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Dessous des Cartes : La Suisse, un îlot en Europe
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Jean-Christophe Victor, présentateur
Pourquoi la Suisse refuse-t-elle d'entrer dans l'Union européenne alors que ce pays réunit tous les
critères qui permettraient une intégration : communauté de valeurs, respect des libertés individuelles,
le multipartisme, système économique et financier qui permettrait l'intégration, relations commerciales,
libre circulation. Donc pourquoi la Suisse souhaite-t-elle rester une île ?
La Suisse est au centre de l'Europe. Ses voisins sont la France, l'Allemagne, l'Autriche, le Liechtenstein
et l'Italie. Le pays fait 41 300 kilomètres carrés. Et si on porte attention au relief, on voit qu'il est à
cheval sur la chaîne des Alpes, ce qui explique en partie pourquoi l'essentiel de la population est
concentré au Nord du pays. Il y a huit millions d'habitants en Suisse, répartis sur 26 cantons et la
capitale de la Suisse est Berne. Il y a trois langues officielles : l'allemand, parlé par 65 % de la
population, le français, pour 23 % de la population, l'italien avec 8 % de locuteurs, plus une langue
nationale, le romanche, parlé par 0,5 % de la population. Il y a aussi trois principales communautés
religieuses : 38 % des Suisses sont catholiques, 27 % sont protestants et 5 % sont musulmans,
répartis dans tout le pays. Cette donnée étant donc difficile à cartographier à cette échelle.
On a donc une société très diverse qui vit dans un système politique très décentralisé unique en
Europe. La Suisse est un état fédéral avec vingt-six cantons, chacun ayant son propre gouvernement,
son propre parlement, ses tribunaux, et même sa propre constitution. Les cantons disposent d'une
grande autonomie dans les domaines de l'éducation, la culture, la police, la fiscalité, les relations avec
les Églises. Donc un tel système est-il euro-compatible ?
Dans le cadre d'une adhésion à l'Union européenne, les cantons devraient appliquer les
règlementations européennes, donc perdraient de leur autonomie. Mais en contrepartie, ils seraient
associés à la prise de décision au sein de l'Union puisque celle-ci accorde une grande place justement
aux régions.
L'autre particularité du système politique suisse, c'est la démocratie directe. Dans ce pays, on peut
soumettre au vote des citoyens une modification de la Constitution, si la proposition recueille cent
mille signatures, en dix-huit mois. C'est ce qu'on appelle l'initiative populaire. Et depuis la mise en
place de cette démocratie directe en 1848, les Suisses ont été appelés à voter près de six cents fois.
Donc là aussi, si le pays rejoignait l'Union européenne, certaines règles propres au droit
communautaire ne pourraient plus faire l'objet de votation mais le principe même de la votation ne
serait pas remis en cause.
Troisièmement, la Suisse depuis longtemps a fait le choix de la neutralité. D'abord pour des raisons
externes : la Suisse est un petit pays, entouré de grandes puissances qui ont souvent été en conflit la France, l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie - et puis il y a aussi les facteurs internes. La neutralité
protège la cohésion d'un pays multiculturel. On imagine les conflits qui auraient pu éclater entre
catholiques et protestants, ou bien lors des deux guerres mondiales entre francophones,
germanophones et italophones. Le principe de neutralité signifie qu'un pays ne prend pas part à un
conflit, c'est pourquoi la Suisse ne peut pas devenir membre de l'OTAN. Mais elle peut être membre
de l'Union européenne car l'adhésion ne lui impose pas pour autant de porter assistance à un État
membre en cas de conflit. Mais la neutralité peut être armée. La Suisse a une armée de milices
formée de citoyens suisses, environ cent quatre-vingts mille soldats. Et neutralité ne veut pas dire
paralysie. Elle a justement permis à la Suisse d'être médiatrice dans de nombreux conflits. C'est à
Genève par exemple que s'est tenue en janvier 2014 la première rencontre entre l'opposition et le
régime syrien. Cette neutralité aussi a permis d'accueillir exilés politiques ou religieux, comme Jean
Calvin en 1535, Lénine, en 1914, Thomas Mann, en 1933, Soljenitsyne en 1974.
Donc si je résume, diversité culturelle, fédéralisme, démocratie directe, neutralité. Tout cela forme
l'identité suisse, ce qu'on appelle le Sonderfall, ce qui veut dire « cas particulier » en allemand. Et ce
modèle suisse n'empêcherait pas d'être euro-compatible.
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Alors pourquoi la Suisse n'a-t-elle toujours pas adhéré à l'Union européenne alors qu'elle est entourée
de pays membres ? En 1992, l'adhésion à l'espace économique européen a été proposée à la
population par référendum, mais rejetée. En 2001, les Suisses sont appelés à voter pour ou contre
l'adhésion à l'Union européenne et ils la rejettent là encore à une très large majorité. Et en plus, de
nombreux points de blocage existent entre la Suisse et l'Union européenne, notamment sur le secret
bancaire. Le secret bancaire est très protégé en Suisse, ce qui attire les contribuables étrangers qui
viennent déposer l'argent qu'ils ne déclarent pas dans leur pays de résidence. C'est de l'argent nonfiscalisé donc un manque à gagner pour les États d'origine. En premier lieu, l'Allemagne, la France, le
Royaume-Uni et l'Italie. Les chiffres que vous voyez sur la carte sont bien sûr des estimations mais
l'Union européenne exerce une pression sur la Suisse pour que celle-ci renonce à ce secret bancaire,
ce que refuse Berne pour ne pas perdre cet avantage comparatif dans le secteur bancaire. Il
représente 6 % du PIB et deux cent mille emplois. Et de toute façon, les fraudeurs transféreraient
leurs comptes vers d'autres paradis fiscaux tels que Singapour.
Mais la banque évidemment n'est pas la seule composante de l'économie suisse. Le pays est très
performant dans les industries à haute valeur ajoutée : horlogerie de luxe, industrie alimentaire,
pharmacie, chimie, autant de secteurs stimulés par une politique de soutien et d'innovation. La Suisse
consacre 3 % de son PIB aux dépenses de recherche et développement donc bien au-dessus de la
moyenne européenne qui est de 2 %. Elle se place ainsi au sixième rang au niveau mondial. La Suisse
a une économie très ouverte sur la mondialisation. En termes de stock d'investissements directs
étrangers présents dans le monde, la Suisse se place au cinquième rang mondial. Et Davos, où se
tient chaque année le célèbre et fréquenté forum économique mondial, est en Suisse.
Sauf qu'il y a eu un grain de sable avec cette question de l'immigration européenne en Suisse. Depuis
2002, à la suite d'un accord avec l'Union européenne, la Suisse applique le principe de libre circulation
des personnes sur son territoire. Les citoyens européens ont accès au marché du travail suisse, et vice
versa. Et si on regarde l'évolution du nombre d'étrangers venant de l'Union entre 1996 et 2012, on
voit bien que ce nombre augmente au début des années 2000 du fait de ce principe de libre
circulation.
Aujourd'hui, près d'une personne sur quatre vivant en Suisse n'a pas la nationalité suisse. Ce sont
surtout des Italiens, des Allemands, des Portugais, des Français. À cela s'ajoutent les trois cent mille
frontaliers, c'est-à-dire des personnes qui vivent dans les pays limitrophes mais viennent tous les jours
travailler en Suisse. Or cette arrivée importante d'étrangers en Suisse ne plaît pas à un parti politique :
l'Union démocratique du centre, qui a fait du rejet des immigrés et de l'Union européenne son fonds
de commerce électoral. C'est ce parti qui est à l'origine du référendum contre - je cite « l'immigration de masse », référendum qui vise à rétablir les quotas annuels pour les travailleurs
étrangers, les travailleurs frontaliers, les réfugiés et les demandeurs d'asile. Le 9 février 2014, 50,3 %
des voix s'expriment pour l'application de quotas migratoires et quatorze cantons et demi sur vingttrois. Donc, à une courte majorité, finie la libre circulation. Or dans les faits, il n'y a pas de corrélation
entre la présence d'étrangers et le rejet de l'immigration car on constate que sur les quinze cantons
qui ont plus de 20 % d'étrangers dans leur population, seulement huit cantons ont voté pour ces
quotas d'immigration. Si on regarde de plus près, on voit que les grandes villes telles que Genève,
Zurich, Bâle, Lausanne, ont voté contre les quotas d'immigration et les zones rurales ont voté pour. Et
d'ailleurs, on avait ce même clivage qui prévalait en 2001 lors du référendum sur l'adhésion à l'Union
européenne car dans les zones rurales, on retrouve l'idée que l'identité de la Suisse serait fragilisée
par l'immigration et a fortiori par l'adhésion à l'Union européenne.
Sauf que le résultat de cette votation remet en cause la libre circulation des personnes entre la Suisse
et l'Union européenne. Or la Suisse avait accordé ce principe à l'Union contre un accès partiel au
marché unique européen et contre une coopération dans le domaine de la recherche. Et du fait de cet
accord, l'Union européenne est devenue le premier partenaire commercial de la Suisse et celle-ci, le
quatrième partenaire commercial de l'Union européenne. En 2012, les relations entre la Suisse et
l'Union représentaient 56 % des exportations de marchandises de la Suisse et 75 % des importations.
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Donc, l'économie de la Suisse est très dépendante de l'Union européenne. Dans le domaine de la
recherche, c'est le Human Brain Project, basé à l'EPFL, c'est-à-dire l'École polytechnique fédérale de
Lausanne, qui a remporté en 2013 l'appel d'offres lancé par l'Union européenne pour la modélisation
du cerveau. Et cette école était donc censée recevoir la subvention européenne d'un milliard d'euros
sur dix ans. Or si la Suisse met fin au principe de libre circulation avec l'Union européenne, elle met
fin aussi à l'accord sur le marché unique, la recherche et bien d'autres domaines encore.
Alors entre la Suisse rurale et la Suisse des villes, ce sont deux visions du pays qui s'affrontent ou en
tout cas qui s'opposent. Entre une Suisse tournée vers le futur et vers le monde, et une Suisse plus
proche de ses traditions et de son passé. Une telle synthèse bien sûr a quelque chose d'un peu
simpliste. Mais ce vote de février 2014 va avoir des conséquences économiques importantes sur le
pays. Alors au-delà d'une éventuelle levée du secret bancaire et plus largement que l'imposition de
ces quotas migratoires, ce pays est désormais contraint de redéfinir sa relation avec l'ensemble
européen. Alors pour une fois, la Commission européenne et le Parlement ont été fermes et la relation
avec la Suisse, qui est forcément amenée à se poursuivre, ne pourra pas être à l'avenir une relation à
sens unique.
Biblio
Comme je n'ai pas eu le temps de vous parler de l'histoire de la Suisse qui est pourtant bien
intéressante, vous pouvez lire justement, dans la collection « Que sais-je ? », Histoire de la Suisse de
Jean-Jacques Bouquet.
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