Allemagne-Belgique -:
quelle histoire!
M P
Université de Namur
manfred.peters@unamur.be
Le titre de cette communication introductive est plein de sous-entendus.
Le « Quelle histoire » est suivi non pas dun point dinterrogation, mais dun
point d’exclamation. C’est pour souligner le caractère complexe et parfois
contradictoire de la relation entre les deux voisins.
Le Première Guerre mondiale: un point de rupture
La Première Guerre mondiale, de  à , a bouleversé l’histoire de
notre pays et du monde entier. Nonobstant le dés des derniers témoins hu-
mains, cette guerre demeure gravée dans la mémoire collective. Tant en Bel-
gique que dans les autres pays européens, nombre de manifestations
commémoratives étaient programmées.
En Allemagne,  a été une année de commémoration pour trois rai-
sons. Elle marque non seulement le centenaire de la Première Guerre mon-
diale, mais aussi les septante-cinq ans du début de la Deuxième Guerre
mondiale et le vingt-cinquième anniversaire de la chute du mur de Berlin.
Comme le montre Carlo Lejeune dans un article intitulé « Les mémoires
historiques belges ne dialoguent pas. Belges germanophones,amands, wal-
. Coordinateur du projet de recherche dhistoire régionale « Grenzerfahrungen ».
Revue des Questions Scientiques, ,  () :-

   
lons – des traumatismes incompris », la Belgique est considérée comme lun
des rares pays d’Europe où c’est la Première davantage que la Seconde Guerre
mondiale qui, dans la mémoire collective, constitue un grand traumatisme.
Avant , la Belgique et l’Allemagne avaient connu des phases
déchanges intensifs, les Belges considérant leur grand voisin comme le pays
des poètes et des penseurs. Linvasion du royaume par les troupes allemandes
mit un terme à cette cohabitation harmonieuse. Le pillage du pays et le mas-
sacre de plus de six mille civils, notamment à Andenne et à Dinant, créèrent
une culture de haine.
Les historiens de la Grande Guerre ne cessent de souligner le caractère
inaugural de ce conit, véritable matrice du e siècle et de ses violences ex-
trêmes. Les pratiques de violence sur les champs de bataille ont dépassé toutes
les limites, dès  et jusquà . Le prix attaché à la vie humaine sest ef-
fondré au sein de toutes les sociétés engagées dans le conit, entraînant un
processus de « brutalisation » auquel même les civils n’échapperont pas et dont
les conséquences ont largement dépassé la n du conit. Le bilan est épou-
vantable : la Grande Guerre a fait près de dix millions de morts.
La Première Guerre mondiale a laissé des traces qui dièrent selon les
trois Communautés culturelles de Belgique. Les occupants allemands avaient
essayé dobtenir la collaboration des Flamands, en leur accordant des droits
culturels et en créant un « Conseil de Flandre » pour représenter leurs inté-
rêts, ce qui a pu créer une certaine sympathie. En Wallonie, le sentiment anti-
allemand était particulièrement fort. Quant à lactuelle Communauté
germanophone, la Première Guerre Mondiale a eu comme conséquence un
. Dans STANGERLIN, Katrin / Förster Stephan (éd.), La communauté germanophone de
Belgique (2006-2014), Bruxelles, La Charte, , p. -.
. « Das Land der Dichter und Denker » fait partie des stéréotypes. Carlo Lejeune (op.
cit.p.) distingue camps dans la politique belge de lépoque: « Les couches supérieures
des milieux catholiques ne cachaient pas leur admiration pour l’Empire allemand,
dynamique, en pleine expansion économique et fortement représenté en Belgique. Les
libéraux francophones et les socialistes étaient quant à eux tournés vers la France ».
. Dans son édition du  août  (reproduite en facsimilé dans lédition du  février
, le journal LE SOIR écrivit : « Il s’agit du choc sinon de deux civilisations, du
moins de la lutte entre deux mentalités: lune, la mentalité des dirigeants allemands qui
ne reconnaît que la force, la brutalité ; lautre, celle des Latins et des Anglais, qui a
comme idéal la justice et la liberté. » Les Flamands ont dû apprécier!
. C’est ainsi que, dès , les Flamands purent étudier, pour la première fois dans
lhistoire, dans leur langue maternelle à l’Université de Gand.
- - :  

changement de nationalité. Le Traité de Versailles en cédait la souveraineté à
la Belgique.
En ce qui concerne les commémorations, il y a, dès lors, des diérences
énormes entre les trois Communautés culturelles de Belgique. D’après lhisto-
rienne Laurence Van Ypersele de l’Université Catholique de Louvain, en Bel-
gique néerlandophone et francophone, lévénement se décline désormais en
une double lecture communautaire, avec une vision nationaliste du conit au
sud et son interprétation régionale en Flandre. Par ailleurs, explique lhisto-
rienne, la Flandre instrumentalise la Grande Guerre: « Elle ne sen cache pas
et le fait sans état d’âme: le but touristique est de valoriser le Westhoek où 
nations se sont battues sur le front. Lambition est de faire connaître la Flandre
en tant que telle et non comme entité fédérée. »
Comme le souligne Carlo Lejeune, « en Communauté germanophone,
cet anniversaire était et est peu présent dans la mémoire communicative et
culturelle. Ici, lattention se focalise déjà davantage sur lannée . C’est
cent ans plus tôt, en , qu’est entré vigueur le Traité de Versailles ratta-
chant cette région à la Belgique après quelle ait appartenu pendant plus de
cent ans à la Prusse et/ou à l’Empire allemand. »
La République de Weimar et le Troisième Reich
La République de Weimar est née de la Première Guerre mondiale et elle
en fut stigmatisée jusquà sa n. Ses leaders furent soupçonnés davoir « poi-
gnardé dans le dos » larmée non défaite et davoir signé inutilement le « traité
de la honte », celui de Versailles, en . Les foyers danciens soldats, appuyés
par les partis de droite et la Reichswehr, créèrent d’abord l’ordre en combattant
la gauche révolutionnaire, puis ils contribuèrent à déstabiliser la République
jusquà lavènement des nazis.
. La consultation populaire prévue par le Traité de Versailles ne fut ni libre, ni secrète.
Dans lhistoire on parle de la petite farce belge.
. Voir linterview qu’elle a accordée, le  janvier , à la R.T.B.F.
. Op. cit., p. .
. Le mythe du coup de poignard dans le dos (ou Dolchstoßlegende en allemand) est une
légende inventée par les militaires allemands au lendemain de la première guerre
mondiale, ces derniers refusant de porter la responsabilité de la défaite.

   
Après la campagne des  jours et la reddition de l’armée belge, le pays se
trouve tiraillé entre collaboration et résistance.
José Gotovitch a décrit succinctement la situation vécue en Belgique du-
rant l’occupation allemande de  à  et met en évidence le fossé qui
sépare Wallons et Flamands : « La Résistance ne fut pas un phénomène spéci-
quement wallon, ni la collaboration exclusivement amande. Ces deux cli-
chés sont également faux. Mais tout concourt à montrer quune attitude, un
comportement diérent se révéla au Nord et au Sud du pays face à loccupa-
tion. En Flandre, la collaboration fut le fait dun parti disposant au départ
dune réelle base populaire. Mais comme en -, elle put apparaître à
certains comme un moyen dassurer la réalisation d’aspirations nationalistes
ancrées dans la tradition du mouvement amand. À aucun moment, par
contre, en Wallonie, cette collaboration ne put prendre un contour eective-
ment wallon, sappuyer sur une réalité nationaliste. »
La collaboration est un concept juridique qui, en Belgique, est qualié
par le Code pénal. Les articles, , , bis et bis abordent respective-
ment la collaboration militaire, la collaboration économique, la collaboration
politique et intellectuelle et les dénonciateurs. À l’issue de la guerre, environ
quatre-vingt mille citoyens belges ont été jugés coupables de collaboration
avec lennemi. La collaboration militaire et politique tient une place centrale
en Belgique avec des mouvements politiques tels que Rex, le VNV ou des
divisions militaires comme la division SS Wallonie et la division SS Lange-
marck (amande). La collaboration économique nest cependant pas en reste
mais ses frontières sont plus diciles à délimiter. De nombreuses entreprises
ont accepté de travailler pour loccupant allemand, c’était probablement
moins par sympathie pour lidéologie nazie que pour maintenir leur compé-
titivité dans cette Europe en crise. Au côté dune collaboration franche, on
retrouve ainsi une politique du moindre mal, les premiers ne se posèrent bien
vite plus de question, les seconds, tout en continuant parfois de soutenir le
Gouvernement belge en exil, se compromirent peu ou prou avec l’occupant.
Sur un plan plus culturel, la collaboration fut souvent le fait dindividus dans
la presse écrite et parlée ou dentreprise ayant fait le choix du moindre mal.
- - :  

En , j’ai été invité à faire, à Berlin, un exposé sur lattitude des chré-
tiens belges durant l’occupation nazie. J’y ai évoqué une des grandes gures
de l’Université de Namur, le Père Camille Joset s.j., héros de la résistance et
éditeur du journal clandestin La voix des Belges. Il est remarquable que ce ré-
sistant, victime de la Gestapo, ait créé dans son université un département
dallemand. Nest-ce pas un signe despoir?
Camille-Jean Joset, une des gures marquantes de la Résistance
Quid de la langue du voisin?
Les liens de bon voisinage impliquent la maîtrise de la langue du voisin.
Quen est-il de lapprentissage de lallemand en Belgique, du français et du
néerlandais en Allemagne?
Le néerlandais nest guère présent dans les programmes scolaires alle-
mands. À titre dexemple, dans le land de Berlin, seule lécole Gail S. Halver-
son ore le néerlandais comme cours à option (de la e à la e classe). Après
quatre ans, les élèves atteignent le niveau B. Pendant ces quatre années, il y
a un échange avec une classe néerlandaise ou belge.
En ce qui concerne la situation du français en Allemagne, il convient de
citer les lycées bilingues. Pour se faire une idée de l’importance de lensei-
gnement bilingue dans les lières franco-allemandes, il faut être conscient
. Voir : PETERS, Manfred: Zwischen Kollaboration und Widerstand. Die Haltung
der belgischen Katholiken gegenüber dem Faschismus. In: GUSKE, Hubertus:
Der Widerstand von Christen und Kirchen in Europa gegen Hitlerfaschismus
und Krieg, Berlin, ÖFEK, , -.
. Voir WYNANTS, Paul, Le Père Camille-Jean Joset (1912-1992). Notice biographique
publiée à l’occasion du soixantième anniversaire de la fondation de l’Institut Moretus
Plantin, Namur, Presses Universitaires, ,  p.
. Voir Olivier MENTZ, L’enseignement bilingue en Allemagne – la situation du français
langue cible. In: Synergies Pays germanophones,  () -.
1 / 9 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !