation des 30 km
quils parcourent, avec leur voiture, trois fois
par semaine pour conduire leur lle au centre
daction médico-sociale précoce (Camps).
Comme tous les autres patients atteints
dune affection longue durée (ALD), Sarah
bénéficiait dune prise en charge par lAssu-
rance maladie de ses frais de transport ls
à ses traitements ou à ses examens. Cest ce
que prévoit larticle R322-10 du Code de la
curité sociale. En fonction des besoins, le
médecin peut prescrire une ambulance ; un
transport assis professionnalisé, véhicule sani-
taire léger ou taxi ; ou un moyen de transport
collectif (train, etc.) ou individuel (voiture
personnelle), comme dans le cas de Sarah,
rembour(e) sur la base dun barème kilo-
métrique (entre 0,18 et 0,43 /km).
Mais le décret n° 2011-258 du 10 mars 2011
a chanla donne, en réservant, à partir du
1er avril 2011, dans le cadre dune ALD, cette
prise en charge aux patients « présentant l’une
des déficiences ou incapacités définies par le réfé-
rentiel de prescription mentionné à l’article
R. 322-10-1 ». Ce référentiel liste les cas dans
lesquels tel ou tel type de transport peut être
prescrit (voir encadré). En clair, ce décret vise,
comme il est rappelé dans sa partie introduc-
tive, à « réserver la prise en charge des frais de
transport des assurés en ALD aux patients dont
lincapacité ou la déficience ne leur permet pas
de se déplacer par leurs propres moyens ».
VOITURE PERSONNELLE INTERDITE
Depuis lors, certaines caisses primaires dassu-
rance maladie (CPAM) refusent de prendre en
charge les frais de transport lorsque le patient
utilise sa voiture individuelle ou les transports
en commun. « Pourtant le décret n’a ajou
quune condition supplémentaire de déficience
ou dincapacité, note Julie Charpin, conseil-
lère technique au service juridique de lAPF.
En aucun cas, il n’est exique les transports
se fassent exclusivement par ambulance, véhi-
cule sanitaire léger (VSL) ou taxi. » En fait, ces
CPAM semblent considérer que si un assu
social utilise son véhicule ou prend le bus, c’est
que, de fait, son incapacité ou sa déficience ne
sont pas suffisamment importantes pour lem-
pêcher de se déplacer par ses propres moyens.
Et quelles n’ont donc pas à prendre en charge
ses frais de transport.
Dans dautres cas, plus rares semble-t-il, des
caisses refusent de prendre en considération
la prescription du médecin pour un transport
en VSL, au motif que le patient ne présente
pas une incapacité ou une ficience ne lui
L
Depuis un an, la prise en charge des frais de transport dans
le cadre d’une affection longue durée est réservée aux
patients atteints de certaines déficiences ou incapacités.
Cette nouvelle mesure, appliquée avec zèle par certaines
caisses d’assurance maladie, contrevient au principe de
solidarité et pourrait s’avérer contre-productive.
Affection longue durée ?
Transports limités !
17
AVRIL 2012 707
permettant pas de se déplacer par ses propres
moyens.
PAS D’ÉCONOMIES POUR LA SÉCU
Les motivations du gouvernement, pour
publier ce décret, étaient financières. Il expli-
quait ainsi dans le dossier de presse de la loi de
financement de la Sécurité sociale pour 2011
quil s’agissait « avec cette mesure, de mettre fin
aux nombreuses dépenses injustifiées constatées
par les caisses dassurance maladie en matière de
consommation de transports sanitaires » pour les
ALD. Et estimait que le décret permettrait de
faire économiser 20 millions deuros à lAssu-
rance maladie.
Sans doute des abus existent-ils, admet le Col-
lectif interassociatif sur la santé (Ciss), mais
« ils proviennent du non-respect du référentiel
de prescription pouvant donner lieu à linadap-
tation du mode de transport aux besoins réels des
personnes malades. Un contrôle plus rigoureux
des prescriptions médicales se justifie pleine-
ment », selon le Ciss, mais pas une mesure qui
consiste tout simplement à ne plus rembourser
les frais de transport à toute une population
de patients… au risque de limiter son acs
aux soins.
Ce que constate Alain Maigne, le président
de lassociation corrézienne des diabétiques.
« Lun des diabétologues du département m’a
dit que certains patients ne venaient le voir que
tous les quatre à six mois depuis que leur trans-
port en VSL nétait plus remboursé par la Sécu,
explique-t-il. Ce sont souvent des personnes âgées,
qui nont pas de voiture. Elles espacent leurs visites
à lhôpital de Tulle ou de Brive-la-Gaillarde,
consultent les spécialistes. » « Il est pourtant
essentiel que les diabétiques néficient d’un suivi
régulier, complète Christine Veinière, de lAs-
sociation française des diabétiques. Une bonne
prise en charge permet déviter les complications
qui coûtent cher à la Sécurité sociale : 10 % des
patients diabétiques sont à l’origine de 50 % des
dépenses de la curité sociale pour le diabète.
En rognant sur les frais de transport, lAssurance
maladie fait donc un mauvais calcul : elle éco-
nomise quelques dizaines d’euros de taxi
...
Quel moyen de transport ?
Le référentiel de prescription des transports, établi par l’arrêté du 23 décembre
2006, liste les cas dans lesquels les différents types de transport peuvent être
prescrits.
Un transport par ambulance peut être prescrit lorsque l’assuré présente
au moins une déficience ou des incapacités nécessitant :
- un transport en position obligatoirement allongée ou demi-assise ;
- un transport avec surveillance par une personne qualifiée ou nécessitant
l’administration d’oxygène ;
- un transport avec brancardage ou portage ;
- ou un transport devant être réalisé dans des conditions d’asepsie.
Un transport assis professionnalisé peut être prescrit lorsque l’assuré :
- présente une déficience ou une incapacité physique invalidante nécessitant
une aide au déplacement technique ou humaine mais ne nécessitant ni
brancardage ni portage ;
- présente une déficience ou une incapacité intellectuelle ou psychique
nécessitant l’aide d’une tierce personne pour la transmission des informations
nécessaires à l’équipe soignante en l’absence d’un accompagnant ;
- présente une déficience nécessitant le respect rigoureux des règles d’hygiène
ou la prévention du risque infectieux par la désinfection rigoureuse du véhicule ;
- ou est soumis à un traitement ou ayant une affection pouvant occasionner des
risques d’effets secondaires pendant le transport.
Lorsqu’un transport par ambulance ou un transport assis professionnalisé
«
ne peuvent être prescrits
», «
seul peut être prescrit
» un moyen de transport
individuel ou collectif.
ACTUALITÉ
enquête
18
AVRIL 2012
707
mais pourrait ensuite avoir à
dépenser plusieurs milliers d’euros
pour soigner des patients qui nau-
raient pas été suivis correctement. »
Un autre biais existe, comme
lavait souligné, en vrier 2011,
lUnion nationale des orga-
nismes d’assurance santé
complémentaire (Unocam), qui
avait été saisie par le gouverne-
ment pour avis sur son projet de
décret : « Son impact en termes
déconomies demeure peu clair, étant donné le
risque de report vers des transports plus onéreux
mais pris en charge à 100 %, au détriment de
lusage du véhicule personnel et des transports en
commun, aujourdhui remboursés. » (1)
Le cas de Françoise lillustre jusquà la cari-
cature. Avant le 1er avril 2011, cette femme
vèrement handicapée se rendait chez son
kiné quatre fois par semaine avec son propre
véhicule, conduit par une de ses auxiliaires
de vie. Mais lAssurance maladie refusant
sormais de lui rembourser les 18 km par-
courus aller-retour, son médecin lui a prescrit
un transport en taxi, auquel elle a droit étant
donné son incapacité… « Au final, cela nar-
range personne : c’est moins pratique pour moi ;
et cela coûte plus cher à la Sécu. C’est une aber-
ration ! », déplore-t-elle.
LE CONSEIL D’ÉTAT SAISI
LAssociation des accidens de la vie (Fnath),
le Ciss et un patient atteint dune ALD ont
posé, en mai 2011, devant le Conseil d’État,
un recours en annulation du décret du 10 mars
2011. Pour eux, ce texte porte en effet atteinte
au 11e alinéa du préambule de la Constitution,
selon lequel la Nation garantit à tous « la pro-
tection de la santé ». Il « constitue un obstacle
supplémentaire dans laccès aux soins ». Surtout
qu’il sajoute à dautres mesures réglementaires
qui augmentent également le reste à charge :
la diminution du taux de remboursement des
médicaments, laugmentation du forfait jour-
nalier, etc.
Le patient insufsant rénal qui sest associé au
recours y détaille sa situation nancière. En
y incluant les 647,88 de frais de transport
pour se rendre douze fois par an en consulta-
tion transplantation au CHU, qui lui étaient
jusqualors remboursés par la Sécurité sociale,
les dépenses de santé restant à sa charge y
compris le prix de la complémentaire santé,
représentent désormais 9,3 % des revenus
annuels du ménage. Dans un précédent
arrêt, le Conseil d’État avait admis le prin-
cipe que les sommes laises à la charge des
assurés ne devaient pas dépasser une certaine
part de leurs revenus, sous peine de « con-
naître les exigences du 11e alinéa du préambule
de la Constitution ». « En lui présentant un cas
concret, nous voulons amener le Conseil d’État à
préciser le seuil de reste à charge admissible [tant
de % des revenus dun ménage], ce quil na
pas fait jusqualors », explique lavocat Karim
Felissi, conseiller national de la Fnath.
Les sages devraient rendre leur arrêt dans le
courant de lannée. En attendant, les assurés
qui reçoivent une décision de refus peuvent
la contester en saisissant la commission de
recours amiable de leur caisse primaire, dans
les deux mois suivant la réception du cour-
rier. Cest ce quon fait les parents de Sarah…
et ils ont obtenu gain de cause. Bien sûr,
chaque cas est difrent, mais cela vaut la peine
dessayer !
Texte Franck Seuret
Illustrations Antoine Chereau
...
(1) Avis relatif à un projet de
décret modifiant les conditions
de prise en charge des frais
de transport pour les patients
reconnus atteints d’une ALD.
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !