10 questions sur l`anémie en dialyse…

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Document info anémie – 13 01 2015
10 questions sur l’anémie en dialyse…
Ce document a été préparé par le Pr Philippe Brunet et le Dr Lucile Mercadal au nom de la Société Francophone de
Dialyse et de la Société de Néphrologie. Il a été réalisé à partir de questions élaborées par les associations FNAIR et
RENALOO. Il est basé sur les recommandations internationales publiées en 2012 (1) et sur les recommandations
européennes publiées en 2013 (2)
1.Pourquoi est-on anémié lorsqu’on a une insuffisance rénale chronique (IRC) ?
Il existe deux grandes anomalies qui peuvent entrainer une anémie au cours de l’IRC : une carence en fer et un
déficit en érythropoïétine (EPO)
. La carence en fer est due à de petits saignements du tube digestif (gastrites, etc) et aux pertes de sang qui
surviennent dans le circuit de dialyse. La carence est due aussi à un blocage du fer à l’intérieur de certaines cellules
du foie et de l’intestin.
. Le déficit en EPO. L’EPO est l’hormone qui stimule la fabrication des globules rouges dans la moelle osseuse. Dans
l’IRC, il existe une diminution de la production d’EPO par les reins et il existe aussi une résistance à l’action de l’EPO
due à certaines toxines urémiques.
2.Quels sont les symptômes et les risques de l’anémie ?
L’anémie modérée et d’installation progressive n’entraîne quasiment aucun symptôme et l’organisme est capable de
s’adapter. L’anémie sévère entraîne principalement une fatigue (asthénie), un essoufflement à l’effort (dyspnée
d’effort), une accélération du pouls (tachycardie). Plus rarement, il est possible d’observer une frilosité, une
diminution de l’appétit (anorexie), une baisse de la pression artérielle lorsqu’on passe de la position couchée à la
position debout (hypotension orthostatique). Elle peut aussi entraîner une augmentation des douleurs d’angine de
poitrine chez les personnes atteintes de rétrécissement des artères coronaires.
3. Comment se traite l’anémie lorsqu’on est en dialyse ?
Le traitement de la carence en fer est fondamental. L’organisme ne peut pas fabriquer de globules rouges en
l’absence de fer. Le traitement par EPO est inefficace chez les personnes qui manquent de fer. Le fer peut être donné
par voie orale, mais il est mal absorbé par l’intestin chez les patients avec insuffisance rénale. Il est possible
d’administrer le fer par voie intra-veineuse, sur le circuit sanguin pour les personnes qui sont en hémodialyse ou sur
une veine de l’avant-bras pour les personnes qui ne sont pas encore dialysées ou qui sont en dialyse péritonéale. Il
faut savoir que des réactions allergiques exceptionnelles, mais dans certains cas très sévères ont été observées.
Ainsi, depuis janvier 2014, les autorités sanitaires européennes exigent que les perfusions de fer soient faites dans
des locaux où sont disponibles du matériel de réanimation et du personnel formé, afin de pouvoir traiter en urgence
un choc allergique.
Le traitement par EPO a révolutionné la prise en charge de l’anémie de l’insuffisance rénale. Il permet de compenser
le déficit en EPO et de maintenir un taux d’hémoglobine satisfaisant.
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Les transfusions sanguines sont en général réservées au traitement d’urgence, lors d’un saignement aigu et de
grande abondance. Elles sont plus rarement indiquées dans les anémies chroniques. Les transfusions ne doivent être
effectuées que si le taux d’hémoglobine est inférieur ou égal à 7 g/dl dans le cas général ou inférieur ou égal à 8 g/dl
chez les patients à risque particulier : post-chirurgie, maladie cardio-vasculaire (1).
Enfin, il faut rappeler que la bonne qualité de dialyse est capable d’atténuer l’anémie et d’améliorer la réponse à
l’EPO. Certaines études ont montré que la dialyse de qualité permet de maintenir des taux d’hémoglobine autour de
9 g/dl sans EPO. Il faut aussi limiter le plus possible les pertes sanguines dans le circuit d’hémodialyse et les prises de
sang.
4.Inconvénients et risques des transfusions sanguines
Les patients recevant une transfusion risquent de développer plusieurs types d’anticorps, tout d’abord des anticorps
dirigés contre les globules rouges. Ces anticorps ou agglutinines irrégulières risquent d’entrainer la destruction des
globules rouges transfusés lors des transfusions ultérieures, rendant progressivement les transfusions moins
efficaces. Ensuite les transfusions risquent d’apporter quelques globules blancs (leucocytes) mélangés aux globules
rouges. Ces globules blancs vont provoquer l’apparition d’anticorps dirigés contre les cellules étrangères.
L’apparition de ces anticorps rend donc plus difficile la transplantation ultérieure. Le risque d’apparition d’anticorps
dirigés contre les globules rouges ou les globules blancs existe dès la première transfusion, et s’accroit avec les
transfusions multiples.
Les transfusions sanguines peuvent être exceptionnellement responsables de la transmission d’agents infectieux,
principalement des virus. Les tests de recherche des virus de l’hépatite B, de l’hépatite C et du VIH sont actuellement
très performants, et le risque d’infections post-transfusionnelle pour ces virus est très faible, inférieur à 1 pour 1
million de transfusions, mais le risque de transmission de virus existe toujours avec d’éventuels virus inconnus.
Enfin, lorsqu’un patient est dépendant des transfusions, même s’il n’y a pas de perspective de transplantation, il faut
le transfuser le moins souvent possible car chaque transfusion va diminuer la fabrication des globules rouges en
inhibant l’activité de la moelle osseuse. De plus, les transfusions multiples entraînent une surcharge en fer.
5. Quelles sont les différences (de qualité, fréquence d’administration, ou autre…) entre les EPO
disponibles ? Sur quels critères mon néphrologue doit-il choisir l’EPO qu’il me prescrit ?
L’EPO est la protéine qui stimule la formation des globules rouges à partir des cellules souches de la moelle osseuse.
Dans les années 1980 on a pu cloner le gène de l’EPO humaine et produire artificiellement l’EPO.
Dans les années 2000, on a pu fabriquer d’autres protéines voisines de l’EPO mais différentes de l’EPO humaine,
capables de stimuler les cellules souches précurseurs des globules rouges. Ainsi on appelle maintenant l’EPO et les
protéines voisines « agents stimulant l’érythropoïèse » ou ASE. Les caractéristiques des ASE sont présentées sur les
tableaux 1 et 2.
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Tableau 1 : caractéristiques principales des ASE disponibles en France en 2014
Nom commercial
Molécule
Type de produit
Fabricant
Date sortie
Eprex
Epoétine alfa
Original
Janssen
1988
Binocrit
Epoétine alfa
Biosimilaire
Sandoz
2007
Retacrit
Epoétine alfa
Biosimilaire
Hospira
2007
Néorecormon
Epoétine béta
Original
Roche
1997
Eporatio
Epoétine thêta
Original
Ratiopharm
2009
Aranesp
Darbepoetin alfa
Original
Amgen
2001
Mircera
Epoétine
béta- Original
Methoxypolyethylene glycol
Roche
2007
Tableau 2 : Caractéristiques pratiques des ASE disponibles en France en 2014 (d’après VIDAL 2014)
Nom
commercial
Durée
Fréquence des injections IV Délai conservation Forme
stylo
d’action
après sortie du auto-injectable
en hémodialyse
(demi-vie)
réfrigérateur
Eprex
courte
3 fois par semaine
3 jours
NON
Binocrit
courte
3 fois par semaine
3 jours
NON
Retacrit
courte
3 fois par semaine
3 jours
NON
Néorecormon
courte
3 fois par semaine
3 jours
NON
Eporatio
courte
2 à 3 fois par semaine
3 jours
NON
Aranesp
Longue
1 par sem à 1 par 15 jours
7 jours
OUI
Mircera
Longue
1 par 15 jours ou 1 par mois
1 mois
NON
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Sur quel critère mon néphrologue choisit-il l’ASE qu’il me prescrit ?
Pour les patients qui sont en hémodialyse, l’ASE peut être injecté dans le circuit sanguin d’hémodialyse ce qui évite
les piqûres. Le choix du type d’ASE dépend principalement de l’organisation des centres. Certains centres privilégient
une injection hebdomadaire ou une fois par mois. Ils vont donc faire le choix d’un ASE à action longue. D’autres
centres sont organisés pour des injections 2 ou 3 fois par semaine. Certaines équipes privilégient les ASE à action
longue pour les patients très stables et les ASE à action courte pour les patients instables, mais il n’y a pas de preuve
de l’intérêt de cette pratique.
Pour les patients en voyage qui transportent leur ASE, il faut veiller à un transport dans un sac isotherme entre 2 et 8
degrés. Si le produit est sorti de son container, il faut privilégier les ASE à conservation longue. Les ASE à action
longue permettent également d’espacer les injections et de partir entre 2 injections ou d’emporter moins de
seringues.
Pour les patients qui font leurs injections eux-mêmes, la forme stylo auto-injectable est intéressante mais elle n’est
disponible qu’avec la Darbepoetin alfa (Aranesp®).
6. Y a t-il des risques ou des inconvénients à recevoir des EPO plus anciennes ?
Non, les ASE les plus anciens ne présentent pas plus de risque et répondent aux mêmes critères de qualité.
7. Qu’est ce qu’un biosimilaire ?
Un biosimilaire est la copie d’un médicament biologique. Cependant la copie d’un médicament biologique à
l’identique est impossible. En effet, un médicament biologique est produit par des cellules ou un organisme vivant. Il
existe donc obligatoirement des différences entre le médicament original et le biosimilaire.
Les mêmes exigences de sécurité, de qualité et d’efficacité sont appliquées en France pour l’autorisation de mise sur
le marché d’un biosimilaire et d’un médicament original.
La réglementation européenne impose au fabricant de biosimilaire de réaliser au moins deux études cliniques pour
montrer l’équivalence du biosimilaire avec la molécule originale.
8. Y a-t-il des risques ou des inconvénients à recevoir des biosimilaires des ASE ?
Le risque principal existe avec les biosimilaires des ASE comme avec les ASE originaux. Il s’agit de l’apparition
d’anticorps qui vont bloquer l’action de l’ASE concerné mais aussi de tous les autres ASE. Ceci va entraîner
l’apparition ou la réapparition d’une anémie sévère qui rend le patient dépendant des transfusions. L’apparition de
ces anticorps peut être due à des détails minimes dans le processus de fabrication. Il s’agit d’un effet secondaire très
rare et les études réalisées avant la commercialisation d’un ASE biosimilaire ne permettent pas de savoir s’il aura
plus ou moins de risque de provoquer cet effet secondaire que l’ASE original.
Les ASE biosimilaires et les ASE originaux bénéficient du même suivi de pharmacovigilance permettant de répertorier
leurs éventuels effets indésirables.
Le risque d’apparition d’anticorps bloquants a conduit à recommander de limiter le plus possible le changement
d’ASE. Lorsqu’un patient reçoit déjà un ASE, la règlementation interdit au pharmacien de le substituer par un autre
ASE original ou par un ASE biosimilaire.
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9. Comment vérifier que mon anémie est bien prise en charge ? Recos… lire mes résultats biologiques
(hémoglobine, ferritine…)… Prendre en compte mon énergie et ma qualité de vie / Risques d’une
hémoglobine trop élevée
L’anémie est évaluée en suivant le taux d’hémoglobine. Les cibles recommandées sont les suivantes :
. Cibles générales (pour la majorité des patients dialysés et traités par ASE) : taux d’hémoglobine entre 10 et 12 g/dl.
. Cibles basses : taux d’hémoglobine autour de 10 g/dl (fourchette 9 à 11 g/dl) pour les patients à haut risque
d’obstruction vasculaire (atteinte coronaire asymptomatique, diabète, artériopathie symptomatique, accident
vasculaire cérébral, cancer, et patients mauvais répondeurs au traitement par ASE).
. Cibles hautes : certains patients peuvent avoir une amélioration de la qualité de vie si le taux d’hémoglobine est
supérieur à 11,5 g/dl et qu’ils sont prêts à en accepter les risques. En aucun cas il n’est recommandé de dépasser 13
g/dl.
Risques d’une hémoglobine trop élevée :
Quatre grandes études réalisées entre 1998 et 2009 ont comparé des cibles d’hémoglobine basses (entre 9 et 11,5
g/dl) et des cibles hautes (entre 13 et 15 g/dl). Ces études n’ont montré aucune amélioration de la survie chez les
patients avec cibles hautes et une des études a même montré de moins bons résultats chez ces patients. Les cibles
hautes sont associées à une augmentation des thromboses vasculaires, à une augmentation de la fréquence des
accidents vasculaires cérébraux, de l’hypertension artérielle et une augmentation de la fréquence des décès chez les
patients atteints de cancer.
10. Que faire si je pense que mon anémie n’est pas bien prise en charge ?
Le patient doit en parler à son néphrologue.
Actuellement, il parait nécessaire que le néphrologue discute avec son patient des taux d’hémoglobine cibles qu’il lui
propose, en fonction de ses facteurs de risque, et en fonction de sa qualité de vie.
Il est souhaitable que les taux cibles d’hémoglobine choisis figurent dans le dossier médical.
L’ajustement du taux d’hémoglobine peut nécessiter un peu de tâtonnement, car la sensibilité aux ASE peut varier
d’un patient à l’autre. Ainsi une surveillance régulière du taux d’hémoglobine est réalisée au cours du traitement par
ASE pour adapter la posologie.
REFERENCES
1. Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO) Anemia Work Group. KDIGO Clinical Practice Guideline
for Anemia in Chronic Kidney Disease. Kidney inter., Suppl. 2012; 2: 279–335)
2. Locatelli F, Bárány P, Covic A, De Francisco A, Del Vecchio L, Goldsmith D, Hörl W, London G, Vanholder R,
Van Biesen W; ERA-EDTA ERBP Advisory Board. Kidney Disease: Improving Global Outcomes guidelines on
anaemia management in chronic kidney disease: a European Renal Best Practice position statement. Nephrol
Dial Transplant. 2013;28(6):1346-59
Relecteurs : Dr Walid Arkouche, Dr Jean-Louis Bouchet, Dr José Brasseur, Dr Agnès Caillette-Beaudoin, Pr Dominique
Chauveau, Pr Christian Combe, Dr Charles Chazot, Pr Gilbert Deray, Dr Philippe Giaime, Pr Bruno Moulin, Dr
Catherine Mourey Epron, Pr François Vrtovsnik.
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