Table ronde n°1 – Publier sa thèse : Pourquoi ? Comment ? Pour qui ?
Cette table ronde, animée par David Michels, a permis d’échanger autour des
interventions d'Anne Paillet et de Muriel Darmon (sociologues, co-directrices de la
collection « Corps, santé et société » aux éditions La Dispute, Paris), de Benoît Eyraud
(sociologue, retravaillant sa thèse en vue de sa publication) et de Pierre Aïach (sociologue,
co-directeur avec Didier Fassin de la collection « Sociologiques », aux éditions
Anthropos/Economica, Paris).
Anne Paillet et Muriel Darmon nous présentent les éditions La Dispute ainsi
que la collection « Corps, santé et société ».
1) Les éditions La Dispute publient des ouvrages en sciences sociales issus notamment de
travaux de recherche réalisés dans le monde académique. Un souci de l'éditeur est de diffuser
les travaux universitaires en aidant les auteurs à réécrire les manuscrits en direction d'un
public plus large que celui des pairs. Créée en 2007, « Corps, santé et société » est « une
collection consacrée à la façon dont les corps, la santé et la maladie sont socialement produits
et gérés ». La collection s'ouvre à des thématiques plus larges que la santé, la maladie et la
médecine. Sur un plan disciplinaire, cette collection rassemble des ouvrages de sciences
sociales telles que la sociologie, l'anthropologie, l'histoire et les sciences politiques.
L'important étant que les manuscrits rendent compte de recherches fondées sur des données
empiriques solides issues d'enquêtes de terrain, de statistiques, d'archives, etc.
2) Muriel Darmon et Anne Paillet nous présentent spécifiquement le processus de sélection
des projets issus de thèses tout en rappelant que la collection a également vocation à
accueillir des ouvrages issus de travaux de chercheurs confirmés ou encore des traductions
d’ouvrages étrangers. Pour soumettre un manuscrit, l'auteur doit envoyer aux directrices de la
collection, Anne Paillet et Muriel Darmon, un mail contenant un synopsis d'une longueur de
10 pages maximum ainsi que la thèse en .pdf (ou papier) voir l’encadré ci-dessous. Le
synopsis et la thèse sont ensuite lus par les responsables de la collection et si avis favorable,
défendus devant le comiscientifique et éditorial de La Dispute, lequel réunit les directeurs
des éditions, les directeurs des collections et plusieurs correspondants scientifiques. La prise
de décision peut prendre quelques mois. Parmi les critères de sélection figurent la qualité
scientifique et l’intérêt en sciences sociales, ainsi que l’intérêt disciplinaire, au-delà de la
spécialisation « santé ». La spécialisation n'étant pas un critère suffisant, indépendamment de
la qualité du travail, pour faire un livre qui dépassera le public des pairs. Cela implique lors de
l'écriture du synopsis de penser sa thèse non seulement à partir de l'intérêt de l'objet traité
mais également en envisageant l'intérêt disciplinaire plus large donc de faire le lien entre la
spécialisation et la généralisation de l'objet afin d'en souligner l'intérêt scientifique. Si le
projet est retenu, un travail de réécriture s'engage avec l’aide des directrices de la collection
et l’éditeur. Le défi premier pour l'auteur est de parvenir à changer de lecteur cible et de
« contrat de lecture » avec le public. A la différence d’une thèse où il faut convaincre le jury,
il faut ici convaincre un lectorat éclairé par-delà le monde des sciences sociales et des pairs
disciplinaires. Cela revient souvent à abandonner une grande part de la rhétorique
défensive souvent inhérente aux thèses. Il faut compter en moyenne une année universitaire
pour remanier une thèse en manuscrit publiable. Ce laps de temps dépendant du travail de
réécriture réalisé par l'auteur mais également des allers-retours avec les directrices de
collection et l'éditeur. A noter : ce dernier a besoin d'un temps d'environ 6 mois entre la
remise de la version définitive et la mise en vente ce qui correspond au temps de préparation
de la sortie du livre avec les libraires, les distributeurs, etc. et au temps de fabrication.
3) Anne Paillet et Muriel Darmon nous proposent, pendant la discussion, quelques petites
astuces de réécriture pour engager ce travail de conversion. Par exemple, imaginer un
« lecteur fantôme » tel un étudiant en L3/M1 ayant déjà un bagage sociologique ; écrire dans
l’ordre de l’ouvrage (introduction et 2 premiers chapitres) ; soumettre ce début de livre à deux
lecteurs, un profane et un sociologue. Si l'on reste bloqué sur la conversion du début de livre,
on peut essayer de commencer par écrire la 4
ème
de couverture, écrit commercial et valorisant
qui oblige à être clair et incisif. Elles conseillent, de plus, d’écrire d’emblée le manuscrit au
format de l’éditeur afin de visualiser « l’objet livre ». Il faut par ailleurs décider très vite du
ton adopté, choisir très vite si l’on va utiliser la première personne du singulier ou la première
personne du pluriel, etc.
Benoît Eyraud nous propose quant à lui un témoignage à partir de la situation
transitoire dans laquelle il se trouve. Dans le travail de remaniement de sa thèse, il se trouve
confronté à une difficulté morale. Réécrire sa thèse, c’est en effet porter sa propre évaluation
sur le travail réalisé, chose plus ou moins difficile selon le contexte et les soutiens
institutionnels dont on dispose, les rencontres et la temporalité qui varie entre moments de
découragement et moments d'enthousiasme.
1) Trouver un éditeur se révèle, de plus, particulièrement compliqué dans la mesure les
temps d'attente sont très longs, les réponses parfois inexistantes, les éditeurs hautains (alors
qu’ils n’ont parfois pas lu le manuscrit) et les demandes de modification pas toujours en
accord avec le travail réalisé. Benoît Eyraud souligne, de plus, qu'il n'est pas toujours aisé de
mettre les éditeurs en concurrence. Cette question interpellant le public, Anne Paillet et
Muriel Darmon précisent que cette pratique est encouragée dans leur collection et parfois
même suggérée dans la mesure la petite taille de la collection et l'encombrement qui en
résulte sont l'une des principales causes de refus d'un manuscrit. Elles conseillent simplement
aux auteurs d'être transparents sur cette question, cela n'ayant pas d'impact sur la décision de
publication ou de non publication d'un ouvrage (et apprécient d’être prévenues en temps réel
si un accord est passé avec une autre collection). Benoît Eyraud poursuit sa communication en
notant l'importance d'avoir un réseau de personnes ressource pouvant transmettre le
synopsis aux éditeurs.
2) Il revient ensuite sur la difficulté du travail de découpage/réécriture de la thèse et
soulève ainsi une interrogation qui sera reprise lors de la discussion à savoir le cadre dans
lequel peut se faire ce remaniement : peut-on l’inclure dans son travail si l’on est en post-
doc ou maître de conférences ? Cela doit-il être négocié au moment de l’embauche ? Cela
doit-il être pris sur le temps de loisirs et de congé ? Est-il inscrit dans le contrat de travail que
le chercheur doit travailler les samedis et dimanches ? En effet, les contrats de travail
n'incluent que rarement la valorisation de la thèse dans le temps de travail imparti. Il en
revient donc au responsable du projet post-doc de dégager ou non du temps pour le post-
doctorant. Janine Pierret (sociologue) intervient alors en précisant que les post-doctorats
servaient auparavant à valoriser les travaux menés lors de la thèse mais désormais ils sont de
plus en plus octroyés autour d’un projet de recherche précis. Cette question doit donc, selon
elle, se négocier avec le responsable du projet.
3) Benoît Eyraud évoque également les aides matérielles à la publication et leur impact sur
la (dé)valorisation de la publication et de la qualité scientifique de l'ouvrage, telles que les
aides directes, la recherche de financements et les aides indirectes comme le fait de payer
quelqu’un pour réécrire des parties du livre. Question reprise lors de la discussion avec le
public, Anne Paillet et Muriel Darmon précisent qu'il est assez courant dans les presses
universitaires qu'il soit demandé un apport financier pour la publication mais qu’à La Dispute
le fait d'arriver avec une aide matérielle n'est pas du tout une condition de sélection. Elles
ajoutent que, lorsqu’aide matérielle il y a, cela peut aider à obtenir un prix de vente un peu
plus bas et à disposer d'un service de presse un peu plus large.
4) Enfin, Benoît Eyraud aborde la difficulté de reprendre un manuscrit dans une
temporalité en mouvement. En effet, la réflexion sur sa recherche se poursuit pendant la
réécriture du manuscrit, les idées évoluent mais pas assez vite pour qu’on l’on puisse réécrire
facilement. Faut-il donc publier ce que l’on pensait au moment de la thèse mais qu’on ne
pense plus vraiment ou publier la façon dont on perçoit sa recherche au moment présent,
publier quelques chapitres centraux ou l'ensemble de sa thèse en la recoupant ?
Ayant reçu le prix de l'association Amades pour sa thèse, on demande à Benoît Eyraud si
cela lui a permis de rendre plus visible son travail et si il compte investir cet argent dans la
publication. Il répond alors que ce prix est symboliquement utile pour aider le directeur
d'édition à faire confiance au directeur de collection (qui soutient le projet d'ouvrage) pour la
publication et qu'il envisage d'investir cette somme pour financer quelqu'un qui l'aiderait à
réécrire sa thèse.
Pierre Aïach, décrit la collection « Sociologiques » comme « confidentielle ».
La sélection s'étant vélée très stricte, il n'y a eu, en 17 ans, que 14 publications de
manuscrits. Collection « ouverte aux travaux qui contribuent à une meilleure connaissance des
sociétés contemporaines sans privilégier un domaine spécifique ou un courant particulier. Elle
s'attache à rendre compte de la complexité du monde social, des enjeux qui le traversent, des
rapports de pouvoir qui le structurent. S'inscrivant dans une perspective sociologique, elle
veut cependant favoriser des points de passage avec l'anthropologie et l'histoire et retrouver
ainsi l'ambition d'une science du social. » Il précise que la liste des publications a été
alimentée en partie par le séminaire annuel de l’association ERASME, « Etudes et recherches
en anthropologie et sociologie dans le champ médical ». Pour montrer leur diversité, Pierre
Aïach parcourt la liste des titres publiés, parmi lesquels Les métiers de la santé, Les
commissaires priseurs, L’ère de la médicalisation, Le comédien désemparé, Le langage social
des émotions (livre collectif issu de journées d'études organisées par le Réseau des Jeunes
Chercheurs Santé et Société) et le dernier titre, en 2010, Les inégalités sociales de santé par
lui-même.
Diverses interrogations ont été soulevées par le public. La plupart ont été incluses à ce
compte-rendu pour en faciliter la lecture. Néanmoins, la publication d'ouvrages collectifs a
donné lieu à une discussion. Les éditeurs préfèrent, en effet, les publications en nom propre
afin d'éviter l'écriture éclatée des ouvrages.
Proposer un manuscrit
pour la collection « Corps Santé Société » aux éditions La Dispute
A) Envoi d’un mail à Anne Paillet (anne.p[email protected]) et Muriel Darmon (muriel.darmon@univ-
lyon2.fr)
B) Y joindre un synopsis
Le synopsis est destiné à être lu non seulement par les directrices de collection, qui liront la thèse en
parallèle, mais aussi par des membres du comité éditorial qui eux ne la liront pas. Donc, il faut veiller
à être clair-e, à ne pas procéder par allusions.
De quoi se compose le synopsis ?
C’est un document d’une petite dizaine de pages environ où figurent :
1/ vos coordonnées électroniques et téléphoniques ainsi que (les éditeurs en ont besoin)
l’adresse postale de votre domicile
2/ un titre provisoire pour le livre
3/ l'argument du livre (de quoi le livre va-t-il parler, ce qu’il va en dire, l’intérêt de
l’approche…)
4/un projet de table des matières (ce qui suppose d’être au clair sur le plan envisagé, même s’il
pourra subir des modifications ultérieurement, et ce qui suppose aussi de formuler les titres de
chapitres et de sections percutants dans l’esprit d’un livre)
5/ la spécificité de l'approche, de l'objet ou du positionnement du livre par rapport à d'autres
ouvrages parus sur une thématique proche (les citer)
6/ les publics visés
7/ s'il s'agit d'un projet tiré d'une thèse, les changements envisagés par rapport au mémoire de
thèse : en termes de nombre de signes (rappeler le nombre de signes de la thèse, et avoir en tête que le
livre devra faire aux alentours de 400 000 signes maximum), de type d’écriture le cas échéant, ou
autres types de changements
8/ la date à laquelle le manuscrit du livre pourrait être prêt
9/ une rapide présentation de l’auteur(e).
Et tout autre renseignement ou développement que vous pourriez juger utile.
C) S’il s’agit d’un projet de manuscrit issu d’une thèse, la joindre sous format électronique (on vous
demandera ensuite parfois d’envoyer la version papier).
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