Les indications neurologiques de la toxine botulique en 2009

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Les indications neurologiques de la toxine botulique en 2009
Auteur(s) : Marion Simonetta-Moreau
Pôle Neurosciences, CHU Purpan, Toulouse
Depuis plus de 25 ans la toxine botulique (TB) continue d'exercer une fascination particulière
non seulement sur les médecins et les chercheurs, mais aussi sur les médias et les patients en
raison de sa « dualité » représentée par son terrible potentiel néfaste en tant qu'arme chimique
bactériologique et son extraordinaire potentiel thérapeutique dans un nombre d'affections qui
ne cesse de se développer. Peu de préparations pharmaceutiques partagent une histoire aussi
remarquable que celle de la TB, sans parler de l'extraordinaire engouement de son utilisation
dans le monde entier, ou du moins dans les pays riches, en cosmétologie dans les techniques
de rajeunissement. Dans cette mise au point, nous nous limiterons aux indications actuelles ou
en devenir, susceptibles d'intéresser les neurologues.
Rappel du mécanisme d'action
Sur les sept sérotypes distincts produits par les différentes souches de la bactérie anaérobie
Clostridium botulinum, deux sont utilisées en thérapeutique, la toxine de type A et B.
Le produit qui est injecté est en fait une association de neurotoxine et d'un complexe protéinehémagglutinine sauf pour la dernière préparation mise sur le marché (Xeomin®) qui est une
neurotoxine A purifiée sans protéines complexantes.
Les toxines botuliques agissent au niveau périphérique en bloquant au niveau présynaptique la
libération d'acétylcholine au niveau de la plaque motrice à la jonction neuro-musculaire
entraînant une paralysie et une atrophie des fibres musculaires striées transitoire à l'origine de
leur utilisation pour traiter les contractions musculaires excessives quelle qu'en soit leur
origine. La fraction active de la toxine, la neurotoxine bloque la machinerie d'exocytose
vésiculaire des neurotransmetteurs [1]. Les toxines botuliques agissent aussi au niveau des
synapses cholinergiques du système nerveux autonome à l'origine de leur utilisation plus
récente pour traiter les troubles de la sudation et de la salivation. Malgré de nombreux travaux
de recherche sur un éventuel effet de la TB dans les mécanismes impliqués dans la douleur,
les résultats cliniques dans ce domaine sont décevants, à l'exception d'une étude récente
suggérant un intérêt potentiel dans le traitement de certaines douleurs neuropathiques [2].
Aspects pratiques
En France, quatre spécialités de toxine botulique sont commercialisées (tableau 1). Les doses
de toxines de chacun des produits commercialisés ne sont pas interchangeables, justifiant une
grande prudence lors des changements de produit.
Ces quatre produits sont une spécialité pharmaceutique en liste I réservée à l'usage hospitalier
et doivent être administrés par des médecins expérimentés. La définition du médecin
expérimenté reste très floue sur le plan juridique ou administratif ! Disons que tout l'art du
médecin injecteur consiste à mettre en confiance son patient en lui expliquant avec un
maximum de détails ce qu'il va lui faire et les risques d'effets indésirables, trouver les bons
muscles à injecter, utiliser la bonne technique pour le faire (dilutions différentes en fonction
des indications, utilisation ou non d'une aide pour le repérage des sites à injecter) et à injecter
la plus petite dose efficace dans chaque cible dans le but d'obtenir un résultat satisfaisant sur
une durée la plus longue possible et sans effets secondaires.
Il existe en France des centres référents injecteurs dans la plupart des grands CHU, de
nombreux CHR (voir liste association AMADYS-LFCD) et quelques centres privés où des
neurologues, des ophtalmologistes, des ORL, des médecins rééducateurs et des urologues ont
été formés aux bonnes pratiques d'utilisation de la toxine botulique en thérapeutique humaine.
Les effets secondaires sont bien connus et le plus souvent liés à la diffusion locale de la TB
(ptosis, diplopie, dysphagie), plus rarement à des effets systémiques (syndrome pseudogrippal).
Une immuno-résistance à la TB A peut apparaître dans moins de 1 à 2 % des cas [3], mais
l'utilisation de la TB B ne règle pas toujours le problème car les patients deviennent souvent
également rapidement résistants à la toxine B. De plus, celle-ci entraîne des effets indésirables
plus fréquents et gênants (sécheresse de la bouche, effets systémiques). La dernière
neurotoxine A purifiée mise sur le marché (Xeomin®) en 2008 en France serait moins
immunogène mais cela reste à confirmer.
Tableau 1 Différentes spécialités de toxine botulique commercialisées en France
Spécialité
Laboratoire Séroty Forme
pe
galénique
Dysport®
Beaufour
Ipsen
Pharma
A
Nombre Mode de
AMM
d'unités conservation
par
flacon
Lyophilisat 500 U
Réfrigérateur
Blépharospasme
Dysport
Spasme
hémifacial
Torticolis
spasmodique
Pied équin
spastique de
l'enfant IMC
Spasticité du
membre
supérieur
et du membre
inférieur de
l'adulte
Spécialité
Laboratoire Séroty Forme
pe
galénique
Botox®
Allergan
A
Nombre Mode de
AMM
d'unités conservation
par
flacon
Lyophilisat 100 U
Réfrigérateur
Strabisme et
autres troubles
Botox
Troubles de
l'oculomotricité
50 U
Botox
Blépharospasme
Spasme
hémifacial
Torticolis
spasmodique
Hyperhidrose
axillaire
Pied
équispastique de
l'enfant IMC
Spasticité du
membre supérieur et
du membre inférieur
Neurobloc® Eisai Ltd
B
Solution
liquide
2500 U/ Réfrigérateur
0,5mL
Dystonie cervicale
5000 U/ 1
mL
10 000 U/
2 mL
Xeomin®
Merz
A
Lyophylisat 100 U
xeomin
Température
ambiante
Torticolis
spasmodique
Blépharospasme
Pour quel type de symptômes
neurologiques, le neurologue doit-il adresser
son patient à un médecin spécialiste faisant
partie d'un centre référent injecteur ?
Le spasme hémifacial
Plus de 25 ans après les premières études démontrant la remarquable efficacité des injections
dans cette pathologie, la TB reste, en 2009, le traitement de choix de cette affection.
La tolérance et l'efficacité semblent bien meilleures à long terme que les traitements
médicamenteux classiques (clonazepam). Les effets secondaires sont le plus souvent dosesdépendants à type de parésie faciale inférieure, flou visuel, diplopie. Cependant, si le spasme
est très fréquent et très sévère et que le résultat des injections est jugé insuffisant, on peut
proposer un traitement chirurgical curatif microdécompressif du conflit artère-nerf.
Les syncinésies de fermeture de la paupière, les contractures de la région zygomatique,
apparaissant dans les spasmes hémifaciaux post-paralytiques, peuvent aussi être soulagés par
de petites doses de toxine, mais l'efficacité est souvent de courte durée.
Les dystonies focales
Bien que l'AMM n'existe que pour la dystonie cervicale et le blépharospasme, la TB peut être
indiquée dans d'autres dystonies focales telles que la crampe des écrivains, la dystonie
laryngée, la dystonie oromandibulaire (DOM) ou la dystonie du pied.
Dans le blépharospasme, elle continue de transformer de façon radicale le pronostic
fonctionnel de cette affection. La plupart des patients parviennent à un confort de vie
acceptable avec seulement 2 à 4 injections par an et de façon stable. Les effets secondaires le
plus souvent observés sont le ptosis et la diplopie transitoires. On sait cependant, avec le
recul, que certaines formes atypiques de blépharospasme (apraxie d'ouverture des paupières
fréquente dans les syndromes parkinsoniens, dystonie prétarsale) peuvent moins bien
répondre aux injections que les formes classiques, justifiant parfois un traitement chirurgical
(suspension palpébrale et ou myectomie partielle) si le handicap est sévère.
Dans la dystonie cervicale, les injections de TB doivent être proposées en première intention
car leur efficacité à court et long termes a été largement démontrée. Les effets secondaires le
plus souvent observés sont la dysphagie et l'hypotonie cervicale. Les injections de TB
permettent dans la majorité des cas de diminuer l'amplitude et la sévérité des spasmes, une
diminution ou une disparition des douleurs occasionnées par la dystonie et une amélioration
significative de la qualité de vie qui reste stable dans le temps à condition de renouveler les
injections à un rythme qui doit être adapté pour chaque patient en fonction de l'évolution de
ses symptômes. En moyenne, il faut une injection tous les 3 mois et demi ou 4 mois au début
du traitement, puis tous les 4 à 6 mois lorsque le résultat est stable. L'utilisation de l'EMG de
détection pour les injections reste toujours discutée. L'EMG permet d'affiner la précision du
geste et de n'injecter que la plus petite dose efficace dans chaque muscle. Elle est souvent
utile dans les formes complexes ou lorsque le pattern des muscles dystoniques change sans
traduction clinique évidente.
On sait aussi maintenant avec le recul que certaines formes complexes de dystonie cervicale
répondent moins bien aux injections en raison du nombre important de muscles mis en jeu ou
de leur situation profonde difficilement accessible même avec des techniques d'EMG. Dans
ces formes complexes entraînant un handicap sévère répondant pas ou peu à la toxine,
évoluant souvent vers des dystonies segmentaires, on peut maintenant proposer une
alternative chirurgicale grâce à la stimulation cérébrale profonde (SCP) dont les résultats sont
très encourageants ou la dénervation périphérique hypersélective, dont la place reste à définir
par rapport à la SCP.
Dans la crampe de l'écrivain ou les autres dystonies de fonction, leur efficacité est très
variable et dépend du type de muscles impliqués. Les meilleurs résultats à long terme sont
obtenus en couplant les injections avec une rééducation spécialisée mais le nombre de
kinésithérapeutes spécialisés dans ce domaine reste malheureusement très insuffisant.
Pour les dystonies laryngées, pathologies rares dont le diagnostic reste difficile, le patient doit
être adressé à une consultation spécialisée multidisciplinaire de neuro-ORL, et si le diagnostic
est confirmé, les résultats des injections de TB sont souvent spectaculaires même si, au cours
du temps, on peut observer des fluctuations d'efficacité.
Dans les dystonies oromandibulaires, les injections sont plus efficaces dans les formes « en
fermeture » que dans les formes « en ouverture » ou les dystonies linguales où les résultats à
moyen ou long terme sont décevants. Les effets secondaires sont fréquents et souvent mal
tolérés (troubles de la déglutition parfois sévères).
Dans les dystonies du pied non dopa-sensibles, l'efficacité des injections de TB dépend de la
complexité de la dystonie, c'est-à-dire du nombre de muscles impliqués. Il est donc nécessaire
de réaliser un examen polymyographique pour bien poser l'indication. Elles peuvent être aussi
utiles parfois pour soulager les dystonies matinales du off chez le parkinsonien.
Dans les autres dystonies segmentaires, hémidystonies ou généralisées, l'indication de TB
peut se poser ponctuellement à chaque fois que la dystonie entraîne une contraction
musculaire focalisée douloureuse, mais le plus souvent les indications sont limitées.
Les tremblements
Les injections de TB sont aussi très efficaces dans les tremblements du chef qu'ils soient
dystoniques ou purs. Leur efficacité est beaucoup plus discutable dans les tremblements du
membre supérieur en raison des effets parétiques gênants sur le plan fonctionnel au niveau des
muscles de la main et de la durée d'efficacité souvent trop courte pour envisager une
utilisation à moyen ou long terme.
La spasticité focale de l'adulte et de l'enfant
Le développement de l'utilisation de la TB dans ce domaine a été considérable dans les 15
dernières années. Grâce aux nouvelles AMM dans la spasticité focale du membre supérieur et
inférieur de l'adulte et du pied équin spastique de l'enfant IMC, des consultations
multidisciplinaires de prise en charge de la spasticité se sont créées en France associant
neurologues, rééducateurs et chirurgiens. Les indications doivent se discuter au cas par cas en
fonction des objectifs que les thérapeutes se fixent en concertation avec le patient.
Les objectifs de l'injection sont très variables d'un patient à l'autre allant de l'amélioration des
capacités motrices et de l'autonomie perturbées par la spasticité, à une diminution des
douleurs liées aux contractures spastiques et une diminution de la gêne entraînée par la
spasticité lors du nursing. De très nombreuses études ont démontré l'efficacité de la toxine
pour diminuer le tonus musculaire et améliorer la mobilisation passive du membre supérieur
ou inférieur spastique mais l'impact réel de la toxine sur la fonction ou le handicap et la
qualité de vie reste encore mal évalué et nécessite de nouvelles études [4]. Les injections
doivent être réalisées après un repérage musculaire par stimulo-détection et sous anesthésie au
protoxyde d'azote chez l'enfant et répétées en moyenne tous les 6 mois. Ce traitement doit être
impérativement associé à une prise en charge en kinésithérapie.
Les troubles de la sudation et les hypersalivations
La TB est remarquablement efficace dans les hyperhidroses axillaires et le syndrome de Frey
[5] avec une durée du bénéfice souvent supérieure à 6-8 mois et une excellente tolérance.
Les résultats sont plus mitigés dans les hypersalivations rencontrées dans la maladie de
Parkinson, la SLA et chez l'IMC, en raison de leur origine multifactorielle. L'injection de TB
dans les glandes salivaires doit se faire après un repérage par échographie le plus souvent, et
doit être utilisée avec précaution en raison du risque de dysphagie et d'aggravation de la
faiblesse musculaire surtout dans la SLA.
Les troubles vésico-sphinctériens neurologiques
La TB a révolutionné la prise en charge des patients porteurs d'une vessie neurologique
capables de se sonder même s'il n'y a pas encore d'AMM dans ce domaine. Cette injection est
réalisée par un urologue par voie endoscopique dans le détrusor avec une efficacité rapportée
de l'ordre de 80 % et une bonne tolérance [5, 6]. La durée d'efficacité est en moyenne de
6 mois. Les indications de la TB dans les dyssynergies vésico-sphinctériennes comme
alternative aux autosondages sont encore discutées même si une bonne efficacité est rapportée
dans la plupart des études (entre 58 et 88 % des cas [6]). L'injection est réalisée par voie
endoscopique ou transpérinéale par un urologue ou un rééducateur.
La douleur
Le rapport récent de l'American Academy of Neurology (ANN) fondé sur 11 études
contrôlées réalisées dans les céphalées conclut que la TB est probablement inefficace dans les
migraines épisodiques, les céphalées chroniques de tension et qu'il n'y a pas suffisamment
d'études pour conclure dans les céphalées chroniques quotidiennes [5].
Conclusion
Les injections de TB ont révolutionné le pronostic fonctionnel de nombreuses pathologies
neurologiques. Elles doivent être réalisées par des médecins expérimentés, maîtrisant
parfaitement les différentes techniques d'injection, l'utilisation des bonnes doses et l'utilisation
d'échelles d'évaluation de sévérité et de handicap, le plus souvent dans le cadre de
consultations multidisciplinaires. Parallèlement à la diversification de ses indications et
l'augmentation croissante du nombre de praticiens injecteurs, la recherche fondamentale ne
cesse de se développer dans ce domaine aboutissant à une meilleure compréhension du
mécanisme d'action de la TB et faisant espérer de nouveaux développements.
Références
1 Poulain B, Popoff R, Molgo J. How does the Botulinum neurotoxins block the
neurotransmitter release: from botulism to the molecular mechanism of action. The Botulinum
J 2008 ; 1 : 14-87.
2 Ranoux D, Attal N, Morain F, Bouhassira D. Botulinum Toxin type A induces direct
analgesic effects in chronic neuropathic pain. Ann Neurol 2008 ; 64 : 274-84.
3 Brin MF, Comella CL, Jankovic J, Lai F, Naumann M. Long-term treatment with botulinum
toxin type A in cervical dystonia has low immunogenicity by mouse protection assay. Mov
Disord 2008 ; 23 : 1353-60.
4 Simpson DM, Gracies JM, Graham HK, et al. Assessment: Botulinum neurotoxin for the
treatment of spasticity (an evidence-based review): report of the Therapeutics and Technology
Assessment Subcommittee of the American Academy of Neurology. Neurology 2008 ; 70 :
1691-8.
5 Naumann M, So Y, Argoff CE, et al. Assessment: Botulinum neurotoxin in the treatment of
autonomic disorders and pain (an evidence-based review): report of the Therapeutics and
Technology Assessment Subcommittee of the American Academy of Neurology. Neurology
2008 ; 70 : 1707-14.
6 Jost WH, Naumann M. Botulinum toxin in neuro-urological disorders. Mov Disord 2004 ;
19 (Suppl. 8) : S142-S145.
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