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Crisis States Research Centre
Essor et déclin de l’État congolais
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Un récit analytique de la construction de l’État
Gabi Hesselbein
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Crisis States Research Centre
Résumé :
Ce récit analytique examine les variations de la nature et de la puissance de l’État au Congo/Zaïre
depuis l’époque coloniale jusqu’aux années tumultueuses ayant suivi l’indépendance, puis durant les
hauts et les bas des années Mobutu, les deux guerres au tournant du siècle, le gouvernement
intérimaire, et la naissance de la quatrième république en 2006.
Après un examen des théories courantes sur la faillite de l’État, ce texte analyse la résilience et la
fragilité de l’État dans le contexte d’une industrialisation tardive, et les difficultés du passage d’une
société précapitaliste à une société capitaliste. Cette transformation inachevée nécessite de substituer
un État rationnel bureaucratique à une forme d’organisation sociétale néopatrimoniale. Cet État
rationnel est en permanence attaqué et remis en cause par des acteurs rivaux, qui sont en concurrence
pour la détention du pouvoir politique, militaire et économique.
Afin de saisir l’identité et la nature de ces acteurs concurrents et des coalitions politiques auxquelles
ils appartiennent, nous nous sommes appuyés sur le concept de « multiplicité institutionnelle » comme
grille explicative des variations de la puissance de ces groupes à différentes époques. Les différentes
sources d’autorité, qu’elles procèdent de la tradition, de l’État rationnel, de réseaux informels,
illégaux et violents, ou de la communauté internationale, proposent toutes des « règles du jeu »
différentes, offrant aux populations des cadres alternatifs comportementaux et de survie.
L’autorité de l’État a pu, à différentes époques, se manifester de façon concrète et visible dans un
certain nombre de secteurs. Nous devons donc, pour analyser les processus ayant présidé à la
désagrégation de l’État congolais, suivre l’évolution historique du pouvoir d’État dans plusieurs sous-
domaines : l’organisation politique, l’organisation de l’économie, le système de sécurité, la sphère
juridique et les interventions internationales.
La création, par la force, par l’État colonial belge d’un État rationnel au Congo ayant acquis une
certaine autorité sur les sociétés patrimoniales, s’était accompagnée de l’émergence d’un petit groupe
de personnes formant une élite et ayant vocation à détenir les rênes de l’État après l’indépendance.
Toutefois, ce groupe n’avait aucune expérience en organisation politique et il a explosé
immédiatement après l’indépendance. Plusieurs rivaux politiques et militaires se sont attaqués au
nouvel État indépendant jusqu’à ce que Mobutu réussisse à créer un consensus au sein de l’élite en
achetant ou en détruisant les groupes en compétition.
Ce consensus a débouché sur neuf années de construction de l’État, lequel a commencé à se déliter
puis à s’effondrer sous les coups conjoints des interventions extérieures et d’une situation économique
fortement dégradée. Le pouvoir de l’État s’est trouvé graduellement érodé, jusqu’au point de perdre
le monopole de la violence légitime. Les questions non résolues des droits à la citoyenneté et à la terre
ont alimenté des interventions extérieures qui ont fini par totalement détruire l’État congolais.
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Ce titre est un hommage à Young et Turner (1985), qui les premiers tentèrent d’expliquer la politique congolaise dans le
cadre de l’État plutôt qu’en faisant référence aux caractéristiques personnelles du dirigeant.
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Je voudrais remercier les participants du séminaire du Crisis States Research Centre, les ateliers du CSRC à la LSE, ainsi
que Jonathan DiJohn, Frederick Golooba-Mutebi, Francisco Gutierrez, Frederick Kambemba Yamusangi, Muzong Kodi et
James Putzel pour leurs commentaires et leurs indications. Les erreurs, toutefois, m’appartiennent en propre. Des
commentaires supplémentaires sont les bienvenus, merci de me les adresser à :
[email protected].