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La Roumanie connaît une évolution parallèle, bien que la proximité de la Russie
lui laisse vis-à-vis de l'Autriche une plus grande liberté, qui se manifeste par une crise, à l'été
de 1883, autour d'une allusion officielle à la Transylvanie majoritairement roumanophone.7
Toutefois, outre le renforcement du bloc germanique par l'adhésion de l'Italie en 1882 et par
le divorce encore discret entre la Bulgarie et la Russie l'année suivante, elle subit l'influence
allemande en raison de l'appartenance du roi Carol Ier à la maison de Hohenzollern-
Sigmaringen. Lors de l'entrevue de Gastein du 26 août 1883 entre Bismarck et Ion Bratianu,
le président du Conseil roumain, le chancelier montre à la Roumanie le chemin de Vienne,
qu'elle ne tarde pas à emprunter, le 18 octobre de la même année : Carol y signe un traité
secret d'alliance défensive, auquel l'Allemagne adhère immédiatement.8
En somme, Serbie et Roumanie se trouvèrent réunies dans un glacis autrichien
davantage tourné contre la Bulgarie que contre la Russie. Cette similitude de situation
entraîna une coopération diplomatique, notamment lors du règlement de la guerre serbo-
bulgare de novembre 1885 -consécutive à l'unification de la Bulgarie et de la Roumélie, en
septembre de la même année, qui avait effrayé la Serbie en raison d'une possible politique
d'expansion bulgare dans les Balkans-; Bucarest, hostile au conflit initié par la Serbie -car il
aurait pu fournir prétexte à la Russie pour envahir la Bulgarie à travers le territoire de la
Roumanie, à moins qu'il n'ait permis à la Russie de tourner la Roumanie contre L'Autriche-
Hongrie, avec, pour prix, la Transylvanie-, accueillit en effet les négociations et la signature
de la paix en février 1886.9
Toutefois, entre les situations roumaine et serbe il subsistait une différence
considérable : sur le plan intérieur, les deux monarchies ne jouissaient pas du même prestige,
et partant, de la même stabilité. En Serbie, Milan Obrenovic jouait la carte autrichienne
également pour des raisons pécuniaires, afin de mener une vie dissolue et sans tenir compte
de la sensibilité de ses sujets; ces derniers étaient davantage portés, sur le plan idéologique,
vers l'amitié de la Russie, puissance slave et surtout sans contact direct -donc sans risque de
conflit- avec le territoire de la Serbie, comme c'était le cas pour la Roumanie. La conséquence
de ce manque de popularité de la politique austrophile fut une suite de troubles et d'échecs
pour le souverain -tels la révolte paysanne de la vallée du Timok en 1883, la défaite face à la
Bulgarie en décembre 1885, le divorce avec sa femme russophile en 1888 et la victoire aux
élections des radicaux de Nikola Pasic, également russophiles- qui contraignirent Milan à
abdiquer en février 1889.10 A l'inverse, en Roumanie, même si une politique pro-austro-
hongroise tenait peu compte des tendances des nationalistes roumains à s'intéresser au sort
des roumanophones de Transylvanie, la moralité toute patriarcale du roi Carol et ses efforts en
faveur de la modernisation du pays sous tous les aspects, lui valurent une réelle popularité. Le
chaos intérieur de la Serbie et son rééquilibrage au profit de la Russie incitèrent l'Autriche-
Hongrie à déplacer l'assise de son influence dans les Balkans vers un axe Bucarest-Sofia; pour
cela, la diplomatie autrichienne s'évertuait à persuader le roi Carol de rendre publique
l'alliance de 1883, afin de lui donner une assise populaire.11
Néanmoins, la période suivante est marquée par un début de renversement des
tendances diplomatiques en raison de l'impact de l'alliance franco-russe dans la zone et de
l'éveil des revendications nationales des minorités d'Autriche-Hongrie.
7BRIDGE, op. cit., p.138.
8GIURESCU, op. cit., p.243.
9BRIDGE, op. cit., p.159-160.
10Georges CASTELLAN : Histoire des Balkans, XIVe-XXe siècles, Fayard, 1991, chapitre consacré à la Serbie.
11BRIDGE, op. cit., p.184-185.