Document de travail N
o
21
E
SSOR ET DÉCLIN DE L’ÉTAT
CONGOLAIS
U
N RÉCIT ANALYTIQUE DE LA
CONSTRUCTION DE L’ÉTAT
Gabi Hesselbein
Crisis States Research Centre
Novembre 2007
Tous droits réservés © G. Hesselbein 2007
Bien que tout ait été mis en œuvre pour garantir l’exactitude et la fiabilité du contenu de ce document de travail, le Crisis
States Research Centre et la LSE ne sauraient en aucun cas être tenus pour responsables de la véracité des
déclarations des contributeurs ou de la pertinence des informations fournies.
Aucune partie de cette publication ne pourra être reproduite, stockée dans une base de données ou retransmise, sous
quelque forme ou de quelque manière que ce soit, sans la permission écrite préalable de l’éditeur ; ni ne pourra être
diffusée en public sous une autre forme, quelle qu’elle soit, différente de celle sous laquelle elle a été publiée.
Les demandes d’autorisation de reproduction de ce document de travail, ou de l’une quelconque de ses parties, devront
être adressées à :
L’éditeur, Crisis States Research Centre, DESTIN, LSE, Houghton Street, London WC2A 2AE.
Documents de travail Crisis States, série N
o
2
ISSN 1749-1797 (version imprimée)
ISSN 1749-1800 (version Internet)
1
Crisis States Research Centre
Essor et déclin de l’État congolais
1
Un récit analytique de la construction de l’État
Gabi Hesselbein
2
Crisis States Research Centre
Résumé :
Ce récit analytique examine les variations de la nature et de la puissance de l’État au Congo/Zaïre
depuis l’époque coloniale jusqu’aux années tumultueuses ayant suivi l’indépendance, puis durant les
hauts et les bas des années Mobutu, les deux guerres au tournant du siècle, le gouvernement
intérimaire, et la naissance de la quatrième république en 2006.
Après un examen des théories courantes sur la faillite de l’État, ce texte analyse la résilience et la
fragilité de l’État dans le contexte d’une industrialisation tardive, et les difficultés du passage d’une
société précapitaliste à une société capitaliste. Cette transformation inachevée nécessite de substituer
un État rationnel bureaucratique à une forme d’organisation sociétale néopatrimoniale. Cet État
rationnel est en permanence attaqué et remis en cause par des acteurs rivaux, qui sont en concurrence
pour la détention du pouvoir politique, militaire et économique.
Afin de saisir l’identité et la nature de ces acteurs concurrents et des coalitions politiques auxquelles
ils appartiennent, nous nous sommes appuyés sur le concept de « multiplicité institutionnelle » comme
grille explicative des variations de la puissance de ces groupes à différentes époques. Les différentes
sources d’autorité, qu’elles procèdent de la tradition, de l’État rationnel, de réseaux informels,
illégaux et violents, ou de la communauté internationale, proposent toutes des « règles du jeu »
différentes, offrant aux populations des cadres alternatifs comportementaux et de survie.
L’autorité de l’État a pu, à différentes époques, se manifester de façon concrète et visible dans un
certain nombre de secteurs. Nous devons donc, pour analyser les processus ayant présidé à la
désagrégation de l’État congolais, suivre l’évolution historique du pouvoir d’État dans plusieurs sous-
domaines : l’organisation politique, l’organisation de l’économie, le système de sécurité, la sphère
juridique et les interventions internationales.
La création, par la force, par l’État colonial belge d’un État rationnel au Congo ayant acquis une
certaine autorité sur les sociétés patrimoniales, s’était accompagnée de l’émergence d’un petit groupe
de personnes formant une élite et ayant vocation à détenir les rênes de l’État après l’indépendance.
Toutefois, ce groupe n’avait aucune expérience en organisation politique et il a explosé
immédiatement après l’indépendance. Plusieurs rivaux politiques et militaires se sont attaqués au
nouvel État indépendant jusqu’à ce que Mobutu réussisse à créer un consensus au sein de l’élite en
achetant ou en détruisant les groupes en compétition.
Ce consensus a débouché sur neuf années de construction de l’État, lequel a commencé à se déliter
puis à s’effondrer sous les coups conjoints des interventions extérieures et d’une situation économique
fortement dégradée. Le pouvoir de l’État s’est trouvé graduellement érodé, jusqu’au point de perdre
le monopole de la violence légitime. Les questions non résolues des droits à la citoyenneté et à la terre
ont alimenté des interventions extérieures qui ont fini par totalement détruire l’État congolais.
1
Ce titre est un hommage à Young et Turner (1985), qui les premiers tentèrent d’expliquer la politique congolaise dans le
cadre de l’État plutôt qu’en faisant référence aux caractéristiques personnelles du dirigeant.
2
Je voudrais remercier les participants du séminaire du Crisis States Research Centre, les ateliers du CSRC à la LSE, ainsi
que Jonathan DiJohn, Frederick Golooba-Mutebi, Francisco Gutierrez, Frederick Kambemba Yamusangi, Muzong Kodi et
James Putzel pour leurs commentaires et leurs indications. Les erreurs, toutefois, m’appartiennent en propre. Des
commentaires supplémentaires sont les bienvenus, merci de me les adresser à : [email protected].
2
Aujourd’hui, alors que la reconstruction est partiellement en cours, les problématiques liées à
certains aspects fondamentaux du monopole du pouvoir, aux moyens de diffusion de ce pouvoir sur
l’ensemble du territoire et au consensus politique au cœur de l’État, ne sont toujours pas résolues.
3
Table des matières
QUELLES SONT LES CAUSES DE L’EFFONDREMENT DE L’ÉTAT ? UN
APERÇU AVEC REFERENCE AU CAS DE LA RDC 4
L’argument d’une « Classe étatique kleptocratique » 5
L’argument de la « Malédiction des ressources » 6
« Patrimonialisme » et « néopatrimonialisme » 9
La transformation inachevée et ses répercussions 10
La multiplicité institutionnelle 15
PARTIE II 17
ESSOR ET DECLIN DE L’ÉTAT CONGOLAIS : LE CYCLE « CONSTRUCTION DE
L’ÉTAT / EFFONDREMENT DE L’ÉTAT » 17
L’héritage colonial 19
La construction de l’État colonial 23
La Première République : La formation de l’État 1960-1965 26
L’indépendance, l’effondrement de l’État et la lutte pour monopoliser le pouvoir 29
La Deuxième République : la construction de l’État 1966-1974 30
Les débuts de la Deuxième République : neuf années de construction de l’État 33
Le naufrage 1974-1990 35
Le long déclin 1974-1990 43
En chemin pour l’effondrement 1990-1997 44
L’effondrement des ruines de l’État bureaucratique 47
Deux guerres brutales : 1996 à 2002 49
La disparition de l’État rationnel, une multitude d’armées 53
Vers la stabilisation et la reconstruction 2002-2006 54
Apaisement ou reconstruction ? 63
Conclusion 64
ANNEXES 65
REFERENCES 81
4
PARTIE I
Quelles sont les causes de l’effondrement de l’État ? Un aperçu avec référence au cas de
la RDC
Pourquoi la République démocratique du Congo s’est-elle désagrégée ? Les réponses
apportées à cette question sont extrêmement variables selon les différentes théories, et
néanmoins on attend de la nature de la réponse qu’elle apporte des informations sur la
meilleure façon d’aborder la reconstruction présente et à venir du pays ou de l’État lui-même.
La République démocratique du Congo, connue précédemment sous le nom de Zaïre, regorge
d’ingrédients qui évoquent tour à tour une imagerie sauvage, des légendes extraordinaires,
des vœux pieux ou une sagesse conventionnelle, et qui permettent d’alimenter nombre de
théories scientifiques sur la politique, l’économie et l’État en Afrique. Le pays, avec ses
2,3 millions de kilomètres carrés et seulement 60 millions d’habitants, dispose d’un immense
territoire et d’une faible densité de population. En dépit de l’abondance de ressources
naturelles précieuses comme le cuivre, l’or ou les diamants, la pauvreté est endémique dans
l’ensemble du pays. Avec un PIB par tête d’environ 100 $ en 2006, la RDC vit dans un état de
misère extrême nettement plus prononcé qu’au moment de l’indépendance en 1960.
L’existence de plus de 350 groupes ethniques parlant plus de 700 langues et dialectes permet
d’imaginer le niveau de fragmentation ethnique et le manque d’intégration des populations, et
ce en dépit de l’existence de quatre langues principales censées être utilisées dans l’ensemble
du pays pour les communications militaires et économiques
3
. Le pays a souffert de la
défaillance de l’État dans tous ses aspects et a été victime de conflits armés à répétition. On
estime que le nombre de morts dues à la guerre, à la malnutrition et au manque de services
médicaux s’élève à 4 millions pour la période allant de 1998 à 2004 (Coghlan et al. 2006) ;
aujourd’hui, les combats se poursuivent et le nombre des victimes continue à augmenter. Le
pays foisonne de seigneurs de la guerre, d’enfants soldats, de réfugiés, de nationaux déplacés,
ainsi que d’armées, de mercenaires et de groupes rebelles en provenance des pays voisins. Le
président congolais élu après l’indépendance, Patrice Lumumba, a été assassiné quelques
mois après sa prise de fonction et depuis, les gouvernements autoritaires se sont succédé à la
tête du pays. L’évolution de la situation après les élections de 2006 n’est pas encore claire.
Alors, pourquoi ce fameux mal zaïrois est-il si persistant, et pourquoi se traduit-il dans un
effondrement de l’État ?
L’argument d’une élite toute puissante ou bourgeoisie d’État, ayant réussi à institutionnaliser
le vol et la corruption et par là-même à détruire l’économie, le tissu social et les
infrastructures, constitue certainement la réponse la plus satisfaisante si l’on considère les
politiques actuellement menées. C’est en effet la perception qui sous-tend la démarche
d’introduction et d’institutionnalisation de la bonne gouvernance, de la transparence, de
l’obligation de rendre des comptes et de la démocratie, défendue et financée par les Nations
Unies, les jumeaux de Bretton Woods (le FMI et la Banque Mondiale), ainsi que par la
communauté des bailleurs de fonds soutenue par de nombreuses organisations non
gouvernementales. Il y a pléthore de littérature traitant des différents aspects de cette
perception d’un héritage kleptocratique.
3
Swahili, Kikongi, Tshiluba et Lingala. Le Français doit être ajouté en tant que langage officiel colonial.
1 / 90 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !