Les cavités supraconductrices pour les accélérateurs de

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Les cavités supraconductrices pour les accélérateurs de
particules
Superconducting cavities for particle accelerators
par Claire ANTOINE
Ingénieure-Chercheuse à l’Irfu, CEA-Saclay
et Juliette PLOUIN
Ingénieure-Chercheuse à l’Irfu, CEA-Saclay
Résumé : Le besoin de grands accélérateurs très performants et plus économes en énergie a conduit à
multiplier l’utilisation de matériaux supraconducteurs, notamment pour la fabrication des cavités
radiofréquence destinées à accélérer les particules chargées. Nous décrivons ici les spécificités de
l’accélération de particules chargés par des cavités radiofréquences supraconductrices : rappel sur
l’accélération des particules chargées, performances et limites des cavités supraconductrices, environnement
spécifique…
Abstract : The need of highly performing accelerators with more efficient power consumption led to the increase
of the use of superconductors in accelerator technologies, in particular for the fabrication of radiofrequency
accelerating cavities. We describe here the specificity of charged particles acceleration with superconducting
radiofrequency cavities: basics of particle acceleration, performance and limits of superconducting cavities,
specific environment…
Mots-clés / Keywords :
français
Technologies impliquées
(1 à 2 termes)
Domaines d’application
(1 à 2 termes)
Type d’article
(choisir 1 à 2 termes)
Concepts principaux
(2 à 3 termes)
anglais
Superconductivity,
Supraconductivité, Cryogénie,
Cryogenics,
Vacuum
Techniques du vide
technics
Accélérateurs de particules
Particle accelerators
Etat de l’art
State of the art
Accélération radiofréquence
Radiofrequency acceleration
Sommaire
1
L’accélération de particules chargées
1.1 L'énergie des particules relativistes
4
4
1.2 Rappel sur l'accélération électrostatique 5
2
Les cavités radiofréquences
5
2.1 Accélération par des cavités radiofréquence : 5
2.2 Choix des paramètres principaux d’une cavité RF
2.3 Performances des cavités accélératrices
3
2.3.1
Le champ accélérateur Eacc
2.3.2
Le facteur de qualité
7
8
8
9
La supraconductivité pour les cavités radiofréquences
3.1 Supraconducteurs en RF : résistance non nulle !
10
10
3.2 Performances d’une cavité supraconductrice 11
3.2.1
Résistance de surface
11
3.2.2
La courbe Q=f(Eacc)
12
3.3 Performances actuelles
4
14
3.3.1
Les limites pratiques des cavités en niobium
14
3.3.2
Comment obtenir une bonne cavité ?
3.3.3
Films minces 16
3.3.4
Limites en champ accélérateur
3.3.5
Le champ de « superheating » BSH
3.3.6
Nucléation de vortex
3.3.7
Les critères de choix d’un « bon » supraconducteur RF
15
17
17
18
Appareillage lié aux cavités supraconductrices 20
4.1 Coupleur de puissance
20
4.2 Nécessité d’un système d’accord en fréquence
4.3 Le cryomodule
Conclusion 22
21
20
18
Introduction
L’utilisation de cavités supraconductrices a permis d’améliorer les performances des
accélérateurs de particules. On retrouve cette technologie en recherche fondamentale et
appliquée, mais aussi dans le domaine médical et industriel : grands accélérateurs pour la
physique nucléaire et des particules, sources de lumière synchrotron ou lasers à électrons
libres, sources de protons et de neutrons. Des applications sociétales importantes (par
exemple hadronthérapie, transmutation des déchets nucléaires….) sont en cours de
développement.
Un accélérateur est principalement constitué
d’un injecteur : source de particules chargées (électrons protons, ions) et mise en
forme du faisceau,
d’éléments capables de produire du champ magnétique pour dévier et/ou focaliser
la trajectoire des particules,
et d’éléments capables de générer du champ électrique pour accélérer les
particules.
La supraconductivité est de plus en plus utilisée aussi bien pour la fabrication des
électroaimants utilisés pour dévier les faisceaux [1] que pour la fabrication des cavités
radiofréquences (RF) qui génèrent les champs électriques nécessaires à l’accélération
des particules. En effet l’usage de matériaux supraconducteurs permet de diminuer
considérablement les dissipations thermiques dues à l’effet Joule. Dans de nombreuses
applications, le gain en rendement et/ou sur la taille de la machine l’emporte
considérablement sur les investissements supplémentaires liés à la fabrication
d’installations cryogéniques. Contrairement aux cavités en cuivre, les cavités
supraconductrices peuvent fonctionner en champ RF continu et avec des champs
accélérateurs élevés.
La conception d’un accélérateur dépend des applications souhaitées ; il y a deux grandes
catégories d’accélérateurs. Dans les machines circulaires, le faisceau repasse plusieurs
fois dans les éléments accélérateurs. Dans ce cas les points critiques sont essentiellement
les champs magnétiques intenses nécessaires pour dévier le faisceau et les dissipations
dans les parois des cavités RF. Au contraire, dans les accélérateurs linéaires, où le
faisceau ne passe qu’une fois, le point critique est le champ accélérateur qui doit être
maximum.
Nous nous focaliserons ici sur les cavités radiofréquences, et sur l’apport des matériaux
supraconducteurs dans cette technologie.
1 Accélérer des particules chargées
1.1 L'énergie des particules relativistes
On utilise la formulation relativiste pour décrire le mouvement des particules accélérées
car celles-ci atteignent des vitesses proches de celle de la lumière. Une particule en
mouvement peut être définie par sa vitesse absolue v, ou par sa vitesse relative =v/c, c
étant la vitesse de la lumière dans le vide. Son énergie au repos est égale à E0 = mc2, où
m est sa masse. Son énergie totale en mouvement est égale à γ.mc2 où γ est le facteur de
Lorentz relatif au mouvement de la particule :
(1)
√
Pour accélérer des particules, il est nécessaire de leur fournir une énergie cinétique Ec,
qui représente la différence entre l'énergie totale et l'énergie au repos :
(2)
L'énergie cinétique à fournir pour accélérer une particule augmente considérablement et
tend vers l’infini lorsque sa vitesse se rapproche de celle de la lumière. La Figure 1
représente l'énergie d'une particule en fonction de sa vitesse relative. Le tableau donne la
masse et l'énergie au repos de quelques particules. Plus une espèce possède une énergie
au repos élevée, plus la quantité d’énergie nécessaire pour l’amener à une vitesse
donnée, autrement dit un  donné, est grande.
Type
Energie au
repos
électron 511 keV
proton
938 MeV
deuton
1876 MeV
Figure 1 : Energie des différentes particules au repos (à gauche) et en fonction de
leur vitesse relative (à droite)
1.2 Rappel sur l'accélération électrostatique
Une particule de charge q en mouvement dans un champ électromagnétique (⃗⃗⃗ ⃗ ) est
⃗
⃗.
soumise à la force de Lorentz :
L'énergie fournie par ce champ électromagnétique à la particule représente le travail de la
force de Lorentz, et seul le terme contenant le champ électrique y participe. Dans un
accélérateur de particules, le champ électrique sert à accélérer les particules, tandis que
le champ magnétique sert à les confiner en faisceau ainsi qu’à les faire changer de
direction.
Dans les accélérateurs électrostatiques [1], les particules chargées sont soumises à un
champ constant, comme dans le cas de l’accélérateur de Van der Graaf. L’énergie
cinétique fournie aux particules est alors directement reliée à la différence de potentiel V
entre l’entrée et la sortie :
. La limite des accélérateurs électrostatiques est celle
de tension continue que l’on est capable de fournir. Celle-ci étant de l’ordre de quelques
mégavolts (MV), ces accélérateurs sont limités à une énergie de quelques
mégaélectronvolts (MeV). Ils sont utilisés pour l’accélération d’ions de faible énergie.
2 Les cavités radiofréquences
Les cavités radiofréquences sont des résonateurs qui permettent de stocker de l’énergie
électromagnétique. La composante électrique de ce champ sur l’axe de la cavité permet
d’accélérer un faisceau de particules chargées qui la traverse.
Les cavités sont elles-mêmes alimentées par des coupleurs qui leur transmettent l’énergie
des sources radiofréquence (Klystron, Inductive Output Tube,… [E1620]).
Une cavité possède plusieurs modes de résonance, dont le mode fondamental de
fréquence f.
2.1 Accélération par des cavités radiofréquence :
Les particules traversent une cavité résonante, aux parois métalliques, dans laquelle
oscille un champ électromagnétique à une fréquence f. Il a une composante de champ
électrique sur l’axe de la cavité, sur lequel les particules se déplacent. Ces particules ont
été préalablement regroupées en paquets, de façon à ce que chaque paquet traverse la
cavité quand le champ (alternatif) est dans le sens accélérateur. Ce principe est illustré sur
la Figure 2 représentant deux paquets de particules, notés A et B, traversant une cavité
multi-cellules résonant à la fréquence f=1/T. Les lignes de champ électrique sont
représentées dans la cavité, qui a une symétrie axiale autour de l’axe z. Le mode
représenté sur la figure est le mode  de la cavité (le champ change de signe d’une cellule
à sa voisine). Les particules, ici de charge positive, sont accélérées lorsque le champ sur
l’axe est positif, c’est à dire dans les cellules 1 et 3 à l’instant t 0 et dans les cellules 2 et 4 à
l’instant t0+T/2 (une demi-période plus tard).
Figure 2: accélération radiofréquence dans une cavité multi-cellules
(mode  le champ change de signe d’une cellule à sa voisine)
L’accélération radiofréquence nécessite donc une synchronisation entre la distance L
entre deux cellules, la vitesse v=.c des particules et la fréquence f de la cavité résonante.
Dans le cas du mode  de la figure, la condition suivante doit être vérifiée,  étant la
longueur d’onde correspondant à f ( =c/f):
(3)
Par ailleurs, le faisceau de particules doit être préalablement mis en paquets séparés par
une distance égale à 2L.
A une cavité est ainsi associé un beta « géométrique », g, défini dans l’exemple
précédent par g=2L/ Sur une même ligne accélératrice on utilise des séries de cavités
réglées sur des g de valeur différente, au fur et à mesure que le faisceau gagne de
l’énergie. Chaque série avec un g donné accélère des particules sur une gamme de 
autour de g. La Figure 3 montre par exemple la structure d’un accélérateur pour protons
avec les différents étages d’accélération. Pour un accélérateur d’électrons le schéma est
beaucoup plus simple car les particules atteignent très rapidement un  proche de 1, et un
seul type de cavités convient.
Figure 3 : Exemple de structure avec différents étages d’accélération pour un
accélérateur de protons haute intensité (SNS [2])
Il existe de multiples formes de cavités radiofréquences, adaptées aux contraintes du
faisceau et notamment au . Elles ont en commun le fait d’avoir un champ électrique sur
l’axe faisceau, qui oscille de façon synchronisée avec le faisceau de particules. La figure 4
expose des exemples de cavités accélératrices supraconductrices. Pour les hauts , on
utilise en général une forme elliptique (voir également Figure 5). Pour les basses valeurs
de beta, une très grande variété de formes a été expérimentée, et nous ne rendons
compte ici que de certaines d’entre elles.
Figure 4 : Exemples de structures de cavités radiofréquences supraconductrices.
Pour chaque figure, le type de cavité, le type de particules accélérées, la fréquence
et le  géométrique sont indiqués [3-6]. L’axe faisceau est représenté par une flèche
rouge.
2.2 Choix des paramètres principaux d’une cavité RF
Le choix du type de cavité et de sa fréquence est optimisé en tenant compte d’un grand
nombre de paramètres :


le type de particules, l’énergie et l’intensité de faisceau que l’on veut atteindre
l’architecture générale de l’accélérateur et les contraintes imposées par la dynamique de
faisceau

les contraintes techniques et budgétaires
On cherche à optimiser les performances de la cavité, en respectant toutes ces
contraintes, et le choix de la fréquence résulte d’un compromis. La résistance « BCS » (cf
3.2.1) de surface du supraconducteur, qui contribue aux pertes par effet Joule de la cavité
dépend de la fréquence comme 2. A haute fréquence les cavités sont petites, mais la
résistance de surface est élevée, et on est généralement limités par l’échauffement
généralisé de la cavité. A plus basse fréquence, au contraire, la résistance est plus faible,
mais le coût de fabrication des cavités est très élevé, entre autres, à cause de leur taille.
De plus le risque d’avoir un défaut localisé est aussi plus important. Interviennent aussi
dans la balance des considérations liées à la dynamique de faisceau. Une fréquence entre
350 et 500 MHz est généralement utilisée pour les cavités des anneaux de stockage
électrons-positrons : la grande taille permet de réduire le champ de sillage 1 et les pertes
dues aux modes supérieurs. Pour un accélérateur linéaire d’une longueur de plusieurs
dizaines de km, une fréquence plus élevée doit être choisie : le matériau et les dépenses
de cryogénie seraient prohibitifs pour ces cavités volumineuses
Par ailleurs on privilégiera plutôt des cavités de plus basse fréquence pour des particules
à bas beta, et de plus haute fréquence pour des cavités de haut beta. Cela évite de trop
grandes ou trop faibles valeurs de la longueur L (équation 3), qui est proportionnelle à /f
2.3 Performances des cavités accélératrices
Les performances d’une cavité accélératrice se mesurent à sa capacité à fournir le
maximum d’énergie par unité de longueur à un faisceau de particules, au coût minimal,
c’est à dire en limitant les pertes. Deux principaux paramètres servent à mesurer ces
performances : le champ accélérateur, Eacc, et le facteur de qualité Q0.
2.3.1 Le champ accélérateur Eacc
Le champ accélérateur représente le gradient de potentiel fourni par la cavité à une
particule de vitesse relative . Il est donné par la formule suivante pour une particule se
déplaçant suivant l’axe z :
(4)
|
|
|∫
|
Eacc tient compte du champ électromagnétique développé dans la cavité, mais aussi du
déplacement de la particule de vitesse v = .c entre l’instant t0 où elle entre dans le champ
accélérateur et l’instant t1 où elle en sort. Lacc est la distance parcourue entre t0 et t1. U
correspond à l’énergie cinétique gagnée par la particule après la traversée de la cavité, et
1
Le champ de sillage provient du rayonnement des particules en mouvement (par opposition au champ amené
dans la cavité par le coupleur).
q est la charge de la particule.
L’enjeu des cavités accélératrices est donc d’obtenir les plus grands champs
accélérateurs possibles, afin de maximiser le gain d’énergie par unité de longueur. Cet
enjeu est particulièrement important dans les accélérateurs linéaires, afin de limiter leur
longueur.
Les principaux facteurs limitant le champ accélérateur sont les champs pics de surface, E p
et Bp, correspondant respectivement aux maxima de champ électrique et magnétique à la
surface de la cavité. En effet un champ Ep élevé peut provoquer de l’émission de champ émission d'électrons à la surface de la cavité – ayant pour effet de consommer de la
puissance RF (absorbée par les électrons) et de créer des points d'échauffement à la
surface de la cavité. Un champ Bp élevé est responsable de dissipations sur la surface,
formulées par ∬
, Rs étant la résistance de surface du métal de la cavité. Il est
donc favorable de diminuer la résistance de surface, ce qui sera discuté au paragraphe IIIC. L’optimisation de la conception d’une cavité RF passe aussi par la minimisation des
coefficients Ep/Eacc et Bp/Eacc, qui ne dépendent que de la géométrie de la cavité et non du
matériau. La Figure 5 montre la position des champs pics sur une cellule de forme
elliptique. Cette forme de cellule est souvent choisie, notamment pour les cavités haut 
car elle permet de minimiser les champs pics de surface. En optimisant la forme, on arrive
aujourd’hui à des valeurs de l’ordre de 2 pour E p/Eacc et 4 mT/(MV/m) pour Bp/Eacc ce qui
permet d’atteindre de forts niveaux de champ accélérateur. Un exemple de cavité
elliptique, de type Tesla, fonctionnant à 1,3 GHz pour des électrons à =1 est montré sur
la figure 5.
Cavité 9 cellules, 1.3 GHz, électrons, =1.
Ep/Eacc = 2, Bp/Eacc = 4.26 mT/(MV/m)
Figure 5 : Exemple de répartition du champ dans les cellules d’une cavité elliptique.
2.3.2 Le facteur de qualité
Le facteur de qualité (ou facteur de surtension) Q0 d’une cavité radiofréquence permet de
mesurer les pertes par dissipations thermiques sur ses parois. Il s’exprime de la façon
suivante :
(5)
où  est la pulsation =2.f, W est l’énergie stockée dans la cavité, et Pcav les pertes RF.
Il est directement relié à la bande passante f de la cavité.
Les pertes RF sont de deux natures :

les pertes diélectriques dans le milieu à l'intérieur de la cavité : elles sont
généralement négligeables, les cavités fonctionnant avec un vide poussé

les dissipations sur les parois métalliques de la cavité ∬
Les dissipations surfaciques sont directement proportionnelles à la résistance de surface ;
c’est pourquoi les premières cavités ont été réalisées avec un bon conducteur électrique :
le cuivre. Les cavités fabriquée en matériau supraconducteur présentent une résistance
de surface considérablement plus faible ce qui explique le développement important de
cette nouvelle technologie.
L’impédance shunt, rshunt, d’une cavité, définie par
s’exprime en Ohms et
indique l’accélération accessible pour une quantité de pertes donnée. On définit le rapport
entre l’impédance shunt et le facteur de qualité, le « r/Q » d’une cavité, par :
(6)
Ce facteur ne dépend que de la géométrie de la cavité et non du matériau, et exprime
l’efficacité de la cavité. C’est un paramètre de conception au même titre que les grandeurs
Ep/Eacc et Bp/Eacc. Plus il est grand, plus la cavité, pour une même quantité d'énergie RF
stockée, fournira un champ accélérateur élevé.
NB. Cette définition est celle généralement utilisée pour les accélérateurs de particules.
Cependant on peut trouver dans certains ouvrages une autre définition qui définit
l’impédance shunt par rshunt=(Eacc.Lacc)²/(2.Pcav), et donc le r/Q par (Eacc.Lacc)²/(2W), par
analogie avec les circuits RLC.
Nous allons voir dans le paragraphe suivant l’influence de la nature du matériau sur les
grandeurs Eacc et Q0 qui caractérisent les performances d’une cavité accélératrice.
3 La supraconductivité pour les cavités radiofréquences
Les cavités classiques (en cuivre) ou supraconductrices fonctionnent selon le même
principe ; mais les dissipations thermiques et les conditions de fonctionnement sont très
différentes. Les cavités supraconductrices sont principalement fabriquées en niobium massif ou en dépôt sur du cuivre- comme nous le verrons dans la suite de l’article.
3.1 Supraconducteurs en RF : résistance non nulle !
La résistance du niobium supraconducteur est nulle pour un champ électrique continu,
mais pas en présence d’un champ RF ; cependant elle est divisée d’un facteur de l’ordre
de 100000 par rapport à celle du cuivre à température ambiante. C’est cette diminution
énorme de la résistance de surface qui privilégie l’utilisation du niobium supraconducteur
plutôt que celle du cuivre dans de nombreux accélérateurs de particules.
En effet, à cause de leur grande résistance de surface, les cavités cuivre doivent être
alimentées par un champ pulsé au-delà d’une certaine puissance, de manière à laisser le
matériau refroidir. Au contraire, les cavités supraconductrices peuvent fonctionner avec un
champ accélérateur conséquent à cycle utile élevé, c’est-à-dire en injectant le faisceau et
la puissance RF avec des impulsions longues, voire en continu.
Le rendement des cavités niobium est bien meilleur puisque les dissipations thermiques
dans les parois sont plus faibles, si bien que pratiquement toute la puissance injectée
dans la cavité est transmise au faisceau. Au contraire, dans les cavités cuivre, une grande
partie de la puissance injectée est perdue par échauffement, le rendement est faible, et il
faut des sources de puissance RF très puissantes pour alimenter les cavités.
Par contre les cavités niobium doivent être maintenues à très basse température (entre 2
et 4 K dans l’hélium liquide, voire superfluide), et les dissipations thermiques à la surface
interne de la cavité entraînent des pertes cryogéniques, c’est-à-dire une surconsommation
d’hélium. Ainsi, la consommation électrique pour fournir la puissance cryogénique
compense en partie l’énorme avantage en matière de rendement.
Les cavités niobium sont également plus sensibles aux phénomènes parasites tels que
l’émission de champ et les états de surface (cf 3.3)
3.2 Performances d’une cavité supraconductrice
3.2.1 Résistance de surface
La résistance de surface en RF est définie en première approximation en fonction de la
température selon la formule :
(7)
Avec :
(8)
√
RBCS est la résistance BCS du matériau ( théorie de Bardeen- Schrieffer-Cooper) [7] et
Rres la résistance résiduelle ; A est une constante qui dépend de L la profondeur de
pénétration du champ de London,  la longueur de cohérence des paires de Cooper,  le
libre parcours moyens des quasi-particules, n la conductivité à l’état normal,  la
fréquence RF, et  le gap supraconducteur. RBCS est due à la diffusion du reliquat
d’électrons normaux du supraconducteur sur les défauts du réseau. Il existe une
composante Rres indépendante de la température dont l’origine est mal connue, mais qui
semble liée à la conductivité à l’état normal du matériau : n. Cette composante est accrue
lorsque du champ magnétique statique, notamment le champ terrestre, est piégé dans le
matériau lors de son passage à l’état supraconducteur. Afin de la diminuer, les cavités et
les cryostats sont généralement entourés d’un blindage magnétique en matériau à haute
perméabilité magnétique.
Pour le niobium, la formule numérique suivante constitue une bonne approximation de la
résistance RBCS, pour une température inférieure à ~5 K et pour des fréquences très
inférieures à 1012 Hz ([7] p.88).
(9)
(
)
La Figure 6 présente la mesure expérimentale de la résistance de surface en fonction de
l’inverse de la température pour une cavité monocellule 1.3 GHz. La courbe rouge
représente la RBCS calculée avec la formule (9). On observe comment la résistance de
surface tend vers la résistance résiduelle à basse température.
Figure 6 : la résistance d’un supraconducteur n’est pas nulle en RF. A bas champ, le
comportement de la résistance de surface suit le comportement prédit par la théorie
BCS jusque vers 2 K où elle devient dominée par la résistance résiduelle Rres. Les
points expérimentaux (losanges bleus) correspondent à une cavité monocellule
1.3 GHz testée à 1 MV/m.
Les résistances résiduelles les plus basses qui ont été mesurées à ce jour sont de l’ordre
de 0.5 n. Les valeurs les plus couramment obtenues sont plutôt de l’ordre de quelques
dizaines de n.
3.2.2 La courbe Q=f(Eacc)
Lorsqu’on teste expérimentalement une cavité supraconductrice, on trace la courbe du
facteur de qualité en fonction du champ accélérateur, à basse puissance. Autrement dit on
injecte un champ RF dans la cavité, à l’aide d’une antenne, et au fur et à mesure que l’on
augmente la puissance d’entrée, on calcule le champ accélérateur, à partir du champ
transmis dans la cavité, et le facteur de qualité, à partir du temps de remplissage de la
cavité. Cela permet de mesurer quel champ accélérateur on arrive à atteindre, et avec
quel niveau de pertes.
Figure 7 : Performances typiques d’une cavité elliptique monocellule (=1, f=1.3
GHz) et d’une cavité quart d’onde (=0.07, f=88 MHz). Plusieurs courbes à puissance
dissipée constante sont également représentées.
Deux courbes typiques, issues de tests en cryostat, sont présentées sur la Figure 7. La
courbe du haut correspond à une cavité elliptique monocellule, de type « Tesla », de
fréquence 1.3 GHz et de =1, testée à 1.5 K. Les champs pics de ce type de cavité sont
optimisés pour de forts champs accélérateurs, et ils sont de l’ordre de Ep/Eacc = 2 et
Bp/Eacc = 4.3 mT/(MV/m). Le champ accélérateur record pour ce type de cavité est
actuellement de 59 MV/m, ce qui correspond à un champ BP ~200mT.
La courbe du bas est celle d’une cavité quart d’onde de type Spiral 2, de fréquence
88 MHz et de =0.07, testée à 4 K.
On a également représenté les courbes d’iso-puissance dissipée. Ces courbes ne sont
pas identiques pour les deux types de cavité car la relation entre puissance dissipée, Q 0 et
Eacc dépend de la conception de chaque cavité. On voit que si l’on veut augmenter le
champ, les dissipations augmentent rapidement. La consommation cryogénique est l’un
des critères pour sélectionner le champ accélérateur dans une machine.
Pour chacun des types de cavité, la courbe s’arrête brutalement, lorsque la cavité subit un
« quench »: l’augmentation du champ RF entraîne la transition du supraconducteur. Les
dissipations locales provoquent alors un échauffement tel que l’ensemble de la cavité
devient quasi instantanément résistif et le facteur de qualité s’effondre.
Le plus souvent le quench est dû à un défaut local comme une inclusion résistive ou un
relief qui entraine une augmentation locale du champ magnétique. Récemment, avec les
progrès faits sur la qualité de fabrication, on a vu apparaitre des cavités où l’emplacement
du quench devenait fluctuant, signe que l’on approche des limites fondamentales du
matériau (voir§ III-2a).
3.3 Performances actuelles
3.3.1 Les limites pratiques des cavités en niobium
Il y a plusieurs sortes de sources de limitations : des causes extérieures à la cavité,
comme l’émission de champ due à la contamination particulaire, des causes
technologiques, comme par exemple la maîtrise des soudures par bombardement
électronique et des causes intrinsèques, liée à la physique particulière de la
supraconductivité en radiofréquence, comme le piégeage du champ magnétique terrestre,
ou la transition du matériau à l’état normal.
Les limites à considérer ne sont pas les mêmes selon le type d’applications. Pour les
anneaux (synchrotrons par exemple), il n’y a pas besoin d’avoir des gradients
accélérateurs élevés. Les problèmes viennent de la haute intensité des faisceaux et de
leur stabilité, en particulier des problèmes de pertes cryogéniques et d’électro-désorption2
des parois. Dans ce cas, c’est le choix de fréquences assez basses et de structures RF
particulières qui permet d’obtenir de bonnes performances. Au contraire pour les
applications à très haute énergie nous sommes le plus souvent limités par les
performances intrinsèques du matériau.
Figure 8 : Différent types de limitations observables sur les courbes Q=f(Eacc).
La Figure 8 illustre schématiquement les limitations des performances des cavités
supraconductrices. Le schéma 1 correspond à un simple quench. Le schéma 2, montre la
diminution progressive du facteur de qualité lorsque les dissipations augmentent. Cela
2
Les particules qui s’échappent du faisceau, en tapant sur les parois de la chambre à vide font
« s’évaporer » les molécules adsorbées sur les parois. Avec un vide dégradé les risques de dispersion du faisceau
sont augmentés.
peut être dû à des dissipations autour de lignes de champ appelées vortex piégées dans
le matériau, aux corrections non linéaires de RBCS, ou bien à de l’émission d’électrons à la
surface de la cavité, dans les zones de fort champ électrique 3. Dans ce cas on observe
généralement une émission de rayons X générés par les électrons venant impacter la
paroi de la cavité. Le schéma 3 illustre un phénomène appelé « multipacting », dans
lequel des électrons secondaires émis à la surface entrent en résonance dans les lignes
de champ électrique. Le multipacting consomme de la puissance RF et crée de
l’échauffement. Il en résulte des « barrières », pendant lesquelles le champ RF injecté est
consommé par le phénomène, empêchant alors l’augmentation du champ accélérateur.
On peut parfois franchir ces barrières, lorsque le phénomène se tarit de lui-même par
conditionnement ; à l’inverse, une barrière de multipacting peut définitivement limiter les
performances d’une cavité, sans qu’elle subisse de quench. Les deux cas sont illustrés sur
le schéma 3.
3.3.2 Comment obtenir une bonne cavité ?
Les cavités présentant les meilleures performances sont fabriquées à partir de tôles de
niobium ultra-pur, dont on mesure le RRR (Residual Resistance Ratio) qui est le rapport
de la résistivité à 300 K sur la résistivité résiduelle à très basse température dans l’état
normal conducteur. Un niobium très pur a un haut RRR. La pureté permet d’obtenir un
matériau de bonne conductivité thermique4 ce qui permet de mieux évacuer les
dissipations thermiques modérées.
Les différentes parties d’une cavité sont formées par emboutissage, repoussage ou
hydroformage de tôle, puis soudées par bombardement électronique dans une chambre
vide. Ce type de soudure est nécessaire car, à chaud, le niobium réagit avec l’air ce qui
pourrait affecter sa conductivité.
La cavité une fois fabriquée a en général une fréquence éloignée de quelques pourcents
de sa fréquence nominale. Elle doit alors être accordée, à l’aide d’un appareillage qui lui
impose une déformation plastique, afin que sa fréquence soit amenée au plus près de la
fréquence de fonctionnement. Cette étape d’accordage permet également d’ajuster le plat
de champ, c’est-à-dire la bonne répartition du champ électromagnétique dans les
différentes cellules. On verra au paragraphe 4.2 qu’un accord en fréquence, mais sur une
gamme nettement moins large, peut aussi être réalisé sur une cavité en fonctionnement.
Dans le niobium, des courants de l’ordre de 1010-1011 A/m2 circulent sur une épaisseur
d’environ 50 nm, et des champs électriques de l’ordre de plusieurs dizaines de MV/m
règnent à l’intérieur de la cavité, aussi la préparation de la surface interne joue un grand
rôle dans leur performances.
3
En cas de défaut morphologique (rayure, poussière) sur la surface, le champ électrique local peut
augmenter suffisamment pour laisser passer des électrons du métal vers le vide par effet tunnel. Voir par exemple
[E1100], p20. Ces électrons sont ensuite accélérés par le champ RF et viennent perturber le faisceau.
4
Un supraconducteur est par essence un mauvais conducteur thermique puisque une partie des électrons qui
sont à l’origine de la résistance et du transfert de chaleur sont appariés sous forme de paires de Cooper qui
assurent la supraconduction.
Ainsi, après la fabrication, on retire environ 150 µm de la surface par polissage chimique
ou par électropolissage5. Cela permet d’enlever la couche écrouie, due au contact avec
les outillages (laminoirs, emboutisseuses, tours…) et de préparer une surface relativement
lisse. La cavité est rincée à l’eau ultrapure à haute pression après chaque traitement
chimique.
Un recuit (e.g. 800°C, 2h) permet de se débarrasser de l’hydrogène contenu dans le
matériau et d’en améliorer la qualité cristallographique. Après un dernier polissage de la
surface, on applique un étuvage aux cavités (120°C, 48 h). Ce dernier traitement qui
modifie à peine les 10 premiers nanomètres de la surface est cependant indispensable
pour obtenir les meilleures performances. La physique sous-jacente à cet effet est encore
mal comprise.
L’assemblage final de la cavité (montage des brides, des antennes et des coupleurs) doit
être réalisé en salle blanche de type 10 ou 100 afin d’éviter toute contamination
particulaire qui pourrait dégrader ses performances RF (émission de champ).
Aujourd’hui, le niobium semble avoir atteint ses limites (transition généralisée du
supraconducteur). Le travail autour de la préparation du niobium se concentre sur la
reproductibilité, la baisse des coûts de fabrication et la recherche de traitements alternatifs
moins dangereux (le polissage s’effectue dans des mélanges d’acides concentrés).
Pour des grands projets type ILC6, où 15 à 20 000 cavités doivent être fabriquées, la
reproductibilité et la simplicité du processus de préparation auront un fort impact en
termes de coûts.
3.3.3 Films minces
On peut également fabriquer des cavités où le niobium, au lieu d’être massif, est déposé
en couche mince (quelques microns) à l’intérieur d’une cavité en cuivre. Cela présente
plusieurs avantages : seule une couche mince de supraconducteur est nécessaire et le
cuivre est un matériau bien moins coûteux que le niobium. C’est également un bon
conducteur thermique et il a une meilleure tenue mécanique que le niobium.
Malheureusement, le niobium déposé sous forme de couches minces ne présente pas de
performances aussi bonnes que le niobium massif. Son usage est principalement réservé
aux machines circulaires où le gradient accélérateur n’a pas besoin d’être très élevé. C’est
5
Le polissage chimique est en train de céder la place à l’électropolissage, un traitement pour l’instant plus
difficile à mettre en œuvre, moins reproductible et plus coûteux, mais qui permet d’atteindre les gradients les plus
élevés. Des traitements alternatifs sont à l’étude, voir par exemple [8]
voir dans les proceedings de SRF 2013
http://accelconf.web.cern.ch/accelconf/index.html :
New Insights on the Physics of RF Surface Resistance and a Cure for theMedium Field Q-Slope – A.
Grassellino; Q-Slope Studies at Fermilab: New Insight From Cavity and Cutouts Investigations – A. Romanenko;
Field Dependence of Residual and BCS Surface Resistances Measured by Explicit Deconvolution Up to High Fields
– A. Romanenko, A. Grassellino, O.S.Melnychuk, D.A. Sergatskov; MediumField Q-Slope of Niobium– T.
Junginger,W.Weingarten, C.P.Welsch; High Resolution Surface Resistance Studies – S. Aull, S. Döbert, T.
Junginger, S. Aull, J. Knobloch.
6
« International Linear Collider » : projet international de futur collisionneur e+/e- pour la physique des
particules, visant 0.5 TeV dans le centre de masse.
le cas des cavités accélératrices du Large Hadron Collider au CERN, et des cavités du
synchrotron SOLEIL par exemple. Cette situation va peut-être changer avec l’apparition
récente de nouvelles méthodes de dépôt qui permettent d’obtenir un matériau mince qui a
de propriétés structurales proches du matériau massif [9, 10].
3.3.4 Limites en champ accélérateur
Dans les cavités supraconductrices, le champ accélérateur maximum théorique est atteint
lorsque la composante magnétique du champ RF est égale au champ de transition du
supraconducteur (champ critique). Le métal transite à l’état normal et la cavité cesse d’être
un résonateur efficace. La principale difficulté est de savoir quel est le champ critique à
considérer en RF car les mécanismes de dissipation en radiofréquence sont très différents
de ceux observés en courant continu.
En courant continu, on peut caractériser le comportement d’un supraconducteur en champ
par deux grandeurs : en dessous du premier champ critique BC1, le matériau est
parfaitement supraconducteur et expulse le champ magnétique, c’est l’état Meissner. Audessus de BC1 des lignes de champ appelées vortex pénètrent dans le matériau, c’est
l’état mixte. Le matériau reste supraconducteur sauf dans une région de quelques dizaines
de nm autour des vortex. Enfin au-dessus de BC2, le matériau transite à l’état normal.
Savoir à partir de quel champ les vortex commencent à entrer dans le matériau fait encore
aujourd’hui l’objet de controverses.
Figure 9 : diagramme de phase du niobium
3.3.5 Le champ de « superheating » BSH
On peut parfois observer un état métastable où le comportement de Meissner (expulsion
du champ magnétique) persiste à des champs plus élevés qu’H C1: le champ de
« superheating » BSH [7]. Le champ BSH a été estimé dans les années 60 à partir de
considérations thermodynamiques sur l’énergie de surface, et suit la courbe rouge
indiquée en pointillés sur la Figure 9.
Cet état métastable serait apparemment plus facile à observer en RF qu’en continu, car le
champ s’inverse toutes les 10-9 secondes (ordre de grandeur pour 1 GHz) alors qu’il faut
environ 10-6 s pour nucléer une zone normale ; on n’aurait donc pas le temps de la voir
germer, et l’on resterait donc dans cet état métastable.
Plusieurs résultats sur des résonateurs expérimentaux semblent corroborer ce modèle de
comportement, du moins près de Tc [7, 11-13].
3.3.6 Nucléation de vortex
Cependant, dans la pratique, la plupart des cavités semblent limitées à des champs
beaucoup plus faibles que BSH. Or si des défauts sont présents à la surface, la pénétration
de vortex individuels est beaucoup plus rapide (~10-13 s) [14-16]. Dans ce cas le champ
limite à considérer est le premier champ critique BC1 ou du moins sa valeur en RF : BC1RF
qui devrait être légèrement supérieure à la valeur en continu [15, 17].
Il faut noter que les matériaux qui sont de bons supraconducteurs pour des applications en
courant continu sont le plus souvent « mauvais » en RF. En effet, les centres d’ancrage
des vortex (dislocations, précipités, etc.) qui permettent d’obtenir des valeurs de BC2
élevées ont également pour effet de faire baisser BC1 et se révèlent souvent être des
défauts très dissipatifs en RF à haut champ. A ce jour seul le niobium massif donne de
bonnes performances en RF, ce qui tendrait à prouver que nous sommes hors du régime
BSH : en effet le niobium est le supraconducteur qui a le plus haut BC1 connu.
Ceci ne demeure qu’une estimation, et l’origine des limitations ultimes en RF est loin d’être
pleinement élucidée, en particulier à haut champ et basse température où certaines
approximations de la théorie générale (Ginzburg Landau) cessent d’être valides [15, 18] et
[19]. Ce domaine commence tout juste à être exploré de façon théorique, en partie parce
que c’est seulement de nos jours que les cavités présentent des propriétés intrinsèques
suffisamment bonnes pour tester des hypothèses émises il y a plus de 50 ans.
Ce modèle explique bien que, même si le cœur d’un vortex individuel est nanométrique, la
zone affectée thermiquement peut rapidement atteindre des dimensions centimétriques,
ce qui est très cohérent avec le comportement de points chauds observés sur les cavités à
haut champ.
Ce modèle explique également l’échec relatif des supraconducteurs à plus haut Tc tels
qu’ils ont été testés jusqu’à présent (cf. § suivants). En effet dès que les vortex pénètrent
dans le matériau ils créent des dissipations importantes.
3.3.7 Les critères de choix d’un « bon » supraconducteur RF
Deux aspects partiellement contradictoires rentrent en ligne de compte : la résistance de
surface (pour avoir un facteur de qualité Q0 le plus élevé possible) et le champ
accélérateur maximum atteignable (BSH ou BC1 suivant le modèle qui s’applique).
√
Nous rappelons ici l’équation (8) :
Pour diminuer RBCS, il faut obtenir un gap  maximum (ce qui va de pair avec un T C élevé,
car TC ~ 1,87/kB), mais aussi une profondeur de pénétration L minimum et une faible
résistivité électrique à l’état normal n. Cette condition est nécessaire mais non suffisante,
car il faut de plus s’assurer d’avoir une résistance résiduelle très faible. C’est le cas par
exemple des céramiques supraconductrices à haut TC, dont les joints de grains à l’état
normal présentent des résistances résiduelles en RF qui sont ~100 fois plus élevées que
la résistance du cuivre, ce qui leur ôte tout intérêt pour les applications RF, malgré leur TC
élevé.
Nous cherchons donc à obtenir des composés métalliques à haut T C. Malheureusement,
les composés à haut TC connus ont souvent un L très élevé (voir Table 1 : Propriétés de
divers supraconducteurs). Obtenir un fort gradient accélérateur résulte automatiquement
d’un compromis.
Table 1 : Propriétés de divers supraconducteurs
Matériau TC* (K)
n
(µcm)
BC(T)**
BC1(T)**
BC2(T)**
L
(nm)*
Type
0,08
n.a.
n.a.
48
I
Pb
7,1
Nb
9,22
2
0,2
0,17
0,4
40
II
NbN
17,1
70
0,23
0,02
15
200
II
NbTiN
16,5
35
151
II
Nb3Sn
18,3
20
85
II
V3Si
17
Mo3Re
15
0,43
0,03
3,5
140
II
Mg2B2
40
0,43
0,03
3,5
140
II- 2gaps
YBCO
93
1,4
0,01
100
150
d-wave
MgB2
39
0,03
0,54
0,05
30
II
*à B=0 T ; **à T=0 K
On voit tout de suite que le niobium possède une valeur de champ BC1 très élevée
comparé aux autres supraconducteurs. Bien qu’en principe BSH ne dépende que de BC1, il
se pourrait qu’un BC1 élevé soit une condition importante pour empêcher la pénétration
prématurée de vortex sur des défauts de la surface (aspérités, joints de grains)
Des composés comme NbN ou Nb3Sn semblent très séduisants, mais la plupart des
tentatives qui ont été effectuées pour en préparer des cavité de haute performances n’ont
pas abouti [7]. …Une des raisons est que la plupart des composés de la table 2 ont été
étudiés dans le cadre d’applications plus « classiques » (aimants, électrotechnique) où le
supraconducteur est à l’état mixte, et dans ce cas, la présence de défauts naturels ou
induits favorise le piégeage des vortex et les grandes densités de courant critique JC.
Or ces mêmes défauts peuvent avoir un rôle très néfaste en RF, s’ils favorisent la
pénétration des vortex et la disparition de l’état Meissner. Très récemment cependant une
équipe a réussi à produire une cavité en Nb 3Sn dont le champ limite était bien supérieur
au HC1, sans toutefois pouvoir atteindre des champs aussi élevés que pour le Nb [20].
Comme pour le niobium, la qualité de la surface du matériau semble fondamentale pour
obtenir de bonnes performances, et il va probablement s’écouler plusieurs années avant
que des procédés industrialisables soient mis au point.
4 Appareillage lié aux cavités supraconductrices
4.1 Coupleur de puissance
Les cavités supraconductrices requièrent des hauts niveaux de puissance RF pulsée ou
continue, qu’il faut être capable de produire et de transférer à l’intérieur de la cavité. La
puissance RF est souvent produite par une source hyperfréquence de type klystron, puis
acheminée par un réseau de guides d’ondes vers la cavité. Elle est ensuite transmise à la
cavité par l’intermédiaire d’un coupleur de puissance, équipé d’une antenne dirigée vers
l’intérieur de la cavité. Un schéma représentant les principales fonctions d’un coupleur de
puissance est présenté Figure 10. Le coupleur doit constituer une barrière entre le vide de
la cavité et l’air (ou éventuellement tout autre gaz) présent dans les guides d’onde :
l’étanchéité est assuré par une fenêtre en céramique, qui laisse passer la RF. Il constitue
également la transition thermique entre la température ambiante (Tamb) et celle de la cavité
(Tcryo) (quelques K). Sa structure géométrique est adaptée à la fréquence de la cavité de
manière à transmettre la puissance RF avec le minimum de réflexion.
a
b
Figure 10 : Vue schématique de la transmission de puissance RF vers la cavité via
un coupleur de puissance (a) et dessin d’un coupleur pour cavité 700 MHz (b).
4.2 Nécessité d’un système d’accord en fréquence
La fréquence d’une cavité RF en fonctionnement peut être décalée par plusieurs
phénomènes : vibrations extérieures, fluctuations de pression dans le bain d’hélium, forces
de Lorentz dues à la pression de surface générée par un champ pulsé. Le rôle du système
d’accord est donc de réaccorder la cavité à sa fréquence nominale durant son
fonctionnement, en déformant les lignes de champ présentes dans la cavité. Cette
déformation peut être réalisée en déformant mécaniquement la cavité (Figure 11 a), ou
bien en y insérant un élément ajustable perturbant pour le champ RF (Figure 11 b). Les
systèmes d’accord doivent être capables d’ajuster la fréquence sur une gamme assez
large pour compenser les déformations extérieures (jusqu’à quelques MHz), tout en ayant
une grande sensibilité (quelques Hz). Par ailleurs, pour l’accord rapide (forces de Lorentz
notamment), on utilise un moteur relié à un cristal piézoélectrique par une boucle de
rétroaction.
a
b
Figure 11 : a. Schéma de principe d’un système d’accord de type déformation
mécanique. b. accord par déformation des lignes de champ à l’aide d’un plongeur
dans une cavité quart d’onde [21].
4.3 Le cryomodule
Les cavités supraconductrices doivent fonctionner à des températures cryogéniques,
parfois jusqu’à 1.8 K. On atteint ces températures en baignant les cavités dans de l’hélium
liquide (température d’ébullition : 4.2 K) ou même dans de l’hélium superfluide (T<2.17 K),
obtenu par pompage. En plus d’abaisser la température, l’hélium superfluide a de très
bonnes caractéristiques en matière d’échange thermique, et d’évacuation de chaleur.
En général, on commence par tester une cavité en la plongeant dans un cryostat de test,
qui est une cuve entièrement remplie d’hélium liquide ou superfluide.
Avant d’être montée sur un accélérateur, chaque cavité est entourée d’une enceinte
étanche, qui est reliée à l’installation cryogénique, et qui permet la circulation d’hélium
autour des parois de la cavité, afin de la maintenir à la température souhaitée et d’évacuer
la chaleur due aux dissipations thermiques. Les cavités équipées de leur enceinte hélium
et en général d’un blindage magnétique sont placées dans une enceinte plus grande,
appelée cryomodule. Le rôle du cryomodule est d’assurer la transition thermique entre la
température ambiante et l’enceinte hélium, ainsi que de maintenir un vide d’isolement. Il
contient généralement une série d’écrans thermiques thermalisés, par exemple à l’azote
liquide.
Chaque cryomodule peut contenir une seule cavité ou bien une chaîne de cavités, selon le
schéma choisi pour l’accélérateur. Les cavités doivent être précisément alignées de
manière à ce que le faisceau de particules se déplace sur leur axe. Les cryomodules sont
ensuite également alignés les uns avec les autres. Un accélérateur peut être contenir un
ou deux cryomodules (c’est le cas des anneaux de stockage comme le LHC et Soleil par
exemple), mais aussi plusieurs dizaines de cryomodules : ainsi l’accélérateur d’électrons
du laser à électrons libre XFEL [22], construit à Desy, en Allemagne, sera constitué d’une
centaine de cryomodules, contenant chacun 8 cavités. L’assemblage des éléments
constituant un cryomodule XFEL est représenté Figure 12.
A
B
C
D
E
Figure 12 : Les éléments d’un cryomodule XFEL. Cavité 9 cellules seule (A),
entourée de l’enceinte hélium (B), puis du blindage magnétique (C). Chaîne de 8
cavités placées dans l’enceinte à vide avant (D) et après (E) le positionnement des
écrans thermiques.
5 Conclusion
Bien que l’investissement de départ soit plus important que pour un accélérateur
classique, l’apport de la supraconductivité est indéniable pour les cavités accélératrices
des accélérateurs de particules, et permet d’atteindre des performances hors d’atteinte
avec des structures normal-conductrices. Le niobium reste pour l’instant le
supraconducteur de référence, mais semble approcher ses limites théoriques. Des gains
sont néanmoins attendus dans un proche avenir en termes de coûts de fabrication et de
reproductibilité.
Cependant de nouveaux matériaux composites spécialement construit pour les
applications radiofréquence semblent prometteurs pour dépasser les limites des cavités
en niobium.
Pour en savoir plus
Les cavités supraconductrices pour les accélérateurs de particules
par Claire ANTOINE
Ingénieure-Chercheuse
et Juliette PLOUIN
Ingénieure-Chercheuse
Irfu, CEA-Saclay, Gif-sur-Yvette, France
Sources bibliographiques
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[5]
[6]
[7]
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Techniques de l'ingénieur "machines électrostatiques" (D 590)
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F. Orsini, et al., "Progress on the SRF Linac Developments for the IFMIF–LIPAC Project".
2013, IPAC.
P. Bernaudin, et al. "Design of the Low-Beta, Quarter-Wave Resonator and its Cryomodule
for the SPIRAL2 Project". in EPAC. 2004.
R. Brinkmann, et al., "TESLA Technical Design Report Part II: The accelerator". 2001,
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H. Padamsee, J. Knobloch, and T. Hays, "RF superconductivity for accelerators". 1998, 2nd
Ed 2008: J. Wiley & son.
voir dans les proceedings de SRF 2013 http://accelconf.web.cern.ch/accelconf/index.html :
New Insights on the Physics of RF Surface Resistance and a Cure for theMedium Field Q-Slope –
A. Grassellino; Q-Slope Studies at Fermilab: New Insight From Cavity and Cutouts Investigations –
A. Romanenko; Field Dependence of Residual and BCS Surface Resistances Measured by Explicit
Deconvolution Up to High Fields – A. Romanenko, A. Grassellino, O.S.Melnychuk, D.A.
Sergatskov; MediumField Q-Slope of Niobium– T. Junginger,W.Weingarten, C.P.Welsch; High
Resolution Surface Resistance Studies – S. Aull, S. Döbert, T. Junginger, S. Aull, J. Knobloch.
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A. Valente-Feliciano, et al. "Development of Nb and Alternative Material Thin Films
Tailored for SRF Applications". 2012.
[10] M. Krishnan, et al., "Energetic condensation growth of Nb thin films". Physical Review
Special Topics-Accelerators and Beams, 2012. 15(3): p. 032001.
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[12] T. Yogi, G. Dick, and J. Mercereau, "Critical rf magnetic fields for some type-I and type-II
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[13] Muller. "SC Nb in high RF magnetic". in SRF 87. 1987. ANL, Il, USA.
[14] E.H. Brandt. "Electrodynamics of superconductors exposed to high frequency fields". in
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[15] A. Gurevich, "Multiscale mechanisms of SRF breakdown". Physica C, 2006. 441(1-2): p.
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[16] A. Gurevich and G. Ciovati, "Dynamics of vortex penetration, jumpwise instabilities, and
nonlinear surface resistance of type-II superconductors in strong rf fields". Physical Review B 2008.
77(10): p. 104501-21.
[17] G. Lamura, et al., "First critical field measurements by third harmonic analysis ". Journal of
Applied Physics, 2009. 106: p. 053903
[18] P. Bauer, et al., "Evidence for non-linear BCS resistance in SRF cavities ". Physica C, 2006.
441: p. 51–56.
[19] Voir par exemple :
http://tdserver1.fnal.gov/project/workshops/RF_Materials/talks/Hasan_Sethna_superheating
%20field.ppt
[20] M. Liepe and S. Posen. "Nb3Sn for SRF applications". in SRF 2013. 2013. Paris, France.
[21] D. Longuevergne, et al. "A novel frequency tuning system based on movable plunger for
SPIRAL2 high beta superconducting quarter-wave resonator". in Linac 2008 2008. Victoria.
[22] http://www.xfel.eu/
À lire également dans nos bases
FRICK Georges. – Machines électrostatiques. [D3710], Convertisseurs et machines
électriques (1994).
LEMOINE Thierry. – Tubes électroniques hyperfréquences -Technologies, tubes à grille et
klystrons. [E1620], Hyperfréquences. Circuits et émetteurs de puissance (2008).
TIXADOR Pascal, BRUNET Yves. – Supraconducteurs - Bases théoriques. [D2701]
Matériaux à propriétés électriques et optiques. (2003)
Site Web
Le site « Joint Accelerator Conferences Website » publie l’ensemble des conférences sur
les accélérateurs de particules. Parmi les proceedings de conférences archivés sur ce
site, les conférences SRF (International Conférence on RF Superconductivity) y sont
rassemblées depuis la première édition en 1980. On y trouve tous les détails sur la R&D et
les progrès récents sur les cavités supraconductrices et leur environement.
http://accelconf.web.cern.ch/accelconf/
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